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mercredi, 27 octobre 2010

Bosnie: situation figée

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Bosnie : situation figée

 Bernhard TOMASCHITZ

 

Après les élections, l’immobilisme s’empare de la Bosnie.

 Les Etats-Unis et l’UE s’entêtent à vouloir imposer un Etat unitaire et multiethnique.

Le 5 octobre, la Bosnie-Herzégovine a élu un nouveau parlement et un nouveau « présidium d’Etat » mais les changements espérés par la « communauté internationale » ne se sont pas produits. Tous les partis ethniques représentant, chacun pour sa part, un des trois peuples porteurs de l’Etat bosniaque (les Bosniaques musulmans, les Serbes et les Croates) sont sortis vainqueurs incontestés des urnes. L’élection de Bakir Izetbegovic, fils du fondateur de l’actuel Etat bosniaque, Aliya Izetbegovic, au poste de représentant des Bosniaques musulmans, peut être considérée comme une surprise.

Les résultats de ces élections en Bosnie, pays qui, de facto, est un protectorat de l’UE, feront en sorte que la situation actuelle se maintiendra telle quelle. Aucun Etat « multiethnique », du type que souhaite voir advenir l’eurocratie bruxelloise, ne verra le jour dans l’immédiat et la « République serbe », qui représente une bonne moitié du pays, continuera à se défendre contre toute atteinte à ses compétences dans le cadre de la réforme constitutionnelle exigée par les Etats-Unis et l’UE. « La Bosnie-Herzégovine n’est possible que comme une fédération de républiques », a déclaré Milorad Dodik, ministre-président des Serbes de Bosnie, au quotidien « Danas » de Belgrade.  Cet homme politique serbe de Bosnie est sûr de savoir pourquoi l’Etat de Bosnie ne peut pas fonctionner. « La Bosnie-Herzégovine est une aberration née du processus de décomposition de l’ancienne Yougoslavie. Les étrangers veulent la maintenir, alors que chacun voit bien que rien n’en sortira, non pas à cause de Milorad Dodik, mais à cause de l’histoire et des circonstances que celle-ci a fait émerger et qui ont toujours existé ici ».

Mais il n’y a pas que les Serbes qui ruent dans les brancards. Au sein de la Fédération croato-bosniaque aussi, deuxième entité de l’Etat unitaire, on s’est mis à maugréer. Les hommes politiques croates réclament sans cesse la création d’une entité croate propre car ils craignent d’être minorisés par les Musulmans qui détiennent, dans la Fédération, une majorité de quatre cinquièmes. Ces craintes sont justifiées comme le montre l’élection du triumvirat constituant le Présidium d’Etat. Pour la Fédération croato-bosniaque, c’est le social-démocrate modéré Zeljko Komsic qui a été élu. Il doit son élection à une disposition technique: tous les citoyens de la Fédération croato-bosniaque peuvent élire leur membre du présidium, quelle que soit leur appartenance ethnique ; les Croates peuvent voter pour un Bosniaque musulman et vice-versa, les Bosniaques musulmans peuvent voter pour un Croate catholique. Donc Komsic doit sa réélection à des voix « prêtées » par des Musulmans. Il n’est dès lors pas étonnant que le candidat croate évincé, Dragan Covic, qui est d’inspiration nationaliste, ait déclaré qu’il allait « prendre des mesures », sans pour autant préciser quelles seraient ces mesures.

Sur le plan financier, les Croates, qui enregistrent davantage de succès sur le plan économique, subissent toutes sortes de désavantages. Avec l’argent de leurs impôts, ils doivent soutenir les Bosniaques. L’antenne locale de Mostar du parti croate HSP (Parti Croate du Droit) se plaint que les Croates, au cours des années écoulées, ont versé 4,3 milliards de « marks convertibles » (comme on appelle la devise du pays) de plus dans les caisses de la Fédération croato-bosniaque, au détriment de projets croates. « Les Croates sont plumés systématiquement et par des procédés légalement indiscutables, dans la mesure où ils sont minorisés quand il s’agit de voter », déclare l’antenne du HSP. La situation des Croates montre aux Serbes quelles seraient les conséquences d’une centralisation, avec une domination bosniaque-musulmane de l’appareil d’Etat. Au départ, pendant la guerre qui sévissait en Bosnie, l’expédient d’une Fédération avait du sens pour les Croates. « La Fédération est née au moment où les forces croates et bosniaques pouvaient espérer, ensemble, résister au défi que lançait la ‘République serbe’ en temps de guerre. Ensemble, Bosniaques et Croates formaient une masse critique suffisante pour maintenir la Bosnie-Herzégovine et empêcher toute sécession de cette ‘République serbe’ sur les plans financier, politique et même militaire », écrit un rapport récent de l’ « International Crisis Group ».

Cet « International Crisis Group » est un groupe de réflexion, financé notamment par des fondations américaines, qui sert de porte-voix à toutes les forces politiques qui veulent non seulement maintenir un Etat de Bosnie-Herzégovine, mais veulent le centraliser. Washington considère que cet Etat balkanique est un laboratoire expérimental pour un processus idéal de « Nation building », c’est-à-dire un processus qui mènera à la constitution d’un appareil d’Etat qui ne pourra fonctionner que vaille que vaille et constituera dès lors le lieu parfait pour y établir une base militaire importante afin que les Etats-Unis puissent continuer à exercer leur influence en Europe et sur l’Europe. A cela s’ajoute que tout Etat unitaire de Bosnie-Herzégovine serait automatiquement le meilleur garant imaginable dans la politique d’endiguement de la Serbie, allié important de la Russie. L’UE, pour sa part, essaie par tous les moyens d’instaurer en Bosnie son rêve de société multiethnique. La « communauté internationale », dont les seules composantes sont l’UE et les Etats-Unis, dépensent un argent fou pour parvenir à réaliser l’utopie d’une Bosnie unie. Depuis la fin de la guerre en Bosnie en 1995, plus de 14 milliards de dollars américains ont été injectés dans cet Etat balkanique qui ne compte environ que quatre millions d’habitants.

Vu les sommes énormes qui lui ont été consacrées et vu les intérêts qui sont en jeu là-bas, la Bosnie unitaire doit absolument être maintenue en vie. Par conséquent, l’ « International Crisis Group » exige une centralisation de l’Etat multiethnique de Bosnie. Car si la situation continue à empirer et que les combats politiques retardateurs de ceux qui ne veulent pas de cette centralisation se poursuivent, des « dommages irréparables dans les relations interethniques fragiles surviendraient et, ainsi, la viabilité de l’Etat serait remise en question ».

Mais la « communauté internationale », réduite à l’UE et aux Etats-Unis, et leurs caucus de réflexion omettent pourtant de prendre une alternative possible en considération : un démantèlement ordonné de la Bosnie-Herzégovine, en application du droit à l’auto-détermination des peuples, comme Washington et l’eurocratie bruxelloise l’ont accordé aux Albanais du Kosovo.

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°41/2010 ; http://www.zurzeit.at/ ).  

Bernhard TOMASCHITZ:

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