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mercredi, 17 avril 2013

La nouvelle entente turco-kurde: un hasard?

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La nouvelle entente turco-kurde: un hasard?

 

C’est une combinatoire de faits nouveaux —tels la lassitude face à un conflit de très longue durée, les changements de donne géopolitique suite aux événements d’Irak et de Syrie— et des intérêts politico-économiques importants qui ont convaincu le premier ministre turc Erdogan qu’il était temps, enfin, de mettre un terme au conflit qui opposait l’Etat turc aux Kurdes depuis plus de trois décennies. Cette volonté de paix n’a rien à voir avec une sympathie subite à l’égard des Kurdes d’Anatolie orientale. Au contraire, cette démarche découle d’un calcul politique bien conçu.

 

Si, dans l’avenir, nous aurons une paix de plus ou moins longue durée entre Turcs et Kurdes, ce n’est certainement pas parce que le premier ministre turc Erdogan est tombé de son cheval, frappé par la foudre, comme le Saint-Paul des Epitres sur le chemin de Damas. L’idéal d’une paix définitive n’est pas tombé du ciel comme la manne du désert sur les Juifs errant dans le Sinaï. Plusieurs glissements d’ordre géopolitique et économique ont contribué à forger un nouveau contexte.

 

Première constatation: après trente ans de conflit, avec au moins mille morts par an, les deux camps se rendent enfin compte qu’une victoire rapide et glorieuse n’est plus envisageable: ni pour les militaires turcs ni pour les guerilleros du PKK. Le gouvernement d’Ankara voit qu’il ne parviendra pas à décapiter la résistance armée kurde; de même, les Kurdes se rendent bien compte désormais qu’un Etat indépendant kurde, viable et digne de ce nom, n’est pas une perspective réaliste. Ces constatations, posées par les uns et par les autres, permettent d’envisager le pragmatisme. Le discours modéré, prononcé récemment par le leader kurde Öçalan, qui croupit depuis 1999 dans une cellule turque, après que des agents turcs l’aient arrêté au Kenya, montre que ce chef de guerre a gardé toute son aura. Il ne prononce plus le mot “indépendance”. Il évoque au contraire l’idée d’une “autonomie locale”, de droits linguistiques et de l’arrêt des répressions turques. Ces revendications sont nettement moins fortes que la volonté préalable des révolutionnaires nationaux kurdes de créer un Etat indépendant kurde, promis à la fin de la première guerre mondiale. La pensée d’Öçalan a donc évolué. Mieux: pour Erdogan, c’est l’ébauche d’un compromis défendable devant le parlement turc.

 

Vraisemblablement les choses bougent depuis octobre 2012. Un va-et-vient diplomatique s’est mis en branle entre les résidences du premier ministre turc et l’île d’Imrali, où le chef kurde est détenu. On avait déjà l’impression que les Kurdes avaient décidé d’un cessez-le-feu unilatéral. En réalité, il y avait plus. Au cours des conversations, tenues à l’abri des regards, les deux parties ébauchaient les contours d’un compromis de grande ampleur. Pour amener les Turcs à céder, les Kurdes ont promis à Erdogan de soutenir ses projets de réforme, allant dans le sens d’un pouvoir présidentiel plus fort, qui serait alors taillé sur mesure pour la propre candidature future du premier ministre.

 

Le facteur syrien

 

Le rapprochement entre le gouvernement d’Erdogan et les Kurdes ne s’explique que par les événements qui affectent la Syrie. Syriens et Kurdes avaient partie liée. La guerre de résistance lancée par le PKK en 1984 a commencé en Syrie. Dès cet instant, le PKK est devenu un instrument aux mains du régime baathiste syrien face à la Turquie, souvent suite à de longues et pénibles négociations pour les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Opérons un retour en arrière de trente années. Le régime syrien d’Assad voulait faire des Kurdes ses alliés. Cela s’est, semble-t-il, avéré un faux calcul, car les Kurdes aussi se sont opposés au régime syrien. Les Turcs ont suivi cette évolution avec inquiétude: en effet, pour eux, un scénario apocalyptique —et bien réel— risquait de se dérouler. Certes, c’est tenter de prédire l’avenir dans une boule de cristal que de spéculer sur ce qui adviendra en cas de désagrégation de l’Etat syrien mais, malgré tout, l’émergence d’une entité kurde indépendante sur le territoire de la Syrie actuelle est plausible, tout comme ce fut le cas en Irak. Nous sommes bien sûr fort éloignés d’un grand Etat kurde qui surplomberait toutes les frontières actuelles et engloberait tous les Kurdes ethniques (le plus grand peuple sans Etat!) mais l’apparition potentielle, sur la mosaïque proche-orientale, de deux entités étatiques ou semi-étatiques kurdes inquiète grandement Ankara. Un diplomate remarquait récemment: “Avec ce qui s’est passé en Irak et avec les événements de Syrie, la Turquie est dorénavant confrontée à la pression la plus forte sur ses frontières qui ait jamais existé depuis que Britanniques et Français ont démantelé l’ex-Empire ottoman”.

 

Le rapprochement turco-kurde entre bien dans le cadre de la politique intérieure turque. Erdogan poursuit deux objectifs: il veut éviter tout nouveau coup d’Etat militaire et il veut aussi éliminer les tendances anti-religieuses (dont anti-islamistes) qui avaient structuré l’Etat kémaliste turc, désireux de mettre un terme à toute influence de la religion dans les affaires politiques. Öçalan ne trouve rien à redire à ces deux axes majeurs de la politique erdoganienne. Le premier ministre turc veut aussi un pouvoir présidentiel plus fort. Pour revoir la constitution en ce sens, il faut une majorité des deux tiers. Un bref calcul nous apprend que pour réaliser ce triple projet politique, Erdogan a besoin du soutien de 20% de ses concitoyens kurdophones, que les kémalistes appelaient “Turcs des montagnes”.

 

Sur le plan économique, Erdogan flaire également une plus-value. On sait que la meilleure image de marque de son gouvernement a été de promouvoir un important boom économique. La Turquie peut toutefois faire mieux encore, surtout, justement, dans la partie kurdophone du pays. A cause du conflit de longue durée qui a affecté cette région, son poids économique n’a cessé de décliner. Ensuite, les relations économiques entre la Turquie et l’entité kurde du Nord de l’Irak sont bonnes et très prometteuses. Si une pacification définitive intervient dans cette région jusqu’ici en ébullition, Erdogan pourra tirer grand profit de la nouvelle donne et réaliser ses projets de démantèlement de l’Etat kémaliste.

 

“M.”/” ’t Pallieterke”.

Article paru dans “ ’t Pallieterke”, Anvers, le 10 avril 2013.

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