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jeudi, 11 février 2016

Tout a changé à Buenos Aires !

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Bernhard TOMASCHITZ :
Tout a changé à Buenos Aires !


En Argentine, le nouveau président Macri amorce de nouvelles réformes néolibérales et ramène son pays dans le sillage des Etats-Unis !


Mauricio Macri est devenu Président de l’Argentine le 10 décembre 2015. Ce millionnaire, cet ancien maire de la capitale Buenos Aires prend la succession de Cristina Kirschner, une populiste de gauche. Il n’a pas fait traîner les choses : tout de suite, il s’est attelé à refaçonner le pays selon ses idées néolibérales. Il reçoit l’aval et les applaudissements des médias dominants, surtout aux Etats-Unis. Le New York Times jubile, dès la fin décembre : « A peine trois semaines aux affaires, Macri bouleverse l’Argentine de fond en comble avec ses remarquables réformes ».


Macri a baissé les impôts des entreprises et libéré le cours du peso, qui, tout de suite, a perdu 30% de sa valeur face au dollar américain. C’est surtout le citoyen argentin moyen qui fait les frais de cet effondrement du peso, tout simplement parce que les marchandises importées deviennent beaucoup plus chères. Le New York Times, toujours aussi enthousiaste, remarque qu’avec la diminution des droits d’exportation pour les exploitants agricoles, les éleveurs et les entreprises, Macri veut augmenter leurs profits. Le nouveau ministre argentin de l’agriculture, Ricardo Buryaile, est un ancien directeur de… Monsanto ! Or, il faut se souvenir que le consortium agricole américain était en conflit avec le gouvernement de la gauche populiste de Cristina Kirschner, à cause des redevances. Le 29 avril 2015, l’agence de presse Bloomberg, spécialisée dans les affaires économiques, écrivait : « L’Argentine, le plus gros producteur mondial de graines de soja, envisage d’interdire aux marchands de semences de percevoir des redevances ».


Sur le plan intérieur, le nouveau président cherche à transformer complètement l’Argentine, sans trop tenir compte de la constitution. Comme le rapporte Tele Sur, une chaîne de télévision ibéro-américaine, deux avocats argentins reprochent à Macri d’avoir nommé deux nouveaux juges à la Cours Suprême, ce qui constitue un abus de pouvoir. Ces nominations se sont effectuées sans l’accord obligatoire du Sénat, ce qui constitue, aux yeux des deux juristes, « un acte anticonstitutionnel et une violation manifeste de la Constitution ». De plus, Macri semble préférer gouverner par décrets, passant outre l’avis du Parlement.
L’homme au pouvoir désormais sur les rives du Rio de la Plata gouverne nettement de manière autoritaire : les Etats-Unis, pourtant si prompts à s’insurger contre toute gouvernance autoritaire, se drapent dans un silence absolu.

Ce n’est pas étonnant : Macri est l’homme en qui ils placent tous leurs espoirs en Amérique latine. Peter Koenig, ancien collaborateur de la Banque Mondiale, décrit de Président de 57 ans comme une figure « extrêmement conservatrice » qui « suite des politiques néolibérales » qui entend inverser « le cours progressiste amorcé antérieurement par le gouvernement Kirschner », en réduisant les subsides pour les travailleurs, en privatisant et « en mettant un terme à la politique fiscale (de l’ancien gouvernement), laquelle visait une rédistribution des richesses nationales ». La famille d’entrepreneurs, dont Macri est issu, aurait accumulé de fausses dettes, avec l’assentiment tacite des banques américaines, dettes que le gouvernement argentin a, par la suite, dû prendre en charge. Toujours selon Koenig, Macri laisse derrière lui, en tant qu’ancien maire de Buenos Aires, « un héritage douteux, de magouilles avec l’argent public, avec des dépassements budgétaires outranciers et des travaux publics incessants ». On accuse aussi le nouveau président d’avoir détourné l’argent public pour financer ses campagnes électorales et des parties fines avec des prostituées.


Une dépêche de 2008, émanant de l’ambassade des Etats-Unis à Buenos Aires et dévoilée ultérieurement par Wikileaks, révèle que Macri, lors d’une conversation avec l’ambassadeur américain, a demandé de manière pressante l’immixtion de Washington dans les affaires intérieures argentines pour contrecarrer l’anti-américanisme que cherchait à généraliser le prédécesseur et époux de la Présidente Kirschner, Nestor Kirschner. Son épouse avait suivi cette voie anti-impérialiste. Dans la dépêche, on apprend que Macri « se plaignait que l’engagement américain en Argentine était trop ‘passif’ et n’était pas en mesure de répondre aux provocations des Kirschner, ce qui faisait croire à l’opinion publique que les Etats-Unis n’étaient jamais présents ». Apparemment, l’immixtion de Washington était insuffisante, selon Macri, notamment par l’intermédiaire de ces fondations semi-étatiques, en charge de « promouvoir la démocratie », comme, par exemple, le « National Endowment for Democracy ».


On ne s’étonnera pas, dès lors, que l’Argentine, sous la houlette de son nouveau président, optera pour une ligne très différente en politique étrangère. Cristina Kirschner avait cherché à consolider les liens entre l’Argentine, d’une part, et la Chine et la Russie, d’autre part, dans le but évident de limiter la trop forte influence des Etats-Unis en Amérique du Sud. Le géopolitologue russe Nil Nikandrov note que l’Argentine « tenait régulièrement compte des intérêts russes dans les questions les plus cruciales en politique internationale ». Ainsi, par exemple, Nikandrov rappelle que l’Argentine s’était abstenue, en mars 2014, quand il s’agissait de voter en faveur d’une résolution des Nations Unies, condamnant la Russie pour « les événements de Crimée ».


Macri, en revanche, se pose comme l’exécuteur zélé des volontés de Washington. Dès le premier mois de son mandat présidentiel, Macri s’est immédiatement confronté au Vénézuela, où le Président Nicolas Maduro est affaibli, suite à sa défaite lors des élections législatives du 6 décembre. Macri a annoncé qu’il réclamerait l’exclusion du Vénézuela du Mercosur, le marché commun latino-américain, sous le prétexte que Maduro aurait agi de « manière non démocratique » contre des représentants de l’opposition. Si un Etat membre du Mercosur « brise l’ordre démocratique », a-t-il ajouté, il faut qu’il subisse des sanctions.


Bernhard TOMASCHITZ.
(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°1/2, 2016 ; http://www.zurzeit.at ).