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vendredi, 22 avril 2016

La malédiction des droits de l’homme

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La malédiction des droits de l’homme

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch
 

Lorsque Bertrand Russell dit un jour à Ludwig Wittgenstein qu’il allait rejoindre une organisation luttant pour la paix dans le monde, le philosophe autrichien s’énerva. Alors le philosophe anglais lui répondit : « vous ne voudriez tout de même pas que je rejoigne une organisation promouvant les crimes ou les guerres dans le monde ! » Et Wittgenstein de répondre : « plutôt ça, oui, plutôt ça ! ». Vouloir faire le bien de tous sûr conduit à plus de mal que de bien, tandis qu’un criminel cible ses victimes. Wittgenstein le savait.

Hannah Arendt déclara un jour que les Juifs avaient découvert dans les camps de concentration qu’être homme et rien qu’homme c’était n’être rien. Elle avait elle-même connu un camp en France, Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques avant d’émigrer aux Etats-Unis. Avait-elle ressenti dans ce camp qu’elle avait été annihilée ? Ou bien s’appuyait-elle sur Aristote pour qui  l’homme n’est homme que par son appartenance à une communauté politique ? Je l’ignore mais tends à penser que c’était un peu des deux. En tout cas un être humain sans famille et sans patrie n’est guère plus qu’une chose. Il vivote tant bien que mal dans un « hot spot », avant d’être renvoyé chez lui ou intégré dans une usine européenne. Il est légitime de vouloir l’aider mais avec de la nourriture, des tentes et des couvertures, on ne lui permet pas d’appartenir à une communauté politique.

La déclaration des droits de l’homme me dit que je suis homme par un papier énonçant mes droits. Je ne suis donc pas humain tout de suite. Sans ce papier je ne serais rien, comme dans un camp de concentration. La crise migratoire fait apparaître des millions de gens qui ne sont rien parce qu’ils n’appartiennent plus à une communauté politique. Inexistences déportées par des passeurs et regroupées dans des camps avant d’être intégrées dans des usines allemandes. L’histoire se répète : déportation avec passeurs, regroupement dans des camps, travail en Allemagne. On comprend le sentiment d’horreur que cette situation inspire, surtout chez les jeunes qui, dans des ONG, veulent venir en aide aux migrants. Ils ne font hélas qu’accélérer un processus qui traite les hommes comme des choses. Les droits de l’homme, le seul drapeau que peut encore brandir l’UE, donnent l’impression qu’ils sont un rempart contre cette horreur. En réalité ils la promeuvent.

C’est inspirée par l’idéologie des droits de l’homme que, en 2011 et sous l’égide de l’ONU, s’est faite l’intervention de la communauté internationale en Libye. Ce fut un désastre. Le Printemps arabe a-t-il été déclenché par cette même idéologie ? Je le soupçonne. C’est encore les droits de l’homme qui me paraissent avoir, sinon provoqué, du moins amplifié deux crises graves : la guerre civile en Syrie où un méchant, Bachar Al-Assad, ne respectait pas ces droits - la crise migratoire qui se produit dans une Europe incapable de faire face à ce défi. Elle en est incapable parce que, imprégnée par les droits humains, elle ne peut pas avoir de politique étrangère et qu’en l’absence d’une telle politique, elle ne peut que brandir des images d’enfants morts sur les plages. Cela ne fait pas une politique et, au final, augmente encore le nombre de morts parmi les migrants.

Les droits de l’homme  provoquent des désastres. C’était à prévoir ! L’idéologie qui soutient ces droits est née dans ces marécages où nage l’homme naturel de Rousseau. Il y nage tant bien que mal mais ne peut pas aborder sur la rive pour s’y redresser et devenir un homme. La conséquence est qu’à aider ce nageur, on ne fait que le soutenir dans ses efforts pour maintenir sa tête hors de l’eau. A moins de croire qu’en secourant des migrants à la dérive dans les eaux de la Méditerranée on leur donne les moyens de se redresser sur une berge. Mais pour le croire, il faut ne pas voir que ce redressement se fera dans un camp.

Notre humanité n’est pas une petite graine qui, en nous, va se développer comme se développe une graine de tournesol. Notre humanité a besoin d’une communauté vivante avec des institutions, pas des droits. La graine de tournesol a besoin de terre et d’eau pour s'épanouir. Les hommes ont besoin d’une histoire et du terreau d’une patrie. Sans cela, nous ne sommes rien.

Il est vrai qu’une patrie céleste, pour parler comme saint Augustin, peut aussi aider et qu’on peut souhaiter aux migrants d’en avoir une. Mais  la leur est musulmane tandis que notre paradis a été remplacé par les droits de l’homme. C’est incompatible.

Jan Marejko, 19 avril 2016

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