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jeudi, 24 mai 2018

«La force de la géographie: comment expliquer la politique mondiale à l’aide de dix cartes géographiques»

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«La force de la géographie: comment expliquer la politique mondiale à l’aide de dix cartes géographiques»

par Wolfgang van Biezen

Ex: http://www.zeit-fragen.ch/fr

«Après la lecture de ce livre, on comprend mieux les crises actuelles de notre monde, on considère les articles exigeants de la presse quotidienne de manière moins fragmentaire, ce qui mène à une meilleure compréhension. La mutation de la seule puissance mondiale, les Etats-Unis, vers un monde multipolaire est déjà accomplie. Pourquoi il en est ainsi est bien décrit dans ce livre captivant et intéressant à lire.»

TMgéo2.jpgAu début de l’année 20151, lors d’une intervention au sein du Chicago Council on Foreign Relations, George Friedman de la société de renseignement américaine Stratfor a insisté sur l’intention des Etats-Unis de continuer à faire la guerre et comment, depuis un siècle, la politique américaine avait défini, de façon primordiale et doctrinale, l’empêchement d’une quelconque réconciliation entre l’Allemagne et la Russie. Cela concorde entièrement avec politique de guerre et la politique étrangère des Britanniques pour l’Europe, menées depuis plusieurs siècles conformément à la tradition et connue sous le nom d’«équilibre des forces». Actuellement cela correspond au déplacement dans le cadre de l’OTAN des Rapid Forces internationales vers l’Est jusqu’à la frontière russe.


La transformation de l’OTAN d’une alliance défensive en une alliance offensive sous la direction des Etats-Unis, les guerres au Proche-Orient, les alliances opaques dans le conflit syrien, la sécession armée en Ukraine orientale et une ministre de la Défense allemande semblant être prête à tout, nous rappelle fatalement la situation à la veille de la Première Guerre mondiale. A cette époque, il ne manquait plus que l’étincelle serbe pour faire sauter l’Europe. Le les poudrières sont en place. Selon George Friedman, l’Allemagne ne s’est pas encore décidée d’assumer le rôle de chef en Europe que ses alliés veulent lui imposer. Rappelons-nous: le mensonge de l’ancien ministre allemand de la Défense M. Scharping, a fourni la raison pour l’intervention militaire illégale au Kosovo. Jusqu’aujourd’hui, il est préférable de ne pas parler ouvertement sur l’horrible souffrance humaine provoquée par l’emploi des armes à l’uranium appauvri utilisées par les forces alliées dans cette région.


Il est difficile de ne pas voir les signes d’une nouvelle guerre, et les citoyens européens réalisent de plus en plus qu’un nouveau conflit est en préparation. Quiconque ne veut pas fermer les yeux, désire comprendre l’histoire récente de l’Europe et décèle des parallèles avec la Première et la Seconde Guerre mondiale dans les activités bellicistes contemporaines, ferait bien de s’approfondir dans la lecture du livre de Tim Marshall intitulé «Die Macht der Geographie – Wie sich Weltpolitik anhand von 10 Karten erklären lässt» (DTV-Paperback 34917) [La force de la géographie. Comment expliquer la politique mondiale à l’aide de dix cartes]. (Version originale en anglais: «Prisoners of Geography. Ten Maps That Explain Everything About the World»).


Le livre met l’accent sur le mot «géo» et entend par là simplement ceci: «La géopolitique démontre comment on peut comprendre des affaires internationales dans le contexte de facteurs géographiques.» En fonction de l’histoire, l’auteur britannique Tim Marshall sensibilise l’œil du lecteur à la situation actuelle de dix régions choisies de notre monde. Il le fait de façon cohérente sur la base de la géographie et de la topographie.


Le premier chapitre déjà clarifie pourquoi Staline, n’avait guère l’intention, après la Seconde Guerre mondiale, d’étendre l’ancienne Union soviétique jusqu’à l’Atlantique, comme l’ont appris des générations d’élèves mais également des stratèges miliaires pendant leur formation.


Les attaques contre la Russie et la sécurisation du ravitaillement nécessaire venant de l’Ouest ont toujours eu lieu par la plaine nord-européenne. Toutes les autres voies sont bloquées par des chaînes de montagnes. Cette voie fut choisie par Napoléon tout comme les armées allemandes pendant les deux guerres mondiales. Actuellement, la Pologne et l’Ukraine servent à nouveau de têtes de pont stratégique et sont ainsi essentiel pour les militaires occidentaux. En même temps cela représente d’autre part une énorme menace pour la Russie. Nous apprenons aussi pourquoi le contrôle et la fermeture de la «ligne GIUK»2 ont à plusieurs reprises barré le chemin de la marine russe vers les océans. Et lorsqu’on peut lire dans la presse quotidienne que toutes les transactions financières de l’Europe vers les Etats-Unis et retour passent par des faisceaux de câbles sous-marins transatlantiques, parallèles à la «ligne GIUK», et comment les Russes seraient capables de couper ces liaisons à l’aide de leur sous-marins, le lecteur attentif se rend compte du fait qu’il s’agit ici éventuellement d’une préparation d’un casus belli.


tmgéo3.jpgLe projet chinois du réseau des Routes de la soie, peu considéré par les Etats-Unis, est vu comme une réponse aux questions urgentes de la communauté mondiale. L’Eurasie se rapproche et collabore dans ce programme d’infrastructure (One Belt One Road – OBOR). Des transports ferroviaires de Pékin à Duisbourg ont déjà lieu plusieurs fois par semaine. La Russie soutient ce projet. La Chine désire davantage de coopération non seulement sur le contient eurasiatique, mais dans tous les domaines et au bénéfice mutuel de tous les participants. Par le port de Gwadar, la Chine atteint l’océan Indien et inclut le Pakistan et l’Iran dans ce projet eurasiatique.


D’autres chapitres importants déchiffrent la géopolitique actuelle des Etats-Unis, de l’Europe occidentale, du Moyen-Orient, de l’Inde et du Pakistan, de la Corée et du Japon aussi bien que de l’Amérique latine.
Le livre fort inspirant de M. Marshall se termine par un chapitre sur l’Arctique. Dans cette région, le soi-disant «changement climatique» travaille en faveur de la Russie. Nulle part, les Etats-Unis et la Russie ne sont si proches l’un de l’autre. Toutefois, le dégel ouvre des possibilités de nouveaux passages entre l’Atlantique et le Pacifique. Là aussi, sur son propre plateau continental, il semble que la Russie tienne la corde, relativement inaperçue et tranquille.


Après la lecture de ce livre, on comprend mieux les crises actuelles de notre monde, on considère les articles exigeants de la presse quotidienne de manière moins fragmentaire, ce qui mène à une meilleure compréhension. La mutation de la seule puissance mondiale, les Etats-Unis, vers un monde multipolaire est déjà accomplie. Les raisons pour lesquelles il en est ainsi sont bien décrites dans ce livre captivant et intéressant à lire.    •

1     https://www.youtube.com/watch?v=ablI1v9PXpI newscan du 17/3/2015
2     Le GIUK est une ligne imaginaire de l’Atlantique nord formant un passage stratégique pour les navires militaires. Ce nom est l’acronyme de l’anglais «Greenland, Iceland, United Kingdom». En cas de conflit, la ligne sera bloquée par les Etats-Unis ou plutôt par l’OTAN. (cf. aussi la NZZ du 13/2/18, p. 7)

La révolution de couleur n'est plus ce qu'elle était

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La révolution de couleur n'est plus ce qu'elle était

par Dimitri Orlov

Ex: http://www.dedefensa.org

Le monde d'Orlov

Notre concept de réussite change avec l’âge. Quand nous sommes jeunes mais pas tout à fait mûrs, nous sommes capables de nous engager dans toutes sortes d’exploits ridicules. Plus tard, quand nous ne sommes plus jeunes du tout, un passage réussi aux toilettes se révèle une cause de célébration. La même chose vaut pour les empires vieillissants. Quand ils sont jeunes, ils détruisent les grands pays importants, mais aident ensuite à les reconstruire. Plus tard, ils se bornent à les détruire. Plus tard encore, ils tentent de détruire des petits pays faibles mais échouent même à faire cela. Finalement, de tels échecs deviennent trop petits pour être même remarqués. Avez-vous remarqué ce qui vient de se passer en Arménie ? Vraiment ?

Au cas où vous ne le sauriez pas, les Arméniens sont l’une des nations les plus anciennes de la Terre. Le pays d’Arménie a commencé comme le royaume d’Urartu autour de 9000 AVANT JÉSUS-CHRIST, et persiste à ce jour, bien que la plupart des Arméniens forment maintenant une nation diasporique, comme les juifs. Jusqu’aux années 1990, l’Arménie faisait partie de l’URSS et a grandement bénéficié de cette inclusion, mais après la dissolution de l’URSS, elle est entrée dans un état de langueur. La quasi-totalité de l’industrie que les Soviétiques avaient construite en Arménie a cessé ses activités et les spécialistes qui y travaillaient se sont dirigés vers des cieux plus cléments et plus pollués. L’Arménie s’est désindustrialisée et elle est devenue en grande partie agraire, avec une économie axée sur des produits tels que les abricots, le vin et l’eau-de-vie, ainsi qu’un peu de tourisme.

Les difficultés de l’Arménie sont liées à certains problèmes causés par son emplacement. L’Arménie est enfermée, sans accès aux routes commerciales principales. Elle est bordée de pays qui sont pour elle inutile ou hostile : la Géorgie est plus ou moins hostile et aussi économiquement inutile ; la Turquie est utile mais hostile ; l’Azerbaïdjan aussi (habité par des Turcs azéris) ; l’Iran est inutile (et le nord est également habité par des Turcs azéris). Ajoutez à cette composition de base quelques ingrédients épicés telle que cette région disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (Le Haut-Karabagh), qui est habitée par des Arméniens mais revendiquée par l’Azerbaïdjan, et qui nécessite la présence de Casques bleus russes pour le maintien du statu quo, et vous avez une recette pour des limbes économiques et politiques.

Les choses semblaient un peu tristes en Arménie, mais ensuite elle a rejoint l’Union économique eurasienne, qui est une zone de libre-échange qui comprend la Russie et d’autres anciennes républiques soviétiques. Elle offre une très large zone de libre circulation des capitaux, des biens et de la main-d’œuvre et prévoit des garanties de sécurité. Grâce en grande partie à son adhésion à l’UEE, l’économie arménienne a connu une croissance fulgurante de 7,5% l’année dernière et les gens de Washington DC et de Langley (siège de la CIA) se sont assis et en ont pris note. L’establishment américain considère ces réussites centrées sur la Russie comme des plus troublantes. Il était temps de prendre l’Arménie au lasso.

Le fait qu’Erevan, la capitale de l’Arménie, abrite la deuxième plus grande ambassade des États-Unis au monde a été très utile à cet égard. Ajoutez à cela la présence d’ONG occidentales, richement financées par George Soros et d’autres, pour aider à élaborer un projet constructif. Tous, pour le dire sans ambages, ont poussé en direction du démantèlement de l’Arménie et de sa transformation en un autre territoire dénaturé géré à la perfection par des bureaucrates et des banquiers internationaux. En particulier, ils ont poussé une réforme constitutionnelle qui aurait fait passer le pays d’une république présidentielle à une république parlementaire (un pas vers le gouffre pour un pays qui est dans un état permanent de quasi guerre à cause de voisins hostiles et de territoires contestés).

Ajoutez à cela le fait que l’Arménie est dirigée par des tendres. C’est le fléau des nations diasporiques dont le pays d’origine finit à peu près entièrement rempli d’imbéciles. Prenez une population de rats. (Attention, je ne compare pas les Arméniens aux rats, je compare l’Arménie à une expérience de laboratoire.) Laissez s’échapper tous les rats assez intelligents pour traverser un labyrinthe ou, dans le cas de l’Arménie, apprendre une langue étrangère, obtenir un passeport et un visa, et trouver un emploi dans un pays étranger. Quelques générations plus tard, la plupart des rats qui ne se sont pas échappés sont cons comme la lune.

Aussi le Syndicat de la révolution de couleurs s’est mis au travail. Après quelques jours de manifestations dans la rue qui ont paralysé la capitale, le Parlement a été suffisamment intimidé pour élire un Premier ministre, Nikol Pashinyan, un politicien dont la fraction parlementaire pèse moins de 10%. L’effort a été soutenu par le fait que l’ancien Premier ministre était plutôt fou et ne semblait pas aimer son travail, de toute façon. Le Premier ministre nouvellement élu serait un réformateur pro-occidental.

Je pensais que le Syndicat de la révolution de couleurs était à peu près mort. En effet, toutes les grandes nations ont développé une immunité contre lui. Sa dernière victime a été l’Ukraine, qui traverse encore les différentes étapes de son effondrement. La Russie est maintenant clairement immunisée. Le champion des Occidentaux, Alexeï Navalny, qui avait été endoctriné par la technologie politique de la Révolution de couleurs à Yale et qui devait un jour renverser Poutine avec l’aide d’une foule d’adeptes idiots, est maintenant un joueur de pipeau utilisé par le Kremlin pour débarrasser les villes de ces idiots adolescents. La Hongrie vient d’interdire Soros avec tous ceux qui fricotent trop près de ses “ONG”. Mais les révolutionnaires colorés refusent de mourir. Après tout, ils ont encore de l’argent à dépenser pour déstabiliser des régimes qui deviennent trop confortables avec Moscou ou refusent de jouer au ballon avec Washington. Et ainsi, ils ont décidé de choisir une petite cible bien molle : l’Arménie.

Mais même en Arménie, les choses n’ont pas vraiment fonctionné comme prévu. Les planificateurs de la Révolution colorée ont négligé de prendre en compte certains paramètres de l’équation politique arménienne. Premièrement, l’Arménie tire une grande partie de ses revenus des Arméniens qui vivent et travaillent en Russie. Deuxièmement, environ la moitié de la population arménienne, pour le dire d’une manière politiquement incorrecte mais précise, est russe : elle parle russe, elle est adaptée culturellement à la Russie, et c’est encore une autre nation qui fait partie de la grande famille de plus de 100 nations distinctes qui se disent russes. Troisièmement, Nikol Pashinyan est un homme inconstant. Il a commencé en tant que nationaliste, puis est devenu pro-occidental, et demain il deviendra ce qu’il faut en fonction de la direction du vent. Il a du charisme, mais il est globalement un poids léger : un étudiant inconstant sans expérience de gouvernement ou dans les affaires, mais qui a un opportunisme certain.

La nature malléable de Pashinyan est devenue évidente car il a bien vendu sa candidature devant le Parlement arménien. Au début, il n’avait pas du tout de plate-forme. Il a juste fait de vagues bruits pro-occidentaux. Réalisant que cela ne marcherait pas, il a changé de vitesse et il est devenu résolument pro-russe. Assurément, après avoir pris ses fonctions de Premier ministre, sa première rencontre en tant que chef d’État fut avec Vladimir Poutine, et les déclarations publiques ont porté sur les liens qui unissaient les grande et moins grande nations que sont la Russie et l’Arménie. Il a ensuite assisté au sommet de l’UEEA à Sotchi, semblant un peu tendre à côté de tous les hommes d’État chevronnés rassemblés là-bas. Mais il a obtenu des claques rassurantes sur les épaules de la part des divers dignitaires eurasiens. Le message de base semblait être « ne merdez pas, et vous obtiendrez une croissance annuelle du PIB de 7,5% et vous aurez l’air d’un héros ».

Alors, qu’est-ce que Washington, Langley, Soros et le reste du syndicat des Révolution de couleurs ont obtenu après tous ces efforts et les dizaines, peut-être centaines de millions de dollars qu’ils ont dépensés pour transformer l’Arménie en une nation vassale occidentale ou, à défaut, en un État failli à moyen terme ? Je suis proche d’être persuadé qu’eux-mêmes ne connaissent pas la réponse à cette question. Les brillants géopoliticiens occidentaux ont regardé une carte et, voyant un petit pays vulnérable et faible positionné stratégiquement entre la Russie et l’Iran, ils ont pensé: « Nous devrions y aller et mettre le bordel. » Ils l’ont fait. En observant les résultats, on se dit qu’ils auraient tout aussi bien pu rester à la maison, faire un bon passage aux toilettes et célébrer leur victoire.

Dimitri Orlov

(Le 15 mai 2018, Club Orlov– Traduction Le Sakerfrancophone.)