dimanche, 16 février 2025
Sur le Voyageur éveillé de Nicolas Bonnal
Sur le Voyageur éveillé de Nicolas Bonnal
par Jean Parvulesco
Entre le dégoût et la nostalgie « Après avoir fait plusieurs fois le tour du monde, Nicolas Bonnal s’est, en désespoir de cause, retiré en Andalousie », où « il vit dans une cueva au pied du Sacromonte », c’est ainsi que son éditeur présente l’auteur du Voyageur Eveillé dans sa nouvelle solitude secrète.
Je ne sais pas si, replié sur lui-même au fond de sa cueva de la calle Aguas de Albaicin, Nicolas Bonnal a finalement pu, comme on dit, « rencontrer sa paix », mais il est certain qu’il a trouvé le temps d’écrire un grand livre, qui restera, un livre situé d’emblée au-dessus du misérable flot des petites choses indignes que l’on sait, faites seulement pour qu’elles passent sans laisser de trace.
Ainsi, parfaitement inattendu par les sales temps qui courent, le voyageur éveillé de Nicolas Bonnal est-il, d’un seul coup, apparu à notre portée, mystérieux météorite venu d’on ne sait où, des ultimes profondeurs, peut-être, de ce ciel de ténèbres profondes qui est le nôtre à l’heure présente, le ciel de notre propre déréliction finale.
Car il faut commencer par le dire : sous la figuration allégorique plus que symbolique du « voyage » et du « voyageur » - de l’actuel « voyageur planétaire », du « maudit touriste » - Nicolas Bonnal instruit, en réalité, le procès de l’aliénation finale d’un monde voué, pris sous la malédiction de s’auto-défaire dans le néant de ses propres démissions subversivement - et très occultement, à ce que l’on a vu - dirigées depuis l’extérieur de lui-même, depuis ce qui représente son contraire ontologique caché, depuis l’« autre monde ».
En fait, malgré la dialectique déstabilisante opposant « dégoût » à « nostalgie », profond dégoût d’un présent irrémédiablement déchu et nostalgie insoutenable d’un passé déjà bien trop lointain, dialectique subversive entretenant par en dessous le propos en marche de ce livre si dangereusement piégé, on va quand même finir par comprendre que la présente recherche de Nicolas Bonnal aboutit à un fort aventureux processus de salut et de délivrance, opérant sur le fil du rasoir. Parce que c’est bien dans l’abjecte réalité du monde tel qu’il est devenu à l’heure présente, que le Voyageur éveillé s’emploie, désespérément, à retrouver les lueurs ambiguës, la présence, occultement encore substantivisante, des anciennes valeurs de l’être, oubliées, qui se sont perdues avec les défaillances et les lugubres mensonges de la modernité, avec l’omniprésente terreur démocratique exercée par celle-ci sur les temps qui sont échus à son emprise finale. Une modernité déjà accomplie, dont les ravages nous forcent à reconnaître l’affirmation irrévocablement établie-là du retour en arrière vers le chaos et le néant d’avant-l’être ; mais un retour qui n’aura qu’un temps. Et de par cela même tenus de comprendre, comme nous le sommes à présent, que ce que d’aucuns appellent la postmodernité n’est que la continuation exacerbante et complice à part entière de la modernité, que modernité et postmodernité ne font qu’un. Cependant, quand Rimbaud disait qu’« il faut être absolument moderne », c’est d’une tout autre modernité qu’il parlait, lui, la « modernité » rimbaldienne se situant tout à fait au-delà de la modernité et de la postmodernité actuelles, qui sont les nôtres, qui l’une et l’autre appartiennent à la même figure finale d’une histoire mondiale ayant déjà cédé aux sollicitations obscènes du néant et de ce chaos rampant dont H.P. Lovecraft avait annoncé la montée au pouvoir.
De toutes les façons, peut-on encore douter du fait que le monde, à l’heure actuelle, vient de finir par s’identifier, déjà, presque entièrement à l’anti-monde, et l’être à se faire remplacer, en ses demeures mêmes, par le non-être ? Que le temps n’est plus notre temps, de même que notre espace n’est plus, actuellement, que l’espace de sa propre auto-disqualification finale.
Ainsi, en citant René Guénon, Nicolas Bonnal écrit-il : « Guénon parlait d’une fin du temps et d’une extension de l’espace, c’est l’inverse qui s’est produit : nous avons de plus en plus de temps à perdre mais nous méconnaissons de plus en plus la réalité de l’espace. Nous avons d’ailleurs retiré du voyage sa réalité, il en est de même a priori du voyage initiatique. »
Et Nicolas Bonnal ajoute : « Toutes les épreuves traditionnelles ont été parodiées, répétons-le, par le tourisme de masse. Ce qui reste au voyageur au long cours, c’est la durée de son voyage, image de notre destinée spirituelle : "Sois dans le monde comme un étranger ou un passant", nous dit le soufisme. Cette existence relative, où l’on découvre son inquiétante étrangeté, est une des données fondamentales du voyageur : il n’a pas de pays ; non parce qu’il se flatte d’être Sur le Voyage apatride comme un homme d’affaires mais parce que sa patrie est purement virtuelle, reflet de son paysage intérieur. Sa patrie est partie de lui. Comme Tchoung Tseu et son papillon, il n’est jamais sûr de son identité. »
Pour le grand voyageur, le voyage est avant tout dissolution de soi-même, figure secrète de la « dissolution du cadavre et de l’épée ».
Or le triple principe opératif du « voyage initiatique » dans ses états actuels - qui, d’ailleurs, apparaît comme contradictoire en lui-même - se trouve défini par Nicolas Bonnal de la manière suivante :
1) « La diminution du monde extérieur suppose un accroissement de son espace intérieur. »
2) « Le meilleur gage de la réussite de l’immobilité, comme nous l’a appris Lao Tseu : agir par le non agir. »
« On ne devient un voyageur que lorsque l’on est capable de ne plus se remuer. »
3) « Le voyage perpétuel du cosmos et de tous les éléments reflète celui de certaines réalités divines dont le déplacement traduit les effets et le retour vers la transcendance. Rien n’a de fin, rien ne prouve donc la corruption du monde ; celui-ci ne fait que passer sans fin d’un état à l’autre. »
« Comment le voyage prendrait-il fin, alors que son but est infini et que l’on ne dépasse jamais une station sans que n’en apparaisse aussitôt une autre ? »
La perspective dans laquelle Nicolas Bonnal situe l’aventure apparemment immobile de son « voyageur éveillé » n’est de toute évidence pas, on s’en rend vite compte, celle du moderne « tourisme de masse », ou celle de l’expérience personnelle des voyageurs estivaux aveuglément engagés dans leurs circuits de dépaysement factice et non-significatifs. Nicolas Bonnal, lui, persiste à considérer le « voyage » suivant les dispositions religieuses et spirituelles du « voyageur ». Son livre est donc celui d’un voyage transcendantal, essentiellement subversif par rapport à l’actuelle mentalité d'un monde dont le centre de gravité se trouve déjà dans l’« anti-monde ».
Les conseils de voyage de Nicolas Bonnal ne sauraient donc être qu’autant de propositions subversives visant à la libération, ou au renversement révolutionnaire de la réalité, des réalités actuelles de ce monde en perdition, dont il s’entend à utiliser à contre-courant les pièges mortels et les permanentes mises en délégitimation, à retourner contre elles-mêmes les servitudes nocturnes et anéantissantes de l’actuel état de chaos dans lequel nous nous trouvons tenus en otages. Le voyageur initiatique, le « voyageur éveillé » de Nicolas Bonnal est en réalité un combattant clandestin de la guerre d’avant- garde menée, contre lui-même, par un monde crépusculaire, en voie d’extinction. Une extinction qui lui est imposée de force, de l’extérieur de lui-même, par l’œuvre négative et fondamentalement criminelle de la conspiration ontologique finale au service du non- être et du chaos qui s’est emparée de l’actuel pouvoir politico- historique planétaire.
Car c’est bien contre le néant et le chaos que se trouvent livrées les actuelles batailles des derniers noyaux survivante de la conscience occidentale de l’être mobilisés face à la marée montante du chaos. A telle enseigne que – fait extraordinairement symbolique - l’actuelle centrale politico-militaire américaine chargée de planifier idéologiquement la grande stratégie impériale planétaire des États- Unis en est venue à définir ses futures armées comme des « armées anti-chaos ». Ce qui, d’ailleurs, semblera d’autant plus paradoxal qu’à l’heure présente c’est bien Washington qui constitue l’épicentre suractivé et suractivant de l’actuelle montée planétaire du chaos, que ce sont précisément les forces armées de la « Superpuissance Planétaire des États-Unis » qui constituent le corps de bataille des puissances du chaos en marche.
Tout en ne l'affirmant pas très ouvertement, on sent que la grande idée directrice de Nicolas Bonnal serait celle d’identifier la tourisme actuel, en tant que psychopathologie progressive de masse, à une forme de pèlerinage dégénéré, outrageusement « laïcisé », ayant perdu toute relation consciente avec ce que l’entreprise effective des « grands pèlerinages » pouvait signifier au sein d’une société traditionnelle, ou gardant ne serait-ce que des traces débiles d’une emprise traditionnelle désormais révolue.
Dans la conjoncture fondamentalement négative qui est celle d’une actualité de ce monde se dévoilant de plus en plus comme étant appelée à faire la fermeture d’un cycle déjà révolu, la gesticulation paranoïaque de ce que l’on doit appeler le « tourisme planétaire » en est venue à une forme d’anti-pèlerinage, de renversement du sens même du pèlerinage, qui exhibe désormais non pas une marche vers le centre, mais au contraire, un éloignement sans fin de celui-ci, l’abandon répulsif de son propre centre. Cet anti-pèlerinage, c’est bien ce qui constitue la malédiction propre de la terrible impuissance d’être d’un monde qui ne se fait plus qu’en se défaisant, dont la démarche d’état s’éprouve dans l’éloignement permanent, suicidaire, par rapport à son centre qui n’est plus reconnu comme tel, dont l’espace intime n’est que l’anti-espace manifestant sa propre impuissance de retour à soi-même. Et nous n’ignorons pas ce que tout cela signifie.
Cependant, il ne faut pas non plus ignorer que c’est aussi dans le devenir même de cette suprême déréliction finale que réside la rupture paroxystique de l’état d’un monde qui, en se défaisant d’une manière de plus en plus avancée, de plus en plus accélérée, doit finir par approcher d’une dernière limite, à partir de laquelle il risque de ne plus rien en rester, mais qui est aussi, de par cela même, très précisément la limite du renversement final des termes, du commencement d’un nouveau cycle d’évolution de signe absolument opposé au cycle ainsi révolu.
Saint-Guidon (à Anderlecht).
Or c’est bien de ce concept de « limite du renversement final des termes » que prend naissance, et dépend ce que Nicolas Bonnal appelle, lui, la « contre-destination touristique », par laquelle se dévoilent à nous les territoires à rebours des régences occultes de l’être. Le « grand secret » du voyage initiatique est sans doute là.
Nicolas Bonnal : « À ce moment la contre-destination échappe à toute projection intellectuelle, à tout projet touristique. Et comme dans une carte aux trésors, on apprend à lire dans une carte routière pour déceler des pépites inconnues. C’est comme cela que l’on peut redécouvrir la France : nous avons évoqué un Orient de proximité en parlant de l’Allemagne (Metternich disait bien que l’Asie commence à Vienne), et nous avons cité l’Île-de-France. Or il semble que Nerval, quand il a écrit ses plus beaux textes, rêve d’une France endormie comme une belle, reliée au passé des Valois, d'une France révolutionnaire c’est-à-dire revenue à ses origines. Et il la trouve à quelques kilomètres de Paris, de ce Paris "vulcanisé" défini par Balzac et qui a peu à envier au nôtre.
Nerval invente le voyage initiatique virtuel : celui qui redonne à un lieu oublié ou profané par l’industrie ses lettres de noblesse. À Mortefontaine, Compiègne ou Senlis, dans les forêts traversées par Sylvie et l’ombre d’Aérienne (le Sud grec et le Nord germanique), il reste encore possible de rêver d’une destination épargnée et pure. En ce sens Sylvie est le guide de voyage par excellence, comme Le Grand Meaulnes. Ce sont les guides de la contre-destination touristique. » Et là, Nicolas Bonnal ajoutera que « les voyages des prophètes permettent à l’homme de repasser par tous les degrés de son être psychique et spirituel. » Car, dit-il aussi, « tout est correspondance : le ciel et la terre, le supérieur et l’inférieur, les cieux et la terre d’un côté, l’homme de l’autre. » Ainsi, « les sept cieux peuvent-ils se lire comme les sept facultés de la perception et de l’intelligence ; les sept terres, comme les sept couches des corps. Par-delà cette relation voyageuse entre le macrocosme et le microcosme, les sept planètes réfléchissent dans le monde céleste les lumières des sept principaux attributs divins. »
Mais il faut surtout savoir prendre en compte les pages réellement éblouissantes que Nicolas Bonnal consacre à l'Alhambra de Grenade, dont il semble avoir fini par déceler la vocation suprêmement polaire. Une vocation polaire assez mystérieusement étrangères à ses premières origines. « L’Alhambra est la gardienne du Graal », affirme Nicolas Bonnal. Et aussi : « L’Alhambra enivre définitivement. Il faut donc rester dans l’Alhambra. »
Les douze lions de l’Alhambra, précise Nicolas Bonnal, « représentent les douze soleils du zodiaque, les douze mois qui dans l’éternité existent de façon simultanée. »
Mais à Grenade, il n’y a pas seulement l’Alhambra, il y a aussi la cathédrale de Grenade, hallucinant vaisseau de pierre en élévation cosmogonique, polaire, au sujet duquel Antonio Enrique a fait paraître, en 1986, un livre de six cents pages qu’il faut tenir pour tout à fait décisif, j’entends révélateur, et qui confère, à ceux qui puissent vraiment en prendre connaissance, des grands « pouvoirs secrets », des grands « pouvoirs spéciaux ». Dont il faut savoir faire l’usage prévu depuis longtemps.
Car le seuil intérieur de la pénétration vécue vers le cœur royal d’une certaine Grenade Polaire se trouve dissimulé à l’intérieur de ce livre d’Antonio Enrique, tout comme c’est dans la cathédrale de Grenade que se trouve situé à demeure le « secret polaire » de l’Alhambra. Là-dessus, il ne faut pas avoir le moindre doute, cela se sait par les « anciennes voies », que l’on avait cru perdues, et qui n’étaient que très profondément cachées.
A la fin il faudra donc que l’on comprenne que ce n’est quand même pas pour rien que Nicolas Bonnal est allé s’installer dans sa cueva du Sacromonte, calle Aguas de l’Albaicin à Grenade.
Nous ne sommes certes pas très nombreux encore, « nous autres ». Mais assez, cependant, pour que quelqu’un des nôtres puisse se trouver significativement placé, en poste de garde et de veille, à chaque endroit prédestiné, pour qu’il soit en état d’assumer, de canaliser une continuité occulte, ancienne et régulière de l’état de dédoublement abyssalement polaire du monde qui au-delà de ce monde est en réalité le « vrai monde ».
D’ailleurs, c’est bien là que réside actuellement le « travail spécial » des nôtres ; arriver à pourvoir l’ensemble des points de veille occulte détenus - ou qui devraient être détenus - au sein de ce monde-ci, de manière à ce qu’en dédoublant ainsi la réalité visible de celui-ci il nous soit loisible d’en contrôler les états et les souffles, depuis l’invisible.
Ce que Nicolas Bonnal a donc été chargé de faire, d’exacerber et de porter en avant à l’Alhambra de Grenade, d’autres de chez nous le font, en même temps et de la même manière, en maints endroits prédestinés de ce monde qui n’est pas ce monde.
19:59 Publié dans Jean Parvulesco, Littérature, Livre, Livre, Voyage | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean parvulesco, nicolas bonnal, voyage, livre, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | |
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samedi, 15 février 2025
"Étrangers en terre étrangère": du romantisme au paganisme dans l’esprit de Friedrich Georg Jünger
"Étrangers en terre étrangère": du romantisme au paganisme dans l’esprit de Friedrich Georg Jünger
L'incontournable essai de Mario Bosincu, germaniste à l'Université de Sassari, sur "certaines figures exemplaires de l'altérité, apparues dans le domaine philosophico-littéraire entre la fin du 18ème siècle et la Seconde Guerre mondiale".
par Giovanni Sessa
Source: https://www.barbadillo.it/118924-stranieri-in-terra-stran...
Mario Bosincu, germaniste à l’Université de Sassari, avait déjà démontré son niveau d’érudition dans ses travaux précédents. La lecture de son dernier ouvrage a confirmé cette impression. Il s’agit du livre Étrangers en terre étrangère. Du romantisme à Nietzsche (Stranieri in terra straniera - Dal romanticismo a Nietzsche), publié par la maison d'édition Le Lettere (377 pages, 25 euros). C'est un essai bien documenté, construit sur des analyses philologiques irréprochables, qui ne font pas, il faut le noter, de l’écriture et du travail de reconstruction de l’auteur une simple démonstration érudite. L’écriture est, en effet, vivante, fluide et, par certains aspects, témoigne de l’intérêt sincère de Bosincu pour les thèmes abordés, sans que cela n’affecte le caractère scientifique de l’essai. Le livre, comme le remarque le germaniste, « entend mettre en lumière certaines figures exemplaires de l’altérité, apparues dans le domaine philosophico-littéraire entre la fin du 18ème siècle et la Seconde Guerre mondiale [...] principalement dans la culture allemande » (p. VII). Il s’agit d’un excursus dans lequel, à partir du romantisme, Bosincu entreprend l’exégèse de la proposition philosophico-existentialiste de Nietzsche pour aboutir finalement à l’interprétation de l’écrit de Friedrich Georg Jünger, Apollon, Pan, Dionysos de 1943.
Qui sont les penseurs interrogés par Bosincu ? Des philosophes et écrivains de la Kulturkritik, des « antimodernes ». Cette définition renvoie à un large groupe d’auteurs qui ont vu dans la modernité, inaugurée par les Lumières, un appauvrissement de la vie. Ces intellectuels développent « une façon de réfléchir qui met en lumière les traits pathologiques de la modernité, [...] regardant le passé prémoderne [...] et esquissant l’idéal antithétique de l’homme total » (p. 3). Parmi eux, il convient de rappeler Schiller. Celui-ci perçoit, à son époque, l’affaiblissement des facultés humaines au seul bénéfice de l’intellect analytique, scientifique et instrumental, mis au service du Gestell et de la recherche du gain économique. L’époque moderne est vécue comme celle du retour des Titans, centrée sur « la puissance » de l’excès et effaçant les qualités propres à la personne, à l’individu convaincu et réconcilié avec les potestates animant le cosmos. En même temps, les « antimodernes » découvrent, grâce à l’héritage des Lumières, notre historicité, comprenant que l’homme amputé, l’homme d’une seule dimension de la modernité, est contingent et peut être surmonté. Non sans raison, Nietzsche relève que : « “le pouvoir d’être différent” [...] fait partie des attributs de la “grandeur” » (p. 5).
Ce que les tenants des Lumières avaient montré, eux, avec leurs écrits, était la réalisation d’une « colonisation de l’imaginaire » modernisante. Il était nécessaire de réaliser un « contre-mouvement » visant à créer une « subjectivité » autre, différente, qui retrouverait ses paradigmes, ses exempla dans le passé médiéval ou dans la vision du monde hellénique. Cet homme utopique, jamais « utopiste » (les deux termes, pour l’auteur, ont une valeur inconciliable), serait le porteur de la Kultur (Spengler) en opposition à la décadente Zivilisation. Le romantisme et tous les auteurs examinés par Bosincu sont, pour le dire avec Löwy et Sayre, porteurs d’une vision anticapitaliste et esthétisante, porteurs d’un code existentiel alternatif, comme le reconnut Sombart, à l’identité bourgeoise. L’homme nouveau devait être construit : « par des pratiques orientées vers l’intériorité telles que l’expérience de la nature et la lecture, une technologie du soi » (p. 13), afin d’établir une « résistance éthopoïétique à la modernité » (p. 14). À cet égard, Baudelaire, parmi d’autres, a agi, en faisant référence au dandy, un individu capable de transformer sa propre existence en une œuvre d’art, pour se différencier des masses et des idola introduits par la raison calculante. Un autre exemple, mais non dissemblable, de cette rébellion se trouve aussi dans les écrits et la vie de Thoreau, dans son retour à la nature sauvage (wilderness).
Les antimodernes de génie sont des hommes seuls, des étrangers en terre étrangère qui, dans l’isolement nécessaire à la pratique philosophique, réalisent la metanoia, le « changement de cœur ». Leurs œuvres sont une « communication d’existence » qui, comme le soutenait Kierkegaard, ne cherchent pas à s’adresser au lecteur des « gazettes », mais tendent à « le saisir par le col », animées comme elles sont par l’urgence de lui faire acquérir un regard épistrophique et absolu sur la vie. La littérature interrogée par Bosincu est, d’un côté, un sermo propheticus (la production fichtéenne est à cet égard exemplaire), de l’autre, un sermo mysticus qui, selon la leçon de Maître Eckhart, poursuit le « vide » du singulier dans un processus de conversion « initiatique », menant au « réveil », au tertium datur de la coincidentia oppositorum. Des modèles de cette écriture, indique l’auteur, peuvent être retrouvés chez Marc-Aurèle et Pétrarque. Les exempla sont ceux transmis par Tacite, puis en sont témoins les Héros de Carlyle. Les antimodernes se configurent donc comme des parrhesiastes, des intellectuels qui affirment la vérité à une époque de son oubli, à une époque où, pour le dire avec Badiou, on pense à partir de la fin : « Le plaisir de la destruction (du moderne) est, en même temps, un plaisir créatif ! » (p. 103). Nietzsche, dont la pensée est reconstruite en détail à partir de Feuerbach, est convaincu que démolir: « l’idée de Dieu [...] signifie [...] briser le sortilège qui dépouille de sa valeur l’au-delà » (p. 103), afin de renouveler la « fidélité à la terre ».
Ce que nous ne partageons pas dans l’herméneutique savante de Bosincu, c’est son jugement sur le contre-mouvement des auteurs examinés, qui est inscrit dans la même logique qui sous-tendrait les thèses néo-gnostiques puritaines et des Lumières (Voegelin). À notre avis, les auteurs de Bosincu, du moins ceux qui regardent la physis hellénique comme seule transcendance, le font dans la conviction que c’est seulement en elle (Bruno) que se trouve le principe, l’origine : ils sont donc étrangers à toute perspective dualiste et gnostique. C’est au dualisme chrétien que l’on peut, en revanche, imputer de receler en lui des germes gnostiques, très clairs dans la dévaluation de la nature et du monde au bénéfice du Parfait, de Dieu. Central pour la compréhension de cette affirmation: le dernier chapitre du volume est consacré à l’œuvre de Friedrich Georg Jünger. L’œuvre de F. G. Jünger est un « paganisme de l’esprit », centré sur la « fraternelle antithèse » d’Apollon, Pan et Dionysos. Friedrich Georg semble adhérer à une perspective mythique : il considère que dans chaque être, dans l’intériorité de l’homme et dans ses activités, agit un dieu. Le divin est palpablement vivant, il se fait expérience, loin de toute issue « wotaniste ».
Pour échapper au pouvoir réifiant du moderne, l’homme doit retrouver la dimension imaginale : seule en elle est-il possible de retrouver le souffle des dieux, la métamorphose éternelle de l’âme de la physis. Aux mêmes conclusions sont parvenus, dans la pensée italienne du 20ème siècle, Evola, Emo, Diano et Colli. Celui qui écrit se sent aujourd'hui un étranger en terre étrangère, bien qu’il soit ébloui, comme les penseurs évoqués, par le thauma, la merveille tragique de la vie.
18:23 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : friedrich-georg jünger, révolution conservatrice, livre, mario bosincu, lettres allemandes, littérature allemande, lettres, littérature | |
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vendredi, 07 février 2025
Anne Jobert: sciences modernes et traditions pré-chrétiennes
Comprendre le "Paganisme" de la Nouvelle Droite Européenne
Anne Jobert: sciences modernes et traditions pré-chrétiennes
Alexander Raynor
Source: https://substack.com/home/post/p-151159323
Le livre d'Anne Jobert, Le Retour d'Hermès, plaide pour une réunification de la science moderne avec les traditions païennes européennes afin de créer une compréhension scientifique plus holistique et culturellement intégrée.
Très peu d'informations sont disponibles, en particulier dans le monde anglophone, sur Anne Jobert et son ouvrage Le Retour d'Hermès, publié en 1984. Anne Jobert a été une jeune femme très active dans la Nouvelle Droite Européenne pendant environ 15 à 20 ans. Elle possédait une solide formation scientifique (elle était physicienne, ndt) mais s'intéressait également à la spiritualité. Au début des années 1990, elle disparaît de la scène (elle fréquenta tout de même une université de Synergies Européennes dan le année 1990, ndt). Cependant, elle nous a laissé son travail, Le Retour d'Hermès, que Alain de Benosit considère comme une contribution importante à la pensée "païenne" de la Nouvelle Droite Européenne.
Dans Le Retour d'Hermès, Anne Jobert avance un argument convaincant en faveur de la reconnexion de la science moderne avec ses racines culturelles et mythologiques, mettant particulièrement en avant la valeur des traditions païennes européennes. Elle soutient que la science s'est déconnectée de ses fondements culturels en raison d'une rationalisation excessive et de l'influence de la pensée chrétienne et post-chrétienne, ce qui a conduit à une crise de la pensée scientifique ainsi qu'à un désengagement du public vis-à-vis de la science.
L'auteure identifie un problème fondamental dans la manière dont la science moderne a été dépourvue de ses dimensions culturelles et mythologiques dans la quête d'une rationalité et d'une objectivité pures. Cette déconnexion, selon elle, a conduit à une vision stérile et mécaniste de la nature qui ne parvient pas à capturer toute la richesse de la réalité et qui aliène le grand public de la compréhension scientifique. Selon Anne Jobert, la solution ne réside pas dans le rejet de la rigueur scientifique, mais dans sa reconnexion avec des cadres culturels et mythologiques plus profonds, en particulier ceux de la pensée européenne pré-chrétienne.
Au cœur de l'argumentation d'Anne Jobert se trouve la notion de paganisme comme mode de compréhension et d'engagement avec le monde. Contrairement à la vision chrétienne qui sépare le divin du monde matériel et postule une progression linéaire vers le salut, la pensée païenne considère le divin comme immanent à la nature et embrasse des conceptions cycliques et multiples de la réalité. Cette perspective païenne, selon elle, est plus compatible avec les découvertes scientifiques modernes, notamment en physique quantique et en biologie, qui révèlent un monde de complexité, d'incertitude et d'interconnexion plutôt que de simple causalité mécanique.
L'auteure souligne que ce retour à la pensée païenne dans la science ne signifie pas l'abandon de la rationalité ou l'adoption de la superstition. Il s'agit plutôt de reconnaître que la compréhension scientifique peut être enrichie en intégrant les dimensions mythologiques et culturelles du savoir humain. Elle cite la manière dont la pensée grecque antique a réussi à combiner enquête rationnelle et compréhension mythologique, produisant à la fois des avancées technologiques pratiques et des insights philosophiques profonds.
Anne Jobert identifie plusieurs domaines où la science moderne évolue déjà vers une compréhension plus culturellement intégrée :
1) La reconnaissance en physique quantique que l'observateur ne peut être séparé de l'observé, remettant en question le mythe de l'objectivité pure.
2) L'émergence de la théorie de la complexité et de la pensée systémique, qui font écho aux visions du monde traditionnelles plus holistiques.
3) La compréhension croissante en biologie de l'interconnexion des systèmes vivants.
4) Le développement de la théorie des catastrophes, qui suggère des modèles sous-jacents à des phénomènes apparemment disparates.
Ces développements, selon elle, nécessitent une nouvelle synthèse entre pensée scientifique et pensée mythologique, qui puisse puiser dans le riche héritage culturel européen tout en conservant la rigueur scientifique.
Anne Jobert critique particulièrement les tentatives de trouver cette synthèse dans le mysticisme oriental, une tendance populaire chez certains scientifiques. Tout en reconnaissant la valeur de la pensée orientale, elle affirme que la culture européenne possède ses propres traditions riches en connaissances intégrées, mieux adaptées à la pensée scientifique européenne. La conception pré-chrétienne européenne de la "physis" (nature) comme une réalité dynamique et vivante, plutôt qu'un système mécanique, offre un cadre plus approprié aux découvertes scientifiques modernes.
Anne Jobert soutient que cette reconnexion avec les racines culturelles n'est pas seulement philosophique mais aussi pratique. Elle suggère qu'elle pourrait aider à résoudre plusieurs problèmes actuels de la science :
- Le fossé grandissant entre l'expertise scientifique et la compréhension du public.
- La crise de l'éducation et de l'engagement scientifique.
- Le besoin d'approches plus holistiques face aux problèmes complexes.
- Le défi de maintenir des cadres éthiques dans la recherche scientifique.
Anne Jobert voit dans le "retour d'Hermès" – le dieu de la communication, des frontières et de la transformation – le symbole de cette synthèse nécessaire. Tout comme Hermès naviguait entre différents royaumes dans la mythologie, la science moderne doit évoluer entre l'analyse rationnelle et la compréhension mythologique, entre l'expertise technique et la signification culturelle.
Cette intégration ne signifierait pas l'abandon de la méthode scientifique, mais son enrichissement. Anne Jobert envisage une science capable d'embrasser à la fois la précision et la poésie, l'analyse et la synthèse, la compréhension rationnelle et la signification mythologique. Cette approche permettrait de restaurer la science à sa place légitime dans la culture, au lieu de la laisser isolée.
Anne Jobert conclut que l'avenir de la science ne réside pas dans une spécialisation toujours croissante et une séparation d'avec la culture, mais dans une intégration renouvelée avec la compréhension culturelle et mythologique. Cette intégration améliorerait non seulement la pensée scientifique, mais aiderait également à redonner à la science son rôle de source de signification culturelle et d'inspiration.
La vision d'Anne Jobert est en fin de compte celle d'une guérison de la fracture entre la connaissance scientifique et culturelle qui a caractérisé une grande partie de la pensée moderne. En renouant avec ses racines païennes européennes, la science peut devenir à la fois plus efficace et plus signifiante, mieux à même de relever les défis complexes du monde moderne tout en offrant un sens plus profond que la seule connaissance technique ne peut apporter.
Ce retour aux racines culturelles dans la science ne constitue pas un repli sur le passé, mais une avancée vers une compréhension plus complète et intégrée de la réalité, combinant la rigueur de la méthode scientifique avec la profondeur des intuitions mythologiques et de la sagesse culturelle.
17:16 Publié dans Livre, Livre, Nouvelle Droite, Philosophie, Science, Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anne jobert, ciences, science, philosophie, nouvelle droite, livre | |
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mardi, 28 janvier 2025
Le triomphe de la stupidité
Le triomphe de la stupidité
Par Juan Manuel de Prada
Source: https://noticiasholisticas.com.ar/el-triunfo-de-la-estupi...
Dans son dernier essai, El triunfo de la estupidez (publié chez Plaza y Janés), Jano García aborde une question politique épineuse, à savoir l'intronisation par tout dirigeant malin de la stupidité humaine comme mortier sur lequel fonder son pouvoir. Cette intronisation de la stupidité atteint son paroxysme, selon l'auteur, dans la démocratie, où les masses sont flattées comme dans aucune autre forme d'organisation politique, car le dirigeant a besoin de leur soutien pour rester au pouvoir, et où les passions viles sont élevées au rang de vertus publiques, en particulier l'envie. En fait, en établissant ce lien entre l'envie et la démocratie, Jano García ne va pas plus loin que ce contre quoi de nombreux maîtres nous ont mis en garde ; souvenons-nous, par exemple, de ces vers d'Unamuno qui nous avertissaient que lorsque « l'envie déverse son fiel sur une foule vide/de reconnaissance à l'appel sourd/elle la quitte habituellement et la transforme en une horde/qu'elle est la mère de la démocratie ».
Bien sûr, cette « mère de la démocratie » doit se déguiser en justice sociale. Non seulement pour piller les riches, comme le souligne Jano García, mais en général pour dégrader et humilier tout ce qui est bon ou beau, car les envieux ont besoin de voir piétinées les vertus qu'ils ne peuvent atteindre. L'envieux, comme le souligne Jano García, « ne sera jamais assez satisfait du pillage dont souffre son prochain jusqu'à ce qu'il soit réduit au même niveau que lui ».
C'est en effet le cœur pourri de la démocratie qui, dans cette dernière phase de dégénérescence, atteint son paroxysme par l'intronisation de démagogues qui, en attisant les basses passions de la foule, réalisent leurs desseins les plus néfastes. Dans son essai, Jano García expose avec brio les ravages que cette « envie égalitaire » - pour reprendre l'expression de Gonzalo Fernández de la Mora - est en train de causer à la communauté politique.
Dans son ouvrage de référence La démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville avait déjà prévu ces ravages: « Les nations de notre temps ne peuvent éviter l'égalité des conditions dans leur sein, mais il dépend d'elles que cette égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, à la civilisation ou à la barbarie, à la prospérité ou à la misère ». Tocqueville a averti que la démocratie favoriserait une nouvelle forme de despotisme, dans laquelle il suffirait au despote d'aimer l'égalité, ou même de faire semblant de l'aimer, pour que les masses rejettent toute atteinte à l'égalité, en renonçant en échange à leur liberté politique. C'est cette recette qu'utilise le Dr Sánchez, face à une société qui ne bronche pas et à une droite molle, enfermée dans la cage mentale de ses distorsions cognitives.
Jano Garcia nous montre comment l'égalité des chances, si nécessaire au maintien d'une société saine, s'est dégradée en un égalitarisme avilissant qui prétend que les ignorants peuvent réduire au silence les sages, que les paresseux peuvent vivre dans l'opulence aux dépens des travailleurs, que les vils peuvent mépriser et stigmatiser les nobles de manière olympique. Comme l'observait Tocqueville, l'égalité produit deux tendances: l'une conduit directement les hommes à l'indépendance, l'autre les conduit par une voie plus longue et plus secrète, mais plus sûre, au servage. Sans doute notre époque maudite a-t-elle choisi la voie de la servitude, qui aboutit à ce que Tocqueville lui-même appelle « la tyrannie de la majorité », où s'imposent un égalitarisme castrateur et une subversion de toutes les hiérarchies. Et cette passion égalitaire devient encore plus monstrueuse lorsqu'elle se mêle à l'obsession du bien-être, qui transforme l'être humain en victimaire avide de confort matériel et de « nouveaux droits ».
Dans un passage de son ouvrage, Jano García affirme que les stupides sont beaucoup plus dangereux que les méchants, « car un méchant, pour réaliser son plan diabolique, a toujours besoin de la participation des autres pour atteindre son but ». Un dirigeant malfaisant a en effet besoin de masses crétinisées pour se hisser et se maintenir au pouvoir. Mais si ce sont les méchants qui mobilisent les stupides, les méchants sont sans doute les plus dangereux, car ils sont à l'origine du mal, même si l'union des stupides est tragique. En effet, un noble souverain peut transformer les stupides en gens laborieux ; il peut stimuler chez eux les conduites les plus vertueuses et les plus bienfaisantes ; il peut susciter chez eux un désir d'émulation et les ennoblir, enfin, jusqu'à l'héroïsme ou à la sainteté. En revanche, un chef méchant, outre qu'il flatte les stupides, peut aussi les rendre méchants en suscitant en eux les passions les plus viles.
Un noble souverain s'efforce d'ordonner la société de façon hiérarchique, de telle sorte que les capacités de chacun, en prenant la place qui leur revient, agissent au profit des capacités des autres, en les renforçant. Le mauvais souverain, au contraire, ne fera rien d'autre que d'exciter l'envie de ceux qu'il gouverne, pour laquelle il a besoin de subvertir toutes les hiérarchies humaines, de détourner l'éducation, de frelater l'opposition, d'encourager les exigences les plus iniques et les pillages les plus sanglants. Et ainsi de suite, jusqu'à transformer la société qu'il gouverne en un pandémonium où triomphent les satans les plus bas. Mais il y a toujours des hommes bons qui parviennent, avec l'aide de Dieu, à vaincre le mal et la bêtise. Jano García en parle également dans son splendide essai ; mais il doit s'agir d'hommes prêts à être mis en pièces par la meute.
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mercredi, 22 janvier 2025
Les écrits de Julius Evola pour "Vie della Tradizione"
Les écrits de Julius Evola pour "Vie della Tradizione"
La collection complète des essais d'Evola parus dans la revue traditionaliste sicilienne
par Giovanni Sessa
Source: https://www.barbadillo.it/118364-gli-scritti-di-julius-ev...
Parmi les livres d'Evola les plus importants, publiés à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort du penseur traditionaliste, on trouve Julius Evola, Scritti per « Vie della Tradizione » 1971-1974, récemment édité par L'Arco e la Corte (sur commande: info@arcoelacorte.it, pp. 119, euro 15,00). Le recueil a été publié en première édition comme supplément au numéro 104 de la même revue. La nouvelle publication contient l'avant-propos de Gaspare Cannizzo, l'inoubliable fondateur de la revue, et l'introduction de Gianfranco de Turris, accompagnée d'une brève note d'Anna Cannizzo. Dans le volume est également reproduite une lettre d'Evola du 29 juillet 1971 adressée à Cannizzo concernant les modalités de sa collaboration à « Vie della Tradizione ». Le philosophe n'a pas seulement collaboré avec le périodique, mais il a également fait le nécessaire pour obtenir d'autres contributions précieuses pour la revue. Cannizzo écrit, après avoir rendu hommage à la cohérence de la vie et de la pensée d'Evola : « Notre supplément [...] se veut un hommage à sa mémoire, un hommage à un véritable, peut-être dernier, homme de tradition » (p. 17). Les contributions d'Evola, au nombre de douze, seront publiées à partir du deuxième numéro de 1971 et ne cesseront d'arriver à la rédaction que l'année de la mort du penseur (1974).
De Turris note qu'il s'agit autant d'essais organiques, doctrinaux et interprétatifs que d'écrits à caractère journalistique. Ce sont les écrits du premier type qui prévalent, certains d'entre eux étant réellement pertinents d'un point de vue théorique. Ils abordent « des thèmes et des philosophies chers à Evola [...]: le bouddhisme zen, la Voie de la Main Gauche, l'initiation, la magie sexuelle » (p. 21). On notera, entre autres, Les centres initiatiques et l'histoire et Le mystère de la décadence. Pour des raisons de place, nous n'en évoquerons que quelques-uns. En particulier, ceux qui sont les plus proches de la sensibilité de l'auteur. Commençons par Dionysos et la « Voie de la Main Gauche ». Dans ses pages, Evola présente au lecteur les pouvoirs divins de Dionysos et d'Apollon. L'homme originel était animé d'une "vocation inouïe", il voulait se placer au-delà de l'être: "par le pouvoir de l'être et du non-être, du Oui et du Non" (p. 85). Un tel homme avait en lui, contrairement aux dieux, également une nature mortelle, avec l'infini en lui; vivait, au-delà de tout dualisme, le fini. Les pouvoirs spirituels sont statiques: « sous la forme d'existences objectives autonomes [...] devenues extérieures et fugitives à elles-mêmes, le pouvoir a perdu l'espèce de l'existence objective [...] et la liberté [...] est devenue la contingence [...] des phénomènes » (p. 86). Le « dieu tué » de l'illimité, Dionysos, prend les traits de la limite, de la forme, de l'acte aristotélicien : il devient Apollon.
Ce dieu est essentiellement un savoir distinctif, centré sur la « visualité » spatio-temporelle du principium individuationis. L'homme commence à « dépendre » des choses, du désir, et il est rhétoriquement, aurait commenté Michelstaedter, conditionné: « la tangibilité et la solidité des choses matérielles [...] sont l'incorporation » du principe infini (p. 87). La limite est représentée par la loi, positive et morale à la fois, qui fait taire le pouvoir. Il s'agit, par la « Voie de la Main Gauche », de surmonter l'horreur de l'apeiron. L'individu absolu, dans ce contexte, se place au-delà du domaine de la signification et du finalisme: sa conscience est la même que celle qui vit dans le Tout unique, dans le cosmos, elle n'est plus corrélativement liée aux choses, aux actes, elle descend dans les profondeurs de la vie, au-delà des catégories de la « causalité » et de la « raison suffisante » et de tout « providentialisme ». Le « je » a en lui la possibilité dionysiaque d'abattre les barrières apolliniennes: « Ainsi est attestée la tradition concernant le “Grand Œuvre”, la création d'un second “Arbre de Vie” » (pp. 89-90). Pour cela, il faut déchirer les voiles qui cachent la puissance qui nous habite : il faut consister en elle, sans reculer. Telle est en effet la « mort initiatique ». Un chemin, nous rappelle Evola, dangereux, pour les plus rares....
Le penseur revient sur ce thème dans l'essai Le symbolisme érotique antique en Orient et en Méditerranée. Dans cet essai, il montre comment la pensée chinoise considère le yin et le yang, le mâle et la femelle, principes agissant dans le cosmos, dans une interaction instable. Une doctrine qui n'est pas sans rappeler celle attestée dans le tantrisme par Çiva et Çakti. L'Europe ancienne, la Grèce et la Rome aurorales, connaissaient également de telles conceptions, et Bachofen, en les rappelant à la vie, a construit sa propre vision du monde, centrée sur l'antithèse de la génécocratie et de la civilisation uranique (qu'Evola a inversée).
Pour le traditionaliste, à cet égard, le symbolisme de l'étreinte inversée, déjà attesté dans l'Egypte ancienne, est décisif : une étreinte caractérisée par l'immobilité du mâle et la motilité de la femelle: « La vraie virilité n'agit pas de façon matérielle, elle suscite seulement le mouvement, elle le commande » (p. 115). Dans la « Voie de la Main Gauche », la dvandvâita est supérieure à tous les contraires, au masculin comme au féminin, elle n'est plus liée à la dimension réelle des entités, elle est pure liberté-puissance : « la voie peut être comparée à chevaucher sur le fil du rasoir ou à chevaucher le tigre » (p. 117).
L'essai La morsure de la tarentule mérite une attention particulière. Dans cet essai, Evola présente les civilisations traditionnelles comme différentes de la civilisation moderne produite par la « morsure de la tarentule ». L'homme occidental souffre de cette morsure mortelle, productrice de décadence, depuis que son imagination a été colonisée par l'idole de la démesure capitaliste. Le philosophe, dans ces pages, critique sévèrement, plus que dans d'autres écrits, la politique expansionniste et mondialiste de la civilisation américaine : le capitalisme, précise-t-il, « a pour but de procéder à de nouvelles invasions barbares » (p. 105). Un projet qu'il faut donc arrêter. La morsure de la tarentule est un essai d'une grande actualité. Scritti per « Vie della Tradizione » 1971-1974 est un volume à lire et à méditer.
12:50 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, julius évola, livre | |
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dimanche, 12 janvier 2025
Damas – Moscou ou l’itinéraire d’un résistant syrien
Damas – Moscou ou l’itinéraire d’un résistant syrien
par Yannick Sauveur
Mars 2011, la propagande occidentale jamais avare de superlatifs va nommer printemps arabe les manifestations qui ont lieu à Deraa et qui marquent le début de ce qu’on appellera improprement guerre civile et qui est en réalité une guerre de l‘Occident via des milices financées par l’argent de l’Amérique et de ses alliés. Les uns quittent la Syrie. Adnan Azzam, alors en France, rentre au pays. Est-ce par allégeance à Bachar Al-Assad, lui qui a connu, pendant dix-sept jours, les prisons du régime dans les années 70 ? Non, c’est plus simplement par patriotisme, il aime son pays et il ne peut supporter qu’il soit attaqué par les États-Unis, Israël et leurs stipendiés. En France, Laurent Fabius, ministre des Affaires Étrangères à l’époque, dont la servilité est une seconde nature, ose déclarer: « Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur terre ».
Mais sautons quelques années, Adnan Azzam est devenu entre-temps vice-gouverneur d’une région dans le Sud de la Syrie. En 2019, il effectue une expédition de Damas à Moscou qu’il relate dans son dernier livre Qui a murmuré à l’oreille de Poutine ?[i] . Ce livre se dévore d’une traite et se lit comme un roman tant il est passionnant. Il s’agit d’un journal en continu qui s’étend du 19 avril 2019, départ de Damas au 28 janvier 2020, départ de Moscou et retour en Syrie, soit près de 300 jours avec moult aventures, difficultés, imprévus, mais aussi énormément de rencontres, de joies, de fraternité. Cela ne commence pas au mieux, la frontière irako-syrienne est fermée, ce qui contraint Adnan à faire un détour par la Jordanie, pour rejoindre l’Irak. Le livre porte en sous-titre 300 jours à cheval, en effet, Adnan Azzam emmène avec lui deux juments, Nayazik et Amani. Une voiture, ornée du nom « Souria Al Alam » - La Syrie dans le monde fait partie du convoi mais aussi drapeaux syrien et russe car l’objectif est bien de transmettre un message de paix et d’amitié entre les peuples et de montrer la solidarité de l’axe de la résistance contre l’ennemi américano-sioniste.
Après la Jordanie, le convoi entre en Irak. L’hospitalité en Orient est une réalité qui se vérifie chaque jour, et ce sera vrai tout au long du voyage : réception chez l’habitant, accueil (souvent) par le maire du village, discussions et/ou conférences jusque tard dans la nuit. Puis c’est le passage d’Irak en Iran, le même accueil, parfois des escortes de la police pour protéger le convoi. Ainsi, Adnan Azzam est interpellé par un motocycliste qui lui crie : « Espèce de mécréant, nous ne te laisserons pas avec Bachar, gouverner la Syrie ! »
Cette expédition étant tout sauf un long fleuve tranquille, elle est aussi ponctuée d’événements tragiques. On le sait, en Orient, on roule vite, très vite, des tunnels doivent être traversés, ce qui n’est pas une sinécure avec deux juments, il faut se tenir bien à droite de la route en marchant entre les deux juments. Cette fois, le tunnel n’est pas en cause, Adnan marche sur une route dégagée et surgit une voiture « à une vitesse fulgurante, incapable de freiner ». Elle heurte de plein fouet une des deux juments, Amani. « Elle hennit de douleur (…) Puis elle trébuche et s’effondre immobile ».
Autres péripéties, les passages aux frontières: administration tatillonne, paperasse, lourdeur administrative: « Les fonctionnaires enfermés dans une routine déshumanisante, semblent avoir oublié la fierté et la générosité de leur peuple. » Cela se passe à la frontière irako-iranienne. Dans de tels cas, il suffit de s’armer de patience. Il en ira autrement à la frontière irano-azéri ; le refus de l’ambassade d’Azerbaïdjan d’accorder un visa » va se traduire par une attente de quarante-sept jours. Puis le visa est enfin obtenu à la condition expresse de « traverser le pays rapidement, sans interaction avec les médias ou la population. »
Et c’est enfin l’entrée en Russie (15 octobre 2019) et la traversée du Daghestan, de la Tchétchénie et une arrivée à Moscou en janvier 2020.
Au nombre des difficultés de cette expédition, je ne l’ai pas encore mentionné, les conditions climatiques en font partie : la canicule en Irak et en Iran puis le froid, la pluie battante, la neige sur les routes en Russie. Cela n’empêche pas Adnan d’effectuer des trajets d’environ cinquante kilomètres par jour et de repartir souvent à l’aube et parfois en pleine nuit alors que les soirées ont été longues avec réunions, discussions, conférences, visionnage du film réalisé par Adnan. Et partout, c’est un même message qu’Adnan transmet : « Apporter la voix de la Syrie au monde entier », « résister à la mainmise de l’impérialisme américain sur le monde. »
Adnan Azzam, Robert Steuckers et Chris Roman, lors d'un séminaire sur la géopolitique mondiale dans les Ardennes, 18 mars 2023.
Parmi bien des déboires, Adnan se fait voler tout son argent qu’il récupérera, la police ayant retrouvé le voleur.
Jusqu’ici, j’ai peu évoqué les juments sauf à propos de ce bien triste accident qui a couté la vie à Amani. L’objectif d’Adnan Azzam depuis le début de l’expédition est d’aller avec les juments sur la place Rouge à Moscou et de les offrir au Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine sauf que ce projet tourne court. Je résume parce que le lecteur trouvera tous les détails dans ce livre qu’il faut lire. Via l’ambassade de Syrie à Moscou, Adnan Azzam apprend qu’il ne peut aller à Moscou avec sa jument et il ne sera pas reçu par Vladimir Poutine. Terrible déconvenue et inexpliquée.
À Moscou, Adnan retrouve des journalistes curieux de le questionner.
Voyage fatigant mais passionnant. À la lecture de ce récit, c’est bien plus qu’une description factuelle. Il se dégage quelque chose des écrits d’Adnan. C’est un combattant qui vit l’amour de son pays avec une forte capacité à communiquer son enthousiasme. Il est bien difficile de douter de la foi qui a animé Adnan tout au long de ces milliers de kilomètres de Damas à Moscou.
Rencontre dédicace avec Adan Azzam:
Dimanche 12 janvier 2025 à 17h
119, bis rue du Faubourg Saint-Martin 75010 Paris
Métro gare de l'est.
Note:
[i] Adnan Azzam, Qui a murmuré à l’oreille de Poutine ?, Relecture et correction : Hervé Dalvy, thebookedition, 2024.
13:45 Publié dans Actualité, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adnan azzam, syrie, livre | |
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Après des critiques désastreuses: le livre “Liberté” de Merkel ne peut plus être évalué sur Amazon
Après des critiques désastreuses: le livre “Liberté” de Merkel ne peut plus être évalué sur Amazon
Source: https://report24.news/nach-verheerenden-rezensionen-merke...
L’establishment médiatique est très enthousiaste quand il évoque les mémoires d’Angela Merkel, parues tout récemment sous le titre pour le moins ironique de “Liberté” (Freiheit). Les citoyens, en revanche, semblent nettement moins convaincus. Amazon a rapidement décidé de suspendre la possibilité de publier des critiques sur le livre.
“Nous ne pouvons malheureusement pas accepter de critiques pour cet article. Des restrictions concernant la publication de critiques sont en vigueur pour ce produit. Cela peut être dû à diverses raisons, notamment des activités inhabituelles liées aux critiques.”
Cet avertissement, affiché en rouge sur le site d’Amazon, apparaît lorsque l’on tente de laisser un commentaire sur les mémoires d’Angela Merkel.
https://twitter.com/ernsterjuenger/status/186368934200000...
Les “mémoires tant attendues d’Angela Merkel” divisent: si 55 % des 137 évaluateurs ont attribué cinq étoiles, les critiques à une étoile sont implacables. On y lit des commentaires dénonçant une “autocélébration au lieu d’une réflexion critique”. Le refus d’assumer des erreurs politiques ayant eu des conséquences graves est très mal perçu par de nombreux lecteurs. L’un d’eux commente:
“Merkel évite systématiquement de reconnaître ses erreurs politiques. Ni la transition énergétique controversée, ni les défis de la crise de l’euro, ni la polarisation de la société engendrée par sa politique migratoire ne sont abordés de manière critique. Ce qui frappe particulièrement, c’est son manque de prise de conscience des tensions provoquées par l’afflux massif de migrants et de demandeurs d’asile en Allemagne. Bien au contraire, on comprend entre les lignes que Merkel, encore aujourd’hui, continuerait à défendre une politique d’accueil sans limite – sans se soucier des conséquences sociales.”
D’autres qualifient le livre de “provocation” et d'“insulte”, et l’un des critiques a titré son évaluation: “La biographie de la femme qui a mené l’Allemagne à sa perte”. La question se pose : voulait-on éviter que de tels commentaires se multiplient ? Le doute est permis.
Un constat révélateur : au final, on n’a même plus la “liberté” d’exprimer son opinion sur le livre de l’ancienne chancelière… Cela semble bien refléter l’Allemagne qu’elle a laissée derrière elle après 16 ans au pouvoir.
12:23 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, livre, angela merkel, allemagne, europe, affaires européennes | |
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mercredi, 08 janvier 2025
Une vie de combat pour la France et les Français
Une vie de combat pour la France et les Français
par Georges Feltin-Tracol
7 janvier 2025: Jean-Marie Le Pen vient de disparaître à l’âge de 96 ans. «Jamais Charlie», il décède dix ans après l’attaque terroriste contre la rédaction de Charlie Hebdo qui, à la fin des années 1990, avait lancé une pétition pour l’interdiction du Front national. Les journalistes se plaisent par ailleurs à rappeler que le « Menhir » fut condamné 25 fois par une justice partiale pour délits d’opinion et d’expression. Il restera dans l’histoire comme un visionnaire, un précurseur et un éveilleur de peuple. Relisons par conséquent la recension du second tome, plus politique, de ses mémoires (la recension du premier tome peut se lire ici : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2018/11/22/quand-le-menhir-se-souvient.html ).
* * *
Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front national, a sorti à l’automne 2019 le second tome de ses mémoires. Après la surprise de Fils de la Nation dans lequel on découvrait l’homme Le Pen, ce nouveau volume, intitulé Tribun du peuple, relate sa vie politique, d’où la relative déception de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’aventure frontiste. L’ouvrage commence à la fondation du Front national (FN) et va jusqu’à nos jours.
Tout au long du récit, Jean-Marie Le Pen s’en prend avec une virulence rare et légitime à ce qu’il désigne comme l’« Établissement » ou le « Système ». « J’appelle système, par définition, la mécanique qui régente la vie politique française par l’alternance de partis complices. Qu’importe le nom qu’on lui donne, bande des quatre ou UMPS, l’important est qu’il ne se cantonne pas à la stricte politique : il déborde sur les médias, la publicité, etc. C’est une machine qui s’empare de la société tout entière pour la diriger à sa convenance. » C’est une pieuvre dont les tentacules investissent le journalisme, les universités et l’histoire. C’est un bonheur de voir l’auteur s’attaquer en page 113 à ces chercheurs et plumitifs militants (les Igounet, Albertini, Doucet et Lebourg) qui ne cessent de traquer leurs fantasmes et qui sans l’existence de l’« extrême-droite » seraient contraints d’écrire dans la rubrique des chiens écrasés ou d’enseigner dans un collège paumé dans une banlieue de l’immigration. Jean-Marie Le Pen les fait vivre.
Contre la médiacaste
Ce tome deux a moins suscité l’intérêt de la part des journalistes que le premier. « L’immense majorité des articles que la presse m’a consacrés n’a pas été rédigée après la lecture du livre, mais d’après la “ synthèse ” que l’AFP a publiée en balayant des yeux les bonnes feuilles qu’elle s’était procurées. » Faut-il s’en étonner de la part de l’officine maîtresse en désinformation ? L’hystérique pathologique Christine Angot au style si nullissime n’a « pas compris que la ruse était de profiter de ce battage publicitaire pour donner envie au grand public de ne pas lire le livre ». Jean-Marie Le Pen accuse : « Mes adversaires se sont arrangés pour que peu de personnes […] partagent » ses mémoires qui jettent une lumière crue sur les événements des quarante dernières années.
À l’instar des décroissants « Casseurs de Pub », il ne se prive pas de souligner que « les messages publicitaires servent à installer dans l’esprit public, de façon subliminale, des images et des sentiments indépendants de l’objet qu’ils sont censés vanter. En d’autres termes, ce sont de puissants instruments de propagande, au service du politiquement correct. En particulier au service du grand mélange et du grand remplacement ». Il confirme en outre que les « nouveaux propagandistes […] sont journalistes et communicants ».
C’est ainsi qu’il qualifie respectivement l’« affaire du détail » du 13 septembre 1987 à RTL d’« embuscade médiatique » et l’odieuse machination socialiste de Carpentras de 1990 de « pacte social spécifique ». Il note qu’à ces occasions de partis pris assumés, « une paire de journalistes frénétiques s’érigeait en tribunal, et l’opinion ratifiait leur condamnation sans même écouter mes arguments ». Rien qu’entre 1986 et 1992, Jean-Marie Le Pen et les membres du FN font l’objet de plusieurs centaines d’agressions ! Sans oublier le traquenard de Mantes-la-Jolie en 1997, l’auteur est encore poursuivi par une justice bien connue pour sa partialité politique. Le FN, son président et ses militants ont subi des attaques, des attentats, des persécutions qui, sous d’autres latitudes, leur auraient valu de recevoir le prix Nobel de la Paix, le prix Sakharov du Parlement européen et le soutien aveugle des ONG droits-de-l’hommistes.
S’élevant contre les mensonges médiatiques, l’auteur s’inquiète d’entrer « dans une société manichéenne, où seuls sont habilités à parler ceux qui figurent le Bien ». Sa préoccupation concerne partout « l’histoire [qui] est aujourd’hui la simple pétrification de la mémoire de la presse dominante, la validation officielle de la propagande de gauche ». Et gare à ceux qui s’écartent des chemins balisés ! Ils risquent dès à présent le bannissement social, voire l’emprisonnement, bientôt peut-être la décapitation en direct sur les chaînes info avant 20 h. Élucubrations fantaisistes ? Bien des Gilets jaunes ont perdu un œil ou une main de l’automne 2018 au printemps 2019. « Les CRS ne sont plus des SS, ce sont les prétoriens de Cohn-Bendit. » Avec ses deux tomes de ses souvenirs, Jean-Marie Le Pen entend être « passeur de mémoire et rectificateur d’histoire ».
Présidents de la Décadence
Il dénonce devant l’histoire les fauteurs du déclin de la France. En premier lieu, François Mitterrand et Jacques Chirac, tous deux responsables « d’un crime encore pire que la haute-trahison [… le] meurtre de leur pays. Après eux vint le temps des petits malfaiteurs ». En effet, par l’intermédiaire d’associations communautaires revendicatives (SOS-Racisme), « le racisme anti-blanc, le racisme anti-français, sont le fruit de la stratégie de Mitterrand appuyée par Chirac ». L’ouvrage n’épargne pas non plus Valéry Giscard d’Estaing et son rêve de « libéralisme avancé », préfiguration bancale de la société française décomposée, mondialisée et éclatée chère à Emmanuel Macron. Responsable de la légalisation de l’avortement, du divorce par consentement mutuel et du regroupement familial pour les étrangers immigrés, le troisième président de la Ve République « a limité la natalité française pour accueillir plus de migrants. Le mécanisme du grand remplacement était installé : seul le rythme s’en est accéléré depuis ».
Il réserve cependant ses flèches les plus acérées à l’infâme Jacques Chirac, ce « militant résolu de l’Anti-France ». Chirac fut un jouisseur qui vécut sous les ors de la « Ripoublique » (l’Hôtel de Ville, Matignon, l’Élysée) pour satisfaire son ego démesuré de pâle technocrate arriviste. Ses innombrables revirements se comprennent à l’aune de cette ambition pitoyable. « Était-il déjà dépendant de la drogue que son dealer lui fournissait ? ». Ce dealer se nomme Gérard Fauré. Il vient de publier deux livres de souvenirs (Dealer du Tout-Paris. Le fournisseur des stars parle, Nouveau Monde Éditions, 2018, et Le Prince de la coke. Dealer du Tout-Paris… La suite, Nouveau Monde Éditions, 2020) dans lesquels il relate ses livraisons de cocaïne au Tout-Paris politico-artistique.
En ce qui concerne le « Corrézien de Paris », ses souvenirs narcotiques recoupent le roman politique à clé de Sophie Coignard et d’Alexandre Wickham, Mafia chic (Fayard, 2007). Gérard Fauré « livrait cent grammes par semaine à Jacques C., Élysée, rue du faubourg Saint-Honoré. Cent grammes? L’autre en offrait, ce n’est pas possible ! À ses petites amies, sans doute. Ça explique l’agitation de ce grand vide qui a dirigé la France ». On attend que la « victime » Vanessa Springora édite les récits glaçants et effroyables des jeunes femmes violées par le triste sire présidentiel. On comprend mieux maintenant pourquoi « la drogue, dans nos banlieues, n’est pas un problème, c’est la solution qu’a choisie l’État pour assurer sa paix civile ».
Le constat de Jean-Marie Le Pen sur l’état de notre pays après les présidences de Giscard d’Estaing, de Mitterrand, de Chirac, de Sarközy, de Hollande et de Macron est accablant. « La France est moins intelligente, moins érudite, moins compétente, moins habile aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Les enquêtes internationales sur le niveau scolaire ou le QI enregistrent cette régression ». L’intellectuel de gauche républicaine nationiste Emmanuel Todd parvient à la même conclusion dans son nouvel essai, Les luttes de classes en France au XXIe siècle (Le Seuil, 2020).
L’aventure mouvementée du FN
Contre ce délabrement moral généralisé, très tôt, « le Front national, Front national pour l’unité française, était à l’origine au-dessus et en dehors de la politique ordinaire. Un recours pour ceux qui refusent l’assassinat, le suicide assisté, de la France. Une bouée pour ceux qui espèrent perpétuer le destin français ». Il revient sur sa naissance agitée en 1972. À l’origine, Ordre Nouveau (ON) veut élargir son audience et gagner un plus grand électorat en créant les conditions favorables au regroupement des nationaux et des nationalistes. Sollicitant sans succès Jean-Jacques Susini et Dominique Venner, les responsables d’Ordre Nouveau se tournent faute de mieux vers Jean-Marie Le Pen. Or, « les gens d’Ordre Nouveau me paraissaient des gauchistes de droite sortis de Mai 68 ». Il ne cache pas se méfier « par expérience d’un milieu qui gamberge beaucoup mais n’a pas été formé comme la gauche à la discipline. Il est moins gouvernable qu’une tribu gauloise ». Il souligne que depuis l’échec de la candidature présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965, « “ l’extrême droite ” était une minuscule bouilloire perpétuellement agitée de tentatives de faire valoir ses idées, le plus souvent fugaces ou avortées, sans moyens, sans organe d’information solide à l’exception de Rivarol. Les associations et les dissociations de ces structures éphémères dépendaient plus des affinités entre individus que de l’idéologie ou de la doctrine ».
La rupture avec ON se fait au lendemain de législatives plus que décevantes en 1973. C’est la première scission d’un FN qui en connaîtra bien d’autres du fait de sa nature même. « J’étais le mieux placé pour rassembler les composantes du Front national, explique Jean-Marie Le Pen. Les contradictions des uns et des autres, des cathos tradis et païens ancestraux, des fachos, des roicos, des libéraux, ne trouvaient leur solution qu’en moi, garant et incarnation du compromis nationaliste. »
La décennie 1970 et le début des années 1980 voient s’amplifier la rivalité féroce entre le FN et le prolongement d’Ordre Nouveau. Tandis que Jean-Marie Le Pen se déclare candidat à l’Élysée pour la première fois en 1974, Valéry Giscard d’Estaing embauche par l’intermédiaire de Michel Poniatowski des militants nationalistes. « Les gens d’Ordre Nouveau ont collé pour de l’argent, cingle-t-il. Ils en ont tiré dix-huit millions d’anciens francs, ce qui leur permet de lancer, à l’automne, leur nouveau mouvement, le Parti des forces nouvelles, (PFN), avec de luxueuses publications. Mais l’argent a une odeur et le PFN restera marqué à tout jamais par cette origine mercenaire, par sa compromission avec la fausse droite au pouvoir ».
Cela n’empêchera pas en 1985 le FN, sous la houlette de son secrétaire général Jean-Pierre Stirbois, d’accueillir quelques cadres du PFN afin d’aider les fédérations départementales en cours de formation de se structurer.
Quelques figures nationales… ou non
Jean-Marie Le Pen évoque quelques personnalités qu’il a côtoyées au sein du Front. Son ami, Hubert Lambert, auteur sous le pseudonyme de Hubert Saint-Julien de Louis Rossel (1844 – 1871). Pensée et action d’un officier insurgé (Presses continentales, 1962) et de Défense nationale et OTAN (Presses continentales, 1971), tout millionnaire qu’il était, se disait « national travailliste » ! Il dépeint Dominique Venner en « intellectuel brillant, raide et paradoxal ». Son suicide « à Notre-Dame m’a beaucoup frappé. C’était un homme d’une grande intelligence et d’un grand courage, sincère mais désespéré. Il a choisi le bâtiment le plus représentatif de notre civilisation européenne, chrétienne et disons-le, française, pour donner à son acte le plus grand écho. Cet athée païen a choisi pour son appel au secours de la nation le maître-autel de Notre-Dame de Paris. Il n’était pas croyant mais n’ignorait pas la force des symboles ».
Plus proche de lui, et contredisant volontiers la biographie de Nicolas Lebourg et de Joseph Beauregard, François Duprat. L’homme qui inventa le Front national (Denoël, 2012), François Duprat « était un électron libre, un garçon intéressant […], mais il n’avait pas de place opérationnelle dans le mouvement. En revanche, il a contribué à notre réflexion doctrinale. Historien et politique, il avait compris l’importance de l’Histoire dans le combat politique, il en avait fait la théorie, et c’est pourquoi il avait cofondé une revue d’histoire du fascisme. C’était sa manière de rechercher une troisième voie entre ceux qui avaient selon lui le monopole de la représentation de l’Histoire, les “ communistes ” et les “ régimistes ”. Je dois avouer que je me sens plus proche aujourd’hui de Duprat que je ne l’étais à l’époque. L’histoire du Front national, notamment depuis le détail, m’a rapproché de soucis et d’analyses qui alors lui étaient propres ».
Plus récemment encore, un autre persécuté politique, Alain Soral « fut, avec son talent propre, un des maillons de la chaîne qui rattache les hommes honnêtes venus de la gauche au combat national, une fois qu’ils ont osé franchir le rubicon ». Toujours déplaisant envers Jean-Marie Le Pen qui a pourtant eu le courage de sonner le tocsin avant tout le monde, l’actuel maire de Béziers est bien moins traité. Robert Ménard « est un pauvre garçon dont la meilleure partie est l’épouse, un néophyte mal converti. Se souvenir qu’il était gauchiste à Reporters sans frontières. Il continue à donner des leçons, c’est sa forme d’esprit ». Le désir biterrois d’unir les droites se solde toujours par le refus obstiné de cette droite d’affaires qui ne veut que les électeurs patriotes. L’union des droites est belle et bien dépassée depuis le baron Armand de Mackau à la fin du XIXe siècle. Il importe au contraire de briser cette droite affairiste-là.
Le président du Front national de 1972 à 2011 répond à ses détracteurs au sujet de son air grave au soir du 21 avril 2002 au moment de sa qualification pour le second tour de la présidentielle. Il savait qu’il ne disposait d’aucun relais dans la haute administration, la magistrature, la police ou l’armée en cas de victoire, qu’il n’aurait pas non plus des personnes qualifiées pour exercer des fonctions techniques cruciales telles que le secrétariat général de la présidence de la République. Regrettant que le Front national devenu Rassemblement national n’ait plus un seul organe de presse imprimé comme National-Hebdo, Français d’abord ou Identité, il estime en fin politique que la conclusion d’ententes politico-électorales ne s’effectue qu’en situation avantageuse. « Il faut donner au Front national la masse critique à partir de laquelle, malgré l’interdit, il pourra passer des alliances afin de parvenir au pouvoir. Les compromis ne se passent en effet qu’en position de force, sauf à finir en compromissions. » L’exemple le plus pertinent reste l’élection des présidents des conseils régionaux en 1998 en Picardie, en Bourgogne, en Rhône-Alpes et en Languedoc-Roussillon. La présence déterminante des conseillers régionaux frontistes contraigne quatre hommes de centre-droit, proches de l’UDF, à sceller un accord de gestion autour de points raisonnables avec le FN pour le plus grand bien des habitants de ces régions. Ces expériences furent bien sûr condamnées par l’abominable Chirac et toute sa clique politico-syndicalo-médiatique.
Du travail militant et intellectuel frontiste
La légende journalistique veut que les trois mairies gagnées en 1995 (Orange, Marignane et Toulon) suivies en 1997 par Vitrolles auraient été des fiascos. Elle oublie volontiers qu’en 2001, seule la ville de Toulon est perdue comme fut perdue dès 1992 la commune de Saint-Gilles-du-Gard remportée en 1989 par le libéral-atlantiste pro-Disneyland-Paris Charles de Chambrun. Outre la commune néo-calédonienne de Thio en 1983, le FN compte déjà un conseiller municipal à Toulouse en 1977 ! Aux municipales de 1983, on recense deux conseillers municipaux frontistes à Dreux (avant l’élection partielle qui se transformera en « tonnerre » national), et un respectivement à Lunel, à Grasses et à Antibes sans oublier Jean-Marie Le Pen lui-même en tant que conseiller d’arrondissement dans le XXe.
À propos de la Nouvelle-Calédonie, Jean-Marie Le Pen découvre pendant son séjour sur le « Caillou » une réalité bien éloignée de la narration journalistique. Il remarque que l’indépendantisme kanak est « dirigé non pas contre la France, mais contre le RPCR et ses commanditaires, Lafleur, Laroque, Lavoix, les trois L, et les autres richards chiraquiens qui, sous couleur de représenter la France, imposaient une oligarchie dont ils tiraient le plus grand profit ».
Bien que regroupement de diverses sensibilités nationales et nationalistes, « le Front national d’avant, le Front national de la traversée du désert, le Front national “ artisanal ” avait poussé beaucoup plus loin qu’on ne le dit la réflexion doctrinale ». Pour preuve, un fascicule méconnu de 1979, Problèmes énergétiques et solutions écologiques, qui démontre l’antériorité du combat écologique bien pensé du FN par rapport aux Verts.
Jean-Marie Le Pen évoque aussi le travail de Pierre Gérard, secrétaire général du FN avant que Jean-Pierre Stirbois ne le remplace. Pierre Gérard rédige Droite et démocratie économique. Ce texte se réclame d’« un capitalisme populaire, notamment par la distribution du capital des grandes entreprises nationalisées aux Français ». Était-il un distributiste français, disciple de G. K. Chesterton et de Hilaire Belloc ou bien un lecteur du pancapitalisme de Marcel Loichot, largement aidé par Raymond Abellio ? Selon Jean-Marie Le Pen, ce livre « était une bonne synthèse entre liberté et solidarité, une troisième voie réaliste entre luttes des classes et monopoles, loin des aspirations interventionnistes, en quelque sorte proto-philippotistes, qu’Ordre Nouveau avait transmises au Parti des forces nouvelles ». Tant avec Pierre Gérard qu’avec Bruno Mégret plus tard, le FN a souvent proposé une tierce voie économique et sociale. Au soir du 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen se proclame « économiquement de droite, socialement de gauche et nationalement de France ».
Sur le monde et les enjeux européens
Le « Diable de la République » qui serait plus vraisemblablement l’« Archange de la Nation » insiste sur son expérience géopolitique. Il a des pages très fortes envers cette victime du mondialisme qu’a été le président irakien Saddam Hussein. Quand il le rencontre pour la première fois à Bagdad au moment de la future deuxième guerre du Golfe afin d’obtenir la libération de Français horrifiés d’être sauvés par la « Bête immonde », « le courant est passé. Il y a eu quelque chose. Une sympathie naturelle entre deux parias qui refusent de courber l’échine devant la puissance injuste et cherchent des solutions humaines à des conflits humains. Peut-être aussi entre deux fils du peuple qui aiment leur pays et ont combattu pour lui ». Ces lignes devraient être lues et méditées par cette jeune participante d’Academia Christiana qui, en août 2016, choquée d’entendre l’éloge du dirigeant irakien par l’auteur de ces lignes, lui demanda si ce n’était pas excessif de célébrer un « tueur ». Malgré toute sa bonne volonté et sa candeur, elle confondait l’impératif du politique, l’illusion de la morale publique et le monde joyeux de « L’Île aux Enfants ».
Jean-Marie Le Pen a combattu toute sa vie pour la France et les Français. Il a aussi lutté pour la vraie Europe. « Nous fûmes des éclaireurs éclairés du combat et contre l’invasion et contre la décadence de l’Europe. » Dès la chute du Mur de Berlin, il devine que « la révolution mondialiste prenait l’identité française et européenne en tenaille entre l’invasion migratoire venue du tiers-monde et l’invasion culturelle américaine ». Sur ce point précis, le vingt-neuvième chapitre, « L’Europe d’Autant-Lara », est magnifique.
En 1989, le grand réalisateur de cinéma Claude Autant-Lara, longtemps proche des communistes, est élu député européen sur la liste du FN. Doyen d’âge du Parlement européen le jour de la première séance inaugurale, il prononce un brillant discours hostile à l’américanisation de la vieille civilisation européenne. Hélas ! Ce beau texte n’a jamais été conservé. Claude Autant-Lara aime le génie français. Derrière l’entreprise « rock-coca », il se doute que « tout empire multiculturel, multireligieux, multi-ethnique provoque de telles tensions qu’il induit en réaction un pouvoir fort, une surveillance constante, un vivre ensemble de fer ». Les sociétés multiraciales d’Occident versent dans la compétition des races et se retrouvent sous prétexte d’état d’urgence sanitaire, bancaire ou glaciaire avec des assignations à résidence collectives et un contrôle de masse tatillon des populations.
L’auteur de Tribun du peuple rappelle que « député poujadiste, j’avais voté contre le Traité de Rome. L’Europe était pour moi une histoire commune, un sentiment commun ». En 1984, président du groupe des Droites européennes, il rappelle que « l’histoire de l’Europe, c’est d’abord Marathon, c’est Salamine, c’est Lépante, c’est Vienne, c’est Poitiers ». À l’occasion d’une autre intervention prononcée en séance le 6 avril 1988, il lance : « Ici, aujourd’hui, à Strasbourg, je propose aux peuples d’Europe un objectif et un mythe. Un objectif : la liberté pour l’Europe de l’Est. […] Un mythe […] : celui de la construction et de la renaissance d’une Europe grande puissance du XXIe siècle. » Quel sens de l’anticipation !
« J’ai toujours été européen, profondément, fortement », « mais autant j’étais européen, autant je n’étais pas européiste ». « La pratique du Parlement européen m’a conduit à ne plus croire que l’Europe de Bruxelles puisse s’amender. » Au contraire des Frexiters obsessionnels, Jean-Marie Le Pen reconnaît qu’« à nos débuts à Strasbourg, j’ai cru à la possibilité d’une confédération des puissances européennes veillant à la défense de ses intérêts communs et de ses frontières, notamment contre l’immigration, j’ai même préconisé une armée européenne. J’ai bien dû constater hélas que ce n’est pas cela que voulait le Parlement européen et la Commission européenne. Ils ne pensaient qu’à nous emmener, par petites étapes, mais à marche forcée, vers la fédération, en masquant plus ou moins leur but ». Il précise même que « lors de notre première mandature à Strasbourg, nous préconisions une confédération des nations européennes étroitement alliées aux États-Unis au sein de l’OTAN contre la menace soviétique. À la seconde, nous défendions un monde multipolaire contre Washington et sa menace monopoliste. La menace ne vient plus de l’Est, elle vient du Sud physiquement et, mentalement, de l’Ouest et du Nord ».
Le second tome des mémoires du « Menhir » constitue donc un formidable témoignage de cinquante années d’engagement politique effectif. Les dernières pages dégagent une « mélancolie française » certaine. Élu président de la République dès 1988, Jean-Marie Le Pen aurait donné une autre impulsion à la France et à l’Europe qui ne seraient pas aujourd’hui la risée du monde. Il restera dans l’histoire comme un Aétius politique assassiné symboliquement par le Système cosmopolite.
Dans deux siècles au moins, quand on étudiera ce combattant politique du XXe et du début du XXIe siècle, on s’étonnera à la fois de ses prévisions souvent justes et de l’aveuglement volontaire de ses contemporains à son égard. Le peuple s’est détourné du tribun pour suivre les pantins et autres histrions pour son plus grand malheur.
- Jean-Marie Le Pen, Mémoires. Tome II. Tribun du peuple, Éditions Muller, 2019, 559 p., 24,90 €.
- D’abord mis en ligne sur Europe Maxima, le 19 avril 2020, puis le lendemain sur Synthèse nationale.
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lundi, 06 janvier 2025
L'Europe atlantique peut-elle considérer l'Europe de l'Est comme la sienne?
L'Europe atlantique peut-elle considérer l'Europe de l'Est comme la sienne?
par Antonio Catalano
Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/puo-l-europa-atla...
Une lecture largement acceptée dans notre monde actuel tient pour acquis le fait que le bloc de l'Est fait « naturellement » partie de l'Europe occidentale, après avoir été intérieurement « fracturé » par quarante ans de domination soviétique. Emmanuel Todd, dans son ouvrage « La défaite de l'Occident », dans le chapitre consacré à l'Europe de l'Est, en particulier aux démocraties populaires du bloc soviétique, tente d'expliquer pourquoi la russophobie et l'appartenance au camp occidental de ces pays n'est pas un fait « naturel ».
Todd est convaincu du contraire, qu'il s'agit de deux trajectoires qui ont toujours été distinctes, complémentaires mais opposées. Il revient ainsi sur le moment historique où la rupture entre l'ouest et l'est se détermine, aux XIIe-XIIIe siècles, avec une accélération au XVIe siècle. Une période où la partie orientale, moins développée, se limite à exporter des produits simples, notamment du bois et des céréales, qu'elle échange contre des objets d'art en provenance d'Europe occidentale. À l'Est, où l'urbanisation est moins déterminante, l'emprise des propriétaires terriens se renforce, générant ce qu'Engels appelle le « second servage », faisant ainsi de cette région le premier « tiers-monde » de l'Occident.
À l'exception de la Tchécoslovaquie, la soviétisation n'est pas intervenue dans un monde initialement gouverné par des démocraties libérales, mais dans un monde où des régimes ouvertement autoritaires étaient en vigueur.
Todd relève un paradoxe : les pays d'Europe de l'Est qui ne peuvent être qualifiés de russophobes sont l'Allemagne de l'Est et la Hongrie. En Allemagne de l'Est, nous avons une forte minorité nostalgique du communisme et un soutien beaucoup plus faible (par rapport à l'ancienne République fédérale) à l'Ukraine sont palpables ; la Hongrie dirigée par Viktor Orban est officiellement hostile à la position pro-ukrainienne de l'UE et a l'intention de poursuivre sa coopération avec la Russie.
Pourtant, rappelle Todd, ce sont deux pays qui, plus que tout autre, ont lutté contre la Russie pendant la domination soviétique: en 1953 en Allemagne de l'Est avec des grèves massives; en 1956 en Hongrie avec une révolte réprimée dans le sang. Aujourd'hui, ces deux régions ou pays sont les moins hostiles à la Russie.
La haine de la Russie, dit Todd, trahit une certaine inauthenticité.
Alors qu'en Europe occidentale, le secteur industriel représente un pourcentage décroissant de la population - Royaume-Uni et Suède (18%), France (19%), Italie (27%), Allemagne (28%) -, en Europe orientale, ce qui constitue à l'Ouest le niveau le plus élevé devient ici le plus bas - Slovénie (30%), Macédoine, Bulgarie, Pologne et Hongrie (31%), République tchèque et Slovaquie (37%). Cette spécialisation industrielle, selon Todd, nous dit que l'assimilation de l'Europe de l'Est à l'Europe de l'Ouest est erronée, elle est encore une fois inauthentique.
« L'intégration dans l'UE de ces pays, certes démocratisés, mais avec leurs classes moyennes issues de la méritocratie communiste et leurs prolétariats nés de la mondialisation, n'a nullement été l'adjonction aux États-nations d'Europe occidentale d'autres États-nations qui leur ressemblaient. Au contraire, des sociétés ont été introduites en Europe occidentale dont l'histoire était différente et l'est restée, et dans certaines régions, cette différence n'a fait que s'accentuer. L'explosion de la russophobie, associée au désir d'adhérer à l'UE et à l'OTAN, loin d'exprimer une véritable proximité avec l'Occident, équivaut à un déni de la réalité historique et sociale ».
Lorsque Todd écrivait « La défaite de l'Occident », il n'avait forcément pas encore eu connaissance de la suspension, en décembre dernier en Roumanie, des élections qui allaient certainement voir la victoire de Calin Georgescu. Un Georgescu qui n'a jamais caché son désir de rétablir des relations amicales avec la Russie et qui, après la très grave décision prise par la Cour constitutionnelle roumaine (décision imposée par les Américains qui construisent en Roumanie, près de Constanta sur la mer Noire, la plus grande base de l'OTAN en Europe), qualifie cette décision de "coup d'État". Tout comme il n'était pas au courant de la tentative d'assassinat presque mortelle contre le premier ministre slovaque Fico, qui est également considéré comme indigne de confiance par les dirigeants atlantistes.
22:19 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, emmanuel todd, europe, affaires européennes | |
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samedi, 28 décembre 2024
Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson
Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson
Journaliste de la BBC, la Soudanaise Zeinab Badawi élargit le regard sur un continent sous-estimé
Par Carlo Romano
Source: https://www.barbadillo.it/117744-nella-storia-africana-de...
La civilisation africaine (édition italienne: Einaudi, 1971)
Dans un livre qui, depuis la fin des années 1960, est resté une référence pour les lecteurs italiens, l’historien, journaliste et – entre autres qualifications – officier de liaison entre les forces alliées et la Résistance en Ligurie, Basil Davidson, avait formulé cet objectif :
« Présenter un résumé de ce que l’on sait aujourd’hui des idées et systèmes sociaux, des religions, des valeurs morales, des croyances magiques, des arts et de la métaphysique d’une série de peuples africains, en particulier ceux d’Afrique tropicale. Ensuite, examiner les façons dont ces éléments se sont développés et transformés depuis le passé lointain jusqu’à aujourd’hui. Enfin, replacer ces aspects de la civilisation africaine dans leur perspective contemporaine en tant que parties cohérentes d’un ensemble vital ».
En s’éloignant des préjugés coloniaux, avec La civilisation africaine (Einaudi, 1971) et une vaste œuvre de vulgarisation accompagnée d’une série de documentaires, Davidson a pleinement atteint son objectif. Avec le temps, ce livre – bien qu’il ne soit pas strictement académique, même s’il a été adopté par de nombreuses universités – n’a pas été complété par beaucoup d’autres études. Cependant, une édition actualisée, également intitulée La civilisation africaine, a été publiée en 1997.
Avant cet ouvrage, on pouvait se référer à Histoire de la civilisation africaine/Kulturgeschichte Afrikas (Einaudi, 1950 et Adelphi, 2013) de Leo Frobenius, ethnologue, fondateur de divers instituts, correspondant avec Ezra Pound sur des questions économiques, et auteur en 1910 du magnifique compendium de légendes africaines Le Décaméron noir (Rizzoli, 1971).
Ce livre a influencé le concept de Négritude, de Aimé Césaire à Léopold Sédar Senghor, selon lesquels Frobenius « avait restitué à l’Afrique sa dignité et son identité ». La phrase « chaque fois qu’un vieillard meurt en Afrique, c’est une bibliothèque entière qui disparaît » semble illustrer parfaitement le contenu de Der schwarze Dekameron.
Des ouvrages comme ceux de Frobenius et Davidson ont renversé l’idée nuisible du « sauvage noir », réduisant les traditions et les arts africains à de simples visions exotiques, tout au plus décoratives. Cependant, d’autres livres et pamphlets – notamment à partir de Malcolm X – qui ont politisé l’idée même de civilisation africaine, ont parfois montré un préjugé inverse à celui du colonialisme, revendiquant par fierté de prétendues suprématies.
On pense ici au livre d’un spécialiste de la Grèce ancienne auprès de l’université Cornell, Martin Bernal, dont la publication a suscité de vifs débats, bien que beaucoup se soient arrêtés au titre provocateur, Black Athena (Pratiche Editrice, 1992). Bernal identifiait deux modèles historiographiques: l’« antique », élaboré par les Grecs eux-mêmes, et l’« aryen », imprégné de romantisme et influencé par des éléments extérieurs et idéologiques, comme le racisme. Bernal va même jusqu’à affirmer que les langues indo-européennes auraient un substrat d’origine africaine.
Ses thèses ont été contestées par de nombreux spécialistes du classicisme, notamment dans le volume collectif Black Athena Revisited (1996).
Avec An African History of Africa/Une Histoire africaine de l’Afrique de la journaliste soudanaise Zeinab Badawi – diplômée d’Oxford, ancienne présidente de la Royal African Society et collaboratrice de la BBC, où elle a présenté The History of Africa, une série de documentaires basée sur les rapports de l’UNESCO et sur l’ouvrage Histoire générale de l’Afrique qui en a découlé – nous avons aujourd’hui un essai de grande vulgarisation. Ce travail intègre l’expérience que l’auteure a acquise aussi bien avec les chercheurs africains qu’avec les gardiens des traditions orales.
L’histoire de l’Afrique est celle des origines de la civilisation humaine, mais on discute peu de son histoire ancienne et moderne, étouffée par les récits occidentaux évoquant la pauvreté, l’esclavage et le colonialisme. Ainsi, les récits fascinants des reines guerrières, des puissantes civilisations, des bâtiments somptueux et des marchés animés restent méconnus, alors que l’Afrique est bien plus que ce que nous imaginons.
22:32 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : afrique, livre, zeineb badawi, leo frobenius, basil davidson, histoire | |
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jeudi, 19 décembre 2024
La Russie et son double
La Russie et son double
Ouvrage édité par "Perspectives libres", novembre 2023
Exposé liminaire
par Gérard Conio
J’ai écrit ce livre pour donner de la Russie une autre image que celle propagée par une russophobie délirante fondée sur l’ignorance et le dénigrement systématique.
J’ai voulu montrer tout d’abord l’état rédhibitoire de la Russie que j’ai constaté en 1996 pour qu’on puisse le comparer à l’essor qu’elle connaît aujourd’hui grâce au redressement opéré par Vladimir Poutine, depuis son accession à la présidence.
Ce que j’ai observé d’une manière subjective est confirmé par les statistiques objectives des économistes et des politologues indépendants qui ont refusé de se plier à la doxa officielle.
Le conflit entre la Russie et l’Occident est avant tout un choc des civilisations qui oppose des visions du monde et on peut comprendre que les adorateurs de la démocratie regrettent une évolution qui écarte la Russie de la sacro-sainte liberté individuelle au nom de laquelle elle a été entraînée dans un paradis qui s’est révélé pour elle un enfer.
Les débats fondés sur des axiomes et des pétitions de principe engendrent le déni des réalités vécues par le peuple russe dans son adhésion à une autorité qui lui rendait sa souveraineté et son indépendance en lui apportant une sécurité et une stabilité retrouvées ainsi que l’amélioration de ses conditions de vie détériorées par l’emprise de quelques prédateurs sur la société russe.
Le narratif occidental sur « l’opération spéciale » a le tort de se polariser sur un moment isolé de son contexte, sans tenir compte de tous les facteurs qui ont pesé sur une rupture dont les conséquences n’ont été sérieusement envisagées ni dans une décision que le président russe jugeait inévitable ni dans les « sanctions » qu’elle a suscitées et qui se sont retournées contre leurs auteurs.
Une « agression » aux objectifs limités a provoqué « le basculement du monde », parce qu’elle avait des origines très anciennes.
Ce moment n’est pas né « par hasard », il s’inscrit dans un devenir historique.
C’est pourquoi j’ai jugé bon de relater mon expérience des stades successifs d’une évolution dont j’ai été le témoin.
Mais, pour éclairer une opinion abusée par la fausse parole, il importe en tout premier lieu de remettre la Russie à sa place sur la carte du monde.
L’histoire de la Russie est déterminée par « le fait géographique » qui l’ouvre vers l’Ouest et vers l’Est, l’Europe et l’Asie. Dépourvue de frontières naturelles, elle a dû se défendre contre les invasions qui, depuis des siècles, sont venues se briser contre le Heartland, le coeur du monde, ainsi nommé par Mackinder, le fondateur de la géopolitique au 19ème siècle qui avait déduit le résultat de ses observations dans une formule restée célèbre: «Qui contrôle l’Europe de l’est, contrôle le Heartland, qui règne sur le Heartland, règne sur le monde». Mackinder désignait ainsi l’Empire russe couvrant « la plaine qui s’étend de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale et rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen Orient, l’Asie du Sud et la Chine ».
Un géopoliticien américain, Nicolas Spykman (photo), appliquera cette théorie à la deuxième guerre mondiale. Il ajoute au Heartland la bande de terre côtière qu’il appelle le Rimland et il critique Mackinder en parodiant sa formule: « Qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie, qui règne sur l’Eurasie contrôle le destin du monde ». Et il souhaite que les Américains contrôlent le littoral européen afin de contenir l’expansion du Heartland.
La vision de Spykman est à la base de la "politique d'endiguement" formulée par le diplomate Georges Kennan (photo) dans son article, The Sources of Soviet Conduct (juillet 1947) et mise en œuvre par les États-Unis dans la guerre froide.
Il s’agissait « d’endiguer » le Heartland en contrôlant la zone tampon du Rimland, auquel appartenaient les satellites de la Russie soviétique, dont l’Ukraine était le maillon fondamental.
On tient dans ce schéma tous les paramètres de l’évolution qui a mené la Russie de la chute de l’URSS sous Gorbatchev à sa déliquescence sous Boris Eltsine, puis à son redressement sous Vladimir Poutine.
La chronologie de cette évolution s’inscrit entre deux catastrophes, la fin de l’URSS et la guerre en Ukraine.
Mais on doit inscrire en filigrane de cette évolution une continuité dans la pensée géopolitique occidentale manifestée par Mackinder, Spykman, Kennan, et plus tard Brzezinski.
Mackinder se disait convaincu de la suprématie des Anglo-Saxons qui leur donnait le droit de dominer le monde et donc de s’emparer du Heartland. Il opposait les puissances de la terre aux puissances de la mer et redoutait l’émergence d’une Allemagne forte pouvant s’allier à l’Empire russe.
Or, cette obsession a été partagée par les dirigeants américains qui n’ont cessé d’oeuvrer pour empêcher une alliance aussi favorable au développement de l’économie européenne que nuisible à leurs intérêts. Ils l’ont sapée définitivement en détruisant le Nordstream 2 et en privant l’Allemagne d’une source d’énergie indispensable pour son industrie. Aujourd’hui, les entreprises allemandes sont contraintes, pour exister, de se délocaliser aux Etats-Unis.
Spykman, en donnant la primauté au Rimland sur le Hearland, posait déjà la question du rapport de force entre la Russie et l’Union européenne. En se concentrant sur les choix de l’Ukraine, cet antagonisme est à l’origine d’un conflit localisé qui, en s’aggravant, met à présent le monde au bord de l’escalade nucléaire.
Les stratèges américains ont fait fausse route en misant sur la supériorité du Rimland et en minimisant la puissance du Heartland russe.
Au lieu d’affaiblir la Russie en instrumentalisant l’Ukraine, l’Occident a démontré sa propre faiblesse dont visiblement il n’avait pas conscience et en s’infligeant des échecs imputables à ses erreurs de calcul.
Mon témoignage sur une Russie qui, dans les années 90, sombrait dans l’anarchie et le chaos, trouve un éclairage paradoxal dans Le Grand Echiquier de Brzezinski paru en 1997, la veille de la faillite financière de l’État russe sous le gouvernement de Boris Eltsine.
En cette même année 1998, où la Russie a été sur le point de disparaître, Soljénitsyne consignait dans La Russie sous l’avalanche un constat analogue sur le désespoir d’une population décimée par les privatisations et par l’emprise des oligarques qui avaient pris le pouvoir, ces oligarques n’étant que les prête-noms des « bandits dans la loi » qui sévissaient déjà à l’époque soviétique.
En dépit de cette situation désespérée qui semblait ôter tout soupçon de velléité impérialiste, Brzezinski reprend les idées de Mackinder et de Spykman en les actualisant et il considère que, malgré la disparition de sa puissance, la Russie, par sa position dominante dans le Heartland, restait une menace pour l’ordre du monde instauré par les Etats-Unis.
Il en avait conclu qu’il fallait séparer l’Ukraine de la Russie pour enlever à celle-ci toutes les chances de redevenir une grande puissance.
Si l’on admet que les analyses de Mackinder et de Spykman trouvaient un fondement dans un empire qui détenait le Heartland en couvrant la moitié de l’Europe, il est plus difficile de sonder les motivations de Brzezinski quand il souhaitait la destruction d’une Russie qui s’était déjà détruite elle-même.
Et il convient de rappeler que Kennan, pourtant promoteur de la politique d’« endiguement » contre l’URSS, a été très circonspect sur les « guerres humanitaires » menées par des politiciens incompétents et aventureux qui prenaient leurs désirs pour des réalités. On le donne même en exemple aujourd’hui en Russie en l’opposant à la courte vue des dirigeants qui lui ont succédé.
Il a fortement désapprouvé l’élargissement de l’Otan qui a été le coup d’envoi d’une escalade dont il prévoyait les dangers pour la paix du monde.
On ne saurait comprendre le processus qui a mené de la fin de l’URSS à la guerre en Ukraine, sans faire état du « syndrome occidental » qui a pesé de tout temps sur la mentalité et la politique russe.
La Russie a été sans cesse confrontée à son double par son désir passionné d’être reconnue par l’Occident comme un partenaire à part entière. Et Vladimir Poutine lui-même n’a pris conscience que fort tard du péril auquel il exposait la sécurité de la Russie en accordant sa confiance à des interlocuteurs qui après la réunification de l’Allemagne, ont refusé la main tendue par les Russes dans l’espoir d’une coopération économique qui devait se substituer à leurs yeux au conflit entre les deux idéologies en lice dans la guerre froide.
En sacrifiant son empire, sans contre partie, la Russie avait donné un gage de sa volonté de devenir une démocratie qui entrerait de plain-pied dans le concert européen.
Et cette coopération s’appuyait sur des intérêts réciproques qui auraient assuré la consolidation de la paix et une meilleure prospérité dans le continent européen.
Mais les passions idéologiques ont pris le pas sur les intérêts économiques et cet espoir a été battu en brèche à trois reprises, lorsque l’Otan n’a pas tenu la promesse de ne pas s’étendre à l’est, lorsque les accords de Maïdan, garantis par la signature de trois ministres européens, ont été violés sans autre forme de procès, et enfin quand les accords de Minsk, destinés à réintégrer à l’Ukraine les républiques séparatistes, ont été signés sans la volonté de les appliquer pour réarmer le gouvernement de Kiev, issu d’un putsch, et continuer la guerre inaugurée par «l’opération contre- terroriste » déclenchée en 2014 par le gouvernement de Kiev contre des populations civiles.
Même si on juge obsolètes aujourd’hui les prophéties de Fukuyama sur la fin de l’histoire et les assertions de Brzezinski, en 1997, sur la nécessité de mettre un terme au danger potentiel représenté par la Russie, il n’en reste pas moins que ces convictions triomphalistes étaient conformes à la doctrine Wolfowitz (photo) qui, dès 1992, avait annoncé l’invasion de l’Irak pour pérenniser la domination des Etats-Unis sur le monde.
Si le bellicisme des néo-conservateurs peut s’expliquer du point de vue des Etats Unis, il apparaissait alors contraire aux intérêts de l’Europe, c’est pourquoi la France et l’Allemagne, en accord avec la Russie et la Chine, ont dénoncé une violation du droit international qui ne pouvait mener qu’à un désastre humanitaire.
Mais on est en droit de s’interroger sur les raisons qui poussent aujourd’hui les Européens à ruiner leur économie en participant à fonds perdus à la guerre en Ukraine en se soumettant, contre leurs intérêts, au diktat des Etats-Unis et en reprenant à leur compte les arguments des anciens satellites de l’URSS qui brandissent le spectre d’une menace russe.
L’agression de l’Ukraine confirme à leurs yeux cette menace, qui apparaît d’autant plus irréelle que, nonobstant la supériorité militaire acquise par Vladimir Poutine, la Russie n’aurait pas les moyens de la mettre en exécution, du fait de sa démographie et des rapports de force avec la coalition de l’Otan.
Et pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la rupture consommée le 24 février 2022, il n’est pas inutile de revenir a posteriori sur les raisons qui poussaient Wolfowitz en 1992 et Brzezinski en 1997 à se lancer dans une confrontation qui met aujourd’hui le monde au bord du gouffre.
On assiste, en effet, à une fuite en avant de la part des néo-conservateurs qui, malgré leurs échecs successifs refusent de voir en face les conséquences planétaires de leur aventurisme. A cause de leurs tentatives mal calculées, mal engagées, ils ont provoqué la méfiance croissante des trois quarts de la planète à l’égard des Etats-Unis qui ne sont plus en mesure d’imposer au monde leur hégémonie par la suprématie du dollar.
Le réveil de la Russie a été le facteur principal de ce renversement du monde unipolaire auquel l’Occident reste attaché comme le pendu à sa corde.
L’Occident démocratique subit aujourd’hui la même psychose qui a entraîné l’Union soviétique à sa perte.
On assiste à une inversion des rôles et il faut considérer que, pour redevenir une puissance « normale », uniquement soucieuse de son indépendance et de sa souveraineté, sans céder à la mégalomanie messianique, la Russie devait passer par la cure d’une démocratisation ratée qui alimente encore les rêves de sa minorité libérale.
Après avoir, dans cette première partie, évoqué, à des fins pédagogiques, ce passé douloureux, je me suis appuyé sur quelques-uns de mes travaux pour montrer l’apport de la Russie au patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité.
Dans « La vision russe du cosmos », j’ai indiqué les sources spirituelles du cosmisme russe fondé par le philosophe Nicolas Fiodorov, qui a été le mentor de Tsiolkovski, dont les travaux sur les fusées ont abouti au vol de Gagarine.
Au moment où l’on glose sur la renaissance de la religion pour compenser le vide idéologique, j’ai retracé dans « L’Empire russe et Moscou Troisième Rome », les relations ambivalentes entre l’orthodoxie et l’autocratie.
Dans « La dialectique du double chez Dostoïevski », j’ai analysé dans le thème du double la parodie romanesque de la dialectique de Hegel dans une esthétique de la création verbale qui trouvera son accomplissement chez les futuristes.
Dans « Le dernier dialogue de Bakhtine », j’ai tiré la quintessence des mémoires parlés du grand philosophe russe dans ses entretiens avec Douvakine, professeur de Siniavski et Daniel dont il a pris la défense lors de leur procès.
Puis, j’ai analysé longuement le thème du MLB ( « la plongée dans le sein maternel ») dans Ivan le Terrible d’Eisenstein et dans sa mise en scène de la Walkyrie au Bolchoï en 1940.
En raison du rôle controversé de la Pologne dans le conflit ukrainien, j’ai tenu à rendre hommage à Wat et Mlosz, deux auteurs polonais que j’ai traduits et commentés pour mettre en exergue leur russophilie qui n’était pas incompatible à leurs yeux avec leur critique du communisme totalitaire. Cette largeur de vue chez ces «dissidents » antisoviétiques tranche sur l’amalgame raciste et imbécile pratiqué aujourd’hui entre la culture et la politique vis-à-vis de la Russie.
Enfin j’ai cité mes interventions à un colloque sur « L’URSS, un paradis perdu ».
Et j’ai mis en conclusion une réflexion sur les deux Russies qui s’opposent aujourd’hui à propos de la guerre en Ukraine.
Chaque livre est une bouteille à la mer et j’espère que celui-ci trouvera les bons lecteurs qui sauront en tirer la substantifique moelle.
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vendredi, 13 décembre 2024
Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief
Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief
Alexander Meschnig
Source: https://philosophia-perennis.com/2024/12/03/merkels-memoi...
Elle est de retour. Les mémoires d'Angela Merkel, intitulées « Freiheit » (Liberté), sont parues simultanément dans trente pays la semaine dernière. Un volume de 736 pages, au prix de 42 euros, ce n'est donc pas pour rien. Alexander Meschnig commente sur Kontrafunk.
Selon la rumeur, Merkel a reçu pour cela une avance de plusieurs dizaines de millions d'euros. C'est une grande marque de confiance envers une ex-politicienne qui est responsable des pires décisions erronées de ces dernières années: sauvetage de l'euro, sortie du nucléaire, politique anti-russe, ouverture des frontières et immigration de masse, confinements covidesques avec de graves atteintes aux droits fondamentaux des citoyens. L'autocritique et l'aveu de ses propres erreurs, c'est le moins que l'on puisse dire, n'apparaissent pas dans le livre.
L'absence d'alternative
Même avec le recul, toutes les décisions de l'ère Merkel semblent sans alternative. Outre la politique désastreuse à l'égard de la Russie, c'est notamment l'absence de prise de conscience des conséquences de sa politique migratoire qui laisse un goût amer au lecteur. Le fait que Merkel, fin 2024, après la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, l'attentat sur le marché de Noël de Berlin, les nombreux meurtres et actes de violence commis par des soi-disant réfugiés, s'accroche encore à sa politique d'accueil sans limites - sans aucune réflexion sur les conséquences sociales - est significatif.
La version française de l'insipide pavé: on peut dire que l'éditeur, Albin Michel, a souvent été mieux inspiré...
Quelques jours avant la parution de ses mémoires, Merkel a accordé une interview au « Spiegel », dans laquelle elle a également évoqué sa politique d'immigration. Elle n'a pas ménagé ses critiques à l'égard de son propre parti qui, sans doute sous la pression des résultats électoraux de l'AfD, exige désormais le refoulement des migrants aux frontières allemandes. Merkel transforme les problèmes de l'immigration de masse en une « dette » que doit la société d'accueil, qui se voit reprocher de l'exclure. Car, selon les termes de l'interview : « Il ne peut y avoir d'intégration sans ouverture d'esprit et sans volonté de changement de la part de la société d'accueil. La condition préalable est d'acquérir un minimum de connaissances sur les autres cultures, je dois déjà m'y intéresser ».
« Aucun être humain n'est illégal ! »
Merkel suit ici manifestement une conception universaliste de l'être humain, qui accorde à chaque migrant les mêmes droits qu'aux citoyens autochtones. Cela n'a pas toujours été le cas. Rappelons-nous les célèbres photos de la chancelière avec la petite Libanaise Reem. Les larmes de la jeune fille - Merkel n'a pas pu lui promettre qu'elle pourrait rester en Allemagne - ont déclenché une véritable tempête émotionnelle dans les médias mainstream à l'été 2015. La pression médiatique permanente et les campagnes des gauches et des Verts (« Aucun être humain n'est illégal ! ») n'ont pas manqué d'avoir de l'effet sur les hommes politiques de premier plan.
Personne, pas même la chancelière, ne pouvait et ne voulait gouverner contre les médias et l'opinion publique ou passer pour "inhumain". C'est ainsi que la « chancelière glaciale » s'est muée en quelques semaines en « maman Merkel », une femme qui a fait la seule chose à faire en ouvrant grand les frontières, célébrée ensuite par les médias pour son humanisme, en tant que sauveuse des valeurs européennes. Reste à savoir si Merkel elle-même croyait à cette transformation, mais sa décision d'ouvrir les frontières a rendu la division du pays définitivement flagrante, selon ses propres mots: « Si nous devons maintenant commencer à nous excuser de montrer un visage amical dans les situations d'urgence, alors ce n'est pas mon pays ».
« Sacralisation » de l'étranger
Si nous laissons de côté la question des motivations personnelles de Merkel, la conception d'une « dette portable » montre qu'il existe manifestement quelque chose comme un « contrat de dette » entre la « riche Europe » et le « pauvre reste » du monde, qui peut être appelé à tout moment. En accueillant sans limites tous les défavorisés et les personnes en détresse, l'Europe et l'Allemagne en particulier ont pu montrer qu'elles étaient prêtes à expier définitivement leurs crimes. Le magazine italien « La Stampa » a commenté en ce sens l'événement de septembre 2015 comme une césure historique : « La décision de Merkel d'accueillir des réfugiés clôt dans la mémoire collective de nombreux Européens l'époque de l'Allemagne cruelle et hostile ».
En principe, on peut parler d'une « canonisation » de l'étranger. Lui seul peut dissoudre le complexe de culpabilité et de pénitence et apporter la rédemption. Puisque notre richesse, selon une conviction largement répandue, repose sur l'exploitation de l'hémisphère sud, il n'est que juste, et c'est notre devoir moral, d'accueillir le monde entier à bras ouverts. Dans cette conception, les migrants qui arrivent actuellement ne font donc que récupérer ce que nous leur avons pris pendant des siècles et que nous continuons à leur prendre.
La chancelière verte
Le sociologue français Pascal Bruckner résume cette relation de manière précise et polémique: « L'Europe doit tout à ces derniers: le logement, la nourriture, les soins de santé, l'éducation, des salaires corrects, la prise en charge rapide de leurs demandes et surtout le respect de leur identité. Avant même d'avoir posé un pied sur notre sol, ils sont des créanciers qui réclament leurs dettes ». Le fait qu'une politicienne de la CDU suive encore ce récit après les expériences des dix dernières années - un point de vue qui se situe essentiellement chez les gauches et les Verts - montre à quel point sa carrière politique a été désastreuse pour l'Allemagne.
Car le fait que Merkel fasse actuellement la promotion d'une alliance noire-verte et qu'elle critique vivement son propre parti pour s'être démarquée des Verts montre clairement que l'ex-chancelière ne défend pas seulement une position indifférente, voire hostile, aux intérêts du pays sur la question de l'immigration. Le fait qu'elle dupe une dernière fois Friedrich Merz avec son livre et son attachement à une politique d'immigration de masse illimitée montre ce que l'on appelle désormais "des traits humains". Des émotions que l'on chercherait autrement en vain dans ses mémoires, qui se lisent comme la chronique stérile d'une vie sans relief.
20:40 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : allemagne, angela merkel, europe, livre, affaires européennes | |
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lundi, 18 novembre 2024
Les écrits redécouverts d'Adriano Romualdi et le «réalisme» en politique étrangère
Les écrits redécouverts d'Adriano Romualdi et le «réalisme» en politique étrangère
Toujours proche de Julius Evola, il a obtenu son diplôme en discutant, de manière semi-clandestine, un dimanche matin, d'une thèse sur les auteurs de la révolution conservatrice allemande à l'université « Sapienza », sous la direction de Renzo De Felice et avec le rapporteur Rosario Romeo.
par Giovanni Sessa
Source: https://www.barbadillo.it/116750-gli-scritti-ritrovati-di...
Adriano Romualdi est l'un des noms les plus significatifs de la droite culturelle italienne. Fils de Pino, l'un des principaux protagonistes du fascisme et du néofascisme, il a connu très tôt le débat qui animait la vie du MSI de l'intérieur. Actif au sein de Giovane Italia et de la Fuan, il a donné vie à plusieurs clubs de jeunes, dont le « Gruppo del Solstizio ». Au milieu des années 60, il obtient son diplôme en discutant, de manière semi-clandestine, un dimanche matin, une thèse sur les auteurs de la révolution conservatrice allemande à l'université « Sapienza », dont le directeur et le co-rapporteur étaient Renzo De Felice et Rosario Romeo. Toujours proche d'Evola, qu'il fréquentait dans sa maison du Corso Vittorio Emanuele, il est considéré comme le seul véritable disciple du « Maître qui ne voulait pas de disciples ». Il fut l'assistant de Giuseppe Tricoli, historien de l'époque contemporaine, à l'université de Palerme. Il a eu la chance, comme quelqu'un de « cher aux dieux », de mourir à seulement trente-trois ans, le 12 août 1973, des suites d'un accident de voiture. En témoignage de sa profonde culture, ses livres demeurent. Parmi eux, la première biographie d'Evola.
L'anthologie des écrits retrouvés d'Adriano Romualdi
Une compilation de ses articles et essais (67 au total, parus dans diverses revues entre 1957 et 1973), intitulée Scritti ritrovati (Écrits redécouverts), est actuellement en librairie grâce aux éditions Arya. Le volume comprend un avant-propos de Gianfranco de Turris, ami personnel d'Adriano, ainsi qu'une introduction contextuelle de l'éditeur Alberto Lombardo, l'un des plus grands exégètes de l'œuvre de Romualdi (sur commande : info@edizioniarya.it, pp. 312, euro 29.00). Le texte est accompagné d'un important dossier photographique et se termine par un appendice présentant une interview de de Turris pour Intervento et deux autres articles du jeune chercheur. Les premiers articles ont été publiés dans la revue étudiante romaine Le corna del diavolo, dirigée par Franco Pintore. Ce dernier était chercheur contractuel à l'université de Pavie. Il s'occupait de philologie égéenne-anatolienne et cultivait un profond intérêt pour l'ésotérisme et la Tradition. Ces domaines de recherche le lient au jeune Romualdi. Les articles de ce dernier, certains signés de son nom, d'autres de pseudonymes, traitent de sujets disparates: de Thomas Mann à Spengler, de l'Ulysse de Joyce à une critique d'un ouvrage d'Oswald Mosley .
Parmi les plus importants, d'un point de vue théorique, figurent les quatre écrits intitulés Perspectives. Ils traitent de la Tradition européenne qui, pour lui, se divise en quatre moment : les Aryens, Hellas, Rome et le Moyen Âge comme midi de la civilisation européenne. Des thèmes qui, comme le note Lombardo, seront un « véritable work in progress » tout au long de la vie d'Adriano, car il s'avère qu'au cours des deux années 1965-1966, ce travail a débouché sur trois cycles de formation de la FUAN-Caravella intitulés « Documents pour une vision du monde » (p. 31). Sur deux numéros de la revue apparaissent, en première page, des dessins qui pourraient, pour le moins, avoir été inspirés par les idées de Romualdi, en particulier celui d'avril 1961, qui rappelle Chevaucher le Tigre d'Evola, publié la même année. Cinq, en revanche, sont les écrits qu'Adriano a publiés dans Il Conciliatore de Milano, une glorieuse publication fondée en 1818 par Pellico et Berchet, reprise par Carlo Peverelli en 1952. Trois des écrits de Romualdi « traitent de la Seconde Guerre mondiale [...] un sur l'édition critique de Nietzsche, un autre sur la deuxième édition de Chevaucher le Tigre » (p. 34).
La collaboration à L'Italia che scrive, journal fondé en 1918 par Angelo Fortunato Formiggini, est plus substantielle. Il s'agit d'écrits sur la philosophie de Nietzsche, de critiques d'ouvrages de Huizinga, Cantimori et Gibbon, ainsi que du long texte I settant' anni di Julius Evola. L'article consacré à Wagner a lui aussi une approche clairement évolienne : le musicien est en effet critiqué en termes nietzschéens et évoliens. La monographie photographique du Touring Club italien consacrée au paysage du Latium, qu'Adriano croyait profondément animé, comme Bachofen l'avait déjà compris, par les anciens potestats divins, est intéressante. Tout aussi importants sont les essais parus dans Pagine Libere, revue dirigée par Vito Panunzio et publiée par Volpe. Dans ses colonnes paraît l'essai Idee per una cultura di Destra. Romualdi prend ses distances avec la nostalgie patriotarde du MSI.
Dans l'annexe, le lecteur trouvera la distance décisive prise par la direction du périodique par rapport aux positions exprimées sur le sujet par Adriano, confirmant la fermeture culturelle étroite de la classe dirigeante du MSI, à des années-lumière des thèses d'Evola et de Romualdi. L'Occident et l'Occidentalisme sont au cœur de la compréhension de la vision du monde d'Adriano. Par cet écrit, le jeune érudit montre qu'il est conscient de la nécessité de réveiller les Européens pour qu'ils redécouvrent les racines sacrées du continent.
Il faut souligner que Romualdi était, à la différence de Thiriart et de Jeune Europe, animé par un réalisme politique qui lui faisait considérer comme « pure velléité de penser à se libérer [...] de la défense armée américaine » (p. 39), ce qui l'aurait rendu indigne du communisme en marche. Ici aussi, Adriano épouse les positions évoliennes. Sont également rassemblés dans le livre les écrits romualdiens sur Cavour (deux à caractère historique), de La Torre (trois, dont un posthume) et de La Destra (trois articles significatifs, notamment celui concernant les courants politiques allemands actifs de 1918 à l'avènement du nazisme), ainsi que ceux de L'Italiano, tribune libre de la droite culturelle. On notera en particulier les écrits relatifs aux manifestations étudiantes, d'où il ressort qu'il avait compris que le « carnavalesque soixante-huitard » visait à faire taire la Tradition.
Scritti ritrovati nous permet de reconstruire le bref mais intense itinéraire de Romualdi. Adriano, rappelle Lombardo, comme Locchi, a dépassé les limites du « traditionalisme », estimant que la pensée devait assumer le poids de la confrontation avec la modernité. C'est le moment le plus important de son héritage. L'appel à une Europe en tant que nation, bien que tempéré par le réalisme politique, reste, à notre avis, le moment le plus faible de sa proposition. L'Europe est ontologiquement plurielle. Pour reprendre les termes d'Andrea Emo, il s'agit en effet d'un « pays du crépuscule », d'un laboratoire toujours en cours d'expérimentation. En son sein, toute stagnation ou mise en forme politique du monde, dans la mesure où elle s'expose au tragique, quintessence de la vie, doit être transcendée dans l'incipit vita nova, dans un Nouveau Commencement.
18:36 Publié dans Livre, Livre, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adriano romualdi, italie, livre, nouvelle droite, traditionalisme, traditionalisme révolutionnaire | |
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dimanche, 17 novembre 2024
Électeur du berceau jusqu’au cercueil
Électeur du berceau jusqu’au cercueil
par Georges Feltin-Tracol
Le « Camp du Bien » autoproclamé cherche sans cesse à inventer et à étendre des droits pour l’individu. Cet activisme vire souvent en réclamations sinon grotesques, pour le moins farfelues. Le court essai de Clémentine Beauvais en est un exemple édifiant.
Cette dame enseigne les sciences de l’éducation à l’université britannique de York. Considérées comme une science « molle », c’est-à-dire sans protocole empirique rigoureux, aux prétentions didactiques excessives, les soi-disant sciences de l’éducation mobilisent des apports en psychologie, en histoire de la scolarité, en sociologie, en études du comportement humain et en pédagogie. Elle s’inscrivent dans une évidente charlatanerie postmoderniste. Leurs théoriciens et leurs praticiens correspondent pour leur part aux fameux médecins des pièces de théâtre de Molière.
Clémentine Beauvais avoue volontiers grenouiller «de longue date dans les milieux progressistes». Elle use toutefois avec parcimonie de l’écriture inclusive. En publiant dans la collection «Tracts» Pour le droit de vote dès la naissance (n°59, Gallimard, 2024, 3,90 €), elle entend lancer un débat institutionnel sur une discrimination généralisée. Elle réclame en effet l’«abolition totale, pour toutes les élections, de la limite d’âge». Elle souhaite une évolution des institutions et des usages politiques qui assurent enfin le vote de «tous les êtres humains, c’est-à-dire les bébés, enfants et adolescents ». Elle estime que «l’exclusion des enfants du suffrage “universel“ met les régimes démocratiques en incohérence par rapport à leurs propres principes d’égalité». Elle ne supporte pas qu’une barrière d’âge affecte le plein exercice de la citoyenneté élargie.
L’autrice ne rappelle pas que des États démocratiques libéraux bourgeois ont abaissé à seize ans le droit de vote. La Belgique s’y est risquée pour les élections européennes de juin 2024. Pour les élections générales, on peut citer le Brésil, l’Équateur, l’Autriche, Cuba, Malte, le Nicaragua et l’Argentine. C’est possible en Écosse pour les scrutins locaux. Clémentine Beauvais veut que les enfants votent comme leurs parents. Elle ne s’attarde pas cependant sur les modalités pratiques pour l’application de ce nouveau droit auprès des nouveaux électeurs dont les nouveaux-nés. Lors du Championnat d’Europe en 2008 et de la Coupe du monde de balle au pied en Afrique du Sud en 2010, Paul le poulpe prédisait l’équipe victorieuse. L’expérience serait-elle reproductible avec un bambin?
Clémentine Beauvais récuse en revanche tout projet qui pondérerait chaque bulletin de vote en fonction de l’âge de l’électeur. Inquiets du vieillissement de la population en Occident et d’une inclination plus ou moins conservatrice – ce qui reste à démontrer -, certains cénacles proposent qu’un jeune électeur ait une triple ou quadruple voix et son aïeul centenaire un quart de voix… L’autrice refuse en outre le choix même du vote par procuration. Elle exprime ici son désaccord avec John Wall, le principal théoricien de cette revendication civique, qui suggère que « chaque parent disposerait d’une demi-voix supplémentaire par enfant (une voix entière dans le cas des parents célibataires) ».
L’autrice veut conserver le cadre individualiste et égalitaire de la participation électorale. Sa démarche s’ouvre à tous les poncifs wokistes. Ainsi offre-t-elle une « réflexion […] démocratique, consultative, collective (et de préférence, festive) ». Mieux encore, elle se félicite que l’électeur moyen soit incompétent. Par la force d’une quelconque « main invisible », « c’est à la fois grâce à et malgré la potentielle incompétence des électeurs que le vote est démocratique. » Elle jubile d’assister au déficit abyssal des finances publiques hexagonales, dégradation qui provient de l’extraordinaire alliance des électeurs abrutis et des bureaucrates dépensiers.
Si les adultes sont capables de commettre collectivement de formidables erreurs, les mineurs risquent d’aggraver le pire, en particulier les nouvelles générations décérébrées qui sont plus que jamais toxiques et nocives. Plutôt que de bénéficier en cas d’infractions des circonstances atténuantes et de l’excuse de minorité, les voyous mineurs devraient recevoir les circonstances aggravantes. L’enfant et, surtout, l’adolescent sont par essence des tyrans domestiques qu’il importe de dresser sans aucun ménagement. Clémentine Beauvais nie cette réalité. Cela ne l’empêche pas d’évoquer « une éducation démocratique populaire véritablement inclusive ». Pour elle, « ces risques sont gérables avec un accompagnement éducatif adapté ». Que faut-il comprendre ? L’instauration de cours obligatoires de propagande cosmopolite sous couvert d’éducation morale et civique ? L’intervention dans les salles de classe de commissaires politiques responsables de la formation préalable des consciences juvéniles ? Elle imagine même « des comités citoyens chargés de s’assurer que tous les enfants qui veulent voter puissent le faire ». Ces comités orienteraient très certainement le vote des jeunes électeurs dans la bonne direction.
D’après l’autrice, l’existence quotidienne des enfants est politique. Elle va jusqu’à mentionner le sort du « fœtus par GPA ». Mais le fœtus qu’on s’apprête à avorter n’aurait-il pas lui aussi une part politique indiscutable ? Ce raisonnement spécieux s’apparente aux revendications de certains syndicats étudiants qui veulent qu’aux examens, tant partiels qu’en fin d’année universitaire, toute copie reçoive dès le départ la note minimale de dix sur vingt. À quoi bon organiser des examens ? Les méfaits intrinsèques de l’égalitarisme touchent tous les domaines.
Sans surprise, Clémentine Beauvais s’oppose au vote plural familial. En Espagne du Caudillo Franco et au Portugal du président Salazar, deux démocraties organiques imparfaites et incomplètes, les pères de famille disposaient d’un suffrage supplémentaire. A-t-elle pris connaissance de La famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel de Jean-Yves Le Naour avec Catherine Valenti (Hachette, 2005) ? La promotion du vote familial est très ancienne en France. Jusqu’en 2007, le programme du Front national de Jean-Marie Le Pen le proposait avec force et avec raison à la condition que s’applique dans son intégralité le droit du sang en matière de nationalité. Là encore, le « Menhir » anticipait les aspirations du prochain demi-siècle.
De manière plus pragmatique, l’extension aux moins de 18 ans du droit de vote serait un magnifique prétexte pour accorder ensuite ce même droit à tous les étrangers, y compris aux clandestins, voire aux touristes et aux passagers en transit sur le sol français. L’autrice ne cache d’ailleurs pas que l’actuelle universalité des bulletins de vote constitue un mensonge puisque « ce terme d’universel exclut aussi tout ce qui n’est pas humain ». Outre les animaux dont les insectes et les lombrics, il faut permettre aux plantes, aux rivières, à l’air et même à la planète de s’exprimer. Galéjade ? Nullement ! La Bolivie, l’Équateur, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, l’Union indienne reconnaissent déjà des droits juridiques inaliénables à des cours d’eau, à des forêts et à des glaciers. Pourquoi alors s’arrêter en si bon chemin ? Le domicile, la voiture, le lave-vaisselle, le téléviseur, le téléphone, l’ordinateur ou l’imprimante devraient eux aussi recevoir de nouveaux droits en attendant l’émancipation légale des cyborgs, des androïdes et des robots. Oui, la trottinette électrique du Bo-Bo métropolitain n’est plus un objet matériel, mais un sujet de droit extra-vivant !
L’extension du suffrage dit universel à de nouveaux groupes d’électeurs prouve son inutilité. Les élections ne sont qu’une diversion. Quand ils ne sont pas tronqués, truqués ou falsifiés, les résultats ne sont guère pris en compte. Les électeurs choisissent en faveur du changement qui ne se réalise pas dans le présent paradigme. Qu’importe donc que bébé vote, l’État profond s’en moque finalement !
La démocratie individualiste égalitaire moderne atteint ici ses limites conceptuelles. Le temps des tribus et des identités collectives qui s’affirme dorénavant sera plus communautaire et organique. Des pratiques pré-modernes fort bien décrites par Olivier Christin dans Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel (Le Seuil, 2014) attendent leur ré-introduction au sein d’Althing plus ou moins informels. L’isoloir n’entravera pas la circulation et le renouvellement nécessaire d’une aristocratie populaire impériale et républicaine, française et européenne.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 133, mise en ligne le 13 novembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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dimanche, 20 octobre 2024
Le dessein légionnaire
Le dessein légionnaire
par Georges Feltin-Tracol
Jeune trentenaire originaire des Alpes, Rodolphe Cart collabore à Éléments, à Front Populaire de Michel Onfray et à Omerta du journaliste - baroudeur Régis Le Sommier. Déjà auteur d’une courte biographie sur Georges Sorel et d’un pamphlet contre les identitaires regroupés autour de Daniel Conversano, il signe aux éditions Hétairie son premier essai, un ouvrage de combat percutant.
On lit sur la couverture Faire Légion. Pour un réveil des autochtones (2024, 180 p., 18 €), sous-titre qu’on ne retrouve pas en page intérieure, remplacé par un éclairant « Une jeunesse face au déclin ». Cet autre intitulé, plus explicite, indique que l’auteur s’adresse en priorité à sa génération et aux classes d’âge proche. Le ton y est énergique, enthousiaste et catégorique. Dans un monde sans valeur où tout s’équivaut, Rodolphe Cart pose les jalons théoriques d’un réveil souverainiste, conservateur, nationaliste et populaire. Ce sursaut nécessite cependant l’avènement d’un esprit martial, activiste et combattant qu’il nomme « légionnaire ».
Bien que rédacteur au magazine des idées qui soutient et valorise la civilisation européenne, Rodolphe Cart veut qu’à travers cette implication totale, ses compatriotes retrouvent une « France primitive » et se placent sous le patronage de « la déesse France ». L’auteur cite souvent Charles Péguy. Pourquoi n’emploie-t-il pas « Notre-Dame la France » plutôt que l’expression maurrassienne? Il s’agit pour lui d’assurer « la personnification du mythe de la nation – comme Jeanne d’Arc et même Marianne ont pu l’être. Dans l’ordre de l’Être, la déesse France est inférieure à l’homme car l’homme est une substance; mais dans l’ordre de l’Agir, de la morale et du politique, la nation est supérieure à l’homme comme le tout est supérieur à la partie ». Il ne cache pas ses intentions holistes, intentions hautement révolutionnaires par ces temps d’hyperindividualisme égotiste exacerbé.
Le réveil national français passe d’après lui par le mythe légionnaire, un « mythe nationaliste, et non européiste, racialiste ou occidentaliste », précise-t-il. Sa formation s’accompagne de « la valorisation conservatrice, prélibérale et nationaliste d’un nouvel ordre social ». À l’instar de Georges Sorel, principal théoricien du mythe mobilisateur de la « grève générale » (qui ne s’est jamais produite), l’auteur de Faire Légion considère que son « mythe légionnaire est […] un mythe vitaliste par ce souci de la fécondation et de la succession des générations, par la reconnaissance du devoir qu’a une communauté de persévérer dans son être propre, par la mise en place d’une politique visant à son indépendance vis-à-vis de toute ingérence extérieure ou de tentative de déstabilisation intérieure ».
Sachant que nous vivons au milieu des ruines, Rodolphe Cart souligne que son « mythe légionnaire défend dans un même mouvement la souveraineté et l’identité de la France ». Mais quelle identité ? Celle, revancharde conçue sous la IIIe République sur l’ethnocide des cultures vernaculaires dites régionales ou bien celle, bigarrée et chatoyante, qui s’est épanouie sur le substrat indo-européen et qui s’est déclinée en variantes locales, historiques et continentales au cours de l’histoire? L’interrogation se pose d’autant qu’il affirme que « l’État prime sur les classes et sur les races ». L’État légionnaire – allusion subtile à la Garde de Fer roumaine de Corneliu Codreanu ? – a la vocation de « refaire un peuple ». Ainsi assène-t-il avec raison et conviction que « tout ce qui est social est national ».
Rodolphe Cart veut donc la France seule. S’il exclut ouvertement tout projet alter-européen, son point de vue se confine toutefois au seul cadre hexagonal. Pourquoi n’évoque-t-il pas la dimension planétaire de la France ? Que pense-t-il des territoires d’outre-mer ? Souhaite-t-il accorder l’indépendance à ces ultimes vestiges de l’ancien empire colonial ou les envisage-t-il en pivots régionaux d’une puissance française rénovée ? Par ailleurs, Rodolphe Cart est en train de sortir une enquête sur l’emprise dangereuse des néo-conservateurs bellicistes en France. Par-delà la francophonie, facteur commode d’immigration de peuplement, ses travaux prendraient une plus grande densité en incitant à la renaissance impérieuse de la francité. Un État légionnaire français pourrait-il vraiment ignorer le destin héroïque et menacé de ces peuples issus de l’ethnie celtique – franque - normande installés en Amérique du Nord (les Québécois, les Acadiens, les « Bois Brûlés » du Grand Ouest) ?
Avec la fougue propre à la jeunesse, Rodolphe Cart part à l’assaut de ce « monde vétuste et sans joie ». Au lieu de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, il n’a pas hésité à être le suppléant de Mélody de Witte, la candidate du Rassemblement national (RN) dans la deuxième circonscription de Paris, fief ingagnable pour l’Opposition nationale, lors des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024. Son engagement électoral lui a valu en retour un article fielleux et outrancier de la part d’une plumitive de CaniveauPress (ô pardon – StreetPress !), un bidule gauchiste subventionné, expert dans la délation en ligne sous prétexte de pourchasser un fascisme imaginaire. Toujours en quête de dédiabolisation, les caciques du RN risqueraient de ne point apprécier Faire Légion, trop radical à leurs petits yeux fragiles. Peu lui chaut !
Rodolphe Cart apporte des solutions toniques. Il doit maintenant les approfondir, les améliorer et les affiner, surtout s’il ne veut pas que son nationalisme légionnaire finisse dans une impasse conceptuelle. Qu’il fasse donc sa mutation métapolitique ! Promouvoir l’esprit légionnaire, d’accord, mais au sein de la forteresse Europe !
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 129, mise en ligne le 15 octobre 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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lundi, 14 octobre 2024
"Si Moscou gagne en Ukraine, l'Europe renaît". La théorie du Français Todd qui effraie les larbins européens
"Si Moscou gagne en Ukraine, l'Europe renaît". La théorie du Français Todd qui effraie les larbins européens
Augusto Grandi
Source: https://electomagazine.it/se-mosca-vince-in-ucraina-leuro...
Les Français, toujours les Français. A rebours de la célèbre référence transalpine aux Italiens, toujours les Italiens, il est inévitable de se résigner à l'idée qu'au moins dans l'Hexagone une once d'espace est encore accordée à la liberté de pensée. Annulée dans la quasi-totalité de l'Europe démocratique et tolérante, elle survit encore dans l'édition française. Ainsi Emmanuel Todd a écrit et publié chez Gallimard un livre - La défaite de l'Occident - dans lequel il affirme que si l'Ukraine perd la guerre contre la Russie, ce n'est pas seulement Moscou qui gagnera, mais surtout toute l'Europe.
Le livre a été traduit en Italie par Fazi sous le même titre. Il a immédiatement déclenché une controverse, qui s'est rapidement apaisée car, pour le politiquement correct italien, il est préférable de fermer les yeux sur tout ce qui dérange. Tout d'abord en matière de politique étrangère. Car Todd affirme que la défaite de la bande à Zelensky, au service des intérêts de Washington, permettra à l'Europe de se défaire du joug américain et de construire réellement une unité politique et culturelle européenne indépendante.
Une prédiction peut-être trop optimiste quant aux capacités et au désir de liberté des Européens. Ce qui a valu à Todd l'inévitable accusation d'être pro-Poutine. Toutefois, il convient de rappeler que l'historien et anthropologue avait écrit un essai en 1976 dans lequel il indiquait le calendrier et les modalités de l'effondrement de l'URSS qui devait survenir 13 ans plus tard. Aujourd'hui, Todd souligne que les sanctions contre Moscou ont beaucoup plus pénalisé l'Europe, alors que la Russie est paradoxalement devenue plus forte. Mais Moscou a aussi des limites, à commencer par sa dénatalité, qui rendent absurdes les craintes d'expansion vers l'ouest. Mais les craintes induites servent à maintenir la soumission à Washington.
Or, si les analyses géopolitiques agacent la droite fluide italienne et l'opposition pro-US, la partie du livre consacrée au changement de la société européenne agace surtout la gauche intello. Le renoncement au sacré, le triomphe du nihilisme, la folie transgenre. Autant d'aspects qui valent à Todd l'hostilité des grands journaux français qui, comme leurs homologues italiens, continuent de perdre des lecteurs.
En théorie, Todd pourrait être adopté par la culture de la droite fluide italienne. Après tout, il se déclare antifasciste et donc parfaitement aligné sur le nouveau cours. Mais en France, il est publié par Gallimard qui, parmi l'infinité d'auteurs sous contrat, avait aussi Céline dont il réédite les textes. Une présence trop inconfortable pour les abjurateurs sans dignité à la queue basse.
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dimanche, 13 octobre 2024
Sur le Bestiaire de Rome d'Alfredo Cattabiani
Sur le Bestiaire de Rome d'Alfredo Cattabiani
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/sul-bestiario-di-roma-di-alfredo-cattabiani-giovanni-sessa/
Alfredo Cattabiani, décédé en 2003, était un intellectuel de grande valeur, trop vite oublié par le milieu culturel auquel il appartenait. À travers ses œuvres et, surtout, sous la direction de maisons d'édition comme Dell'Albero, Borla et Rusconi (dont le catalogue a d'ailleurs été réédité par la suite par Adelphi de Calasso), Cattabiani a exercé une pédagogie obstinément traditionnelle. Un de ses livres d'une valeur incontestable, Bestiario di Roma (Bestiaire de Rome), publié par Iduna (sur commande: associazione.iduna@gmail.com, pp. 392, euro 25.00), est récemment paru en librairie. Dans ces pages, très denses en termes de contenu, l'auteur introduit le lecteur à la compréhension du sens profond de Rome et de sa mission. Il le fait en décodant et en clarifiant le sens du bestiaire symbolique que les visiteurs de la Ville éternelle ne peuvent manquer de remarquer dans les frises des palais nobles, dans les temples antiques qui ont survécu ou sur les façades des églises de la Renaissance et du Baroque : « Un bestiaire luxuriant sculpté ou peint peuple le sous-sol et les rues de cette ville à la beauté opulente [...] un labyrinthe babylonien dans le temps » (p. 7). Le volume est enrichi d'un remarquable appareil d'illustrations et de photographies qui facilitent la compréhension du récit.
L'extraordinaire patrimoine de la Sagesse traditionnelle est gardé par les effigies animales du bestiaire sacré: pour l'élucider, l'auteur guide le lecteur à travers une exégèse érudite des mythes et des légendes, captivante et engageante sur le plan de la narration. La plume de Cattabiani est légère et rend immédiatement intelligibles, même pour le néophyte, des questions symboliques et théologiques complexes. Pour s'introduire astucieusement dans l'univers idéal de la Tradition, il faut partir d'un postulat général : le cosmos est théophanie. Chaque chose, entité ou animal est un symbole, l'incarnation d'une potestas divine : « Chaque animal [...] a évoqué à l'imagination humaine des vices et des vertus, des états psychologiques et spirituels, des dieux et des démons » (p. 7), dans une polysémie de significations qui, dans l'histoire de Rome, a connu des stratifications successives.
Dans la Ville éternelle, en termes urbains, architecturaux et picturaux, la religiosité classique antique est flanquée de basiliques chrétiennes. Ce qui saute aux yeux dès que l'on pénètre dans le « labyrinthe » Rome-Amor, c'est la glorification du cosmos et de ses énergies. Le serpent, par exemple, est un animal qui a progressivement pris la valeur d'une icône céleste et d'une présence ténébreuse, faisant finalement allusion à la vie qui renaît à chaque printemps. C'est pourquoi Cattabiani, dans son analyse du bestiaire romain, utilise la méthode comparative qui, de temps en temps, remet en question le mythe, la théologie et les contingences historiques. Il consacre également un chapitre très intéressant à l'héraldique, car « les armoiries nobles se réfèrent à un code emblématique qui ne correspond que partiellement à celui des anciens bestiaires » (p. 8). L'exégèse des abeilles des Barberini ainsi que celle des dragons et des aigles des Borghèse est particulièrement intéressante.
L'idée de beauté, entendue au sens traditionnel, échappe à la réduction à laquelle les nouveaux philistins l'ont condamnée : elle est la substance de la vie, en ce sens que « l'harmonie ne peut susciter autour d'elle d'autres harmonies, même sociales » (p. 9). La beauté a un caractère éducatif, c'est un paradigme civil. L'incipit du volume porte en son centre le symbole par excellence de la romanité, la Louve.
Abordant les mythes fondateurs de l'Urbe, Cattabiani montre que le loup est l'animal totémique de Rome : « Les Étrusques vénéraient en effet un dieu des enfers représenté avec une tête de loup » (p. 14), dont les traits s'apparentent à Soranus, en l'honneur duquel des rites de purification se déroulaient sur le mont Soratte. Ces puissances divines, comme le précise Kerényi, avaient également des traits uraniques, étant représentées comme des types divins syntoniques de l'Apollon grec, avec arc et bouc à la main. Les Luperci étaient aussi ceux qui, lors du passage de l'hiver au printemps, célébraient un rituel symbolisant la refondation de la vie cosmique et sociale. Le Palatin, dans l'Antiquité, était appelé Ruma, le sein qui infuse la vie, dans une optique de géographie sacrée très évidente. Les mêmes noms, Romulus et Remus, renvoient étymologiquement à Ruma, la mamelle de la louve. L'appartenance à Dionysos et Apollon est encore confirmée par le fait que le figuier ruminal, sous lequel le panier des jumeaux s'est échoué le long du Tibre, était consacré au dieu de l'enthousiasme. À Rome, d'ailleurs, les lupe étaient appelées les prostituées sacrées, incarnant la force de reconnexion de l'éros.
Parmi les nombreux animaux du Bestiaire de Rome, arrêtons-nous aussi brièvement sur le papillon. Platon, dans le Phèdre, soutenait que ce gracieux insecte faisait allusion aux ailes de l'âme qui, en vertu du processus anamnestique, aspirait à se réunir avec les réalités idéales. Ainsi, « Psyché, conservée au musée du Capitole, [...] est une figure féminine avec des ailes de papillon » (p. 110). Psyché-papillon vit en intimité avec la force céleste, aimée par le divin et tendue anagogiquement dans un iter qui l'élève au Bien-Belle. Dante, dans la Commedia, est conscient de ce contexte lorsqu'il écrit : « Vous ne vous rendez pas compte que nous sommes des vers/ Nés pour former le papillon angélique/ Qui vole vers la justice sans écran ?
Le Bestiaire de Rome est le gardien de l'héritage spirituel et intellectuel de la Tradition. Aujourd'hui, il n'est pas visible en raison de la pauvreté du temps présent, mais il est toujours en vigueur dans le temps. Cattabiani invite le lecteur à le réactualiser. Un héritage essentiel, à prendre au sérieux.
17:47 Publié dans archéologie, art, Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alfredo cattabiani, rome, rome antique, bestiaire, livre, antiquité romaine, traditions | |
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jeudi, 03 octobre 2024
Antony Loewenstein et le laboratoire palestinien
Antony Loewenstein et le laboratoire palestinien
par Nico Maccentelli
Recension: Antony Loewenstein: Laboratoire Palestine, Fazi Editore, 2024, p. 336, 20,00 €. Comment Israël exporte la technologie d’occupation dans le monde
Deux premières remarques. La première : aujourd’hui plus qu’hier, quiconque critique Israël de quelque manière que ce soit sera accusé d’antisémitisme. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité concernant la majorité de ceux, individus, mouvements ou organisations qui soutiennent la Résistance palestinienne et le droit du peuple palestinien à avoir sa propre terre. D'autant plus que les Palestiniens sont des Sémites, donc l'accusation est non seulement fausse mais aussi insensée, si l'on ne savait pas que celui qui la fait est de parfaite mauvaise foi. Si la hasbara, c'est-à-dire ce réseau bien organisé par le sionisme pour discréditer et salir ces réalités qui se montrent solidaires avec le peuple palestinien, réseau qui se ramifie dans chaque parti institutionnel, dans chaque rédaction médiatique, bref partout où l'information et la politique sont présentes est si puissant qu’il y a une raison.
Et nous passons ici à la deuxième remarque : la raison réside dans le fait que sans Israël, l’Occident collectif, c’est-à-dire cette partie du monde dominée par l’unipolarité atlantiste dominée par les États-Unis, aurait de sérieuses difficultés à résister face à l’avancée de cette autre partie du monde qui s'affirme au niveau économique et géopolitique et, avec les conflits en cours, également au niveau militaire. La question palestinienne n’est pas quelque chose en soi mais fait partie de cette guerre mondiale fragmentée, pour paraphraser le Pape, qui risque chaque jour de devenir mondiale et nucléaire. C’est pourquoi, au-delà des appels verbeux et hypocrites de cet Occident à une trêve en Palestine et au Liban, la puissance militaire de ce chien de garde qui ne connaît ni limites ni règles est véritablement utile.
Cela dit, je peux maintenant commencer à parler de ce livre fondamental pour ceux qui veulent non seulement comprendre ce qu'est devenu Israël au cours de toutes ces décennies, mais aussi la forte corrélation avec le militarisme belligérant occidental et ses technologies de guerre, ainsi que le contrôle et la surveillance des populations comme fonction de prévention contre-révolutionnaire.
Gideon Levy, journaliste et plus grand opposant à la politique d'apartheid des gouvernements sionistes d'extrême droite qui gèrent son propre pays, écrit à propos de ce travail dans Haaretz (et que nous avons en commentaire au dos de la couverture) :
« Un livre admirable, documenté et fondé sur des preuves sur l’aspect moins connu de l’occupation. Il dresse le portrait d’Israël, l’un des dix plus grands exportateurs d’armes au monde, qui fait le commerce de la mort et de la souffrance et les vend à tous ceux qui veulent les acheter ». Voici les spécifications du livre et une brève explication donnée par la maison d'édition.
La préface est de Moni Ovadia, dans laquelle il observe :
« Aujourd’hui, l’œuvre d’Antony Loewenstein (…) éclaire un aspect consubstantiel parallèle de la pratique sioniste : le rejet des grandes valeurs éthiques, spirituelles et universalistes du judaïsme, pour emprunter la voie idolâtre de la force, de l’arrogance, d’un nationalisme fanatique, de l’idolâtrie de la terre. Et il définit le sionisme : « … un projet colonialiste doté d’une structure ethno-nationaliste qui a toujours visé à effacer l’identité palestinienne ».
Et pour en revenir à la première prémisse de mon analyse, ceux qui luttent pour le peuple palestinien savent parfaitement qu’il existe des associations juives et des intellectuels juifs dans le monde qui s’opposent de diverses manières au sionisme raciste des classes dirigeantes israéliennes extrémistes. Et cela nous amène à commencer par encadrer l’auteur, qui appartient certainement à cette opposition juive.
Antony Loewenstein est un juif qui a grandi à Melbourne, en Australie, « … où le soutien à Israël, écrit-il, sans être une religion imposée, était tenu pour acquis » (1). Ses grands-parents étaient arrivés en Australie fuyant l'Allemagne nazie et l'Autriche en 1939.
Il a pris conscience de ce qu'était Israël en se rendant en Palestine. Et ses recherches ont pris forme avec une analyse et une richesse de détails sur la machine de guerre et technologique, les armes et les dispositifs répressifs de l’entité sioniste. Il raconte d’abord son histoire, à partir de l’idéologie sioniste qu’il ne faut pas confondre avec le judaïsme, même si la première falsifie la seconde de manière instrumentale. C'est le père du sionisme lui-même, Théodore Hertzl, évoqué par Loewenstein, qui donne l'explication la plus exhaustive de la fonction politique d'Israël : "... il écrivait dans L'État juif, son influent pamphlet de 1896: "Là-bas [en Palestine ] nous serons un secteur du mur de l'Europe contre l'Asie, nous agirons comme un avant-poste de la civilisation contre la barbarie" (2).
Ne vous souvenez-vous peut-être pas, 130 ans plus tard, de la définition donnée par Borrell du "jardin européen", de la "jungle" et de tout le reste ? La logique est la même et c’est précisément le suprématisme dont se nourrissent les élites dominantes en Occident et qui explique en partie ma deuxième prémisse sur le plan idéologique.
La technologie militaire israélienne a soutenu et continue de soutenir les pires régimes totalitaires avec la vente d'armes et d'instructeurs militaires: le Guatemala de Rios Montt, le Salvador, la Colombie, l'Haïti du Doc père et fils, la Birmanie des militaires, le Paraguay (qui avait refusé à Mengele le statut de réfugié ! pecunia non olet), le Chili de Pinochet, le Nicaragua de Somoza et d'autres, la liste est longue, à tel point que Loewenstein écrit : « Le « Sud global » a été contrôlé et pacifié avec (principalement) les armes israéliennes et américaines. Ni l’antisémitisme ni l’extrémisme n’ont empêché la collaboration avec des États qui pillent les ressources ou les personnes. Des décennies après sa création, ce système de collusion existe toujours et fonctionne sans problème. Rien n’a jamais sérieusement entravé le développement, ni pendant la guerre froide ni dans le contexte post-11 septembre 2001» (3).
Loewenstein écrit : « Clairement, Israël souhaitait être un complice des objectifs de domination de Washington en Amérique centrale dans les années 1980. Un ministre israélien de l’Économie, Yaakov Meridor, a déclaré au début de la décennie qu’Israël voulait servir de mandataire pour les intérêts américains là où la superpuissance mondiale ne pouvait pas ou était réticente à vendre des armes directement. «Nous dirons aux Américains : ne nous faites pas concurrence dans les Caraïbes ou dans d'autres endroits où vous ne pouvez pas vendre directement des armes. Faisons-le. […] Israël sera votre intermédiaire (4).
L'activité de recherche et de production concerne les armes au sens classique, de plus en plus sophistiquées, mais aussi la cybersécurité et toutes ces techniques de contrôle social et de contrôle des personnes. Je laisse la copieuse documentation de ce travail aux lecteurs. Je me limite à formuler quelques considérations qui ne peuvent être négligées ou sous-estimées par ceux qui entendent contrer la guerre interne et externe que mènent les États-Unis, l’UE, l’OTAN et Israël dans les différents quadrants et à l’intérieur.
Israël se vante dans le domaine publicitaire actuel de l'efficacité de ses produits, les ayant testés sur les champs de bataille, comme le prétend David Ivri, qui fut directeur général du ministère israélien de la Défense (5). Cet aspect n'est pas secondaire : les meilleures promotions de la guerre israélienne et des cybertechnologies sont le résultat d'expérimentations sur le terrain, sur les populations, les gens en général, dans une sorte de mengelisme à des fins de profit et de soutien à la domination occidentale.
La première considération réside dans la « surveillance de masse israélienne », c'est-à-dire dans le traitement du peuple palestinien en Cisjordanie en particulier et avec une certaine attitude scientifique propre aux laboratoires. En fait, la fragmentation du territoire qui, selon les résolutions de l'ONU, devrait relever de la responsabilité de l'Autorité palestinienne, est non seulement au service d'une colonisation imparable par la colonisation, mais est également fonctionnelle à l'expérimentation et à l'application de technologies de contrôle et de surveillance, dont beaucoup ont besoin, notamment en mode doux et beaucoup moins invasif. On se retrouve aussi sur nos propres territoires. La colonisation, le contrôle sur place et l’exportation de méthodologies, d’applications cyber, d’appareils de toutes sortes intégrés ensemble respirent le sang et la souffrance palestiniennes.
La cyber « sécurité » israélienne, dont Pegasus du groupe NSO, société de cybersurveillance, est emblématique de la façon dont les entreprises israéliennes de haute technologie sont à la base à la fois de la surveillance en Palestine, de l'apartheid qui y sévit, mais aussi de l'exportation de ces technologies vers d'autres États alliés, de contrôle à des fins d'espionnage et de terrorisme, comme l'a montré l'attaque contre des appareils de radiomessagerie au Liban à la mi-septembre. Un État voyou comme Israël, qui méprise toutes les résolutions de l'ONU, qui commet des massacres aveugles de civils, de Gaza au sud du Liban, a entre les mains et collabore dans ce domaine avec les États-Unis, avec le MOSSAD et la CIA ensemble (6), a le pouvoir de influencer les politiques, par exemple, des États africains qui achètent des systèmes de surveillance israéliens et assurent en échange leur vote à l’ONU (7).
Lowenstein écrit (8) : « Le lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden, qualifie NSO et d’autres sociétés similaires d’« industrie de l’insécurité ». Je descends beaucoup plus loin dans le livre :
«Le téléphone entre vos mains existe dans un état d'insécurité perpétuelle, ouvert à l'infection par quiconque souhaite investir dans cette nouvelle «industrie de l'insécurité». Son activité consiste à inventer de nouveaux types d'infections capables de contourner les derniers vaccins numériques – également connus sous le nom de mises à jour de sécurité – puis à les vendre à des pays qui occupent l'intersection brûlante d'un diagramme de Venn entre « veut désespérément les outils d'oppression » et « Il lui manque totalement la capacité avancée nécessaire pour les produire en interne. » Une industrie comme celle-ci, dont le seul objectif est de produire de la vulnérabilité, devrait être démantelée ».
Et en fait, Pegasus, écrit Lowenstein, se retrouve également dans l'entrelacement entre l'État mexicain et les organisations criminelles, comme ce fut le cas de Griselda Triana (photo), journaliste, militante des droits de l'homme et épouse de Javier Valdes Cardenas, assassinée par le cartel de Sinaloa pour les activités qu'elle menait au bénéfice de son hebdomadaire qui enquêtait sur la corruption et la criminalité liée au trafic de drogue (9). Après la mort de son mari, Triana a été espionnée via Pegasus et l'État mexicain n'a jamais voulu donner d'explications sur les raisons pour lesquelles cette attention était dirigée vers une personne qui n'était certainement pas dangereuse pour les autorités mexicaines. Ou peut-être que oui…
Au chapitre 7, on peut lire: « Les sociétés de médias sociaux n'aiment pas les Palestiniens », il devient clair comment Meta (Facebook, etc.) censure tout ce qui vient de Palestine et qui critique Israël, la collaboration entre les géants sociaux et Unity émerge "Cyber Sioniste", qui a carte blanche de la Cour suprême israélienne pour opérer en coulisses et entretenir des relations secrètes avec des sociétés comme Meta (10). L'excuse « pour prévenir des actes de violence » semble plutôt ironique, si l'on considère la disproportion en termes de violence entre un État génocidaire habitué au nettoyage ethnique et la résistance existentielle d'un peuple. Ainsi, non seulement les États sous domination américaine, mais aussi les multinationales des différents secteurs (en l’occurrence les technologies de communication) coopèrent activement avec Israël, conformément à l’objectif énoncé dans ma deuxième prémisse.
Nous savons très bien comment la censure sur Facebook opère systématiquement sur nos comptes aussi. Sur cette question, je n'ai pas pu expliquer à un "camarade", exerçant entre autres un métier lié à la communication (illustrateur, mais c'est tout...), qui infestait mon tableau d'affichage et prétendait que si je ne veux pas être censuré il suffit juste que je n'utilise pas Facebook (sic !), que le fait de censurer et de filtrer les informations de millions de personnes en faisant passer les critiques pour de fausses nouvelles, signifie que de grands particuliers, au nom de gouvernements impérialistes, contrôlent l'opinion publique mondiale. À ce stade, une certaine inconscience s'est généralisée.
Mais nous pouvons dire avec une certaine raison, documentée par Loewenstein, que l'appareil scientifique et de recherche (ceux qui voient la collaboration de nos universités avec celles d'Israël), militaire et industriel font partie d'un réseau énorme et ramifié de contrôle et gestion dans le monde de tous les domaines sur lesquels s'appuie la superstructure du pouvoir de l'impérialisme : des technologies de guerre à la production d'armes, en passant par la production de systèmes de surveillance et d'espionnage, jusqu'aux communications et au contrôle sélectif des réseaux, en une sorte de tout-englobant de l’opinion publique occidentale.
Et nous arrivons ici à la dernière question, qui donne le sous-titre de ce livre: "Comment Israël exporte la technologie de l’occupation dans le monde entier". Je ne m'étendrai pas sur la partie qui concerne le contrôle et la surveillance sionistes du peuple palestinien: des tourniquets à la biométrie, des bases de données aux activités d'espionnage électronique, à la sélectivité discriminatoire sur des millions de citoyens qui doivent chaque jour franchir des points de contrôle israéliens pour aller travailler ou se rendre à hôpital, avec des restrictions de déplacement dans la zone. Un cauchemar. À tel point qu’Ovadia lui-même, toujours dans sa préface, encadre cet aspect bien documenté par Loewenstein :
« Les gouvernements sionistes choisissent la culture des armes les plus destructrices, des technologies militaires et d’espionnage les plus sophistiquées testées dans le laboratoire palestinien pour dominer, opprimer et terroriser les peuples les plus seuls du monde et exterminer des milliers de femmes et d’enfants… ».
Je veux juste observer comment ces technologies s’étendent également sur nos territoires. La période pandémique a bien démontré qu’elle constitue un terrain d’expérimentation pour le contrôle et la surveillance de toute une population. L'Italie était peut-être le laboratoire le plus avancé de ces techniques.
Les récompenses et la discrimination, même simplement pour vérifier la valeur d'une copropriété ou du recyclage, ne sont qu'un petit avant-goût du potentiel que le système de pouvoir capitaliste et son appareil peuvent mettre en œuvre quand et comment ils le souhaitent, au-delà de toute imagination dystopique. La plupart de ces méthodologies et technologies portent le symbole de l’étoile de David et ont été testées sur la peau du peuple palestinien.
Par exemple, certains peuvent voir comme un programme vertueux tel l'agenda 2030 « pour le développement durable » mis en place par l'ONU (11), au même titre que la ville d'un quart d'heure. Mais si nous y regardons attentivement, le 1984 d’Orwell approche à grands pas. Les limitations de déplacement dans l’espace urbain, les actions obligatoires à accomplir dans la vie quotidienne sont la dernière frontière d’un capitalisme qui nous réduit à des Palestiniens qui n’ont qu’à travailler, consommer et mourir.
L'essai de Loewenstein ajoute un élément important en nous donnant une image de cette projection autoritaire mondiale, car l'élément sioniste fait partie intégrante et essentielle de toutes les pratiques totalitaires que l'Occident (et pas seulement) met en œuvre pour contrer l'autre partie du monde. , celui des 80% qui s’affirme avec le multipolarisme. Mais les risques ne se limitent pas à l’Occident unipolaire : chaque classe dirigeante, même au nom de nobles idéaux collectivistes, cache une volonté de dominer la population au niveau de la technologie la plus neutre. Et cela peut se produire aussi longtemps qu’il y aura des classes au pouvoir (qu’elles soient composées de grands particuliers, ou de bureaucraties d’État, ou un mélange de ceux-ci) et des classes subordonnées dans le système mondial de reproduction sociale capitaliste.
REMARQUES :
- (1) Laboratoire Palestine, page. 7
- (2) Page Ibidem. 44
- (3) Page Ibidem. 43
- (4) Page Ibidem. 54
- (5) Page Ibidem. 40
- (6) Page Ibidem. 185
- (7) Page Ibidem. 186
- (8) Page Ibidem. 187
- (9) Page Ibidem. 184
- (10) Ibidem, page 234
- (11) Ici et ici .
En outre:
Pour en savoir plus sur l'Agenda 2030, deux contributions d'Enzo Pennetta, professeur de sciences naturelles :
https://www.youtube.com/watch?v=LL3e6vHbLxI
https://www.youtube.com/watch?v=eSD3tc5UGyc
Voici enfin une analyse de Manlio Dinucci sur la stratégie terroriste israélienne, où l'abondante documentation de Loewenstein trouve une confirmation à partir de l'épisode précédemment évoqué de l'attaque contre le Hezbollah à l'aide de téléavertisseurs sabotés à l'explosif : des années de préparation (donc rien de neuf dans l'escalade actuelle, mais beaucoup de pratiques avec la vocation terroriste de l'entité sioniste), avec des technologies sophistiquées, avec le recours à des sociétés fictives créées spécifiquement à cet effet et à des hommes de paille, avec un travail des services de renseignement dont on a du mal à croire qu'il se limite au seul Mossad.
(J'apprends en ce moment où je prépare la publication de cet article, l'assassinat de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, en compagnie de divers commandants de la résistance libanaise, lors d'une réunion au quartier général suite à une attaque terroriste par Israël qui, sans même le dire, viole une fois de plus toutes les règles internationalement reconnues.)
Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, a qualifié d'« inhumaine » l'attaque israélienne contre le Liban à l'aide d'engins explosifs mobiles et a demandé une enquête. Il a également déclaré que « les États-Unis étaient au courant des préparatifs d'Israël en vue d'une attaque à l'engin explosif mobile au Liban » (source : Antidiplomatic).
Israël, avec son gouvernement de terroristes meurtriers et génocidaires, et avec le plein soutien des États-Unis et de ses ignobles vassaux, y compris le protectorat que nous sommes, comment le définir, le bantoustan italien, nous entraîne tout droit dans la troisième guerre mondiale.
Source: https://www.sinistrainrete.info/estero/28969-nico-maccentelli-laboratorio-palestina.html
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lundi, 09 septembre 2024
Anthony Burgess: les prophéties de 1985
Anthony Burgess: les prophéties de 1985
par Michele Fabbri
Source: https://www.centrostudilaruna.it/le-profezie-di-1985.html
Bev Jones, professeur d'histoire, vit dans le Londres de 1985, une ville largement islamisée: Elizabeth II a abdiqué et Charles III règne, mais les pays arabes font chanter l'Angleterre en lui fournissant du pétrole et prennent le contrôle du pays. Des troupes algériennes francophones occupent les îles britanniques de la Manche où elles instaurent une théocratie musulmane, tandis que les cheikhs prennent des mineures anglaises comme concubines.
Les syndicats sont tout-puissants et, par leurs grèves tous azimuts, paralysent la vie sociale et économique anglaise au point que les patients d'un hôpital meurent dans un incendie à cause d'une grève des pompiers. Tous les travailleurs sont encadrés par des syndicats au pouvoir immense, les patrons privés disparaissent et la quasi-totalité des entreprises sont publiques.
Le gouvernement élabore une « néo-langue » appelée « anglais des travailleurs » (Workers' English), une langue extrêmement simplifiée qui reflète l'aplatissement de la pensée, et les villes sont couvertes d'affiches représentant « Bill le travailleur » (une figure qui rappelle Stakhanov).
Bev a une fille de 13 ans souffrant d'un certain retard mental, qui passe son temps à regarder la télévision et à se masturber : la jeune fille se faufile nue dans le lit de son père, qui lui explique que les relations sexuelles incestueuses sont malsaines ! Bev décide de changer de métier et de travailler comme ouvrière dans une chocolaterie car elle ne veut pas enseigner dans l'école idéologisée du régime.
Les villes sont infestées de gangs de voyous mineurs et les violences sexuelles pédérastiques sont monnaie courante. Certains opposants au régime se réunissent en secret et tentent de diffuser des informations alternatives, mais les dissidents sont enfermés dans des asiles. La population anglaise, plus réceptive, est divisée entre ceux qui tentent des initiatives pour s'opposer au système et ceux qui sont fascinés par la force morale de l'Islam face à un Occident plongé dans un état de dégénérescence irrémédiable.
Une grande mosquée est construite à Londres, qui est également présentée comme un temple œcuménique. Les ouvriers se mettent en grève et la police les disperse, tandis que des briseurs de grève arabes sont utilisés pour poursuivre les travaux. Certains grévistes prennent d'assaut les quartiers islamiques et sont accusés de racisme...
Quel sera l'avenir de l'Angleterre ?
Tels sont, en résumé, les ingrédients de 1985, un récit dystopique d'Anthony Burgess, le brillant auteur d'Orange mécanique. Le livre 1985 a été publié en 1978 et son titre rappelle évidemment le 1984 d'Orwell (le livre a été traduit en italien sous le titre de 1984 - 1985 en 1979 et sous le titre de 1984-85 en français, chez Robert Laffont).
Dans 1985, Burgess entendait se confronter idéalement au maître de la dystopie. 1985 est divisé en deux parties: l'une contient le récit politique fictif de l'Angleterre du futur et l'autre contient de courts essais et des réflexions sur l'œuvre d'Orwell et des hypothèses sur les changements sociaux et politiques à venir.
Burgess imagine un contrôle de plus en plus capillaire de la vie des citoyens (il raconte lui-même que la CIA a mis son téléphone sur écoute pendant son séjour à Rome) et note également que l'Utopie de Thomas More contenait déjà les germes d'un contrôle social.
Un chapitre de 1985 est consacré au recensement britannique de 1971: un moment important dans l'histoire du Royaume-Uni parce qu'il représentait la première intrusion de l'État dans la vie privée de tous les citoyens, avec des amendes pour ceux qui ne répondaient pas aux questions.
Burgess a également prédit que les termes considérés comme racistes ou homophobes seraient interdits par la loi à l'avenir. Ces termes étaient déjà considérés comme tabous à l'époque où notre auteur écrivait, et il convient de noter que le terme « homophobie », chef-d'œuvre du néo-langage politiquement correct entré dans les mœurs au début du 21ème siècle, n'était pas encore utilisé à l'époque.
D'ailleurs, dès 1962, dans son roman The Wanting Seed (en français: La folle semence), Burgess préfigurait une société gouvernée par les homosexuels dans laquelle les hétérosexuels étaient soumis à des contrôles et des limitations stricts... Le thème de l'homosexualité commençait à émerger dans les années 1960 et Burgess a eu l'occasion d'observer les premiers signes de ce nouveau phénomène social qui prend aujourd'hui l'ampleur d'un événement messianique ! Par ailleurs, les pages sarcastiques consacrées aux tentatives grotesques de féminisation du langage ne manquent pas: des exemples que l'auteur anglais prévoyait dans les années 70 et qui trouvent aujourd'hui leur place même au niveau institutionnel...
Selon Burgess, l'avenir verra l'élimination des liens sentimentaux et familiaux, la perte du droit au choix moral et le triomphe de la « logocratie », c'est-à-dire la capacité d'exprimer des concepts contradictoires en les acceptant tous les deux (le biplanning d'Orwell). On trouve ensuite des observations sur le roman Nous de Zamjatin, considéré comme l'antécédent le plus direct de 1984, ainsi que des réflexions sur l'influence de la pensée anarchiste et des théories de Pavlov et Skinner en ce qui concerne l'application sociale des réflexes conditionnés.
On peut se demander dans quelle mesure les prophéties de 1985 étaient justes. Les événements se déroulent dans un cadre temporel très étroit: le livre est publié en 1978 et imagine des événements qui se déroulent quelque sept ans plus tard, mais il faut considérer que l'année choisie comme titre du livre était une référence intentionnelle au roman d'Orwell. Burgess était un conservateur anglais et à l'époque où il écrivait, il était frappé par le pouvoir des syndicats qui, dans les années 1970, avaient une capacité remarquable à mobiliser les travailleurs.
En réalité, les syndicats allaient bientôt s'engager dans une épreuve de force contre Margaret Thatcher dont ils sortiraient désespérément vaincus. De plus, nous sommes encore en pleine guerre froide et la crainte de la diffusion des idées collectivistes est persistante à l'Ouest. Burgess a néanmoins réussi à identifier la question de l'immigration comme le pilier du débat politique des temps à venir.
Comme nous l'avons dit, notre auteur imagine même des affrontements entre les grévistes britanniques et les magnats musulmans qui ont commandé les travaux de la mosquée. En réalité, les choses ne se sont pas déroulées exactement de cette manière.
L'opinion publique s'est laissée hypnotiser par la propagande antiraciste, qui s'est révélée être un excellent anesthésiant pour faire oublier les droits sociaux. Le néolibéralisme s'est servi précisément de l'antiracisme pour attaquer les droits des travailleurs, souvent avec leur consentement enthousiaste. Comme toujours, la littérature dystopique alterne les anticipations surprenantes de l'avenir et les bévues retentissantes... Après tout, les événements des dernières décennies ont été si absurdes qu'ils dépassent les efforts d'imagination les plus vifs !
Le titre qui conclut l'essai de 1985 est révélateur : « La mort de l'amour ». Et, pourrait-on ajouter aujourd'hui, « Le triomphe de la haine », puisque la morale de la rancœur et de la vengeance qui anime les idéologies progressistes est désormais devenue normative.
Anthony Burgess, 1985, Serpent's Tail, p.219 1985 - Serpent's Tail (serpentstail.com)
Anthony Burgess, 1984 & 1985, Editoriale nuova, 1979, p.355
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lundi, 02 septembre 2024
Ne pas comprendre la Chine et la Russie: le vrai risque pour la paix
Ne pas comprendre la Chine et la Russie: le vrai risque pour la paix
Carlo Formenti
Source: Avanti.it - https://avanti.it/non-capire-cina-e-russia-ecco-il-vero-rischio-per-la-pace/
La lecture de The Avoidable War (en Italie: US-China. Una guerra che dobbiamo evitare, éditions Rizzoli) de l'ancien Premier ministre australien Kevin Rudd est un exercice utile pour ceux qui veulent comprendre dans quel sac la civilisation occidentale est en train de se fourrer, dans une tentative désespérée de préserver son hégémonie face aux défis que lui lancent des alternatives stratégiques de plus en plus déterminées. C'est d'autant plus vrai que Rudd est un analyste géopolitique, qui est tout sauf paumé, et, comme en témoigne l'appréciation d'un vieux renard comme Henry Kissinger cité en quatrième de couverture, non aligné sur la fanfare et les tambours de la propagande anti-chinoise qui, de Trump à Biden, semble être devenue le leitmotiv de la politique étrangère de la bannière étoilée (ainsi que de celle des vassaux européens).
Ce qui inspire la critique de Rudd à l'égard des impulsions belliqueuses de Washington, ce ne sont pas seulement des considérations de bon sens, comme la conscience qu'une guerre entre les États-Unis et la Chine resterait difficilement limitée à la zone indo-pacifique, mais finirait très probablement par se propager à l'échelle mondiale avec des conséquences dévastatrices pour l'ensemble de l'humanité (même si elle ne débouchait pas sur un holocauste nucléaire, ce qui ne peut pas être exclu a priori). Le vrai problème, selon Rudd, est l'incompréhension presque totale de la part des chancelleries occidentales (et pas seulement américaines) de la logique qui sous-tend les décisions stratégiques des élites chinoises.
En particulier, selon Rudd (qui, en plus de parler chinois, a séjourné en Chine à de nombreuses reprises et pendant longtemps, occupant des postes qui lui ont permis de traiter avec les plus hauts niveaux du parti-État), ce qui est sous-estimé, voire ignoré, à Washington, Londres et en Europe, c'est le poids renouvelé de l'idéologie marxiste-léniniste - intégrée aux valeurs de la tradition taoïste et confucéenne - associé à l'avènement de Xi Jinping à la tête du pays; on ignore également à quel point le souvenir du « siècle des humiliations » causées par le colonialisme occidental joue encore un rôle décisif dans le sentiment commun d'un peuple fier, tant de sa civilisation millénaire que de sa puissance économique et militaire retrouvée, sans parler de l'amélioration rapide des conditions d'une classe moyenne qui se rapproche de plus en plus du niveau de vie occidental.
Ces facteurs et d'autres encore se combinent pour générer un mélange explosif de socialisme, de nationalisme et de « populisme » (Rudd utilise ce terme pour définir le tournant néo-socialiste de Xi Jinping, qui pénalise le pouvoir du grand capital privé et promeut une redistribution radicale des revenus vers le bas), un mélange que les États-Unis s'illusionnent de pouvoir contenir en augmentant le ton de leur agression, alors qu'ils ne font qu'attiser le risque de réactions symétriques tout aussi dures de la part de Pékin.
Il faut dire que Rudd est loin d'être favorable à la nouvelle « affirmation » de la Chine de Xi Jinping: s'il critique les illusions occidentales selon lesquelles la croissance économique conduirait « naturellement » à la transition de la Chine vers un régime démocratique libéral, il reste fermement convaincu de la supériorité du marché libre (en dépit des catastrophes récentes) et du système démocratique libéral (en dépit des dégénérescences qui le transforment en une oligarchie de recensement), il continue donc d'espérer que les limites « naturelles » de l'économie d'État (malgré les succès qu'il est lui-même amené à admettre) finiront par générer des problèmes qui saperont le leadership néo-socialiste et « populiste » de Xi Jinping, et inciteront la Chine à adopter des conseils plus doux. Bref, de son point de vue, il suffirait d'apprendre des Chinois la vertu de la patience et d'attendre que les tensions s'apaisent, en évitant entre-temps de tendre la corde jusqu'à ce qu'elle se rompe.
Rudd n'a pas mis à jour son analyse suite au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne qui, dans la mesure où elle confronte directement les militaires russes aux forces de l'OTAN, modifie le scénario géopolitique qu'il avait esquissé puisqu'elle implique la convergence stratégique de la Chine et de la Russie. S'il l'avait fait, il aurait été amené à constater que son diagnostic sur l'incapacité du bloc occidental à comprendre la logique de l'adversaire chinois s'applique d'autant plus à l'adversaire russe.
Dans le cas de la Russie, il convient de partir du refus systématique de l'Occident d'accepter les offres de Poutine lorsque celui-ci a, à plusieurs reprises, déclaré son intention d'intégrer son pays à l'Europe, voire à l'OTAN. Les motifs pour lesquels ces avancées ont été rejetées, à savoir le non-respect des droits de l'homme et le caractère prétendument antidémocratique du régime russe, sont si spécieux qu'ils ne méritent pas la moindre considération (l'Occident compte parmi ses partenaires et alliés des pays dont les normes en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme sont bien moindres).
La vérité est que la capacité de Poutine à sortir la Russie du désastre dans lequel la thérapie de choc imposée par l'adhésion aux règles consensuelles de Washington l'avait plongée, et à lui redonner le statut de puissance régionale (et non « impériale »: même cette surestimation est clairement propagandiste), contrastait et contraste encore avec l'objectif d'en faire la fin de la Yougoslavie, c'est-à-dire de la réduire à un ensemble de petits États colonisés par les intérêts occidentaux.
Cette attitude de supériorité méprisante a produit dans la mémoire chinoise l'équivalent (d'autant plus cuisant qu'il est plus récent) des humiliations coloniales des puissances occidentales. Le large consensus politique dont jouit Poutine (malgré les tentatives des médias américains et européens de le diminuer) est fondé sur cette fierté nationale retrouvée, et la juxtaposition de la guerre ukrainienne à la grande guerre patriotique contre le Troisième Reich fonctionne précisément pour cette raison (et aussi parce que l'attitude russophobe et l'idéologie parafasciste de Kiev la justifient amplement, en rappelant la connivence ukrainienne avec l'envahisseur nazi). Elle s'appuie aussi sur le fait qu'elle a sorti des millions de concitoyens de la misère et leur a rendu leur dignité.
Si la guerre devait se prolonger, d'autres facteurs entreraient en ligne de compte (ils le sont déjà en partie): de la résilience dont l'économie russe a pu faire preuve en résistant aux sanctions occidentales grâce à ses relations de travail de plus en plus étroites avec la Chine et d'autres membres des Brics, à la réduction progressive du pouvoir des oligarques (les économies de guerre tendent à la centralisation et au renforcement du rôle de l'État, au détriment des intérêts des grandes entreprises privées), en passant par le renforcement du poids politique et organisationnel du Parti communiste russe (dépositaire du regret de millions de citoyens pour les conditions de sécurité sociale garanties par le régime soviétique).
Le fait que les gouvernements, les partis et les médias du monde entier souhaitent la chute de Poutine, comme si cela suffisait à ramener la Russie aux fameuses conditions de l'après-Eltsine, confirme leur incapacité totale à évaluer le poids de tous ces facteurs et le risque (ou l'opportunité, selon le point de vue) qu'ils représentent pour la Russie, poids de plus en plus réel, de voir la Russie s'engager sur la voie, sinon d'un retour au socialisme, de la construction d'une économie mixte à forte connotation « étatiste » et « populiste » (pour reprendre l'expression que Rudd applique à la politique de Xi Jinping). Il s'agit d'un risque terrible pour la préservation de l'hégémonie américaine et européenne sur le système mondial, car cela impliquerait la soudure d'un puissant bloc sino-russe (doté d'une capacité de projection considérable au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique latine) face auquel les ambitions impériales de la bannière étoilée seraient brisées, générant une alternative brutale: accepter la transition vers un monde bipolaire ou déclencher l'Armageddon d'une guerre nucléaire qui n'aurait pas de vainqueur.
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mercredi, 28 août 2024
Un voyage à travers la parole
Un voyage à travers la parole
Frédéric Andreu
Louis-Ferdinand Céline fustigeait les écrivains sans style, ces "cafouilleux" qui "choisissent une bonne histoire" et "rampent dans les phrases". Philippe Barthelet et Éric Heitz, son compère alsacien, en sont le contraire même. En effet, Le voyage d'Allemagne, leur ouvrage commun, est premièrement un style - c'est à dire un voyage à travers la Parole - et secondairement un voyage vers et dans un pays, l'Allemagne.
Ce double voyage fait à la fois preuve d'abandon à la poésie et de grande rigueur rhétorique. Les étymologies, nombreuses, qui émaillent ce textus, jouent le rôle de panneaux indicateurs le long de la route. Nous voyageons à travers le Luxembourg, Bâle, Fribourg et la Souabe ; quand c'est un "faune" qui indique le chemin, on a même l'impression que le voyage emprunte au rêve ou à la légende !
Mais où nous mène ce double voyage ? Devant la demeure d'un autre grand écrivain, Ernst Jünger, à Wilflingen. Philippe Barthelet, qui a rencontré le « Waldgänger » plusieurs fois au cours des dix dernières années de sa vie dans ce village « sans gare, ni poste », lui rend hommage à la mode du « Weggänger », celui qui a recourt aux chemins. Avec ce grammairien de haute volée pour qui « les mots savent mieux que nous ce qu'ils veulent dire », chaque virgule compte. Il n'a donc pas choisi d'intituler son livre Le voyage d'Allemagne - et non Un voyage en ou vers Allemagne - par hasard. Ici la préposition "de" est celle des formules héraldiques comme dans "De Gueule" ou "D'Azur" dans la description des blasons. L'auteur décrit « les oriflammes qui enjolivent l'héraldique de la plus neutre des réalités ». Les anecdotes de voyage rayonnent dans ce texte comme autant de blasons. Sous la plume d'aigle de l'auteur, les villages redeviennent des miniatures, des « objets » mythologiques. Robert Brasillach voyait dans les villages de Bavière, des jouets.
La maison de Wilflingen, où Helmut Kohl et François Mitterrand se rendaient en pèlerinage, est elle aussi un cabinet de curiosités ouvert sinon pour tous, du moins pour chacun.
Elle abrite en effet des souvenirs des deux guerres mondiales, des objets de voyages, et une fascinante collection d'insectes, toutes les cicindèles d'Europe notamment, que Jünger considérait lui aussi comme autant d'héraldiques à déchiffrer. Grâce à ce livre-voyage, Philippe Barthelet et Éric Heitz se révèlent être de véritables disciples - c'est à dire des « jünger » - sans pour autant être de « sérieux » disciples, des « ernst » jünger.
Le premier, ancien producteur et chroniqueur à France Culture de 1985 à 2006, s'est fait connaître par sa plume érudite et son goût pour les grands auteurs ; quant au second, Eric Heitz, il reste plus mystérieux. Il paraît même qu'« il ne veut plus voir personne ». Serait-il parvenu au stade ultime du renonçant lucide au monde moderne que Ernst Jünger désigne sous le nom d'« Anarque » ?
En tout cas, cet ouvrage d'amitié tire un coin de voile sur le secret des Allemagnes situées des deux côtés du Rhin. Pour ce faire, la littérature y est présente. "La littérature est un mystère d'évidence qui a besoin de couverture, d'ombre, de faune mousse, de jardins aux douze portes et de librairie toujours ensoleillée". Comment mieux poser les jalons pour nous conduire, sans jamais nous contraindre, à cet obscur secret qui pourtant nous éclaire de toutes parts et de toute éternité ?
* * *
Philippe Barthelet et Éric Heitz, Le voyage d'Allemagne, Paris, Gallimard, coll. « le sentiment géographique », 240 p.
Ernst Jünger Stiftung : Stauffenbergstrasse 11, 88515 Wilflingen - juenger-haus.de / +4973761333
13:22 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, allemagne, lettres, lettres allemandes, littérature, littérature allemande, ernst jünger, wilflingen | |
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jeudi, 08 août 2024
Paris et sa banlieue dans l'œil de Blaise Cendrars et Robert Doisneau
Les Pionniers du Monde Moderne:
Paris et sa banlieue dans l'œil de Blaise Cendrars et Robert Doisneau
Frédéric Andreu
Il s'y connaît un rayon, le Blaise, en terme de bourlingue ! Le rayon banlieusard arpenté à bicyclette « par les yeux et les jambes ». En cinquante ans, « entre deux promenades dans le monde », il explore tous les quartiers décrépis, les usines interlopes, mais aussi le « Bateau-Lavoir » de Montmartre qui servit de phalanstère à toute une génération d'artistes ; un jour, le père de Modigliani (son complice de toujours) pénètre, ivre, au milieu de cette grappe d'artistes, en molestant leurs œuvres ; c'en est fini du phalanstère !..
Cendrars, né Frédéric Sausser, n'était pas français, mais suisse ; il n'a pas la même curiosité, le même regard que le Parisien de souche qui n'irait pas spontanément visiter la "zone" recluse. Le 13ème arrondissement, au départ attribué à ce qui est aujourd'hui le 16ème, est relégué à un quartier de banlieue jugé interlope.
Cendrars et Apollinaire sont deux numéros gagnants de la modernité en art, même si le premier est resté dans l'ombre du second. C'est pourtant bien Cendrars qui invente le vers secoué de mouvements et de vitesse qui scande sa célèbre "Prose du Transsibérien". Il n'est pas assuré que Cendrars ait réellement pris le train à Moscou. Lorsqu'il a répondu au journaliste Pierre Lazareff, au sujet de la réalité de ce voyage, il répond : « Qu'est-ce ça peut faire puisque je l'ai fait prendre à tous » ! En revanche, ces virées à bicyclette dans la banlieue parisienne sont garanties sans ogm, tant il décrit notamment Meudon et Versailles, avec force détails. Et Viroflay dont la traversée n'était guère aisée pour les "vélocypédistomanes". Le Paris de Cendrars est un pied-à-terre et un atelier ; la banlieue, un autre monde. "Ici, il n'y a pas d'illusion, il n'y a pas d'exotisme, pas de chiqué littéraire possible [...]. Ici, en un mot, c'est la misère".
La messe est dite. C'est à Paris que Cendrars envoie ces "instantanés verbaux" à Sonia et Robert Delaunay. Ensemble, le poète suisse et Sonia, d'origine ukrainienne, inventent le "simultanéisme", où le chromatisme orphique répond à l'introspection du poète et au rythme du train. Non seulement Sonia inclut la tour Eiffel dans sa frise, mais celle-ci devient l'"étalon" de l'oeuvre commune. En effet, une fois dépliée, la fresque mesure deux mètres, multipliés par cent cinquante exemplaires, cela donne trois cents mètres, hauteur de la tour ! Cendrars admire la tour comme symbole de la Modernité, non sans évoquer les affres de l'industrie, bien au contraire.
C'est en 1945, que Cendrars revisite, avec Robert Doisneau, cette banlieue d'avant-guerre, déjà transformées, et aujourd'hui remplacés par des quartiers tribaux. Mais alors que le photographe se dit « faux témoin » soulignant la « tendresse » des petites gens, le poète met en exergue la misère noire de la banlieue. Il décrit sans ambages le "bagne" de Renault à Billancourt, fustige cette "zone voiture-avion qui empoisonne les agglomérations surpeuplées, coincées entre Paris et la banlieue" en épinglant au passage le profil "avaricieux, rasé de prêt", du directeur de l'usine. Dans un style qui rappelle parfois celui de Céline, Cendrars se fait l'avocat des ouvriers, chiffonniers, et autres petites gens.
Pour autant, il ne confond pas, comme un vulgaire propagandiste, le Bourgeois et l'Aristocrate. Louis XIV est même promu, dans le ton fantasque et burlesque qu'on lui connaît, "premier banlieusard de l'Histoire" ! "En bâtissant Versailles et en priant ses bons sujets de venir le regarder manger et de faire un tour dans les jardins avant de s'en aller, Louis XIV a donné aux Parisiens le goût de la campagne" !
Cendrars n'est pas, comme Louis Aragon, un carriériste ; il ne goutte guère les mondanités célébrant l'"écrivain". « Ecrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres » s'écrit-il dans « L'homme foudroyé ». Sa poésie elle aussi est une braise et non un bijou littéraire. En fait, c'est un brouillon de l'âme. Ses voyages sont des bourlingues et du bricolage, à l'opposé du tourisme organisé. Sismographe solitaire, comme Jünger, Cendrars est un de ces précurseurs dont la signature n'est reconnue qu'un siècle après sa mort. On découvrira un jour que les Picasso, Breton et bien d'autres petits chefs de fil, qui occupent aujourd'hui le haut de l'affiche, ont été, à bien des égards, ses épigones.
Les textes de Blaise Cendrars sont accompagnés par les photographies de Robert Doisneau. Ils dépeignent la vie quotidienne dans la banlieue parisienne entre 1947 et 1949. L'ouvrage est réédité aux Éditions Denoël, Collection album et beau livre. www.denoel.fr - 49,00 €.
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jeudi, 01 août 2024
Le progressisme, arrière-garde armée du néolibéralisme
Le progressisme, arrière-garde armée du néolibéralisme
par Andrea Zhok
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/28596-andrea-zhok-il-progressismo-retroguardia-armata-del-neoliberismo.html
Ce matin, j'ai reçu une publicité du magazine MicroMega, un magazine progressiste par excellence, auquel j'ai également contribué par le passé. La communication annonçait la sortie, en librairie et en ligne, du nouveau volume intitulé « Contre la famille. Critique d'une institution (anti-)sociale ».
Je cite ci-dessous le commentaire introductif.
"La famille en tant qu'institution sociale est, depuis peu, un objet d'analyse et de critique. Au cours de l'histoire, son dépassement a été l'objectif tant de projets d'émancipation fondés sur une idée de partage de la propriété et du travail, que de projets politiques totalitaires, qui voyaient en elle et dans les affiliations et loyautés qui la composent un obstacle à la relation entre les citoyens et l'État".
Il ne fait aucun doute que nous sommes aujourd'hui confrontés à un retour en force de la rhétorique de la famille et des liens du sang. Que signifie donc aujourd'hui se proclamer « contre la famille », comme MicroMega a choisi d'intituler le quatrième volume de cette année 2024, disponible en librairie à partir du 25 juillet ?
Certainement pas remettre en cause les liens d'affection et d'entraide qui se créent au sein de la famille, mais se concentrer et analyser de manière critique tous ses aspects anti-politiques et anti-sociaux: Le FAMILISME AMORAL; la TENDANCE À MINIMISER L'AUTORITÉ ET LA CRÉDIBILITÉ DES ÉCOLES, dans le désir d'être le seul organisme d'éducation de leurs enfants; le rôle joué dans la TRANSMISSION DES RÔLES RIGIDES DE GENRE; la CONCENTRATION DES GRANDS CAPITAUX TRANSMIS PAR L'HÉRÉDITÉ entraînant l'immobilisme social. ... D'autre part, ce sont très souvent les carences de l'État qui poussent les individus à se réinstaller au sein de la communauté la plus proche, en premier lieu la famille, dans un cercle vicieux qu'il convient de briser pour garantir le plein droit de chacun à l'épanouissement de sa propre personnalité [souligné par moi].
Un commentaire s'impose, qui examine en détail les allégations susmentionnées à l'encontre de l'ordre familial. Je pense qu'il est utile de montrer comment cette position exposée par MicroMega représente, sous une forme emblématique, certaines des raisons sous-jacentes pour lesquelles le progressisme culturel est devenu, dans le contexte contemporain, une entité socialement destructrice, politiquement dissolvante et éthiquement catastrophique.
L'attaque contre l'institution familiale dans les cercles progressistes ou « de gauche » n'est bien sûr pas nouvelle, mais comme toujours dans les développements culturels, le contexte dans lequel une thèse est proposée et développée n'est pas moins important que les thèses elles-mêmes.
Dans le contexte du 19ème siècle où s'est développée la critique de l'institution familiale, certaines des thèses rappelées ici, comme la référence au familialisme amoral, ont pu avoir une base relative.
Rappelons que le concept de « familialisme amoral » a été introduit par le politologue américain Edward C. Banfield dans son livre The Moral Basis of a Backward Society (1958), fruit d'un séjour de neuf mois dans le village de Chiaromonte (Basilicate). Cette expérience a apparemment permis à Banfield de tirer des conclusions de valeur générale sur le rôle négatif de la famille nucléaire en tant que porteuse de retard socio-économique, en raison de son égoïsme inhérent. Soixante-dix ans plus tard, le manque de rigueur de l'analyse de Banfield, 188 pages dépourvues de toute analyse historique ou comparative digne d'intérêt, est manifeste. Mais cela n'enlève rien au fait que le concept de familialisme amoral a réussi à se répandre comme l'une des nombreuses barres de fer utilisées pour démanteler toute légitimation de l'ordre familial. Que la famille nucléaire, dans des conditions historiques spécifiques, puisse assumer un rôle éminemment défensif et autoréférentiel est certain, mais que cela soit en quelque sorte une caractéristique qualifiante de la famille nucléaire et de ses loyautés internes, c'est un non-sens indéfendable. Quoi qu'il en soit, dans une phase d'expansion de la société moderne, dans laquelle, au moins en principe, les institutions étatiques structurées commençaient à faire leur place, il aurait pu être plausible de voir dans une certaine résistance et méfiance à l'égard des structures familiales traditionnelles un facteur restrictif, « régressif ». Le prototype de cette fonction régressive pourrait être un modèle de familialisme visible dans certaines formes de criminalité organisée (le familialisme du type « Parrain »). Mais la vraie question ici est de comprendre dans quelle mesure la « famigghia » de Vito Corleone représente dans l'Europe du 21ème siècle un véritable facteur de déstabilisation antisociale. L'impression est qu'une certaine intelligentsia puise ses sources sur la réalité sociale plus dans Netflix que dans un regard sur la réalité environnante.
Le deuxième reproche grave que MicroMega croit devoir faire à la famille est celui de « saper l'autorité et la crédibilité de l'école » (OK, ne riez pas). Là encore, nous nous trouvons dans un contexte analytique qui semble né dans la société des années 1960. Nous semblons avoir autour de nous des familles solides et imperméables, mais avec des taux d'analphabétisme élevés, qui font obstacle aux lumières de la raison apportées par la nouvelle école. En effet, alors qu'il y a soixante ans, on pouvait soutenir une fonction déprovincialisante et formatrice de l'école publique, celle-ci est aujourd'hui assaillie par des programmes hétérodirigés, américanisés, très idéologiques, avec simultanément une réduction des connaissances au profit des « compétences » (l'externalité des attitudes et des comportements). Dans le même temps, les familles sont de plus en plus impuissantes et accablées, assaillies à leur tour par des « écrans » omniprésents qui « éduquent » leurs enfants 24 heures sur 24 aux valeurs de TikTok et de Walmart. Les intellectuels de MicroMega ont l'air d'avoir décongelé, d'être entrés dans un congélateur lorsque le « maestro Manzi » passait à la télévision.
La troisième accusation est complémentaire de la seconde: la famille jouerait un rôle régressif parce qu'elle serait complice de la « transmission de rôles rigides de genre ». Or, outre le fait qu'il est fort douteux que cela corresponde en partie à la réalité d'aujourd'hui, la vraie question est la suivante: à qui incomberait exactement l'éducation des enfants en matière d'affectivité ou d'horizon d'attente en matière de sexe et de genre ? À MicroMega ? À Fedez ? À MinCulPop ? Au Kibboutz ? Aux Soviétiques ? à l'Agenda 2030 ? Sont-ils effleurés par le doute que l'idée de posséder une sagesse supérieure sur des questions telles que l'affectivité primaire est ouvertement autoritaire ?
Le quatrième réquisitoire est peut-être le plus cocasse: la famille favoriserait l'immobilité sociale parce qu'elle encourage la concentration du capital par l'héritage. Sortant de leur congélateur du 19ème siècle, les intellectuels de MicroMega ont bien les Buddenbrook sous les yeux. Ils imaginent des familles de capitalistes au chapeau haut de forme, à l'éthique de travail protestante, transmettant l'entreprise familiale et le capital à leurs descendants de sang. Le caractère anonyme des multinationales et des fonds d'investissement d'aujourd'hui semble leur avoir échappé. De plus, le modèle familial qui a alimenté la concentration du capital n'est même pas le capitalisme du 19ème siècle. Il faut remonter au majorat - aboli avec le Code Napoléon - où seul l'aîné héritait (pour éviter le morcellement du capital). Ici, imaginer qu'aujourd'hui la tendance du capital à se concentrer dans un régime capitaliste est due à l'héritage familial est une indication frappante de la façon dont la gauche ne manie même plus les éléments d'économie dont elle s'enorgueillissait autrefois.
Et d'ailleurs, si cette tendance existait, si nous étions encore au milieu des majorats, le problème serait évidemment ce que la législation permet, et certainement pas l'existence d'un système familial.
Bref, l'attaque en règle contre la famille que MicroMega croit devoir mener est motivée par un ensemble de prétextes insoutenables. Mais la motivation réelle et profonde est celle qui apparaît dans les considérations finales ci-dessus, et il s'agit d'une motivation purement IDEOLOGIQUE: la famille est l'une des « communautés les plus étroites », que les pseudo-lumières progressistes (en réalité le néo-libéralisme inconscient) exigent de briser afin de « garantir à chaque personne l'épanouissement de sa personnalité ».
Au-delà du caractère « antisocial et antipolitique » de la famille, l'ordre familial, et l'ordre communautaire en général, sont un scandale pour la gauche néolibérale d'aujourd'hui car ils ne correspondent pas aux exigences de l'individualisme mercantile, seule dimension de la liberté qu'elle est encore capable d'imaginer.
Le modèle de liberté qu'ils proposent est le rêve humide du grand capital auquel ils prétendent s'opposer. Ils rêvent d'individus déracinés, isolés, qui se consolent en se promenant dans ce grand supermarché qu'est devenu le monde occidental. Ils rêvent d'individus fragiles, fluides et donc prêts à être placés sans résistance dans tous les coins et recoins de la machinerie mondiale. Ils collaborent activement à la dissolution de toute identité stable, collective autant que personnelle, qui pourrait servir de rempart à la liquéfaction des rapports marchands.
Je ne sais pas si cette opération est le résultat d'une complicité flagrante avec le paradigme néolibéral, ou si elle n'est que le signe d'une dramatique inconscience culturelle, mais en fin de compte, cela importe juste ce qu'il faut : les intentions ne comptent pas beaucoup, et ce qui reste dans la mémoire future n'est qu'une contribution de plus à la dégradation en cours.
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mercredi, 10 juillet 2024
David Engels et la voie hespérialiste
David Engels et la voie hespérialiste
par Georges FELTIN-TRACOL
Il est souvent jubilatoire de consulter le quotidien-phare du déclin journalistique en France. Dans son édition du 1er juin 2024, Le Monde s’intéressait à « L’Europe dans le viseur de l’extrême droite ». Bigre ! Mentionnant une réunion tenue à Bruxelles, les 16 et 17 avril derniers, à l’initiative de la National Conservatism Conference sur le thème de « Défendre l’État-nation en Europe », la journaliste Marion Dupont qualifie l’un des intervenants, David Engels, d’« essayiste néo-conservateur » !
A-t-elle au moins lu un seul ouvrage de cet historien belge qui a enseigné en Pologne ? Bien connu des auditeurs de Radio Méridien Zéro, David Engels vient de publier en français Défendre l’Europe civilisationnelle. Petit traité d’hespérialisme (Salvator, 2024, 162 p., 18,50 €). Le président – fondateur de la Société Oswald-Spengler juge que les discours traditionaliste, réactionnaire, conservateur, nationaliste et identitaire n’opèrent plus. Il propose une synthèse dynamique de ces notions dans un nouveau modèle qui s’appuie sur le retour de la transcendance qu’incarnerait dans l’histoire de notre continent le catholicisme romain.
Cette référence au christianisme, en particulier catholique, surprend si l’on suit Marcel Gauchet pour qui « le christianisme est la religion de la sortie de la religion » dans Le Désenchantement du monde en 1985. Quand l’Église romaine tend vers l’humanitarisme, il faut craindre le pire. Le Figaro du 2 septembre 2015 rapportait que la veille, lors de sa rencontre avec Jacques Gaillot (1935 - 2023), ancien évêque d’Évreux et évêque jusqu’à la mort de Parténia, principale figure du catholicisme français d’extrême gauche, le pape Bergoglio lui certifia en français que « les migrants, c’est la chair de l’Église ».
À quel catholicisme David Engels pense-t-il vraiment? Celui issu du concile Vatican II? Le catholicisme tridentin qui marqua la fin de l’enchantement des âmes? Le catholicisme médiéval nourri d’une sève païenne comme le démontre Jacques Le Goff dans Le Dieu du Moyen Âge (Bayard, 2003) et qu’éradiqua la Réforme dite catholique? La présente ambiguïté chrétienne romaine ne cessera qu’avec la formation d’un « euro-catholicisme » différencialiste qui emprunterait à l’Orthodoxie l’autocéphalie et la symphonie des pouvoirs spirituel et temporel.
David Engels désire s’extraire du cadre stato-national au profit d’un ensemble civilisationnel européen organisé dont la matrice serait le Moyen Âge occidental roman et gothique. Contrairement à Dominique Venner, l’auteur délaisse volontiers la dimension anthropologique de l’homme européen. Difficile dans ces conditions d’associer correctement regain chrétien et renouveau continental. Oui, tout combat politique comporte une part spirituelle, voire mystique, à la condition qu’il bénéficie d’une réelle adéquation avec les circonstances.
David Engels suggère le projet politique d’une confédération des nations européennes. « Nous avons [...] besoin, écrit-il, d’une Europe assez forte pour protéger l’État-nation individuel contre la montée de la Chine, l’explosion démographique de l’Afrique, les relations difficiles avec la Russie et la radicalisation du Proche-Orient. Mais d’un autre côté, une telle Europe ne sera acceptée par le citoyen que si elle reste fidèle aux traditions historiques de l’Europe au lieu de les combattre au nom d’un universalisme multiculturel chimérique. »
L’antiquiste qu’il est réclame par conséquent une « synthèse augustéenne [qui] porterait formellement les traits d’un retour aux origines de l’histoire occidentale tout en conservant les acquis matériels essentiels des temps modernes ». Ce sujet belge de langue allemande précise en outre que « l’exemple [qui] pourrait être mieux adapté pour ancrer à nouveau l’unité européenne dans l’histoire et l’identité [… est] celui du Sacrum Imperium, du Saint-Empire dont la plupart des nations européennes actuelles sont issues et dont la vocation primaire avait toujours été l’unité civilisationnelle dans la diversité subsidiaire tout en ancrant l’Europe dans une vision grandiose de sa mission transcendante ». L’héritage du Saint-Empire affecte en effet les traditions politiques des États d’Europe occidentale, latine et catholique, y compris la Grande-Bretagne, la France et la Pologne (avec sa République royale des Deux-Nations). L’auteur aimerait ainsi concilier Jean Bodin (1530 - 1596) et Johannes Althusius (1557 - 1638) dans une réflexion dialectique originale. Bien des arguments de Défendre l’Europe civilisationnelle rappellent ceux de Guillaume Faye et de son compatriote d’outre-Quiévrain Daniel Cologne. Ce dernier avançait au sein du Cercle Culture et Liberté dans les années 1970 un point de vue assez semblable.
Renouvellement inédit d’une pensée de droite, l’hespérialisme poursuit-il l’esprit faustien ? David Engels constate sur la longue durée européenne un élan vital permanent, une « quête effrénée d’absolu, ce désir d’atteindre et de dépasser l’horizon ». Dans La Parole d'Anaximandre de Martin Heidegger, le traducteur pour le public francophone, Wolfgang Brokmeier, inventait le néologisme d’« Hespérie » pour traduire Abend-Land au lieu d’Occident… Dans un encart, « Quand l’Occident a oublié la Grèce », de son célèbre article « Pour en finir avec la civilisation occidentale » paru dans Éléments n° 34 d’avril – mai 1980, Guillaume Faye écrivait que « l’Hespérie, c’est, comme l’indique la racine grecque, la terre du couchant. Mais il ne désigne pas l’Ouest, ni les régions occidentales du monde, mais bien plutôt un projet d’organisation du monde qui marquerait le couchant, c’est-à-dire l’accomplissement d’une vue-du-monde aurorale exprimée au VIIe siècle avant notre ère par le premier penseur européen ».
L’hespérialisme est donc plus qu’un conservatisme reformulé ou un énième plaidoyer en faveur d’une union de droite des peuples autochtones d’Europe. Il serait néanmoins profitable que David Engels médite sur les livres de Dominique Venner ainsi que sur les riches essais du philosophe – paysan Gustave Thibon. Ainsi pourrait-il fortifier et améliorer la voie hespérialiste de l’Europe, voie plus que jamais nécessaire en ces temps incertains pour tous les Européens originaires du monde boréal.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 122, mise en ligne le 5 juillet 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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mercredi, 26 juin 2024
Bons à rien et prêts à tout: voici les modérés (qui ne sont pas les conservateurs)
Bons à rien et prêts à tout: voici les modérés (qui ne sont pas les conservateurs)
Gennaro Malgieri
Source: https://electomagazine.it/buoni-a-nulla-e-disposti-a-tutto-ecco-i-moderati-che-non-sono-i-conservatori/
Nous sommes assiégés par les "modérés". Réels ou supposés. Mais indéfinissables dans l'absolu. Chacun se définit à sa manière et décline cette catégorie intangible comme il l'entend. C'est aussi une façon d'être "modéré": ne pas avoir de caractère établi et reconnu. Et au final, il n'est pas irréaliste de penser que les "modérés" sont les femelles de la politique: ils souhaitent être soumis à une violence agréable. "L'idée d'être sauvées par un adversaire est toujours dans leur cœur".
Ainsi s'exprimait Abel Bonnard (1883-1960), universitaire, poète, romancier, essayiste et homme politique français qui publia en 1936 Les modérés, livre publié en Italie en 1967 par l'éditeur Volpe et ensuite oublié. Pourtant, à sa sortie, il suscita curiosité et discussion: pour la première fois, il diagnostiquait un "symptôme" (pour ne pas dire un "mal") du siècle qui allait se répandre surtout dans l'après-guerre dans toute l'Europe et en particulier dans les pays les plus fragiles, comme l'Italie, où elle allait connaître les fastes du pouvoir incarné par des partis politiques qui, comme l'écrit Stenio Solinas dans la brillante préface de la nouvelle édition italienne des Modérés (Oaks editrice, pp.178, 14,00 €), se sont référés à la catégorie des "modérés" pour représenter "cette bourgeoisie moyenne qui espère la révolution parce qu'elle n'ose plus croire à la conservation".
Abel Bonnard.
Telle est la donnée culturellement et anthropologiquement décisive qui caractérise le modérantisme: son aversion pour le conservatisme, auquel il a aussi été assimilé à tort par les habituels benêts qui manipulent les idées comme s'il s'agissait d'eau et de farine, sans même imaginer que pour faire fructifier des éléments essentiels et primaires, il faut les faire lever.
Et les conservateurs ont été et sont le levain des sociétés ordonnées: quand on croit pouvoir s'en passer, voici que le modérantisme se substitue à eux et devient l'avocat d'une sauvagerie politique qui n'a rien à voir avec la tendance naturelle à soutenir l'organicité communautaire et, par conséquent, une agrégation civile et cohésive. Solinas note d'ailleurs que le "conservatisme impossible" en Italie provient précisément de l'incompréhension du fait que les modérés ne s'identifient pas aux conservateurs. Pour en venir à aujourd'hui, Solinas observe que "les modérés de Berlusconi se définissent comme des réformateurs et accusent la gauche de conservatisme, et les modérés de l'Ulivo puis du PDD se définissent comme tels contre l'extrémisme de leurs adversaires... Et, en somme, les conservateurs sont toujours les autres".
Mais alors, qui sont les modérés? Abel Bonnard les voit constitués en parti, un parti imaginaire ou idéal si l'on veut, "semblable à une ampoule d'eau pure, dans laquelle le profane ne voit qu'un objet insignifiant, mais où le devin intentionné voit mille scènes du passé et de l'avenir".
Lors des campagnes électorales, se souvient Bonnard, parmi les maisons fouettées des petites villes, les affiches des candidats modérés étaient celles qui entraient le moins en conflit avec l'environnement, la douceur du contexte : "Tous les mots ronflants y apparaissaient, mais comme des cadavres jetés sur une pierre tombale ; aucun ne conservait sa propre vertu. On y parlait d'ordre, sans jamais indiquer de principes ni de conditions ; de progrès, avec une volonté évidente de ne pas bouger ; de liberté, mais pour éviter toute discipline ; le seul mot de patrie impliquait des obligations acceptées avec sincérité et parfois même avec courage". Et au Parlement ? "Les modérés, se souvient Bonnard, apparaissaient comme un ramassis d'indécis, et leurs têtes tournaient au vent des discours, comme des girouettes au sommet des cheminées, obéissant à tous les zéphyrs. Ils semblaient toujours avides d'un malentendu qui leur permettrait de rattraper leurs adversaires. A la moindre phrase d'un ministre, qui ne les traitait pas trop dédaigneusement, ils l'applaudissaient avec enthousiasme. Si, par contre, l'un d'entre eux parlait en leur nom avec une certaine vigueur, ils se détournaient rapidement de lui, l'abandonnaient par leur silence, avant de l'abandonner à l'ennemi avec les "lignes de couloir".
L'attitude des modérés n'a pas beaucoup changé depuis 1936. Il faut avoir siégé au parlement au cours des dernières décennies pour confirmer l'expérience de Bonnard. Le portrait semble sortir de la plume d'un chroniqueur contemporain. Sans parler de l'esquisse morale dont l'écrivain français n'imaginait même pas qu'elle aurait pu traverser les époques et s'adapter au nouveau siècle où le modérantisme, loin de ne représenter rien de politiquement pertinent, est en réalité l'absence de sentiment politique auquel certains se raccrochent pour justifier leur présence dans la vie.
Bons à rien mais prêts à tout, les modérés que l'on voit pulluler dans les palais du pouvoir ont toujours l'air d'être sur le point de dire quelque chose de fondamental, d'incontournable, d'inévitablement intelligent. Ils sont devenus, sans le vouloir probablement, la colonne vertébrale du système politique qui, dans ses différentes composantes, est désormais modéré par habitude.
Regardez-les bien, ce sont des extrémistes prêts à tout et qui n'ont rien à voir avec la modération: "elle, dit Bonnard, est aux antipodes de ce qu'ils sont... la vraie modération est l'attribut du pouvoir : il faut y reconnaître la plus haute vertu de la politique". Elle marque le moment solennel où la force devient capable de scrupules et se tempère selon la conception de l'ensemble dans lequel elle intervient". On peut dire que ces mots sont sortis de la bouche d'Edmund Burke dans l'un de ses célèbres discours au Parlement de Dublin. Ce sont celles d'un universitaire modéré qui ne pensait pas offrir, il y a quatre-vingts ans, avec son traité politico-moral, des conseils pour reconnaître un type humain qui, hélas, sévit dans la vie publique, inondant malheureusement jusqu'à nos vies privées.
Pour tempérer ce malheur, il ne serait peut-être pas inutile de relire - puisque tout le monde est essentiellement "modéré" - l'essai en or de Simone Weil, Contro i partiti (Piano B edizioni, pp.125, €12.00), qui vient d'être réédité, dans lequel la grande essayiste française qui eut une vie brève (1909-1943) et à la pensée longue et intense, analyse impitoyablement l'inadéquation des partis et leur tendance intrinsèque au conformisme pour conclure que "le parti ne pense pas", mais crée des consensus et des passions collectives. Rédigé quelques mois avant sa mort, Weil aurait ajouté, si elle avait eu le temps de voir comment ils se réorganisaient après la guerre, que les partis sont aussi des vecteurs de corruption ; pas toujours et pas tous, bien sûr. Leur tendance à s'immiscer dans l'administration publique, cependant, n'oublions pas qu'elle a été prévue et dénoncée par Marco Minghetti dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que le processus du Risorgimento était en train de s'achever politiquement.
Weil affirme que le problème politique le plus urgent auquel sont confrontés les partis est double: comment offrir au peuple la possibilité d'exprimer une opinion sur les grandes questions collectives d'une part, et d'autre part, comment éviter que ce même peuple, une fois interrogé, ne soit imprégné et donc conditionné par une quelconque passion collective. Une réflexion très actuelle. Il suffit de lire les considérations sur le besoin de démocratie directe soulevé en France par l'écrivain Michel Houllebecq. L'élimination de la médiation des partis pourrait-elle favoriser le besoin exprimé par Simone Weil (et plus tôt encore en Italie par Giuseppe Rensi, pour ne citer qu'un intellectuel qui a posé très tôt le problème de la démocratie, en notant toutes les apories liées à la production du consensus) ? La réponse n'est pas simple. Mais que les partis traversent (comme le supposait l'écrivain français) une phase de crise profonde est incontestable.
Certes, un parti est une machine à fabriquer de la passion collective ; c'est une organisation construite de manière à exercer une pression sur la pensée de chacun ; son but exclusif est sa propre croissance, "sans aucune limite". Et alors ?
Weil n'indique pas d'issue. Mais elle offre une plate-forme sur laquelle articuler une nouvelle pensée politique qui dépasse la médiation des partis. Méfions-nous de ceux qui rejettent tout avec l'anathème du "populisme". Cette lecture autorise également les pages de Weil. Elle conclut, non sans raison, que presque partout "l'opération de prise de parti, de prise de position pour ou contre, a remplacé l'obligation de penser. Cette lèpre a pris racine dans les milieux politiques et s'est étendue à la quasi-totalité du pays".
Comment en finir avec cette lèpre ? Qui sait, peut-être en battant en brèche le tabou du "modérantisme" qui, comme une subtile tentation totalitaire, voudrait que tous les partis s'alignent sur la pensée unique. A bien y regarder, Abel Bonnard et Simone Weil n'étaient pas si éloignés que leurs histoires le laissent entendre.
14:16 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, abel bonnard, simone weil, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, modérés, modérantisme, théorie politique, philosophie politique | |
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