La géographie, savoir stratégique pour le militaire
La géographie est-elle toujours la « reine des batailles » ? À l’heure de l’intelligence artificielle et de la course technologique, il pourrait être question de l’inutilité de l’approche géographique dans la démarche militaire. En réalité, cette science connaît un renouveau sans égal depuis la Première Guerre mondiale, encore plus évident avec les nouveaux outils numériques dans les opérations en cours.
Tous les états-majors des armées modernes la redécouvrent et la développent comme un savoir stratégique, réactif et pragmatique.
Professeur de géographie à l’Université de la Sorbonne, Philippe Boulanger est spécialiste de la géographie historique, militaire, stratégique, politique et géopolitique. Il livre ici son dernier ouvrage en date, après la parution d’autres publications remarquées, dont Géographie militaire et géostratégie : enjeux et crises du monde contemporain, chez A. Colin en 2015.
L’ouvrage s’organise en sept chapitres et en trois temps, pour apporter une réponse à l’usage de la géographie par les militaires. Le premier temps aborde le besoin de géographie militaire : l’invention de cette approche par et pour le militaire, les champs de la connaissance géographique pour gagner la guerre… puis la paix. Il tend à comprendre comment la géographie militaire s’est construite comme un savoir pragmatique, efficace et incontournable, principalement depuis le XIXe siècle.
Le deuxième temps met en lumière ce qui caractérise le plus la géographie militaire opérationnelle : la relation entre les milieux géographiques et les opérations militaires. Le raisonnement militaire a souvent construit le savoir académique, tout comme il s’est inspiré de la géographie universitaire : ce sont souvent les mêmes méthodes, les mêmes démarches intellectuelles qui sont appliquées à l’activité militaire. Les échelles géographiques (géotactique, géopérationnelle, géostratégique) témoignent ainsi de cette relation.
Mais les doctrines et les outils utilisés montrent aussi des spécificités opérationnelles qui sont propres à la géographie militaire. La notion de milieu naturel, par exemple, apparaît comme fondamentale dans la manœuvre, comme le révèlent les récentes opérations en milieu forestier, désertique ou montagneux. Celle d’environnement humain, qui fait appel à la connaissance de la géographie humaine, est probablement la plus dynamique depuis les années 2000. La redécouverte de la connaissance de l’Autre dans les armées, dans le contexte des guerres de contre-insurrection, apparaît comme une approche centrale dans les opérations contemporaines.
Enfin, le troisième est celui du renouveau de la géographie militaire, dont les contours sont évolutifs. La question de l’interconnexion des milieux dans les opérations, le renouvellement de la géographie militaire par l’information géospatiale, la révolution de la géographie numérique dans les armées sont autant de secteurs, cependant non exclusifs, d’une géographie militaire réactive et, plus que jamais, au centre d’un savoir à haute valeur ajoutée.
Les deux derniers chapitres, « Geospatial Intelligence » et « La Révolution de la géographie historique et militaire », font le point sur des questions fondamentales.
L’ouvrage se complète d’un « glossaire » qui développe et explique certains termes, et ce qu’ils recouvrent, notamment en anglais ; il présente aussi une rapide liste des abréviations, toujours utile lorsqu’il s’agit d’un langage de spécialistes, des notes relatives à chaque chapitre, et surtout une bibliographie par chapitre, ce qui permet d’approfondir les questions soulevées par cette étude.
Il s’agit ici d’un ouvrage fondamental et de haut niveau, tant pour les spécialistes de géopolitique que pour les militaires.
Yann-Loic Andre
Philippe Boulanger, La Géographie, reine des batailles, Perrin/Ministère des Armées, 2020, 368 p. — 23,00 €.
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