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vendredi, 28 février 2025

Orson Welles et la nostalgie des origines

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Orson Welles et la nostalgie des origines

Nicolas Bonnal

J’ai déjà insisté sur Booth Tarkington, romancier essentiel et oublié, rendu célèbre par le « gauchiste-progressiste » Orson Welles dans la Splendeur des Amberson – Welles le met au-dessus de Mark Twain. « Sous la rude écorce de marin se cache une âme de grand enfant un peu naïf », dit génialement la Castafiore de son capitaine Haddock: ici c’est la même chose, et c’est un peu comme avec Trump qui caricature brutalement le message. On aime rêver de l’Amérique jadis grande, qu’on ne sait comment définir du reste. Certains la voient impuissante avec le temps, d’autres la regrettent innocente (découvrez l’école picturale de Hudson). Le slogan MAGA est écrit tel quel dans Taxi driver: car l’homme politique que veut tuer Robert de Niro fait déjà de la nostalgie et du Trump. On a vu ici que même Fenimore Cooper faisait de la nostalgie et regrettait le bon vieux temps qui passe et les invasions européennes à forte connotation socialiste (revoir Tocqueville).

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Mais voilà que le prince Orson Welles vient à ma rescousse: il ne s’en cache pas de cette nostalgie des origines qui nous enchanta avec Mircea Eliade (professeur à Chicago et donc voisin relatif du natif du Wisconsin), nous qui n’avons pas connu le monde d’avant la merde – un peu en Tunisie, le monde d’avant la technologie, les machines et les services comme on dit, revoyez Farrebique pour comprendre. On sait que dans Apocalypse now (Welles rêva d’adapter le récit de Conrad Heart of Darkness avant la paire Coppola-Milius) le colonel Kurtz (sublime Brando pendant quelques secondes) évoque cette descente de la rivière Ohio, et cette plantation de gardénias qui lui rappelle l’âge d’or et le paradis, « sous forme de gardénias ». On sait du reste que Trump dans sa tentation néo-païenne évidente (on en reparlera) a célébré un âge d’or à sa façon dans sa cérémonie d’inauguration. On n’en a pas fini avec Trump: la vraie révolution politique, c’est le retour aux origines. Ses gardes du corps vont avoir du boulot.

Orson Welles déclare donc à Peter Bogdanovitch dans un livre d’entretiens légendaire et surtout indispensable; je préfère le citer en anglais :

Grand Detour was one of those lost worlds, one of those Edens that you get thrown out of. It really was kind of invented by my father. He's the one who kept out the cars and the electric lights. It was one of the "Merrie Englands." Imagine: he smoked his own sausages. You'd wake up in the morning to the sound of the folks in the bake house, and the smells. ... I feel as though I've had a childhood in the last century from those short summers.

PB: It reminds me of Ambersons. You do have a fondness for things of the past, though...

OW: Oh yes. For that Eden people lose It's a theme that interests me. A nostalgia A nostalgia for the garden--it's a recurring theme…

Il y a nostalgie (le mot signifie douleur en grec, il ne fait pas le prendre à la légère) dans Citizen Kane (le berceau Rosebud qui inspire une des meilleurs épisodes de Columbo), et il y a nostalgie dans la Splendeur des Amberson, narration de la petite aristocratie locale et féodale qui va disparaître sous le poids du progrès technique et de l’immigration européenne. Je cite à nouveau cette page extraordinaire qui évoque le Bernanos de la France contre les robots :

« Il y eut un nouveau silence; le Major consterné fixait son petit-fils. Mais Eugène se mit à rire joyeusement.
– Je ne suis pas sûr qu’il ait tort à propos des automobiles, dit-il. En dépit de toute leur vitesse, elles ne seront peut-être qu’un pas en arrière dans la civilisation. J’entends la civilisation spirituelle. Ajouteront-elles à la beauté du monde, à la vie de l’âme? Je ne le crois pas. Mais elles sont là; elles transforment nos vies plus profondément que nous pourrions le supposer. Elles transformeront la guerre, et elles transformeront la paix. Je pense que l’esprit humain lui-même changera, à cause d’elles. Comment? Je n’en sais rien. Mais le changement extérieur n’ira pas sans un changement intérieur; ici, George a peut-être raison: ce changement intérieur nous sera défavorable. Qui sait? Dans vingt ou trente ans je pourrais n’avoir plus le droit de défendre ma voiture sans cheval, et déclarer moi-même: «Son inventeur a fait un beau gâchis ! »

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Dans son excellente bio de Welles Naremore rappelle que le jeune maître n’a pas voulu parler du « racisme » du roman qu’on rappelle en une phrase :

« Mais le plus grand changement s’observait parmi les habitants mêmes. Les descendants des pionniers étaient petit à petit submergés par le flot des nouveaux venus et s’identifiaient si bien à lui qu’on ne les y distinguait plus. Comme à Boston, comme à Broadway, la vieille race perdit son caractère propre, et de tous ceux qui nommaient la ville «chez eux»). »

On n’insistera pas.

La nostalgie de Welles s’est étendue à sa vie. Il est venu vivre en Espagne, dans l’Espagne franquiste qui enchante alors Hollywood et où même on laissa réaliser le très marxiste Spartacus (voir mon livre sur Kubrick où je décortique cette acrobatie). Après Franco, il dira tel quel que la démocratie a détruit l’Espagne.

Et en quelques années s’il vous plaît.

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Et dire que dans la Dame de Shanghai (ô cette croisière à Acapulco sur le yacht d’Errol Flynn – le Zaca, que je salue toujours à Fontvieille-Monaco !) le héros se flatte d’avoir tué un nationaliste espagnol ! Mais c’est dans la Dame de Shanghai que Welles a le mieux défini l’homme moderne : quand j’ai décidé de faire l’imbécile, il n’y a personne qui puisse m’arrêter.

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Welles a très bien célébré l’Espagne, notamment les pueblos de Calatanazor (réservé aux Happy Few celui-là) de Pedraza dans son Falstaff. Le film se clôt par une rupture: le jeune roi moderne et bureaucrate émerge, bon lecteur de Bertrand de Jouvenel - l’Etat c’est moi, fous-moi la paix, vieux fou.

Le vieux rembarré meurt de chagrin: c’est la fin de la libre Angleterre que même Marx va célébrer dans le Capital. On est avant Azincourt…

Après, il faut voir la naissance du monstre: Kane et le capital, la ville tentaculaire de Verhaeren (les Amberson toujours), Harry Lime du troisième homme, qui trafique du vaccin (tiens, tiens…). Mr Arkadin aussi se réfugie en Espagne (ô Ségovie, ô Alcazar) mais devient un monstre technocratique et capitaliste. On a la même ferveur nostalgique dans la Soif du mal : le vieux Quinlan reste bébé avec ses bonbons et jeune ado avec Marlène Dietrich, la courtisane des débuts. Il y a aussi cette innocence perdue, dont avait parlé mon excellente prof d’histoire américaine à sciences-po, Denise Artaud, et qui succomba avec la création de la Fed et la guerre voulue par le président démocrate Woodrow Wilson et ses marionnettistes banquiers.

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Il est marrant que cette nostalgie de l’âge d’or existe en Amérique, mais alors pas en en France, en Allemagne, ou en Angleterre, pays où les peuples se ruent vers la fin la plus noire possible. Là-bas, on a toujours une nostalgie, même quand on est de gauche, voyez Redford ou les frères Coen après Welles.

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Et comme j’ai parlé de Colombo, qui est devenue mon sucre d’orge avec l’âge, je citerai aussi Requiem pour une star déchue, l’épisode avec Anne Baxter (la jeune actrice des Amberson) et Faux témoin, où comme par hasard on voit la villa de Hearst (le parrain…), magique mansion en mode Spanish Revival, construite en plein âge d’or américain  - Paul Johnson parla de la dernière Arcadie. Colombo, qui vient faire le mélange et liquider les derniers princes anglo-protestants  pour mettre qui l’on sait au pouvoir (la bande à Fink et à Biden), ne peut s’empêcher de nous montrer les merveilles dont ils furent les auteurs, ces anglo-américains qui fascinaient Tocqueville et dont Orson Welles fut le plus prodigieux avatar cinématographique.

Quelques sources :

https://lesakerfrancophone.fr/booth-tarkington-un-romanci...

https://www.dedefensa.org/article/orson-welles-et-sa-fonc...

https://www.amazon.fr/FIN-LINNOCENCE-ETATS-UNIS-W/dp/2200...

https://www.amazon.fr/Tocqueville-politiquement-incorrect...

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16:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas bonnal, orson welles, cinéma, vieille amérique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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