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mercredi, 16 avril 2025

Audiard et ses tontons flingueurs contre la France moderne

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Audiard et ses tontons flingueurs contre la France moderne

Nicolas Bonnal

J’ai retitré mon livre sur la destruction de la France au cinéma en insistant sur le conflit entre le Général (penser au fameux épisode du Prisonnier rebaptisé en France) et Audiard, l’Audiard du début des années soixante. Après il baisse un peu les bras quand même. Il faut bien vivre et l’âge d’or ne dure jamais longtemps.

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Chez Audiard et son antigaullisme du 18 juin il y a comme chez Kerillis la conviction qu’on est face à une énorme escroquerie qui va marcher, essentiellement (je l’ajoute), grâce à la télé, à la radio (l’appel…) et à la propagande scolaire et politique – on ne change pas une équipe qui gagne depuis mettons 1870 et Gambetta (voyez mon texte sur Gambetta et Zelenski). La cinquième république achève d’enterrer et de liquider le vieux pays encore vivant dans les films de Guitry, Pagnol ou Rouquier (Farrebique, à comparer avec l’apocalyptique Biquefarre tourné une génération après) et Audiard pense avoir saisi le truc, aussi bien dans les Tontons que dans Vive la France.

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J’ai un faible pour trois opus majeurs dans l’œuvre disons polémique et politique d’Audiard : les Tontons, les Vieux de la vieille et Vive la France. Le cave ne tient pas la route en la matière malgré cette envolée de Gabin qui nous précise à quelle sauce CBDC les banquiers centraux nous mangeront. Leur kolkhoze fleuri anti-carbone aura tôt fait de nous régler notre compte. Dans les Vieux de la vieille, le trio infernal des pépés qui vont vers une EHPAD encore tenu par des bonne sœurs (au début du gaullisme il y avait encore des bonnes sœurs, quand on vous dit que le gaullisme c’est notre hyper-modernité dont d’ailleurs tous se réclament)

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Et comme on parlait de Gabin :

« Pauvre con ! Le droit ! Mais dis-toi bien qu'en matière de monnaie les États ont tous les droits et les particuliers aucun !

Si les faux-monnayeurs ne peuvent plus faire confiance aux Etats...

J’aime aussi la rébellion des petits vieux combattants dans le classique du vénérable Grangier (un des plus méprisés de nos cinéastes, et ce n’est pas un hasard) d’autant que j’ai leur âge maintenant. On ne murit plus du reste, on devient un vieil adolescent et la comparaison avec Gabin ou Fresnay ne tourne pas à notre avantage. Mais on a aussi peu envie de se laisser casser les sabots comme on dit :

« JEAN GABIN : Y z'ont, y z'ont, y z'ont qu'y sont chez eux ! Pis qu'y z'ont passé l’âge de s'laisser casser les sabots par des opinions étrangères et conifiantes ! V'là c'qu'y z'ont !... »

801198-3081108797.jpgComme on sait en France les opinions sont devenues très conifiantes et très étrangères. On relire le Parlez-vous franglais d’Etiemble (esprit peu suspect d’anarchisme de droite) publié aux débuts de l’époque gaulliste.

Je rappelle que le meilleur rôle de jeunesse de Gabin c’est celui de Ponce-Pilate dans l’incomparable Golgotha de Duvivier (Le Vigan y est divin, vraiment) tourné dans notre magique Algérie française et interdit de séjour en Amérique par les moghols d’Hollywood (merde, mais pourquoi donc ?).

Mais le grand moment des Vieux c’est bien sûr quand ils règlent leur compte à nos apprentis-footballeurs pas encore trous remplacés par l’Afrika Korps. Un ban pour le doublé de connard alors :

https://www.youtube.com/watch?v=aaCv5XK6i34

Audiard devait passer pour misogyne auprès de nos abrutis alors que ses femmes sont phénoménales, à commencer par François qui eut même une carrière hollywoodienne (elle est géniale en reine-mère dans Saraband for dead lovers, un des films les plus importants du monde dont une scène masquée est copiée plan par plan par Kubrick). Ses femmes sont des rebelles traditionnelles (le genre Vera Miles chez John Ford) et il ne faut pas leur marcher sur les pieds car elles ont des manières. On a la scène géante qui m’a inspiré mon livre quand Dominique Davray (géniale et triste dans Cléo de cinq à sept, qui montre en 1963 un Paris déjà crépuscule, vérolé par la bagnole cheap et le… terrorisme) explique l’arrivée de la bagnole et de la télé. Car on ne peut rien faire contre la technique et l’informatique et l’euro numérique nous boufferont comme devant.

https://www.youtube.com/watch?v=AEv9VLQegvY

On a retrouvé le texte, ce texte surhumain, évolien même, qui se suffit à lui-même :

« Chère Madame, on m’a fait état d’embarras dans votre gestion, momentanés j’espère. Souhaiteriez-vous nous fournir quelques explications?
– Des explications, Monsieur Fernand, y’en a deux : récession et manque de main d’œuvre. C’est pas que la clientèle boude, c’est qu’elle à l’esprit ailleurs. Le furtif par exemple, a complètement disparu.
– Le furtif?
– Le client qui venait en voisin. »Bonjour Mesdemoiselles, au revoir Madame »... Au lieu de descendre après le dîner y reste devant sa télé pour voir si, par hasard, y serait pas un peu l’Homme du XXème siècle ! Et l’affectueux du Dimanche? Disparu aussi! Et pourquoi? Voulez-vous me dire?
– Encore la télé?!
– L’auto, Monsieur Fernand, l’auto !
– Vous parliez aussi de pénurie de main d’œuvre ?
– Alors la Monsieur Fernand, c’est un désastre. Une bonne pensionnaire ça devient plus rare qu’une femme de ménage. Ces dames s’exportent… Le mirage africain nous fait un tort terrible. Si ça continue, elles iront à Tombouctou à la nage ! »

Comme on sait c’est plutôt Tombouctou qui est venu à la nage.

Audiard le remarque en se marrant dans Vive la France : la décolonisation a produit l’invasion de la France. On est passé dit-il de cinq à 300 restaus chinois en dix ans par exemple. Aujourd’hui ils sont cinq mille en région parisienne ; il faut dire qu’il y en a cinq mille partout, cf. Debord encore : « le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. »

J’aime assez aussi cette envolée de Dame Dominique :

« – J’dis pas que Louis était toujours très social, non, il avait l’esprit de droite. Quand tu parlais augmentation ou vacances, il sortait son flingue avant que t’aies fini, mais il nous a tout de même apporté à tous la sécurité. »

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La base chez Audiard c’est la peur de l’Etat modernisé et des impôts et des interdictions de tout poil qui vont avec. Ce libertarien avait tout compris. Gabin s’est réfugié en Amérique du Sud comme on sait dans le Cave (en fait il est au Champ de courses à Cannes !), quand cette Amérique du Sud était encore une terre libre, y compris en matière sexuelle (Keyserling en personne en parle très bien quelque part). Et cela donne cette passe (sic) superbe : - Il est giron ton petit sommelier (NDLR : une superbe métisse) ! – Si tu veux, je peux te le bloquer pour la sieste !

Evidemment les Tontons marquent une défaite double : face à l’Allemand retors qui les trahit comme toujours (c’est Medvedev qui parle du retour du nazisme avec le fritz crétin-démocrate Merz) et face aux jeunes qui sont américanisés, pédantisés par les études (Molière toujours) et qui touchent au grisbi avec des mains pas propres : aujourd’hui comme on sait ces citoyens du monde numérisés ne connaissent plus le liquide.

Un petit bijou verbal du maître-lutteur Ventura :

– Patricia, mon petit, je ne voudrais pas te paraître vieux jeux et encore moins grossier…L’homme de la pampa parfois rude, reste toujours courtois… Mais la vérité m’oblige à te le dire: Ton Antoine commence à me les briser menu!

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Ajoutons que la culture célinienne de Don Miguel lui interdisait tout optimisme : il avait fait tout dire à Gabin dans le Président sur l’Europe totalitaire et ploutocratique qui advenait (et ce en pleine rodomontade souverainiste gaulliste) ; et cela donne :

« Tout le monde parle de l’Europe… mais c’est sur la manière de faire cette Europe que l’on ne s’entend plus. C’est sur les principes essentiels que l’on s’oppose…
Pourquoi croyez-vous, Messieurs, que l’on demande à mon gouvernement de retirer le projet de l’Union Douanière qui constitue le premier pas vers une Fédération future ?
Parce qu’il constitue une atteinte à la souveraineté nationale ? Non pas du tout ! Simplement parce qu’un autre projet est prêt… »

Gabin ajoute pour ceux qui n’auraient pas compris :

« Si cette assemblée avait conscience de son rôle, elle repousserait cette Europe des maîtres de forges et des compagnies pétrolières. Cette Europe, qui a l’étrange particularité de vouloir se situer au-delà des mers, c’est-à-dire partout… sauf en Europe ! Car je les connais, moi, ces Européens à têtes d’explorateurs ! »

Soixante ans après ils n’ont toujours pas compris. C’est vrai que les cons ça ose tout finalement. Ça ose ne jamais rien comprendre – c’est tellement fainéant. Voir Goscinny. Je serai bien content quand Macron leur pompera quarante milliards tantôt avant de se faire réélire. Surtout les retraités, pompe-les Manu : c’est les anciens footballeurs qui accablaient les vieux guerriers d’Audiard.

Ah, ce foot, ce cyclisme pour septuagénaire harnaché comme un personnage de George Lucas…

Relisons Léon Bloy sur le sport : « Je crois fermement que le Sport est le moyen le plus sûr de produire une génération d’infirmes et de crétins malfaisants. L’examen de quelques lignes d’un journal de sport suffit pour se former une très ample conviction. Pour ce qui est de mon « sport favori » votre ignorance montre clairement que vous n’avez rien lu de moi ce qui ne peut m’étonner, le sport et la lecture étant tout à fait incompatibles. Ceux qui m’ont lu savent que l’unique sport qui m’a particulièrement séduit depuis mon adolescence est la trique sur le dos de mes contemporains et le coup de pied dans leur derrière. »

dzvsT0sEWAe3hoaY1iR2DvDz294-2147518989.jpgEt comme je disais que les femmes sont des reines chez Audiard je vais citer Ginette Leclerc (photo), ex-femme du boulanger, vous savez celle qui aime le bâton de berger mais qui a (encore) peur du curé :

« Quand ils rouvriront il sera trop tard. Tu trouveras plus personne capable de tenir convenablement une taule. T’auras du standard mais les manières seront perdues. »

Allez, on va terminer sur une note gaulliste, celle du désespoir gaulliste que nous aimons tant et que nous aimons savourer avec Debré :

« Le Général redit son analyse. Ce qui paraît le frapper le plus c’est le fait que les sociétés elles-mêmes se contestent et qu’elles n’acceptent plus de règles, qu’il s’agisse de l’Eglise, de l’Université, et qu’il subsiste uniquement le monde des affaires, dans la mesure où le monde des affaires permet de gagner de l’argent et d’avoir des revenus. Mais sinon il n’y a plus rien (p. 122). »

Je trouve qu’il a raison même si Guizot l’avait dit avant : enrichissez-vous.

Sources :

https://www.youtube.com/watch?v=aaCv5XK6i34

http://tontons.flankers.free.fr/Audiard.html

https://www.dedefensa.org/article/sur-michel-audiard-et-s...

https://www.dedefensa.org/article/la-destruction-de-la-fr...

https://www.pandoravox.com/politique/les-lecons-du-presid...

https://zonesons.com/repliques-cultes-de-comedie/phrases-...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Davray

https://anardedroite.wordpress.com/2013/04/03/michel-audi...

https://www.amazon.fr/Audiard-antigaulliste-cin%C3%A9ma-d...

 

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mardi, 15 avril 2025

Douglas Sirk et le génie médiéval du mélo américain

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Douglas Sirk et le génie médiéval du mélo américain

Nicolas Bonnal

Le vent du matin souffle à jamais, le poème de la création est ininterrompu ; mais rares sont les oreilles qui l’entendent. 

Thoreau.

Douglas Sirk est l’auteur des plus grands mélos de l’histoire du cinéma. Né en Allemagne de parents danois, il quitte son pays, mais en 1937 seulement. Il tournera des films de toutes sortes, assez oubliés. Curieusement sa carrière, comme celle d’autres cinéastes, ne stupéfie vraiment l’amateur de grand cinéma que durant quelques années. Il s’agit de cinq à six ans, pendant les merveilleuses années Eisenhower qui sont pour moi comme un dernier rayon de soleil cinéphilique ; il s’agit donc de mélos traitant de sujets domestiques et assez féminins, avec entre autres deux acteurs fétiches, Jane Wyman, deuxième femme de Reagan, et Rock Hudson, alors au sommet de sa virile beauté et de sa fragilité cachée. Après, Sirk ne fera plus rien ou presque ; comme Hudson, Ford ou Walsh. Comme Hitchcock ou comme Hawks vieillissant. La fin d’Eisenhower, c’est la fin du cinéma doré américain.

Les histoires de Sirk sont toujours banales. Si ce n’est pas lui qui les dirige, cela donne un navet dans le cadre des remakes de Fassbinder ou plus près de nous, Ozon. Le monde est fait de gens normaux, il est à l’eau de rose, la femme est veuve ou souffre fort, on a des confidentes frustrées, des milliardaires égoïstes et obsédés d’horreur sportive, des filles de riches nymphomanes, des fils de riches alcooliques, tout un tas de trivialités depuis longtemps recyclées dans les soaps et les feuilletons les plus usés et fatigants.

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Mais la trivialité n’est qu’apparente. Sirk est un génie chrétien du cinéma, au sens ou le christianisme et surtout l’Évangile, qui, pour sauver nos âmes de haute lutte, transfigure la réalité domestique d’une situation, les noces de Cana, l’Annonciation, la prestation de soins, etc. Sirk aussi impose un cinéma décalé de rédemption. Voyez Hudson passer du rôle d’ennuyeux sportsman à celui de grand médecin dans l’Obsession. Si l’on devait résumer ce cinéma de splendeur de l’âme humaine et de transcendance polychromique, festival goethéen et gothique de la magie des couleurs en cinémascope, on devrait alors parler la phrase imperturbable de Thoreau :

Ce qu’il faut aux hommes, ce n’est pas quelque chose avec quoi faire, mais quelque chose à faire, ou plutôt quelque chose à être.

Cette recherche, ce quelque chose à être, est le fait des auteurs qui ont inspiré Sirk ; l’un, celui qui a écrit la surprenante obsession magnifique, était un pasteur luthérien dans l’Amérique profonde. Le film a d’ailleurs été filmé deux fois, comme l’autre plus grand mélo du cinéma américain, Elle et lui, de l’immense irlandais catholique McCarey.

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La beauté de la Création célébrée par Sirk passe par un sensationnel traitement des couleurs (génial Russell Metty, primé aux oscars, mais pour Spartacus), digne d’un vitrail de cathédrale ou des maîtres allemands Dürer et Altdorfer, par une musicalité géniale parfois inspirée de Chopin ou du romantisme allemand, par aussi un montage aérien, et par une direction d’acteurs merveilleuse de sensibilité, de délicatesse et de dureté.

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Vous croyez avoir vu un type arriver en voiture. Pourtant, voyez le début d’Écrit sur du vent, avec un Robert Stack bourré arrivant pétaradant au milieu des derricks de pétrole expressionnistes et violets dans un roadster jaune qui humilie tout ce qui se fait maintenant. Là, vous découvrez, là vous voyez enfin ce que peut être, ce que doit être le cinéma ; une flamboyance. Il y a la même différence entre un film actuel et le cinéma de Sirk qu’entre le parking d’un centre commercial et la cathédrale de Reims. C’est pourtant de l’architecture dans les deux cas. Sirk nous révèle la réalité oubliée sous la médiocrité.

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Je donnerais donc à voir seulement trois films, la sainte trinité des films mélodramatiques, Obsession magnifique, Écrit sur du vent et bien sûr Tout ce que le ciel permet. Le jardinier Hudson inspiré par Thoreau ramène à la vie une veuve (Jane Wyman, épouse Reagan pour un temps) qui va être tuée par son milieu affairiste et sa… télévision présentée comme l’outil de compagnie pour la femme veuve et surtout divorcée. Sirk avait tout prévu – comme Tex Avery !

Le film procède lentement, même s’il est court ; tous les chefs d’œuvre sont à la fois inépuisables et brefs. Il est un conte parfait. La solitude ; la déclaration d’amour ; l’amour impossible ; la réconciliation. Les arbres symboliques ont ici leur rôle et c’est Rock Hudson qui explique leur symbolisme. L’amour qui vient est d’une pureté totale. Il défie la société mais dans un sens chrétien, pas dans le sens mondain et luciférien d’aujourd’hui. Faire du fric en montrant du sexe est si simple ; mais inspirer l’humain en révélant son âme ?

C’est la splendeur, c’est le joyau du cinéma, à voir trois mille fois dans sa vie au lieu de rester planté et connecté trente mille heures durant devant n’importe quoi. Godard a très bien parlé de Sirk et de son médiévalisme, et il a raison.

Car Douglas Sirk, c’est la révélation médiévale au cinéma. En voyant Sirk, aurait dit Philip K. Dick, vous saurez si vous êtes vivant ou si vous êtes mort… c’est le mélo, disais-je, comme évangile de la réalité moderne.

 

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lundi, 07 avril 2025

Carl Schmitt et la résistance tellurique au système

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Carl Schmitt et la résistance tellurique au système

par Nicolas Bonnal

Il y a dix ans, pendant les fortes manifs des jeunes chrétiens contre les lois socialistes sur la famille (lois depuis soutenues et bénies par la hiérarchie et par l’ONG du Vatican mondialisé, mais c’est une autre histoire), j’écrivais ces lignes :

« Deux éléments m’ont frappé dans les combats qui nous occupent, et qui opposent notre jeune élite catholique au gouvernement mondialiste aux abois : d’une part la Foi, car nous avons là une jeunesse insolente et fidèle, audacieuse et tourmentée à la fois par l’Ennemi et la cause qu’elle défend ; la condition physique d’autre part, qui ne correspond en rien avec ce que la démocratie-marché, du sexe drogue et rock’n’roll, des centres commerciaux et des jeux vidéo, attend de la jeunesse.»

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L’important est la terre que nous laisserons à nos enfants ne cesse-ton de nous dire avec des citations truquées ; mais l’avenir c’est surtout les enfants que nous laisserons à la terre ! Cela les soixante-huitards et leurs accompagnateurs des multinationales l’auront mémorisé. On a ainsi vu des dizaines milliers de jeunes Français – qui pourraient demain être des millions, car il n’y a pas de raison pour que cette jeunesse ne fasse pas des petits agents de résistance ! Affronter la nuit, le froid, la pluie, les gaz, l’attente, la taule, l’insulte, la grosse carcasse du CRS casqué nourri aux amphétamines, aux RTT et aux farines fonctionnaires. Et ici encore le système tombe sur une élite physique qu’il n’avait pas prévue. Une élite qui occupe le terrain, pas les réseaux.

Cette mondialisation ne veut pas d’enfants. Elle abrutit et inhibe physiquement – vous pouvez le voir vraiment partout - des millions si ce n’est des milliards de jeunes par la malbouffe, la pollution, la destruction psychique, la techno-addiction et la distraction, le reniement de la famille, de la nation, des traditions, toutes choses très bien analysées par Tocqueville à propos des pauvres Indiens :

« En affaiblissant parmi les Indiens de l'Amérique du Nord le sentiment de la patrie, en dispersant leurs familles, en obscurcissant leurs traditions, en interrompant la chaîne des souvenirs, en changeant toutes leurs habitudes, et en accroissant outre mesure leurs besoins, la tyrannie européenne les a rendus plus désordonnés et moins civilisés qu'ils n'étaient déjà. »

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Et bien les Indiens c’est nous maintenant, quelle que soit notre race ou notre religion, perclus de besoins, de faux messages, de bouffes mortes, de promotions. Et je remarquais qu’il n’y a rien de pire pour le système que d’avoir des jeunes dans la rue (on peut en payer et en promouvoir, les drôles de Nuit debout). Rien de mieux que d’avoir des feints-esprits qui s’agitent sur les réseaux sociaux.

J’ajoutais :

« Et voici qu’une jeunesse montre des qualités que l’on croyait perdues jusqu’alors, et surtout dans la France anticléricale et libertine à souhait ; des qualités telluriques, écrirai-je en attendant d’expliquer ce terme. Ce sont des qualités glanées au cours des pèlerinages avec les parents ; aux cours des longues messes traditionnelles et des nuits de prières ; au cours de longues marches diurnes et des veillées nocturnes ; de la vie naturelle et de la foi épanouie sous la neige et la pluie. On fait alors montre de résistance, de capacité physique, sans qu’il y rentre de la dégoutante obsession contemporaine du sport qui débouche sur la brutalité, sur l’oisiveté, l’obésité via l’addiction à la bière. On est face aux éléments que l’on croyait oubliés. »

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Enfin je citais un grand marxiste, ce qui a souvent le don d’exaspérer les sites mondialistes et d’intriquer les sites gauchistes qui reprennent mes textes. C’est pourtant simple à comprendre : je reprends ce qui est bon (quod verum est meum est, dit Sénèque) :

« Je relis un écrivain marxiste émouvant et oublié, Henri Lefebvre (photo), dénonciateur de la vie quotidienne dans le monde moderne. Lefebvre est un bon marxiste antichrétien mais il sent cette force. D’une part l’URSS crée par manque d’ambition politique le même modèle de citoyen petit-bourgeois passif attendant son match et son embouteillage ; d’autre part la société de consommation crée des temps pseudo-cycliques, comme dira Debord et elle fait aussi semblant de réunir, mais dans le séparé, ce qui était jadis la communauté. Lefebvre rend alors un curieux hommage du vice à la vertu ; et il s’efforce alors à plus d’objectivité sur un ton grinçant.

Le catholicisme se montre dans sa vérité historique un mouvement plutôt qu’une doctrine, un mouvement très vaste, très assimilateur, qui ne crée rien, mais en qui rien ne se perd, avec une certaine prédominance des mythes les plus anciens, les plus tenaces, qui restent pour des raisons multiples acceptés ou acceptables par l’immense majorité des hommes (mythes agraires).

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Le Christ s’exprime par images agraires, il ne faut jamais l’oublier. Il est lié au sol et nous sommes liés à son sang. Ce n’est pas un hasard si Lefebvre en pleine puissance communiste s’interroge sur la résilience absolue de l’Eglise et de notre message :

Eglise, Saint Eglise, après avoir échappé à ton emprise, pendant longtemps je me suis demandé d’où te venait ta puissance.

Oui, le village chrétien qui subsiste avec sa paroisse et son curé, cinquante ans après Carrefour et l’autoroute, deux mille ans après le Christ et deux cents ans après la Révolution industrielle et l’Autre, tout cela tient vraiment du miracle.

Le monde postmoderne est celui du vrai Grand Remplacement : la fin des villages de Cantenac, pour parler comme Guitry. Il a pris une forme radicale sous le gaullisme : voyez le cinéma de Bresson (Balthazar), de Godard (Week-end, Deux ou trois choses), d’Audiard (les Tontons, etc.). Le phénomène était global : voyez les Monstres de Dino Risi qui montraient l’émergence du citoyen déraciné et décérébré en Italie. L’ahuri devant sa télé…

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Il prône ce monde une absence de nature, une vie de banlieue, une cuisine de fastfood, une distraction technicisée. Enfermé dans un studio à mille euros et connecté dans l’espace virtuel du sexe, du jeu, de l’info. Et cela donne l’évangélisme, cette mouture de contrôle mental qui a pris la place du christianisme dans pas le mal de paroisses, surtout hélas en Amérique du Sud. Ce désastre est lié bien sûr à l’abandon par une classe paysanne de ses racines telluriques. Je me souviens aux bords du lac Titicaca de la puissance et de la présence catholique au magnifique sanctuaire de Copacabana (rien à voir avec la plage, mais rien) (photo) ; et de son abandon à la Paz, où justement on vit déjà dans la matrice et le conditionnement. Mais cette reprogrammation par l’évangélisme avait été décidée en haut lieu, comme me le confessa un jour le jeune curé de Guamini dans la Pampa argentine, qui évoquait Kissinger.

J’en viens au sulfureux penseur Carl Schmitt, qui cherchait à expliquer dans son Partisan, le comportement et les raisons de la force des partisans qui résistèrent à Napoléon, à Hitler, aux puissances coloniales qui essayèrent d’en finir avec des résistances éprouvées ; et ne le purent. Schmitt relève quatre critères : l’irrégularité, la mobilité, le combat actif, l’intensité de l’engagement politique.

En allemand cela donne : Solche Kriterien sind: Irregularität, gesteigerte Mobilität des aktiven Kampfes und gesteigerte Intensität des politischen Engagements.

Tout son lexique a des racines latines, ce qui n’est pas fortuit, toutes qualités de ces jeunes qui refusèrent de baisser les bras ou d’aller dormir : car on a bien lu l’Evangile dans ces paroisses et l’on sait ce qu’il en coûte de trop dormir !

Schmitt reconnaît en fait la force paysanne et nationale des résistances communistes ; et il rend hommage à des peuples comme le peuple russe et le peuple espagnol : deux peuples telluriques, enracinés dans leur foi, encadrés par leur clergé, et accoutumés à une vie naturelle et dure de paysan. Ce sont ceux-là et pas les petit-bourgeois protestants qui ont donné du fil à retordre aux armées des Lumières ! Notre auteur souligne à la suite du théoricien espagnol Zamora (comme disait Jankélévitch il faudra un jour réhabiliter la philosophie espagnole) le caractère tellurique de ces bandes de partisans, prêts à tous les sacrifices, et il rappelle la force ces partisans issus d’un monde autochtone et préindustriel. Il souligne qu’une motorisation entraîne une perte de ce caractère tellurique (Ein solcher motorisierter Partisan verliert seinen tellurischen Charakter), même si bien sûr le partisan – ici notre jeune militant catholique - est entraîné à s’adapter et maîtrise mieux que tous les branchés la technologie contemporaine (mais pas moderne, il n’y a de moderne que la conviction) pour mener à bien son ouvrage.

9782080812599-475x500-1-2922018611.jpgSchmitt reconnaît en tant qu’Allemand vaincu lui aussi en Russie que le partisan est un des derniers soldats – ou sentinelles – de la terre (einer der letzten Posten der Erde ; qu’il signifie toujours une part de notre sol (ein Stück echten Bodens), ajoutant qu’il faut espérer dans le futur que tout ne soit pas dissous par le melting-pot du progrès technique et industriel (Schmelztiegel des industrielltechnischen Fortschritts). En ce qui concerne le catholicisme, qui grâce à Dieu n’est pas le marxisme, on voit bien que le but de réification et de destruction du monde par l’économie devenue folle n’a pas atteint son but. Et qu’il en faut encore pour en venir à bout de la vieille foi, dont on découvre que par sa démographie, son courage et son énergie spirituelle et tellurique, elle n’a pas fini de surprendre l’adversaire.

Gardons une condition, dit le maître : den tellurischen Charakter. On comprend que le système ait vidé les campagnes et rempli les cités de tous les déracinés possibles. Le reste s’enferme dans son smartphone, et le tour est joué.

Bibliographie

Carl Schmitt – Du Partisan

Tocqueville – De la démocratie I, Deuxième partie, Chapitre X

Guy Debord – La Société du Spectacle

Henri Lefebvre – Critique de la vie quotidienne (Editions de l’Arche)

samedi, 05 avril 2025

Juvénal, de la Rome célinienne au Kali-Yuga romain

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Juvénal, de la Rome célinienne au Kali-Yuga romain

par Nicolas Bonnal

L’époque que nous vivons est épouvantable, surtout en Occident. Ce vieil Occident aime se pencher comme dit Guénon vers l’ouest, qui est le côté de la mort. Occidere veut dire aussi tomber et tuer (uccidere en italien). Il n’a guère progressé et ne rêve à nouveau que d’extermination belliqueuse sur fond de liquidation morale, intellectuelle et culturelle : comparez le début du dix-neuvième ou même du vingtième siècle  -Debussy, Bartok, Ives, Stravinski… - au nôtre, pour sourire...

J’évoque, dans mon recueil sur la décadence romaine, mère de toutes les décadences occidentales et italiennes, Juvénal, poète (60-140 après JC) dont je relis les satires, comme pour me consoler de l’actualité. Si la roche tarpéienne, comme on dit, est proche du Capitole, le Kali-Yuga décrit par cet immense et célinien artiste est proche de l’Age d’or d’Auguste, Horace et Virgile. Les âges d’or ne durent jamais très longtemps (cf. le siècle des Lumières façon Goethe, Rameau et Mozart) et très vite le pain et les jeux, comme dit Juvénal, ont le dessus. L’Esprit a toujours le dessous.

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Juvénal écrit dès sa première satire cette acérée remarque contre les méfaits de la paix :

« Aujourd'hui nous souffrons des maux d'une longue paix, plus cruelle que les armes ; la luxure nous a assaillis pour la revanche de l'univers vaincu. Aucun crime ne nous manque, aucun des forfaits qu'engendre la débauche, depuis que la pauvreté romaine a péri ».

Ne nous plaignons pas d’une absence de guerre non plus : certaines guerres produisent le sang, l’engrais de cette plante qu’on nomme le génie, comme dit Joseph de Maistre, certaines ne produisent rien du tout, comme la Seconde Guerre Mondiale, qui reste l’horreur la plus stérile de l’Histoire du Monde. Elle a juste produit la Société du Spectacle et un anéantissement général, spirituel et culturel, sous couvert d’économie, de destruction de la terre muée en réserve minérale et d’unification mondialiste.

Se plaint-on du pouvoir de l’argent ? Juvénal écrit que :

« Le premier, l'or obscène a importé chez nous les mœurs étrangères ; avec son luxe honteux, la richesse, mère des vices, a brisé les traditions séculaires. »

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Rappelons que pour Fustel de Coulanges le pouvoir romain s’est établi partout parce qu’il s’est toujours appuyé sur les riches, - comme finalement le pouvoir américain. Le tout s’achevant comme bientôt notre monde par un effondrement généralisé et une dépopulation fantastique (baisse de 80% de la population en cinq siècles, on va compter les survivants vers 2100 ou 2200…).

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La satire VI est la plus longue et la plus fameuse, formidablement misogyne (ô Ursula, Angela, Christine, Brigitte, Hillary, Sandrine et des milliards d’autres maintenant…) et en guerre contre la révolution sexuelle tancée par Fellini dans son Satiricon et ses films sur la société de consommation et de con-soumission. Artiste visuel totalement génial, Fellini est et reste le sublime commentateur romain de cette Dolce Vita qui nous a tous emportés vers le Grand Reset.

Parle-t-on de sexe ou de libération des mœurs ? Juvénal pornographe explique que :

« Lorsque l'amant fait défaut, on livre assaut aux esclaves ; faute d'esclaves, on appelle un porteur d'eau ; si enfin il n'y a pas moyen de trouver d'homme, on n'attendra pas davantage, on se couchera sous un âne ».

Evoque-t-on l’avortement ? Juvénal rappelle :

« Le moment même où Julie nettoyait d’une foule d’avortons sa féconde matrice et se délivrait de fœtus qui ressemblaient à son oncle. »

L’incrédulité se développe alors bien sûr, et ceux qui critiquent Harry Potter et son influence sur les anciennes têtes blondes de Londres ou de Strasbourg feront bien de lire ou de relire ces lignes :

« Existe-t-il des mânes, un royaume souterrain, une gaffe de nautonier, un Styx avec des grenouilles noires dans son gouffre, et une barque unique pour faire passer le fleuve à des milliers d’ombres ? Même les enfants ne le croient plus, sauf ceux qui n’ont pas encore l’âge de payer aux bains. »

Nous plaignons-nous de la domination des experts, des médecins, des médiatiques et des diététiciens et des bateleurs de tout poil ? Notre poète a encore réponse à tout :

« Dis-moi ce que c’est qu’un Grec ? Tout ce qu’on veut : grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, masseur, augure, danseur de cordes, médecin, magicien, que ne fera point un Grec famélique ? »

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Le Grec c’est l’expert, l’animateur, l’agent mercuriel évoqué par Yuri Slezkine dans un sulfureux livre et c’est aussi un être formidablement motivé par le fric. On redécouvrira les réflexions de Gobineau ou de Le Bon (la cité grecque comme enfer pour le citoyen – vive l’empire perse !) sur ces Grecs qu’on nous vend depuis des siècles.

Sur le bruit en ville :

« Où louer un appartement où l’on puisse fermer l’œil ? Il faut une fortune pour dormir dans notre ville. Voilà ce qui nous tue. Le passage embarrassé des voitures dans les rues étroites, le désordre bruyant du troupeau, ôteraient le sommeil à Drusus lui-même… »

Sur l’étatisme, la fiscalité, les contrôles tous azimuts, Juvénal écrit ces lignes qui auraient pu inspirer Taine ou Jouvenel (pas besoin d’Etat moderne, l’Etat est toujours là, voyez aussi Balazs sur la tyrannie des eunuques chinois) :

« Qui oserait vendre ou acheter ce poisson, quand tant de délateurs surveillent les côtes ? Il y a partout des inspecteurs qui chercheraient noise au pauvre pêcheur ; ils affirmeraient que le poisson a été élevé dans les viviers de César, qu’il s’en est échappé et qu’il revient de droit à son premier possesseur. »

Juvénal remarque aussi que le fisc tue la nature – on est là proche de Heidegger :

« Nous n’avons plus un arbre qui n’ait à payer une taxe au Trésor : il mendie, ce bois dont les muses ont été exilées. »

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Juvénal nous met enfin en garde contre l’astrologie, l’occultisme et aussi contre le notable allongement de la durée de vie, obsession dont les imbéciles font leurs choux gras dans les pages branlantes du Fig-Mag (ce baby va vivre centre-trente ans !) :

« Donne-moi longue vie ; accorde-moi, Jupiter, de longues années. " C'est le vœu, le seul, qu'en bonne santé tu formes, ou malade. Mais quelle suite d'affreux maux accablent une longue vieillesse ! »

Pour lui (qu’on devine réactionnaire…) comme pour Céline ou Drumont – ou même Mirbeau - il ne sert à rien d’écrire à une époque où tout le monde écrit :

« Il serait sottement clément, puisqu’on se heurte partout à tant de poètes, d’épargner un papyrus qui trouverait toujours à se souiller. »

La rage devient comme chez nos polémistes la vraie raison d’écrire :

« Qui donc pourrait se résigner au spectacle des hontes romaines ? Comment exprimer la colère dont mon foie se dessèche et brûle, quand la populace s’écrase pour laisser passer la foule de clients faisant cortège à un spoliateur qui a réduit sa pupille à se prostituer ou à cet autre condamné par un jugement tombé à l’eau ? »

On se répète sur cette dinguerie sexuelle qui semble un apanage romain à travers les siècles :

« Qui donc peut dormir, quand une bru s’abandonne à son beau-père par cupidité, quand des fiancées ont déjà fait la noce, quand des adultères sont encore enfants ? Le génie n’est plus indispensable, c’est l’indignation qui forge les vers, et ils sont ce qu’ils sont. »

Parfois Juvénal aussi oublie son enfer fellinien et il renoue avec le sublime et l’ésotérisme noble des romains enracinés dont a sublimement parlé Guénon (de Pythagore à Dante –j’aurais ajouté Lorrain et Poussin… -, en passant par Virgile, la présence initiatique et traditionnelle en Italie, mère par ailleurs de tous les vices et de toutes les tyrannies et de toutes les forfanteries) ; il cherche à déchirer le voile de la Maya ou les murs de la prison de fer de Dick :

« Sur toute la surface des terres qui s'étendent de Gadès à ce berceau de l'aurore qu'est le Gange, peu d'hommes sont capables de discerner les vrais biens de ceux qui leur sont funestes, derrière les nuées de l'illusion. Quand sera-ce d'après la raison que nous craindrons ou désirerons ? Quel projet formé sous d'heureux auspices ne risque pas de nous mener au repentir, si nous l'accomplissons ? »

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Enfin Juvénal envoie promener nos humanités (instruction vient de instruere, ranger en ordre de bataille…) qui ont reposé via Plutarque sur la célébration des généraux et de leurs massacres :

« Le terme de cette vie qui mit jadis sens dessus dessous les affaires des hommes, ni les épées n'en décideront, ni les rochers, ni les flèches ; mais le bourreau du vainqueur de Cannes, le vengeur de tant de sang répandu, sera un simple anneau. Va insensé, cours à travers les Alpes escarpées, pour finalement amuser des écoliers et devenir un sujet de déclamation. »

* * *

Juvénal – Satires, traduites par Henri Clouard

mardi, 01 avril 2025

Marshall McLuhan et le nationalisme typographique

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Marshall McLuhan et le nationalisme typographique

Nicolas Bonnal

McLuhan a été mal lu et oublié, mais on devrait au moins retenir cela de lui, qui n’est pas si éloigné du guénonisme et des penseurs traditionnels : l’imprimerie et le progrès technique en général ont profondément altéré, depuis la Renaissance, notre rapport à la réalité, à nous Occidentaux. McLuhan voit dans la typographie la cause du développement de notre schizophrénie, puis du nationalisme (notamment littéraire et linguistique) et du progrès comme somme d’organisation, contrôles et d’aliénation moderne, celle qu’a recensé Foucault dans Surveiller et punir par exemple (ô cette description des collèges jésuitiques…).

Il est dommage qu’il ait omis de s’en prendre au protestantisme comme fruit de cette même imprimerie (le mythe de Faust y est lié, rappelle Guénon) et cause du grand chambardement moderne – et de guerres de religion qui ont liquidé les deux tiers de la population de l’Allemagne tout de même. Pensons-y à l’heure où l’informatique achève de nous rendre soumis, hébétés ou fous de contrôle et belliqueux, et de configurer le modèle du totalitarisme futuriste des écrivains de SF : car comme disait Debord en 1961 (voir la bio que lui a consacrée Bourseiller, p. 241), on assiste au « processus de formation d’une société totalitaire cybernétique à l’échelle planétaire ». D’une manière décalée c’est ce que j’avais décrit dans mon propre conte SF intitulé les Territoires protocolaires en 2001, au moment où l’on fêtait distraitement l’odyssée de l’espèce.

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Mais venons-en au nationalisme, puisque McLuhan (catholique canadien…) a négligé le conditionnement protestant que pourtant Weber avait déjà imparfaitement évoqué – sur ce thème il faut lire et relire le texte somptueux et génial de Murray Rothbard sur les anabaptistes et autres maniaques de l’Apocalypse, ce livre qui rend fou depuis des siècles de bonne impression des sectes et des peuples entiers.

Il désigne deux pays comme particulièrement toxiques et dangereux, l’Angleterre et la France. Il est amusant de voir que ces deux pays se métamorphosent, après avoir déclenché toutes sortes de guerres mondiales et continentales depuis des siècles (relire Grenfell toujours), en tyrannies écologistes et néo-sacerdotales, boutefeux antirusses et même antiaméricains. Le même fanatisme qui a prévalu via la typographie au temps de Cromwell ou de Robespierre-Napoléon (pour parler comme Kojève ou Hegel) prévaut aujourd’hui ; ce sont les mêmes symptômes de détraquement qui réapparaissent, avec plus de moyens pour contrôler et exterminer les populations. Mais disons que les peuples français et anglais sont les peuples les mieux conditionnés, et ce depuis longtemps.

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Le culte des génies au dix-septième siècle, disait Guénon, est lié non pas au contenu « génial » des œuvres mais à la montée du nationalisme et du fanatisme typographique. McLuhan confirme :

« On trouve dans la philosophie politique de Milton et de Locke un esprit nationaliste sans parallèle dans la pensée de leurs homologues contemporains du continent et c'est un Anglais, Bolingbroke qui fut I'un des premiers à proposer une doctrine nationaliste formelle. Il était donc naturel que des Anglais en guerre contre le jacobinisme aient revêtu la livrée du nationalisme… ».

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Puis il cite un très grand historien oublié, l’Américain Carleton Hayes :

« C'est ce qu’écrit Hayes dans Historical Evolution of Moden Nationalism; et c'est un témoignage identique sur le caractère hâtif de l’unité nationale anglaise que nous apporte un ambassadeur vénitien du 16ème siècle :

" En 1557, l'ambassadeur vénitien Giovanni Micheli écrivit à son gouvernement: « Du moins en ce qui concerne la religion (en Angleterre), l'exemple et l'autorité du souverain sont de la plus haute importance. Les Anglais prisent et pratiquent leur religion seulement dans la mesure où, ce faisant, ils remplissent leurs devoirs en tant que sujets envers leur souverain: ils vivent comme il vit, croient ce qu'il croit - en un mot, font tout ce qu’il leur ordonne... ils adopteraient le mahométisme ou le judaïsme si le roi les pratiquait et s'il demandait qu’on les pratique. » Le comportement religieux des Anglais de ce temps-là apparaissait très étrange aux observateurs étrangers. L'uniformité religieuse était de règle, comme sur le continent, mais la religion changeait avec chaque souverain. Schismatique sous Henri VIII et protestante sous Edouard VI, l'Angleterre redevint catholique romaine, et sans beaucoup de résistance, sous Marie Tudor… »

Je l’ai déjà dit dans mes textes sur le Prisonnier ou Tocqueville et la Prison anglaise : le Village n’est pas une métaphore sur le totalitarisme coco ou autre, le Village du Prisonnier c’est l’Angleterre moderne (on va dire depuis Henri VIII donc) avec ses numéros deux équivalents, ses élections bidon, sa population abrutie et distraite, son traintrain casanier et son aveuglement intégral. Après la guerre on a mis en place par exemple ce type de villes nouvelles, qui ont d’ailleurs dépeuplé un temps Londres, raison pour quoi cette métropole semble si silencieuse dans un légendaire film d’Antonioni ou dans Amicalement vôtre. Harry Potter aussi fonctionne malgré lui comme une métaphore du néo-totalitarisme anglais qui se mit en place sous le redoutable Tony Blair et la révolution mondialiste-informatique.

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L’efficacité des modèles français ou anglais est venue de cette monarchie forte qui a su créer des bourgeois, le modèle de l’homme non mégalothymique, pour reprendre l’expression de Fukuyama dans son génial chapitre XVII. Le maître nippon comprend comme Taine que les monarchies ont liquidé le guerrier traditionnel et créé un nouveau modèle d’homme postféodal, soumis, grégaire et rentier. On l’enverra ceci dit après l’avoir conditionné un peu sur tous les champs de bataille du monde (Groenland, Pologne, Baltique, Palestine…) aussi sans entendre le moindre « furtif soupçon de plainte », comme dit Céline.

Le nationalisme crée un homme uniforme et enchaîné, totalement conforme, un moment de la construction mondialiste évoquée par Debord ; McLuhan :

« Les premiers jacobins avaient mis du temps à traduire toutes leurs théories d'éducation dans le concret, mais ils reconnurent rapidement la signification du langage comme fondement de la nationalité et tentèrent d'obliger tous les habitants de la France à se servir du français. Ils soutenaient que le succès d'un gouvernement « par le peuple » et de l'action collective de la nation reposaient non une certaine seulement sur une uniformité de mœurs et de coutumes, mais plus encore sur une identité d'idées et d'idéaux… »

On va donc liquider la diversité et créer le premier grand remplacement (notion pas très éclairante tout de même) cher à nos histrions : c’est déjà la fin des provinces et de la chair réelle. Le citoyen républicain a déjà remplacé le Français, il est prêt pour tous les charniers humanitaires.

« Face au fait historique que la France ne constituait pas une unité linguistique qu'en plus des dialectes profondément différents qui existaient dans les diverses parties du pays, on parlait des langues « étrangères »: le breton à l’Ouest, le provençal, le basque et le corse au sud, le flamand au nord et l’allemand alsacien au nord-est -- ils décidèrent d'étouffer les dialectes et les parlers étrangers et d'obliger… »

Un mot définit le nationalisme : grégarisme.

« Et pourtant, c'est le nationalisme, bien plus qu'aucune autre forme de grégarisme humain, qui a marqué l'histoire moderne. »

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Macluhan ajoute superbement :

« La réponse au problème que pose Hayes se trouve dans l'efficacité de la parole imprimée qui a, la première, permis de visualiser le langage et ensuite de créer ce mode d'association homogène qui rend possibles l'industrie moderne, les marchés et la jouissance visuelle de la condition nationale… »

C’est déjà le début de la fin pour la famille, puisque la nation (l’Etat donc) va se charger de tout le troupeau destiné à être privé de vie ou de carbone.

« La «nation en armes » était une notion jacobine d'une grande signification pour la propagande nationaliste. La «nation dans les écoles publiques » en était une autre. Avant la Révolution française, on avait longtemps estimé, dans la plupart des milieux, que les enfants appartenaient à leurs parents et que c'était à ces derniers de décider si leurs enfants devaient être instruits et jusqu'à quel point. »

L’armée, l’usine même devient une page imprimée :

« La liberté, l'égalité et la fraternité ont trouvé leur expression la plus naturelle, quoique la moins inventive, dans I'uniformité des armées citoyennes de la révolution. Ces armées n'étaient pas seulement des copies exactes de la page imprimée, elles reproduisaient aussi la chaîne de montage. Les Anglais ont devancé le reste de l'Europe de très loin dans le nationalisme, l'industrialisation et dans l'organisation typographique de l'armée, Les Côtes-de-fer de Cromwell ont fait campagne cent cinquante ans avant les armées jacobines. »

Guénon a justement parlé de notre civilisation hallucinatoire. McLuhan montre comment elle est devenue INDUSTRIELLEMENT hallucinatoire depuis Gutenberg et le reste.

Sources personnelles principales :

https://www.dedefensa.org/article/rene-guenon-et-notre-ci...

https://www.dedefensa.org/article/tocqueville-et-la-priso...

https://www.dedefensa.org/article/bacon-et-la-nouvelle-at...

https://www.dedefensa.org/article/barzun-et-linvention-de...

https://www.dedefensa.org/article/taine-et-le-cretinisme-...

https://www.dedefensa.org/article/comment-fukuyama-expliq...

https://www.dedefensa.org/article/mcgoohan-le-prisonnier-...

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/10/22/le-communi...

https://lesakerfrancophone.fr/le-syndrome-churchill-et-la...

https://www.amazon.fr/TERRITOIRES-PROTOCOLAIRES-BONNAL/dp/2876230984/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=2QGFCODCJ8V7F&dib=eyJ2IjoiMSJ9.0_C24KjNreBHbk9vAnZ_yhv-MA3HO8ukXNtwpFNGm-s.yFzYWnMR945Q5w-Gf7dAVUfLM2d2qAzYdiuDC0TuUjM&dib_tag=se&keywords=bonnal+territoires&qid=1743150251&s=books&sprefix=bonnal+territoires%2Cstripbooks%2C112&sr=1-1

 

 

 

 

 

lundi, 24 mars 2025

Quand Hollywood fait la chasse au comte Zaroff

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Quand Hollywood fait la chasse au comte Zaroff

Nicolas Bonnal

J’ai repris ma version de 2016 pour établir ce texte, dont j’avais écrit une première version bien avant. Je reconnais qu’en matière de russophobie, depuis, l’élève européen a dépassé le maître (l’Amérique, toujours, plus russophile avec les républicains pour des raisons établies par Todd)….

Je crois de plus en plus à une montée de la tension russo-américaine pour l’année prochaine, qui pourrait déboucher sur une catastrophe. C’est comme pour les produits dérivés ; on ne s’arrêtera pas en si bon chemin, et c’est Hollywood qui va nous éclairer à ce propos.

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Dans les années 80 et 90, Hollywood envoyait Schwarzenegger égorger des latinos en Amérique centrale ou du sud (Commando, Predator, Collateral Damage) ; ou bien, quand on avait moins d’argent, on envoyait Chuck Norris. Dans les années 90, alors que l’on prépare l’opinion aux attentats du 11 septembre et aux guerres qui s’ensuivent, on ne cesse de montrer au public des films consacrés au terrorisme islamiste. Enfin, dans les années trente, pour remonter le cours du temps, les épisodes de Buck Rogers nous initiaient au péril jaune.

Chaque fois, des guerres ont bien eu lieu. En Asie bien sûr (Japon, Corée, Vietnam et tout le reste). En Amérique centrale, en Colombie (300.000 morts tout de même), au Moyen-Orient où elles ne cessent pas, et ne cesseront peut-être jamais. Et ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que la pression antirusse ne cesse de monter du côté de Los Angeles.

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Dans les années 80, on avait eu Rambo 2 et 3, la délirante Aube rouge, qui voyait une invasion russo-cubaine des USA. L'invasion latino a bien eu lieu, mais sous forme de réfugiés économiques.

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Il y a toujours eu pléthore de films antirusses à Hollywood, et il est bon de noter que ces films antirusses étaient rarement anticommunistes : sous Roosevelt le cinéma fut même pro-stalinien. Je me souviens d’une comédie, Jet Pilot, de von Sternberg, datant d’après d’ailleurs, narrant le mariage d’une belle pilote stalinienne avec John Wayne ! Sous Reagan aussi, Le Quatrième Protocole (1987), Double Détente (1988) ou Gorky Park (1983) ne marquaient pas, c’est le moins qu’on puisse dire, un anticommunisme viscéral. On peut rappeler aussi la Belle de Moscou qui voit Fred Astaire séduire Cyd Charisse avec son soft power. Et je ne cite pas Reds de Warren Beatty oscarisé en 1981 pour son catéchisme bolcheviste (c’est à croire que l’on attendait avec impatience la nationalisation de toutes les banques et de toutes les dettes…).

Les grands cinéastes anticommunistes comme Mervin Le Roy, l’immense McCarey ou même Kazan ont même été diabolisés ou sciemment oubliés depuis, à l’instar de Joe McCarthy.

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Les films hollywoodiens étaient plutôt antirusses, et marquaient une haine antirusse civilisationnelle, essentiellement tsariste et orthodoxe. L’Amérique comme l’Angleterre de Palmerston au 19ème siècle poursuivait la lutte de la périphérie océanique contre le pays-continent, que l’on symbolisait par le conflit de l’ours et de la baleine. L’Angleterre réussit à entraîner la France de Louis-Napoléon dans son irréelle guerre de Crimée (la charge de la brigade légère). Disraeli voulait une guerre contre la Russie en 1878, pour protéger l'empire ottoman, et l’obsession anglo-saxonne était d’empêcher la Russie d’avoir accès aux mers chaudes ou bien de se rapprocher des Indes (la thématique de McKinder). C’est une belle espionne russe qui aide Mohammed Khan à capturer les Trois lanciers du Bengale dans le film éponyme (par ailleurs œuvre préférée d’Adolf Hitler, qui s’y connaissait en racisme antirusse). Kim avec Errol Flynn tacle aussi la Russie (elle envahit l'Inde!). Le Kipling sur l'homme qui voulut être roi est aussi antirusse (le "grand jeu"…), mais pas la belle adaptation de John Huston. On pourra aussi citer Capitaine sans peur, de Raoul Walsh où un fougueux Gregory Peck se fait fouetter par un noble russe, dont il a séduit la fiancée... Encore un marin contre un terrien. Le film tourne autour de l'Alaska que le tsar Alexandre II vendit pour une bouchée de pain. Et dire qu'Alexandre aurait pu aider l'Angleterre et la France impériale à soutenir le Sud sécessionniste…

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Mais c’est le légendaire comte Zaroff (avatar de King Kong finalement) qui synthétise tous les préjugés antirusses : c’est évidemment un russe blanc, un aristocrate ; il adore chasser ; il est cruel et entouré de moujiks sordides ; et il se lance dans des chasses sadiques après avoir coulé les navires des riches yachtmen qui croisent près de son île mélanésienne. Rappelons qu’Hollywood ne dénoncera presque jamais le bolchévisme : McCarthy a essayé d’expliquer pourquoi, on a vu comment il a fini dans la fosse à purin, plus bas qu’Hitler ou presque.

Trente ans plus tard, Kubrick le russophile (voyez mon livre sur Kubrick aux éditions Dualpha) se moque un peu du racisme antirusse dans son Docteur Folamour : pour le général xénophobe qui pousse le président à une guerre totale, les Russes sont un « tas de moujiks ignorants ». Mais l’ambassadeur soviétique ne s’illustre pas par sa bonne conduite dans la War Room où il ne faut pas se battre... Dans 2001 les savants russes sont du reste des savants trompés par une conspiration américaine !

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Comme je l’ai dit déjà, il y eut une baisse de régime antirusse sous le regretté Ronald Reagan : les républicains sont devenus moins hostiles aux Russes depuis Nixon que les démocrates, ce n’est pas difficile... Et puis l’implosion du communisme, mauvais service rendu aux Anglo-Saxons (il a libéré les forces vives de la Chine, de la Russie et même de l’Inde), fait qu’en 1997 Simon Templar alias Le Saint va combattre un « oligarque ultranationaliste » qui risque de nous priver de pétrole et de liberté. A la même époque les oligarques apatrides enrichis sous l'ère Eltsine sont déjà tous à Londres ou à Megève... La même année Air Force One nous décrit l’assaut de l’avion présidentiel américain par un groupe de terroristes nationalistes. Le sulfureux Gary Oldman peut exposer son point de vue de méchant, d’ailleurs parfaitement justifié.

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Il faut attendre dix ans pour voir une nuée de films antirusses déferler sur nos écrans : Les Promesses de l’Ombre, de Cronenberg, La Nuit nous appartient, X-Files de Chris Carter. La russophobie revient avec le regain russe, comme le dit Todd dans son Après l'Empire. A chaque fois, on n’y va pas de main morte : les Russes sont des cannibales, des racistes abrutis, des trafiquants de cocaïne, ou des mafieux pathétiques qui contrôlent tout ce qui se fait du mal dans le monde (Equalizer)... Pis encore, ils vont aussi à l’église et ont l’esprit de famille...

C’est eux, et non pas d’autres, qui organisent la nouvelle traite des blanches. On se croirait au temps du terrible Ivan Grozny !

Menacent-ils la sécurité des Etats-Unis, qui aujourd’hui peut être menacée n’importe où ? Oui, pour Charlie’s Wars, écrit par Aaron Sorkin et réalisé l’an dernier par Mike Nichols, qui montre comment les Etats-Unis ont équipé les talibans pour abattre les hélicoptères de l’armée rouge. S’agit-il d’une répétition ?

La russophobie en Amérique est ancienne. On demandera à Tocqueville de la justifier, ce qu'il fait nûment à la fin du tome premier de sa Démocratie :

« Il y a aujourd'hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s'avancer vers le même but: ce sont les Russes et les Anglo-Américains. Tous deux ont grandi dans l'obscurité; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur. »

Sources :

https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-con...

https://www.dedefensa.org/article/kubrick-et-la-question-...

https://www.dedefensa.org/article/kubrick-et-la-demence-d...

https://www.dedefensa.org/article/kubrick-et-polanski-con...

https://www.revuemethode.org/sf111630.html

 

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vendredi, 21 mars 2025

Rencontre d’Éric Rohmer et de Jean Parvulesco

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Rencontre d’Éric Rohmer et de Jean Parvulesco

Nicolas Bonnal

Jean Parvulesco a traversé l’âge doré du cinéma français (les années soixante et soixante-dix donc) comme un agent secret et un grand initié discret. Tous ces maîtres plus ou moins célébrés et reconnus réveillèrent une France cinématographique endormie par l’académisme de l’après-guerre (Lourcelles…) et l’Amérique. Et c’est elle qui se mit à inspirer l’Amérique, le tout grâce à un savant et pétillant mélange d’avant-gardisme et d’esprit réactionnaire (voyez notre texte sur la nouvelle vague). La France sous coupe réglée technocratique commençait à disparaître mais il restait quelque chose à anéantir encore. Cet heureux temps n’est plus.

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Jean me disait que l’autre lui devait tout, lui et bien d’autres encore. Il est clair en tout cas qu’ils ne surent ou ne voulurent pas l’utiliser, et que celui qui eût mieux pu le révéler était Rivette, et son obsession pour les conspirations et les mondes secrets. Toujours est-il que personne ou presque n’a vu Rivette et qu’en Amérique du sud j’ai pu voir ou revoir dans les Alliances françaises (que ce mot fait vétuste…) tous les Rohmer qui, en tant qu’ancien prof, avait bien su se faire distribuer. Il y avait d’un côté l’élitisme discret, de l’autre, cette popularité de festival, qui s’interrompit le jour où notre courageux géant régla son compte à notre Révolution dans l’Anglaise et le duc. Là les yeux de certains se dessillèrent et on tempêta contre l’intrus qui remettait en cause l’essentiel : la dictature culturelle de la gauche caviar.

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Envoutant et petit-bourgeois (je le dis presque élogieusement), le cinéma d’Éric Rohmer a célébré la terre de France comme personne, arpentant souvent du reste des lieux que je connaissais (que nous connaissions tous) enfant, quand ils n’étaient pas encore trop profanés (car le temps de Farrebique est loin…) : on eut le lac d’Annecy dans le Genou de Claire, le jardin des Buttes-Chaumont dans la Femme de l’aviateur, le coin de Ramatuelle dans la Collectionneuse, la région de Clermont dans ma Nuit chez Maud, plus grise et sinistre, encore industrielle. N’oublions pas Dinard et Saint-Malo dans Pauline ou le Conte d’été, le meilleur de la série.

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Rohmer a le mieux exprimé son lien avec les paysages et la géographie sacrée, façon Jean Phaure, dans le Rayon vert, tourné au pays basque et à Biarritz. J’avais lu le roman initiatique et voyageur de Jules Verne grâce à Gilbert Lamy et remis mon exemplaire à Jean, qui ne l’avait pas connu jusque-là. Ce film montre admirablement le basculement enchanteur de la dépression, du monde qui ne signifie rien, à celui de la géographie magique et du sixième sens amoureux.

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Éric Rohmer essayait de se protéger en protégeant la France avec sa caméra : c’est là que l’on redécouvre Reinette et Mirabelle, l’Arbre, le Maire et la Médiathèque, qui narre la lutte de l’inévitable Lucchini contre la mégalomanie bâtisseuse des années Mitterrand. Dans ce film de résistance politique, on découvre Parvulesco s’entretenant sur le « grand initié » qui se situe « dans ma dialectique à la droite de l’extrême-droite ». C’est vrai que depuis le départ de Mitterrand on a senti une accélération du processus de désintégration ontologique et physique de la France : effets de la construction européenne et du départ de ce bienveillant protecteur qui entretenait aussi une relation magique et tellurique avec sa terre.

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Le cinéma de Rohmer avait une dimension magique et tellurique, presque initiatique. On le comprenait par la beauté des images de Nestor Almendros (photo) qui malheureusement se sépara du maître au cours des années 80. La splendeur des images de Perceval (plus grande entreprise cinématographique de l’époque avec Apocalypse now, avait dit Joël Magny), de Claire et de l’incroyable Marquise d’Ô en témoignent. Dans son beau livre de mémoires Almendros, artiste hispano-cubain promis à un bel oscar pour le meilleur Malik, raconte que même le directeur de la photo de Kubrick, John Alcott en personne, lui avait demandé comment il s’y était pris pour ses fameux (mais moins que ceux de Barry Lyndon) éclairages à la bougie ; et on se prend comme Jünger à regretter Soixante-dix qui s’efface. Epoque libre, libertaire, païenne, aventurière (ô les Odyssées de Schroeder, autre ami de Parvulesco)…, les Seventies nostalgiques souvent et rebelles toujours se révèlent comme notre préhistoire maintenant. En marge du cinéma libre et des grands westerns révisionnistes, C’est THX 1138, Woody et les robots ou Roller Ball qui ont triomphé, et bientôt Soleil vert.

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La décennie soixante-dix, c’est aussi l’époque de Tarkovski cet autre maître traditionnel perdu dans l’entropie du système soviétique agonisant (et tolérant, finalement, comme je l’ai montré dans mon livre sur le folklore dans le cinéma soviétique). Le grand cinéma d’auteur européen disparaissait, qui avait génialement suppléé à l’effondrement de la Tradition : revoyez dans ce sens l’abominable début du Ginger et Fred de Fellini qui montre que l’Italie a disparu comme ça, en quelques années, au début des années 80. Fini son cinéma aussi comme on sait.

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Rohmer n’était pas un pleurnichard et, lui, il a tenu bon en célébrant jusqu’à la fin (j’allais écrire la faim) le vieux Paris, les villes nouvelles pour jeunes enracinés (L’ami de mon amie), les avanies de nos territoires protocolaires. C’est là que son ami Paul Virilio écrivit :

« Je considère qu’après la dissuasion militaire (Est-Ouest), qui a duré une quarantaine d’années, nous sommes entrés, avec la mondialisation, dans l’ère d’une dissuasion civile, c’est-à-dire globale. D’où les interdits si nombreux qui se multiplient aujourd’hui (exemples : un des acteurs de La Cage aux folles déclarant qu’aujourd’hui on ne pourrait plus tourner ce film ; ou mon ami Éric Rohmer à qui son film, L’Astrée, a valu un procès, un président de conseil régional l’attaquant pour avoir déclaré que L’Astrée — le film — n’a pu être tourné sur les lieux du récit engloutis par l’urbanisation, tu te rends compte ?). Donc je suis très sensible au fait que nous sommes des Dissuadés. »

Que le pauvre Rohmer ait été poursuivi pour avoir simplement déclaré que nous avions saccagé ou fait disparaître nos paysages est finalement un hommage rendu à sa grandeur et à son courage.

Pour le reste il faut aussi comprendre qu’il est trop tard pour s’adonner à la pleurnicherie nostalgique. Nous sommes trop avancés dans le néant pour ça, en France ou ailleurs.

Si j’avais un moment de Rohmer à recommander, pour terminer sur une note plus sereine, ce serait l’Heure bleue. C’est l’heure la plus silencieuse de Zarathoustra mise à portée des jeunes filles en fleur, ou le coin où l’espace et le temps se touchent, comme dit Guénon en évoquant Wagner.

Sources:

https://www.dedefensa.org/article/paul-virilio-et-lere-de...

https://www.dedefensa.org/article/parvulesco-et-le-secret...

https://www.dedefensa.org/article/nouvelle-celebration-de...

 

 

samedi, 15 mars 2025

Tombeau hindou: Fritz Lang et le masque populaire

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Tombeau hindou: Fritz Lang et le masque populaire

Nicolas Bonnal

Plus grand cinéaste de l’Histoire, Fritz Lang n’aura ni perdu son temps ni son aura. Il vole la vedette aux acteurs (excellent Jack Palance tout de même) et au gentil disciple Godard dans le Mépris, où il devient notre Homère, citant Brecht et Hölderlin au passage. Quelques années auparavant il avait commis son opus magnum, le doublé Tigre du Bengale-Tombeau hindou qui est un film à la fois testamentaire et originel. Le cinéma peut mourir en Europe (télé, abrutissement consumérisme, gauchisme culturel, nihilisme institutionnel, etc.) mais il a montré qu’il est toujours là, proche de ses racines et de son enfance nietzschéenne. Que les dieux se retirent n’a rien de surprenant : Hölderlin nous prévint lui-même dans son poème Pain et Vin.

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Je recommande de voir muet le Tombeau hindou tourné dans un Udaipur (que j’ai vu en 1988) solaire et encore épargné par le tourisme du retraité. On a des tombeaux, des palais, des passages, des portes qui s’ouvrent et qui se ferment, des corridors et des labyrinthes. Jamais le maître de la matrice cinématographique qu’est Lang ne s’est autant amusé même si ses jeux (cf. la Femme au portrait…) sont toujours impitoyables.

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Le monde est un labyrinthe bourré de lépreux (les vrais possesseurs du souterrain dostoïevskien) et de Minotaures. Le montage, la lumière, le rythme, le mouvement des personnages est prodigieux. On a comme protagonistes l’athlète germanique, petit-fils du Siegfried du Maître, et on a la danseuse cosmique consacrée à la déesse mais éperdue d’amour pour son sauveur (et pas pour son prince). Deux tigres sont en lice. La danseuse hindoue est jouée par la merveilleuse Debra Paget (photo - souvent une indienne de western) et sa servante martyre par une future James Bond girl, l’italienne Luciana Paluzzi, qui tombe victime de la barbarie d’un maître dévoré de passions (les tigres, le sexe, la cruauté) et qui n’a pas encore appris à renoncer : il le fera à la fin se consacrant à son gourou.

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La beauté sacerdotale et guerrière de la langue allemande dans ce film phénoménal est d’ailleurs à souligner. La langue de Goethe devient védique. La magie solaire de l’Inde est telle, et le petit peuple encore si épargné qu’on se croirait au temps des pharaons. Rappelons que le James Bond Octopussy fut aussi tourné à Udaipur (photo) vingt ans plus tard, avec dans le rôle du « maharadjah » l’impeccable et froid Louis Jourdan. Mais déjà le monde solaire prenait l’eau.

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Il se trouve aussi qu’après la trop longue parenthèse hollywoodienne Fritz Lang avait retrouvé sa terre allemande et sa scénariste préférée Théa von Harbou (photo) cette femme géniale avec qui il a conçu tous les chefs-d’œuvre des années vingt, les Mabuse, Metropolis et autres Espions, film sans doute le plus parfait de Lang comme le pensait le connaisseur Claude Chabrol.

Fritz Lang fut d’une certaine façon le concepteur du Blofeld d’Ian Fleming comme les Français qui créèrent Fantômas. Le monde moderne ne peut qu’avoir été conçu par un génie du mal et ce n’est pas un hasard (voyez mon livre) si les grands écrivains populaires de l’époque ont tous basculé, de Jack London à Chesterton en passant par Gustave Le Rouge, dans la théorie de la conspiration, à l’heure où les « 300 » businessmen de Rathenau mènent comme aujourd’hui, sous la houlette de leurs banquiers (découvrez David Starr Jordan et l’incroyable Empire invisible), le monde des machines à l’abattoir de la guerre et à la fatidique apocalypse numérique.

Le vrai génie de Lang est donc populaire: dans ses deux films on a un costaud, une danseuse magique, un maharadjah trop soumis à l’émotivité de sa caste (autorité spirituelle et pouvoir temporel…), on a la vieille Inde encore vivante, le monde moderne débarquant, on a les tigres, l’amour, l’aventure, le conflit entre modernité et Tradition (et cela se fait et se montre sans rire), on a le crépuscule du kshatriya ; comme le remarque Daniélou dans ses somptueuses Mémoires (voyez mon texte), l’Inde traditionnelle penche du côté fasciste pendant la guerre, car elle est dans le camp anticolonialiste d’abord, et dans celui de la caste des guerriers ensuite.

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Mais chez Lang rien de tout cela : le vieil ordre doit disparaitre, et les tigres finiront au cirque ou au zoo. Le monde désenchanté de Max Weber triomphe et, pour reprendre la merveilleuse remarque de Freud, le narcissisme psychique des uns perd face à la protestation véhémente de la réalité… Espérons que notre nouvel ordre mondial finira de même, sauf que l’ordinateur fera moins de cadeaux que l’humain. Mais bon, même Kubrick nous a donné un peu d’espoir dans 2001…

On a dit du bien du cinéma populaire et de ses engagements initiatiques. C’est du reste le premier chapitre de notre livre sur le Paganisme au cinéma. Tout est déjà chez Homère et Virgile, sans compter Ovide.  Deux mille ans après James Bond et un certain nombre (pas tous…) de superhéros recyclent et entretiennent le rêve et son cheminement ténébreux. Il faut bien contrebalancer la banalité de la vie ordinaire.

Guénon a dit : « il arrive aussi que celui que nous pouvons appeler indifféremment « vulgaire » ou « populaire » (car ces deux mots sont à peu près synonymes au fond) serve à lui seul de « masque » initiatique ; nous voulons dire par là que les initiés, et spécialement ceux des ordres les plus élevés, se dissimulent volontiers parmi le peuple, faisant en sorte de ne s’en distinguer en rien extérieurement. »

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J’ai évoqué dans mon texte sur la prostration et le meurtre du cinéma européen par la classe moyenne, le snobisme culturel, le nihilisme déconstructeur et les festivals. Tolstoï dans son maître-essai sur l’art revient aux textes de sa gesse bibliques, aux prophètes, aux poètes primordiaux, aux contes de fées et folkloriques. Il assassine l’enseignement de l’art et les festivals (comme on sait, sa cible favorite est… Wagner) et il a raison car cela tue la littérature à l’époque comme cela tuera le cinéma : l’art qui se saisit comme essence et comme science s’assassine tout simplement. Relire Schiller et ses lettres sur l’éducation esthétique.

Guénon (qui lui-même devenu un jour à la mode, a été tué par les guénoniens) ajoute, toujours dans Initiation et réalisation spirituelle :

«... c’est du peuple qu’il s’agit toujours en pareil cas, et non point de ce qu’on est convenu d’appeler en Occident la « classe moyenne », ou de ce qui y correspond plus ou moins exactement ailleurs ; et il en est ainsi à tel point que, dans les pays de tradition islamique, on dit que, lorsqu’un Qutb doit se manifester parmi les hommes ordinaires, il revêt souvent l’apparence d’un mendiant ou d’un marchand ambulant. »

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Le peuple est détenteur d’une puissance initiatique (Bernanos pense de même), et c’est pourquoi sans doute la classe moyenne (elle est menacée par les mondialistes ? Tu parles !) tente de le liquider partout et par tous les moyens via ses partis chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates et sa sous-culture festivalière) :

« …et c’est là en somme l’origine réelle et la vraie raison d’être de tout « folklore », et notamment des prétendus « contes populaires ». Mais, pourra-t-on se demander, comment se fait-il que ce soit dans ce milieu, que certains désignent volontiers et péjorativement comme le « bas peuple », que l’élite, et même la plus haute partie de l’élite, dont il est en quelque sorte tout le contraire, puisse trouver son meilleur refuge, soit pour elle-même, soit pour les vérités dont elle est la détentrice normale ? Il semble qu’il y ait là quelque chose de paradoxal, sinon même de contradictoire ; mais nous allons voir qu’il n’en est rien en réalité. »

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Certes la sous-culture savante (un sot savant est plus sot qu’un sot ignorant a même reconnu notre drôle de contre-initié Molière…) peut polluer toutes les sources populaires et ne se prive pas de la faire. Mais il reste toujours quelque chose.

Revenons au Tombeau hindou : dehors il y a la jungle avec son tigre, ou le désert avec sa soif (dirait Haddock…) ; dedans il y a le labyrinthe avec son maharadjah fou, ses crocodiles cachés, ses inondations (cf. la fin de Metropolis où l’oligarchie tente comme toujours de NOYER LE PEUPLE), et Varoufakis a très bien parlé du minotaure européen. Entre les deux il y a, il y aurait le pueblo (génial mot espagnol qui recouvre les deux notions) et qui tente d’échapper à Babel comme à la barbarie. Le superhéros de Lang (joué par l’acteur suisse Hubschmid (photo, ci-dessous) et des acteurs venus du merveilleux cinéma Heimat allemand comme la blonde solaire Sabine Bethmann - photo ci-dessous) semble seul capable de triompher des deux mondes.

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Lang a réalisé un dernier film sur Mabuse qui consacre l’entrée de nos sociétés de surveillance: Les mille yeux du docteur Mabuse. On est revenu à force de technologie (Dédale créateur du labyrinthe et des automates) aux pièges étudiés par le paganisme le plus savant.

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Terminons sur le cinéma. La parole est à Céline, Maître du Voyage en Amérique :

« Alors les rêves montent dans la nuit pour aller s’embraser au mirage de la lumière qui bouge. Ce n’est pas tout à fait vivant ce qui se passe sur les écrans, il reste dedans une grande place trouble, pour les pauvres, pour les rêves et pour les morts. »

Sources principales :

INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE- Chapitre XXVIII LE MASQUE « POPULAIRE »

https://en.wikipedia.org/wiki/Debra_Paget

https://ekladata.com/BuhIzMo2QTOKHvt8wfMzuCLkSLY/Init.-Re...

http://www.dougashford.info/wordpress/wp-content/uploads/...

https://www.amazon.fr/Une-br%C3%A8ve-histoire-paganismes-...

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https://www.amazon.fr/CINEMAS-JAPONAIS-ALLEMAND-VISION-MY...

https://www.amazon.fr/GOETHE-GRANDS-ESPRITS-ALLEMANDS-MOD...

 

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dimanche, 09 mars 2025

1965: Simon du désert et la fin du catholicisme

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1965: Simon du désert et la fin du catholicisme

Nicolas Bonnal

1965 : on est dans la décennie qui a tout brisé, celle des Beatles et de BB, du gaullisme et de mai 68, de la télé et de la libération sexuelle, de l’Europe et des Trente Glorieuses, du gauchisme outrancier et du krach chrétien et familial. La société devient enfin surréaliste et refuse les « tiroirs du cerveau » du vieux Breton ou de Marcuse, tout en préparant à long terme un totalitarisme néo, plus informaticien et vicieux que l’ancien.

Debord (cité par mon ami Christophe Bourseiller dans sa bio plantureuse) parle « du processus de formation d’une société totalitaire cybernétisée à l’échelle planétaire ». Le fait est que quand on commence à interdire d’interdire on commence par une interdiction, et on va interdire tout ce qui interdisait peu ou prou comme on dit quelque chose : la famille, le sexe, la religion, l’Etat, la nation, tout sauf l’interdiction. On entre dans la société du numéro deux Keir Starmer et du Prisonnier de McGoohan. Ce dernier illustre le propos situ : l’insatisfaction devient une marchandise – et sera traitée comme telle, et la révolte ne peut être que formelle, entre deux enjeux dérisoires (IE les élections). Ergo à chaque évasion on revient avec notre numéro six bien-aimé et têtu au point de départ dans le quartier de Westminster : ici l’ombre !

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Les années soixante c’est aussi le progressif triomphe israélien, l’idiotisme voyageur, le déclin terminal du christianisme, notamment romain. Alors que les Palestiniens vont être chassés après avoir été plus ou moins exterminés dans une totale indifférence (ou même bienveillance) occidentale, on se demande à quoi finalement aura pu servir ce christianisme déchu ou manipulé depuis le début. A partir en croisade pour Jérusalem ? Quelle farce.

Après tout, comme le Christ le dit lui-même, le salut vient des Juifs, donc pas des Palestiniens. Tant pis donc pour Gaza. Les cathos, qui en ont vu d’autres, se soumettront un peu plus. Sur les cathos je ne sais rien de plus rafraîchissant que cet extrait du journal de Léon Bloy vers 1910…: « Le curé nous dit que ses paroissiens sont à un tel degré d’abrutissement qu’ils crèvent comme des bestiaux, sans agonie, ayant détruit en eux tout ce qui pourrait être l’occasion d’un litige d’Ame, à leur dernière heure. »

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J’en viens brièvement à mon géant Luis Buñuel (voyez mon texte sur ses incroyables Mémoires) qui est selon moi le seul cinéaste chrétien avec l’oublié Bresson. Grâce à Dieu, je suis athée, a-t-il dit génialement un jour, en enchantant mon grand-oncle Georges Sadoul, communiste et critique de cinéma. Buñuel s’est acharné gentiment et savamment (la voie lactée…) sur le christianisme en évoquant l’embourgeoisement éternel de cette religion, sa vocation carcérale, son progressif abandon des pauvres et son déclin humain et sociologique, lié aux temps qui passent et à la civilisation industrielle agonisante muée en société du spectacle. McLuhan écrit quelque part que sans télévision on n’aurait pas eu Vatican 2.

...Et Céline que la vérité de ce monde c’est la mort.

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C’est là qu’intervient son Simon du désert. C’est  un court-métrage avec l’impeccable Claudio Brook, acteur de la Grande Vadrouille et surtout de l’âge d’or mexicain, qui a accompagné Buñuel dans une nuée de chefs-d’œuvre. En une demi-heure la caméra explore le temps, liquide la furibarde vocation du saint (il se tient sur un pied sur sa colonne), découvre enfin la malignité des pauvres.

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C’est un des traits de génie de Buñuel: le pauvre n’est ni bon ni chrétien, voyez Viridiana, en fait un bon pauvre, c’est un rêve de richard, cf. les migrants. Buñuel emmène avec le diable tentateur (géniale Silvia Pinal) notre saint aux enfers c’est-à-dire à New York. Cet enfer est d’abord signalé par un énième et satanique boucan d’aéroport (cf. l’interview de Parvulesco dans A bout de souffle), et c’est un espace dans lequel on s’acclimate et s’ennuie instantanément. C’est ce qui explique le succès de l’américanisation ou de la mondialisation : on s’y habitue instantanément. Richard Bandler, un des fondateurs de la PNL me raconta un jour qu’en Afrique on avait recours au psychiatre une fois qu’on y avait installé l’eau courante. L’eau des fontaines et des riantes conversations ne coulerait plus. Pensez au destin de Farrebique ou du village de Manon des sources, tournée dans une banlieue de Marseille…

La date choisie par Buñuel pour nous régaler de cet opus magique et définitif fait rêver.

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Je me souviens que dans ses provocantes (et bizarrement tolérées, plus que les films suivants) Invasions barbares, notre français du Canada Denys Arcand fait intervenir un prêtre québécois qui explique à une agente de Sotheby (ou de Christie’s) que la religion a disparu (et la pratique religieuse donc) EN QUELQUE MOIS vers 1966-67. Tout cela sent bon son 666 et son Québec libre.

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J’étais enfant, je peux en témoigner: tout disparaissait en quelques mois ou en quelques années (depuis il n’y a plus rien à détruire) ; on est passé, pour rester en bons termes avec le cinéma, de la civilisation de la Renaissance à la civilisation du cul (début de Pierrot le fou) et de la France de Jean Gabin à celle de Jean Yanne. Tout cela sous la houlette du gendarme hystérique Louis de Funès (voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma) et de celui qui voulait faire une France great again. On sait comment ça se termine.

Sources:

https://www.dedefensa.org/article/bunuel-et-le-grand-nean...

https://www.amazon.fr/DESTRUCTION-FRANCE-AU-CINEMA/dp/B0C...

 

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jeudi, 06 mars 2025

Le cinéma et la prostration européenne

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Le cinéma et la prostration européenne

Nicolas Bonnal

La vieille dame transie européenne rêve donc d’écraser, comme en 1941, et l’Amérique et la Russie et se suicide une nouvelle fois (voyez encore le livre de Laurent Guyénot sur la malédiction papale pour comprendre) en se pendant au premier joueur de bite venu, le nommé Zelenski. On ne sent aucune opposition autre que minoritaire poindre dans le vieil incontinent et on se demande si on rêve. Non, on fait on vit dans un continent zombi depuis longtemps, fils de Kafka, de Kubin et de Céline (autre auteur fantastique), et on ne fait qu’attendre la fin de la pièce. La société mortifère décrite par Chateaubriand après 1815 finira bien par crever et on laisse de vraies grandes puissances, l’Amérique ou la Russie, le soin de remodeler le monde, même si le résultat n’est ni brillant ni ragoutant.

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Une nouvelle fois le cinéma permet de bien saisir les choses. L’Europe est depuis longtemps, depuis très longtemps même, la terre de la prostration en matière de cinéma. On aime l’ennui, l’existentialisme, le sexe cheap, la bonne déprime, la pleurnicherie humanitaire, bref on se plonge dans le « qu’est-ce qu’on peut faire ? » du Pierrot le fou de Godard quand la gourde Karina arrive au bord de l’amer et commence à casser les pieds à son Jules.

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Dans les années soixante Raymond Aron, toujours aussi peu inspiré, avait publié un pensum universitaire de plus (les livres universitaires sont ceux qui vieillissent le plus vite dans l’Histoire, n’en ayant jamais fait partie) intitulé Plaidoyer pour l’Europe décadente. Mais ayant matériellement récupéré de la guerre, l’Europe était déjà moribonde sur le plan humain, culturel, philosophique : on relira avec intérêt Chevaucher le Tigre et l’Arc et la Massue de Julius Evola pour s’en rendre compte.

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A cette époque, on a le cinéma d’Antonioni qui en inspira beaucoup d’autres. Prenons Blow up qui montre un Londres décadent, gauchiste, drogué, hagard, vide, politiquement correct, débauché, rocker et ennuyé. Une histoire encore plus ennuyeuse nous retient pendant une heure et demie. C’est l’époque où la cinéphilie qui était un émerveillement durant l’âge d’or hollywoodien (voyez mes livres !) devient une corvée : j’ai donné dans ma jeunesse.

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Antonioni a commis un navet avec Wenders qui lui-même avant, sans le vouloir, avait  montré notre dépendance aux USA. On a eu l’Ami américain (très bons Blain et Hopper) puis l’Etat des choses qui montre une équipe de cinoche s’emmerder au Portugal, car elle n’a plus le pognon US pour continuer son navet apocalyptique (pour une fois qu’on sort de l’existentialisme !). Le réalisateur (excellent Patrick Bauchau, jadis acteur de Rohmer et copain de… Parvulesco) s’en va donc à Los Angeles, pendant que son équipe baise et fume à l’hôtel, pour se retrouver canardé dans un trailer avec son petit producteur victime de sa générosité. Métaphoriquement ce film était parfait : l’Europe attend toujours le pognon et le projet des USA. Le navet suivant de Wenders était Paris Texas, ce qui montrait le devenir ricain de l’Europe. Mais c’est un devenir volontaire, pas une conséquence de l’impérialisme américain. J’ai rappelé Trotski qui explique le devenir domestique de la social-démocratie européenne ou Dostoïevski qui dans ses Possédés montrent la fascination involontaire que les USA, alors puissance secondaire, exercent déjà sur l’Europe et ses bataillons de progressistes.

Ce n’est pas l’Amérique qui a conquis l’Europe. C’est l’Europe qui se vend en putain éternelle et qui voulait être bonne fille à Biden et aux présidents démocrates type Wilson-Obama-Roosevelt (voir mon texte sur l’Europe et les présidents démocrates). La révolte actuelle qui mènera à une implosion de l'UE ou à une guerre mortifère contre la Russie est celle d’un cadavre.

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Mais j’en reviens brièvement au cinéma : on a d’un côté les maîtres du cinéma non subventionné (jusqu’à Joe Biden !), du cinéma d’action, au grand air, pour grand public, familial, aventurier ou policier, mais qui toujours veut dire quelque chose : et puis on a le cinéma qui ne veut rien dire, le cinéma du néant, que personne ne va voir, le cinéphile comme moi préférant encore le nihiliste ricain pour découvrir un monde sans sens : voyez Jim Jarmusch, qui s’est moqué de Trump et de son électorat dans son navet cannois (la France finance tous les films qui perdent du fric, c’est une obsession chez elle), sur les zombis. Voyez la fille Coppola qui dans Lost in translation avait très bien filmé l’effondrement ontologique du Japon, bien confirmé depuis par la diplomatie et par l’économie nippones.

Dans sa découverte de l’archipel, ouvrage qui m’avait fasciné jeune, Elie Faure (pote à Céline tout de même, érudit et médecin, adorateur de la psychologie des peuples – quand il y en avait une) avait excellemment écrit qu’il ne fallait pas parler de ploutocratie (la France en est une) mais de dynamocratie pour évoquer l’Amérique : Trump, Musk, Vance, avec « tous leurs défauts » le montrent nuit et jour à la face du vieux continent perdu qui ne rêve que de s’enfoncer dans la nuit à la suite de Zelenski et de ses légions nationalistes. Certes, il faut du fric en Amérique : eh bien, tu n’as qu’à en gagner, et c’est facile là-bas (Daniélou).

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De la même manière que le cinéma américain est un pléonasme (comme disait Orson Welles, traité de fasciste par la critique gauchiste en France), la mondialisation est un phénomène moins américain que français (les idéaux de la révolution) ou britannique (l’Empire, les Huxley, les institutions) ; l’Amérique avait justement rejeté à l’époque du grand et méconnu président Harding la SDN (tableau, ci-dessus). Son instinct toujours isolationniste et non-interventionniste lui disait de ne pas s’en mêler, et il avait fallu la création de la Fed par des banquiers allemands pour la précipiter dans la catastrophe de 1914-1918 qui allait susciter d’autres catastrophes durant tout le vingtième siècle et après.

On verra s’il y a une justice et si l’Europe sera vraiment, justement punie cette fois, pour sa mauvaise politique et son cinéma désastreux. En dépit de rodomontades de certains, la soumission des droites et les dernières désastreuses élections allemandes montrent que l’Europe désire à nouveau être CORRIGEE.

 

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samedi, 01 mars 2025

Jean Parvulesco et le secret de la Nouvelle Vague

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Jean Parvulesco et le secret de la Nouvelle Vague

Nicolas Bonnal

Rebelote avec Jean Parvulesco et le cinéma qui loin de sa marotte était sa Fin ultime: voyez son texte sur David Lynch, le cinéma comme révélation et comme dévoilement de ce monde... Je rappelle qu’il fut émerveillé par Eyes Wide Shut, dernier film du monde, qui annonçait notre post-monde (élites hostiles folles et génocidaires, masse complice et aveugle): il découvrait Kubrick.

Mais parlons de la Nouvelle Vague. Moi aussi elle me rendit prodigieusement nostalgique, comme s’il s’était agi d’une époque, les Sixties, d’ailleurs assez agréables à vivre, et où l’on touchait du doigt le cinéma via la cinéphilie, ce culte nouveau mais bref. Tout s’effondra dans les années 70, assez brutalement je dois dire: mai 68, France défigurée, pornographie, télé, bagnole, gauchisme, crise du pétrole, destruction de Paris : voir notre texte sur Mattelart car cette destruction se fit sur ordre US.

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Fin 1998. Nous sommes à Paris à la Rotonde. Comme toujours Jean est arrivé en avance. Il me dit tout joyeux qu’il allait se faire éreinter dans la revue 1895 (voyez le film de la femme de Coppola, un étrange voyage vers Paris, une traversée de la France en cabriolet 504, et qui passe par une curieuse visite au musée du cinéma à Lyon) par une certaine universitaire nommée Hélène Liogier : du temps de sa jeunesse folle, Parvulesco avait écrit dans une revue de droite espagnole que la nouvelle vague était « fasciste. » Rappelons d’abord que si ce mot est une insulte fourre-tout pour la gauche, il est un vocable fourre-tout pour une certaine droite !

Le texte était évidemment enflammé et hyperbolique, bien dans son style. Il était surtout attrape-tout. Il est évident que ce petit monde qui fut acheté ensuite par les subventions de la culture et de Jack Lang n’allait pas rester longtemps provocateur : il attendait sa retraite sur fond de Kali Yuga français (voyez l’excellent Rebelle de Gérard Blain, acteur de Howard Hawks tout de même, qui exprime le désespoir de cette fin des années Giscard).

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Mais l’auteure, qui l’éreinte plus ou moins bien, oublie certains faits. Parvulesco fut toujours ami de Rohmer, qui fut un fan du Graal et de l’ésotérisme, un arpenteur de la France en sommeil, et même un provocateur (le salut « Montjoie ! » bras tendu au début de La collectionneuse). Même Louis Malle cite Drieu La Rochelle dans le Souffle au cœur et il le filme même quinze ans plus tôt avec Maurice Ronet, qui disait aimer « le goût amer de l’échec ». Voyez mon livre sur la Damnation des stars où je fais le lien entre les stars et le sujet brûlant de l’après-guerre: les rock stars britanniques de la grande époque (Jimmy Page, Bowie, Keith Moon…) furent étonnamment provocantes et tentées. Même un apparent gauchiste comme Jean Eustache fait lire dans la Maman et la putain (deux obsessions du fasciste) un livre sur la SS au copain de J. P. Léaud (quelle vie celui-là : douze ans de rêve, cinquante ans d’oubli). Et l’on connaît le penchant de Truffaut qui a été proche de Rebatet, si l’on oublie le fascisme déclaré de Raoul Coutard (photo,ci-dessous), plus grand chef-op’ de l’après-guerre, héros de la guerre d’Indochine qui célébra SAS ou la légion sautant sur Kolwezi...

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Je repense à un des derniers films du cinéma, Hatari, avec John Wayne, Gérard Blain, Michèle Girardon, future suicidée et actrice de Rohmer - et bien sûr Hardy Kruger : on est dans un exercice de fascisme cool, post-historique mais encore bien colonial. On s’amuse, on attrape des filles (encore que ce soit plutôt les filles qui attrapent des pigeons) et des animaux, on retombe en enfance et on découvre que Nietzsche s’est trompé : on ne renaît pas comme dans Zarathoustra ou dans 2001 quand on retombe en enfance.

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J’allais oublier Paul Gégauff tué au couteau par sa femme, grand provocateur, créateur de la fameuse scène des Cousins : on descend en officier SS dans un escalier le chandelier à la main, en écoutant du Wagner et en épelant du Nietzsche (pauvre Brialy). Gégauff aura avec Chabrol bien montré la transformation en monstre du mâle froncé, à coups de bagnole et de téléradio, au cours des années gaullisto-pompidoliennes : revoyez le Boucher ou que La bête meure en ce sens.

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Rappelons aussi que Le petit soldat fut censuré, comme La religieuse de Rivette ou Les Sentiers de la gloire de Kubrick – et que Malraux, liquidateur de la culture française, abolit la cinémathèque française en 68, ce qui déclencha une mémorable révolte. C’était avec le renvoi de Langlois la fin d’une Eglise. Le cinéma allait devenir ce qu’en dit Duhamel : un divertissement d’ilotes.

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Parvulesco fut l’upagourou de Godard. Il est interviewé à la fin d’A bout de souffle. Habillé comme Bogart (jouer au gangster ou au privé américain, c’est être un homme libre, au moins dans ce foutu hexagone), il répond à une interview à l’aéroport. La vieille France va disparaître et la femme moderne, la « dégueulasse » va prendre le pouvoir avec la sinistre Jean Seberg qui joua aussi Jeanne d’Arc et Bonjour tristesse.

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Parvulesco joué par Melville : saluons encore ce juif, pas très gauchiste non plus, et qui dépeignit admirablement la destruction vitrifiée de la France durant les années gaullistes, voyez ma Destruction de la France au cinéma. Il est temps en tout cas de comprendre que notre anti-héros américain a tout pour fasciner l’intellectuel de droite en Europe. Aldrich dira de son propre Mike Hammer qu’il était un fasciste : certes, mais un fasciste en lutte contre les mafias et le Deep State US dans  En quatrième vitesse. Toute la quincaillerie Belmondo-Delon aura pastiché ces géants du film noir américain.

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Mais il faut reparler de Godard.

Je vais alors rappeler  en quelques mots l’essentiel à savoir sur Godard :

Godard pour moi n’a existé que dans les années soixante, au temps de la splendeur de Bardot, de Belmondo, de Marina Vlady, actrice d’Orson Welles, qui sera lui aussi accusé de fascisme par les gauchistes de la fin des années Malraux. On vivait, pas encore anesthésiés à l’heure de la Conquête du cool décrite par Lipovetsky, et Godard incarne à la fois une révolte formelle – qui a totalement disparu depuis du cinéma – et politique, une révolte proche dans l’esprit de celle des situationnistes.

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En quelques films il remet en cause la réalité de la France bourgeoise, consumériste et gaulliste – et ne propose rien. Il s’est euthanasié ailleurs à plus de 90 ans et, dans un de ses textes cités par Liogier, Parvulesco parle de fascisme qui débouche sur du nihilisme. Pensez aussi à Dominique Venner. Quand il va proposer quelque chose (la Chine maoïste, les Black Panthers, etc.), Godard va sombrer.

Dans A bout de souffle l’aéroport aussi est un signe : on quitte la France profonde, le paysage ancestral devient un terminal. Jünger en a très bien parlé dans Soixante-dix s’efface (NRF, p. 534) de cette disparition du monde et de cette surabondance de paysages spectraux. Dès Alphaville ou Weekend, plus grand pamphlet anti-bagnole de l’Histoire, le monde a disparu. On sent la même intensité du néant palpiter dans les Killers de Don Siegel (toujours lui…) ; dernier grand film de Lee Marvin et aussi dernier film d’un certain Ronald Reagan…

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Aucune envie de polémiquer. Je rappellerai donc que :

Dans A bout de souffle, Godard montre (et dénonce sans doute sans le vouloir) l’américanisation en profondeur et en surface de la France. La France est déjà un pays englouti par l’américanisation, peut-être plus que d’autres (d’où sans doute ce très inutile antiaméricanisme qui nous marque tous). La belle américaine mène notre voyou franchouillard à la mort (comme aujourd’hui ils nous remmènent à l’abattoir – on y a pris goût).

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Dans Alphaville, Godard annonce le nazisme numérique de la Commission de Bruxelles. C’est la victoire du professeur von Braun et de la machine. On a tant écrit sur ce sujet – pour rien encore…

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Dans Deux ou trois choses que je sais d’elle, Godard filme l’horreur des banlieues et des HLM. Le grand remplacement a déjà eu lieu et il est dans les têtes et les paysages. Relire Virilio et mon texte sur ce très grand auteur, repris par son éditeur Galilée.

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Dans Le Petit soldat, Godard fait un film d’extrême-droite, peut-être le seul du cinéma français. C’est sur la guerre d’Algérie. Le film vaut par la surperformance de Michel Subor, acteur d’origine russe-azéri, que l’on retrouvera dans le Rebelle de Blain.

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Dans Le Mépris, Godard lamente, avec le thème sublime de Delerue, la fin du cinéma, la Fin des dieux (il cite Hölderlin et nous montre Fritz Lang), et la fin de la Méditerranée. Le touriste va remplacer les héros odysséens. La crise du couple postmoderne nous barbe beaucoup plus. L’homme aux dieux grecs, à Ulysse et à Ithaque est tout bonnement prodigieux. Ne lisez que Virgile, Homère et Ovide (les Métamorphoses).

D’autres films pourraient être cités de cette extraordinaire époque anarchiste de droite, comme Les Carabiniers, qui avaient enchanté Roman Polanski. Rappelons que ce dernier a longtemps travaillé avec Gérard Brach, devenu un ami grâce à la rédaction de mon livre sur Jean-Jacques Annaud, et qui était un ancien de l’armée allemande... Doux et désabusé, Gérard est présent une seconde dans A bout de souffle.

Les aventuriers de l’arche perdue pourraient aussi suivre les errances de Barbet Schroeder (un autre mutant du cinéma de cette époque), dans More (belles allusions à Otto Skorzeny) et de son équipe dans la Vallée en Nouvelle-Guinée : sublime moment quand Bulle Ogier récite dans le désordre les Scènes de la vie des marionnettes de Kleist sur fond de  monde fragmenté. Certaines scènes annoncent avec beaucoup moins d’argent mais autant d’inspiration Apocalypse now et les citations de T. S. Eliot du colonel Kurz. Godard s’était fait un devoir de défendre ses citations.

Et ce que le cinéma nous aura appris à Jean et à moi finalement c’est qu’on peut faire des films d’extrême-droite tout en étant parfaitement de gauche ; à l’inverse des conservateurs (cf. John Ford) peuvent faire n’importe quoi avec leurs bonnes intentions de droite. De toute manière la question n’est pas là. Une flamme brillait, celle du génie de la Liberté, qui n’est plus là.

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Sources:

https://www.persee.fr/doc/1895_0769-0959_1998_num_26_1_1376

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/09/13/j...

https://www.dedefensa.org/article/kleist-et-le-transhumai...

https://www.dedefensa.org/article/parvulesco-et-david-lyn...

https://www.dedefensa.org/article/la-destruction-de-la-fr...

https://www.dedefensa.org/article/mattelart-les-jo-et-la-...

https://www.dedefensa.org/article/eric-zemmour-et-le-crep...

vendredi, 28 février 2025

Orson Welles et la nostalgie des origines

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Orson Welles et la nostalgie des origines

Nicolas Bonnal

J’ai déjà insisté sur Booth Tarkington, romancier essentiel et oublié, rendu célèbre par le « gauchiste-progressiste » Orson Welles dans la Splendeur des Amberson – Welles le met au-dessus de Mark Twain. « Sous la rude écorce de marin se cache une âme de grand enfant un peu naïf », dit génialement la Castafiore de son capitaine Haddock: ici c’est la même chose, et c’est un peu comme avec Trump qui caricature brutalement le message. On aime rêver de l’Amérique jadis grande, qu’on ne sait comment définir du reste. Certains la voient impuissante avec le temps, d’autres la regrettent innocente (découvrez l’école picturale de Hudson). Le slogan MAGA est écrit tel quel dans Taxi driver: car l’homme politique que veut tuer Robert de Niro fait déjà de la nostalgie et du Trump. On a vu ici que même Fenimore Cooper faisait de la nostalgie et regrettait le bon vieux temps qui passe et les invasions européennes à forte connotation socialiste (revoir Tocqueville).

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Mais voilà que le prince Orson Welles vient à ma rescousse: il ne s’en cache pas de cette nostalgie des origines qui nous enchanta avec Mircea Eliade (professeur à Chicago et donc voisin relatif du natif du Wisconsin), nous qui n’avons pas connu le monde d’avant la merde – un peu en Tunisie, le monde d’avant la technologie, les machines et les services comme on dit, revoyez Farrebique pour comprendre. On sait que dans Apocalypse now (Welles rêva d’adapter le récit de Conrad Heart of Darkness avant la paire Coppola-Milius) le colonel Kurtz (sublime Brando pendant quelques secondes) évoque cette descente de la rivière Ohio, et cette plantation de gardénias qui lui rappelle l’âge d’or et le paradis, « sous forme de gardénias ». On sait du reste que Trump dans sa tentation néo-païenne évidente (on en reparlera) a célébré un âge d’or à sa façon dans sa cérémonie d’inauguration. On n’en a pas fini avec Trump: la vraie révolution politique, c’est le retour aux origines. Ses gardes du corps vont avoir du boulot.

Orson Welles déclare donc à Peter Bogdanovitch dans un livre d’entretiens légendaire et surtout indispensable; je préfère le citer en anglais :

Grand Detour was one of those lost worlds, one of those Edens that you get thrown out of. It really was kind of invented by my father. He's the one who kept out the cars and the electric lights. It was one of the "Merrie Englands." Imagine: he smoked his own sausages. You'd wake up in the morning to the sound of the folks in the bake house, and the smells. ... I feel as though I've had a childhood in the last century from those short summers.

PB: It reminds me of Ambersons. You do have a fondness for things of the past, though...

OW: Oh yes. For that Eden people lose It's a theme that interests me. A nostalgia A nostalgia for the garden--it's a recurring theme…

Il y a nostalgie (le mot signifie douleur en grec, il ne fait pas le prendre à la légère) dans Citizen Kane (le berceau Rosebud qui inspire une des meilleurs épisodes de Columbo), et il y a nostalgie dans la Splendeur des Amberson, narration de la petite aristocratie locale et féodale qui va disparaître sous le poids du progrès technique et de l’immigration européenne. Je cite à nouveau cette page extraordinaire qui évoque le Bernanos de la France contre les robots :

« Il y eut un nouveau silence; le Major consterné fixait son petit-fils. Mais Eugène se mit à rire joyeusement.
– Je ne suis pas sûr qu’il ait tort à propos des automobiles, dit-il. En dépit de toute leur vitesse, elles ne seront peut-être qu’un pas en arrière dans la civilisation. J’entends la civilisation spirituelle. Ajouteront-elles à la beauté du monde, à la vie de l’âme? Je ne le crois pas. Mais elles sont là; elles transforment nos vies plus profondément que nous pourrions le supposer. Elles transformeront la guerre, et elles transformeront la paix. Je pense que l’esprit humain lui-même changera, à cause d’elles. Comment? Je n’en sais rien. Mais le changement extérieur n’ira pas sans un changement intérieur; ici, George a peut-être raison: ce changement intérieur nous sera défavorable. Qui sait? Dans vingt ou trente ans je pourrais n’avoir plus le droit de défendre ma voiture sans cheval, et déclarer moi-même: «Son inventeur a fait un beau gâchis ! »

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Dans son excellente bio de Welles Naremore rappelle que le jeune maître n’a pas voulu parler du « racisme » du roman qu’on rappelle en une phrase :

« Mais le plus grand changement s’observait parmi les habitants mêmes. Les descendants des pionniers étaient petit à petit submergés par le flot des nouveaux venus et s’identifiaient si bien à lui qu’on ne les y distinguait plus. Comme à Boston, comme à Broadway, la vieille race perdit son caractère propre, et de tous ceux qui nommaient la ville «chez eux»). »

On n’insistera pas.

La nostalgie de Welles s’est étendue à sa vie. Il est venu vivre en Espagne, dans l’Espagne franquiste qui enchante alors Hollywood et où même on laissa réaliser le très marxiste Spartacus (voir mon livre sur Kubrick où je décortique cette acrobatie). Après Franco, il dira tel quel que la démocratie a détruit l’Espagne.

Et en quelques années s’il vous plaît.

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Et dire que dans la Dame de Shanghai (ô cette croisière à Acapulco sur le yacht d’Errol Flynn – le Zaca, que je salue toujours à Fontvieille-Monaco !) le héros se flatte d’avoir tué un nationaliste espagnol ! Mais c’est dans la Dame de Shanghai que Welles a le mieux défini l’homme moderne : quand j’ai décidé de faire l’imbécile, il n’y a personne qui puisse m’arrêter.

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Welles a très bien célébré l’Espagne, notamment les pueblos de Calatanazor (réservé aux Happy Few celui-là) de Pedraza dans son Falstaff. Le film se clôt par une rupture: le jeune roi moderne et bureaucrate émerge, bon lecteur de Bertrand de Jouvenel - l’Etat c’est moi, fous-moi la paix, vieux fou.

Le vieux rembarré meurt de chagrin: c’est la fin de la libre Angleterre que même Marx va célébrer dans le Capital. On est avant Azincourt…

Après, il faut voir la naissance du monstre: Kane et le capital, la ville tentaculaire de Verhaeren (les Amberson toujours), Harry Lime du troisième homme, qui trafique du vaccin (tiens, tiens…). Mr Arkadin aussi se réfugie en Espagne (ô Ségovie, ô Alcazar) mais devient un monstre technocratique et capitaliste. On a la même ferveur nostalgique dans la Soif du mal : le vieux Quinlan reste bébé avec ses bonbons et jeune ado avec Marlène Dietrich, la courtisane des débuts. Il y a aussi cette innocence perdue, dont avait parlé mon excellente prof d’histoire américaine à sciences-po, Denise Artaud, et qui succomba avec la création de la Fed et la guerre voulue par le président démocrate Woodrow Wilson et ses marionnettistes banquiers.

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Il est marrant que cette nostalgie de l’âge d’or existe en Amérique, mais alors pas en en France, en Allemagne, ou en Angleterre, pays où les peuples se ruent vers la fin la plus noire possible. Là-bas, on a toujours une nostalgie, même quand on est de gauche, voyez Redford ou les frères Coen après Welles.

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Et comme j’ai parlé de Colombo, qui est devenue mon sucre d’orge avec l’âge, je citerai aussi Requiem pour une star déchue, l’épisode avec Anne Baxter (la jeune actrice des Amberson) et Faux témoin, où comme par hasard on voit la villa de Hearst (le parrain…), magique mansion en mode Spanish Revival, construite en plein âge d’or américain  - Paul Johnson parla de la dernière Arcadie. Colombo, qui vient faire le mélange et liquider les derniers princes anglo-protestants  pour mettre qui l’on sait au pouvoir (la bande à Fink et à Biden), ne peut s’empêcher de nous montrer les merveilles dont ils furent les auteurs, ces anglo-américains qui fascinaient Tocqueville et dont Orson Welles fut le plus prodigieux avatar cinématographique.

Quelques sources :

https://lesakerfrancophone.fr/booth-tarkington-un-romanci...

https://www.dedefensa.org/article/orson-welles-et-sa-fonc...

https://www.amazon.fr/FIN-LINNOCENCE-ETATS-UNIS-W/dp/2200...

https://www.amazon.fr/Tocqueville-politiquement-incorrect...

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dimanche, 16 février 2025

Sur le Voyageur éveillé de Nicolas Bonnal

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Sur le Voyageur éveillé de Nicolas Bonnal

par Jean Parvulesco

Entre le dégoût et la nostalgie « Après avoir fait plusieurs fois le tour du monde, Nicolas Bonnal s’est, en désespoir de cause, retiré en Andalousie », où « il vit dans une cueva au pied du Sacromonte », c’est ainsi que son éditeur présente l’auteur du Voyageur Eveillé dans sa nouvelle solitude secrète.

Je ne sais pas si, replié sur lui-même au fond de sa cueva de la calle Aguas de Albaicin, Nicolas Bonnal a finalement pu, comme on dit, « rencontrer sa paix », mais il est certain qu’il a trouvé le temps d’écrire un grand livre, qui restera, un livre situé d’emblée au-dessus du misérable flot des petites choses indignes que l’on sait, faites seulement pour qu’elles passent sans laisser de trace.

9782251442235-475x500-1-4235560271.jpgAinsi, parfaitement inattendu par les sales temps qui courent, le voyageur éveillé de Nicolas Bonnal est-il, d’un seul coup, apparu à notre portée, mystérieux météorite venu d’on ne sait où, des ultimes profondeurs, peut-être, de ce ciel de ténèbres profondes qui est le nôtre à l’heure présente, le ciel de notre propre déréliction finale.

Car il faut commencer par le dire : sous la figuration allégorique plus que symbolique du « voyage » et du « voyageur » - de l’actuel « voyageur planétaire », du « maudit touriste » - Nicolas Bonnal instruit, en réalité, le procès de l’aliénation finale d’un monde voué, pris sous la malédiction de s’auto-défaire dans le néant de ses propres démissions subversivement - et très occultement, à ce que l’on a vu - dirigées depuis l’extérieur de lui-même, depuis ce qui représente son contraire ontologique caché, depuis l’« autre monde ».

En fait, malgré la dialectique déstabilisante opposant « dégoût » à « nostalgie », profond dégoût d’un présent irrémédiablement déchu et nostalgie insoutenable d’un passé déjà bien trop lointain, dialectique subversive entretenant par en dessous le propos en marche de ce livre si dangereusement piégé, on va quand même finir par comprendre que la présente recherche de Nicolas Bonnal aboutit à un fort aventureux processus de salut et de délivrance, opérant sur le fil du rasoir. Parce que c’est bien dans l’abjecte réalité du monde tel qu’il est devenu à l’heure présente, que le Voyageur éveillé s’emploie, désespérément, à retrouver les lueurs ambiguës, la présence, occultement encore substantivisante, des anciennes valeurs de l’être, oubliées, qui se sont perdues avec les défaillances et les lugubres mensonges de la modernité, avec l’omniprésente terreur démocratique exercée par celle-ci sur les temps qui sont échus à son emprise finale. Une modernité déjà accomplie, dont les ravages nous forcent à reconnaître l’affirmation irrévocablement établie-là du retour en arrière vers le chaos et le néant d’avant-l’être ; mais un retour qui n’aura qu’un temps. Et de par cela même tenus de comprendre, comme nous le sommes à présent, que ce que d’aucuns appellent la postmodernité n’est que la continuation exacerbante et complice à part entière de la modernité, que modernité et postmodernité ne font qu’un. Cependant, quand Rimbaud disait qu’« il faut être absolument moderne », c’est d’une tout autre modernité qu’il parlait, lui, la « modernité » rimbaldienne se situant tout à fait au-delà de la modernité et de la postmodernité actuelles, qui sont les nôtres, qui l’une et l’autre appartiennent à la même figure finale d’une histoire mondiale ayant déjà cédé aux sollicitations obscènes du néant et de ce chaos rampant dont H.P. Lovecraft avait annoncé la montée au pouvoir.

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De toutes les façons, peut-on encore douter du fait que le monde, à l’heure actuelle, vient de finir par s’identifier, déjà, presque entièrement à l’anti-monde, et l’être à se faire remplacer, en ses demeures mêmes, par le non-être ? Que le temps n’est plus notre temps, de même que notre espace n’est plus, actuellement, que l’espace de sa propre auto-disqualification finale.

Ainsi, en citant René Guénon, Nicolas Bonnal écrit-il : « Guénon parlait d’une fin du temps et d’une extension de l’espace, c’est l’inverse qui s’est produit : nous avons de plus en plus de temps à perdre mais nous méconnaissons de plus en plus la réalité de l’espace. Nous avons d’ailleurs retiré du voyage sa réalité, il en est de même a priori du voyage initiatique. »

Et Nicolas Bonnal ajoute : « Toutes les épreuves traditionnelles ont été parodiées, répétons-le, par le tourisme de masse. Ce qui reste au voyageur au long cours, c’est la durée de son voyage, image de notre destinée spirituelle : "Sois dans le monde comme un étranger ou un passant", nous dit le soufisme. Cette existence relative, où l’on découvre son inquiétante étrangeté, est une des données fondamentales du voyageur : il n’a pas de pays ; non parce qu’il se flatte d’être Sur le Voyage apatride comme un homme d’affaires mais parce que sa patrie est purement virtuelle, reflet de son paysage intérieur. Sa patrie est partie de lui. Comme Tchoung Tseu et son papillon, il n’est jamais sûr de son identité. »

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Pour le grand voyageur, le voyage est avant tout dissolution de soi-même, figure secrète de la « dissolution du cadavre et de l’épée ».

Or le triple principe opératif du « voyage initiatique » dans ses états actuels - qui, d’ailleurs, apparaît comme contradictoire en lui-même - se trouve défini par Nicolas Bonnal de la manière suivante :

1) « La diminution du monde extérieur suppose un accroissement de son espace intérieur. »

2) « Le meilleur gage de la réussite de l’immobilité, comme nous l’a appris Lao Tseu : agir par le non agir. »

« On ne devient un voyageur que lorsque l’on est capable de ne plus se remuer. »

3) « Le voyage perpétuel du cosmos et de tous les éléments reflète celui de certaines réalités divines dont le déplacement traduit les effets et le retour vers la transcendance. Rien n’a de fin, rien ne prouve donc la corruption du monde ; celui-ci ne fait que passer sans fin d’un état à l’autre. »

« Comment le voyage prendrait-il fin, alors que son but est infini et que l’on ne dépasse jamais une station sans que n’en apparaisse aussitôt une autre ? »

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La perspective dans laquelle Nicolas Bonnal situe l’aventure apparemment immobile de son « voyageur éveillé » n’est de toute évidence pas, on s’en rend vite compte, celle du moderne « tourisme de masse », ou celle de l’expérience personnelle des voyageurs estivaux aveuglément engagés dans leurs circuits de dépaysement factice et non-significatifs. Nicolas Bonnal, lui, persiste à considérer le « voyage » suivant les dispositions religieuses et spirituelles du « voyageur ». Son livre est donc celui d’un voyage transcendantal, essentiellement subversif par rapport à l’actuelle mentalité d'un monde dont le centre de gravité se trouve déjà dans l’« anti-monde ».

Les conseils de voyage de Nicolas Bonnal ne sauraient donc être qu’autant de propositions subversives visant à la libération, ou au renversement révolutionnaire de la réalité, des réalités actuelles de ce monde en perdition, dont il s’entend à utiliser à contre-courant les pièges mortels et les permanentes mises en délégitimation, à retourner contre elles-mêmes les servitudes nocturnes et anéantissantes de l’actuel état de chaos dans lequel nous nous trouvons tenus en otages. Le voyageur initiatique, le « voyageur éveillé » de Nicolas Bonnal est en réalité un combattant clandestin de la guerre d’avant- garde menée, contre lui-même, par un monde crépusculaire, en voie d’extinction. Une extinction qui lui est imposée de force, de l’extérieur de lui-même, par l’œuvre négative et fondamentalement criminelle de la conspiration ontologique finale au service du non- être et du chaos qui s’est emparée de l’actuel pouvoir politico- historique planétaire.

Car c’est bien contre le néant et le chaos que se trouvent livrées les actuelles batailles des derniers noyaux survivante de la conscience occidentale de l’être mobilisés face à la marée montante du chaos. A telle enseigne que – fait extraordinairement symbolique - l’actuelle centrale politico-militaire américaine chargée de planifier idéologiquement la grande stratégie impériale planétaire des États- Unis en est venue à définir ses futures armées comme des « armées anti-chaos ». Ce qui, d’ailleurs, semblera d’autant plus paradoxal qu’à l’heure présente c’est bien Washington qui constitue l’épicentre suractivé et suractivant de l’actuelle montée planétaire du chaos, que ce sont précisément les forces armées de la « Superpuissance Planétaire des États-Unis » qui constituent le corps de bataille des puissances du chaos en marche.

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Tout en ne l'affirmant pas très ouvertement, on sent que la grande idée directrice de Nicolas Bonnal serait celle d’identifier la tourisme actuel, en tant que psychopathologie progressive de masse, à une forme de pèlerinage dégénéré, outrageusement « laïcisé », ayant perdu toute relation consciente avec ce que l’entreprise effective des « grands pèlerinages » pouvait signifier au sein d’une société traditionnelle, ou gardant ne serait-ce que des traces débiles d’une emprise traditionnelle désormais révolue.

Dans la conjoncture fondamentalement négative qui est celle d’une actualité de ce monde se dévoilant de plus en plus comme étant appelée à faire la fermeture d’un cycle déjà révolu, la gesticulation paranoïaque de ce que l’on doit appeler le « tourisme planétaire » en est venue à une forme d’anti-pèlerinage, de renversement du sens même du pèlerinage, qui exhibe désormais non pas une marche vers le centre, mais au contraire, un éloignement sans fin de celui-ci, l’abandon répulsif de son propre centre. Cet anti-pèlerinage, c’est bien ce qui constitue la malédiction propre de la terrible impuissance d’être d’un monde qui ne se fait plus qu’en se défaisant, dont la démarche d’état s’éprouve dans l’éloignement permanent, suicidaire, par rapport à son centre qui n’est plus reconnu comme tel, dont l’espace intime n’est que l’anti-espace manifestant sa propre impuissance de retour à soi-même. Et nous n’ignorons pas ce que tout cela signifie.

Cependant, il ne faut pas non plus ignorer que c’est aussi dans le devenir même de cette suprême déréliction finale que réside la rupture paroxystique de l’état d’un monde qui, en se défaisant d’une manière de plus en plus avancée, de plus en plus accélérée, doit finir par approcher d’une dernière limite, à partir de laquelle il risque de ne plus rien en rester, mais qui est aussi, de par cela même, très précisément la limite du renversement final des termes, du commencement d’un nouveau cycle d’évolution de signe absolument opposé au cycle ainsi révolu.

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Saint-Guidon (à Anderlecht).

Or c’est bien de ce concept de « limite du renversement final des termes » que prend naissance, et dépend ce que Nicolas Bonnal appelle, lui, la « contre-destination touristique », par laquelle se dévoilent à nous les territoires à rebours des régences occultes de l’être. Le « grand secret » du voyage initiatique est sans doute là.

Nicolas Bonnal : « À ce moment la contre-destination échappe à toute projection intellectuelle, à tout projet touristique. Et comme dans une carte aux trésors, on apprend à lire dans une carte routière pour déceler des pépites inconnues. C’est comme cela que l’on peut redécouvrir la France : nous avons évoqué un Orient de proximité en parlant de l’Allemagne (Metternich disait bien que l’Asie commence à Vienne), et nous avons cité l’Île-de-France. Or il semble que Nerval, quand il a écrit ses plus beaux textes, rêve d’une France endormie comme une belle, reliée au passé des Valois, d'une France révolutionnaire c’est-à-dire revenue à ses origines. Et il la trouve à quelques kilomètres de Paris, de ce Paris "vulcanisé" défini par Balzac et qui a peu à envier au nôtre.

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Nerval invente le voyage initiatique virtuel : celui qui redonne à un lieu oublié ou profané par l’industrie ses lettres de noblesse. À Mortefontaine, Compiègne ou Senlis, dans les forêts traversées par Sylvie et l’ombre d’Aérienne (le Sud grec et le Nord germanique), il reste encore possible de rêver d’une destination épargnée et pure. En ce sens Sylvie est le guide de voyage par excellence, comme Le Grand Meaulnes. Ce sont les guides de la contre-destination touristique. » Et là, Nicolas Bonnal ajoutera que « les voyages des prophètes permettent à l’homme de repasser par tous les degrés de son être psychique et spirituel. » Car, dit-il aussi, « tout est correspondance : le ciel et la terre, le supérieur et l’inférieur, les cieux et la terre d’un côté, l’homme de l’autre. » Ainsi, « les sept cieux peuvent-ils se lire comme les sept facultés de la perception et de l’intelligence ; les sept terres, comme les sept couches des corps. Par-delà cette relation voyageuse entre le macrocosme et le microcosme, les sept planètes réfléchissent dans le monde céleste les lumières des sept principaux attributs divins. »

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Mais il faut surtout savoir prendre en compte les pages réellement éblouissantes que Nicolas Bonnal consacre à l'Alhambra de Grenade, dont il semble avoir fini par déceler la vocation suprêmement polaire. Une vocation polaire assez mystérieusement étrangères à ses premières origines. « L’Alhambra est la gardienne du Graal », affirme Nicolas Bonnal. Et aussi : « L’Alhambra enivre définitivement. Il faut donc rester dans l’Alhambra. »

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Les douze lions de l’Alhambra, précise Nicolas Bonnal, « représentent les douze soleils du zodiaque, les douze mois qui dans l’éternité existent de façon simultanée. »

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Mais à Grenade, il n’y a pas seulement l’Alhambra, il y a aussi la cathédrale de Grenade, hallucinant vaisseau de pierre en élévation cosmogonique, polaire, au sujet duquel Antonio Enrique a fait paraître, en 1986, un livre de six cents pages qu’il faut tenir pour tout à fait décisif, j’entends révélateur, et qui confère, à ceux qui puissent vraiment en prendre connaissance, des grands « pouvoirs secrets », des grands « pouvoirs spéciaux ». Dont il faut savoir faire l’usage prévu depuis longtemps.

Car le seuil intérieur de la pénétration vécue vers le cœur royal d’une certaine Grenade Polaire se trouve dissimulé à l’intérieur de ce livre d’Antonio Enrique, tout comme c’est dans la cathédrale de Grenade que se trouve situé à demeure le « secret polaire » de l’Alhambra. Là-dessus, il ne faut pas avoir le moindre doute, cela se sait par les « anciennes voies », que l’on avait cru perdues, et qui n’étaient que très profondément cachées.

A la fin il faudra donc que l’on comprenne que ce n’est quand même pas pour rien que Nicolas Bonnal est allé s’installer dans sa cueva du Sacromonte, calle Aguas de l’Albaicin à Grenade.

Nous ne sommes certes pas très nombreux encore, « nous autres ». Mais assez, cependant, pour que quelqu’un des nôtres puisse se trouver significativement placé, en poste de garde et de veille, à chaque endroit prédestiné, pour qu’il soit en état d’assumer, de canaliser une continuité occulte, ancienne et régulière de l’état de dédoublement abyssalement polaire du monde qui au-delà de ce monde est en réalité le « vrai monde ».

D’ailleurs, c’est bien là que réside actuellement le « travail spécial » des nôtres ; arriver à pourvoir l’ensemble des points de veille occulte détenus - ou qui devraient être détenus - au sein de ce monde-ci, de manière à ce qu’en dédoublant ainsi la réalité visible de celui-ci il nous soit loisible d’en contrôler les états et les souffles, depuis l’invisible.

Ce que Nicolas Bonnal a donc été chargé de faire, d’exacerber et de porter en avant à l’Alhambra de Grenade, d’autres de chez nous le font, en même temps et de la même manière, en maints endroits prédestinés de ce monde qui n’est pas ce monde.

dimanche, 02 février 2025

Hollywood contre Samarcande: le match Amérique-Asie vu par le mage Raymond Abellio en 1960 (La Fosse de Babel)

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Hollywood contre Samarcande: le match Amérique-Asie vu par le mage Raymond Abellio en 1960 (La Fosse de Babel)

Nicolas Bonnal

La dimension nécromancienne de la civilisation américaine apparait dans toute son horreur, à l’heure où l’oligarchie technologique US nous impose la guerre et le Reset. Dans les années soixante l’astrologue Raymond Abellio, après bien d’autres, mais mieux peut-être, dénonce cette civilisation de la matière et de l’épouvante dominée par des oligarques déjà bien fous ; dans son roman d’aventures ésotérique La Fosse de Babel Abellio écrit :

« …Qu’il ne fallait pas toucher à l’Amérique. Toujours une question de déchets. C’est en Amérique que s’accumulent tous les déchets du monde. Un pays qui crée à ce point de la puissance matérielle ne peut pas être la tête de l’humanité, mais son ventre… Il y a un peu plus de trois cents ans, lorsque l’Europe commença à déverser en Amérique le trop-plein de sa matière, on ne savait pas encore que c’était une matière morte, qui n’allait pouvoir revivre là-bas que de façon larvaire ou spectrale. Et depuis l’Amérique a grossi sans évoluer, comme les larves. Elle est le produit de la mort de l’Europe, de sa première mort. Un ancien rêve de grandeur tournant en grossesse adipeuse. Il y aura peut-être plus tard une autre Amérique, quand l’Europe aura fini de mourir, mais celle-là ne connaîtra même plus le nom de l’Europe… »

Ce pays relève déjà de la science-fiction. Un autre qui le comprend à l’époque est William Burroughs, pas très bien compris par la critique alors (allez savoir pourquoi).

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Mais Abellio ne s’arrête pas et s’en prend au communisme russe déjà déclinant :

« Dans leur marxisme dégradé et bassement industriel, les Russes sont d’accord, en profondeur, avec la philosophie productivité des Américains. C’est la lutte de Rome et de Carthage, un simple conflit d’ingénieurs…
Je hais les ingénieurs, dit-il.

« Devant les Russes et les Américains, dit-il encore, nous sommes dans la situation des premiers Chrétiens devant les factions romaines de la décadence. Ils n’avaient pas à prendre parti. On les tolérait, on les exterminait, on les tolérait à nouveau. Du point de vue de l’esprit, ces opportunités sont secondaires. »

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Abellio se trompe ensuite (une alliance russo-américaine ?) mais il sent l’Asie se pointer (c’est l’Autre côté de Kubin, le meilleur livre de SF sur ce qui nous arrive), comme René Grousset alors (Bilan de l’Histoire) :

« J’attends le moment où les Russo-Américains, enfin unis, essaieront de défendre leur civilisation de robots mécaniques contre une autre civilisation, celle des robots religieux, déferlant des plateaux mongols, des rizières chinoises ou des déserts d’Arabie, et poussant devant eux leurs esclaves fanatisés d’Afrique. Le communisme asiatique proposera au monde la civilisation de masse la plus rude, la plus perfectionnée, la plus scientifique, la plus exaltante, la plus étouffante qu’on ait jamais connue. »

L’effondrement va suivre pour nous et pour « Paris » (ou ce qu’il en reste) :

« Mais la nouvelle Rome, cette fois, sera sous les décombres de Paris, dans des caves ou des catacombes, comme l’ancienne, et persécutée comme elle. Je me sens déjà vivre dans ce Paris enseveli, réduit enfin à l’état pur. Les hommes comme moi y seront beaucoup plus à l’aise que dans celui des couturiers pédérastes et des abrutis milliardaires, fit-il d’un ton uni. Et j’imagine assez bien les Champs-Elysées troués par les bombes et envahis par des fourrés obscurs où les nouveaux hommes d’ici voisineront avec des bêtes sauvages et nobles qui leur rendront le goût de la liberté… »

On verra qui pourra survivre dans ces conditions en Occident. Pour le reste il est clair que l’Asie continentale aplatira tout.

Sur cette redoutable entité américaine mon éditeur roumain de Dostoïevski et la modernité occidentale m’envoie ces lignes de Rudolf Steiner :

« Il ne faut pas que le monde soit géographiquement américanisé, car les efforts de l’Amérique visent à tout mécaniser, à tout faire entrer dans le domaine du pur naturalisme, à effacer peu à peu de la surface de la Terre la culture de l’Europe (Rudolf Steiner, Derrière le voile des événements – Le mystère du Double, G.A. 178, Paris, 1999, pp. 88-89) ».

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Et sur la fonction terriblement sinistres des puissances atlantiques et thalassocratiques :

« L’égoïsme universel émane de la race anglo-américaine. Partant de là, l’égoïsme couvrira toute la Terre. Toutes les inventions qui recouvrent la Terre d’un réseau d’égoïsme viennent d’Angleterre et d’Amérique. A partir de là-bas donc, toute la Terre sera recouverte d’une toile d’égoïsme, de mal. Mais une petite colonie se formera à l’est comme la semence d’une vie nouvelle pour l’avenir. La culture anglo-américaine consume la culture de l’Europe […] mais la race elle-même va à sa ruine. Elle porte en elle la disposition à être la race du Mal. » (Rudolf Steiner, Eléments d’ésotérisme, Paris, 2000, p. 275)

Espérons qu’elle aille à sa ruine cette race, et sans emporter le reste du monde avec elle.

Sources:

https://lesakerfrancophone.fr/conference-de-presse-de-pou...

https://lesakerfrancophone.fr/larmaggedon-energetique-eur...

mardi, 21 janvier 2025

Parvulesco et David Lynch sur le cauchemar US

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Parvulesco et David Lynch sur le cauchemar US

Nicolas Bonnal

Source: https://www.dedefensa.org/article/parvulesco-et-david-lynch-sur-le-cauchemar-us

David Lynch est mort et il ne tournait plus depuis dix-sept ans. Les larmes de crocodile des uns (dont Spielberg) ne doivent pas nous faire oublier l’avarice des autres : qui a cessé en effet de le financer, et sur quel ordre ? Ce n’est certes pas parce que ses films ne rapportaient rien, malgré leur dimension de film-culte qui ne concernait qu’une chapelle peu éclairée. On a sciemment laissé crever son cinéma. D’un autre côté j’ai assez fréquenté Kubrick pour savoir qu’un long silence au cinéma est parfois préférable à une myriade d’opus ratés. Perte d’inspiration, disent les idiots ? D’autres savent qu’il vaut mieux se taire et mirer l’écran blanc. Certains maîtres dépérirent sous le nombre de leurs films sans inspiration : Godard, Resnais, Ridley Scot… Roule, torrent de l’inutilité, comme dit Montherlant.

Imdb.com a dit un jour que les trois plus grands cinéastes étaient Hitchcock, Kubrick – j’ai écrit sur les deux – et David Lynch, sur qui j’ai hésité d’écrire : je me demande en effet s’il y a tant à dire sur lui. Et comme en plus il y a selon moi du politiquement incorrect…

Soyons brefs et synthétiques :

Lynch est le témoin de la montée de l’horreur dans les années Kennedy-Johnson. Le bon vieux temps va être remplacé, que MAGA pleure encore (l’américain est plus nostalgique que l’apathique froncé qui a laissé son pays se dézinguer sans réagir, même culturellement). Le pays se désintègre sur tous les plans sous la poussée étatique et migratoire (voyez entre autres Paul Johnson ou l’excellent Jonah Goldberg sur le fascisme libéral). Ses personnages les plus célèbres, l’homme-éléphant et la tête à effacer, montrent une horreur suinter, celle de la Révolution industrielle, puis de l’écroulement de la société américaine dans les années soixante, dont tous les gens de droite ont parlé, et même John Wayne dans sa fameuse interview dans Playboy. C’est la fin de la race blanche (disons-le nûment), de sa famille, de ses traditions, l’ouverture exotique des frontières entre autres voulue par les frères Kennedy (voyez l’extraordinaire Alien nation de Peter Brimelow), la montée de l’insécurité et de l’orange mécanique (Vivian Kubrick soulagée de quitter New York pour gagner la campagne anglaise, dixit Vincent Lo Brutto) : société multiraciale, drogue, violence ultra, racaille toute-puissante, horreur des paysages urbains, tout ce que décrit Kunstler dans sa Long Emergency. Aux cowboys vont succéder des obèses ahuris de drogues autorisées et de télé, cowboys enfermés dans des territoires protocolaires autoroutiers interminables. C’est la fin de la petite ville blonde de Jane Powell (Small Town Girl, une de mes comédies musicales préférées, voyez mon livre).

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Tout cela pour se demander si le message clairement racial de Lynch (lui-même officiellement partisan de Bernie Sanders, et comme il a raison sur certains plans !) a été compris par l’Ennemi, qui l’aurait puni pour cela ? Cet homme tranquille théoriquement de gauche délivrait un message de blondeur, de nostalgie, parois optimiste (cf. le petit couple survivaliste de Nicholas Cage et la sublime Laura Dern), mais surtout nihiliste et pessimiste : rien ne va rester de l’ordre ancien. Et comme nous perdons en même la tête et la mémoire… Blue Velvet avec son oreille et non son temps retrouvé  décrit cette atmosphère de petite ville US sortie des films de Negulesco ou de Douglas Sirk, petite ville fragile si détestée par l’élite, qui va être liquidée par le Deep State et ses représentants, ces élites folles que dénonce alors Christopher Lasch (mais aussi le frère de Paul Auster). Les élites préfèrent l’exotisme à plumes, comme l’a rappelé Gilles Chatelet dans Vivre et penser comme des porcs (livre presque dédié à Attali et Sorman…).

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La critique cannoise célébrait l’atmosphère de sexe hard, de libération sexuelle, de drogue ou de dérive sociale qui marquait les films de Lynch. Elle fut surprise (je me souviens de la réaction d’Elizabeth Quin) par The Straight Story qui narre l’aventure routière d’un vieil homme, père d’une fille handicapée et soucieux d’aller retrouver son frère sur sa tondeuse à gazon (éloge de la lenteur !) à quelques centaines de kilomètres de là. Cadre enchanteur, mais c’était le Canada d’avant Trudeau. Ici Lynch jetait un peu son masque et l’insuccès auprès d’un public toujours plus hébété précipita sa chute. Mulholland Drive qui se voulait un film sur une série télé façon Twin Peaks (belle peinture de la déchéance US avec un casting de jeunes d’une beauté sensationnelle et les plus beaux paysages du monde dans l’Etat de Washington), s’avéra en fait et en définitive un «pilote» raté qui n’intéressa pas les télés – comme les derniers Columbo qui décrivaient très bien et presque involontairement (donc excellemment) la déchéance intégrale de la société américaine sous les années Bush et Clinton, nos mondialistes consacrés. Le dernier film tourné en Bulgarie m'était apparu comme insipide : je maintiens que le plus dur chez Lynch c’est cette angoisse de la pellicule blanche qui frappe d’autres petits maîtres comme Jarmusch ou Payne (en France qu’avons-nous avec notre cohorte de cinéastes subventionnés par l’Etat-PS ?) et cette fatigue de décrire ou de refléter une réalité qui ne cesse de disparaître, conformément aux prédictions de Debord dans les années soixante.

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Je termine par une citation de Jean Parvulesco dans Retour en Colchide (merci au fidèle lecteur Paul), livre où il parle étrangement de mon rapport avec un Grand Monarque, que j’ai connu et qui n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. Avec Parvulesco nous parlions souvent à La Rotonde du jeune Godard (génie éblouissant c’est certain) qu’il avait inspiré, de Kubrick, de Hollywood (comme son texte sur ce grand incendie rituel et sacrificiel nous manquera !), et bien sûr de Rohmer et de Schroeder. Jean réagit très fortement à Eyes Wide Shut de Kubrick. Mais grâce à mon lecteur Paul je trouve ces lignes sur le triomphe du satanisme dans la société américaine et occidentale, lignes inspirées par Mulholland Drive :

« …Car ce film de David Lynch  est en réalité le récit - la mise en scène de sa propre désintégration en marche et partant d’une certaine désintégration totale de ce monde, ramenant à la superbe séquence finale du basculement général dans la démence collective totale coïncidant d’une manière sous-entendue avec une prise en possession définitive par les Enfers.

En dernière analyse, Mulholland Drive signifie et annonce l’engagement peut-être irréversible de l’actuelle soi-disant civilisation américaine vers une conclusion infernale, vers la pétition de plus en plus paroxystique de sa prise en main par les pouvoirs occultes des soubassements nocturnes de ce monde. Par leur glissement fatal sous la Régence des Ténèbres. »

Il n’y a rien à ajouter. Le triomphe de Satan me semble évident en France comme en Amérique maintenant – et très bien accepté. Je pense encore que si j’écris un bref livre sur Lynch j’y inclurai un texte sur le cinéma néo-noir. Le cinéma noir ou néo-noir est ce qui permet de rentrer dans la graisse de la société bourgeoise et moderniste, de lui en extraire le lard. Le plus grand film en la matière, qui annonce Lynch, l’incontournable reste Point Blank de John Boorman, qui narre la destruction de la société américaine par le capitalisme modernisé (voyez mon texte sur Robert Reich et les manipulateurs de symboles), entité qui adore dévorer ses enfants inconscients.

mardi, 17 décembre 2024

Nerval et les Filles de peu

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Nerval et les Filles de peu

Nicolas Bonnal

Peu de récits auront autant enchanté notre adolescence littéraire que Sylvie. C’est cet enchantement que j’ai misérablement décidé de combattre en rappelant les éprouvantes phrases de Marx :

« La Bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, que le dur argent comptant. »

Il me semble que c’est un bon moyen de réévaluer Sylvie : Nerval y souligne le développement du capitalisme et Sylvie, promise à un grand frisé chez un certain père Dodu, développe son talent de fée industrieuse. On y parle de salle de théâtre (qui ruina l’auteur malheureux), de journal (idem), de voyage en train, de fêtes (le mot revient vingt fois en vingt-trois pages, on est déjà dans la civilisation festive), de mises en scène théâtrales (on s’habille et on se déshabille, on change de costume, cf. la scène chez la vieille tante), et de péripétie touristique. Le Valois devient un territoire touristique dès cette époque. Le coin de Nerval sera d’ailleurs utilisé dans Drôle de frimousse de Stanley Donen quand Fred Astaire danse avec Audrey à Coye-la Forêt. Grâce à Dieu nous avons la comédie musicale pour célébrer ces thèmes et ces hauts-lieux.

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Marx nous fait comprendre que le monde bourgeois va tout emporter (cf. le rewriting humoristique de Villiers-de-l’Isle-Adam dans Virginie et Paul – contes cruels) :

« Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité du petit bourgeois dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation, voilée par des illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, directe, brutale, éhontée. La Bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions jusqu’alors réputées vénérables, et vénérées. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des travailleurs salariés… »

Attention Nerval est conscient de ce monde boursicoteur :

« En sortant, je passai par la salle de lecture, et machinalement je regardai un journal. C’était, je crois, pour y voir le cours de la Bourse. Dans les débris de mon opulence se trouvait une somme assez forte en titres étrangers. Le bruit avait couru que, négligés longtemps, ils allaient être reconnus ; – ce qui venait d’avoir lieu à la suite d’un changement de ministère. Les fonds se trouvaient déjà cotés très haut ; je redevenais riche. »

Le poète est liquidé, et il lui reste à se pendre ou à devenir maudit (job à temps plein en France avant de toucher sa retraite). C’est cet élément qu’il faut tenir en compte en rappelant que Nerval s’est pendu, fauché, en janvier 1855, en pleine époque bourgeoise, celle que Joly décrit dans ses entretiens fameux. La littérature romantique est morte, et l’alittérature du fils de Mauriac commence – singulièrement en France : on a Verlaine, Mallarmé, Rimbaud qui vont liquider la poésie (voyez ce qu’en dit justement Tolstoï dans son essai sur l’art). Flaubert dépeint le vide et Borges a bien indiqué dans ses « inquisitions » qu’il a inventé la fin de la littérature – dans Bouvard et Pécuchet. Emma Bovary, isolée et perdue dans son couvent, gavée de livres romantiques et aventureux, est une consommatrice littéraire de bouquins et de voyages romantiques (le piano, la cascade, l’Italie, la Suisse, etc.) et elle se suicidera pour dette et pas par amour.

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Or tout cela se sent chez Nerval : on se déguise tout le temps, on a des costumes ; les fêtes traditionnelles perdent leur enchantement leur enracinement plutôt) et deviennent de simples attractions ; le paysage druidique est évoqué comme un simple décor un peu comme dans un film de Hunebelle avec Jean Marais. Du preux chevalier français Hunebelle passera peu de temps après à la célébration d’OSS 117, héros de l’Otan et de leur Occident… Eh oui, c’est ça les années gaullistes (voir mon livre sur la destruction de la France au cinéma).

Mais chez Nerval ce qui peine c’est tout ce passage culturel mythologique païen. Il s’en plaint quelque part, de cette civilisation gréco-latine qui ôta son caractère authentique à la France médiévale et chrétienne (voir Céline aussi, Bernanos, j’ai déjà évoqué ces thèmes anti-hellènes et antimodernes) ; et ce gavage culturel est hélas scolaire. Des esprits aussi différents que Gustave Le Bon ou Guénon s’en plaignent, l’un dans sa Psychologie de l’éducation (ouvrage toujours actuel et percutant), l’autre bien sûr dans sa Crise du monde moderne.

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Nerval dépeint en trois mots la grisaille culturelle quotidienne du khâgneux (ou étudiant) :

« Rappelé moi-même à Paris pour y reprendre mes études, j’emportai cette double image d’une amitié tendre tristement rompue, – puis d’un amour impossible et vague, source de pensées douloureuses que la philosophie de collège était impuissante à calmer. La figure d’Adrienne resta seule triomphante, – mirage de la gloire et de la beauté, adoucissant ou partageant les heures des sévères études. Aux vacances de l’année suivante, j’appris que cette belle à peine entrevue était consacrée par sa famille à la vie religieuse. »

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On ne peut que plaindre le destin de cette Adrienne qui va bientôt mourir, vers 1832 dit Sylvie. La monarchie de juillet aura tout coulé, relisez le début de la Fille aux Yeux d’or, où Balzac étincèle.

La philosophie de collège en effet occupe le cerveau de nos jeunes bourgeois et en peu de temps notre littérature va devenir une littérature de collège et de prof. Syndrome gravissime et peu commenté…

Comme Musset, Nerval se plaint de son temps et fait sa confession d’enfant du siècle ; il ajoute :

« Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui d’ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes. Ce n’était plus la galanterie héroïque comme sous la fronde, le vice élégant et paré comme sous la régence, le scepticisme et les folles orgies du directoire ; c’était un mélange d’activité, d’hésitation et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou religieuses, d’enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de renaissance ; d’ennuis des discordes passées, d’espoirs incertains, – quelque chose comme l’époque de Pérégrinus et d’Apulée. »

Le mot « vague » revient tout le temps sous sa plume. On court toujours après Isis, mais après la déesse Isis, rien du tout. Nerval n’a pas besoin qu’on le démolisse au milieu des ruines du Valois : il le fait lui-même, et son histoire d’amour vague inspiré par des lectures et des dissertations. Il écrit cruellement :

« – Nulle émotion ne parut en elle. Alors je lui racontai tout ; je lui dis la source de cet amour entrevu dans les nuits, rêvé plus tard, réalisé en elle. Elle m’écoutait sérieusement et me dit : – Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : La comédienne est la même que la religieuse ; vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses, … ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ? »

Au-delà de ces cercles de l’enfer ou au paradis il y a surtout du théâtre, machine alors à détraquer les esprits (puis ce fut le cinéma, la télé, l’ordi, le smartphone…) :

« Que dire maintenant qui ne soit l’histoire de tant d’autres ? J’ai passé par tous les cercles de ces lieux d’épreuves qu’on appelle théâtres. « J’ai mangé du tambour et bu de la cymbale, » comme dit la phrase dénuée de sens apparent des initiés d’Éleusis. – Elle signifie sans doute qu’il faut au besoin passer les bornes du non-sens et de l’absurdité : la raison pour moi, c’était de conquérir et de fixer mon idéal. »

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Adrienne est du reste religieuse et actrice (elle est même chanteuse, dans la fameuse scène faisant pompeusement et scolairement référence à Dante…) et Nerval décrit encore un spectacle éreintant et frustrant :

« Ce que je vis jouer était comme un mystère des anciens temps. Les costumes, composés de longues robes, n’étaient variés que par les couleurs de l’azur, de l’hyacinthe ou de l’aurore. La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. Le nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique nous paraissait bien naturellement un cercle de lumière ; sa voix avait gagné en force et en étendue, et les fioritures infinies du chant italien brodaient de leurs gazouillements d’oiseau les phrases sévères d’un récitatif pompeux. »

Ce globe éteint c’est devenu le nôtre.

Adrienne est peut-être transfigurée (quand on joue c’est facile…) mais son nimbe est de carton doré. Après, elle meurt.

Nerval auteur scolaire et collégien ? Léon Bloy en parle quand il règle son compte à Huysmans (qui lui-même va inspirer de A à Z Dorian Gray, voir le chapitre Onze du livre profané de Wilde) : pour lui cet auteur ne fait que nous tenir au courant de ses lectures – comme Nerval. Et il demande aussi un changement de réalité quand l’âge bourgeois achève de noyer l’extase religieuse et l’enthousiasme chevaleresque :

« Le célèbre naturaliste Huysmans a raconté, dans un livre de désolation, cette recherche désespérée de l’idéal à rebours, cette humble demande d’une minute de rêve à l’idiotifiante banalité des brasseries à femmes et des caboulots. »

Ce désespoir devant la réalité deviendra comme on sait une constante – après on s’habituera, car comme dit Dostoïevski dans ses Souvenirs de la Maison des morts, l’homme est le seul animal qui s’habitue à tout.

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Ajoutons que Nerval célèbre à sa manière le dix-huitième siècle, en qui il ne voit pas le siècle des Lumières de nos Lagarde et Michard, mais celui de l’accordée de Greuze (tableau, ci-dessus), des temples philosophiques, du rousseauisme des racines et des origines, de la quête de Cazotte et des illuminés maçonniques. Taine d’ailleurs se moque de ce trait aristocratique au début de ses Origines de la France moderne : avant 89 on ne pense plus qu’à s’amuser et à se déguiser, dit-il.

Terminons avec une belle et oubliée référence cinématographique : la Belle au bois dormant, film de danse soviétique (1964) qui célébra comme personne le plus beau conte de Perrault. Peut-être qu’elle a existé cette France des fées et des contes, des princes et des amours, un jour…

Le lien ici :

https://m.ok.ru/video/1709087197842?__dp=y

Sources principales :

https://www.vousnousils.fr/casden/pdf/id00180.pdf

https://instituthumanismetotal.fr/bibliotheque/PDF/marx-e...

https://fr.wikisource.org/wiki/Belluaires_et_porchers/Tex...

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/11/01/n...

 

samedi, 07 décembre 2024

Spengler et le tournant vers la mort

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Spengler et le tournant vers la mort

Nicolas Bonnal

On va reparler de Spengler mais je voudrais faire quelques rappels pour expliquer pourquoi les Européens agonisent depuis longtemps. Nietzsche en a parlé, et Yockey et Drieu… les grands penseurs enracinés américains (Madison Grant notamment) ont aussi vu ce risque: la liquidation du paysan-soldat républicain heureux dans le monde de la ville, de la consommation et de l’industrie.

Dans mon recueil sur les penseurs allemands j’ai souligné cette haine et cette peur du monde moderne et de la catastrophe qu’ils amènent; on les retrouve chez tous les grands penseurs allemands ou autrichiens, y compris certains juifs.

Dans son petit texte sur la guerre, voici ce Freud écrit sur la culture:

« Et voici ce que j’ajoute: depuis des temps immémoriaux, l’humanité subit le phénomène du développement de la culture (d’aucuns préfèrent, je le sais, user ici du terme de civilisation). C’est à ce phénomène que nous devons le meilleur de ce dont nous sommes faits et une bonne part de ce dont nous souffrons. Ses causes et ses origines sont obscures, son aboutissement est incertain, et quelques-uns de ses caractères sont aisément discernables ».

Voici les conséquences de ce développement culturel si nocif à certains égards, et auxquelles nos élites actuelles se consacrent grandement :

« Peut-être conduit-il à l’extinction du genre humain, car il nuit par plus d’un côté à la fonction sexuelle, et actuellement déjà les races incultes et les couches arriérées de la population s’accroissent dans de plus fortes proportions que les catégories raffinées ».

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Goethe lui rêvait encore du paysan, pas encore trop pollué par la civilisation:

« Notre population des campagnes, en effet, répondit Goethe, s’est toujours conservée vigoureuse, et il faut espérer que pendant longtemps encore elle sera en état non seulement de nous fournir des cavaliers, mais aussi de nous préserver d’une décadence absolue ; elle est comme un dépôt où viennent sans cesse se refaire et se retremper les forces alanguies de l’humanité. Mais allez dans nos grandes villes, et vous aurez une autre impression… »

Et il insiste encore, au début du tome deuxième de ses entretiens avec Eckermann (voyez mes textes), sur l’affaiblissement des hommes modernes:

« Causez avec un nouveau Diable boiteux, ou liez-vous avec un médecin ayant une clientèle considérable – il vous racontera tout bas des histoires qui vous feront tressaillir en vous montrant de quelles misères, de quelles infirmités souffrent la nature humaine et la société… »

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Venons-en au Déclin de l’Occident de Spengler. Dans le tome II et le chapitre sur les villes, notre auteur écrit des lignes admirables sur la fin du tact cosmique. On écoute le maître :

« Ce qui rend le citadin de la ville mondiale incapable de vivre ailleurs que sur ce terrain artificiel, c’est la régression du tact cosmique de son être, tandis que les tensions de son être éveillé deviennent chaque jour plus dangereuses. N’oublions pas que le côté animal du microcosme, l’être éveillé, s’ajoute à l’être végétal, mais non inversement. Tact et tension, sang et esprit, destin et causalité sont entre eux comme la campagne fleurie et la ville pétrifiée, comme l’être et ce qui dépend de lui. La tension sans le tact cosmique qui l’anime est le passage au néant. »

Comme Mirbeau, Spengler se rend compte que dans les grandes villes « toutes les têtes se ressemblent » :

« L’intelligence est le substitut de l’expérience inconsciente de la vie, l’exercice magistral d’une pensée squelettique et décharnée. Les visages intelligents se ressemblent chez tous les peuples. C’est la race elle-même qui se retire d’eux. Moins l’être sent le nécessaire et l’évident, plus il s’habitue à vouloir tout « éclairer», plus l’être éveillé calme sa phobie par la causalité. D’où l’identification par l’homme du savoir et de la démonstration; d’où la substitution aussi du mythe causal ou théorie scientifique au mythe religieux; d’où enfin la notion d’argent abstrait, considéré comme pure causalité de la vie économique, par opposition au commerce d’échanges ruraux qui est tact et non système de tensions. »

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Et comme je citais Mirbeau :

« …j’ai remarqué, à quelques exceptions près, que les villes, surtout les villes de travail et de richesses, qui, comme Anvers, sont des déversoirs de toutes les humanités, ont vite fait d’unifier, en un seul type, le caractère des visages… Il semble maintenant que, dans les grandes agglomérations, tous les riches se ressemblent, et aussi tous les pauvres. »

C’est dans La 628-E8, un livre dont l’héroïne est une… automobile. Mais citons Spengler de nouveau :

« La seule forme de récréation, spécifique à la ville mondiale, que connaisse la tension intellectuelle est la détente, la "distraction"».

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C’est une des clés de Berlin, grand film de Walt Ruttmann (documentaire muet datant de 1926): cet abrutissement de la masse berlinoise par le divertissement. Ruttmann qui est alors communiste (il mourra sur le champ de bataille en 1941) relie aussi cela au culte de l’argent : le divertissement est là pour extirper de l’argent. Hermann Hesse souligne aussi cela dans son inconnu Loup des steppes…

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Et tout amène logiquement à la stérilité qui frappe toutes les races et tous les peuples du monde en ce vingt-et-unième épris de grands remplacements et d’inintelligence artificielle. Spengler :

« Et de ce déracinement croissant de l’être, de cette tension croissante de l’être éveillé il résulte, comme conséquence suprême, un phénomène préparé de longue date, sourdement, qui se manifeste soudain à la claire lumière de l’histoire pour mettre fin à tout ce spectacle : la stérilité du civilisé. »

Ce n’est pas la culture de mort du pape polonais, c’est « le tournant métaphysique vers la mort » qu’incrimine plus justement Spengler (cela explique pourquoi les renaissances chrétiennes envisagées depuis deux siècles ont toutes grotesquement échoué):

« Ce phénomène est impossible à comprendre par la causalité physiologique, comme l’a tenté, par exemple, journellement la science moderne. Car il implique absolument un tournant métaphysique vers la mort. Certes oui comme individu, mais comme type, comme collectivité, le dernier homme des villes mondiales ne veut plus vivre: la phobie de la mort est éteinte dans cet organisme collectif. La crainte profonde et obscure qui s’empare du paysan, l’idée de la mort de sa famille et de son nom, ont perdu leur sens. Dans la continuité du sang, proche parent du monde intérieur visible; on ne sent plus un devoir du sang, la condition dernière de l’être, une fatalité ».

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Spengler sera rejoint par Freud sur ce point précis :

« Les enfants manquent non seulement parce que leur naissance devient impossible, mais parce que l’intelligence extrêmement avancée ne trouve plus de raisons pour sa propre existence. »

Problème auquel furent déjà exposés les Grecs et les Romains (voyez mon recueil sur leur décadence) et dont parla abondamment Ibn Khaldoun. On voit bien du reste cette impossibilité – en Russie actuelle comme ailleurs – de repeupler. Les gens ne veulent/peuvent plus. Le dépeuplement venu de la civilisation nihiliste occidentale n’est pas ce besoin dont a parlé Hitler à Rauschning: c’est devenu un destin.

La fin du tellurisme c’est la fin de la vie et de sa reproduction. Nous aurons assez vécu aussi pour la fin de tout contact avec le ciel.

Sources :

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jeudi, 05 décembre 2024

Le dernier safari et les fourmis blanches

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Le dernier safari et les fourmis blanches

Nicolas Bonnal

Henry Hathaway est le dernier cinéaste de l’âge d’or hollywoodien qui ait survécu aux années soixante. Pendant que le royal trio des westerns (voyez mon livre) composé de Hawks, Ford et Wash s’étiole et s’absente, Hathaway tient bon. Il tient grâce à John Wayne et aussi à Stewart Granger et aussi grâce à la violence, qui devient son terreau d’inspiration. Les quatre fils de Kathy Elder sont par ailleurs un chef-d’œuvre mythologique et tragique.

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Le septuagénaire Hathaway (photo) se permit même un film d’auteur où il régla discrètement ses comptes avec le monde moderne. Comme toujours on découvre ce genre de film par hasard : c’est le Dernier Safari (1967), avec le royal Stewart Granger toujours, qui honore son statut de star vieillissante. Le film s’ouvre par une dénonciation du devenir-touriste du monde des chasseurs. On croirait du Guy Debord. Tiens, relisons-le :

« Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garanti de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace. »

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Le livre de Gerald Hanley, anar de droite à l’anglaise, avait été édité par ma noble amie Simone Gallimard (voyez mon Céline) au Mercure de France. C’était quand on pouvait résister et le dire, au début des années soixante, avant qu’il ne devînt interdit d’interdire…

En bon homme de droite Hanley en a marre de la race blanche consommatrice et humanitaire :

« Il avait cinquante-sept ans mais ne s'inquiétait toujours pas des approches de l'âge. Il n'éprouvait toujours aucun des symptômes qui annoncent celui-ci. Il pouvait encore toujours abattre une bête avec la même rapidité, la même aisance qu'à ses débuts, trente ans plus tôt. Haïsseur de la civilisation, des endroits comme Nairobi, Mombasa, Aroucha, Dar Es Salam le mettaient hors de lui. Ceux-là et tous les autres où les « Hommes-Fourmis » avaient construit leurs rangées de bâtiments en ciment armé, et leurs cinémas, leurs boutiques... »

C’est quoi cet homme-fourmi alors ?

« Les « Hommes-Fourmis », c'étaient tous ceux qui achètent et vendent jusqu'au jour de leur mort où on les met au cimetière, en rangées, parmi les autres « Hommes-Fourmis » morts avant eux. Les seuls indigènes qu'ils connaissent, les « Hommes-Fourmis », ce sont leurs cuisiniers, bien que peu d'entre eux soient même capables de leur parler seulement. »

On se rapproche presque du Julius Evola de la Fin, de celui des guides de survie façon tigre, arc et massue...

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Notre anar de droite british façon Gabin (revoyez la Horse) ne peut parler avec ses contemporains :

« Au bout de deux jours à Nairobi, il en venait toujours à se quereller avec les « Hommes-Fourmis ». Il ne pouvait garder son calme quand il les entendait, dans les bars, parler de choses dont ils ignoraient tout. »

Le meilleur gibier à abattre pour un anar de droite c’est la gent féminine... Hanley ajoute :

« …il était patient et il avait appris à supporter beaucoup de choses. Il détestait les femmes blanches et ne craignait pas d'affirmer que si jamais il se mariait, ce serait avec une « garce de négresse, qui elle au moins n'aurait pas d'idées au sujet de l'émancipation ». Il n'avait jamais emmené une femme en safari depuis une première et unique expérience où il était tombé sur une femme qui lui avait reproché de ne pas se raser et de porter des vêtements tachés et déchirés. C'était une de ces femmes qui ont de bonnes intentions, elle voulait qu'il eût bon aspect, parce qu'elle l'avait admiré. »

Hanley oublie que les films d’aventure servent quand même à faire coucher les guides et les riches femmes qui partent à la recherche de leur mari perdu : on pense à Deborah Kerr toujours avec Stewart Granger (le premier Quatermain, celui de l’étonnant Marton), à Out of Africa (un résumé de ce qu’il ne faut pas faire dans la vie, ce film) ou à la Vallée des rois de Pirosh avec l’impeccable Robert Taylor. Après le genre présumé raciste (et il l’est) passera de mode – et comme les girafes finissent électrocutées au Kenya, fin géographique du monde oblige…

Mais il n’oublie pas de régler ses comptes avec l’homme blanc humanitaire, bourré de fric et donneur de leçons :

« Vous ne vivez pas ici. Vous êtes un Américain embarqué en trombe dans un voyage, et vous vous mettez à prononcer des sermons sur les Droits de l'Homme. Moi, il faut gue je vive ici. Je n'ai pas envie d'entendre vos opinions sur les Droits de l’Homme. Il fonça, tête baissée, emporté par la véhémence de ce qu'il avait à dire :

-Si vous voulez être un missionnaire, si vous voulez faire quelque chose pour les opprimés, alors retournez en Amérique, combattre pour que vos nègres aient le droit d'être Américains.

Mais vous avez un sacré culot de venir ici et de tout bousculer sous prétexte que vous représentez la Démocratie. Je ne le supporterai pas, non, je ne le supporterai pas. »

Quand vous serez de retour en Amérique, mon vieux, au milieu des Hommes-Fourmis, vous regretterez de ne plus être là. Evidemment, on ne peut pas faire tout le temps ce que vous êtes en train d'essayer de faire aujourd'hui. Il faut y aller doucement, un petit peu à la fois, pour durer. Oui, je laisserai mes os en Afrique, sous n'importe quel rocher et ces saloperies d'hyènes viendront me bouffer. D'accord. Mais j'aime mieux ça que d'être enterré dans un de vos cimetières au milieu de longues rangées d'autres corniauds. »

Cette histoire de cimetière me rappelle un cas personnel, le mien : je suis allé une dernière fois au cimetière de Pantin et je n’ai pas retrouvé la tombe de ma grand-mère ; et une dernière fois au Père-Lachaise en 2014 je crois, et je n’ai pas trouvé la tombe de Serge de Beketch.

Lui aussi commençait à en avoir marre de ces blancs consommateurs humanitaires qu’il avait défendus toute sa vie. Hollywood avait encore raison, revoyez l’invasion des profanateurs de sépulture. Les blancs c’est des légumes (Don Siegel).

On les a remplacés DEPUIS LONGTEMPS.

Sources :

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https://ok.ru/video/914848156212

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dimanche, 01 décembre 2024

De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste

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De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste

Nicolas Bonnal

« Je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération ».

La presse étatique-ploutocratique en France se mobilise pour notre extermination: elle veut la vaccination à mort, la lutte contre le carbone et les sexes à mort, elle veut l’invasion migratoire à mort (et ce depuis quarante ans), elle veut la censure médiatique à mort, et maintenant en bon petit Hitler elle veut la guerre contre la Russie et contre les USA. Elle est totalement psychopathe.

 Malheureusement ce n’est pas très neuf et c’est ce qui motiva les pamphlets de Céline et les réflexions de Cochin, penseur extraordinaire et génie passé sous silence (mais pourquoi donc ?), que je découvris un beau jour grâce au courageux et isolé (quoique prestigieux) François Furet.

On va citer Cochin avant le Général, président beaucoup moins populaire et idolâtré par le journaliste franchouillard que Macron :

« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »

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Le résultat le voilà :

« Le « peuple » parle, c’est-à-dire la foule anonyme, pêle-mêle, d’adeptes, de meneurs machinistes et de simples badauds, entourés, dirigés par les gens de la machine. »

La dissociation morale est déjà là :

« Le patriote est soumis à un travail de dissociation morale qui lui fait perdre et de fait et de droit toute autonomie, toute indépendance personnelle et toute chance de la retrouver jamais pour peu que l’entraînement soit complet. La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »

Revoir mes textes sur Cochin.

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Je vais citer grâce à l’excellente Echelle de Jacob les réflexions de Charles de Gaulle :

«Le Général me répète, avec encore plus d’énergie, ce qu’il m’a dit déjà plusieurs fois au sujet des journalistes :

« Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l’étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d’imaginer une pareille bassesse – et en même temps une pareille inconscience de la bassesse. Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. »

C’est une donnée à travers les siècles cette perte de fierté nationale, ce besoin de s’inféoder à toutes les puissances du monde, Israël, Washington, Londres, l’ONU de New York, Davos, les fous de Bruxelles ou Moscou-Staline. Céline disait qu’on a toujours été trahi et à toutes les époques encore (voir mon livre). On peut dire que cela avait commencé au dix-huitième siècle (les philosophes des Lumières adorateurs de l’Angleterre) avant de se systématiser et de s’industrialiser grâce à la presse au dix-neuvième siècle, quand le Second Empire puis la République commencent à nous soumettre à la « baleine » anglo-saxonne. Dans mon recueil sur de Gaulle et la Russie j’ai bien insisté sur deux points : un, le Général adorait la Russie ; deux, ce grand amour platonique était impossible. Trop de résistances atlantistes ou autres...

De Gaulle ajoute que la bourgeoisie trahit toujours, trahit partout, rien que pour continuer de bouffer en ville :

« Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre. »

Je dis cela alors que mon ami bourguignon Antoine me certifie que toutes les brasseries ferment à Paris-la-frugale-écolo…

Le problème – on retourne à Cochin – c’est que la Révolution a profité à 5%  de la population, ces juristes et députés dont les cousins ont acheté les fameux biens du clergé, et dont les neveux ont écrit l’histoire de la Révolution et de l’Empire ; et de Gaulle enfonce le clou encore :

« Bien sûr, cela représente 5% de la nation, mais 5% qui, jusqu’à moi, ont dominé. La Révolution française n’a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu’est la bourgeoisie. Cette classe qui s’est de plus en plus abâtardie, jusqu’à devenir traîtresse à son propre pays. Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l’intérêt du pays. Il ne s’y trompe pas souvent. »

De Gaulle premier gilet jaune ? On ricane bien sûr. Il résume parfaitement le Truman show (comme dit ma lectrice Amal) de la vie politique républicaine :

« En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir. Cela m’est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Cela m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré, vous m’entendez ! Le jour où Le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale ! »

Elles ont fusionné ces bourgeoisies avec l’union de Macron et Barnier, du bourgeois catho et du bourgeois homo, du crétin utile catho-souverainiste et du mondialiste branché, festif et fervent.

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Jeff Bezos courageusement et intuitivement a parlé du mur de la réalité. Pour l’instant tout le monde s’en tape en France : il faut mutiler sexuellement les enfants ; il faut raser la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump au nom de cette lutte contre l’hitlérisme dont on reprend les marottes (exterminer simultanément si possible les deux plus grandes puissances militaires  du monde) ; il faut exterminer le carbone et faut remplacer la population. Le réel, disait Muray, ce sera pour une autre fois. Déjà leur euro-jacobinisme (jacobinisme qui comme je le prévoyais dans mon Coq hérétique a conquis l’Europe) repousse toutes les lois de la réalité.

Répétons Cochin :

« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »

La dissociation morale est déjà là et il ne sert à rien de tempêter contre les automates et les machines-Barbie de la télé. Cochin nous avait déjà prévenus :

« La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »

L’homme typographique de Macluhan, homme franco-britannique, quelle belle invention…

Sources :

https://strategika.fr/2020/07/19/augustin-cochin-et-le-pi...

https://www.dedefensa.org/article/cochin-et-la-reprogramm...

https://www.amazon.fr/C%C3%A9tait-Gaulle-Alain-Peyrefitte...

https://www.amazon.fr/Autopsie-lexception-fran%C3%A7aise-...

 

mardi, 19 novembre 2024

Poutine et Trump face aux eunuques de Bruxelles

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Poutine et Trump face aux eunuques de Bruxelles

par Nicolas Bonnal

Donald Trump continue ses exploits, au moins en nominations, et espère rattraper Vladimir Poutine au poste de grand homme du début du vingt-et-unième siècle. Pendant ce temps l’Europe continue de couler avec à sa tête des politic(h)iens mondialistes soumis à Soros et à Fink. Les fous de Bruxelles choisis conformément aux agendas de Rome ou de Davos poursuivent leur destruction méthodique du continent  - destruction qui doit se marquer industriellement, démographiquement ou culturellement; pendant que l’Inde, la Chine ou même le Brésil triomphent économiquement et que l’Amérique renaît sur une bonne vieille base nationaliste tout en préservant légitimement son socle impérial fragilisé, l’Europe à l’agonie depuis 1918 ou plus peut-être, se jette à la poubelle.

On voit d’ailleurs que les grands hommes (ou même de bonne stature) abondent dans le monde en ce moment, sauf ici. Les pessimistes-apocalyptiques peuvent se rhabiller. Depuis la fin des effrayantes années 90, depuis le départ de Kohl et Mitterrand (mon grand initié…), tous les hommes politiques (et les femmes… Et les femmes…) sont nuls en Europe, et surtout on ne voit pas de remplaçant arriver: les extrêmes-droites sont encore plus minables et soumises aux mondialistes que les autres et l’extrême-gauche sert comme toujours d’idiot utile à la camarilla affairiste de Wall Street qui se charge de l’Europe en ce moment. On n’y peut mais. Trotsky nous mettait déjà en garde…

« Pendant ce temps, l’Amérique édifie son plan et se prépare à mettre tout le monde à la portion congrue… La social-démocratie est chargée de préparer cette nouvelle situation, c’est-à-dire d’aider politiquement le capital américain à rationner l’Europe. »

Voyez mon texte sur Médiapart…

Le seul pays extra-européen à rivaliser avec Bruxelles est l’Angleterre, terre de l’éternelle dystopie. L’ex-Suisse neutre ploutocratique prend des cours de rattrapage…

Mais ce qui frappe c’est que dans cette quête du néant et de l’autodestruction, l’Europe est seule. On la dirait soumise à des forces (des farces ?) extraterrestres tant elle va loin. La prostration de la popu lasse, surtout française, est aussi extraordinaire, consacrant un déclin et un sommeil séculaires maintenant.

C’est là que je me suis à penser aux eunuques de l’ancienne Chine qui, entre contrôle totalitaire, conspirations à quatre kopecks, guerres et luttes intestines, révoltes de palais et aberration bureaucratique, avaient détruit l’empire du milieu.

Cette réalité du pouvoir eunuque m’est apparue en lisant Michel Maffesoli qui citait le chercheur hongrois Etienne Balasz. Pourquoi ? Parce que ces auteurs ont découvert (Balasz) et rappelé (Maffesoli) que les eunuques ont déjà gouverné le monde, avec leur gant de velours et leur main de fer. C’était dans l’empire chinois de la décadence.

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Je cite Maffesoli qui va se faire attraper par la police :

« Dans son livre La bureaucratie céleste, l’historien de la Chine antique, Etienne Balazs, souligne la prédominance des eunuques dans l’organisation de l’Empire. Ne pouvant procréer ils élaborent une conception du monde dans laquelle un ordre abstrait et totalement désincarné prédomine. L’élément essentiel étant la surveillance généralisée. »

Puis il applique à notre triste époque :

« En utilisant, d’une manière métaphorique cet exemple historique, on peut souligner que la mascarade en cours est promue par la « bureaucratie céleste » contemporaine dont l’ambition est stricto sensu d’engendrer une société aseptisée dans laquelle tout serait, censément, sous contrôle. Et en reprenant la robuste expression de Joseph de Maistre, c’est toute « la canaille mondaine » qui sans coup férir s’emploie non pas à faire des enfants, mais à infantiliser la société : il faut en effet noter que pas un parti politique n’a osé s’élever contre le port du masque généralisé. »

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En surgit un ordre puritain basé sur la technologie, donc éminemment anglo-saxon :

« Ce qui montre bien, endogamie oblige, que c’est la classe politique en son ensemble, aidée par des médias aux ordres et soutenue par des « experts » soumis, qui est génératrice d’un spectacle lisse et sans aspérités. Mais l’hystérie hygiéniste, le terrorisme sanitaire, ne sont pas sans danger. Car c’est lorsqu’on ne sait pas affronter le mal que celui-ci se venge en devenant en son sens strict pervers : per via, il prend les voies détournées s’offrant à lui. »

Je cite maintenant Etienne Balazs, qui a mieux souligné que Granet ou Guénon les périls de cette société chinoise de l’époque baroque, apparemment sage et traditionnelle :

« Cette élite improductive tire sa force de sa fonction socialement nécessaire et indispensable, de coordonner, surveiller, diriger, encadrer le travail productif des autres. »

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Et en effet cette élite eunuque s’occupe de tout, se mêle de tout et gère tout, un peu comme l’Etat bonapartiste tentaculaire décrié par Marx dans son fastueux 18 Brumaire.

Taricat, un commentateur de Balazs, écrit sur la stérilisation de la société par cette élite eunuque qui fait tant penser à nos eurocrates :

« Mais c’est surtout par une répression plus subtile que cette classe dominante se reproduisait. Détenant le monopole de l’éducation, elle avait mis en place un régime d’enseignement et d’examens qui sélectionnait le recrutement des fonctionnaires ; cooptation, recommandations, examens permettaient la reproduction d’une élite intellectuelle présentant une uniformité de pensée tout à fait propice à la cohésion de l’appareil administratif. »

Cette classe, comme la mondialiste ou l’énarchie qui nous dirige, hait le petit capitalisme qui survivrait (services, hôtels, restauration, etc.), les petits entrepreneurs, les travailleurs autonomes :

« Outre cette raison, la principale entrave au développement capitaliste fut la mainmise totalitaire de l’Etat qui paralysait toute initiative privée, n’accordant le droit à l’investissement qu’à ses propres fonctionnaires (et uniquement pour l’investissement foncier). Nous voudrions ajouter à cette argumentation que te monopole d’exploitation de la main d’œuvre étant constamment détenu, par l’Etat, il n’y avait pas de travailleurs libres sur le marché, condition impérative, comme l’a montré Marx, du développement capitaliste. »

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L’aristocratie eunuque a donc détruit la Chine et permit son invasion et son pillage par un Occident déjà inconscient de ses crimes et de sa bêtise.

Voilà où nous en sommes: et je rappellerai la fin de 2001 quand l’ordinateur, une entité hermaphrodite, extermine l’équipage qu’il juge impropre à mener la mission (voyez mon livre sur Kubrick). On en revient aussi à Matrix et à cet objectif sinistre de liquider ce vieux virus qu’est l’homme…

Sources principales :

https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/220117/comment-tr...

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/07/11/observations...

https://www.amazon.fr/DANS-GUEULE-BETE-LAPOCALYPSE-MONDIA...

https://lecourrierdesstrateges.fr/2020/08/27/maffesoli-ma...

18:43 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, nicolas bonnal | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 17 novembre 2024

Comment la presse moderne inventa notre réalité

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Comment la presse moderne inventa notre réalité

par Nicolas Bonnal

La presse invente une réalité dans laquelle baigne l’humanité. On voit en Amérique, partie la plus avancée sur le plan technologique, qu’une bonne partie de la population arrive à s’extraire du simulacre de réalité (mais la réalité peut-elle être autre chose, Ô Maya ?) et commence à comprendre. Mais elle même s’adresse au réseau, à la matrice. Les vieux médias vont sans doute crever en Amérique (en France ils sont fonctionnarisés-donc-increvables) mais ils sont remplacés par sans doute pire qu’eux, ce que la vieille garde démocrate, par la voix des frères Coen, avait nommé l’Idiocratie. Le pullulement d’analphabètes néo-cons dans l’administration Trump rassérénera les amateurs qui adulent tel messie pacifico-politico-médiatique.

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La presse invente la réalité de deux manières : l’idéologique (la plus facile à comprendre) et la technologique, la typographique, disait McLuhan, qui a montré à quel point l’Occidental moyen aura été altéré par cette typographie. McLuhan termine son magistral (et totalement incompris car non lu) ouvrage par une puissante réflexion sur la Dunciade de Pope qui lui-même comprend au début du dix-huitième siècle les conséquences de ce pullulement typographique d’information qui va anéantir toute voie vers la Vérité et répandre l’imbécillité industrielle. Citons encore Chesterton et son infini Nommé Jeudi :

— Non, dit Ratcliff. Le genre humain va disparaître. Nous en sommes les derniers représentants.

— Peut-être, répondit le professeur, d’un air distrait ; puis il ajouta de sa voix rêveuse : comment est-ce donc, la fin de la Dunciade ? Vous rappelez-vous ?… « Tout s’éteint, le feu de la nation comme celui du citoyen. Il ne reste ni le flambeau de l’homme ni l’éclair de Dieu. Voyez, ton noir Empire, Chaos, est restauré. La lumière s’évanouit devant ta parole qui ne crée pas. Ta main, grand Anarque, laisse tomber le rideau et la nuit universelle engloutit tout ! »

La réalité idéologique (idéolochique, comme dit Céline dans ses éclairés pamphlets) est facile à comprendre et on la connaît : changement climatique, inondations, racisme, vaccination pour un oui ou pour un non, invasion migratoire, guerre mondiale contre Chine, Iran, Russie, Bataclan, peur des virus informatiques, peur de l’islam et de son antisionisme, peur du souverainisme (pire simulacre pourtant des temps qui courent), encore etc.

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Et puis il y a la réalité ontologique ou technologique. Elle est plus grave, c’est la prison noire de fer de Philip K. Dick. C’est quand toute représentation remplace la réalité. On cite Borges dans un espagnol très simple, le fameux texte où la carte remplace la terre-territoire, texte sans cesse cité par Baudrillard, qui en fait la clé de Simulacre et simulation, livre-source comme on sait du film Matrix.

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 « En aquel Imperio, el Arte de la Cartografía logró tal Perfección que el mapa de una sola Provincia ocupaba toda una Ciudad, y el mapa del Imperio, toda una Provincia. Con el tiempo, estos Mapas Desmesurados no satisficieron y los Colegios de Cartógrafos levantaron un Mapa del Imperio, que tenía el tamaño del Imperio y coincidía puntualmente con él. »

L’altération psychique et intellectuelle causé par la typographie a été totale en Occident : elle a même créé le nationalisme, valeur antitraditionnelle (Evola et Guénon auraient dû lire cette école canadienne...) au possible, et crée le citoyen-métronome-automate moderne, consommateur-conscrit-contribuable et conditionné.

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Et la presse va plus loin ; car si elle formate aussi bien les esprits depuis des siècles (ce qu’observent Tolstoï, Fichte, Bernanos…) c’est qu’elle est elle-même formatée pour présenter une actualité qui n’est pas l’actualité réelle. La réalité elle l’invente. C’est ce que dit un grand journaliste américain de Time, T. S. Mathews, cité par Jacques Barzun dans son légendaire pavé sur l’aube et la décadence (From Dawn to Decadence).

« On suppose que l’essentiel de la presse est l’actualité. Si la nouvelle est ce qui s'est passé hier, alors les journaux publient énormément de fausses nouvelles. L’information est ce que produit la presse.

 

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La plupart des reportages internationaux sont réalisés par la presse elle-même : interviews d'hommes, événements importants, rapports sur des situations graves, rapports politiques, "spéculations fondées", etc. Une grande partie de la presse a véritablement cessé de se concentrer exclusivement sur les faits — T. S. MATHEWS (1959) ».

La mise en scène de « l’actualité » par la presse abolit la réalité. On en revient au grand théâtre baroque, à Corneille (le Menteur, l’Illusion), à Gracian, au Jacques de Shakespeare. Aujourd’hui on en arrive à la mise en scène informatique, celle de Musk qui a gagné facilement l’élection américaine, et qui abolit le règne de la télé, au moins en Amérique. L’Europe trop vieillie et réac dans son socialisme-humanisme obtus, risque de rater le coche…

Relisons Baudrillard sur cette abolition non de l’actu mais de l’Histoire par l’information :

« Ce n’est pas la fin de l’histoire au sens de Fukuyama, par résolution de toutes les contradictions qu’elle avait soulevées, mais la dilution de l’histoire en tant qu’événement : sa mise en scène médiatique, son excès de visibilité. La continuité du temps qui est une façon de définir l’Histoire (pour qu’il y ait récurrence possible d’une séquence de sens, il faut bien qu’il y ait un passé, un présent, un futur, avec une continuité entre eux) est de moins en moins assurée. Avec l’instantanéité de l’information, il n’y a plus de temps pour l’histoire elle-même. Elle n’a pas le temps d’avoir lieu en quelque sorte. Elle est court-circuitée. »

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Baudrillard poursuit implacable en s’en prenant à son ami Paul Virilio : car l’actu, l’info, la matrice informative peut aussi nous priver de cette apocalypse dont se gargarisent certains ; rappelons que cette apocalypse est un produit de la Réforme, de la Renaissance, de la typographie, et que ce redoutable brulot fasciste-communiste-illuminé et exterminateur a suffisamment fanatisé-hypnotisé-conditionné les Allemands pour en exterminer un tiers en un siècle (voir le texte de Rothbard) :

« Il se place en position apocalyptique, de prophète anti-apocalyptique tout en étant persuadé que le pire peut advenir. Sur ce point, on a fini par diverger. Car, je ne crois pas à cette apocalypse réelle. Je ne crois pas au réalisme de toute façon, ni à une échéance linéaire de l’apocalypse. À la limite, si l’on pouvait espérer cet accident total, il n’y aurait qu’à le précipiter, il ne faudrait pas y résister. L’avènement du virtuel lui-même est notre apocalypse, et il nous prive de l’évènement réel de l’apocalypse. Mais telle est notre situation paradoxale, il faut aller jusqu’au bout du paradoxe. »

La vraie apocalypse, c’est qu’il n’y aura pas d’apocalypse, le monde n’étant plus assez réel...

Sources :

https://ciudadseva.com/texto/del-rigor-en-la-ciencia/

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2024/04/09/jean-baudr...

https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Nomm%C3%A9_Jeudi/Texte_...

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2024/10/20/chesterton...

https://www.ocopy.net/wp-content/uploads/2017/10/mcluhan-...

https://mediosyhumanidades.wordpress.com/wp-content/uploa...

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/10/22/le-communi...

mercredi, 13 novembre 2024

Edouard Drumont et la France glaciaire

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Edouard Drumont et la France glaciaire

par Nicolas Bonnal

« Il n'est pas possible à l'observateur social de n'être pas frappé de la puissance d'expansion, de la force d'action extérieure  qu'avait cette France d'autrefois. »

76% des froncés solidement contre Trump, s’émerveille l’impayable Figaro. Comme ils sont 99-100% à être contre Poutine…

L’effondrement de la France est évident pour tous, sauf pour les retraités Tartine qui se tapent cent heures de télé par semaine (c’est un minimum en république). Après une brève et contrastée embellie gaulliste (voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma), vite noyée sous les quolibets et les pavés de mai 68 et l’avènement de la société de consumation frivole et socialiste, la France disparaît et elle est suffisamment gâteuse avec ses immigrés, ses bobos et ses vingt-trois millions de retraités fachos-socialos-écolos-rigolos pour défier en ce moment, à la manière d’Hitler (un remix comique de Hitler, on en revient toujours à Marx), l’Amérique et la Russie, sans oublier la Chine. Contrairement à l’Allemagne il ne reste aucune force politique de lucidité qui fasse plus de 0.5%. Seule l’Angleterre éternellement toxique et méphitique peut comme toujours faire pire, et s’en donne à cœur joie.

Mon mal vient de plus loin, comme écrit Jean Racine. Après la raclée de 1870 et l’avènement de ce régime sous-républicain dont on ne s’est jamais remis, Drumont écrit les lignes suivantes sur cet âge glaciaire :

« C'est le contraire absolument de ce que nous voyons se produire aujourd'hui. La France, comme un astre qui s'éteint, entre peu à peu dans la période glaciaire et perd sa puissance de rayonnement. Nous portions jadis tout au dehors, notre langue, nos idées, nos vins; aujourd'hui nous recevons tout de l'Allemagne : ses Juifs, sa bière et sa philosophie, les Bamberger et les Reinach, les  bocks et Schopenhauer. »

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On laisse les juifs de côté car comme je l’ai montré dans mon Céline comme dans mes écrits sur Drumont, ils ne sont qu’un bouc émissaire facile et usagé. Le vrai responsable c’est le Français moderne dont la Révolution et le monstrueux bonapartisme social-impérial ont accouché. Voir mon Autopsie de l’exception française. Un tire-au-flanc vieilli, fumiste, festif et vérolé (au moins moralement), voilà ce dont on a accouché en devenant la lumière du monde. Cochin ou Bernanos en ont parlé mieux que personne.

Les forces de réaction ? Elles sont un leurre éternel. Drumont parle des bien-pensants de Bernanos, de nos conservateurs qui avec Barnier et les souverainistes cathos aux affaires achèveront tranquillement cet hexagone :

« cœurs honnêtes mais sans flamme et sans élan, âmes timides mais voulant sincèrement le Bien, esprits exempts du doute qui a  agité la génération précédente et installés tranquillement dans des croyances religieuses plus solides et moins superficielles qu'on ne l'imagine… voilà les conservateurs. « 

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Drumont a déjà écarté la facile et messianique-comique figure du sauveur (De Gaulle est une figure ésotérique et philosophique, comme l’avait compris mon maître et ami Parvulesco, plus qu’une figure politique – il est resté sans héritiers ou est devenu l'inspirateur de traîtres euro-américains).

« De cette masse grise d'honnêtes gens qui constituent le meilleur de la France, on ne voit sortir aucun dévouement  exceptionnel; on ne voit se former nulle part non plus un de ces courants qui emportent tout ; on ne voit se dessiner aucune de  ces personnalités éclatantes qui semblent désignées par la Destinée pour tout sauver... ».

On entre donc, dit Drumont, dans une période glaciaire (cela correspond au réchauffement climatique auquel ce crétin de pays croit dur comme fer je suppose) :

« La  France, la grande génératrice de généraux, de politiques, de penseurs, ne produit plus d'hommes ; comme les astres dont le foyer s'éteint graduellement, elle semble entrer dans la période glaciaire.

Le sol lui-même, si riche jadis, paraît s'épuiser; nos grands vignobles sont rongés par de mystérieux ennemis. Grâce à la culture  intensive et aux prétendues méthodes scientifiques, la terre, comme nous le disait un cultivateur, ressemblera bientôt à une  armoire: on n'y trouvera plus que ce qu'on y aura mis... »

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Drumont cherche les causes et va citer un philosophe militaire belge qui explique tout grâce au magnétisme passager qui habite les nations:

« Peut-être est-ce une loi inévitable et à laquelle nulle nation n'échappe? C'est la théorie développée dans un livre introuvable et  qui certainement n'a pas été lu par dix personnes en France :  l’humanité, sa durée. Brück, l'auteur, est un inconnu même dans sa patrie, la Belgique ; il n'en a pas moins remué, au milieu d'un fatras confus, des idées très originales et très hautes. »

Un peu de Brück donc :

« D'après lui, c'est le courant magnétique terrestre qui, en se déplaçant, détermine la grandeur et la décadence des nations.

La  civilisation, écrit-il, a sa marche tracée et parcourra successivement toutes les parties du globe par suite du déplacement d'une région nodale mobile de plus grande intensité ou de plus grande activité magnétique qui, durant une période magnétique  séculaire, donne la plus grande activité magnétique ou la plus grande énergie physique et les meilleures prédispositions morales  à toute une région. »

Chaque région connaît ou presque son heure :

« Jusqu'à  ce  jour,  ce  qui  précède  s'est  produit,  si  bien  que dans  les  régions  momentanément  favorisées,  les  populations devenues  dominantes  et  qui  furent  placées  à  la  tête  de l'humanité,  ont  plus  spécialement  brillé  par  l'énergie  physique et  la  puissance  lorsque  la  région  favorisée  était  naturellement sous  l'influence  des  courants  magnétiques  intenses, tandis  qu'elles  ont  plus  spécialement  brillé  par  l'intelligence, par  l'imagination  et  par  leurs  œuvres,  lorsque  les  régions  favorisées,  occupées  par  elles,  étaient  naturellement  sous l'influence  de  circulations  magnétiques  actives. »

Drumont ajoute :

« La  loi,  toujours  d'après  Brück,  est  que  l'évolution d'un  peuple-chef  est  terminée  au  bout  de  mille  trente-deux  ans.  Dans  cet  espace  de  temps  il  a  parcouru toutes  les  phases  de  son  développement,  il  n'a  plus qu'à  décroître,  il  peut  vivre  quelque  temps  tranquille sur  son  passé,  mais  tout  effort  lui  est  funeste  comme toute  imprudence  est  fatale  au  vieillard;  toute  tentative pour  s'agrandir  se  traduit  pour  lui  par  une  diminution de  territoire. »

L’heure de la France moderne allait sonner, quand le pays jouissait encore du prestige impérial :

« C'est  en  1862,  il  faut  noter  la  date,  que  Brück  écrivait à  notre  sujet :

Voilà  un  peuple  riche,  glorieux  et  puissant  qui  se  croit supérieur  à  tous  les  autres  et  qui  a  de  nombreuses  raisons d'être  fier  de  son  passé.  Ses  armées  sont  prêtes  à  renverser  pour  la  troisième  ou  la  quatrième  fois  les  barrières  qu'on pourrait  lui  opposer  en  Europe.

Ce  peuple  tient tous  les  autres  en  armes  et  dans  des  inquiétudes très  grandes  à  la  pensée  des  terribles  événements qu'entraînerait  une  lutte  qu'on  a  pu  le  croire  et  qu'on  le  croit  peut-être  encore  prêt  à  provoquer.

Jusqu'à quel point puis-je dire à ce peuple : Tu es encore formidable aujourd'hui mais songe à la loi ; nul peuple ne vivra comme peuple-chef au-delà de mille trente-deux ans : tu es né en 843 du partage de l'empire franc à 'Verdun ; nous sommes en l'an de grâce 1862: tu as donc mille et dix-neuf ans ; fais ton compte.

1862 + 14 = 1876

1876 aurait donc été pour nous le commencement de la fin. »

C’est presque du Jean Phaure (voyez la France mystique de mon vieil ami métaphysicien, et qui adorait la série Le Prisonnier…). Et Brück eut son ère de gloire dans des cercles militaires éclairés. Impossible hélas de mettre la main sur ses livres sur le web. Le froncé s’en remettra…

Drumont toujours aussi visionnaire ajoute :

« Ajoutons,  pour  que  nos  voisins  ne  triomphent  pas trop  de  notre  décrépitude,  que  le  courant  magnétique ne  se  dirige  pas  sur  l'Allemagne,  il  se  porte  vers  l'Amérique. »

Sources :

https://books.googleusercontent.com/books/content?req=AKW...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas-Remi_Br%C3%BCck

https://www.academieroyale.be/academie/documents/FichierP...

https://www.amazon.fr/Pourquoi-Gaulle-adorait-Russie-anti...

https://www.amazon.fr/DESTRUCTION-FRANCE-AU-CINEMA/dp/B0C...

https://www.amazon.fr/Phaure-jean-mystique-r%C3%A9flexion...

 

mardi, 05 novembre 2024

Révolte contre le monde postmoderne

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Archives Nicolas Bonnal, 2009

Révolte contre le monde postmoderne

Nicolas Bonnal

Extrait personnel du recueil collectif : Julius Evola envers et contre tous (Orientations/Avatar, 2009).

En titrant d'une manière provocante "Révolte contre le monde post-moderne", je suppose qu'il y a quelque chose de pire que ce monde moderne contre quoi se révolter... Sommes-nous descendus plus bas qu'à l'époque où Julius Evola tonnait contre son monde moderne ?

Histoire-comique-de-Francion.jpgEt d'ailleurs cela fait beaucoup de temps que l'on tonne contre ce monde. Montesquieu s'en moque fort dans ses Lettres persanes, et de l'inflation, et de la mode, et de la crise démographique (comme déjà l'historien grec Polybe qui se navre du dépeuplement et du vieillissement de la Grèce impériale !), et du désir mimétique, et de la vanité des sujets du roi, et du pape, et du reste... Au 19ème siècle, que pourtant moi, Européen, je contemple avec nostalgie, Poe, Tocqueville, Maupassant, Baudelaire et tant d'autres contemplent avec mépris le « stupide dix-neuvième siècle » de Daudet. Pour en revenir à Montesquieu, il modernise une critique acerbe du siècle du « roi-machine » (Apostolides) que l'on pressent à travers les œuvres de Furetière, la Bruyère, la Fontaine ou même Sorel, auteur de l’étonnante histoire de Francion. Bref, la Fin des Temps est dans l’air du Temps, et on relira avec stupéfaction la fin des Mémoires de Saint-Simon pour s'en convaincre.

De quoi donc se plaint Evola et de quoi pouvons-nous nous plaindre nous, trente-cinq ans après sa disparition ? L’esprit traditionnel n'est-il pas lié à je ne sais quelle hypocondrie qui fait tout voir en noir, une mélancolie plutôt, comme celle du nain grincheux, symbole de Saturne et du plomb et qui toujours se plaint, surtout lorsque, comme Evola, il a affaire aux femmes ? Du reste Blanche-Neige, la reine alchimique, trouble, et bien, l'existence des sept nains chercheurs de trésors...

J'insiste, quitte à paraître un peu lourd; car tout de même l'esprit traditionnel aura bien entaché ma jeunesse, en lui faisant voir tout en noir ; et l'on ne vit qu'une fois, contrairement aux chats: « On est forcé d'écrire pour soi, de penser pour soi et d'espérer la fin de tout. Demain ce sera pis encore », écrit dans son prodigieux journal un Léon Bloy plus inspiré que lorsqu'il attend le retour des cosaques, comme d'autres attendaient de l'Orient du capital communiste et des supermarchés un réveil spirituel qui ramènerait l'Occident dans le droit chemin…

C'est d'ailleurs à mon sens une des qualités d'Evola: il n'attendait pas de grand réveil, il a pensé en kshatriya au sauvetage individuel sur un champ de bataille ruiné et abandonné.

Il n’a pas vraiment donné de recettes, mais il a plutôt cru à un salut très personnel, de type nietzschéen si l’on veut.

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Cinquante ans après ses grands manuels de résistance (arc et massue, tigre), on ne peut que confirmer l'effondrement de tout : des états, des nations, des Occidentaux, de la famille, des paysages, la pollution du monde qui a atteint un stade ontologique (mais dont parlent déjà les transcendantalistes américains !). On n'en est même plus à l'époque des conflits idéologiques qui opposaient le communisme et l'Occident libéral. L'islam rentre dans le rang à Dubaï ou à Médine et l'Orient goberge comme on sait. Tout le monde se fout de tout, se désintéresse du politique et du reste, les Français subissent sans broncher le gouvernement le plus incapable de leur histoire (mais c'est aussi ce que disaient Bloy ou Toussenel, lui du temps de la monarchie de juillet...).

L-Empire-de-l-ephemere.jpgNous sommes entrés dans la société post-moderne décrite au début des années 80 par Gilles Lipovetsky dans son Empire de l'éphémère, où il présente un individu cool et désabusé, humoristique et nihiliste. La différence est qu'à l’époque il avait encore un peu de réaction. Il n’y a plus rien aujourd'hui, et cette disparition de toute réaction, qui nous remplit d'angoisse et tremblement, est à mon sens apparue (sic) au milieu des années 2000; quand avec les horreurs de la bourse et de l'Irak, du bric et du broc, de la mondialisation et du néant, tout le monde s'est laissé aller au vide éternel.

L'époque est opaque, les temps sont mous. Mais comme dit déjà Zarathoustra repris par Charles de Gaulle (lire Tournoux), « Tout est vain, tout est mort, tout a été »... Il dit aussi : « le désert croît... malheur à qui recèle des déserts ! ». C'est d'ailleurs pour cela que l'on a accru la consommation d'anxiolytiques, d'antidépresseurs et de somnifères de toute sorte. Dans les années 70, la figure du militant ou du rebelle laisse la place à celle du dépressif (il culpabilise pour son chômage, sa technophobie, ou son absence de convivialité...); et l'on voit aussi le degré d'abrutissement atteint par le cinéma, que l'on compare aux grands films contestataires du début des Seventies : je pense au Grand Secret d'Enrico, à Soleil vert ou Rollerball.

Mais Guénon évoque déjà cette crise psychologique dans la Crise du monde moderne ; auquel je répondrai en citant Sénèque ou même les Sumériens qui se plaignaient du fisc (cf. Samuel Noah Kramer) : le monde n’est-il pas toujours en crise, le monde n'est-il pas une éternelle crise moderne ? Après on pourra toujours m’objecter que du temps de l'âge d'or les choses allaient mieux, il y a 65.000 ans, et que les hommes étaient dorés, comme le dit Hésiode: mais cela m'est difficile à vérifier, surtout que l'histoire, la géographie (ma formation...) ou l'archéologie ne valent rien pour les traditionnels... Quant à Evola qui encense l'empire romain, je peux lui donner à lire ou relire bien des textes, notamment de Sénèque, qui se désespère de l'état de son empire romain, de son pain et de ses jeux du cirque, lui qui avait été le précepteur d'un des monstres les plus renommés de l'Histoire. Il est facile de citer Caton quand on néglige de lire Pétrone ou Tacite, ou bien sûr Juvénal qui comme Montesquieu ou Boileau semble avoir écrit hier matin.

J'en ai fini avec mon introduction qui sert non pas à noyer le sujet, on l'aura compris, mais à le nier: à quel moment peut-on parler de temps traditionnel, d'âge d'or, de société parfaite sinon dans les rêves, ou sinon même de mauvaise foi ?... Et pourtant, je n'y peux mais : de la même manière que Delenda est Carthago, Delendum est monstruum modernum.

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Il faut détruire le monde moderne, il faut encore plus détruire le monde post-moderne, et si on ne peut le faire, il faut lui résister de toutes nos forces, à peine de sombrer dans la dépression, « l'angoisse métaphysique » dont se moquait Guénon, et tout le reste. Mais il ne faut pas le mésestimer, car, on l'a vu, les murailles de Jéricho n'ont jamais survécu longtemps au passage du buccin capitaliste. Marx nous avait prévenus dans son Manifeste. La Chine, l'Inde, le Japon, tout a été balayé par l'avarice, la gourmandise (15% d'ados chinois obèses..) et la cyber-luxure, quand ce n'est par la paresse spirituelle et intellectuelle, celle qui enrichit les laboratoires pharmaceutiques...

Car j'en viens à un autre obstacle, beaucoup plus concret maintenant: le temps. Pas le Temps avec un grand « T », celui de l'eschatologie, mais le mien, le vôtre, celui de notre vieillissement organique auquel Houellebecq a consacré des pages dit-on définitives. Le philosophe australien Pearson parle de ce fardeau de la personnalité vers 1890 déjà.

Je me promenais l'autre jour à cap d’Ail et je longeais mes plages et mes roches préférées, comme un promeneur romantique. Soudain je vis un voilier rempli de plaisanciers.

Je pensais aussitôt à Evola : le monde moderne, c'est cela.

Un tas de gens à poil qui « profitent de la mer, « qui profitent de leur vie », « qui profitent de leur temps libre ».

Bloy dénonce déjà cette obsession du Jouir qui est la marque de la vie sous le Second Empire.

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Mais... mais il y a en 2010 une petite différence avec l’époque de la rébellion d'Evola (les Sixties). Lui était contemporain d'une jeunesse gauchiste, stripteaseuse, marginale, contestataire, luxurieuse... Celle décrite par Godard, dans les films « existentialistes » d'Antonioni ou caricaturée dans les films de Dino Risi (Les Monstres, magnifique parabole sur les Rigolus de la société de consommation toute neuve à l'époque).

9782253053224_1_75.jpgMais là c'était différent : sur mon voilier d'ailleurs modeste de quarante pieds il n'y avait que des vieux à bord. Oh, pas des vieux paralytiques, pas des cacochymes. De bons retraités bien nourris au viagra et aux farines animales, un bon troupeau festif de « grosses bêtes bien dociles, bien habituées à s’ennuyer » (Céline). Le troupeau post-moderne est en effet postmoderne au sens littéral, il vient après les modernes, il a donc vingt ou trente ans de plus. Je vois 30% de sexagénaires où que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, et même en Amérique du sud, dans les zones principalement peuplées de blancs (Uruguay, sud du Brésil, province de Buenos Aires). Je sais que la population du Brésil va passer d'une moyenne d'âge de 25 à 41 ans d'ici quinze ans, et que la Chine, qui ne sait déjà pas quoi faire de sa jeunesse, va compter 500 millions de retraités (ou présumés tels) en 2050. La population russe va disparaître, comme l'allemande, la coréenne, l’italienne, etc. il ne restera que les noirs et les robots. Sur ces bonnes nouvelles, on se demande contre quoi on va se révolter ? Peut-être que les Folamour qui nous gouvernent vont nous concocter un plan de survie cannibale, en tout cas il est certain que ce ne sont pas des septuagénaires remariés, dont nous ferons bientôt tous partie, qui vont nous tirer de l'ornière. Buzzati, le peu évolien, nous avait prévenus dix bonnes fois dans Le K.

De même, Julius Evola se plaint des Beatles ou de la littérature existentialiste ou du jazz : mais que cette sous-culture nous paraît grande aujourd'hui ! La nullité abyssale de l'époque, que mêmes les ados que je croise reconnaissent, n'est plus mise en doute par personne. Il suffit d'ouvrir sa page Yahoo pour se rendre compte du niveau ahurissant de nullité que recèlent les préoccupations des gens : je copie ce que j'ai sous les yeux (nous sommes le 6 octobre 2009, à 11 heures du matin).

Valérie Payet, Karim Benzema, Spencer Tunick, Rugby fédéral, Chantal Goya, Rallye de Catalogne, Lindsay Lohan, Peugeot 3008, Loi Hadopi, Brigitte Bardot...

Voilà ce qui passionne mes contemporains, qui ont tous ou presque bac+5, et qui sont tous plus cons que la cuisinière de Flaubert. Il me semble bien délicat tout d'un coup, Evola, de se plaindre de Sartre ou Pasolini, de Louis Armstrong ou des jeux olympiques de Rome... Nous sommes bien plus bas.

Nous sommes plus vieux, nous sommes plus bêtes. C'est la première observation. Nous sommes plus vieux ; donc plus radins, plus luxurieux (tout en étant post-sexuels, car les filles d'aujourd'hui préfèrent boire entre elles que faire l'amour, et plus un jeune ne se risque à « draguer », à la façon des idiots du film Les Valseuses). Nous n'avons plus un seul idéal politique, juste la volonté de nuire à notre prochain par le biais juridique dont l'écologie exterminatrice n'est qu'une des ramifications (et pas l'inverse).

pack-pictos-interdictions.jpgOn nous a interdit d'interdire, eh bien maintenant tout va nous être interdit: conduire, boire, respirer, fumer, monter dans un avion, cracher par terre, parler même... On aura droit au doigt dans le cul puisque Ben Laden a inventé le suppositoire explosif... Le monde postmoderne s'annonce comme le mauvais film dont parlait Deleuze. Depuis les attentats gluants de 2001, et ce Ground Zero qui n’a pas été reconstruit (Les Hommes au milieu des ruines – des ruines ou des tuiles ?), nous sommes dans un espace-temps gelé, circulaire, clos, une ronde de nuit infernale et ennuyeuse, gâteuse et interminable. Je me réfugie moi dans la vieille musique classique de Pollini ou Karajan, dans les westerns des années 50, décennie diabolisée par Evola, mais où l'on peut encore admirer du Walsh, du Donen ou du Ford. Et j’essaie de ne même plus regarder les nouvelles, de savoir ce qui se passe, ou ne se passe plus. Il devient difficile de se faire des amis, les gens devenant trop cons (le mot est juste). Ceux qui ne le sont pas souffrent, culpabilisent, prennent des produits toxiques (je parle des drogues autorisées bien sûr), deviennent timides....

On n'ose plus, de peur de se faire traiter d'aigris, ou plus simplement traîner devant les tribunaux. Il y a cinquante ans les clivages étaient politiques ou spirituels, aujourd'hui ils sont purement existentiels. On se fond dans la masse ou pas, avec peu de perspectives de futur. Car si l’étranger (pas si étranger d’ailleurs) de Camus commence par la visite au cadavre de la mère à l'hospice, il faut savoir que c'est à l'hospice que se terminera pour tous la chanson de geste post-moderne, d'ici cinquante ou cent ans. On nous promet une durée de vie de 120 ans, et comme le disait le docteur Alexis Carrel, la société augmentera notre durée de vieillissement bien plus que notre durée de vie. Cela doit d'ailleurs correspondre à une logique infernale : une épouvantable salle d'attente où l'on ne peut rien faire. Je me vois actuellement environné par mes vieilles tantes qui voudraient bien mourir et ne le peuvent plus (Exorciste III, le meilleur). Elles ont cent ans, elles redoutent d’en tirer encore pour vingt ou trente. Quant aux enfants, ils vieillissent en même temps que leurs parents. On héritera à 80 ou 90 ans, si l'on a des parents. Le monde nouveau est avancé.

J'aurais 80 ans dans une France qui n'aura plus rien de français, ou je serai ailleurs, dans un monde qui n'aura plus rien de monde; je ne sais pas de quoi je vivrai, si même je survivrai, car on me fera comprendre comme à quelques autres milliards de vieillards que je suis de trop sur cette terre.

Des sexagénaires friqués iront faire des croisières minables sur des mers polluées ou bien assisteront à des concerts de rock-stars grabataires... et l'on réélira des politiciens liftés, botoxés et chevronnés promettant à un vieux public de trouillards de nettoyer au karcher des banlieues qu'ils ont eux-mêmes peuplées, avec les compagnies aériennes et le patronat, de populations allogènes inassimilables mais tenues par la drogue et la médiocrité de la vie ordinaire. Yeaaaah !

9782070701124-475x500-1.jpgCette espèce d'horreur ordinaire que je viens de décrire sommairement n'est même pas neuve : elle est tout entière présente dans le Voyage au bout de la nuit. Relisez ces pages inoubliables, et cette « petite musique de la vie que l'on n'a plus envie de faire danser », et ce troupeau soumis, et « ce commerce partout, ce chancre du monde ». Car c'est bien le commerce qui aura eu raison de tout cela. Ah, l’Angleterre et son bonheur matériel qu'elle aura partout imposé... Un des intérêts du reste d'Evola est qu'il s'était intéressé physiquement à son siècle: il aimait le sport, l'alpinisme, la guerre, l’héroïsme, il avait le culte des valeurs chevaleresques contemporaines, il admirait Jünger ou Drieu. Mais on sait comment a terminé Drieu, et on relira Soixante-dix s’efface de Jünger pour comprendre comment a terminé le grand homme. Dans ce livre admirable, on sent comment peu à peu Jünger, avec toute sa culture, sa bonne santé, son équilibre romain, son goût pour la bonne vie, est progressivement envahi, déprimé, possédé par l'horreur de ce monde de consommateurs impersonnels.

Il se rend au Maghreb, où je suis né, et progressivement il voit le monde de Guénon et de Titus Burckhardt se déliter devant lui, avec sa médiocrité, sa sexualité, ses constructions, son horreur économique et tout le reste. Et c'est Jünger, que même Evola admirait... Alors, où en sommes-nous, camarades ? Plus bas que l'enfer ! Nous avons touché le fond, mais le fond est vaseux, et nous nous enfonçons encore. Un monde sans prêtres, sans guerriers, sans grands hommes, sans visionnaires, sans conscience, sans jugements, un monde en outre sans corps et sans jeunesse, sans valeurs et sans mémoire.

Le sauvetage ne peut être qu'individuel, dit-on. Peut-être familial, si l'on a rencontré la belle âme-sœur adéquate. Le plus dur est alors de transmettre à l'enfant la lucidité sans le malheur.

De révolte, mieux vaut n'en pas parler. On nous drogue, on nous ment, on nous disperse maintenant comme à Pittsburgh à coups de canon à son. Les foules n'existent plus, les sociétés secrètes non plus, les ordres solaires ou religieux encore moins. La nature, c'est ce qui me peine le plus d'ailleurs, paraît de moins en moins réelle, naturelle. Elle est un parc national cartographié par Google Earth dans le meilleur des cas, et pour le reste... Nous savons que nous avons six fois plus de temps à partager avec un conjoint, quinze fois plus de temps libre qu'il y a deux siècles, et qu'il n'y a plus de religion qui tienne vraiment la route (mais Nietzsche le disait déjà). Chacun peut se soumettre à son filet d'illusions personnelles ou collectives, mais le filet est de plus en plus troué. Nous ne sommes même plus dans le profil d'une attente eschatologique.

Bien orgueilleusement, les prédictions se sont succédé pour rien, où Guénon nous annonçait la fin du monde moderne qui serait celle d'une illusion (ah bon ?). Pour l'instant, c'est notre propre fin, précédée de notre pénible vieillissement, qui nous guette. Comme l'autre dans sa tour, nous n'avons rien vu venir. Ceux qui attendaient trop se sont trompés ou en ont trompé d'autres. Peut-être que Debord a raison et que « le destin du Spectacle n'est pas de finir en despotisme éclairé » ; mais nous n'en sommes même pas certains. Peut-être que tout va s'éteindre lentement, minablement, puisque, comme le dit mon ami Jean Parvulesco, qui participe à ce recueil sur Evola, « la race humaine est fatiguée ». En 1941, les Allemands lancent 170 divisions pour attaquer la Russie et ils se heurtent à la résistance de toute une nation de 160 millions d'habitants. Les deux pays n'ont pas aujourd'hui le dixième de cette frappe militaire d'alors, et les deux nations sont aujourd'hui en voie de disparition démographique. L'histoire est terminée, merci monsieur Fukuyama.

Si j'en reste à ma notion personnelle, que je n'impose à personne, de révolte évolienne contre ce monde du néant absolu et relatif, je vois les contenus suivants : continuer d'écrire ; continuer de lire, d'écouter (ou de jouer) de la musique ; danser, faire du sport, continuer de fréquenter les têtes conscientes, même si l'on se fait un peu de mal à force – et qu’elles se raréfient dangereusement) ; aller vers ce qui reste de nature ; pratiquer la révolution froide de Houellebecq en refusant par exemple de consommer; fuir, là-bas fuir, autant que je le peux. Et mépriser, aussi mépriser mais jusqu'à l'ignorance de l'infra-humanité coprophage qui m'entoure. Car je n'ai plus de temps à perdre. Jamais le mens sana in corpore sano ne m'aura semblé si vrai, à une époque de vide intellectuel et d'obésité corporelle. A une époque où l'on n’a plus d'hommes au milieu des ruines, mais des touristes au milieu des ruines. Nous n'avons d'autre choix alors : les temps sont mous, devenons durs.

« Pourquoi si dur ? », demande le morceau de charbon dans le Zarathoustra. Parce qu'on n'a pas le choix, justement. C'est cela ou y passer tout de suite. On attendra que les touristes soient partis et l'on se promènera entre nous dans les ruines. En relisant les Œuvres du baron Evola.

https://www.amazon.fr/Evola-Envers-contre-tous-Collectif/...

vendredi, 01 novembre 2024

Nerval et la fin de la France druidique

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Nerval et la fin de la France druidique

Nicolas Bonnal

Sylvie a émerveillé des générations de lectrices et de lecteurs de sensibilité médiévale et romantique. C’est que ce bref roman conte la fin de la France initiatique et irréelle. Ce qui avait pu rester va être détruit (cf. Balzac qui décrit le processus dans toute son œuvre, du passage de cette France des druides et des chevaliers à celle des Macron) ou réduit à l’état de spectacle ou d’illusion (cf. cette fascination pour le théâtre ou les actrices qui caractérise Nerval).

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L’arrivée du chemin de fer, machine apocalyptique dont Dostoïevski a si bien parlé dans l’Idiot (voyez mon livre) va tout modifier ; c’est la fin des distances, c’est la fin du mystère et du pèlerinage de la vie :

« Senlis est une ville isolée de ce grand mouvement du chemin de fer du Nord qui entraîne les populations vers l’Allemagne.

– Je n’ai jamais su pourquoi le chemin de fer du Nord ne passait pas par nos pays, – et faisait un coude énorme qui encadre en partie Montmorency, Luzarches, Gonesse et autres localités, privées du privilège qui leur aurait assuré un trajet direct. Il est probable que les personnes qui ont institué ce chemin auront tenu à le faire passer par leurs propriétés. – Il suffit de consulter la carte pour apprécier la justesse de cette observation. »

Citons cet extrait de Gautier que nous avions repris déjà :

« C'est un spectacle douloureux pour le poète, l'artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l'uniformité la plus désespérante envahir l'univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c'est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. »

Chez Nerval le rêve est comme dans film Brazil (tourné à Marne-la-Vallée…) le seul moyen (avec le théâtre, et on aurait invoqué encore la cinéphilie dans les années soixante) de fuir la réalité et de retourner vers les lieux de la Source :

« Je me représentais un château du temps de Henri IV avec ses toits pointus couverts d’ardoises et sa face rougeâtre aux encoignures dentelées de pierres jaunies, une grande place verte encadrée d’ormes et de tilleuls, dont le soleil couchant perçait le feuillage de ses traits enflammés. Des jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d’un français si naturellement pur, que l’on se sentait bien exister dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France… ».

Puis vient l’apparition mi-théâtrale mi religieuse d’Adrienne :

« Tout d’un coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le chœur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m’empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d’or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s’empara de moi. – La belle devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s’assit autour d’elle, et aussitôt, d’une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celles des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimé. La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules. »

On a toute la symbolique des récits du Graal que j’ai décryptée dans mon livre (anneau, blondeur, danse, baiser, brumes, tour…) grâce à des auteurs consacrés comme Guénon, Fulcanelli ou Coomaraswamy (oh, cet essai sur le fier baiser…) ; on a la référence à Dante et à l’origine avec le chant : 

« À mesure qu’elle chantait, l’ombre descendait des grands arbres, et le clair de lune naissant tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif. Elle se tut, et personne n’osa rompre le silence. La pelouse était couverte de faibles vapeurs condensées, qui déroulaient leurs blancs flocons sur les pointes des herbes. Nous pensions être en paradis. – Je me levai enfin, courant au parterre du château, où se trouvaient des lauriers, plantés dans de grands vases de faïence peints en camaïeu. Je rapportai deux branches, qui furent tressées en couronne et nouées d’un ruban. Je posai sur la tête d’Adrienne cet ornement, dont les feuilles lustrées éclataient sur ses cheveux blonds aux rayons pâles de la lune. Elle ressemblait à la Béatrice de Dante qui sourit au poète errant sur la lisière des saintes demeures. »

L’apparition est brève et promise au couvent (que de merveilles perdues ou sacrifiées dans ces couvents – Michelet en a bien parlé) :

« Adrienne se leva. Développant sa taille élancée, elle nous fit un salut gracieux, et rentra en courant dans le château. – C’était, nous dit-on, la petite-fille de l’un des descendants d’une famille alliée aux anciens rois de France ; le sang des Valois coulait dans ses veines. Pour ce jour de fête, on lui avait permis de se mêler à nos jeux ; nous ne devions plus la revoir, car le lendemain elle repartit pour un couvent où elle était pensionnaire… »

Sylvie la brune (ou la grecque, l’autre étant blonde et nordique) est de ce monde et souffre de l’égoïsme poétique du narrateur :

« Quand je revins près de Sylvie, je m’aperçus qu’elle pleurait. La couronne donnée par mes mains à la belle chanteuse était le sujet de ses larmes. Je lui offris d’en aller cueillir une autre, mais elle dit qu’elle n’y tenait nullement, ne la méritant pas. Je voulus en vain me défendre, elle ne me dit plus un seul mot pendant que je la reconduisais chez ses parents… »

Mais les bons parents vont nous priver d’Adrienne :

« La figure d’Adrienne resta seule triomphante, – mirage de la gloire et de la beauté, adoucissant ou partageant les heures des sévères études. Aux vacances de l’année suivante, j’appris que cette belle à peine entrevue était consacrée par sa famille à la vie religieuse. »

Il n’en reste qu’une figure.

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Remontons le temps. On est sans doute dans les années 1820, sous Charles X, roi dont Stendhal pensa le plus grand bien. La France aristocrate et traditionnelle a de beaux restes :

« Quelques années s’étaient écoulées : l’époque où j’avais rencontré Adrienne devant le château n’était plus déjà qu’un souvenir d’enfance. Je me retrouvai à Loisy au moment de la fête patronale. J’allai de nouveau me joindre aux chevaliers de l’arc, prenant place dans la compagnie dont j’avais fait partie déjà. Des jeunes gens appartenant aux vieilles familles qui possèdent encore là plusieurs de ces châteaux perdus dans les forêts, qui ont plus souffert du temps que des révolutions, avaient organisé la fête. De Chantilly, de Compiègne et de Senlis accouraient de joyeuses cavalcades qui prenaient place dans le cortège rustique des compagnies de l’arc… ».

Le narrateur ne pouvait rien avec Adrienne, mais il a perdu l’amour de Sylvie (promise à l’industrie et au grand frisé) :

« Je m’excusai sur mes études, qui me retenaient à Paris, et l’assurai que j’étais venu dans cette intention. « Non, c’est moi qu’il a oubliée, dit Sylvie. Nous sommes des gens de village, et Paris est si au-dessus ! ». Je voulus l’embrasser pour lui fermer la bouche ; mais elle me boudait encore, et il fallut que son frère intervînt pour qu’elle m’offrît sa joue d’un air indifférent. Je n’eus aucune joie de ce baiser dont bien d’autres obtenaient la faveur, car dans ce pays patriarcal où l’on salue tout homme qui passe, un baiser n’est autre chose qu’une politesse entre bonnes gens… »

Pourtant la belle grecque a mûri :

« Je l’admirai cette fois sans partage, elle était devenue si belle ! Ce n’était plus cette petite fille de village que j’avais dédaignée pour une plus grande et plus faite aux grâces du monde. Tout en elle avait gagné : le charme de ses yeux noirs, si séduisants dès son enfance, était devenu irrésistible ; sous l’orbite arquée de ses sourcils, son sourire, éclairant tout à coup des traits réguliers et placides, avait quelque chose d’athénien. J’admirais cette physionomie digne de l’art antique au milieu des minois chiffonnés de ses compagnes… »

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C’est Nietzsche qui évoque cette observation du voyageur Cicéron sur la beauté athénienne…

Vient la grande scène : on rend visite à la tante et on va remonter dans le Temps, dans le vrai Temps, celui d’avant 89 (époque sur laquelle il ne faut pas trop se faire d’illusions, voir Taine) :

« Je la suivis, montant rapidement l’escalier de bois qui conduisait à la chambre. – Ô jeunesse, ô vieillesse saintes ! – qui donc eût songé à ternir la pureté d’un premier amour dans ce sanctuaire des souvenirs fidèles ? Le portrait d’un jeune homme du bon vieux temps souriait avec ses yeux noirs et sa bouche rose, dans un ovale au cadre doré, suspendu à la tête du lit rustique. Il portait l’uniforme des gardes-chasse de la maison de Condé ; son attitude à demi martiale, sa figure rose et bienveillante, son front pur sous ses cheveux poudrés, relevaient ce pastel, médiocre peut-être, des grâces de la jeunesse et de la simplicité. »

La vieille tante s’émeut et nous aussi car on atteint le sommet de la prose française (comme disait Jean Richer, père de mon ami et préfacier Nicolas, l’œuvre de Nerval ne compte pas par sa quantité mais par sa magie) :

« La tante poussa un cri en se retournant : « Ô mes enfants ! » dit-elle, et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. – C’était l’image de sa jeunesse, – cruelle et charmante apparition ! Nous nous assîmes auprès d’elle, attendris et presque graves, puis la gaieté nous revint bientôt, car, le premier moment passé, la bonne vieille ne songea plus qu’à se rappeler les fêtes pompeuses de sa noce. Elle retrouva même dans sa mémoire les chants alternés, d’usage alors, qui se répondaient d’un bout à l’autre de la table nuptiale, et le naïf épithalame qui accompagnait les mariés rentrant après la danse. Nous répétions ces strophes si simplement rythmées, avec les hiatus et les assonances du temps ; amoureuses et fleuries comme le cantique de l’Ecclésiaste ; – nous étions l’époux et l’épouse pour tout un beau matin d’été. »

La fin du livre est plus sombre et Nerval compte ses ruines avec une émouvante référence à Byzance, qui accueillit les Saxons en fuite après 1066 :

« Cette vieille retraite des empereurs n’offre plus à l’admiration que les ruines de son cloître aux arcades byzantines, dont la dernière rangée se découpe encore sur les étangs, – reste oublié des fondations pieuses comprises parmi ces domaines qu’on appelait autrefois les métairies de Charlemagne… »

Le narrateur revoit Adrienne, mais comme actrice :

« La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. »

Il revoit Sylvie qui va se jeter dans les bras du « grand frisé » (un suspect, ce Nerval ?) et s’adonne à l’industrie des gants :

« Elle soupirait et pleurait, si bien que je ne pus lui demander par quelle circonstance elle était allée à un bal masqué ; mais, grâce à ses talents d’ouvrière, je comprenais assez que Sylvie n’était plus une paysanne. Ses parents seuls étaient restés dans leur condition, et elle vivait au milieu d’eux comme une fée industrieuse, répandant l’abondance autour d’elle. »

On est loin de la Fiancée du Cantique des cantiques :

« Mon frère de lait parut embarrassé. J’avais tout compris. – C’est une fatalité qui m’était réservée d’avoir un frère de lait dans un pays illustré par Rousseau, – qui voulait supprimer les nourrices ! – Le père Dodu m’apprit qu’il était fort question du mariage de Sylvie avec le grand frisé, qui voulait aller former un établissement de pâtisserie à Dammartin. Je n’en demandai pas plus. La voiture de Nanteuil-le-Haudoin me ramena le lendemain à Paris. »

Balzac a parlé très prosaïquement des illusions perdues ; et ici :

« Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie. J’ai essayé de les fixer sans beaucoup d’ordre, mais bien des cœurs me comprendront. Les illusions tombent l’une après l’autre, comme les écorces d’un fruit, et le fruit, c’est l’expérience. Sa saveur est amère ; elle a pourtant quelque chose d’âcre qui fortifie, – qu’on me pardonne ce style vieilli. »

La fin arrive sur un ricanement :

« J’oubliais de dire que le jour où la troupe dont faisait partie Aurélie a donné une représentation à Dammartin, j’ai conduit Sylvie au spectacle, et je lui ai demandé si elle ne trouvait pas que l’actrice ressemblait à une personne qu’elle avait connue déjà. – À qui donc ? – Vous souvenez-vous d’Adrienne ? Elle partit d’un grand éclat de rire en disant : « Quelle idée ! » Puis, comme se le reprochant, elle reprit en soupirant : « Pauvre Adrienne ! elle est morte au couvent de Saint-S…, vers 1832. »

La France des origines c’est terminé. La suite est chez Flaubert ou chez Céline.

Sources:

https://www.sos-grannygeek.com/wp-content/uploads/2020/03...

https://www.vousnousils.fr/casden/pdf/id00180.pdf

https://www.amazon.fr/Perceval-reine-%C3%A9tudes-litt%C3%...

dimanche, 20 octobre 2024

Sur Nietzsche et sa russophilie paradoxale

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Sur Nietzsche et sa russophilie paradoxale

Nicolas Bonnal

Peut-on admirer les Russes sans les aimer ? C’est ce que fait Nietzsche, et plus d’une fois. En feuilletant pour la millième fois de ma vie le Crépuscule des idoles, je tombe sur des phrases qui marquent une certaine admiration de Nietzsche pour la Russie, et qui rejoint le fondamental § 251 de Par-delà le bien et le mal ; et ça donne (§ 22) :

« Les hommes méchants n’ont point de chants ». D’où vient que les Russes aient des chants ? ».

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C’est en plus la grande époque de la musique russe avec Moussorgski, Borodine, Rimski-Korsakov qui ont du reste inspiré  avec Wagner toute la grande musique de film hollywoodienne – celle de l’âge d’or s’entend (cela vaudrait un essai). Russophile paradoxal, Nietzsche qui préfère de loin les Français ou les italiens, admire cette « race » plus solide et tellurique que le reste du troupeau indo-européen.

L’idée implicite de Nietzsche est que les Russes sont des durs et des méchants, qu’ils ne sont pas comme les autres Occidentaux qui se croient bons. Nietzsche semble aussi penser qu’ils le resteront, qu’il y a une exception russe, et il va expliquer pourquoi: la Russie n’est pas une nation (Nietzsche méprise cette notion), mais un empire. Et Nietzsche qui méprise l’empire allemand (ses raisons ne me semblent pas toujours convaincantes, il avait une certaine grandeur et un certain mérite cet empire) admire l’empire russe.

Mais revenons à Par-delà le bien et le mal (le prodigieux § 251 donc), quand notre génie explique le futur champ de forces :

« Or, les juifs sont incontestablement la race la plus énergique, la plus tenace et la plus pure qu’il y ait dans l’Europe actuelle ; ils savent tirer parti des pires conditions — mieux peut-être que des plus favorables, — et ils le doivent à quelqu’une de ces vertus dont on voudrait aujourd’hui faire des vices, ils le doivent surtout à une foi robuste qui n’a pas de raison de rougir devant les « idées modernes » ; ils se transforment, quand ils se transforment, comme l’empire russe conquiert : la Russie étend ses conquêtes en empire qui a du temps devant lui et qui ne date pas d’hier, — eux se transforment suivant la maxime : « Aussi lentement que possible ! » Le penseur que préoccupe l’avenir de l’Europe doit, dans toutes ses spéculations sur cet avenir, compter avec les juifs et les Russes comme avec les facteurs les plus certains et les plus probables du jeu et du conflit des forces. »

L’empire russe rêve toujours de terre et de conquête. Custine a dit la même chose (cf. notre texte) : l’Occident fait des guerres de propagande, la Russie des guerres de conquête.

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Comme Marshall Macluhan plus tard (on y reviendra), Nietzsche constate que la nation est une « chose fabriquée »:

« Ce que, dans l’Europe d’aujourd’hui, on appelle une « nation » est chose fabriquée plutôt que chose de nature, et a bien souvent tout l’air d’être une chose artificielle et fictive ; mais, à coup sûr, les « nations » actuelles sont choses qui deviennent, choses jeunes et aisément modifiables, ne sont pas encore des « races », et n’ont à aucun degré ce caractère d’éternité, qui est le propre des juifs (§ 251)…

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Retour au Crépuscule des idoles. Nietzsche y dénonce comme on sait notre décadence, thème parfois incertain qu’on retrouve alors chez Maupassant, Tolstoï ou Max Nordau (cf. texte encore). Il voit la sensibilité humanitaire et néo-chrétienne tout bousiller dans cet Occident :

SOMMES-NOUS DEVENUS PLUS MORAUX ? — Contre ma notion « par-delà le bien et le mal », il fallait s’y attendre, toute la férocité de l’abêtissement moral, qui, comme on sait, passe en Allemagne pour la morale même — s’est ruée à l’assaut : j’aurais de jolies histoires à conter là-dessus. Avant tout on a voulu me faire comprendre « l’indéniable supériorité » de notre temps en matière d’opinion morale, notre véritable progrès sur ce domaine : impossible d’accepter qu’un César Borgia, comparé avec nous, puisse être présenté, ainsi que je l’ai fait, comme un « homme supérieur », comme une espèce de surhumain... »

Nietzsche aime l’homme dur et cruel, celui qu’il a célébré dans Zarathoustra : Borgia, Napoléon, le forçat russe (on y revient)… et il comprend que cet humanitarisme occidental est la source de la criminelle arrogance et des guerres humanitaires à venir (« faire un monde un lieu sûr pour la démocratie » comme en Palestine). L’Occident se croit supérieur moralement, et cela lui vient de son judéo-christianisme chevronné : il peut donc tout exterminer. L’excellent John Hobson parlait d’une certaine inconsistance dans son chef-d’œuvre sur l’impérialisme, livre de chevet de Lénine (une myriade de citations orne l’Impérialisme stade suprême du capitalisme) :

« Nous autres hommes modernes, très délicats, très susceptibles, obéissant à cent considérations différentes, nous nous figurons en effet que ces tendres sentiments d’humanité que nous représentons, cette unanimité acquise dans l’indulgence, dans la disposition à secourir, dans la confiance réciproque est un progrès réel et que nous sommes par-là bien au-dessus des hommes de la Renaissance (§ 37 toujours). »

Ce faisant nous devenons des… comiques :

« Ne doutons pas, d’autre part, que nous autres modernes, avec notre humanitarisme épais et ouaté qui craindrait même de se heurter à une pierre, nous offririons aux contemporains de César Borgia une comédie qui les ferait mourir de rire. En effet, avec nos « vertus » modernes, nous sommes ridicules au-delà de toute mesure... »

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La vertu du gentil c’est une vertu de faible, de décadent (on a la même intuition chez Schiller, cf. lien).

« La diminution des instincts hostiles et qui tiennent la défiance en éveil — et ce serait là notre « progrès » — ne représente qu’une des conséquences de la diminution générale de la vitalité : cela coûte cent fois plus de peine, plus de précautions de faire aboutir une existence si dépendante et si tardive. »

Plus nûment le maître écrit :

« Notre adoucissement des mœurs — c’est là mon idée, c’est là si l’on veut mon innovation — est une conséquence de notre affaiblissement ; la dureté et l’atrocité des mœurs peuvent être, au contraire, la suite d’une surabondance de vie. »

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Puis Nietzsche revient à sa Russie pure et dure et cite Dostoïevski, le seul comme on sait qui lui ait « appris quelque chose en psychologie » (il y en eut un autre, c’est notre Stendhal) :

« Cet homme profond, qui a eu dix fois raison de faire peu de cas de ce peuple superficiel que sont les Allemands, a vécu longtemps parmi les forçats de Sibérie, et il a reçu de ces vrais criminels, pour lesquels il n’y avait pas de retour possible dans la société, une impression toute différente de celle qu’il attendait; — ils lui sont apparus taillés dans le meilleur bois que porte peut-être la terre russe, dans le bois le plus dur et le plus précieux. »

C’est presque du Pinocchio ce passage : l’important c’est le bois, la matière brute. Et Dostoïevski qui dénonce régulièrement l’homoncule dégénéré de Saint-Pétersbourg célèbre son homme dur des bois. On le cite sur sa Sibérie presque natale (Souvenirs de la maison des morts, p. 29) :

« Ceux qui savent résoudre le problème de la vie restent presque toujours en Sibérie et s’y fixent définitivement. Les fruits abondants et savoureux qu’ils récoltent plus tard les dédommagent amplement ; quant aux autres, gens légers et qui ne savent pas résoudre ce problème, ils s’ennuient bientôt en Sibérie et se demandent avec regret pourquoi ils ont fait la bêtise d’y venir. C’est avec impatience qu’ils tuent les trois ans, – terme légal de leur séjour ; – une fois leur engagement expiré, ils sollicitent leur retour et reviennent chez eux en dénigrant la Sibérie et en s’en moquant. Ils ont tort, car c’est un pays de béatitude, non seulement en ce qui concerne le service public, mais encore à bien d’autres points de vue. Le climat est excellent ; les marchands sont riches et hospitaliers ; les Européens aisés y sont nombreux. Quant aux jeunes filles, elles ressemblent à des roses fleuries ; leur moralité est irréprochable. Le gibier court dans les rues et vient se jeter contre le chasseur… »

C’est humoristique bien sûr, mais quel dommage que les Russes n’aient pas bravé cet excellent climat pour peupler et développer ces déserts sibériens !

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J’ai expliqué dans mon libre toute la critique occidentale de Dostoïevski. Il a tout vu venir notamment dans le Crocodile, pièce géniale et comique et prophétique à la fois.

Revenons à Nietzsche qui attaque l’empire (le pire) allemand :

CRITIQUE DE LA MODERNITÉ. — Nos institutions ne valent plus rien : là-dessus tout le monde est d’accord. Pourtant la faute n’en est pas à elles, mais à nous. Tous les instincts d’où sont sorties les institutions s’étant égarés, celles-ci à leur tour nous échappent, parce que nous ne nous y adaptons plus. De tous temps le démocratisme a été la forme de décomposition de la force organisatrice : dans Humain, trop humain, 1, 318, j’ai déjà caractérisé, comme une forme de décadence de la force organisatrice, la démocratie moderne ainsi que ses palliatifs, tel « l’Empire allemand » ».

Sous des dehors guerriers et militaristes la brave Allemagne bismarckienne cache une belle dégénérescence :

« Pour qu’il y ait des institutions, il faut qu’il y ait une sorte de volonté, d’instinct, d’impératif, antilibéral jusqu’à la méchanceté : une volonté de tradition, d’autorité, de responsabilité, établie sur des siècles, de solidarité enchaînée à travers des siècles, dans le passé et dans l’avenir, in infinitum. Lorsque cette volonté existe, il se fonde quelque chose comme l’imperium Romanum : ou comme la Russie, la seule puissance qui ait aujourd’hui l’espoir de quelque durée, qui puisse attendre, qui puisse encore promettre quelque chose, — la Russie, l’idée contraire de la misérable manie des petits États européens, de la nervosité européenne que la fondation de l’Empire allemand a fait entrer dans sa période critique... »

On en est toujours là remarquez : la Russie contre les misérables petits états européens qui n’ont pu trouver que le pauvre ukrainien-ex-russe pour lui faire la guerre.

L’Occident en un mot c’est la fin des instincts (les migrants, l’antiracisme, le féminisme, l’anti-carbonisme, tout ce qu’on voudra) :

« Tout l’Occident n’a plus ces instincts d’où naissent les institutions, d’où naît l’avenir : rien n’est peut-être en opposition plus absolue à son « esprit moderne ». On vit pour aujourd’hui, on vit très vite, — on vit sans aucune responsabilité : c’est précisément ce que l’on appelle « liberté ». Tout ce qui fait que les institutions sont des institutions est méprisé, haï, écarté : on se croit de nouveau en danger d’esclavage dès que le mot « autorité » se fait seulement entendre. »

Remarquons que Nietzsche inspire ou annonce un autre génie dont j’ai aussi évoqué les mérites. Je cite mon texte sur Freud politiquement incorrect :

« Et voici ce que j’ajoute : depuis des temps immémoriaux, l’humanité subit le phénomène du développement de la culture (d’aucuns préfèrent, je le sais, user ici du terme de civilisation). C’est à ce phénomène que nous devons le meilleur de ce dont nous sommes faits et une bonne part de ce dont nous souffrons. Ses causes et ses origines sont obscures, son aboutissement est incertain, et quelques-uns de ses caractères sont aisément discernables. »

Voici les conséquences de ce développement culturel si nocif à certains égards, et auxquelles nos élites actuelles se consacrent grandement :

 « Peut-être conduit-il à l’extinction du genre humain, car il nuit par plus d’un côté à la fonction sexuelle, et actuellement déjà les races incultes et les couches arriérées de la population s’accroissent dans de plus fortes proportions que les catégories raffinées. »

Cette extinction prend un certain temps c’est vrai mais comme elle se précise enfin on va pouvoir respirer.

Sources :

https://fr.wikisource.org/wiki/Par_del%C3%A0_le_bien_et_l...

https://ekladata.com/zAQyX0zvTMx50y-0sJwlAhBZ-vI/Nietzsch...

https://www.dedefensa.org/article/sigmund-freud-politique...

https://www.dedefensa.org/article/frederic-schiller-et-la...

https://lesakerfrancophone.fr/la-russophobie-pourquoi-com...

https://www.amazon.fr/NIETZSCHE-GUERRE-SEXES-Nicolas-Bonn...

https://www.dedefensa.org/article/max-nordau-et-lart-dege...