vendredi, 30 mai 2025
Edén Pastora, alias « Comandante Cero », cinq ans après sa mort – La révolution trahie du Nicaragua
Edén Pastora, alias « Comandante Cero », cinq ans après sa mort – La révolution trahie du Nicaragua
Werner Olles
Le 22 août 1978, le chef guérillero nicaraguayen Edén Pastora et 25 autres combattants du FSLN sandiniste pénètrent dans le palais national de la capitale Managua. Les guérilleros prennent environ 1000 otages, dont de nombreux députés et fonctionnaires, parmi lesquels se trouvent également le neveu et le cousin du dictateur Anastasio Somoza Debayle. Le gouvernement finit par céder à leurs exigences et libère 80 prisonniers politiques, dont Daniel Ortega et Tomás Borge, futur ministre de l'Intérieur, tous deux dirigeants du FSLN. Il verse également une rançon d'un demi-million de dollars, tandis que les guérilleros sont évacués par avion vers le Panama. Grâce à cette opération de libération très médiatisée, Edén Pastora, sous son nom de guerre « Commandante Cero », devient célèbre bien au-delà de l'Amérique latine et devient le deuxième « Che » Guevara de la lutte de libération anti-impérialiste et anticolonialiste contre l'impérialisme américain et ses vassaux latino-américains.
Né le 22 janvier 1937 sous le nom d'Edén Atanacio Pastora Gómez dans la petite ville nicaraguayenne de Ciudad Dario, il assiste à l'âge de sept ans au meurtre de son père, un petit propriétaire terrien, par la tristement célèbre garde nationale du dictateur Somoza. Pour pouvoir envoyer son fils à l'école, sa mère a dû vendre des terres, et dès son adolescence, il a mûri le projet de venger la mort de son père. Il a interrompu ses études de médecine au Mexique et a rejoint en 1961 le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui venait d'être fondé. Il fut emprisonné à plusieurs reprises par Somoza, pour une période totale de plus de sept ans, et il fallut finalement dix-sept ans avant que le Front sandiniste de libération nationale ne remporte la victoire dans sa guérilla, grâce au soutien idéologique et matériel de Cuba sous Fidel Castro, et n'entre dans la capitale le 19 juillet 1979 sous les acclamations de la population de Managua.
Le FSLN a bénéficié du fait que Somoza s'était non seulement rendu odieux auprès de la population rurale pauvre, mais aussi auprès des classes moyennes et supérieures en raison de sa cupidité effrénée, de sa répression brutale contre ses opposants politiques et de sa dépendance évidente vis-à-vis des États-Unis. Il s'agissait d'un soulèvement populaire fondé sur une large alliance de toutes les couches sociales, mais le prix de la libération fut élevé: elle coûta la vie à plus de 50.000 personnes et détruisit les infrastructures et les entreprises de production de ce pays déjà pauvre.
Les partis impliqués dans le soulèvement ont pris le pouvoir et ont adopté trois principes: une économie mixte, le pluralisme politique et la non-alignement pour un nouveau départ. La réforme agraire a donné des terres aux paysans sans propriété, une campagne d'alphabétisation a considérablement réduit le taux d'analphabétisme, des campagnes de santé et de vaccination ont réduit la mortalité infantile élevée et ont pratiquement éradiqué le paludisme et la poliomyélite.
Comme dix ans auparavant lors de la « révolution des œillets » au Portugal, de nombreux artistes, acteurs et intellectuels de gauche d'Europe occidentale se rendirent en pèlerinage au Nicaragua pour assister de près à la construction du paradis terrestre d'un « socialisme libre et exotique à visage humain ». Des pacifistes de gauche d'Allemagne de l'Ouest montaient la garde armés devant les institutions publiques, des stars de cinéma connues creusaient des puits, distribuaient des chèques et caressaient les petits enfants indiens. D'après un aphorisme du philosophe colombien Gòmez Dávila, « La gauche ment toujours... », on pourrait le reformuler ainsi: « La gauche se laisse toujours abuser par le mensonge ! »
En effet, des divergences considérables sont rapidement apparues au sein de la coalition gouvernementale. Les entrepreneurs et les grands propriétaires terriens, qui avaient cru à un somozisme sans Somoza, ne voulaient pas partager le pouvoir politique et insistaient sur leur puissance économique. Les capitaux ont été transférés à l'étranger, les terres agricoles sont restées en friche, les investissements ont fait défaut et les forces libérales et conservatrices ont finalement retiré leurs représentants du gouvernement.
La nouvelle administration Reagan aux États-Unis fit sa part dans le boulot: avec l'aide de la CIA et de conseillers militaires américains, elle organisa, finança et dirigea une troupe de mercenaires composée essentiellement d'anciens gardes nationaux, qui commença ses activités contre-révolutionnaires en 1981 et attaqua de manière ciblée des coopératives, des établissements de santé, des écoles, des universités et des sites économiques.
En novembre 1984, le FSLN a finalement repris le pouvoir, mais a été de plus en plus contraint de mettre de côté ses rêves révolutionnaires et de se soumettre aux contraintes de la realpolitik.
Dans cette situation précaire, Pastora devint vice-ministre de l'Intérieur sous la houlette de son ennemi intime Tomás Borge, le « maître à penser » et l'idéologue en chef du FSLN, qui imposait de plus en plus au parti une ligne marxiste dogmatique sur le modèle cubain. En tant que vice-ministre de la Défense sous Humberto, le frère de Daniel Ortega, il s'occupait de la mise en place des milices populaires sandinistes, mais il était également témoin direct de la répression constante exercée par le régime contre les étudiants manifestants et les intellectuels critiques.
Lorsque les sandinistes ont finalement imposé la déportation forcée des Indiens Miskitos hors de leurs régions littorales vers l'intérieur des terres, violant ainsi leur identité ethnique collective et leur autonomie, Pastora a commencé à douter de plus en plus de sa vision politique, du rêve d'un Nicaragua libéré, d'une société sans oppression, dans laquelle l'État, libre de toute cupidité et de tout égoïsme, travaille pour la communauté. Le paternalisme du clan Ortega a suscité le scepticisme et le rejet des plus de 120.000 Indiens Miskitos et de deux tribus plus petites qui habitaient depuis des siècles les côtes fertiles du Pacifique et des Caraïbes. De plus, l'économie monétaire et le travail salarié ont détruit la culture indienne et ses bases écologiques. Mais les sandinistes ont rejeté toute autonomie régionale et économique et ont considéré les Indiens Miskitos comme des « contre-révolutionnaires ».
En effet, cette hostilité mortelle entre les habitants indiens de la côte et les sandinistes de gauche a donné lieu à une véritable guérilla contre la grande réinstallation forcée. La lutte pour leur survie en tant que minorité indienne a prouvé à Edén Pastora que le clan Ortega, socialiste de gauche, n'était pas prêt, sur le plan idéologique, à accorder aux Indiens Miskitos le droit à l'autonomie et à l'identité culturelle. Il critiquait en outre vivement l'influence excessive du clan Ortega, qui occupait les postes gouvernementaux les plus importants en y installant des parents et des amis fidèles, et les innombrables privilèges des commandants fidèles à Ortega, contre lesquels il ne pouvait rien faire depuis son poste insignifiant.
La rupture définitive de Pastora avec le FSLN n'était donc pas inattendue. En tant que sandiniste nationaliste de gauche, il ne pouvait plus soutenir la politique répressive et l'idéologie marxiste du FSLN, qui se manifestaient de plus en plus ouvertement. Il s'exila volontairement, notamment pour ne pas subir le sort de « Che » Guevara, parcourut l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, discuta avec les dirigeants des mouvements de libération actifs dans ces régions et fonda finalement, dans la zone frontalière recouverte de jungle entre le Costa Rica et le Nicaragua, l'« Allianza Revolucionaria Democrática (ARDE) », l'« Alliance révolutionnaire démocratique », un petit groupe de partisans armés contre-révolutionnaires, dans le but de renverser les neuf dirigeants du FSLN sous Ortega et Borge afin d'imposer sa vision d'un Nicaragua véritablement libre.
Dans ce cadre, ses combattants s'allièrent également, dans une sorte d'alliance de circonstance, avec les Indiens Miskitos insurgés qui menaient une guérilla dans la zone frontalière avec le Honduras, soutenus par d'anciens gardes nationaux de Somoza. Dans ce contexte, il convient de souligner que l'affirmation colportée par Wikipédia et de nombreux médias imprimés, de la FAZ à la taz (en Allemagne), selon laquelle Pastora aurait rejoint les « Contras » financés et dirigés par la CIA, est tout simplement fausse. Le « Commandante Cero » était parfaitement conscient du fait que l'impérialisme américain était l'ennemi principal des peuples latino-américains, et l'ARDE qu'il avait fondée avait pour seul but de libérer le peuple nicaraguayen des mesures répressives prises par Ortega et Borges à l'encontre des détracteurs du régime et de la politique raciste envers les indigènes.
En mai 1984, à La Pensa, sur la rivière frontalière Rio San Juan, il a d'ailleurs échappé de justesse à un attentat à la bombe commandité par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Tomás Borge, et les services secrets cubains, et exécuté par des agents des services secrets nicaraguayens. Quatre journalistes ont été victimes de cet attentat et plus d'une vingtaine de personnes ont été blessées, certaines grièvement.
En 1986, l'ARDE s'est effondrée, car Pastora refusait toujours catégoriquement de se laisser acheter par les États-Unis et, en tant que révolutionnaire toujours populaire auprès du peuple, de se laisser contraindre à une alliance avec les « Contras ». Sa démission mit fin à la lutte armée de l'ARDE et, après avoir demandé l'asile, il fonda au Costa Rica une coopérative de pêche qui ne connut toutefois qu'un succès modéré. Lorsque les sandinistes perdirent les élections en 1990, il tenta sans succès de faire son retour en politique, mais sa candidature en 1996 fut rejetée par le Congrès national nicaraguayen.
Dix ans plus tard, le révolutionnaire vieillissant échoua également aux élections présidentielles, Daniel Ortega remporta les élections et les deux hommes se réconcilièrent, moins en raison de l'opportunisme de Pastora que de sa situation économique précaire. Un poste de représentant général de la région du Rio San Juan fut spécialement créé pour lui, ce qui mit fin à ses difficultés financières.
Ces dernières années, le vieux rebelle flamboyant, qui pouvait désormais critiquer ouvertement le régime du clan Ortega, s'est fait de plus en plus discret. De toute façon, c'était désormais l'épouse de Daniel Ortega, Rosario Murillo, qui tenait les rênes, car Daniel Ortega lui-même était gravement malade. Depuis lors, la « dame de fer » du Nicaragua dirige d'une main de fer ce pays d'Amérique centrale.
La popularité de Pastora auprès du peuple n'en a toutefois pas souffert lorsqu'il a défendu la répression sanglante d'une révolte étudiante en déclarant : « Au Nicaragua, tout est permis, sauf semer le chaos ! ». On pardonnait pratiquement tout à ce père de vingt enfants, qu'il devait à diverses señoritas profondément éprises de cet ancien guérillero aux cheveux blancs comme neige, toujours beau même dans sa vieillesse.
Le 16 juin 2020, le « Commandante Cero » est décédé à l'âge de 83 ans à l'hôpital militaire de Managua des suites d'une insuffisance pulmonaire aiguë. Cependant, les légendes autour d'Edén Pastora, ce vieux guerrier et coureur de jupons passé de révolutionnaire à contre-révolutionnaire, ne survivent pas seulement au Nicaragua. Au siège de leur parti à Rome, les jeunes "néofascistes" de Casa Pound vénèrent le « Comandante Cero » du Nicaragua en affichant dans une de leurs salles un grand portrait de lui qui les regarde avec autant d'intérêt que d'amusement, entouré du « Che » Guevara, de Mussolini, des poètes Ezra Pound et Jack Kerouac et du chef de la Phalange espagnole José Antonio Primo de Rivera. La boucle est ainsi bouclée de manière quasi miraculeuse !
14:24 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommage, nicaragua, amérique latine, amérique centrale, amérique ibérique, edén pastora, comandante cero | |
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