Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 11 octobre 2025

Le plan secret de l’histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l’accélérationnisme à l’eschatologie

leftland-3224041707.png

Le plan secret de l’histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l’accélérationnisme à l’eschatologie

Markku Siira

Source: https://geopolarium.com/2025/10/09/historian-salainen-suu...

Qualifier Nick Land uniquement de prophète de la dystopie techno-capitaliste peut aujourd'hui sembler une description insuffisante. Sa récente discussion avec le politologue russe Aleksandr Douguine révèle que le philosophe britannique résidant à Shanghai inscrit la crise de la modernité et l'accélération dans un contexte historique, théologique et géopolitique bien plus nuancé. Land ne rejette pas ses premières intuitions, mais les affine afin de proposer une analyse qui distingue deux formes essentielles de la modernité.

Land maintient une distinction entre le « paléo-libéralisme » et le « libéralisme globaliste » actuel. Le premier incarne pour lui le cœur de la tradition anglo-saxonne, en particulier anglo-écossaise, caractérisée par des systèmes décentralisés, le « sommet vide » (empty summit) et les « mains invisibles » (invisible hands) — au pluriel, sur lequel Land insiste consciemment. Dans ce modèle paléo-libéral, la morale publique suprême de la société n’est pas codifiée dans l’autorité, mais déléguée à des processus spontanés.

OIP-3677440407.jpg

Selon Land, la culture chinoise présente des caractéristiques similaires : « Dans la tradition taoïste-légaliste, il existe une forte tendance, propre à cette pensée selon laquelle le meilleur empereur est invisible pour la société » et « les montagnes sont hautes et l’empereur est loin » — des conceptions qu’il considère comme analogues à celle du « sommet vide ».

Land fait référence à Adam Smith et Bernard Mandeville pour montrer que cela repose sur une intuition profonde: l'action égoïste de l'individu peut conduire au bien commun par le biais de la main invisible. Il considère cette forme de libéralisme comme saine et historiquement durable, tant qu’elle reste liée à son contexte ethnique et culturel particulier. Le problème n’est donc pas le libéralisme en soi, mais son arrachement à son environnement originel et sa transformation en une idéologie globale et universelle, devenue selon Land le plus grand problème du monde, un « monstre moralisateur ».

pxl_20240910_1500536231481170096860540407-75284337.jpg

Cette distinction explique l’intérêt de Land pour certaines technologies actuelles. Il voit dans Internet, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle décentralisée une expression moderne des principes paléo-libéraux. Ces technologies reposent sur une logique décentralisée et non centralisée, qui s’oppose à la « sur-codification » venue d’en haut. En ce sens, son accélérationnisme demeure valide : les systèmes décentralisés engendrent une véritable accélération.

Selon Land, les objets qui suscitent de la passion chez les accélérationnistes actuels sont fondamentalement les mêmes: «L’intelligence artificielle accélère, la technologie blockchain accélère.» Pour lui, ces phénomènes représentent le vrai libéralisme: «Ces technologies exigent une mentalité libérale fondée sur la décentralisation et le concept de sommet vide. L’Internet lui-même est né de ce principe — ses concepteurs ont noté qu’en cas d’échange de frappes nucléaires, tous les centres de commandement centraux seraient détruits. »

Dans le dialogue avec Douguine, le cadre philosophique de Land s’approfondit encore. Il souligne que tant la tradition biblique que la philosophie critique de Kant à Heidegger rejettent une conception du temps simplement progressiste. Selon Land, comprendre en profondeur le temps et l’histoire nécessite d’abandonner la conception habituelle selon laquelle l’homme agit dans un processus causal du présent vers l’avenir.

Il en découle la thèse centrale de Land : « la structure historique organise les décisions que nous prenons ». Ce point de vue révèle son attitude post-humaniste fondamentale, où l’agentivité humaine est remplacée par des processus historiques, voire divins, plus larges. Cependant, Land n’adopte pas l’idée de Douguine de « stopper ce processus », mais maintient que ces processus ne sont pas maîtrisables par la volonté humaine.

Son approche consiste plutôt à « avoir confiance dans le plan » — il semble croire que les phénomènes apparemment chaotiques et impies du présent, comme l’accélération technologique, peuvent faire partie d’un plan providentiel plus vaste, même s’il dépasse l’entendement humain.

7d8498ef85bf3b31b4c8de88dfcf164b.jpg

Land explique cela en se référant au Faust de Goethe : « L’énoncé de Méphistophélès et le concept de main invisible d’Adam Smith sont presque identiques. Les deux affirment que le bien commun ne résulte pas d’une intention délibérée individuelle, mais s’accomplit grâce à une force supérieure. »

Vu sous cet angle, la pensée du philosophe britannique, autrefois qualifiée de « sataniste », est plutôt une tentative de dire « oui » au processus historique profond, plutôt qu’une rébellion contre celui-ci.

Enfin, dans sa pensée désormais mature, Land voit comme un développement positif le retour du débat sociétal à un langage théologique et métaphysique. Les accusations de satanisme ne le dérangent pas, car elles montrent que la supposée fin de l’ère moderne séculière et superficielle a été atteinte.

Land affirme : « Les gens doivent en réalité penser aux choses de façon beaucoup plus profonde qu’il n’y paraîtrait à première vue. Je pense qu’il vaut vraiment la peine de payer le prix et de supporter les flèches et les coups, si cela signifie que toute la culture passe à un état plus profond de réflexion sur des questions sérieuses. »

Selon lui, cet approfondissement se manifeste dans le fait que les gens recommencent à discuter des anges, des démons et des forces historiques — ce qui, selon Land, constitue une alternative bienvenue à « l’athéisme auto-satisfait ».

1677000290_57b3b256dd_b-3164450267.jpg

La vision philosophique de Land atteint une expression particulièrement poétique dans son interprétation de la croix de Saint-Georges du drapeau anglais. Il remarque que « les nouvelles de Grande-Bretagne — d’Angleterre — montrent aujourd’hui des gens brandissant le drapeau de Saint-Georges », et relie cela aux recherches de l’historienne Frances Yates.

Selon Land, « ce qui est fascinant, c’est que ce [drapeau] représente la tradition hermétique rosicrucienne, qui a cheminé de la Renaissance italienne à l’Angleterre élisabéthaine — les croix de Georges, la Rose-Croix ». Cette symbolique lui révèle la profondeur secrète de l’histoire : « Même si les gens ne connaissent pas toujours la signification plus profonde de leurs actes, le drapeau qu’ils agitent représente cette tradition cachée qui agit sous notre monde moderne. »

Cette observation résume l’essence de son approche : « L’histoire est beaucoup plus profonde que les gens ne l’imaginent. » Dans le voyage philosophique de Land, de la dystopie du technocapitalisme au seuil de l’eschatologie, la crise de la modernité n’apparaît que comme un phénomène superficiel, sous lequel se cachent des forces et des traditions métaphysiques ancestrales — des forces qui continuent d’exercer leur influence aujourd’hui, que les gens en soient conscients ou non.

Le voyage philosophique de Land n’a donc pas abandonné l’accélérationnisme, mais l’a intégré dans un réseau toujours plus complexe de forces historiques, qui dépassent l’évaluation morale traditionnelle et nous obligent à affronter les dimensions métaphysiques plus profondes de la réalité.

Écrire un commentaire