mardi, 26 octobre 2010
Les "Gay Prides": passeports vers l'UE?
Contrairement à ce que certains flashs d’actualité nous l’ont laissé supposer, la Gay Pride qui a paradé dans les rues de la capitale serbe, Belgrade, fut un succès. Telle est du moins la teneur des commentaires officiels. Il y a eu des incidents mais nettement moins que prévus. Quelque 5000 policiers ont été mobilisés : juste assez pour contenir les 6000 « hooligans et miliciens néo-fascistes », qui cultivaient de « mauvais plans » à l’endroit des participants à la parade homosexuelle. En effet, ils ont hurlé « Mort aux homosexuels » ou « Les homos au Kosovo ». Ils se sont bagarré avec la police. Il a eu quelques centaines de blessés. Les locaux de plusieurs partis politiques ont été incendiés. Mais les participants à la Gay Pride n’ont pas été molestés. Du moins pendant le défilé.
Si l’on prend tous les événements autour de la Gay Pride de Belgrade en considération, peut-on parler de succès ? Oui, si l’on compare cette Gay Pride de 2010 à la tentative précédente de 2001. A l’époque, beaucoup de Serbes avaient protesté contre la tenue de cette parade mais la municipalité de Belgrade n’avait mobilisé que 50 policiers pour contenir les contre-manifestants. La plupart du temps les agents avaient regardé le ciel ou le bout de leurs godillots, sans se soucier du job qu’on leur demandait de faire. Ils ne sont entrés en action que lorsque certains surexcités ont commencé à les attaquer. « Nous ne pouvons tolérer le tenue de telles manifestations exaltant la perversité », avait déclaré le général de la police de Belgrade, le lendemain de cette Gay Pride de 2001. Il visait évidemment celle-ci et non pas les contre-manifestants.
Les deux parades homosexuelles sont significatives pour montrer comment la Serbie a « évolué ». On ne peut pas vraiment parler de paix civile définitivement acquise dans la Serbie d’aujourd’hui ni d’un système politique démocratique et bourgeois comme en Europe occidentale. Mais force est d’admettre qu’un courant politique important dans le pays souhaite un changement et marque des points. La situation n’est donc plus la même qu’en 2001 car la priorité politique est l’adhésion à l’UE. La tenue de Gay Prides sans incident est le prix à payer pour entrer dans le club européen.
Le lien qui existe entre l’acceptation par la population d’une Gay Pride et l’adhésion à l’UE est bien plus étroit qu’on ne l’imagine habituellement. Surtout parce qu’il y avait la présence de l’ambassadeur de l’UE, le diplomate français Vincent Degert. Il n’était pas le seul diplomate présent sur place. Il y avait aussi l’ambassadeur des Pays-Bas, le vice-ambassadeur d’Allemagne et des diplomates des ambassades d’Autriche, d’Espagne, de Suède et de Grande-Bretagne parmi les 1000 à 1500 homosexuels qui, estimait-on, défilaient lors de la Gay Pride belgradoise. Vincent Degert a même tenu un discours de circonstance, où il a déclaré : « Nous sommes ici pour célébrer les valeurs de la tolérance, de la liberté d’expression et de la liberté de s’associer ».
Déjà pendant les semaines qui ont précédé le défilé, un clivage s’était fait jour avec, pour objet, la parade des homosexuels. Plusieurs diplomates avaient annoncé qu’il y participeraient, ce qui plaçait les autorité serbes devant de lourdes responsabilités. Elles ont donc été obligées d’agir pour éviter tout dérapage provoquant blessures ou morts parmi les diplomates européens circulant parmi les paradeurs.
Nous avons là un exemple typique de la « diplomatie soft » que pratique l’UE. Cette diplomatie permet d’exercer une pression réelle sans pour autant faire montrer d’une véritable démonstration de force. On n’a pas utilisé de moyens de pression forts, on s’est borné à exercer une coercition douce. Dans le cas qui nous préoccupe, un Etat candidat à l’adhésion est mis sous pression pour améliorer le traitement d’une certaine minorité. « L’UE pratique parfois ce genre de coercition douce », explique un diplomate en marge de l’affaire de la Gay Pride belgradoise, mais « ce ne fut pas le cas de la Bulgarie et de la Roumanie ». Dans ces deux pays, la pression ne s’est pas faite au départ d’une volonté d’imposer la tolérance vis-à-vis des homosexuels, mais plutôt vis-à-vis des tziganes et des handicapés. La situation des tziganes et des handicapés dans les deux pays a été considérée préoccupante, mais modérément, et n’a pas longtemps constitué un obstacle à leur adhésion.
Mais la Serbie, pour toutes sortes de raisons, devra attendre plus longtemps avant de pouvoir adhérer pleinement à l’UE : la Gay Pride est dès lors un symbole. Pour l’essentiel, l’enjeu, ce sont des chiffres et des dizaines de milliers de pages de législation, soit ce que l’on appelle généralement « l’acquis communautaire ». L’autorisation d’adhérer est donc tributaire de davantage de critères que la tenue, à intervalles réguliers, de Gay Prides à Belgrade. Et notre diplomate d’ajouter : « Pour les candidatures des pays balkaniques, l’UE ne doit pas répéter les erreurs commises dans le passé. Il ne suffit pas d’offrir la candidature pour faire évoluer le pays. Les changements ne s’opèrent que si l’Europe se montre vigilante ». Dans quelle mesure, cette Gay Pride 2010 à Belgrade est-elle un exemple de « diplomatie soft » pour faire fléchir les réflexes traditionnels du peuple serbe et le mettre au diapason des modes occidentales ? Nous laissons la réponse en suspens. Pour adhérer, je pense que les Serbes devront encore franchir bien des obstacles et non des moindres.
M. / « ‘ t Pallieterke ».
(article paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 20 octobre 2010).
00:29 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gay prides, belgrade, serbie, europe, affaires européennes, union européenne, actualité, diplomatie parallèle, soft power | | del.icio.us | | Digg | Facebook