La Turquie exige de Chypre qu’elle suspende l’exploitation de ces ressources gazières ou donne aux Chypriotes turcs la possibilité d’y participer. Elle met en garde la Grèce contre les tentatives de définir unilatéralement les frontières de la zone économique exclusive et parle de “territoires litigieux”. La Grèce pourrait entrer en conflit avec l’Albanie pour les gisements de la mer Ionienne. Les Etats-Unis et l’UE cherchent, pour leur part, à empêcher le renforcement de l’influence de la Russie dans la région.
Le nœud chypriote
Le gisement de gaz Aphrodite, sur le plateau de Chypre, est le plus grand découvert ces dix dernières années. A l’automne 2012, Chypre annonçait que les réserves découvertes s’élevaient à 1.700 milliards de mètres cubes de gaz et étaient estimées à 2.000 milliards d’euros mais en janvier 2013, l’ambassadeur de Chypre en Grèce a donné des estimations deux fois plus élevées – 3.400 milliards de mètres cubes de gaz et 235 millions de tonnes de pétrole. Seules les réserves du secteur №12 (entre 230 et 240 milliards de mètres cubes) suffiraient pour assurer les besoins de Chypre pour les 300 prochaines années.
L’exploitation de ce champ pourrait régler les problèmes financiers de Chypre mais le pays risque également une “colonisation économique”. Près de 30 compagnies de 15 pays ont déjà répondu à l’appel d’offres pour le forage d’exploration – et la course promet d’être serrée.
Après le début des travaux sur le plateau, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’Ankara et la République turque de Chypre du Nord (RTCN), non reconnue par la communauté internationale, commenceraient d’exploiter le pétrole et le gaz dans la “zone économique exclusive de Chypre du Nord“. Quant aux Etats-Unis, la porte-parole du département d’Etat Victoria Nuland a déclaré que les USA soutenaient le droit de Chypre d’exploiter les ressources énergétiques sur son plateau, mais Washington espère que “toutes ses ressources seront équitablement réparties entre les deux communautés (grecque et turque, ndlr)”.
En août 2012, l’Egypte a également revendiqué une partie de l’Aphrodite chypriote et du gisement voisin – le Léviathan israélien. Les accords israélo-chypriotes sur les frontières des eaux économiques exclusives des deux pays et sur la coopération pour l’exploration géologique dans ces eaux portent atteinte aux intérêts égyptiens, a déclaré la commission du parlement égyptien pour la sécurité nationale.
Le Liban prétend également au gaz de Léviathan israélien – cette question est à l’étude à l’Onu. Pour l’instant, il n’y a aucun problème avec Chypre : les 9 et 10 janvier 2013, les présidents chypriote et libanais, Dimitris Christofias et Michel Sleiman, ont convenu de coopérer pour l’exploitation des richesses naturelles.
Israël a également l’intention de collaborer avec Nicosie et Athènes, sans qui il développerait difficilement ses gisements de gaz. Cette découverte a permis d’améliorer les relations autrefois tendues entre la Grèce et Israël – en 2010, ils se sont entendus pour coopérer dans les domaines économique et militaire. Israël a étudié la possibilité de louer une île grecque pour déployer une base militaire et la Grèce a négocié son intégration au projet d’exploitation de Léviathan et d’acheminement du gaz en Europe.
Chypre, la Grèce et Israël ont déjà annoncé leur volonté de regrouper les ressources énergétiques – pendant les trois prochains mois ils ont l’intention de lancer le projet EuroAsia Interconnector, qui réunira les réseaux électriques des trois pays grâce à un câble sous-marin.
La Grèce saisit l’Onu
La Grèce pourrait devenir le 15ème plus grand détenteur de ressources de gaz naturel au monde. Selon les autorités, les gisements de gaz découverts sur le plateau du sud de la Crète permettront d’apporter à l’économie 427 milliards d’euros et régleront tous les problèmes énergétiques et financiers du pays. La Grèce est aussi à la recherche de gisements de pétrole dans les mers Ionienne et Egée, dont les ressources pourraient être également importantes.
Selon les journalistes du pays, la Grèce compte définir les frontières du plateau à l’Onu début 2013. Le quotidien Vima a déclaré le 7 janvier que le département hydrographique de la marine grecque avait déjà déterminé les coordonnées et que le gouvernement donnait son feu vert au transfert de la demande à la commission de l’Onu pour le droit de la mer, afin de valider les frontières du plateau continental.
Ankara avait mis en garde la Grèce contre des mesures unilatérales. Le ministre turc de l’Energie Taner Yildiz a parlé de “territoires litigieux” et a appelé la Grèce à ne pas faire de travaux en mer Egée sans avoir consulté Ankara. La délimitation du plateau complique les relations de la Grèce avec certains autres pays comme la Libye. Des zones de 200 miles des deux pays se superposent et il est nécessaire de convenir les limites de la zone économique exclusive. Les discussions d’experts ont commencé avec la Libye en 2007 mais après le renversement de Mouammar Kadhafi, la situation a changé. Lors d’une récente visite du ministre grec des Affaires étrangères à Tripoli, les nouvelles autorités ont déclaré que le problème des zones maritimes n’était pas bilatéral et qu’il fallait organiser des négociations avec tous les pays frontaliers.
Les partisans et les opposants
La Grèce est à la recherche de partisans, avant tout du côté de l’Allemagne, de la France, et d’autres alliés de l’Otan. Athènes estime que la Russie soutiendra la Grèce dans son litige avec la Turquie et les Etats-Unis ne devraient pas non plus s’y opposer, pensent les observateurs grecs.
Le ministre grec de la Défense a déclaré que l’heure était venue de se débarrasser de l’antiaméricanisme traditionnel. Dans un article publié par la presse occidentale, l’ex-premier ministre grec Georges Papandreou a suggéré aux Etats-Unis de former un nouveau “plan Marshall vert” pour la Méditerranée – une région “cruciale pour la sécurité internationale des USA“.
Selon Papandreou, le projet européen est aujourd’hui menacé, la situation nécessite le retour du leadership américain et ce sont les USA qui doivent lancer une “large initiative énergétique, diplomatique et pacifique qui unirait le Proche-Orient, la Méditerranée et l’Europe grâce à la coopération énergétique“.
Par ailleurs, les Etats-Unis et les pays européens cherchent à affaiblir l’influence de la Russie dans la région. Le 8 janvier, à la question de savoir ce qu’elle pensait de la vente de la compagnie gazière grecque DEPA et de sa filiale de transport de gaz DESFA à Gazprom, la porte-parole du département d’Etat Victoria Nuland a déclaré que la Grèce prenait des décisions autonomes dans le domaine énergétique, en conformité avec ses propres lois et les règlements de l’UE, mais que Washington suggérait à tous les pays de diversifier leurs sources d’énergie.
Selon Athènes, la Russie a officieusement mais clairement montré qu’elle devait remporter l’appel d’offres lorsqu’en novembre 2012 Gazprom a soudainement annoncé qu’il ne construirait pas en Grèce de déviation du gazoduc South Stream.
Quant aux Etats-Unis, ils ont intérêt [à ce] que les compagnies gazières grecques se retrouvent entre les mains des entreprises locales, avec lesquelles les USA ont des relations étroites depuis longtemps. D’autant que le coût des entreprises en cours de privatisation augmentera fortement s’il devenait possible de convenir d’itinéraires de livraison du gaz à partir des nouveaux gisements.