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samedi, 02 janvier 2010

Le destin de Beppo Römer: des Corps Francs au Parti Communiste Allemand

beppo.jpgHolger SZYMANSKI :

Le destin de Beppo Römer : des Corps Francs au Parti Communiste Allemand

 

Josef Römer, « Beppo » pour ses amis, était un ancien chef des Corps Francs allemands après 1918. Indubitablement, cette personnalité illustre est typique de ces destins troublés qui ont traversé le 20ème siècle.

 

Ceux qui s’intéressent à l’histoire allemande de la première moitié du 20ème siècle connaissent Römer : il fut l’un des initiateurs de l’assaut contre l’Annaberg en Silésie, une hauteur stratégique qui avait été occupée par des francs-tireurs polonais en mai 1921 ; ensuite, il fut un résistant à l’hitlérisme, exécuté en 1944. Entre l’héroïsme de l’Annaberg et la mort tragique de 1944, s’étend une période moins bien connue, celle où notre Capitaine mis à la retraite s’est d’abord engagé dans les rangs nationalistes puis, par le détour du national-bolchevisme, a fini par devenir un compagnon de route du communisme allemand. Pourtant ceux qui s’intéressent aux phénomènes de la « révolution conservatrice » et du national-bolchevisme ignorent une chose : Römer était déjà dans les années 20 un agent du service de renseignement de la KPD communiste allemande. Il y a déjà une quinzaine d’années, la maison d’édition Dietz de Berlin, inféodée à la SED, le parti unique de l’ex-Allemagne de l’Est, avait fait paraître un livre intitulé « Der Nachrichtendienst der KPD 1919-1937 » (= «Le service de renseignement du parti Communiste Allemande – 1919-1937 ») ; cet ouvrage est passé presque totalement inaperçu dans les milieux généralement intéressés à la « révolution conservatrice » et aux nationalismes allemands, sans doute à cause de sa provenance est-allemande et communiste.

 

Les auteurs de ce livre ont sans nul doute suscité des hauts le cœur chez les conservateurs et les nationaux : tous étaient jadis enseignants auprès de la « Hauptverwaltung Aufklärung » (« Administration Principale du Renseignement ») du Ministère de la Sécurité de l’Etat (la « Stasi »). Parmi eux, il y avait également le chef d’un département spécialisé « dans les recherches sur les problèmes spécifiques de lutte et de résistance antifascistes » ; lui aussi relevait du ministère du fameux Général Mielke. Pourtant, ces auteurs, contrairement à beaucoup d’autres historiens, avaient accès aux archives est-allemandes et toutes les références qu’ils citent dans leur livre sont vérifiables dans la mesure où leurs sources sont dûment citées. Pour l’essentiel, nos ex-officiers est-allemands se basent sur les archives de la SED et sur celles du « Département IX/11 » de la Stasi. Aujourd’hui, tous ces documents ont été transférés aux Archives Fédérales (« Bundesarchiv »). A l’époque de la RDA, les résultats des recherches de nos auteurs étaient considérés comme « top secrets » et tenus sous le boisseau. La Stasi se voulait l’héritière du « service de renseignement » de la KPD.

 

D’après les travaux de nos historiens membres de la Stasi, les contacts de Beppo Römer avec les communistes remontaient à 1921 déjà et auraient été rendus possibles par l’entremise d’un député communiste du Landtag de Bavière, Otto Graf. Le service de renseignement du parti finit par prendre contact avec Römer à l’automne 1923. Römer revêtait une grande importance pour les communistes, car il était l’un des dirigeants de la Ligue Oberland (= « Bund Oberland »), issue du Corps Francs du même nom, qui avait joué un rôle important dans les combats de l’immédiat après-guerre. A ce titre, cette Ligue exerçait une grande influence dans le camp nationaliste. Nos auteurs est-allemands en arrivent dès lors à la conclusion suivante, après avoir dépouillé un grand nombre de documents archivés : « Römer fut l’un des informateurs les plus prolixes de la KPD  sur le camp des radicaux de droite en Bavière ». La direction de la KPD était donc très bien informée sur la préparation, l’exécution et l’échec du putsch perpétré par Hitler les 8 et 9 novembre 1923.  

 

Cependant, le travail des informateurs ne servait pas seulement à informer la direction de la KPD mais aussi et surtout à travailler à la dislocation des troupes d’auto-défense et de toutes les autres organisations de droite. Le domaine dans lequel ce travail de dislocation devait s’effectuer s’appelait tout simplement celui des « Fascistes » dans le langage des communistes. Travaillant sous la houlette de son chef, Otto Thomas, Beppo Römer, qui avait achevé des études, obtenu un diplôme et trouvé un emploi civil dans le domaine de l’économie, fonde, avec Ludwig Oestreicher, issu comme lui de la Ligue Oberland, et quelques autres amis, la revue « Die neue Front » (= « Le Front nouveau ») dont l’objectif était de promouvoir des volontés activistes d’orientation nationale-bolchevique parmi les anciens des Corps Francs ; remarquons que, dans le chef de Römer, c’est avec le concours de l’appareil de subversion de la KPD que de telles vocations doivent éclore. La revue ne suscite finalement pas grand intérêt et cesse bien vite de paraître.

 

Römer, libéré de ses tâches de publiciste, s’adonne alors plus intensément à l’espionnage économique et militaire auquel se livrent les communistes allemands pour le bénéfice de leurs camarades soviétiques. Dans ce contexte, Römer est arrêté le 30 septembre 1926 à Berlin. Grâce à une amnistie générale, il ne sera pas jugé. Römer se serait surtout intéressé à la production de gaz toxiques et à fournir des échantillons de produits finis.

 

Beppo Römer ne réapparaît sur la scène de la politique allemande qu’en 1931, lorsqu’apparaissent les groupes de travail « Aufbruch ». Ces cercles politiques voient le jour au moment où l’ancien lieutenant de la Reichswehr, Richard Scheringer, passe de la NSDAP hitlérienne à la KPD communiste. Scheringer, avec ses camarades Hanns Ludin (plus tard ambassadeur du Reich en Slovaquie pendant la seconde guerre mondiale et, à ce titre, exécuté en 1947) et Hans Friedrich Wendt, avait fait de la propagande pour la NSDAP au sein des forces armées. Les trois hommes avaient voulu mettre sur pied des « cellules NSDAP » dans l’armée. Lors du procès de la Reichswehr, qui s’est tenu à Ulm à l’automne 1931, Hitler a été appelé à la barre comme témoin et c’est là qu’il a prononcé son fameux « serment de légalité », par lequel il proclama que la NSDAP ne cherchait à atteindre le pouvoir que par des moyens légaux.

 

Scheringer purgea sa peine à Gollnow où, sous l’influence d’un détenu communiste, Rudolf Schwarz, il finit par adhérer à l’idéologie des Rouges. Rudolf Schwarz n’était pas le premier communiste venu mais avait été le responsable du département « Reichswehr » de l’appareil politico-militaire du parti. Le dirigeant actif, à l’époque, de cet appareil « M », Hans Kippenberger, fit sensation le 19 mars 1931 lorsqu’il annonça pendant un débat au Reichstag l’adhésion de Scheringer à la KPD. La démarche de Scheringer a permis à la KPD de pénétrer des strates sociales qui avaient été jusqu’alors sceptiques à son égard.

 

Pour consolider ces nouveaux contacts, Kippenberger décida de fonder une nouvelle revue, « Aufbruch  - Kampfblatt im Sinne des Leutnants a. D. Scheringer » (= « Aufbruch – Feuille de combat selon les idées du Lieutenant e.r. Scheringer »). Dans un premier temps, les éditeurs de la publication furent l’ancien Premier Lieutenant de police Gerhard Giesecke et l’ancien représentant du Gauleiter NSDAP du Brandebourg, Rudolf Rehm. A partir de 1932, le Capitaine e.r. Dr. Beppo Römer prend en mains la rédaction de la revue. On ne peut affirmer avec certitude si Römer avait adhéré de facto à la KPD à cette époque. Il l’a nié plus tard en dépit d’une note émise par le journal communiste « Die Rote Fahne » en date du 22 avril 1932. Autour de la revue naissent les cercles « Aufbruch » : en 1933, il y en avait vingt-cinq, avec quelque 200 à 300 membres. Leur objectif était de recruter dans les cercles d’officiers des combattants contre le national-socialisme. A la tête de ces cercles se trouvait une « Commission dirigeante », composée de « camarades travaillant sur le mode de la conspiration ». Outre Römer, il y avait, parmi ces « camarades », un certain Dr. Karl-Günther Heimsoth, devenu célèbre par des lettres de sa main, très compromettantes pour son ami intime Ernst Röhm et relatives à l’homosexualité de ce dernier. Pour la KPD, l’existence des cercles « Aufbruch » constituait une formidable aubaine : celle de glaner quantité d’informations et de recruter de nouveaux agents. Après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933, « Aufbruch » et les cercles qui gravitaient autour de la revue sont interdits. Bon nombre de leurs activistes, y compris Beppo Römer, sont placés en garde à vue ou fuient vers l’étranger. Plus tard, Beppo Römer se joindra à divers mouvements de résistance ; le dernier auquel il adhéra fut d’obédience communiste et sous la direction de Robert Uhrig. Cette adhésion constitua le motif de son arrestation au début de l’année 1942, de sa condamnation à mort et de son exécution, le 25 septembre 1944 à Brandenburg-Görden.

 

Au vu de toutes ces activités au profit du service de renseignement de la KPD, Römer apparaît plutôt aujourd’hui comme un véritable agent communiste et non pas comme un visionnaire rêvant de forger un Axe Berlin-Moscou, comme on l’a cru pendant très longtemps.

 

Holger SZYMANSKI.

(article paru dans la revue « Deutsche Stimme », février 2008 et sur http://www.deutsche-stimme.de/ - trad.. franc. : Robert Steuckers).

 

Bibliographie :

Bernd KAUFMANN et al., « Der Nachrichtendienst der KPD – 1919-1937 », Dietz Verlag, Berlin, 1993, 462 pages.

 

Pour tous les éléments biographiques relatifs à la personnalité de Beppo Römer, se référer au « Taschenkalender des nationalen Widerstandes 2007 », où ses activités d’agent communiste ne sont toutefois pas évoquées.