samedi, 24 janvier 2009
Hommage à Arno Breker
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991
Hommage à Arno Breker
par Andreas MOLAU
«Ce par quoi notre âme brille et brûle, est divin; est rayonnement, étincelle, est contact avec Dieu; et cet amour brûlant pour le vrai, le beau et le bon est de fait action de la déité; c'est, comme nous le disait Platon, Dieu en nous» (C.M. Wieland, 1775).
Arno Breker est mort. Dans la 91ième année de sa vie difficile, l'artiste génial, que beaucoup d'esprits étroits ont injurié et vilipendé a pris congé de nous. Après la guerre, on l'a traité de «fasciste» parce qu'il a œuvré avec succès entre 1938 et 1945. Les médias allemands, interprètes zélés de cette haine tenace, n'ont pas cessé de répandre des contre-vérités, même après la mort du sculpteur.
Un certain Eduard Beaucamp, qui avait consigné ses tirades haineuses dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung au moment du 90ième anniversaire de l'artiste, a allègrement réédité son triste exploit quand celui-ci a quitté le monde des vivants. Outre une évocation critique du passé de Breker, Beaucamp ose écrire, dans la conclusion de son article nécrologique: «il a produit jusqu'à la fin beaucoup de kitsch commercial et érotique». Peter Dittmer, dans les colonnes de Die Welt, n'est pas plus pertinent: «S'il n'y avait pas eu les nazis, l'œuvre de Breker n'aurait pas fait problème». Cqfd. Alexandra Glanz, elle, s'est cru obligée, dans son épitaphe, de parler de la «misogynie» de Breker: «Breker, écrit cette dame, était l'artiste qui façonnait des hommes sur commande d'autres hommes» (?).
Ces trois échantillons montrent à quel genre de commentaires Breker a été confronté en permanence depuis 1945. L'artiste, dans son livre de 1972, Im Strahlungsfeld der Ereignisse, comparait cette méthode à celle des nazis. Il y écrivait: «Les nazis avaient refoulé comme "art dégénéré" tout ce qui leur déplaisait. Aujourd'hui, par une inversion commode et une simplification des concepts, l'art figuratif de cette époque est décrété "fasciste" et l'art abstrait, expression d'un sentiment démocratique». Le sculpteur, dans son autobiographie, s'insurge contre cette façon de procéder: «De quel droit freine-t-on mes activités d'artiste, en m'empêchant de présenter mes œuvres au public?». Le grand sculpteur français Aristide Maillol nommait Breker le «Michel-Ange allemand». Salvador Dalí a un jour dit à Breker: «il n'y a qu'un sculpteur au monde qui sache sculpter des portraits et c'est vous». La corporation des artistes allemands a boycotté Breker, a sali sa réputation, alors que les grandes personnalités du monde des arts l'ont honoré et apprécié. De grands hommes de la politique et de l'économie —songeons à Konrad Adenauer— ont posé pour lui. Mais, têtue, la corporation des petits artistes actuels et des critiques n'ont pas voulu reconnaître ces hommages. Alexandra Glanz, dans la Hannover Allgemeine, écrit: «son art soit-disant classique s'est toujours égaré dans le fascisme». Mais le grand écrivain silésien Gerhard Hauptmann émettait un tout autre jugement. Une amitié profonde le liait à Breker. Hauptmann, qui, dans sa jeunesse aurait aimé devenir sculpteur, appréciait les dons extraordinaires de Breker et son sens aigu de la loyauté. A propos de la force qui se dégageait de la sereine beauté des sculptures de Breker, Hauptmann, dans une lettre au sculpteur datée du 20 août 1944, écrit: «Comment vous remercier pour cette force et cette beauté que vous nous offrez? Où le vieil homme que je suis peut se rajeunir pendant un instant, pendant quelques minutes, parfois pendant une heure (...) Les seuls instants de bonheur que nous puissions de tant à autre glâner, rechercher, sont des rayons; que ce soient ceux du soleil ou, au sens le plus large, ceux de l'art. Pégase est un cheval de feu. Mohammed en possédait un (...) Bref votre coursier à vous, qui est votre œuvre, rayonne de beauté et de vie et quand je la contemple, je puise à une source de jouvence».
Mais qui fut-il ce Breker, cette figure resplendissante de l'art et de l'esprit allemands? Il est né le 19 juillet 1900 à Ellerfeld, près de Wuppertal, dans le foyer d'un tailleur de pierre et sculpteur qui fut son premier maître. Après une formation d'artisan, il fréquente, jusqu'en 1920, l'école des arts de sa ville natale, puis étudie jusqu'en 1925 à l'Académie des Arts de Düsseldorf auprès des professeurs Hubert Netzer (arts plastiques) et Wilhelm Kreis (architecture).
En 1924, il se rend à Paris où il rencontre Jean Cocteau, Jean Remoi et Alfred Flechtheim. Trois ans plus tard, il s'installe dans la capitale française. Il y reçoit l'inspiration de l'école de Rodin, notamment celle de Charles Despiau (1874-1946) et d'Aristide Maillol (1861-1944). A la demande expresse de Max Liebermann, dont il fera le masque funéraire en 1935, Breker revient à Berlin en 1934. A l'occasion des jeux olympiques de 1936 (Berlin), Breker connaît enfin la gloire, grâce à ses bronzes, le Zehnkämpfer (le décathlonien) et la Siegerin (la victorieuse). En 1937, il est nommé professeur à l'Ecole d'Etat des arts plastiques de Berlin et membre de l'Académie Prussienne des Arts. Pour Breker, la fascination du Beau, dans l'œuvre d'art, ne doit pas seulement captiver grâce aux lignes et aux formes, ne doit pas seulement ravir les yeux. La formule de Rodin demeure chez lui la règle cardinale: l'œuvre d'art doit être créée par l'âme et pour l'âme; elle doit lui conférer expression et susciter de nouvelles richesses.
Dans cette règle de Rodin, nous trouvons la synthèse entre l'esprit et la forme, maxime de l'art brekerien. Dans l'introduction à un album rassemblant ces plus beaux portraits (Bildnisse unserer Zeit), Breker exprime cette démarche que lui a léguée Rodin: «Le portrait, en tant que genre, exige de l'artiste un haut degré d'appréhension précise du phénomène naturel qu'il sculpte; mais le portrait doit être plus que la représentation fidèle du sujet sculpté. L'essentiel réside dans l'art de communiquer les éléments spirituels et psychiques du sujet au spectateur».
Breker a su, par ses talents, par son génie, concrétiser à merveille cette règle énoncée par son maître Rodin. Ses visages, ses corps expriment tous, sans exception et avec une perfection sublime, cette synthèse entre esprit et forme. On peut observer pendant des heures et des heures ses œuvres, sans cesser d'y découvrir de nouvelles profondeurs spirituelles. Que ce soit dans le visage d'un guerrier torturé de douleurs ou dans la silhouette d'une femme toute de grâce et de charme. Breker, que le réaliste Ernst Fuchs nommait le «grand prophète du Beau», a su concilier beauté et homme idéal, beauté et homme divinisé. Cet idéal brekerien est suspect aujourd'hui, vu la conception que se font nos contemporains de l'art. Désormais le critère cardinal, écrit Syberberg, c'est «de privilégier ce qui est petit, bas, vulgaire, ce qui est estropié, malade, ce qui est sale et de négliger, de refouler, ce qui est glorieux, resplendissant; la mise en exergue de ce qui est vil exprime une stratégie venue des bas-fonds de l'âme, qui a inscrit à son programme la volonté d'exalter la lâcheté, la trahison, le crime...».
La vie difficile de Breker après la guerre montre de façon exemplaire quelle est la misère de l'art à notre époque. Jusqu'à sa mort, Breker a vécu en lisière de l'aéroport de Düsseldorf. Une simple haie le séparait des pistes d'atterrissage. En 1962, il a pu racheter (!) bon nombre de ses sculptures, confisquées par les forces d'occupation américaine. Seul un petit musée rhénan, dans le village de Nörvenich (a-dresse: Kunstmuseum "Sammlung Europäischer Kunst", Schloss, D-5164 Nörvenich), s'est donné pour tâche d'accueillir son œuvre.
Pour qu'une nouvelle vie artistique puisse prendre élan en Allemagne, il faudra réhabiliter complètement le grand sculpteur de Düsseldorf qui vient de nous quitter et qui disait de lui-même qu'il était un «vieux Parisien».
Andreas MOLAU.
(article extrait de Junge Freiheit, 4/91; adresse de la revue: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg; trad. franç. : Robert Steuckers).
00:05 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommages, art, sculpture, allemagne, art classique, style classique, réalisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook