dimanche, 20 juillet 2014
Le Tour de France de 1914
Le vainqueur Philippe Thys
Le Tour de France de 1914
La Coupe du monde de football vient de se terminer; les amateurs de sports tournent leur regard, comme chaque mois de juillet, vers le Tour de France cycliste. La plus célèbre course de vélos du monde se déroule aujourd'hui à l'ombre de celle de 1914, cent ans après que la première guerre mondiale ait éclaté. Le départ d'une étape à Ypres, le passage du peloton le long du champ de bataille de Verdun, les longues étapes en Alsace et en Lorraine en sont la preuve. L'étape qui s'est déroulée sur les pavés du Nord a été, elle aussi, un hommage aux morts de la première guerre mondiale, parce que l'expression "l'enfer du Nord" est née en 1919, quand le parcours de la course Paris-Roubaix était particulièrement sinistre et difficile. Les voies "carrossables" avaient été labourées par les artilleries française, britannique et allemande.
Les médias ont consacré quelques minutes d'attention aux vainqueurs du Tour avant 1914 (le premier Tour a eu lieu en 1903), qui n'ont pas survécu à la première guerre mondiale. Ainsi, Lucien Petit-Breton, vainqueur en 1907 et en 1908, le Luxembourgeois François Faber, vainqueur en 1909, et Octave Lapize, vainqueur en 1910. Petit-Breton a eu une fin misérable: courrier dans l'armée française, il a été renversé par une calèche menée par un cocher ivre. On n'a jamais retrouvé de traces du Luxembourgeois Faber, engagé dans la Légion Etrangère. Il combattait dans la région de la Somme et a disparu le 9 mai 1915 lors d'un combat à proximité d'Arras. Lapize, peut-on dire, a eu la mort du héros: pilote d'un avion de reconnaissance de la toute jeune aviation française, il a été abattu le 14 juillet 1917 en Lorraine.
Dix-sept coureurs morts au combat
Le sort des anciens vainqueurs du Tour est évidemment plus connu que celui de dix-sept autres coureurs qui avaient participé à la course de 1914 et qui sont également morts au champ d'honneur. Ils demeurent des inconnus comme Dejoie, Lachaise et Tribouillard. Aujourd'hui encore, alors que l'on commémore pourtant la Grande Guerre, ces hommes ont été trop longtemps oubliés. Cet oubli est cependant comblé par un ouvrage remarquable, intitulé Le Tour de France de 1914 - De la fleur au guidon à la baïonnette au canon, paru déjà en 2010. L'auteur en est l'historien Jean-Paul Bourgier. Il nous relate l'histoire d'un Tour où l'ombre de la guerre n'a jamais été perceptible même si, pendant la durée de cette "grande boucle", il y avait bien des indices d'une tension croissante entre la France et l'Allemagne.
Le hasard a voulu que le Tour de 1914 ait commencé le 28 juin, le jour même où l'héritier du trône impérial austro-hongrois et son épouse la Comtesse Sophie Chotek ont été assassinés à Sarajevo par l'activiste Gavrilo Princip. Cet assassinat a été le coup d'envoi de la première grande conflagration mondiale mais on ne l'imaginait pas encore quand le départ du Tour a été donné. Pendant la première étape, d'Abbeville au Tréport, personne n'a songé aux événements qui venaient de marquer l'Empire austro-hongrois.
Cela peut paraître étrange, rétrospectivement, mais le Tour de France a commencé plus tôt cette année-là. Si l'on avait reproduit le calendrier de 1908, alors la grande fête du vélo aurait commencé le 13 juillet et se serait terminée le 9 août. On aurait dû interrompre la course à cause de la mobilisation générale. Le vainqueur du Tour de 1914 a été le Bruxellois Philippe Thys, qui avait déjà gagné l'épreuve de 1913. Il avait déclaré qu'il gagnerait une troisième fois consécutive en 1915. Cette promesse n'a pu être tenue. Thys a encore gagné le Tour de 1920. Quel aurait donc été son palmarès si l'incendie n'avait pas éclaté en Europe? La même question peut être posée pour Octave Lapize, ancien vainqueur mort au champ d'honneur. Ce gaillard extraordinaire n'avait pas seulement gagné le Tour mais aussi trois fois le Paris-Roubaix et le Paris-Bruxelles. Lapize était une véritable légende du vélo. Il avait emporté le Tour de 1910, le premier à être passé par les Pyrénées. Il avait apostrophé avec véhémence les organisateurs du Tour en les traitant d'assassins tant le parcours avait été difficile et dangereux. En 1914, il abandonne le Tour à cause du décès de sa mère.
Metz, étape à l'étranger
Le Tour de France de 1914 s'est déroulé sans le moindre souci. A Cherbourg, les coureurs se trouvaient dans le même hôtel que la figure de proue du socialisme français, Jean Jaurès, avec qui ils ont plaisanté. Juste avant que n'éclate la guerre, cet homme politique a été assassiné. On pouvait déceler bien des indices prouvant la tension croissante entre puissances européennes mais les coureurs en riaient, en disant que des événements plus graves avaient ponctué la politique internationale au cours des quinze dernières années.
Le coureur français Eugène Dhers avait un autre avis et sentait que les choses allaient dans un sens différent, plus tragique. Soldat, il avait reçu un congé spécial pour participer au Tour mais, dès le 7 juillet, il est rappelé sous les drapeaux et rejoint sa caserne à Belfort. Le Belge Jean Rossius gagne l'étape qui amène le Tour à Nice où règne une atmosphère tendue. Le Président français Raymond Poincaré était parti ce jour-là pour la Russie. C'était une raison suffisante pour que les observateurs attentifs de la scène politique européenne puissent en conclure que les choses basculaient sûrement vers une instabilité que les non initiés ne percevaient pas encore.
Photo: François Faber
Les organisateurs du Tour auraient pourtant dû s'en apercevoir quelques années auparavant. En 1907 et en 1908, Metz en Lorraine, avait été choisie comme arrivée d'étape… à l'étranger car, en effet, depuis la guerre franco-prussienne de 1871, la ville était devenue allemande. En 1910, l'orchestre messin avait même joué la Marseillaise, alors que tous les symboles français étaient interdits en Alsace et en Lorraine. A partir de 1911, le peloton n'a plus reçu l'autorisation de passer en territoire allemand. En 1919, lors du premier Tour d'après-guerre, les organisateurs, pour souligner la revanche française, ont choisi Metz et Strasbourg comme villes d'étape.
Salan/'t Pallieterke.
(article paru dans 't Pallieterke, Anvers, 16 juillet 2014).
Portrait d'artiste: François Faber
00:04 Publié dans Histoire, Sport | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, sport, cyclisme, 1914, première guerre mondiale, tour de france | | del.icio.us | | Digg | Facebook