jeudi, 02 août 2007
Symbolisme politique de la couleur noire
Du symbolisme politique de la couleur noire
Dr. Karlheinz WEISSMANN
Début juillet, en Allemagne, des militants de la NPD manifestaient dans les rues tandis que des contre-manifestants s’y opposaient ; dans ce contexte, les journalistes ont quelquefois évoqué l’émergence d’un « Bloc Noir » de l’extrême droite, dont les symboles ne se distinguent pas aisément de ceux de l’extrême gauche. Cette explication pourrait nous faire penser que ces journalistes veulent traiter d’un phénomène, observable et récurrent, celui du passage des idées politiques de la gauche à la droite, et vice-versa, ou de l’aveu de Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères de la RFA, qui vient de déclarer qu’il lisait Ernst Jünger (« Le combat comme expérience intérieure »), quand il jouait au guérillero dans les rues ; ces journalistes ont peut-être aussi voulu dire que les extrêmes finissent toujours par se rejoindre. En fait, « Bloc Noir » ou non, l’analyse nous démontre que la couleur noire a été le signe de la gauche révolutionnaire comme de la droite révolutionnaire.
Chronologiquement, l’usage du noir, comme signe politique, a d’abord été le fait de la gauche : lors de la Révolution de Juillet à Paris en 1830, on n’a pas seulement vu les partisans du drapeau « rouge » s’opposer aux partisans du drapeau tricolore ; au sein même de la fraction la plus radicale, émergea, à l’époque, un mouvement anarchiste, au sens le plus strict du terme, qui fit du noir sa couleur de prédilection. En 1848, Bakounine se range tout naturellement derrière un drapeau noir. Lors de la Commune, en 1871, des éléments très radicaux font à leur tour usage d’un drapeau noir.
Depuis les années 1880, des groupes anarchistes commencent à s’organiser dans bon nombre de pays européens et aux Etats-Unis : ce courant s’identifie à la couleur noire. On en vient alors à considérer, partout, que le noir est la couleur des anarchistes ; c’est donc en noir que combattent les troupes de Nestor Makhno après la première guerre mondiale pour une Ukraine indépendante. Les milices anarchistes espagnoles choisissent aussi le noir pendant la guerre civile de 1936-39.
Au cours du vingtième siècle, l’anarchisme perd rapidement de son importance. Son drapeau noir tombe dans l’oubli. Il ne renaîtra que lors de la révolte étudiante des années 60, d’abord aux Etats-Unis, ensuite dans le monde entier.
Les anarchistes interprètent l’usage du noir par leurs militants de manières différentes : les uns prétendent qu’ils reprennent un symbole traditionnel de protestation ; d’autres affirment qu’il s’agit du noir du deuil porté en souvenir des combattants tombés pour la Commune en 1871. D’autres encore, comme Howard Ehrlich, émettent la thèse que le drapeau noir représente la « négation de toutes les couleurs », et est donc le symbole du refus de toutes les formes de domination exercées sur l’homme.
Bien entendu, les anarchistes ne peuvent pas revendiquer le monopole du drapeau et de la couleur noirs : pendant l’entre-deux-guerres, il y eut des mouvements nationalistes qui choisirent cette couleur symbolique parce qu’elle recelait, à leur yeux, une dynamique révolutionnaire. Ce fut surtout le cas des fascistes italiens qui défilaient en chemises noires et portaient des drapeaux, fanions et étendards noirs.
Rien n’est clair quant à l’origine de la chemise noire. La thèse la plus plausible est qu’elle provient des uniformes des « arditi », unités d’élite italiennes de l’armée de terre, dont les soldats, après la Grande Guerre, ont souvent rejoint les partisans de Mussolini. Les « arditi » préféraient les chemises noires sous leurs vestes d’uniforme, parce que celles-ci leur donnaient un aspect particulièrement terrifiant. A rebours d’une thèse qui a également été émise, je ne pense pas que les fascistes aient choisi des chemises noires parce que les ouvriers d’Emilie-Romagne en portaient traditionnellement.
Beaucoup de petites formations fascistes reprennent la chemise noire à partir des années 20, copiant ainsi leur modèle italien. En Allemagne, la NSDAP préférait le brun pour les uniformes de ses formations politiques (même si les SS, avec leurs uniformes entièrement noirs, disaient appartenir au « Schwarzes Korps », au « Corps Noir »). Pourquoi avoir choisi le brun ? Sans doute parce que le noir avait déjà été accaparé par des mouvements nationaux révolutionnaires concurrents des nationaux-socialistes.
Immédiatement après la première guerre mondiale, les nationalistes, dans le Reich allemand, avaient hissé des drapeaux noirs pour protester contre les clauses du Traité de Versailles. Durant les années 20, bon nombre de groupes et groupuscules adoptent le noir comme symbole, notamment sous l’influence d’Arthur Moeller van den Bruck. Les principaux groupes qui optèrent pour le noir sont les fédérations de jeunesse (Jugendbünde), le Landvolkbewegung (Le mouvement du peuple des campagnes) et le mouvement « Widerstand » (= Résistance) du théoricien national révolutionnaire Ernst Niekisch. La dissidence de la NSDAP, que l’on a appelée le « Front Noir », utilisa aussi un drapeau noir.
Après la seconde guerre mondiale, les emblèmes noirs disparaissent presque totalement. Ils ne reviendront que dans les années 90, quand des « Kameradschaften » militantes de l’extrême droite réapparaissent dans les rues d’Allemagne : elles ont puisé, pour créer leurs symboles, dans les vieux fonds des traditions nationalistes. Elles ont découvert que le noir y avait eu son importance. D’où la notion de « Bloc Noir ». Ce « Bloc Noir » utilise le noir dans des variantes vestimentaires à la mode : sweat-shirts à capuchon, casquettes de base-ball, lunettes solaires noires ou à miroir.
Dr. Karlheinz WEISSMANN.
(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°30/2007).
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