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mardi, 27 novembre 2007

Paganisme en Italie aujourd'hui

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Le paganisme en Italie aujourd’hui

Entretien avec le Professeur Sandro Consolato -Propos recueillis par Francesco Mancinelli, animateur du « Circulo Culturale Helios » de Viterbe

On ne peut plus parler des racines profondes de l’Europe sans se référer aux mondes préchrétiens

Nous publions aujourd’hui un entretien avec le Prof. Sandro Consolato, responsable national, en Italie, du « Mouvement Traditionnel Romain » et éditeur de la revue d’études traditionnelles « La Citadella », auteur d’un livre intitulé « Julius Evola et le bouddhisme » et de multiples essais parus dans les revues « Arthos », « Politica Romana », « Margini » et « Letteratura-Tradizione ». L’entretien passe en revue, après enquête minutieuse, quelques thèmes fondamentaux parmi lesquels la critique de toutes ces thèses qui n’évoquent que les seules racines judéo-chrétiennes de l’Europe, la survivance de la religiosité romaine en Italie et les expressions les plus hautes de la paganité romano-italique, ainsi que le « culte gentilice » à travers les siècles. L’entretien jette aussi un regard sur les liens entre la tradition romaine et les expériences historiques et culturelles du fascisme et de quelques filons ésotériques de la droite dite radicale. Enfin, le Professeur Consolato formulera quelques remarques d’une brûlante actualité sur les rapports entre, d’une part, les représentants et les associations de la « Tradition Romaine » et, d’autre part, les mouvements religieux ethniques dans d’autres régions d’Europe.

Q. : Commençons par les racines…. L’Europe a effectivement des racines « judéo-chrétiennes », quel est alors votre point de départ, pour contester cette affirmation fort courante ?

SC : Evola, dans sa jeunesse, quand il venait d’écrire « Impérialisme païen », évoquait l’ « Anti-Europe », mettant ses lecteurs en garde contre un danger « euro-chrétien »… Mais, c’est vrai, il n’y a eu de culture européenne unitaire, de l’Atlantique à l’Oural, de l’Islande à Malte, qu’au moyen âge, à la suite de la christianisation de notre continent, c’est-à-dire de terres et de peuples auxquels le christianisme primitif était étranger, tout simplement parce qu’il était né dans un vivier ethnique et religieux juif. C’est justement parce que le christianisme est, à l’origine, un phénomène allogène que l’on ne peut pas parler de racines profondes de l’Europe sans se référer aux mondes préchrétiens, comme celui des traditions helléniques et romaines, des traditions propres aux peuples celtiques, germaniques, baltes et slaves qui ont donné, chaque fois, une coloration particulière aux sociétés chrétiennes.

Q. : Mais toute spiritualité européenne aujourd’hui doit tenir compte de religions vivantes, et non de formes religieuses mortes…

SC : A cela, je vous rétorquerais que certains pays européens ont reconnu, juridiquement, l’existence et la pratique d’anciennes religions païennes. L’Europe entière devrait tenir compte de situations similaires dans d’autres pays, même si elles sont plus fréquentes à l’Est qu’à l’Ouest : prenons l’exemple concret de la Lituanie, où le paganisme « indigène » a été reconnu, il y a quelques années, par l’Etat. Ce paganisme a une histoire longue et vivante, voilà pourquoi les vicissitudes de celle-ci doivent nous servir d’exemple. Une délégation de notre mouvement, menée par Daniele Liotta a été invitée en Lettonie à la Conférence Internationale des religions ethniques en juin 2007. Elle a pu y constater qu’être païen, là-bas, est considéré comme la chose la plus normale, comme une donnée naturelle de l’identité nationale. Le jour du solstice, les païens peuvent, par exemple, visiter les musées gratuitement.

Q. : Et qu’en est-il en Italie, la patrie des Romains ?

SC : Je formulerais d’abord une remarque : quand on parle de paganisme, il convient de distinguer deux phénomènes ; d’une part, la religiosité populaire, d’autre part, les traditions élitaires. Dans les pays celtiques, scandinaves, baltes et slaves, contrairement aux pays méditerranéens comme l’Italie ou la Grèce, le paganisme populaire s’est maintenu à travers les siècles et, dans certaines régions, est demeuré plus autonome par rapport aux christianismes officiels que chez nous. Dans l’aire méditerranéenne, il reste, certes, de très intéressantes survivances de la religiosité populaire païenne, mais sous des travestissements chrétiens. En revanche, il y a toujours eu, chez nous et en Grèce, des élites païennes, s’inscrivant dans la continuité des cultures grecque et latine, cultures qualitativement supérieures, qui ont véhiculé jusqu’à nous le néo-platonisme, qui est donc la plus haute et la plus ancienne expression du paganisme philosophique, l’hermétisme alchimique et certains rites liés directement aux formes traditionnelles de la religion civique et privée du monde classique.

A l’époque de la Renaissance, le contrôle religieux médiéval s’était relâché ; il s’est ensuite renforcé par le double effet de la Réforme et de la Contre-Réforme. Mais dans la période de relâchement, à l’évidence, des formes de « revival » païen se sont manifestées qui ne peuvent pas s’expliquer sans admettre qu’il a y eu vraiment continuité souterraine pendant des siècles. Au 15ième siècle, nous avons en Grèce la « république païenne platonicienne » de Georges Gémiste Pléthon, qui s’établira en Italie ; en Italie même, nous avions l’ « Accademia Romana » de Pomponio Leto, qui atteste de la survivance du « Pontifex Maximus » païen dans la Cité des Papes. Entre ces deux institutions, il existait un lien, à l’évidence, et ce n’est pas un hasard si la tombe de Georges Gémiste Pléthon se trouve en Italie. A côté de ces manifestations néo-païennes de la Renaissance, toute personnalité autonome peut reprendre aujourd’hui, pour elle, les rituels païens s’adressant aux dieux de l’antiquité, ou les partager avec d’autres personnalités singulières ou avec des groupes d’hommes appartenant à des catégories cultivées de la société, connaissant les auteurs latins classiques et capables de déchiffrer sur les monuments des formules, des coutumes ou des pratiques religieuses antiques et païennes.

Q. : Qu’en reste-t-il dans l’Italie contemporaine ?

SC : L’affirmation publique la plus évidente, qui atteste de la permanence, jusqu’à nous, d’un centre initiatique païen de tradition italo-romaine -relevant donc de la tradition ésotérique- fut la rédaction d’un article en 1928, dû à la plume d’Arturo Reghini, dans les colonnes de la prestigieuse revue de sciences initiatiques, « Ur », dirigée par Julius Evola. Ce dernier, comme je le disais tout à l’heure, venait d’écrire, la même année 1928, « Impérialisme païen », ouvrage qui invitait explicitement le nouveau régime fasciste à se référer clairement à la tradition spirituelle du paganisme impérial. Dans son article, signé sous un pseudonyme -tous les collaborateurs de la revue avaient l’obligation de conserver l’anonymat- Reghini écrit : « Même si cela paraît totalement invraisemblable, un centre initiatique romain s’est maintenu sans interruption depuis la fin de l’Empire jusqu’aux temps présents, avec une continuité physique grâce à une transmission sans aucune coupure». Reghini n’était pas un de ces occultistes comme le 20ième siècle en a tant connu, mais, au contraire, une figure du monde spirituel de grande envergure, un explorateur et rénovateur insigne de la mathématique pythagoricienne : ses paroles ont donc résolument du poids.

Du passage de son article, que nous venons de citer, nous ne retiendrons seulement qu’un seul fait évoqué : le paganisme de la Rome antique a laissé des traces importantes dans l’histoire culturelle et politique de l’Italie. Ceux qui veulent approcher le paganisme dans l’Italie d’aujourd’hui doivent donc nécessairement tourner leurs regards vers ce qui leur est finalement très proche et ne pas craindre de pratiquer des rites qui n’auraient aucune assise dans la réalité séculière, bien visible derrière les travestissements chrétiens ou autres. Ces rites donnent donc, finalement, la même sécurité que recherchent la plupart des gens dans les grandes religions historiques. Il suffit d’avoir le courage de l’humaniste du 15ième siècle, ou de l’érudit du 18ième, qui, lorsqu’ils lisaient une prière ou la description d’un rite ou d’une offrande dans un texte latin classique, se sont dit : « Et si je le pratiquais, moi, que se passera-t-il ? ».

Q. : Quels sont aujourd’hui les groupes ou les personnalités marquantes du paganisme en Italie ?

SC : En Italie, nous avons aujourd’hui des individus et des groupes qui se réclament d’un paganisme que je qualifierais de « générique », ou qui entendent ce paganisme dans une acception qui n’est ni romaine-italique ni classique, mais celtique ou même scandinave, c’est-à-dire « odiniste ». Pour moi, c’est un non sens, parce que dans l’Italie antique et, ensuite, dans nos traditions populaires, s’il existe peut-être des composantes celtiques, Odin, pour sa part, n’a jamais été chez lui en Italie : les Lombards, dont j’admire la geste, sont arrivés en Italie alors qu’ils avaient déjà été christianisés, et plutôt mal christianisés ; quant aux Normands qui se sont établis dans le Sud et en Sicile, ils n’étaient plus des Vikings païens.

Il existe cependant des groupes qui n’aiment pas la publicité, qui ne publient pas de revues, qui n’ont pas de sites sur internet. Le « Mouvement Traditionnel Romain » (MTR), auquel j’appartiens, a choisi la voie d’une présence culturelle active et explicite. Des groupes liés à ce mouvement existent dans diverses régions d’Italie. Au niveau public, il convient de signaler également l’ « Associazione Romana Quirites » de Forli. Nous, du MTR, oeuvrons sur le plan culturel par le biais d’un site et d’un forum sur internet. L’adresse du site est : www.lacitadella-mtr.com . L’adresse du forum est : www.saturniatellus.com . Mais notre principal organe demeure la classique revue sur papier, « La Citadella ». Il existe encore d’autres revues intéressantes dans le domaine qui nous préoccupe, comme « Arthos », mais elle ne traite que partiellement de thématiques proprement païennes.

Caractéristique majeure du MTR : il a réussi à conquérir un statut culturel reconnu par tous, ce qui l’amène à dialoguer avec nombre de personnalités issues du monde universitaire et à gagner la sympathie de beaucoup d’intellectuels non-conformistes. Certes, l’activité culturelle que nous déployons ne rend personne plus « païen » qu’un autre mais, à l’évidence, la qualité de nos activités éditoriales aide à légitimer socialement les activités qui ont un caractère spirituel stricto sensu.

Q. : A propos des activités culturelles, vous avez collaboré également au volume collectif des « Edizioni di Ar », intitulé « Il gentil seme », qui pose justement quantité de bonnes questions sur les racines les plus anciennes de l’Europe…

SC : Vous faites bien de signaler l’existence de ce précieux volume. Personnellement, je le considère comme l’un des témoignages les plus patents qu’il existe en Italie une culture païenne de haut niveau, capable d’affronter les plus grandes questions philosophiques, historiques et politiques. Les « Edizioni di Ar », surtout au cours de ces dernières années, ont apporté une grande contribution : elles ont rendu parfaitement « normal » le fait de parler de paganisme.

Q. : En Italie, mais pas seulement en Italie, le paganisme a une histoire qui le lie au fascisme historique et au néo-fascisme, voire au radicalisme de droite. Comment expliquez-vous cela ?

SC : Dès son émergence, le fascisme a éveillé l’intérêt de certaines personnalités et de certains milieux qui pensaient que le mouvement de Mussolini donnerait à l’Italie une belle opportunité historique, celle de jouer à nouveau un grand rôle sur la scène internationale, ce qui avait pour corollaire de se référer obligatoirement à Rome. C’est vrai pour Giacomo Boni, pour Arturo Reghini et pour Julius Evola. Voilà pourquoi un païen italien, aujourd’hui, peut affirmer clairement qu’il n’est pas fasciste mais ne peut pas pour autant se déclarer anti-fasciste.

Contrairement à ce que l’on croit habituellement, le paganisme authentiquement romain n’a jamais suscité beaucoup d’intérêt dans la sphère néo-fasciste. Le paganisme peut certes se limiter à n’être qu’une option philosophique élitiste, mais la romanité, elle, doit toujours se traduire en réalité politique, en un ordre étatique et social. Toutefois, la naissance du groupe des « Dioscures », au sein d’Ordine Nuovo, à la fin des années 60, est un fait fort important. Les rédacteurs de cette mouvance particulière au sein d’Ordine Nuovo ont écrit publiquement, à l’époque, que, pour redonner un ordre traditionnel non seulement à l’Italie mais au monde entier, il fallait rallumer à Rome le feu de Vesta. C’était une audace, et non des moindres, à l’époque.

Q. : Mais en quoi consiste la vie proprement religieuse d’un païen de tradition romaine de nos jours ?

SC : C’est une vie centrée sur un culte qui est certes privé mais aussi communautaire, parce que la religion des Romains est avant toutes choses une religion de l’Etat romain (ses prêtres sont simultanément magistrats, ne l’oublions pas), qui, pour être remise entièrement en vigueur, a besoin d’un culte public de l’Etat. Le culte privé, tout comme le culte public, est rythmé par l’antique calendrier romain, avec ses calendes, neuvaines et ides. Il y a maintenant de nombreuses années, Renato del Ponte, figure de proue du traditionalisme romain à notre époque, avait édité un calendrier qui nous permettait de revenir, tout naturellement, au temps sacré de nos ancêtres.

Je me permets de rappeler, ici, que les Romains et les Grecs de l’antiquité ne savaient pas qu’ils étaient des « païens » ou des « polythéistes », appellations savantes et modernes. Le premier de ces termes est de nature polémique : il a été forgé par les chrétiens qui se référaient ainsi aux survivances des cultes anciens dans les « pagi », c’est-à-dire dans les villages éloignés des campagnes ; le second de ces termes est « scientifique » et récent. Nos ancêtres de l’antiquité savaient seulement qu’ils étaient « pies » et « religieux » et, en tant que tels, devaient vénérer plusieurs Dieux, non pas parce qu’ils ignoraient la réalité unitaire et métaphysique du cosmos mais parce qu’ils savaient que cette réalité s’exprimait par une pluralité merveilleuse de formes et de fonctions qui rendaient le cosmos sacré et beau. Si les deux termes « païen » et « polythéiste » servent simplement à faire comprendre directement ce que nous sommes, il faut cependant préciser que le premier se réfère à la spiritualité préchrétienne et le second au Panthéon classique. Forts de cette précision, nous pourrions nous définir comme païens et polythéistes. Mais si ces termes génèrent de la confusion et risquent de nous associer désagréablement à l’occultisme du « New Age », alors il vaut mieux privilégier l’appellation de « traditionalistes romains », car finalement c’est de cela que nous parlons.

Q. : Vous prenez donc vos distances avec le terme « païen »…

SC : Non. En aucun cas. Dans le terme « païen », je perçois l’indice d’une volonté de se distinguer, une volonté d’aller aux racines, et en ce sens « radicale », un refus de tout compromis avec ce qui est venu « après ». La posture païenne est donc utile pour échapper aux pièges de certaines visions spiritualistes pour qui tout ce qui fut « bon » dans le monde antique aurait été définitivement absorbé et assimilé dans les monothéismes chrétien et musulman. Ensuite, faut-il ajouter que dans la culture universitaire, le terme « païen » est utilisé habituellement pour toute référence aux philosophies et littératures de l’Antiquité, de Platon à Proclus, de Homère à Virgile ? Somme toute, le « paganisme » représente le donné originel de la culture européenne : il ne peut devenir ni un terme criminalisé ni un terme collé à des phénomènes d’autre origine, comme le font aujourd’hui le Pape et les évêques qui crient au « retour du paganisme » quand ils évoquent le satanisme contemporain ou le mariage homosexuel.

(entretien paru dans « Rinascita », Rome, 6 novembre 2007 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

 

 

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Commentaires

Dans la dernière réponse de Consolato, je retiens, et je voudrais que l'on retienne, que l'ensemble du patrimoine identitaire européen, c'est-à-dire le patrimoine païen, n'a pas été absorbé par le christianisme ou l'islam, n'en déplaise à certains guénoniens fous que l'on a retrouvé dans les rangs de la ND et qui y ont semé la plus ridicule des confusions.

Écrit par : Henri Defossez | mercredi, 28 novembre 2007

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