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samedi, 25 octobre 2008

Dix millions de "Coccinelles"

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Dix millions de coccinelles

 

 

Il faut bien qu'il y ait beaucoup de choses de pourri dans notre bon monde de “correction politique” pour qu'un romancier comme Saint-Loup connaisse à nouveau un succès d'estime certain auprès d'une fraction grandissante de la jeunesse eu­ropéenne. Quatre ans après sa mort, ses livres continuent à être réédités méthodiquement et les hommes courageux qui s'emploient à cette tâche sont toujours surpris de voir avec quel enthousiasme on se rue sur ces ouvrages.

 

Pour les tenants de l'anti-FRAT (Fascisme-Racisme-Antisémitisme-Totalitarisme: expression forgée par un autre héré­tique des temps modernes le professeur Notin), Saint-Loup restera seulement l'apologiste des réprouvés de la Waffen-SS francaise.

 

Mais son œuvre est bien plus vaste. Il fut aussi un analyste formidable des grands travaux publics et semi-publics de ce vingtième siècle finissant. Et c'est ici l'aventure automobile qui nous est contée. En effet, à la fin des années 60, après avoir achevé sa trilogie sur les derniers défenseurs du bunker de Hitler à Berlin et avant de commencer son cycle sur les patries charnelles, Saint-Loup termine une autre trilogie: après avoir publié les magistrales biographies de Louis Renault (1955) et de Marius Berliet (1962), il écrit Dix millions de coccinelles, l'histoire de la Volkswagen qui, en quelques décennies, va conquérir l'univers.

 

Mais en 1976, c'est 21 millions de “Cox” qui ont été vendues sur la planète depuis sa création. Tous les journaux automo­biles portent aux nues le fer de lance de notre belle société de consommation, en lui rendant aujourd'hui un hommage bien mérité. On la fabrique toujours au Mexique. On ne pouvait plus l'acheter neuve sur le marché européen: là aussi, à force de célébrer son génie sur l'autel consacré au dieu Hermès, elle va effectuer son retour, en star comme une actrice mythique ou un chanteur adulé qui fait sa dernière tournée de chant! Oui, en 1999, fiers nostalgiques de la belle époque, vous pourrez à nouveau l'acheter, flamboyante, en France, en Allemagne, en Italie... Et dire qu'elle a été conçue à la fin des années 30, alors que la France devait attendre près de quinze ans pour avoir sa toute petite réplique de voiture nationale, la 2CV, la “deux pattes”, ou la 4CV de Renault.

 

En premier lieu, soulignons dans cette édition une ambiguité éditoriale assez édifiante: Dix millions de coccinelles,  en page de titre est bien le véritable titre (car en 1968, date de la première publication du livre, seulement 10 millions de ces curieux véhicules ont été vendus); mais ce livre est à la fois non moins significativement sous-titré “l'épopée automobile du Troisième Reich” en “une” de couverture et aussi “l'épopée industrielle du Troisième Reich” en quatrième de couverture. Industrie, automobile, l'un ne va pas sans l'autre, sans l'automobile il n'y aurait pas eu d'épopée industrielle, ni de cocci­nelles, ni par conséquent le succès politique, économique et social fulgurant qu'a connu le Troisième Reich avant la guerre.

 

Pour ce qui est du contenu du livre proprement dit, les partisans de la pensée unique découvriront avec horreur que la voi­ture la plus populaire ayant jamais existé et qui, seule, soixante ans après sa conception, continue à rouler dans le monde entier, a été conçue grâce à la rencontre quasi miraculeuse d'un ingénieur autodidacte de génie Ferdinand Porsche et d'un homme politique un peu particulier, à savoir Adolf Hitler. Comme celui qui lui servira de cornac, Ferdinand Porsche était Autrichien: «c'étaient de toutes petites gens», nous dit Saint-Loup, «mais issus des profondeurs biologiquement intactes des races germaniques et ouverts à ce titre aux plus grandes ambitions créatrices».

 

Porsche  —«Cet homme qui manque totalement de culture, mais dont le cerveau, dans le domaine de la création, valait toutes les équipes de recherche d'une douzaine d'universités»—  est entouré d'ingénieurs exclusivement autrichiens. Et comme le constructeur Enzo Ferrari, qu'admirait également Saint-Loup, il travaille aussi en symbiose avec le monde ou­vrier et c'est bien sûr grâce aux grands projets étatiques qu'il vécut cette grande aventure industrielle, cette véritable chan­son de geste du vingtième siècle, tout de forges et d'enclumes.

 

Jusque dans la construction de la gigantesque ville-usine de 9000 habitants, Adolf Hitler fera confiance à un architecte de trente ans de petite taille, à l'allure de Wandervogel,  les cheveux dressés sur la tête, la chemise ouverte sur la poitrine, culottes en cuir, le visage ouvert, naturellement rieur et bien sûr lui aussi Autrichien! N'en déplaise aux sectateurs du grand métissage universel généralisé, la cohérence ethnique peut aussi donner de bons résultats, tout simplement parce que la cohésion de toute équipe humaine est plus forte quand on partage la même gouaille dialectale (la fameuse tétraglossie du linguiste Gobard!), quand on a aimé les mêmes paysages, connus les mêmes auberges ou les mêmes brasseries, les mêmes écoles et les mêmes bals!

 

Constatons également que des capitaines d'industrie de la sorte existent bel et bien dans cet univers du millénaire qui s'achève mais ceux-ci sont dans une impossibilité totale de s'exprimer et doivent par conséquent croupir dans des postes d'employés à cause d'une société jalonnée d'obstacles en diplômes, administrations, convenances sociales et autres, où, pour un être créatif, tout, absolument tout, est fait pour qu'il n'y parvienne jamais, ceci afin de préserver l'ordre établi, car où irait-t-on si des petits génies de la campagne bousculaient à tout bout de champ les cours en bourse avec leurs satanées in­ventions!

 

Sinon, au-delà de l'aventure extraordinaire des hommes, des expéditions pendant la guerre dans la version militaire de la “Cox”, c'est-à-dire la “Kübelwagen” et la vie quotidienne dans la ville païenne, Stadt des KDF-Wagens, privée d'église, mais surmontée d'une acropole du travail et de la joie, on sent confusément que l'écrivain éprouve un certain scepticisme par rapport à l'univers qui était en train de s'édifier dans la future Wolfsburg, sur les autoroutes du Reich et par cet engoue­ment généralisé pour les machines, les autos et le moteurs.

 

En effet, insistons tout de même sur une des idées-forces de ce récit: malgré l'aventure industrielle et étatique dont il est question ici, l'auteur n'oublie pas son idéal libertaire et écologiste, celui des “copains de la belle étoile”, de l'expérience du Contadour de Jean Giono et de son vieux maître, un des rares écrivains français authentiquement völkisch/folciste, au sens allemand du terme, Alphonse de Chateaubriant: il pense sans doute aux vieux idéaux de liberté germanique, lorsqu'il évoque les contrôleurs des firmes automobiles: «en manteau de cuir noir tombant jusqu'aux chevilles dans ce style mili­taire, qui, lentement et comme à regret, impose à l'Allemagne un nouveau visage...».

 

Et aussi un peu plus loin: «[...] c'est parce que les nationaux-socialistes détestent l'anarchie, prétendent donner un sens à l'histoire, contraindre l'homme à suivre une direction spirituellement et biologiquement préétablie, qu'on verra bientôt s'allonger les premiers fils de fer barbelés, les premiers miradors émerger au dessus des perspectives de sapins et terres grises, les premiers gardiens de camps s'opposer au chaos qui partout et toujours nait des grands bouleversements indus­triels, n'épargnant pas plus Wolfsburg que les autres coins d'Europe [...]».

 

Ainsi, un des axes centraux de ce roman à thèse, comme c'est toujours le cas avec Saint-Loup, est de nous faire prendre conscience des contradictions internes du régime national-socialiste, ballotté entre son désir de préserver les traditions, d'une part, et de sa facilité à céder à l'attraction des miroirs aux alouettes que tend la societé moderne, d'autre part, et qui reste finalement le grand débat qui mérite vraiment d'être tenu en cette fin de siècle. En effet, nous ne prenons pas de grands risques en disant que si le Troisième Reich avait gagné la guerre, les populations, vivant dans cette ville nouvelle et les autres qui, à coup sûr, se seraient multipliées, passé le premier enthousiasme procuré par la société de consommation, auraient souffert, elles aussi, inéluctablement, des pathologies de la civilisation, exactement comme les populations ac­tuelles des grandes villes occidentales. Or, coupé des liens du sol, il n'y a pas de salut. C'est seulement dans un cadre en­raciné que peuvent s'épanouir les hommes. La technique comme fin en soi est une horreur. L'enracinement et le lien avec la nature au sein d'une communauté sont indispensables pour l'équilibre psychologique des populations quel que soit leur sang.

 

Avec cette réalisation mirifique pour l'époque, le régime national-socialiste ne faisait qu'imiter  —avec une perfection supé­rieure toutefois—  le taylorisme américain (voir les usines Ford) ou le productivisme soviétique. Et une forme d'art natio­nal-socialiste a été produite par ce type de civilisation: la Stadt des KDF-Wagens était futuriste comme l'avaient préconisé les architectes des mouvements italiens et soviétiques de cette époque. Et en plus on l'a construite en détruisant une partie de la lande du Lüneburg, si chère à l'écrivain Hermann Löns.

 

Ainsi toute l'ambiguité de ce système apparaît dans sa praxis politique et dans sa difficulté à concilier tradition et modernité. Sur le plan politique, ce sont Albert Speer et Walther Darré qui s'opposent. Du coté du ministre de l'industrie et de la cons­truction, ce sont des réalisations architecturales grandioses, le futurisme des grandes avenues, la Stadt des KDF-Wagens, les automobiles et son corollaire d'industrie, de commerces et de pollution... Du coté du ministre de l'agriculture Darré, il s'agit du Hegehof, la ferme organique de conservation, la préservation de la diversité des espèces végétales et animales de la lande de Lüneburg, une vision de la société organique et écologique... Walther Darré étant peut-être un des premiers hommes politiques à vouloir transcrire dans la réalité sociale un discours écologiste. Il est bien évident qu'après sa démis­sion en mars 1942 par Hitler, les imperatifs industrialo-militaires du Reich en difficulté annihileront toute initiative concrète dans ce sens écologique. Et nous ne parlons même pas de l'après-guerre, où la reconstruction a pris le pas sur toutes autres considérations, a fortiori en matières d'urbanisme et d'écologie...

 

Quant à Saint-Loup, il tranche sans ambages ce débat en faveur des idées du sang et du sol, se rapprochant davantage de Darré que de Speer. Pour s'en convaincre nous ne reproduirons que deux courtes citations du livre: «Les ouvriers de cette usine composent déjà un de ces tableaux dont l'avenir va multiplier les versions: l'homme tombé dans la servitude des ma­chines qu'il a créées pour le meilleur et pour le pire!». Et il conclut son ouvrage de la sorte: «La coccinelle appartient dé­sormais à l'univers déshumanisé des moyens industriels et des techniques qui se suffit presque à lui-même... pour le meilleur ou pour le pire! Le pire fort probablement!».

 

Par cette démonstration littéraire souvent magistrale et au-delà de ce débat plus que jamais d'actualité, le jeune lecteur (et les autres aussi...), passionné par l'automobile, dans ce récit haletant mené sans aucun temps mort, découvrira la fidélité absolue du peuple allemand et des autres peuples de la Terre à cette petite auto toute en rondeurs, au-delà même de la dé­faite de son concepteur, et cette passionnante épopée lui rappelera que “là où il y a une volonté, il y a un chemin”.

 

Pascal GARNIER.

 

SAINT-LOUP, Dix millions de coccinelles, Ed. L'Æncre (12 rue de la Sourdière, F-75.001 Paris), 1996, 366p. + 8 p. de photos hors texte, 185 FF.

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