jeudi, 30 juillet 2009
Les Kafirs Kalash
Les Kafirs Kalash
La région autour de Chitral, dans la province frontalière du Nord-Ouest du Pakistan, nous offre des panoramas paradisiaques, des forêts riches en faune dans des vallées profondes entre des montagnes gigantesques et majestueuses. Les bipèdes humains de la région, il convient de s’en méfier: c’est là que Winston Churchill, jeune soldat et correspondant de guerre, écrivit son premier livre, “The Malakand Field Force” en 1897; les armées de la Reine Victoria y affrontaient l’Emir de Chitral et sa horde sauvage. La région est également célèbre pour son hashish de toute première qualité.
C’est là aussi que vivent encore deux mille Kafirs Kalash, terme qui signifie les “infidèles vêtus de noir”. Ce nom est dû aux vêtements masculins car les femmes y portent des étoffes très colorées. Ils honorent quelques dieux connus des védas indiennes, mais dont le culte est tombé en désuétude chez les Hindous. La principale de ces divinités est “Imra”, l’équivalent du sanskrit “Yama Rana” (ou “Roi Yama”), dieu des mortels et de la mort, dont le nom dérive d’une racine indo-européenne “*Jemo”, le “jumeau”. Cette divinité présente aussi un apparentement avec la figure mythologique perse “Yima” qui, premier mortel, est le père de l’humanité. Dans les panthéons indo-européens, nous trouvons également un “Ymir” vieux-norrois, géant primordial qui s’auto-sacrifia pour que les parties de son corps servent de composantes pour la construction du monde. Le dieu védique de l’assaut et des tempêtes, Indra, survit dans le culte des Kafirs Kalash, notamment sous l’appellation d’“Indotchik”, la foudre, et d’“Indrou”, l’arc-en-ciel. On chuchote aussi que leurs fêtes religieuses, à la tombée de la nuit, se terminent par des pratiques sexuelles de groupe, ce que d’aucuns qualifieront de typiquement “païen”.
Il y a une trentaine d’années, les Kafirs Kalash étaient bien plus nombreux, y compris leurs dieux, surtout grâce à l’isolement dont ils bénéficiaient, haut dans leurs montagnes. Le malheur les a frappés en 1979, l’année où éclata la guerre civile afghane qui entraîna l’intervention soviétique. De nombreux Afghans s’installèrent dans la région frontalière et y furent accueillis par les Deobandis pakistanais, les homologues locaux des Wahhabites saoudiens, les plus fanatiques des musulmans.
Rapt de femmes
Les nouveaux venus ont commencé par déboiser les vallées puis par occuper le territoire des Kafirs Kalash et, enfin, par enlever leurs femmes. Les Kalash sont de complexion plus claire que leurs voisins; les Européens qui ont voyagé au Pakistan ont souvent constaté que la peau blanche des hommes comme des femmes y est très appréciée sur le marché du sexe. Les parents des filles enlevées et mariées de force à un musulman ne pouvaient revoir leur enfant qu’après s’être convertis à l’islam. D’autres moyens de pression ont été utilisés pour les obliger à la conversion, notamment les prêts à taux usuraires, dont on pouvait se débarrasser à condition de subir la circoncision; ensuite, la discrimination dans l’octroi des moyens modernes de distribution d’eau et d’électricité, que le régime du Général Zia n’accordait qu’aux seuls musulmans. Les minorités religieuses au Pakistan subissent terreur et brimades de toutes sortes. La communauté kalash qui, contrairement aux chrétiens, ne bénéficie d’aucun appui international, était ainsi condamnée à disparaître. Dans les années 90, toutefois, les choses ont changé. Les voies carrossables et l’électricité avaient été installées: le gouvernement démocratique (mais qui ne le fut que brièvement) se rendit compte qu’il pouvait exploiter la région kalash sur le plan touristique, la population indigène servant d’attraction avec son folklore. Il n’y aurait pas un chat pour débourser de l’argent pour aller voir de près l’islam vivant de cette région mais, en revanche, pour assister aux prouesses chorégraphiques des derniers païens indo-européens, on sort les dollars de son portefeuille. Il faut désormais s’acquitter d’un droit de péage pour entrer sur le territoire des Kalash.
Le Yeti
Ensuite, il faut bien que le Pakistan ait quelques minorités religieuses, réduites à la taille d’un musée, pour faire croire qu’il respecte scrupuleusement les principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Dans les médias occidentaux, on trouvera toujours quelques bonnes âmes mercenaires pour relayer la propagande du gouvernement pakistanais qui cherche à démontrer la “tolérance islamique”. Une ONG grecque, motivée par le mythe qui veut que les Kalash descendent des soldats d’Alexandre le Grand, a même reçu l’autorisation d’ouvrir une école et une clinique là-bas. L’enquête la plus récente, relevant de ce que l’on appelle aujourd’hui l’“observation participante”, a été menée, chez les Kalash, par Jordi Magraner (1958-2002). Ce zoologue catalan était parti là-bas, au départ, pour chercher le yeti, la variante himalayenne du monstre du Loch Ness. Ou, pour être plus précis, y chercher le “bar-manou”, le “grand homme”, comme l’appelle la population locale. Si le terme “bar-manou” est une transformation maladroite de “barf-manou”, alors il faudrait traduire ce vocable par “l’homme des neiges”. Lorsque j’eus une conversation avec Magraner peu avant sa mort, il me prétendait qu’il y avait du vrai dans les récits indigènes relatifs au “bar-manou”, même si lui ne l’avait jamais vu. Quoi qu’il en soit, ses intérêts s’étaient portés vers cette curiosité anthropologique que sont les derniers païens indo-européens. Il avait entrepris un vol vers l’Europe pour rendre visite à sa famille et pour communiquer le fruit de ses recherches à l’occasion d’un congrès à Paris; en fait, Magraner était lui-même devenu un Kalash.
Il avait appris à parler les trois langues de la région de Chitral. Les motivations de certains humains sont sublimes: lorsqu’on parle, comme Magraner, l’espagnol, l’hindi et le chinois, trois langues seulement, on peut communiquer avec la moitié du monde. Malgré cela, cet homme exceptionnel a fait l’effort considérable d’apprendre trois langues pour converser avec deux milliers de personnes (et au départ, cet effort n’a été entrepris que pour les questionner sur ce qu’elles savaient du “bar-manou”!). Les Kalash lui avait offert une fiancée, pour sceller son intégration. Certes, il restait au bas de l’échelle sociale, avec une seule femme, les Kalash les plus haut placés, eux, ont plusieurs épouses. Malheureusement pour ce chercheur formidable, les islamistes ont appris son engagement pour les “idolâtres”. On retrouva son corps, la gorge tranchée, comme Theo Van Gogh. Selon ses dispositions testamentaires, il fut enterré sur place, selon le rite kalash.
“Moestasjrik” / “ ’t Pallieterke”.
(article paru dans “’t Pallieterke”, Anvers, 29 mars 2006; trad. franç.: Robert Steuckers).
00:05 Publié dans anthropologie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : pakistan, islam, paganisme, himalaya, indo-européens, ethnologie, kalash | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Votre article, comme tant d'autres, semble ignorer les importantes contributions scientifiques réalisées sur le peuple Kalash, bien avant l'arrivée de Jordi Magraner sur le terrain. Je vous donne pour référence l'un de nos trois ouvrages, récemment réédité : "Solstice païen" -Loude, Lièvre, Nègre - éd Findakly 2007, mais aussi "Le chamanisme des Kalash du Pakistan" des mêmes auteurs aux éditions du CNRS,PUL,ERC. Avec l'espoir de lire des articles mieux informés et plus éloignés des habituels poncifs et clichés au sujet des Kalash. Je vous remercie pour votre attention. Bien cordialement.
Jean-Yves Loude
Écrit par : Loude Jean-Yves | vendredi, 31 juillet 2009
Votre article, comme tant d'autres, semble ignorer les importantes contributions scientifiques réalisées sur le peuple Kalash, bien avant l'arrivée de Jordi Magraner sur le terrain. Je vous donne pour référence l'un de nos trois ouvrages, récemment réédité : "Solstice païen" -Loude, Lièvre, Nègre - éd Findakly 2007, mais aussi "Le chamanisme des Kalash du Pakistan" des mêmes auteurs aux éditions du CNRS,PUL,ERC. Avec l'espoir de lire des articles mieux informés et plus éloignés des habituels poncifs et clichés au sujet des Kalash. Je vous remercie pour votre attention. Bien cordialement.
Jean-Yves Loude
Écrit par : Loude Jean-Yves | vendredi, 31 juillet 2009
Merci, cher Monsieur, de cette précision bibliographique. L'auteur maîtrise à fond le néerlandais (sa langue maternelle), l'anglais, l'hindi et le chinois mais lit moins le français et sera ravi de connaître le livre de ses collègues du CNRS!
Écrit par : steuckers | lundi, 03 août 2009
Merci, cher Monsieur, de cette précision bibliographique. L'auteur maîtrise à fond le néerlandais (sa langue maternelle), l'anglais, l'hindi et le chinois mais lit moins le français et sera ravi de connaître le livre de ses collègues du CNRS!
Écrit par : steuckers | lundi, 03 août 2009
Jordi Magraner a été le premier et le seul a étudier en profondeur ce peuple kalash, à les connaitre et les comprendre, puisque qu'il vivait avec eux depuis de nombreuses années. En les protégeant avec son association GUESH il y a laissé sa vie. Il n'est pas le seul, certe, a y être allé mais ses recherches sont uniques et son intention n'était pas de les étudier pour en tirer qu'une simple biographie mais une protection de leur culture qui risque de disparaitre. Parmis tous ces gens du CNRS, Jordi Magraner est le seul a s'être investi d'une telle manière, par ses propres moyens et en risquant sa vie.
Écrit par : isabel | lundi, 18 janvier 2010
Puis-je republier cet article sur notre site fravahr.org ? Merci d'avance.
Écrit par : Babak Khandani | jeudi, 04 février 2010
Oui, vous pouvez rep^rendre cet article sur votre site!
Merci!
BD
Écrit par : Benoit Ducarme | vendredi, 05 février 2010
Oui, vous pouvez rep^rendre cet article sur votre site!
Merci!
BD
Écrit par : Benoit Ducarme | vendredi, 05 février 2010
Les commentaires sont fermés.