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jeudi, 02 novembre 2023

Apulée et la « reine du Ciel »

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Apulée et la « reine du Ciel »

Nicolas Bonnal

La royauté et la suprématie de la Femme dans le Graal ont toujours possédé une dimension ésotérique. Les origines païennes – au sens éminemment traditionnel du terme – sont bien établies et elles sont liées aux religions à mystères liées aux deux grandes déesses de l’Antiquité, Aphrodite-vénus et Cérès-Déméter. Aucun texte n’est plus instructif ni inspirateur que l’Âne d’or d’Apulée, dans lequel nos écrivains du Graal ont puisé à foison. C’est Evola qui nous a donné l’idée de nous y référer férocement (dans notre Chevalerie hyperboréenne), dans sa préface du Mythe du Graal.

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Voici comment Lucius apostrophe sa bien-aimée déesse, parée comme nos dames de toutes forces et vertus, déesse omniprésente à laquelle tous se réfèrent sans parfois le savoir. Le paganisme œcuménique s’en donne ici à cœur joie, à science profuse :

« Reine des cieux, qui que tu sois, bienfaisante Cérès, mère des moissons, inventrice du labourage, qui, joyeuse d’avoir retrouvé ta fille, instruisis l’homme à remplacer les sauvages banquets du vieux gland par une plus douce nourriture ; toi qui protèges les guérets d’Éleusis ; Vénus céleste, qui, dès les premiers jours du monde, donnas l’être à l’Amour pour faire cesser l’antagonisme des deux sexes, et perpétuer par la génération l’existence de la race humaine ; toi qui te plais à habiter le temple insulaire de Paphos, chaste sœur de Phébus, dont la secourable assistance au travail de l’enfantement a peuplé le vaste univers ; divinité qu’on adore dans le magnifique sanctuaire d’Éphèse ; redoutable Proserpine, au nocturne hurlement, qui, sous ta triple forme, tiens les ombres dans l’obéissance ; geôlière des prisons souterraines du globe ; toi qui parcours en souveraine tant de bois sacrés, divinité aux cent cultes divers, ô toi dont les pudiques rayons arpentent les murs de nos villes, et pénètrent d’une rosée féconde nos joyeux sillons ; qui nous consoles de l’absence du soleil en nous dispensant ta pâle lumière ; sous quelque nom, dans quelque rit, sous quelques traits qu’il faille t’invoquer, daigne m’assister dans ma détresse, affermis ma fortune chancelante. »

Ensuite la sage déesse révèle ses noms :

 « Dans les trois langues de Sicile, j’ai nom Proserpine Stygienne, Cérès Antique à Éleusis. Les uns m’invoquent sous celui de Junon, les autres sous celui de Bellone. Je suis Hécate ici, là je suis Rhamnusie. Mais les peuples d’Éthiopie, de l’Ariane et de l’antique et docte Égypte, contrées que le soleil favorise de ses rayons naissants, seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. »

Parmi ses attributs, on distingue vases et amphores – comme dans nos légendes du Graal :

« La déesse tenait dans ses mains différents attributs. Dans sa droite était un sistre (petit instrument) d’airain, dont la lame étroite et courbée en forme de baudrier était traversée de trois petites baguettes, qui, touchées d’un même coup, rendaient un tintement aigu. De sa main gauche pendait un vase d’or en forme de gondole, dont l’anse, à la partie saillante, était surmontée d’un aspic à la tête droite, au cou démesurément gonflé (…)

Ce dernier portait aussi du lait dans un petit vase d’or arrondi en forme de mamelle, et il en faisait des libations. Un cinquième était chargé d’un van d’or, rempli de petits rameaux du même métal. Enfin, un dernier marchait présentant une amphore. »

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On retrouve chez Apulée les miroirs omniprésents dans nos contes (ils accompagnent les cortèges de Vénus) et aussi le peigne de Guenièvre que recueille Lancelot, précieux talisman nimbé de cheveux d’or :

 « D’autres avaient suspendus sur le dos des miroirs tournés vers la déesse, afin qu’elle pût avoir la perspective du train dévot qui la suivait. Quelques-unes, tenant en main des peignes d’ivoire, simulaient, par les mouvements du bras et des doigts, des soins donnés à la royale chevelure. »

Revoyez Fort Apache de John Ford dans cette perspective, quand Shirley Temple mire par son miroir le train de cavaliers qui suit son carrosse.

Le peigne et le cheveu d’or se retrouvent chez Chrétien. C’est présent chez Homère. Eliade les analyse dans Méphistophélès et l’androgyne (Chant VIII de l’Iliade, sur la chaîne d’or de Zeus-Pater).

Apulée n’est pas sceptique (même crétinisme pour évoquer Omar Khayyâm) et il voit ce dont il parle (comme Chrétien ou Wolfram, quoiqu’en disent les commentateurs plus informés que les génies colporteurs de ces contes) :

« On voyait, en outre, un concours nombreux de personnes des deux sexes, munies de lanternes, de torches, de bougies et autres luminaires, par forme d’hommage symbolique au principe générateur des corps célestes. »

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La puissance vertigineuse du symbolisme dépasse alors toute représentation ; et comme le dit notre génial auteur antique :

« Un autre serrait dans ses bras fortunés l’effigie vénérable de la toute puissante déesse : effigie qui n’a rien de l’oiseau, ni du quadrupède domestique ou sauvage, et ne ressemble pas davantage à l’homme ; mais vénérable par son étrangeté même, et qui caractérise ingénieusement le mysticisme profond et le secret inviolable dont s’entoure cette religion auguste. L’or le plus brillant en compose la substance ; et quant à sa forme, la voici : c’est une petite urne à base circulaire, dont le galbe légèrement renflé développe à l’extérieur un de ces mythes propres aux Égyptiens. »

Le vessel (vase et vaisseau) du Graal est aussi présent ici. Nous avons vu les amphores, les urnes, l’or, les oiseaux, les mythes égyptiens. Voici la nef sacrée de Robert de Boron dotée du pin imputrescible (cher aussi à Ovide et au Locus Amoenus) et du cygne de Lohengrin !

« Le grand prêtre s’approche d’un vaisseau de construction merveilleuse, dont l’extérieur était peint sur toutes les faces de ces signes mystérieux adoptés par les Égyptiens ; il le purifie, dans les formes, avec une torche allumée, un œuf et du soufre ; et l’ayant ensuite nommé, il le consacre à la déesse. Sur la blanche voile du fortuné navire se lisaient des caractères, dont le sens était un vœu pour la prospérité du commerce maritime renaissant avec la saison nouvelle.

Le mât se dresse alors. C’était un pin d’une parfaite rondeur, du plus beau luisant, et d’une hauteur prodigieuse, dont la hune surtout attirait les regards. La poupe, au cou de cygne recourbé, était revêtue de lames étincelantes ; et la carène, construite entièrement de bois de citronnier du plus beau poli, faisait plaisir à voir. »

Apulée joue diligemment avec le symbolisme animaux-dragons, griffons hyperboréens :

« Je me montrais chamarré, sous tous les aspects de figures d’animaux de toutes couleurs. Ici, c’étaient les dragons de l’Inde ; là, les griffons hyperboréens, animaux d’un autre monde et pourvus d’ailes comme les oiseaux. Les prêtres donnent à ce vêtement le nom d’étole olympique. Ma main droite tenait une torche allumée ; mon front était ceint d’une belle couronne de palmier blanc, dont les feuilles dressées semblaient autant de rayons lumineux. »

C’est que dans le symbolisme les palmes signifient la récompense et l’initiation.

Puis Lucius se remet à prier sa Dame, pardon sa Déesse :

« Divinité sainte, source éternelle de salut, protectrice adorable des mortels, qui leur prodigues dans leurs maux l’affection d’une tendre mère ; pas un jour, pas une nuit, pas un moment ne s’écoule qui ne soit marqué par un de tes bienfaits. Sur la terre, sur la mer, toujours tu es là pour nous sauver ; pour nous tendre, au milieu des tourmentes de la vie, une main secourable ; pour débrouiller la trame inextricable des destins, calmer les tempêtes de la Fortune, et conjurer la maligne influence des constellations. »

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La machinerie cosmique nous est alors dévoilée. C’est que la souveraine du ciel fait fonctionner la terre :

« Vénérée dans le ciel, respectée aux enfers, par toi le globe tourne, le soleil éclaire, l’univers est régi, l’enfer contenu. À ta voix, les sphères se meuvent, les siècles se succèdent, les immortels se réjouissent, les éléments se coordonnent. »

Vénérée dans le Ciel. Apulée écrit en latin Regina Coeli, Reine du ciel des traditions chrétiennes.

La domination de la reine du monde s’applique au domaine aérien et à la terre :

 « Un signe de toi fait souffler les vents, gonfler les nuées, germer les semences, éclore les germes. Ta majesté est redoutable à l’oiseau volant dans les airs, à la bête sauvage errant sur les montagnes, au serpent caché dans le creux de la terre, au monstre marin plongeant dans l’abîme sans fond. »

Enfin un simple rappel : le chant des oiseaux accompagne naturellement la déesse de l’Amour et son train initiatique et sensuel. Ce char cosmique (voyez l’analyse de Guénon dans sa Science sacrée) est conçu comme le bouclier d’Enée par l’ignipotens Vulcain et il marque un enseignement profond. Les colombes sont ici les vahana (véhicules divins de la « mythologie » hindoue) de la déesse :

 « Cependant Vénus, qui a épuisé tous les moyens d’investigation sur terre, en va demander au ciel. Elle ordonne qu’on attelle son char d’or, œuvre merveilleuse de l’art de Vulcain, qui lui en avait fait hommage comme présent de noces. La riche matière a diminué sous l’action de la lime ; mais, en perdant de son poids, elle a doublé de prix. De l’escadron ailé qui roucoule près de la chambre de la déesse, se détachent quatre blanches colombes ; elles s’avancent en se rengorgeant, et viennent d’un air joyeux passer d’elles-mêmes leur cou chatoyant dans un joug brillant de pierreries. Leur maîtresse monte ; elles prennent gaiement leur vol ; une nuée de passereaux folâtres gazouillent autour du char. D’autres chantres des airs, au gosier suave, annoncent, par leurs doux accents, l’arrivée de la déesse. »

Lancés ? On vous laissera persévérer !

Bibliographie essentielle :

Apulée – L’Ane d’or (XI)

Bonnal – La chevalerie hyperboréenne et le Graal

Chrétien de Troyes – Le Chevalier de la charrette

Eliade – Méphistophélès et l’androgyne

Enéide – Chant VIII

Evola – Le Mythe du Graal

Guénon – Symboles Science sacrée, XL

Homère – L’Iliade

mercredi, 01 novembre 2023

Fêtes romaines en novembre

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Fêtes romaines en novembre

Source: https://www.romanoimpero.com/2016/11/novembre.html

Pour les Romains de la République, les jours réservés aux ludi étaient au nombre de 77; à l'époque impériale, ils étaient au nombre de 177: 101 jours comprenaient les ludi scéniques, 66 les ludi circenses et 10 les munera.

Sous l'empire, les Romains disposaient alors de 45 jours de feriae publicae et de 22 jours de fêtes uniques obligatoires. Ils avaient également 12 jours de ludi uniques et 103 de ludi regroupés sur plusieurs jours. En bref, près de la moitié de l'année était chômée.

Les fêtes romaines appelées "Feriae" étaient des jours de fête célébrés solennellement, car elles étaient normalement célébrées en l'honneur d'une divinité ou pour la dédicace d'un temple. Ces fêtes ont ensuite été abolies par l'édit de Thessalonique du 27 février 380, promulgué par l'empereur Théodose Ier, lorsque le christianisme est devenu la religion officielle de l'État et que tous les autres types de religion ont été abolis sous peine de mort et de confiscation des biens familiaux.

Novembre tire son nom du fait qu'il était le neuvième (novem) mois du calendrier de Romulus, et bien qu'il soit devenu le onzième mois, il a conservé son nom, qui est november en latin.

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1er novembre - EPOLUM IOVIS 

(Kalendis Novembribus), banquet sacré en l'honneur de Jupiter. Un banquet sacré pour une divinité, et pour cette raison le simulacre de celle-ci est placé près de la table dressée. La coutume du repas sacré remonte à la plus haute antiquité. À l'origine, il s'agissait de simples offrandes à la divinité, mais le roi Numa aurait ensuite dicté des dispositions précises, comme le rapporte Pline (N.H. 32, 10).

Selon Festus (Pollucere), on pouvait offrir à ces occasions: épeautre, polenta, vin, pain, figues sèches, viande de porc et de bœuf, d'agneau et de mouton, fromage, farine d'épeautre, sésame et huile, poisson à écailles, à l'exception du scaro.

Gellius se souvient d'un célèbre Epulum Iovis, au cours duquel Publius Cornelius Africanus et Tiberius Gracchus, assis l'un à côté de l'autre et divinement inspirés, devinrent amis alors qu'ils étaient auparavant des ennemis acharnés.

1er novembre - LUDI VICTORIAE SULLANAE

Fête instituée en mémoire de la victoire de Sulla à la Porta Collina (I novembre 82). Elles s'étendent du 27 octobre au 1er novembre. On y fait référence par l'épigraphe du préteur Sextus Nonius Sufenates qui, le premier, a fourni l'argent pour les Ludi susmentionnées : l(udos) V(ictoriae) p(rimus) f(ecit).

1er novembre - ISIA

Les festivités en l'honneur d'Isis se poursuivent. L'Inventio Osiridis commence, un spectacle sacré commémorant le meurtre du dieu par Seth, qui l'a enfermé dans un cercueil et l'a jeté dans la rivière. Commencent alors les lamentations d'Isis, que l'on appelle "la pleureuse".

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DEA EPONAE

2 novembre - EPONAE

Fête (ante diem quartum Nonas Novembres) en l'honneur d'Epona, la première déesse celte et plus tard romaine des chevaux et des mules.

Elle avait pour symbole la corne d'abondance, dispensatrice de cadeaux et de fertilité.

Elle était souvent représentée assise sur un trône avec des corbeilles de fruits sur les genoux. Les equites romains lui vouaient une grande dévotion.

3 novembre - HILARIA

(ante diem tertium Nonas Novembres) Ce culte très ancien avait lieu au cours du neuvième mois de l'année, car à l'époque, l'année ne comptait que 10 mois et commençait en mars. À l'époque républicaine, Valerius Maximus mentionne des jeux en l'honneur de la Mère des Dieux.

À l'époque impériale, Hérodien nous apprend qu'une longue et solennelle procession était organisée, au cours de laquelle une grande statue de la déesse était portée, devant laquelle étaient exposés des objets précieux et des œuvres d'art appartenant aux plus riches de la ville et à l'empereur lui-même. Des plaisanteries et des jeux étaient organisés lors de cette fête, avec une préférence pour la mascarade.

Chacun était autorisé à prendre l'identité et l'apparence de n'importe qui, même des membres de hautes fonctions publiques comme les magistrats. Les célébrations de l'Hilaria représentaient le dernier jour des festivités dédiées à Cybèle, la Sanguem.

Son culte a été introduit à Rome en 204 avant J.-C., lorsque la pierre noire symbolisant la déesse a été transférée de Pessinonte pour écarter le danger d'Hannibal, selon les conseils des Livres sibyllins. Elle fut placée sur l'autel de la Curie du Forum, puis dans un temple du Palatin construit en 191 avant J.-C. près de la maison de Romulus. La pierre noire était l'une des sept pignora imperii, c'est-à-dire l'un des objets qui garantissaient le pouvoir perpétuel de l'empire.

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4 novembre - LUDI PLEBEI

(pridie Nonas Novembres) Cette fête fut peut-être instituée pour célébrer la fin de la lutte entre patriciens et plébéiens ainsi que le retour de ces derniers dans la cité. Elle fut reconnue à partir de 216 av. J.C.

5 novembre - LUDI PLEBEI

(Nonis Novembribus) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens.

6 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem octavum Idus Novembres) Elles étaient organisées par les aediles plébéiens.

7 novembre - LUDI PLEBEI (suite)

7 novembre - MUNDUS PATET

(ante diem septimum Idus Novembres) Cette fête était également appelée Mondo Vasto. Un des trois jours où le mundus Cereris, la troisième fête des dieux du monde souterrain, était ouvert. Dans le Comitium, il y avait une ouverture qui communiquait avec le monde souterrain. L'ouverture était fermée par le lapis manalis.

Trois fois par an, le lapis était levé : le 24 août, le 5 octobre et le 8 novembre. Il s'agissait d'une fosse située dans le sanctuaire de Cérès et consacrée aux dieux Mani (mânes), de forme circulaire, creusée au centre de la ville à la jonction des axes du decumanus et du cardus.

La fosse restait fermée toute l'année, à l'exception des trois jours où le mundus patet, le mundus était ouvert. L'ouverture du mundus mettait en communication le monde des vivants et le monde des morts ; le rite d'ouverture du mundus avait un caractère chtonien avec aussi des valeurs agricoles, puisque Cérès non seulement faisait pousser les récoltes mais était aussi la gardienne des phénomènes telluriques et du monde souterrain des morts.

8 novembre - MUNDUS PATET - (ante diem sextum)

(ante diem sextum Idus Novembres) Le mundus relie l'extérieur de la Terre au monde souterrain et aux dieux du monde souterrain qui l'habitent. Dans le mundus patet, les âmes des morts pouvaient revenir dans le monde des vivants et se promener dans la ville. C'est le jour où les sorcières pratiquaient leurs rites.

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8 novembre - LUDI PLEBEI

Les Ludi Plebei se déroulaient au Cirque Flaminius, avec des représentations théâtrales (ludi scaenici) et des compétitions athlétiques. Elles étaient également présentées par des édiles plébéiens.

Le cirque Flaminius a été construit par le censeur plébéien Gaius Flaminius Nepos en 220 av. J.-C., et les premiers jeux ont peut-être été institués à partir de cette même année et pour toutes les années à venir, mais ils pourraient être encore plus anciens, Cicéron estimant qu'il s'agissait des plus anciens ludi de Rome.

Selon T. P. Wiseman, ils ont été créés par la plèbe dès les 5ème et 4ème siècles avant Jésus-Christ. Ils pouvaient être célébrés sans date sur le calendrier, puis ils ont été institutionnalisés. La fête de Jupiter (Epulum Iovis) est également célébrée à l'occasion de cet événement,

9 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem quintum Idus Novembres) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens. Tite-Live note que les ludi ont été répétés trois fois en 216 av. J.-C., en raison d'une erreur rituelle (vitium) qui a interrompu le bon déroulement.

10 novembre - LUDI PLEBEI 

(ante diem quartum Idus Novembres) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens. Une procession semblable aux Ludi romaines faisait également partie de cette fête.

51lgg54OuNL._SX195_.jpg11 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem tertium Idus Novembres) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens. Plaute a présenté pour la première fois sa comédie Stichus aux jeux plébéiens en 200 av. J.-C.

12 novembre - INVENTIO OSIRIDIS - (pridie Idus Novembres)

(pridie Idus Novembres) Jeu dans lequel Isis recherche les parties de son corps.

12 novembre - LUDI PLEBEI

Ces jeux étaient organisés par les édiles plébéiens.

13 novembre - INVENTIO OSIRIDIS

Isis trouve les morceaux (de corps) et enterre le corps de son mari.

13 novembre - LUDI PLEBEI

(Idibus Novembribus) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens. Un défilé de cavalerie avait lieu en même temps que les ludi.

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13 novembre - TEMPLUM FORTUNAE PRIMIGENIAE IN COLLE

Fête en l'honneur de la déesse Fortuna Primigenia in Colle, c'est-à-dire sur le Quirinalis.

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13 novembre - EPULUM IOVIS

Banquet sacré en l'honneur de Jupiter. On commémore la fondation du Templum Iovis au Capitole. Les triumvirs épulones organisent l'epulum, c'est-à-dire le banquet sacré célébré lors de la Ludi romaine et de la Ludi plébéienne.

Le collège des épulones a été créé en 196 av. Les dieux étaient invités officiellement, portant des statues dans de riches lits, garnis de coussins moelleux, appelés pulvinaria.

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13 novembre - TEMPLUM PIETATIS

Fête célébrée en l'honneur de la déesse Pietas, personnification du sentiment du devoir, de la religiosité et de l'amour. On commémore la dédicace du temple. Il y avait deux temples de Pietas, l'un dans la 9ème et l'autre dans la 11ème région de Rome.

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FERONIA

13 novembre - FERONIAE

Fête en l'honneur de la déesse Feronia, la Dame des Bêtes, protectrice des sources et des bois. Le sanctuaire le plus important, le Lucus Capenatis ou Feroniae, se trouvait dans la vallée du Tibre, près de Capena.

14 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem duodevicesimum Kalendas Decembres) Ils étaient organisés par les édiles plébéiens. Ils étaient contemporains des jeux du cirque (ludi circenses, principalement des courses de chars). Cependant, le Circus Flaminius n'avait pas de piste de course de chars, de sorte que, selon certains, ils devaient avoir lieu au Circus Maximus, mais cela est discuté.

14 novembre - INVENTIO OSIRIDIS - Résurrection d'Osiris et de son fils

Résurrection d'Osiris et son entrée solennelle dans le temple.

15 novembre - FERONIAE

(ante diem septimum decimum Kalendas Decembres) Fête en l'honneur de Feronia. Feronia, déesse de la fertilité, protectrice des bois et des récoltes, fêtée par les malades et les esclaves qui ont réussi à se libérer, honorée par les Romains et les Sabins, sur le territoire desquels se trouvait le Lucus Feroniae.

Parmi les lieux sacrés qui lui sont dédiés, on peut citer Scorano (hameau de Capena), où se trouve le Lucus Feroniae, Trebula Mutuesca (Monteleone Sabino), Terracina, Preneste (Palestrina), Etruria et la zone sacrée du Largo di Torre Argentina (Temple C) à Rome.

On dit qu'elle est la mère d'Erilus, un monstre à trois vies et trois corps, conçu avec le roi de Preneste, à qui sa mère avait donné trois corps et trois âmes.

Evandre, allié d'Enée, fils de Mercure et de la nymphe Carmenta, chef des Arcadiens d'Argos, arrivé sur la côte du Latium, est le deuxième peuple venu de Grèce après les Pélasgiens.

Évandre, fondateur de la ville de Pallas, sur le Palatin, tua trois fois Hérilus et lui dédia un autel, sous l'Aventin, près de la Porta Trigemina, également connue sous le nom de Porta Minucia.

15 novembre - LUDI PLEBEI

Elles étaient organisées par les édiles plébéiens.

16 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem sextum decimum Kalendas Decembres) Elles étaient organisées par les édiles plébéiens.

17 novembre - LUDI PLEBEI

(ante diem quintum decimum Kalendas Decembres) Cette fête a peut-être été institutée pour célébrer la fin de la lutte entre patriciens et plébéiens ainsi que le retour de ces derniers dans la cité. Plus que tout, il s'agissait de célébrer la plèbe pour ses droits acquis.

18 novembre - MERCATUS

(ante diem quartum decimum Kalendas Decembres) Fête célébrée à la fin des Ludi Plebei. Des marchés et des foires s'y tenaient certainement pour acheter ou vendre des marchandises.

19 novembre - MERCATUS - (ante diem tertium decimum Kalendas Decembres)

(ante diem tertium decimum Kalendas Decembres) Fête célébrée à la fin des Ludi Plebeii.

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19 novembre - LECTISTERNIA CIBELE - (en l'honneur du troisième décimale de Kalendas Decembres)

Banquet sacré en l'honneur de Cybèle.

20 novembre - MERCATUS - (ante diem duodeca)

(ante diem duodecimum Kalendas Decembres) Fête célébrée à la fin des Ludi Plebeii.

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22 novembre - PLUTONIS ET PROSERPINAE - (ante diem decimum Kalendas Decembres)

Fête célébrée à la fin des Ludi Plebeii (ante diem decimum Kalendas Decembres) en l'honneur des dieux de l'Hadès. Le culte de Proserpina à Rome a été introduit en même temps que celui de Dis Pater (Hadès) en 249 avant Jésus-Christ. D'abord considéré comme le dieu des richesses du monde souterrain, Dis Pater est devenu le dieu du monde souterrain et a été identifié à Pluton, l'équivalent d'Hadès.

Dis, ditis est un adjectif latin contracté de dives, divitis signifiant riche. Son nom signifie "le père des richesses". Pluton signifiait également riche en grec.

Les Ludi Tarentini étaient célébrées en leur honneur, du nom d'un lieu du champ de Mars, Tarentum, devenu par la suite Ludi séculaire, avec des sacrifices et des représentations théâtrales, pendant trois jours et trois nuits pour marquer la fin d'un saeculum (siècle) et le début du suivant (entre 100 et 110 ans).

Elles semblent remonter à 509 av. J.-C., mais les seules attestées dans la République romaine ont eu lieu vers 249 et 140 av. J.-C., sous Auguste, puis sous Claude en 47 pour célébrer le 800ème anniversaire de la fondation de Rome, ce qui donna lieu à une deuxième série de Jeux en 148 et 248, qui furent finalement abolis par les empereurs chrétiens.

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24 novembre - BRUMALIA

(ante diem octavum Kalendas Decembres) Fête en l'honneur de Saturne, Cérès et Bacchus, célébrée au solstice d'hiver (bruma) Brumalia était célébrée comme une période de repos pour les armées, les agriculteurs et les chasseurs, mais avait aussi un caractère chthonique associé aux récoltes, dont les graines étaient enterrées avant de germer.

Les agriculteurs sacrifiaient des porcs à Saturne et Cérès, tandis que les vignerons sacrifiaient des chèvres en l'honneur de Bacchus (les chèvres étant un danger pour les vignes), qui étaient ensuite dépecées pour en faire des sacoches, sur lesquelles ils sautaient. Les magistrats apportaient aux prêtres de Cérès les premiers fruits de la vigne, des oliviers, du blé et du miel. Il était d'usage d'échanger le vœu "Vives annos !", "Vivez de nombreuses années".

25 novembre - LUDI SARMATICI - (ante diem septimum)

(ante diem septimum Kalendas Decembres) Fête en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, duraient six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre. Elles ont été instituées par Constantin Ier. Elles étaient encore célébrées en 354 ( Chronographe de 354).

26 novembre - LES DAMES SARMATIQUES

(ante diem sestum Kalendas Decembres) Fête en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, duraient six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre.

27 novembre - LUDI SARMATICI - (ante diem quintum)

(ante diem quintum Kalendas Decembres) en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, a duré six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre.

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28 novembre - LUDI SARMATICI

(ante diem quartum Kalendas Decembres) en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, a duré six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre.

29 novembre - LUDI SARMATICI

(ante diem tertium Kalendas Decembres) en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, a duré six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre.

30 novembre - LUDI SARMATICI

Fête en l'honneur des victoires de Constantin Ier ou Constance II sur les Sarmates, dure six jours, du 25 au 30 novembre et le 1er décembre.

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30 novembre - DIANAE

(pridie Kalendas Decembres) Fête en l'honneur de Diane, déesse de la chasse, de la lune et du monde souterrain. Elle était appelée Diana Aricina près du lac Nemi, dans le maquis d'Aricia, où il y avait un célèbre temple en son honneur. Servius Tullius en érigea une en son honneur sur l'Aventin, protectrice des serviteurs et des esclaves.

Identifiée à l'Artémis grecque, elle était surnommée "Trivia", en référence à ses trois aspects de terre, de ciel et de monde souterrain.

Halloween - Mundus patet

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Halloween - Mundus patet

Source: https://www.romanoimpero.com/2012/10/halloween-mundus-patet.html

C'est une fête spécialement dédiée aux enfants, célébrée principalement aux États-Unis dans la nuit du 31 octobre, héritage de la religion celtique. Très répandue dans d'autres pays, elle est célébrée par des défilés costumés et par des enfants, souvent masqués de façon quelque peu effrayante, qui vont de maison en maison pour demander des friandises.

L'élément directeur de la fête est le symbolisme lié à l'occulte, au macabre et aux sorcières, avec leurs citrouilles sculptées et illuminées de manière si caractéristique. On dit qu'elle dérive d'anciens cultes celtiques, et il est vrai que ceux-ci ont existé, mais il y avait aussi des cultes indigènes originaux à Rome.

Les lois des divinités des morts sont saintes", ou "Deorum Manium iura sancta sunt", était l'une des lois romaines des XII Tables, qui sanctionnait le caractère sacré et l'importance des dieux de la mort : les Mani.

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Ovide décrit dans pas moins de six livres les fêtes du calendrier romain et le mois de février était pour les anciens Romains le mois consacré au souvenir des morts. Neuf jours étaient réservés à ce culte : ils s'étendaient du 13 au 21 février et consistaient en un cycle qui commençait par les Parentalia le 13 et se terminait par les Feralia le 21.

Les Feralia étaient appelées ainsi, comme l'atteste Ovide, parce que durant ces journées les vivants apportaient (en latin fero fers) des offrandes aux morts, d'où l'adjectif italien ferale, lié à la mort.

Les rites servaient à apaiser les esprits des morts envers les vivants, avec l'aide des dieux Mani. En effet, selon Varron, dans l'Antiquité, l'adjectif manus signifiait "bon" : les dieux Mani étaient donc bons et aidaient les vivants.

Pour Ovide, "ils se contentent de peu, les Mani, ils apprécient la dévotion plus que les riches cadeaux ; il n'y a pas de cupidité parmi les dieux qui se pressent sur les rives des fleuves infernaux. Il suffit d'une tuile de la maison, couverte d'une guirlande, de quelques grains de blé, d'une poignée de sel, d'un pain trempé dans le vin, de quelques violettes".

L'offrande votive peut également être déposée dans un bol, au milieu de la rue, mais avec des prières et des paroles appropriées. Les jours consacrés aux morts, il est interdit de contracter des mariages et les temples doivent être fermés, les autels dépourvus d'encens et les braseros éteints.

LE RITE ROMAIN

Festus, en accord avec Caton, explique que : "Mundo nomen impositum est ab eo mundo qui supra nos est", c'est-à-dire "le nom Mundus vient du monde qui est au-dessus de nous", niant ainsi le caractère profond et terrestre de mundus, parce qu'il faisait peur. Au contraire, le côté chtonien du monde invisible était beaucoup plus familier aux femmes, mais dans des temps plus reculés.

Le rite de commémoration des morts est en fait très ancien et préromain, et a survécu aux époques ultérieures, en particulier dans la Rome antique.

La période consacrée au souvenir et à la commémoration des morts n'était pas, comme aujourd'hui, le premier jour de novembre, mais durait une semaine entière en février, dernier mois du calendrier romain et mois de la purification.

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On croyait que les haricots noirs contenaient les larmes des morts ; selon Pythagore, ils cachaient même les âmes des morts en eux. Pour implorer la paix des morts, on les éparpillait sur les tombes et on les jetait derrière elles en disant: "avec ces fèves, je me rachète et je rachète mes proches".

À Rome, la tradition voulait que, le jour des morts, on prenne un repas près de la tombe d'un parent pour lui tenir compagnie. Une autre tradition romaine consistait en une évocatrice cérémonie de suffrage pour les âmes qui avaient trouvé la mort dans le Tibre. À la tombée de la nuit, les gens se rendaient sur les rives du fleuve à la lueur des torches et célébraient le rite.

LES MAINS ET LE MUNDUS

Le mundus Cereris (le monde de Cérès) appartient à la religion romaine archaïque d'origine étrusque.

 "Aucune ville étrusque ne s'est jamais développée au hasard, comme un enchevêtrement de plus en plus grand d'habitations humaines... la ville fondée selon des lois sacrées constituait... une minuscule cellule du Tout, harmonieusement insérée dans un ordre gouverné et déterminé par les dieux".

(W. Keller, La civiltà etrusca, Garzanti, Milan, 1981, p. 85).

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DÉTAIL DE L'ENTRÉE DU MUNDUS

Après avoir délimité un espace sacré au moyen de deux axes orthogonaux (donc disposés en forme de croix) que les Romains appelleront plus tard Cardus (axe Nord-Sud) et Decumanus (axe Est-Ouest), on creusait au point central une fosse qui servait de lien entre le monde des vivants et celui des morts ; celle-ci était ensuite recouverte de grandes dalles de pierre et, avec la "voûte céleste dont elle semblait être la contrepartie, on l'appelait mundus".

(W. Keller, Op. Cit., p. 85).

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Tout autour, des limites étaient ensuite tracées selon des rituels prescrits. Il s'agissait d'une fosse circulaire placée à la jonction des axes decumanus et cardus, dans le sanctuaire de Cérès et consacrée aux dieux Mani, la fosse était fermée toute l'année sauf trois jours où "mundus patet", c'est-à-dire le mundus est ouvert.

En effet, les 24 août, 5 octobre et 8 novembre, le mundus était ouvert, reliant le monde des vivants à celui des morts et aux dieux du monde souterrain qui l'habitent. Pendant ces trois jours, les âmes des morts pouvaient revenir dans le monde des vivants et parcourir la ville, à l'instar des fantômes, des squelettes et des citrouilles ricanantes qui apparaissent lors d'Halloween.

Selon un magistrat du 1er siècle après J.-C., Gaius Ateus Capiton, le Mundus était situé sur le Palatin, où les festivités du Mundus étaient célébrées, mais il n'existe aucune trace du rituel. Selon certains, un enfant y était descendu pour observer à quel niveau les rayons du soleil croisaient l'axe central spécialement placé, afin de pouvoir calculer les positions du soleil, mais cela est peu crédible, chercher les rayons du soleil dans une tranchée est improbable, d'autant que les Romains connaissaient le cadran solaire depuis l'Antiquité.

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Or, Plutarque utilise pour ce rite le terme Telete, terme grec réservé aux mystères sacrés, et en fait Déméter, qui à Rome s'appelait Cérès, et sa fille Proserpine (Perséphone) avaient à voir avec le monde des morts, où régnaient Hadès et Proserpine, c'est-à-dire Pluton et Perséphone. L'ouverture du mundus était un moment important mais dangereux, car, selon Macrobius, le mundus attirait les vivants dans le monde des morts, surtout pendant les combats et les batailles.

Donc, soit il y avait deux mundus, l'un sur le Comitium et l'autre sur le Palatin, soit Plutarque se trompait.

À l'époque, il était interdit de;

1) de livrer bataille (ou de commencer une guerre) ; en fait, Varron rapporte que les Romains "considéraient qu'il valait mieux aller se battre quand la bouche de Pluton était fermée".

2) de procéder à la conscription ;

3) de prendre femme

4) et les portes des temples restaient fermées.

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PORTE DU MUNDUS (sarcophage romain)

LES ORIGINES DU MUNDUS

Plutarque

Racontant la fondation de Rome, Plutarque rapporte que Romulus convoqua quelques Étrusques à Rome pour apprendre la procédure sacrée de fondation de la ville.

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Il creusa ensuite une fosse circulaire "à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui le Comitium", comme le rapporte encore Plutarque, et y jeta les prémices de tout ce qui existait. Les partisans de Romulus, à leur tour, y jetèrent une poignée de terre de leur patrie. Cette fosse était appelée "mundus" par les Romains, le même terme que pour l'Olympe.

Plutarque affirme que le mundus était le centre du sillon circulaire tracé autour de la fosse avec une charrue, tirée par un bœuf attelé et une vache ; ce sillon représentait le périmètre des murs de la ville.

Au fur et à mesure que la charrue avançait, les compagnons de Romulus la suivaient, ramassant les mottes de terre qui se détachaient et les jetant à l'intérieur du chemin. Lorsqu'ils arrivaient à l'endroit où aurait dû se trouver la porte, ils soulevaient la charrue et laissaient un espace non marqué par le sillon : c'est la raison pour laquelle les murs sont sacrés, mais pas les portes.

Encore une fois, pour Plutarque, le cornouiller sacré poussait à côté du mundus, né après que Romulus eut jeté un poteau de l'Aventin si profond que personne ne put l'en retirer.  (Ne ressemble-t-il pas effrontément à l'épée dans la pierre que seul Arthur, le vrai roi, peut dégainer ? Qui a copié qui ? Certainement pas le premier. Seulement ici, personne ne dégaine la hampe, aussi parce qu'elle n'a pas de fourreau, et que c'est le vrai roi qui l'enfonce dans le sol).

Le sol était si fertile à l'endroit où il s'était planté que le cornouiller produisit des pousses, puis une grande plante. Cet arbre devint sacré pour les Romains et fut gardé par leurs successeurs comme l'une des reliques les plus sacrées, qu'ils protégèrent par un mur.

Plutarque semble croire que le mundus situé dans le Forum dans la zone du Comitium était la fosse de fondation de Rome, bien que de nombreuses sources indiquent le Palatin, dans la zone devant le temple d'Apollon, comme l'endroit où Romulus a fondé la Rome carrée des origines.

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CANAL INTERNE DANS LE MUNDUS

Ovide

Pour Plutarque, le site de fondation est donc le Comitium dans le Forum, mais pour Ovide, et pour de nombreuses autres sources, c'est le Palatin.

Ovide confirme qu'après la prise des auspices sur le Palatin, une fosse a été creusée pour la fondation, dans laquelle ont été jetés non pas des prémices de quelque nature que ce soit, mais des fruges (récoltes, cultures). La fosse était si profonde qu'elle atteignait le rocher en contrebas, puis elle était comblée par un autel qui représentait le "novus focus".

Les céréales, les fruits qui, selon Ovide, sont déposés dans la fosse, se rapportent sans aucun doute à Cérès. Il existait un lien entre Cérès et le monde des morts, soit en tant que déesse de la croissance, soit en tant que Déméter. Dans le premier cas, le lien avec les morts proviendrait de sa nature chthonique, dans le second, il y a l'enlèvement de Perséphone qui disparaît dans le monde souterrain et sa recherche par Déméter jusqu'au monde souterrain.

Autres auteurs

Ainsi, selon Ovide, le mundus n'est pas un espace vide comme le raconte Plutarque, et d'autres auteurs comme Varron, Festus et Macrobe ne mentionnent pas le mundus comme le puits de fondation de Rome, pour eux il s'agit du mundus Cereris, la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts, d'où les âmes des Mani sortiraient parfois pour entrer chez les vivants et qui parfois, à des dates précises, s'ouvrirait, facilitant la descente des vivants parmi les morts.

Festus écrit : mundus appellatur coelum, terra, mare et aer.

Mais le mot mundus désigne aussi un lieu souterrain, au plafond voûté ressemblant à la voûte céleste, dédié aux dieux Mani et donc normalement fermé, ouvert seulement trois fois par an à des dates précises.

Selon Gaius Atheus Capito, dans le 7ème livre pontifical, elle est ouverte trois fois par an: après la fête de Volcanalia (24 août), trois jours avant les Neuf jours d'octobre (5 octobre) et six jours avant les Ides de novembre (8 novembre).

Caton, dans ses commentaires sur le droit civil, explique :

"On l'a appelé un monde semblable à celui qui est au-dessus de nos têtes: j'ai appris de ceux qui y sont entrés que sa forme lui ressemble. Nos anciens pensaient que le mundus qui se trouve sous la terre devait être consacré aux dieux Mani et devait toujours rester fermé, sauf les jours indiqués ci-dessus. Notre peuple considérait également ces jours comme des jours "religieux", et il a donc décidé que les jours où, pour ainsi dire, les profonds secrets de la religion des Dieux Mani étaient mis en lumière et rendus manifestes, aucune activité publique ne devait avoir lieu. Par conséquent, ces jours-là, on n'amorçait pas la bataille contre l'ennemi, on ne recrutait pas de soldats, on n'organisait pas de rassemblements, on ne faisait rien d'autre que ce qui était strictement nécessaire".

Il est interdit de commencer une bataille pendant la fête de Jupiter latin, c'est-à-dire pendant les fêtes latines solennelles, les jours des Saturnales et lorsque le Mundus patet (le mundus s'ouvre): les jours des fêtes latines parce qu'une trêve a été signée entre les peuples romain et latin ces jours-là, les jours des Saturnales, parce que l'on sait que Saturne a régné en paix, lorsque le Mundus patet, parce que cette fête est consacrée à Dieu le Père et à Proserpine.

On considérait qu'il valait mieux partir au combat lorsque la porte de Pluton était fermée. C'est pourquoi Varron écrit : lorsque le mundus patet, la porte des tristes dieux du monde souterrain s'ouvre pour ainsi dire, c'est une impiété non seulement de commencer la bataille, mais aussi de procéder à la conscription militaire, de faire partir les soldats ou naviguer les navires, de s'unir aux femmes pour avoir des enfants.

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Carandini pense que sur Cermalus, dans la zone située devant le futur temple de la Victoire, on peut identifier, sinon la fosse de fondation de la ville, le lieu qui, aux yeux des Romains, la représentait: il s'agissait d'une tombe, réutilisée plus tard à d'autres fins, sur laquelle un autel avait été construit.

Cet autel jouissait d'un tel respect et d'une telle considération qu'il n'a jamais été touché par les changements urbains au cours des siècles et qu'il est toujours considéré comme le fameux Mundus.

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ENTRÉE DU MUNDUS SUR LE FORUM ROMAIN

LAPIS MANALIS

Festus rapporte que les Romains croyaient que le lapis manalis était la porte de l'Orcus, par laquelle les divinités du monde souterrain, appelées Mani, pénétraient dans le monde des vivants. L'Orque est ensuite devenu le monstre maléfique qui mange les enfants s'ils font des crises de colère, et avec lequel les adultes trop sévères les effraient.

Une pierre placée à l'extérieur de la porte de Capena, près du temple de Mars, était également appelée lapis manalis.

En cas de sécheresse, la pierre était apportée dans la ville et faisait immédiatement pleuvoir.

Sur la base de la définition de Festus, nous comprenons que le lapis manalis qui provoquait la pluie n'avait rien à voir avec le lapis manalis qui fermait l'accès au mundus, et nous pouvons en outre supposer que l'ouverture du mundus ne devait pas être plus grande que la bouche d'un puits, s'il pouvait être fermé par un couvercle de pierre facilement amovible.

Selon Servius (Aen. 3, 134): certains pensent que les dieux supérieurs sont propriétaires des foyers, les dieux intermédiaires et marins des foyers, et le mundus des dieux du monde souterrain, et c'est peut-être vrai.

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LA LEMURIA

Le jour culminant de la Lémurie, le 13 mai 609 ou 610, le pape Boniface IV consacra le Panthéon de Rome à la Sainte Vierge et à tous les martyrs, et la fête de cette dedicatio Sanctae Mariae ad Martyres a été célébrée à Rome depuis lors. Selon les historiens, cette coutume a été christianisée dans la fête de la Toussaint, auparavant fixée au 13 mai, afin d'oublier la Lémurie romaine.

Au 8ème siècle, la fête de la Toussaint a été déplacée au 1er novembre, pour coïncider avec la fête celtique des esprits de Samhain, afin qu'elle soit également oubliée.

Le pape Grégoire III (731-741) consacra une chapelle de la basilique Saint-Pierre à tous les saints et en fixa l'anniversaire. En 998, Odilo, abbé de Cluny, ajouta le 2 novembre au calendrier chrétien comme date de commémoration des défunts. Les fêtes païennes sont donc mortes et enterrées.

Mais qu'est-ce que les Lemuria, ou Lemuralia ?

Dans la Rome antique, les Cerealia étaient célébrées le 4 mai en l'honneur de Cérès, puis les 9, 11 et 13 mai, les fêtes des esprits, les Lemuria, étaient célébrées en silence et la nuit.

On y offrait des haricots aux morts et les Vestales préparaient une salsa de mola avec les premières céréales de la saison. Selon Ovide, cette fête est dérivée d'une Remuria Lemuria instituée par Romulus pour apaiser l'esprit de Remus, donc d'une personne décédée.

Ovide note qu'il y avait une coutume à cette fête qui consistait à éloigner les mauvais esprits en marchant pieds nus et en jetant des haricots noirs par-dessus son épaule pendant la nuit. C'est le chef de famille qui se levait à minuit et marchait pieds nus dans la maison en lançant des haricots noirs et en répétant neuf fois : "Envoyez ces haricots, avec ces haricots, rachetez-moi et ce qui m'appartient". La famille battait ensuite des pots de bronze en répétant neuf fois : "Fantômes de mes pères et de mes ancêtres, ils sont partis !".

Question : Mais qu'est-ce qui avait été envoyé, c'est-à-dire qui était parti, ce qui équivaut en latin à "Itum est" ?

Réponse : La même chose que le prêtre envoie à la fin de la Messe, et que l'on dit aussi : "Ita est", c'est-à-dire a été envoyé.

Q : Et qu'est-ce qui a été envoyé ?

R : Une entité invisible, nous sommes dans le domaine de la magie.

Q : Mais si le Mundus était si dangereux, pourquoi a-t-il été ouvert ces trois jours ?

R : Pour le savoir, il faut remonter encore plus loin dans le temps, lorsque Cérès était une Grande Mère, pas encore identifiée à la Déméter grecque.

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MUNDUS PATET

CERES LA GRANDE MERE

Comme toutes les grandes déesses, elle avait un aspect terrestre lié à la naissance et à la croissance des plantes, en l'occurrence des cultures (mais aussi des animaux et des humains), et un aspect chtonique, en tant que déesse de la mort et du monde souterrain. Ainsi, les fèves, comme les haricots, étaient des gousses qui cachaient une graine plus importante que sa coquille. L'homme était donc la gousse de l'âme, dont la graine peut être replantée pour une nouvelle vie.

Q : Une réincarnation ?

R : Quelque chose de très similaire.

Le monde visible avait donc besoin de puiser de l'énergie dans le monde invisible, le mundus, dont le contact était vivifiant pour certains et terrifiant pour d'autres. A une époque, ce sont les prêtresses de Cérès qui entraient en contact avec le mundus, puis ce sont les prêtres romains qui le faisaient, mais comme la magie était désormais redoutée, l'effet était plutôt atténué.

Ainsi, durant ces trois jours, les prêtresses puis les sorcières, c'est-à-dire les prêtresses d'un culte privé non reconnu par l'Etat, les sorcières attiraient donc les esprits des morts, appelés Lémures, en leur offrant des cadeaux, notamment des friandises, afin qu'ils ne leur jouent pas de mauvais tours, en d'autres termes, trick or treat.

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Le terme cerritus signifie en fait "envahi par l'esprit de Cérès", car ses prêtresses étaient "possédées" (comme le terme analogue larvatus), de la déesse en tant que mater larvarum ("mère des spectres"). La déesse Laverna était également appelée mater larvarum, d'où son nom.

À Rome, près de la zone du Comitium, à proximité de l'extrémité nord-est de la Rostra, se trouve l'Umbiliculus Urbis Romae, l'Ombelic de la ville de Rome, le lieu où, par définition, le ciel a été réuni à la terre et Rome à l'univers.

C'est ici que les Romains célébraient le 24 août l'ouverture du Mundus (Mundus patet) à l'époque archaïque, immédiatement après la fête des Volcanalia (23 août) et avant celle de l'Opiconsivia (25 août).

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Le Mundus était un édifice souterrain au sol semi-circulaire, une fosse archaïque creusée dans le sol, d'abord à nu puis pavée, qui permettait d'entrer en contact avec les divinités du monde souterrain auxquelles on offrait des sacrifices et des cadeaux : fruits de la terre, restes de sacrifices, formules tracées sur des tablettes d'argile. La fosse était ensuite recouverte du lapis manalis, la pierre sacrée des dieux Mani ou Lari, divinités qui représentaient également les esprits des ancêtres et protégeaient la ville et ses habitants.

Il semble que la fosse ait été remplacée par la suite par un autel que l'on enterrait et que l'on découvrait à nouveau en enlevant la terre à chaque cérémonie. Il est clair que le rituel le plus ancien était lié à la consultation des esprits ou de la déesse du monde souterrain.

Le Mundus a été creusé par Romulus en même temps que la fondation de l'Urbs : "Dans la fosse, les gens rassemblés par Romulus pour former le peuple romain jetèrent chacun une poignée de leur terre natale et les prémices de tout ce que, chacun selon sa propre culture, il considérait comme bon ou nécessaire".

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Plutarque désigne le rite lié au Mundus comme Telete, un mot grec faisant référence aux mystères initiatiques, liés à Déméter, ou Cérès romaine, et à Perséphone, ou Proserpine romaine. La déesse de la mort vole la vie, d'où son nom de déesse voleuse, et récolte la vie, d'où son nom de déesse de la moisson.

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LES DIEUX LARES

Chez les Romains, les Larves ou Maniae étaient les esprits des morts qui étaient mauvais de leur vivant. Même dans la mort, ils tourmentaient les vivants et les morts en s'opposant aux Lares (Larves), qui étaient au contraire des esprits bienveillants.

Leur apparence était terrifiante, ressemblant à des squelettes (nudis ossibus) et à des démons écorchés ; ils avaient l'habitude de déclencher la folie chez les vivants, qui ne pouvaient les chasser que par des expiations et des lustrations.

Ce n'est pas un hasard si les embryons de certaines espèces qui deviendront adultes à la suite d'une ou plusieurs métamorphoses sont appelés larves (qui signifie masques en latin), en référence à la transformation entre la vie et la mort.

Et ce n'est pas un hasard si le mot manie est utilisé pour désigner un état psychique altéré impliquant à la fois des obsessions et une alternance d'exaltation et de dépression.

On croyait que les larves et la manie pouvaient nuire aux vivants, les premières aspirant l'énergie et la seconde provoquant des déséquilibres mentaux.

Dans certains souvenirs anciens de certaines croyances religieuses, les "maniaques morts" ou larves étaient mentionnés dans le sol italique, surtout en Campanie mais aussi ailleurs, correspondant aux sensations, surtout au moment du réveil le matin, d'avoir été touché ou au moins approché par une présence humaine invisible. On croyait qu'il s'agissait d'âmes de défunts errants qui pouvaient transmettre quelque chose, que ce soit une nouvelle importante ou un mal, d'où leur aspect inquiétant.

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MUNDUS PATET

DIANA

Lorsque le christianisme a éclipsé les cultes païens, le culte de Diane, celle qui enseignait les herbes curatives, qui protégeait les forêts et surtout qui enseignait la magie, est resté secret sur le sol italique, surtout dans les campagnes. Elle a toujours été une Grande Mère, qui protégeait et enseignait aux femmes. C'est pour cela que l'Église a amené les sorcières au bûcher, parce qu'il y avait un noyau dur qui résistait au christianisme, parce que les chrétiens croyaient, mais que les sorcières savaient, et que savoir est beaucoup plus puissant que croire.

Le culte du monde souterrain est ensuite passé dans l'obscurité de la nuit et de l'hiver, de mai à fin octobre début novembre. Les sorcières plaçaient des friandises et des boissons pour les esprits dans le trivium, afin de communiquer avec eux et de leur soutirer non seulement de l'énergie, mais surtout des prophéties.

Diane était Trina, comme toutes les Grandes Mères, la plus ancienne statuette d'argile cuite représentant la déesse tricéphale sur un seul corps date d'au moins 30.000 ans, et était triviale pour ses trois facultés de donner la vie, de l'augmenter et d'apporter la mort.

Bref, comme la nature, seuls les anciens pensaient que derrière la nature visible se cachait une nature invisible, appelée en latin Natura Naturata et Natura Naturans, dont les images devinrent plus tard Mater Matuta et Mamma Mammosa.

Le terme Trina a donné naissance à la Sainte Trinité de l'Église catholique, adoptée pour un Père, un Fils et un Saint-Esprit, qui, n'ayant pas de sens, a été déclarée Mystère et donc inexplicable pour l'homme. La Sainte Trinité de la Grande Mère, en revanche, était explicable et sans mystère.

Or Diana, en tant que Trina, avait le pouvoir sur les quadrivii, où précisément les prêtresses, ou sorcières, plaçaient des friandises pour attirer les morts, un peu comme le fit Ulysse, puis Énée, mais pour l'Église, cela devenait un péché et de la sorcellerie.

Le Mundus Patet passait donc à la fin du mois d'octobre, lorsque les travaux des champs étaient terminés et que l'arrosage des potagers cessait, bref, lorsque la campagne devenait déserte. Le jour, ou plutôt la nuit, choisi étant la veille du 1er novembre, l'Église proclama la fête de tous les saints le 1er novembre, mais comme on continuait à chercher les morts dans le quadrivium et les cimetières, elle proclama la fête des morts le lendemain, c'est-à-dire le 2 novembre, afin que le culte passe du quadrivium et des cimetières à l'église.

C'est ainsi que disparut la dernière possibilité de prophétie, remplacée au 19ème siècle par un spiritisme sordide, dépourvu de la conscience profonde et du cheminement spirituel des prêtresses, de sorte que les souhaits inconscients du médium remplaçaient presque toujours la voix des morts.

Aujourd'hui, l'Eglise catholique est très agacée par la résurgence de la fête païenne d'Halloween, déplorant l'adoption de fêtes démoniaques, et américaines d'ailleurs, aussi païennes. Mais le Mundus Patet était chez lui à Rome et les lois romaines autorisaient la magie dans les cimetières ou ailleurs, à condition qu'elle ne se fasse pas au détriment d'autrui.

Le Mundus Patet ferait encore peur aujourd'hui, car nous avons perdu ce caractère païen et sobre des anciens Romains qui faisait de Rome un Caput Mundi et un phare absolu de la civilisation.

BIBLIOGRAPHIE:

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- Ferdinando Castagnoli - Les origines et le développement du culte des Pénates à Rome - Rome - École Française de Rome - 1989 -

- John Scheid - La religion à Rome - Roma-Bari - 1983 -

- W. Keller - La civilisation étrusque - Garzanti - Milan - 1981 -

- Lucius Caecilius Firmianus Lactantius - De mortibus persecutorum - XXVI -

- Renato Del Ponte - Les Lari dans le système spatio-temporel romain - in Arthos - vol. 6 - n° 10 - 2002 -

- J. Eckhel - Doctrina numorum veterum - IV - Vienne - 1794 –

mardi, 31 octobre 2023

Toussaint, Samhain, Halloween

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Toussaint, Samhain, Halloween

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/ognissanti-samahin-halloween/

C'est toujours la même vieille querelle... que célébrons-nous, si l'on peut vraiment parler de fête, dans la nuit du 31 octobre ?

La Toussaint, une fête catholique, autrefois importante. Fondamentale même, puisque, entre autres, Manzoni lui-même lui a consacré l'un de ses Hymnes sacrés. Ce qui aurait dû en faire douze, bien qu'il n'ait jamais achevé l'œuvre.

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Douze. Les douze fêtes qui, dans le calendrier romain, représentent les axes de communication entre le temps de l'homme et le temps de Dieu. Les moments de l'année où le temps ordinaire est suspendu et où le temps cosmique est vécu. Conceptualisation propre à la philosophie grecque : Kronos armé d'une faux. Qui tout consomme, érode, tue. Kronos dont l'étymon rappelle le Corbeau. Qui se nourrit de cadavres.

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Et Aiòn. Le plan de la durée. En fait de la perpétuité. Où il n'y a ni passé ni futur. Seulement un présent perpétuel. L'être. Qui ne devient pas parce qu'il est.

Parménide, pour simplifier.

C'est à cela que servait et devrait servir la liturgie, le temps liturgique. Faire entrer le temps cosmique dans le temps ordinaire. Le purifier. Comme les rivières qu'Héraclès détourne pour nettoyer les écuries d'Augias.

Samhain est une fête encore plus ancienne. D'origine celtique, certes. Mais elle trouve des correspondances dans la tradition romaine et dans celles d'autres peuples et cultures.

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Elle était célébrée quarante jours après l'équinoxe. À ce moment-là, le déclin du soleil vers les royaumes souterrains est évident et clair. Les ombres s'allongent sur la terre.

Les portes entre les royaumes des vivants et des morts sont grandes ouvertes. Et les défunts venaient rendre visite à leurs descendants.

Un lien profond, signifiant la tradition d'une famille. D'un clan. D'un peuple entier.

Les rites évoqués et détournés. Car les esprits bienveillants étaient invités à la table. Et éviter les esprits hostiles. Les citrouilles d'Halloween - elles aussi issues d'une tradition vénitienne - conservent un élément de cette fonction. Apotropaïque.

Et nous en arrivons à Halloween. Elle n'est rien d'autre que la synthèse de deux fêtes. Celle, païenne, de Samhain, et celle, chrétienne, de la Toussaint.

Mais c'est une synthèse corrompue. Inévitablement, puisque le sens du Sacré, autrefois très vivant chez les uns et les autres, a été totalement perdu. Et consciemment.

Et il est vrai que Halloween n'est plus aujourd'hui qu'une sorte de carnaval macabre. Une mascarade américaine, disent beaucoup, et non sans raison. Où, au mieux, l'on peut faire plaisir aux enfants. Certainement pas la gaieté forcée des adultes, qui poursuivent des fantasmes transgressifs de bas étage.

Et il s'agit avant tout d'un festival commercial. Exploité pour des raisons économiques. Au fond, c'est assez triste.

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Mais la faute, excusez-moi, n'est pas à Halloween, ni aux fêtards qui imitent leurs homologues américains.

La faute en revient à ceux qui auraient dû préserver le sens sacré de cette fête.

Et qui n'ont pas su le faire. Parce qu'ils n'étaient même plus capables de concevoir le sacré.

C'est ainsi que la fête a été affaiblie par des intérêts économiques, par des pulsions érotiques plus ou moins prudes et déformées. Par des ambitions et des fantasmes morbides.

Lorsque l'on touche (ne serait-ce que) à la sphère du Sacré, il faut garder à l'esprit une réalité précise. Et une règle.

Il n'y a pas de récipients vides que l'on peut abandonner dans le dépotoir des vieilles croyances et de la foi.

Si vous oubliez le sens de quelque chose, d'une fête, d'un rituel, il ne disparaît pas, car il ne vous appartient pas. Il existe en lui-même et continue d'exister. Seulement, il y a immédiatement quelque chose qui vient combler le vide que vous avez laissé.

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Et ce quelque chose est, au mieux, de l'eau sale.

Pas d'anathème donc contre les célébrations d'Halloween. Parce que, même si c'est de manière puérile, voire sordide, elles servent à nous rappeler une chose.

Ce que nous avons perdu. Ou plutôt ce que nous avons, avec culpabilité, abdiqué.

Et maintenant, excusez-moi... je dois préparer le panier de bonbons pour les petits fantômes, sorcières, petits diables qui viendront frapper à ma porte.

Des bonbons ou l'on me jettera un sort...

18:05 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toussaint, samhain, halloween, traditions, paganisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 03 juillet 2023

Friedrich Georg Jünger et les mythes grecs: Apollon, Pan et Dionysos

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Friedrich Georg Jünger et les mythes grecs: Apollon, Pan et Dionysos

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/friedrich-gerog-junger-e-i-miti-greci-apollo-pan-e-dioniso-giovanni-sessa/

Un texte vient de sortir en librairie qui non seulement nous permet de saisir la grandeur spéculative et littéraire d'une des figures "secrètes", apparemment marginales, de la culture du 20ème siècle, mais qui nous confronte aussi à la pauvreté de notre temps, au "désastre" de la modernité, à l'isolement atomistique de l'homme face au cosmos. Nous nous référons au volume de Friedrich Georg Jünger, frère d'Ernst, plus connu, Apollo, Pan, Dionisio, publié par les éditions Le Lettere et édité par Mario Bosincu, germaniste à l'Université de Sassari (pp. 283, euro 18.00). En 1943, un petit opuscule a été publié sous le même titre, que l'auteur a fait suivre d'un essai intitulé I Titani (= Les Titans) en 1944. En 1947, les deux livres, auxquels ont été ajoutés deux chapitres consacrés aux Héros et à Pindare, ont été rassemblés dans le volume Mythes grecs. L'édition italienne que nous présentons est une traduction de ce livre. On doit à Bosincu une rédaction impeccable.

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Ces pages représentent "l'un des trésors de ce continent submergé qu'est la littérature de l'émigration intérieure [...] dont les représentants sont restés dans l'Allemagne nazie, vivant comme des "exilés" dans leur patrie" (pp. 8-9). En effet, sous la République de Weimar, Friedrich Georg, avec son ouvrage Aufmarsch des Nationalismus, s'était fixé comme objectif de "faire de ses lecteurs [...] un nouveau sujet (de l'histoire) qui pourrait transformer la jeune république en une communitas totalitaire" (p. 110). Il participe ainsi au mouvement culturel hétérogène et vivant des intellectuels révolutionnaires-conservateurs, dont les idéaux ont été trahis par le national-socialisme au pouvoir. Dans l'essai introductif bien informé, vaste et organique, Bosincu présente les moments généalogiques de cette culture anti-moderne, une réponse à la crise induite par l'affirmation du Gestell, de l'implant techno-scientifique au service de la Forme-Capital. Il s'attarde notamment sur les figures de Schiller, Carlyle et Chateaubriand. Ce dernier, dans le Génie du Christianisme, en appelait, contre le présent historique dans lequel il était destiné à vivre, aux "intérêts du coeur" (p. 41).

Il fait appel, conformément à la sensibilité romane, à une connaissance autre que la raison calculatrice. Dans ses pages chargées d'émotion, se dessine : "après le sermo propheticus, le sermo mysticus et l'écriture ascétique [...] un style psychique alternatif à celui qui prévalait" (p. 41) à l'époque contemporaine, qui tendait à réaliser l'utile par la réduction de la nature à une res extensa à la disposition du maître de l'entité, l'homme. Les antimodernes, qui ont eu tant d'influence sur Friedrich Georg, n'ont pas cherché, sic et simpliciter, à explorer les traits d'une possible "autre subjectivité" que la moderne, mais ont visé à la réaliser en utilisant le trait démiurgique de leurs écrits.

Fondamentalement, explique Bosincu, en se référant à l'exégèse du gnosticisme par Eric Voegelin, ils étaient habités par une véritable horreur de l'existant et devenaient les porteurs d'un savoir sotériologique. Le gnostique : "connaît la matrice de la misère (temporaire) de l'homme [...] est en possession d'une sotériologie qui "donne à l'homme la conscience de sa déchéance et la certitude de la restauration de son être originel"" (p. 53). La fuite du moderne est centrée sur la "sotériologie de l'intériorité". Selon l'éditeur, Jünger a connu deux phases différentes de cette attitude néo-gnostique : dans sa jeunesse, il était proche du prométhéisme "wotaniste" du nazisme et de la "mobilisation totale".

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Cette référence visait à construire une subjectivité "active", animée par la volonté de puissance, destinée à dépasser l'individu bourgeois. Dans la phase d'"émigration intérieure", dont témoignent de façon paradigmatique Apollon, Pan, Dionysos, par l'influence du monde spirituel hellénique médiatisé par les lectures de Walter Friedrich Otto, et anticipant la psychologie des profondeurs de Hillman, Jünger devient le porteur de l'"homme total" schillérien, dans la psyché duquel la puissance titanesque revient se réconcilier avec les potestats des trois dieux en question. Cette métamorphose a amené notre homme à mûrir : "Le respect de la vie dans sa nature élémentaire", car il a pris conscience que : "le présupposé de la modernisation technologique est [...] la désanimation de la nature" (p. 99). La physis est vécue comme transcendant l'horizon humain : il y a un fossé évident entre le flux du devenir et de l'histoire, accumulateur de ruines, et les rythmes éternels et cycliques de la nature.

Le paganisme jüngerien est un "paganisme de l'esprit" qui s'adresse à une dimension inclusive profonde : "le noumène d'où jaillissent l'histoire et l'expérience empirique" (p. 111). L'auteur montre qu'il adhère à une perspective mythique : il croit que dans chaque entité, dans l'intériorité de l'homme et dans ses activités, un dieu agit. Le divin palpite, il s'expérimente. La technique elle-même n'est pas une simple expression de la raison instrumentale, mais a des racines mythiques, titanesques, prométhéennes.

Pour échapper à sa domination réifiante, l'homme doit retrouver la dimension imaginaire : ce n'est qu'en elle, et non dans les concepts qui statisent le réel, qu'il est possible de retrouver le souffle d'Apollon, de Pan et de Dionysos, l'éternelle métamorphose animique de la physis. Ces dieux sont dans une relation d'"antithèse fraternelle" (p. 244). Pour en retrouver le sens, il faut se pencher sur la coincidentia oppositorum, sur la logique du troisième inclus: "Apollon est exalté comme l'archétype à la base d'un style cognitif et existentiel qui privilégie la raison contemplative et le sens de la mesure" (p. 135), antithétique à l'hybris prométhéenne du nazisme et du capitalisme cognitif de nos jours. Pan incarne le "principe de plaisir" par opposition au "principe de performance", la légèreté de vivre que l'on peut éprouver en se plaçant dans la nature sauvage, perçue comme étrangère par l'homme moderne. La nature se suffit à elle-même, ce dont Karl Löwith était également conscient. Dionysos, enfin, est le dieu qui libère des fixités identitaires, de la dimension téléologique de la vie. Sa potestas met en échec la "folie enveloppée dans l'apparence de la raison" (p. 139).

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Le Jünger de l'"émigration intérieure", à notre avis, est porteur d'un contre-mouvement gnostique non néognostique (Gian Franco Lami), capable de ramener l'homme à la physis, à la vie éternellement jaillissante du cosmos. Le cosmos, dans les pages d'Apollon, Pan, Dionysos, n'est pas amendable, comme le croyaient les gnostiques, et avec eux les chrétiens et leurs substituts modernes (positivistes, marxistes, etc.) car, comme l'affirme Héraclite (fr. 30) : "Il est identique pour toutes choses, aucun des dieux ou des hommes ne l'a fait, mais il a toujours été, il est et il sera un feu éternellement vivant, qui selon la mesure s'allume et selon la mesure s'éteint". Apollon, Pan, Dionysos montre, comme l'a affirmé Calasso, que les dieux anciens ont trouvé refuge dans la littérature. C'est l'extraordinaire modernité des anti-modernes, dont parlait Antoine Compagnon.

 

mardi, 11 octobre 2022

Les Culdee, Lug et Merlin. Naissance et splendeur des phratries médiévales de bâtisseurs

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Les Culdee, Lug et Merlin. Naissance et splendeur des phratries médiévales de bâtisseurs

Le 5ème siècle en Grande-Bretagne constitue un jalon dans notre recherche. En 43 après J.-C., des artisans employés par les légions romaines étaient à l'œuvre dans ces contrées lointaines, construisant des tours et des murs pour protéger les citoyens romains des attaques écossaises.

Ce travail militaire s'est poursuivi jusqu'au début du 3ème siècle. Certains artisans sont retournés sur le continent, d'autres se sont installés en Britannia et sont restés. Ils ont transmis leur savoir aux Bretons, ce qui explique la naissance au 5ème siècle de la confrérie des CULDEE, qui a remplacé les collèges de bâtisseurs romains.

D'obédience chrétienne, les Culdee ont gardé secret leurs techniques et leurs réunions. Ils ont rapidement rejeté la civilisation romaine et ses formes artistiques au profit du symbolisme celtique.

Après la chute de l'Empire romain d'Occident au 5ème siècle, les grandes commandes architecturales ont disparu. De nombreux artisans se sont retrouvés sans travail et un bon nombre d'entre eux sont partis à Byzance.

Malgré l'insécurité, il y a eu de nombreux voyages et contacts entre les bâtisseurs occidentaux et orientaux. C'est pourquoi, au cours des 5ème et 6ème siècles, un grand nombre de bâtiments séculiers et religieux ont été érigés en France, montrant une nette influence orientale.

Avec la chute de Rome, beaucoup de ceux qui, en Occident, croyaient encore que la vie avait un sens transcendant se sont tournés vers l'Irlande, le fief du celtisme. La verte Eirinn, cependant, n'était pas fermée au christianisme apporté par les moines.

Leur rencontre avec les maçons de Culdee a été positive. Ces derniers deviennent désormais des moines bâtisseurs organisés en collèges. Ils acceptaient le mariage et ne reconnaissaient pas l'autorité suprême du pape romain, qui était considéré comme un simple évêque.

Parmi les Culdee, on trouve les descendants des druides et des bardes celtiques, dont la vocation chrétienne était surtout un moyen de garder un profil bas.

Les moines du continent et les bâtisseurs locaux ont travaillé ensemble pour créer des cités entièrement monastiques. Certains quartiers sont attribués aux maîtres maçons et aux maîtres charpentiers qui jouissent d'une certaine autonomie.

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Ils ont besoin des moines et les moines ont besoin d'eux. Il s'agissait de bâtir une nouvelle civilisation avec la foi chrétienne et de construire des bâtiments sacrés et profanes pour atteindre l'harmonie sociale.

L'héritage celtique est présent dans l'âme de ces bâtisseurs. Ils rappellent la robe rituelle blanche des druides, leurs maîtres spirituels, les rites d'initiation où les profanes entrent dans une peau d'animal, mourant au "vieil homme" et renaissant au "nouvel homme" (métanoïa ou transformation spirituelle radicale).

Dans les assemblées de constructeurs, on porte un tablier. Le membre est expulsé de la communauté.

Le celtisme, c'est aussi LUG, le dieu de la lumière et le seigneur de tous les arts. On retrouve son nom dans plusieurs villes européennes (Lugo, Lyon et Londres, par exemple). Il se manifeste en la personne du chef de clan, détenteur de la massue.

L'initiation se traduit, tout d'abord, par la pratique d'un métier, et nul n'est admis à TARA, la ville sainte de l'Irlande, s'il ne connaît pas un métier.

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À Tara, la salle des banquets rituels est appelée la "demeure de la chambre du milieu". Rappelons que le conseil des maîtres francs-maçons est appelé la "chambre du milieu".

Par l'intermédiaire des moines culdee, le grand souffle de l'initiation celtique revigore le christianisme occidental, trouvant son symbole le plus parfait dans la figure de MERLIN LE SAGE, dont on oublie souvent qu'il était un maître-bâtisseur. Il a fait appel à des guerriers et des artisans pour transporter des pierres d'Écosse et d'Irlande afin de construire un gigantesque tombeau en l'honneur du roi Uter Pendragon.

Merlin a enseigné aux bâtisseurs que l'esprit doit prévaloir sur la matière et que seul le Maître Bâtisseur, le magicien de la pierre, est capable de réaliser l'Œuvre totale.

samedi, 25 juin 2022

Ballades païennes en Velay

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Ballades païennes en Velay

par Georges FELTIN-TRACOL

La fin de l’année scolaire approche, les élèves commenceront bientôt leurs grandes vacances estivales. Et s’ils visitaient en compagnie de leurs parents le Velay ? Cette province du Languedoc sous l’Ancien Régime correspond aux deux tiers de l’actuel département de la Haute-Loire. Au Nord, le Velay touche le Livradois. À l’Ouest, l’arrondissement de Brioude relève de l’Auvergne tandis qu’au Sud, à partir du gros bourg de Saugues où séjournait fréquemment le jeune Maurice Barrès, débute le Gévaudan, cette terre frappée à la fin du XVIIIe siècle par une terrible bête tueuse de femmes et d’enfants. En 2017 au terme d’une enquête remarquable, Pierric Guittaut a révélé dans La Dévoreuse. Le Gévaudan sous le signe de la Bête 1764-1767 (Éditions de Borée) l’identité certaine de l’animal.

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Terrain volcanique avec la chaîne des Sucs, le massif du Meygal et le majestueux Mont Mézenc (photo), le Velay détient un riche patrimoine historique. Natif du Puy-en-Velay, épris de son terroir, Bruno Mestre, âgé de 25 ans, vient de publier aux Éditions de la flandonnière Le Velay païen. Histoire et mythologie (2021, 200 p., 28 €). Préfacé par Bernard Sergent et débutant par un prologue de l’ethnomusicologue Didier Pierre, par ailleurs directeur des Cahiers de Haute-Loire dont l’un des fondateurs fut l’universitaire Jean Merley, cet ouvrage magnifiquement illustré de photographies souvent prises par l’auteur explore l’héritage païen à travers des lieux superbes et leurs légendes.

thvelayumbnail.jpgBruno Mestre parcourt les chemins du Velay afin d’observer les pierres à bassins, les polissoirs néolithiques, les pierres à capules, les pierres à empreintes et autres signes en arceau ou « fer à cheval ». On y croise en outre des menhirs, des bornes militaires d’origine romaine ou une magnifique croix celtique médiévale. Il en existe une autre, tout aussi belle, sur le versant rhodanien du Pilat au-dessus de Condrieu. Mais est-elle d’époque ou plus récente ?

Le paganisme en terre vellave remonte aux tribus préhistoriques, aux Celtes, aux éventuels Ligures (hypothèse très contestée par les spécialistes), aux marchands grecs et aux Romains. Par des textes clairs et explicatifs qui allient la prospection en archives et l’enquête sur place, Bruno Mestre lève un large pan méconnu de l’histoire départementale pré-chrétienne. Par les indices qu’il recueille, il confirme le syncrétisme pagano-chrétien.

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Le Puy-en-Velay demeure l’un des points de départ du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sa cathédrale au style unique à la fois byzantin, roman et gothique abrite une Vierge noire dont l’allure se distingue des autres Vierges noires présentes dans le Massif Central. L’auteur y voit une permanence du culte de la déesse Isis, voire de la Déesse-Mère préhistorique.

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La cathédrale a été érigée sur le Mont Anis. Non loin se dressent le rocher Corneille (du dieu gaulois Cernunnos) et le dyke d’Aiguilhe surmonté d’une chapelle désaffectée dédiée à l’archange saint Michel. Si l’ami Arnaud Bordes y place dans les entrailles de cet amas d’origine volcanique le siège de la puissante société secrète plurimillénaire Murcie dans Pop Conspiration (Auda Isarn, 2013), Bruno Mestre rappelle que « le rocher d’Aiguilhe fait partie, avec les sites de Skellig Islande en Irlande, de Michael’s Mount au Royaume-Uni, du Mont-Saint-Michel en Normandie ou du Mont-Gargano en Italie, du réseau européen des sanctuaires mikhaëliques. Tous ces sites sont reliés par une “diagonale sacrée“ ».

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À cinq – six kilomètres de la cathédrale se présente l’immense forteresse médiévale de Polignac située sur la commune éponyme. Construit au cours du Moyen Âge par la principale famille noble du Velay dont une branche règne aujourd’hui à Monaco, sur un éperon d’origine volcanique de 806 mètres « qui lui donne l’aspect quasi-irréel d’un paquebot rocheux flottant dans sa vallée », ce vaste complexe fortifié compte un « puit de l’oracle » et un masque d’Apollon. Le site de Polignac serait-il la « copie conforme du sanctuaire de Delphes ? » L’auteur estime que « les rapprochements que l’on peut faire entre Delphes et Polignac sont nombreux… et suspects ! » Il démythifie finalement la légende dorée du temple d’Apollon ou de Belenos...

Neuf itinéraires de découvertes pédestres parachèvent l’ouvrage. Bruno Mestre fait preuve d’une très grande honnêteté intellectuelle. Son Velay païen est un hymne d’affection pour sa patrie charnelle fière et sauvage malgré la péri-urbanisation. Son travail minutieux ravira tous les passionnés des mythes celtiques, les érudits folkloristes et autres amoureux d’histoire locale. Il célèbre en outre un département assez méconnu (ce qui n’est pas plus mal). C’est donc un livre enrichissant d’accès facile. Finissons par un jeu de mot très aisé : Le Velay païen est un Mestre-livre !

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 38, mise en ligne le 21 juin 2022 sur Radio Méridien Zéro.

mardi, 01 février 2022

La Chandeleur ou la journée des crêpes

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La Chandeleur ou la journée des crêpes

Dirk Dox

Source: Nieuwsbrief nr 1 - Louwmaand 2022 - Traditie - nieuwsbrief@traditie.be

 
"Il n'y a pas de bonne petite femme si pauvre qu'elle ne réchauffe point sa poêle le jour de la Chandeleur".

Il existe de nombreuses hypothèses sur l'origine de la Chandeleur et la tradition de la cuisson des crêpes. Dans nos régions, le 2 février était autrefois l'un des deux jours où la population rurale pouvait changer d'emploi ou de ferme. On le célébrait le soir avec une sorte de gâteau de foyer, qui s'est ensuite transformé en crêpes. 

On dit aussi que les crêpes, de par leur forme ronde et leur couleur dorée, rappellent le disque du soleil, évoquant ainsi le retour du printemps, ce qui expliquerait pourquoi on fait des crêpes à la Chandeleur, période de l'année où les jours ne cessent de rallonger. C'est également à cette époque que les semailles d'hiver ont commencé. Les restes de farine de la récolte précédente étaient donc utilisés pour fabriquer ces crêpes, symbole de prospérité pour l'année à venir. Selon la tradition, quiconque mange des crêpes à la Chandeleur aura une année prospère. Il est certain que cette coutume trouve ses racines dans des traditions connues dans toute l'Europe. 

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L'Empire romain célébrait la fête des Lupercales, une fête de purification qui se tenait dans la Rome antique du 13 au 15 février, c'est-à-dire à la fin de l'année romaine, qui commençait le 1er mars. En 494, les "bougies" ont été associées à la Chandeleur par le pape Gélase Ier, qui a été le premier à organiser des processions aux flambeaux le 2 février. Dans les églises, les torches ont ensuite été remplacées par des bougies bénites dont la lueur devait éloigner le mal et rappeler que le Christ est "la lumière du monde". D'où le nom de "Messe de lumière", Lichtmis. La "Fête de la Chandeleur" française et le "Candlemas Day" anglais font référence aux bougies.

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Les Celtes célébraient Imbolc le 1er février. Ce rite en l'honneur de la déesse Brigit (dans l'église, Sainte Brigitta !) célébrait la purification et la fertilité de l'hiver à venir. Les agriculteurs portaient des torches et marchaient en procession dans les champs, suppliant la déesse de purifier la terre avant de semer. 

Dans de nombreux pays, la tradition veut que l'on conduise une charrue attelée dans les champs au printemps pour demander une bonne année ou une bonne récolte. Autrefois, il s'agissait d'une procession aux flambeaux, mais au Luxembourg, la tradition actuelle du Liichtmëssdag est une fête à laquelle les enfants peuvent participer. Par petits groupes, ils parcourent les rues l'après-midi ou le soir du 2 février, avec un bâton enflammé ou une lanterne artisanale à la main, pour chanter une chanson traditionnelle (de préférence "Léiwer Härgottsblieschen") dans chaque maison ou magasin. ... Ils espèrent recevoir en retour une récompense sous forme de bonbons ou de monnaie (auparavant bacon, petits pois, biscuits).

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La fête de la Lichtmis annonce également le printemps. La lumière du jour est déjà plus longue d'une heure et un dicton dit : "Le soleil à Lichtmis nous apporte le printemps plein de fleurs et de joie". Ce jour est également important pour les apiculteurs car, selon le calendrier populaire, un ciel clair à la Chandeleur prédit une année favorable pour les abeilles.

Célébrez-vous également cette fête de la lumière ? N'hésitez pas à partager vos expériences avec nous sur Facebook ou sur info@traditie.be, ou à nous tenter avec des photos de vos gâteaux au tournesol !


 
La fête de Lichtmis (= la Chandeleur)
 
Benny Vangelder

Le 2 février, les chrétiens célèbrent la Chandeleur. Cette fête tombe quarante jours après Noël et, selon la tradition juive, une femme devait se purifier et purifier son enfant dans le temple quarante jours après avoir accouché. Mais la fête des lumières a aussi des racines païennes. Après tout, la fête païenne des lumières était la célébration du retour de la lumière après la période hivernale, l'introduction du printemps, mais aussi la purification par le feu. Je me souviens qu'enfant, j'allais cueillir des brindilles de saule au printemps. Introduire les brindilles, c'est introduire la nature renaissante. Et, bien sûr, la crêpe...

La fête lupercalienne à Rome : Cupidon et les personnifications de la fertilité rencontrent les Luperci déguisés en chiens et en chèvres -(Christie's, LotFinder : entrée 5582111 (vente 5688, lot 47, Londres, 3 juillet 2012). Dans les textes latins, la Chandeleur est appelée Festa cereorum, c'est-à-dire "fête des chandelles". c'est-à-dire "fête des chandelles" (cereus est "bougie de cire" - notez la ressemblance avec cer, ker, c'est-à-dire "créer", mot racine que l'on retrouve dans le nom de la déesse Cérès), cf. l'anglais Candlemas.

La fête de la lumière était à l'origine célébrée au début du mois de février, mais comme d'autres fêtes païennes, il s'agit d'une période plutôt que d'un moment. Elle s'inspire très probablement des Lupercales, une fête romaine au cours de laquelle les gens marchaient dans les rues avec des torches et chantaient à tue-tête. De cette façon, les dernières forces obscures ont été chassées et la lumière a été ramenée. Il s'agissait d'une fête en l'honneur de Lupercus, un dieu loup vieux romain - égal à Faunus - qui était le dieu des troupeaux et de la fertilité.

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Lors de leur festin, les Luperci, jeunes hommes déguisés en loups (c'est-à-dire en loups-garous), accomplissaient un rituel de purification - selon d'autres, un rituel de mort et de renaissance - symbolisant le retour de la Lumière. Ils ont également frappé les passants avec des fouets, avec lesquels ils voulaient provoquer la fécondité. Ces fouets étaient faits de bandes de peau d'une chèvre abattue, que l'on appelait Februi, d'où le nom Februarius pour le mois au cours duquel la fête avait lieu. Une autre explication est que les chiens étaient poursuivis dans la ville avec des torches enflammées attachées à leur queue. Dans le nom Lupercalia, nous trouvons le mot lupus ("loup") - notez la ressemblance avec lux ("lumière"), qui est encore mieux perceptible en grec : lykos ("loup") et lykè ("lumière").

Dans la Rome antique, Februarius était, selon la plupart des sources, le mois de purification par excellence (februa signifie "purification" ou "expiation") et la période pendant laquelle les gens se purifiaient de leur culpabilité envers les dieux par des sacrifices lors de processions aux flambeaux (sacrifices expiatoires). Il s'agissait des "Ambularia", des processions solennelles auxquelles participaient des milliers de personnes. L'événement principal des festivités faisait référence au vol de Proserpina par Pluton, après quoi Cérès est partie à la recherche de sa fille kidnappée à la lueur des torches.

Plus tard, selon un décret du pape Gelagius/Gélase (492), cette fête païenne est devenue une fête chrétienne en l'honneur de la purification de Marie. Ainsi, la transition s'est faite de la déesse romaine Cérès à la mère chrétienne Marie. Les torches ont été remplacées par des bougies qui ont été brûlées en l'honneur de la Vierge Marie. Dans un sermon de Grégoire le Grand, nous lisons : "Depuis plusieurs années, nous avons adopté cette cérémonie des anciens, le 2 février, en l'honneur de la Bienheureuse Marie".

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Beda Venerabilis/Bède le Vénérable (725) se félicite alors du succès de cette transition: "Le jour de février consacré à Marie, tout le peuple se rend en procession aux églises en chantant des hymnes. Tous ont des bougies allumées à la main. Le cardinal Baronius (1538-1607) a écrit ce qui suit à ce sujet: "Comme nos saints ancêtres n'ont pas pu éradiquer complètement cette coutume, ils ont décrété qu'en l'honneur de la Vierge Marie on devait porter des bougies allumées. C'est ainsi que l'on fait maintenant en l'honneur de la Sainte Vierge ce qui se faisait autrefois en l'honneur de Cérès. Et ce qui a été fait avant pour Proserpina, est fait maintenant pour la louange de Marie".

Les Ambularia susmentionnés étaient des processions de feu typiques que l'on retrouve dans toute la zone indo-européenne, soit avec des torches, soit avec des récoltes illuminées, soit avec des rouets en feu. Sachant que les processions étaient populaires parmi les peuples romanisés et le chant parmi les peuples germaniques, la combinaison des deux était un mouvement tactique pour christianiser les coutumes païennes en les transformant en processions de louange.

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La recherche de Proserpine par Cérès est probablement plus connue dans sa version grecque, dans laquelle Hadès, le dieu des enfers, enlève Perséphone. Elle est recherchée par sa mère Déméter, la déesse de l'agriculture et des récoltes. Au cours de ses recherches, Déméter arrive à Éleusis, où elle se morfond pendant un an. Pendant ce temps, les cultures se fanent et les gens meurent. Zeus intervient et ordonne à Hadès de libérer Perséphone. De cette façon, Déméter peut être à nouveau réunie avec sa fille. Mais Perséphone a mangé une grenade sacrée dans le monde souterrain et est donc obligée de passer une partie de l'année avec Hadès. À Éleusis, un temple a été érigé en l'honneur de Déméter et le culte des mystères éleusiniens est né.

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L'anthropologue écossais J. G. Frazer (1854-1941) donne l'explication suivante: "Déméter est la récolte mûre de cette année, et Perséphone le grain qui en est extrait et semé en automne pour apparaître au printemps. La descente de Perséphone aux enfers serait donc une représentation mythique des semailles, sa réapparition au printemps représenterait la germination du jeune grain. Ainsi la Perséphone d'une année devient la Déméter de l'année suivante". On retrouve ici la même représentation cyclique de la Vierge et de la Mère que j'ai déjà explicitée dans un article précédent sur "Le Père, le Fils et la Vierge". Bien sûr, il ne faut pas faire des mythes une simple explication naturaliste des phénomènes. Le fluide divin qui émane et est présent de manière plus immanente lorsque la nature revit, et se retire, pour ainsi dire, lorsque la nature meurt, en est aussi une représentation et une métaphore. Cette interaction entre Dieu(x) et la nature, dans laquelle les deux se distinguent et coïncident également, peut servir de représentation concrète en ce qui concerne la renaissance et la mort, la création et la destruction, l'ordre et le chaos, comme la plupart des tournants rituels de l'année.

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Voilà pour le contexte chrétien et classique de la fête des lumières. Chez les Celtes irlandais, en l'honneur de la déesse Bridget, début février, avait lieu Imbolc, la fête de la purification par le feu. Le nom Imbolc apparaît pour la première fois dans le récit irlandais médiéval Tochmarc Emire, dans lequel le personnage principal Emer l'utilise pour indiquer le début du printemps. C'est l'époque où les premières brebis étaient traites et, dans un dictionnaire du Xe siècle, Imbolc est donc traduit par "lait de brebis". Un autre nom pour la fête est donc Oimelc. Imbolc s'étendait du coucher du soleil du 31 janvier au coucher du soleil du 2 février. Le feu sacré qui y était allumé n'était pas accessible aux hommes et à Killdare, même les prêtresses s'y consacraient. Cela rappelle beaucoup la déesse romaine Vesta et ses vierges vestales, qui gardaient également le feu sacré. Ces prêtresses celtiques étaient appelées Korrigan. Le sanctuaire païen de Killdare est ensuite devenu un couvent et les prêtresses païennes sont devenues des religieuses. 

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Les gens dansaient autour des feux de printemps d'Imbolc et les cendres de ces feux étaient dispersées dans les champs et les vergers d'arbres fruitiers. Ils fabriquaient également un lit à partir d'une gerbe de céréales en l'honneur de Bridget. Imbolc était également lié à la fête des semailles (voir ci-dessous), au cours de laquelle les derniers grains de la récolte précédente étaient transformés en une croix de Brigid. Cette croix pré-chrétienne contenait la force vitale du grain et symbolisait le champ de blé. De nos jours, Imbolc est principalement célébré par les sorcières Wicca ou modernes, qui allument leurs bougies artisanales en l'honneur de Bridget et tressent une croix de Brigid. Mais dans les îles britanniques, c'est encore aujourd'hui un véritable festival folklorique. Bridget était si importante qu'elle est devenue Sainte Brigitta, dont la fête tombe le 1er février et est célébrée en Irlande, au Pays de Galles et en Australie. 

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Dans la tradition germanique, nous trouvons un contraste frappant entre le loup (Fenrir) et la lumière (Sun, Sunna). Le loup avale le soleil pendant le Ragnarök. La fête des lumières a été instituée pour chasser le loup et libérer le soleil. Pensez au Petit Chaperon rouge (le soleil), qui, dans la version de Grimm, est libéré du ventre du loup par le chasseur (Odin, dans sa manifestation plus jeune sous le nom de Widar). Le soleil qui est avalé par Fenrir pendant le Ragnarök sera remplacé après le Ragnarök par sa fille, le nouveau soleil (le cycle éternel de régénération). 
 
Vafthrudnismal (47) :
Une fille portera Alfrodul,
avant qu'elle ne tue Fenrir ;
C'est alors qu'on chevauchera, quand les devins mourront,
Cette jeune fille aura les manières de la mère.

imaidunges.jpgOn trouve également dans les mythes nordiques une variante de l'enlèvement de Perséphone dans les mythes grecs. C'est l'enlèvement de la déesse Idun par le géant Thjazi, déguisé en aigle. Comme les pommes d'or d'Idun ont également été volées par ce dernier, les dieux vieillissent rapidement et la nature commence à dépérir. Le libérateur de la déesse du printemps n'est pas ici un chasseur ou Odin mais Loki. Il emprunte la toile de faucon de Freyja et se transforme en faucon. Il s'envole ensuite vers le monde des géants, où il trouve Idun seule dans la maison de Thjazi. Loki la transforme en noix et s'envole vers Asgard avec la noix dans ses griffes. Thjazi, cependant, voit cela et se transforme en aigle, après quoi il se lance à sa poursuite. Les Ases voient les deux oiseaux s'approcher et allument un grand feu derrière les murs d'Asgard. Loki et Idun parviennent à atteindre Asgard à temps, mais Thjazi ne peut pas ralentir assez vite à cause de son énorme vitesse et fonce par-dessus le mur directement dans le feu. Il est ensuite tué par les Ases et ses yeux sont placés comme des étoiles dans le ciel par Odin.

Cependant, je voudrais faire un commentaire sur ce parallèle. Les deux mythes (le grec et le scandinave) traitent de l'enlèvement de la déesse qui sera ensuite sauvée. Mais là où le grec fait une connotation claire avec la création des saisons et où Perséphone reste avec sa mère pendant une demi-année, et avec Hadès pendant une demi-année, ce n'est pas le cas avec Idun. Après le sauvetage d'Idun, le géant Thjazi est tué et il n'y a pas de retour cyclique d'Idun dans le monde des Dieux et le monde des géants respectivement. Le mythe souvent cité pour expliquer les saisons est celui de Freya à la recherche de son mari Odr. Les raisons du départ d'Odr dépassent le cadre de cet article. Son départ la rendit si triste qu'elle partit à sa recherche. Quand Freya a quitté Asgard, l'automne et l'hiver ont rapidement commencé. Elle finit par retrouver Odr sous un laurier. Pendant leur voyage de retour à Asgard, le printemps est venu, puis l'été.

Retour à la fête des lumières. L'expulsion de l'hiver est symbolisée par la combustion d'un mannequin (cf. Thjazi), une coutume qui a encore lieu aujourd'hui lors du carnaval. En Frise, l'incendie d'une poupée en l'honneur de Wodan était connu à la date du 21 février. C'est ce qu'on appelle les Biikenbrennen.

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La fête des lumières coïncide avec le carnaval, la fête populaire au cours de laquelle le chariot en forme de bateau est tiré dans les rues. Grâce aux températures plus douces du printemps, les rivières sont à nouveau navigables. L'historien romain Tacite décrit deux fêtes sacrificielles, dans Germania à propos de la déesse Nerthus, et dans ses Annales à propos du général romain Germanicus, qui mentionne la fête de Tamfana. Les dates, cependant, ne sont pas mentionnées. Jan de Vries affirme que la fête sacrificielle de Nerthus tombait au printemps, et celle de Tamfana en automne. 

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En ce qui concerne Nerthus, le raisonnement est que, selon la description de Tacite, le prêtre remarque quand la déesse est sur son île. La présence de Nerthus dans la forêt sacrée peut peut-être indiquer le bourgeonnement des feuilles au début du printemps. Et parce que de telles fêtes sacrificielles en l'honneur d'une déesse se retrouvent également chez d'autres peuples indo-européens au printemps. La fête de la déesse mère Nerthus, qui a voyagé de son île sainte vers le monde profane et a été transportée à travers les champs sur un chariot représentant un bateau, a très probablement eu lieu au printemps. Les Romains avaient une fête similaire où Cérès était tirée à travers les champs, et après la christianisation, la même chose est arrivée à la statue de la Mère Marie. Lors de la fête germanique du sacrifice en l'honneur de Nerthus, il y avait également des processions aux flambeaux et des sacrifices sous forme de nourriture et de boisson et parfois d'animaux. 

Concernant Tamfana (ou Tanfana), Tacite décrit que le général Germanicus a perturbé la fête du sacrifice de Tamfana. En outre, Tacite donne deux indications quant aux moments, à savoir la mort de l'empereur Auguste (qui a eu lieu le 19 août 14 après J.-C.) et la pleine lune la nuit de l'attaque de la tribu des Marches. Les nuits avec une pleine lune qui conviennent le mieux à l'année 14 AD, après le 19 août, sont le 28 septembre, ou le 27 octobre si nécessaire. Donc autour de l'équinoxe d'automne et/ou de la fin de la récolte. Ces deux fêtes sacrificielles de printemps et d'automne rappellent le Disablot scandinave, librement traduit par "Sacrifice aux déesses". Ces fêtes sacrificielles avaient lieu à la fois en automne, lorsque l'automne devenait hiver, c'est-à-dire à la fin de la période des récoltes, et au printemps. A Uppsala en Suède, il y a toujours le Disting. Il s'agissait à l'origine d'un "événement" de trois jours composé d'une foire annuelle, d'une Assemblée (Thing) pour tous les Suédois en combinaison avec le Disablot et qui se tenait quelque part vers la fin du mois de février/début du mois de mars. Après la christianisation de la Suède, cette foire annuelle a été déplacée à la Chandeleur. 

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Petit hôtel au foyer pour la fête de Disablot en Scandinavie.

Les peuples baltes connaissaient la déesse du feu Gabija ou aussi Panike. Ce dernier était appelé Ponyke par les Prussiens et Uguns Mate par les Lettons. Notez la relation étymologique entre les ouguns et le dieu du feu indien Agni. Gabija était la déesse du foyer et est similaire à la Vesta romaine ou à la Bridget anglo-irlandaise. Gabija était aussi la déesse du blé, comme Déméter ou Cérès. Pendant la christianisation, elle a fusionné avec Sainte Agathe. Agatha de Sicile aurait empêché une éruption de l'Etna alors qu'elle priait. Elle est invoquée pour la guérison des brûlures. La fête de son nom tombe le 5 février, trois jours seulement après la Chandeleur. Les Romuva contemporains (c'est-à-dire les païens lituaniens) célèbrent toutefois une fête dédiée au dieu du tonnerre Perkunas au début du mois de février. Pour eux, la fête des lumières est dédiée au feu sacré qui est apporté par la foudre céleste.

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Le char de Sainte-Agathe de Catane (Sicile).

Le retour du soleil était et est célébré par la cuisson de crêpes, ces délices ronds et jaunes qui représentent le soleil. La Chandeleur est également connue sous le nom de "crêpes de la Vierge", une fête célébrée dans  toutes les couches de la population et pour laquelle on dit : "Aussi pauvre que soit la femme, à la Chandeleur elle réchauffera sa poêle". Dans certaines régions, la cuisson des crêpes a été remplacée par la cuisson de boules d'huile ou de beignets aux pommes. 

La fête des lumières est également appelée la fête des semailles ou des labours. Pendant cette période, il fait déjà assez chaud pour semer à nouveau. La terre vierge du printemps, qui n'a pas encore été ensemencée, est déchirée à l'aide d'une charrue sacrée. Dans le sillon était ensuite saupoudré un peu de grain de la récolte précédente pour s'assurer que la prochaine récolte serait aussi bonne. Remarquez que la fête des semailles de février, dans la roue de l'année, est directement opposée à la fête de la moisson d'août. Ces deux fêtes sont très étroitement liées : semer et récolter, ou créer et tuer, sont les deux faces d'une même pièce. La fête des semailles précède donc la fête du printemps, la renaissance de la nature. La fête de la moisson, qui était aussi une fête d'automne (cf. l'anglais harvest), la mort de la nature, précède la fête de la mort. La mort est également représentée par une faux de fauchage.

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Si nous gardons tous ces faits à l'esprit, et que nous les regardons à partir de la tradition germanique/nordique, alors la Marie de la fête des lumières chrétienne dans notre fête des lumières païenne n'est autre que la déesse à laquelle on sacrifiait à l'époque ; les Disen en Scandinavie comme Idun et Freya. La poupée que nous brûlons est le géant Thjazi. Le fait que Marie soit portée dans les champs est une continuation du culte des champs de la Déesse Mère comme Nerthus ou Ceres. (Notez que lors des fêtes de la moisson, c'est alors la vieille femme qui est la mère du blé comme Holle, Perchta, et, qui sait, probablement Tamfana aussi...). En février, la nature commence à renaître et c'est pourquoi on apporte de jeunes brindilles dans la maison, on en frappe les arbres pour réveiller la nature, ou sur les fesses des femmes pour réveiller leur fertilité. L'hiver a été chassé, le printemps arrive, les jours s'allongent, la lumière revient et le nouveau soleil, la fille d'Alfrodul, gagne en force. 

Sources :

- De Vries, J. (1994). Edda. (goden- en heldenliederen uit de Germaanse oudheid)/ingeleid, vertaald en geannoteerd door Jan de Vries. Ankh-Hermes – Deventer.
- Barnet, M. (1998). Goden en mythen van de Romeinen. ADC - Nazareth
- Trouillez, P. (2019). De Germanen en het Christendom. (een bewogen ontmoeting in de 5de – 7de eeuw). Omniboek – Utrecht.
- Van Gilst, A. (2012). Van Sint Margriet tot Sint Katrien. (oogst en herfst in ons volksleven). Aspekt – Soesterberg.
- Vermeyden, P. & Quak, A. (2000). Van Aegir tot Ymir.(personages en thema’s uit de Germaansen en Noordse mythologie). Sun – Nijmegen.
 

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mardi, 04 mai 2021

Luc-Olivier d'Algange: Entretien avec Anna Calosso, à propos du paganisme et du christianisme

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Luc-Olivier d'Algange: Entretien avec Anna Calosso, à propos du paganisme et du christianisme

Anna Calosso: On discerne dans presque toutes les pages que vous écrivez une sorte de filigrane sacré, tantôt chrétien, dans Lux Umbra Dei, et tantôt païen, dans Le Songe de Pallas, ou dans vos poèmes du Chant de l'Ame du monde, et parfois l'un et l'autre, comme dans L'Ombre de Venise,- qui vient d'être réédité, avec d'autres textes inédits dans un vaste receuil intitulé L'Ame secrète de l'Europe.

Luc-Olivier d'Algange: Allons en amont... Nous vivons dans un Purgatoire mais le Paradis s'entrevoit par éclats. Dans ces éclats le temps se rassemble puis vole au-dessus de lui-même, dans l'éther où vivent les dieux. Dans la tradition européenne le paganisme et le christianisme s'enchevêtrent, moins en théorie qu'en pratique, dans les rites, les légendes et les œuvres qu'elles soient poétiques, picturales ou architecturales. Est-il même possible, depuis le Moyen-Age, pour ne rien dire de la Renaissance, d'être chrétien sans être quelque peu païen, et à l'inverse ? Souvenons-nous simplement que le Versailles du «  Roi Très-Chrétien  » fut un temple apollinien.

Les «  monothéistes  » purs et durs le savent qui considèrent le catholicisme comme «  associationniste  », autrement dit comme un paganisme, voire comme une mécréance. Allons plus loin... Il me semble qu'il est même possible d'être catholique, ou païen, sans croire, en laissant simplement s'éprouver en nous le sens du surnaturel, du Temps au-delà du temps. Ce qui s'éprouve n'est-il pas plus profond que ce que l'on croit ?

305367_medium.jpgAu demeurant, la croyance, comme l'opinion, sont affaires subjectives, souvent superficielles et étroites. On se demande pourquoi les hommes sont si attachés à leurs croyances: ils aiment l'étroitesse, ils s'y croient à l'abri, - grave illusion. Ils croient pour n'avoir pas à éprouver. La citerne croupissante leur semble préférable à la source vive... Et moins ils éprouvent et plus ils veulent faire croire, imposer leurs croyances qui ne reposent alors que sur leur incommensurable vanité.

La «  gnôsis  », qui dépasse la «  doxa  », ne se réduit pas au «  gnosticisme  », qui serait une autre croyance, mais une nouvelle profondeur, la profondeur de l'immédiat, la profondeur du sensible: telle couleur qui nous vient en transparence, tel silence entre les notes de Debussy ou de Ravel. La pensée ne vaut qu'anagogique, en vol d'oiseau. Certes la pensée s'exerce, mais elle se saisit au vol. Elle est un commerce avec l'impondérable qui nous vient de loin... Ce beau, ce vaste lointain est la profondeur de la présence.

A force de s'identifier à une croyance, la croyance elle-même se perd, devient écorce morte, revendication hargneuse. Cela se voit, hélas, tous les jours. Le ressentiment s'ensuit contre tout ce que nous aimons, la liberté d'allure et de propos, Villon, Rabelais, Musset, la musique, les cheveux au vent... Un grand défi se pose à l'honnête homme: ne pas être gagné lui-même par le ressentiment contre le ressentiment. Pour cela, cependant, il faut bien connaître ses ennemis, et plus encore, ses amis. Honorer ce qui nous est amical. L'air du matin qui nous délivre des songes moroses, les amants heureux de Valery Larbaud, les grains de pollen de Novalis, la bienveillance pleine de courage de Nietzsche, les rameaux, les rameaux d'or...

Toujours garder en mémoire : se garder du pathos et de l'outrance, et de ceux qui les propagent, et être, à cet égard, d'une intransigeance parfaite et limpide... Ne pas céder, tant qu'il est possible, sur nos vertus, nos légendes héritées, d'autant qu'européennes, elles sont arborescente, pleines de rumeurs et légères. Réciter en soi, de temps à autres, quelques noms, Homère, Pindare, Villon, Dante, Rabelais, Montaigne, Hölderlin, Shelley, Nerval…

Ce qui nous en vient n'est pas un dogme, un système, un goût peut-être, un savoir qui est saveur, une possibilité de traverser la vie, moins chagrine, moins vengeresse, moins stupide. Ces noms, comprenons bien, désignent des œuvres, et ces œuvres sont des évènements d'une bien plus grande importance, Horace le savait déjà, que les événements dits historiques ou politiques. Chacun de ces événements de l'âme est un avènement, l'entrée dans un Temps secret qui a tout à nous dire, à chaque instant. Si nous devions formuler un vœu, ou une prière, ce serait: Que chaque instant soit l'éclat de son Paradis !

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Anna Calosso: Vos ouvrages récemment parus sont de préoccupations et de tons forts divers. Notes sur l'Eclaircie de l'être est consacré à Heidegger, Intempestiva Sapientia sont des propos, des formes brèves, proches de Joseph Joubert, Apocalypse de la beauté est une méditation sur la philocalie et la lumière émanée des icônes. Quel unité fonde ces diverses approches, s'il en est une ?

Luc-Olivier d'Algange: La réponse la plus simple, ce serait l'auteur. Mais sans doute ne suffit-elle pas pour un auteur auquel il semble assez souvent avoir pratiqué, comme une diététique, voire comme un exercice spirituel, une certaine «  impersonnalité active  », pour reprendre la formule de Julius Evola, elle-même issue de la philosophie stoïcienne. Au demeurant, je serais enclin à penser que, d'une certaine façon, toute activité créatrice nous impersonnalise dès lors que l'art n'est plus seulement, pour nous, l'expression de notre «  moi  » mais un véhicule, un vaisseau, un instrument de connaissance.

Enfin, les thèmes que vous indiquez ne sont pas si éloignés qu'il semblerait aux spécialistes de l'un ou de l'autre. C'est bien dans une éclaircie de l'être que surgissent et scintillent les formes brèves de Joseph Joubert. Les épiphanies qu'évoque la Philocalie orthodoxe, sont, elles aussi, surgissement. La beauté, enfin, est notre Haut Désir.

Anna Calosso: Si l'on vous en croit, la beauté mène un combat contre la laideur, la laideur de ce monde, la laideur moderne....

Luc-Olivier d'Algange: Ou peut-être, serait, dans l'autre sens, la laideur qui mène un combat contre la beauté... Il me semble parfois assister au spectacle d'une volonté planificatrice de la laideur, avec ses stratégies, ses machines de guerre, la télévision, l'architecture de masse etc... Il y a dans la beauté comme une ingénue, une inconsciente présence de l'être. La beauté est-elle combative ? Elle est une victoire à chaque fois qu'elle advient. Elle se suffit à elle-même, d'où le sentiment de plénitude qu'elle nous apporte, elle est, comme la rose d'Angélus Silésius, «  sans pourquoi  ». La laideur, elle, est un mouvement de destruction concerté, elle est le «  quoi  » du pourquoi, un ressentiment, une représentation; c'est la grimace de la jalousie à laquelle cependant toujours échappe ce qui est.

l_etincelle_d_or-51064-264-432.jpgLe vaste enlaidissement de tout ne doit pas nous dissimuler que la beauté demeure, et l'enlaidissement même, dans sa planification, dans sa volonté, témoigne de la souveraineté de la beauté qui sera humiliée, recouverte, insultée mais jamais défaite. Le brin d'herbe perce le goudron.

On accuse souvent les amants de la beauté d'être des esthètes, et «  l'esthète  », il va sans dire, dans la bouche de ces moralisateurs, est un méchant homme. Mais est-il un plus généreux acte de bonté que de vouloir répandre la beauté, l'honorer et tenter de faire vivre nos semblables en sa compagnie ? Que serait une bonté qui serait laide ? Nous le savons par les meurtrières utopies, ces maîtresses du kitch. On voudrait alors pouvoir respirer, repousser les fanatiques, les «  arriérés de toutes sortes  », selon la formule de Rimbaud, les obtus, les puritains, pour élargir l'espace et le temps, laisser venir à nous des confins d'or et d'azur. C'est ainsi que l'idée d'une défense de la beauté redevient pertinente. Elle se fera par touches exquises, par intransigeances transparentes, par nuances, «  sur des pattes de colombe  », autant dire de la façon la plus aristocratique possible, - ce qui ne veut pas dire que chacun n’y soit pas convié. La beauté est ce qui ne passe pas. Au contraire des mœurs, elle demeure elle-même dans ses manifestations. Le temple de Delphes, les fresques de Piero de la Francesca sont aussi beaux pour nous qu'ils le furent pour leurs contemporains. Voici bien l'approche du Temps au-delà du temps, l'effleurement de son aile...

Anna Calosso: Tel pourrait bien être le cœur de vos écrits, dire le Temps au-delà du temps, dire le cœur du temps, l'éternité de l'Instant, et je songe, en particulier à ce poème, Le Sacre de l'Instant.

Luc-Olivier d'Algange: L'activisme planificateur nous assigne à une temporalité, laquelle nous pousse en avant à toutes fins utiles, mais n'oublions pas qu'en avant, c'est la mort, et non la mort toute nue, vouée aux vautours ou au feu, mais la mort profitable. Cette mort profitable, c'est la vie, toute la vie assignée au temps du travail et de l'usure... Je ne vois guère d'autre objet à la pensée, et précisément à une pensée qui résiste et se rebelle, que d'œuvrer à la révélation, à la réactivation d'autres temporalités secrètes, transversales ou latérales. J'en dis quelques mots dans un essai récent, Les dieux, ceux qui adviennent...   Au discours du temps utilitariste, profane et profanateur, du discours qui nous sépare de nous-mêmes et du monde, opposons la fidélité à un autre cours, une rivière enchantée, un Lignon, dont Honoré d'Urfé savait qu'il traverse une géographie sacrée.

Toute géographie, au demeurant, est sacrée, mais nous l'avons oublié. Qui n'a observé que selon les lieux où nous nous trouvons, nos pensées changent de cours ? Une qualité particulière à tel lieu nous imprègne. ce que nous sommes est dans cet accord, dans cet échange magnétique, à la fois intime et impersonnel, par notre façon de nous y mouvoir, de même que la musique, à chaque note, désigne le silence pur où elle se pose, le révélant par ses interstices.

imagLOdA.jpgAnna Calosso: Il semblerait que dans votre éloge de l'accord entre l'homme et son paysage, il y eût une implicite critique du «  cosmopolitisme  », tel, du moins qu'il se revendique parfois aujourd'hui.

Luc-Olivier d'Algange: Votre précision est importante  :  tel qu'il se revendique aujourd'hui. La critique, implicite ou explicite, en l'occurrence, porte bien davantage sur la globalisation, et la mondialisation, qui ont pour conséquences les communautarismes les plus obtus, les plus incarcérés, que sur le «  cosmopolitisme  », mot grec qui désigne une pratique spécifiquement européenne.  On doute fort que ces grands cosmopolites à leur façon, que furent Fernando Pessoa, Valery Larbaud, Paul Morand, Mircea Eliade, et, plus en amont, Goethe ou Frédéric II de Hohenstaufen, eussent éprouvés la moindre sympathie pour l'actuelle globalisation. Le cosmopolite, l’habitant du cosmos, de l’ordre, est enraciné et peut s'enraciner, et il peut aussi éprouver le sens de l'exil, qu'évoquaient Hölderlin ou, plus proche de nous dans le temps, Dominique de Roux... Le cosmopolite goûte le charme de la découverte, de la mission de reconnaissance. Le globalisé, lui, est partout chez lui dans le nulle part. Le cosmopolitisme appartient, dans son ambiguïté même, à la tradition européenne. Le globalisé n'appartient à rien, sinon aux outrances de sa subjectivité. Dans ce monde déchu, qui est celui de la séparation, du diaballein, la pire séparation est celle qui règne dans le monde globalisé; chacun y étant le geôlier de soi-même. Autant le cosmopolitisme était le luxe de ceux qui s'inscrivent dans un tradere, autant la globalisation est la misère, fut-elle cossue et bancaire, des renégats.

Anna Calosso: L'adversaire, si je vous suis, est donc l'uniformisation...

Luc-Olivier d'Algange: oui, elle, et la schématisation, la simplification, la généralité et l'abstraction, choses plus ou moins équivalentes en la circonstance. La liberté n'est possible que dans un monde complexe et même profus, mais d'une profusion, non point numérique mais concrète. Si tout est plat, on nous tire à vue. Il faut, pour être libre, des espaces secrets, des labyrinthes, des passages vers d'autres mondes et d'autres temps. Tanizaki écrivit un Eloge de l'ombre, dont je conseille la lecture. Ceux auxquels on colle volontiers l'étiquette «  anarchistes de droite  » aiment le secret, les abbayes de Thélème, les Ermitages aux buissons blanc, les «  mondes flottants  », comme on dit au Japon. Le monde ante-moderne excellait à ces désordres féconds qui obéissaient à un ordre supérieur, invisible. Voyez une cité médiévale, ses recoins, ses surprises, son harmonie qui semble improvisée, voyez encore Venise et comparez les aux productions des architectes et urbanistes modernes conçues rigoureusement pour travailler, vendre et surveiller. Quelques architectes modernes eurent même l'idée de supprimer les rues, où l'on se promène, et de créer un dispositif où les hommes, parqués selon leurs catégories professionnelles, iraient directement de leur appartement à leur lieu de travail, avec pour seules stations intermédiaires le garage collectif et le supermarché. Nous sommes là aux antipodes de ce que Pasolini nommait la société des arcades où les castes se mêlaient dans la recherche des conversations, des saveurs et des plaisirs, dans le goût de l'otium. L'étymologie dit bien que c'est le negotium qui est la négation de l'otium. On voit aussitôt de quel côté est le nihilisme.

9782879131696.jpgAnna Calosso: Le nihilisme est quelque chose qui doit être surmonté nous dit Nietzsche...

Luc-Olivier d'Algange: Surmonté est le mot juste. Tout homme de ce temps est contraint à la traversée du nihilisme. Que voit-il dans ce parcours ? Les murs qui l'enserrent de plus en plus ou la lueur au loin, celle des «  aurores  » védiques ? La critique de la modernité est souvent perçue comme le fait de «  réactionnaires  », - mais nombre de ceux que l'on nomme ainsi ne le sont guère. Ce ne sont pas les formes anciennes qu'ils veulent restaurer mais perpétuer les forces, l'imagination créatrice qui les firent naître. Ce qui est tout autre chose.

Anna Calosso: J'hésite enfin à vous poser cette question, un peu trop courue: êtes-vous optimiste ou pessimiste ?

Luc-Olivier d'Algange: La grande espérance, la plus lumineuse, nous vient lorsque tout est à désespérer. Peut-être même y a-t-il quelque chose de providentiel dans le détachement auquel nous sommes obligés, et dont nous serons peut-être les obligés. Une réduction à l'essentiel s'opère, un feu de roue alchimique. Les œuvres qui ne sont plus enseignées publiquement deviennent un secret, dont naît une discipline de l'arcane. La beauté perdue au milieu de la laideur devient éperdue. La destruction des formes visibles nous livre au «  séjour auprès de l'invisible invulnérable  » pour reprendre la formule de Heidegger. L'hostilité du monde renforce l'amour entre quelques-uns. Les temps prochains seront aux Calenders.

mercredi, 03 février 2021

Imbolc et la fête de l'Ours

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Imbolc et la fête de l'Ours

Llorenç Perrié Albanell

Ex: https://www.terreetpeuple.com

Catalogne du Nord : La fête de l’ours, une survivance païenne restée intacte

Nombreuses sont les fêtes païennes qui ont été récupérées, faute de mieux, par la religion chrétienne lors de son implantation. Cette dernière s’est heurtée à l’univers mental et spirituel des européens de jadis dont le style de vie était rythmé par le cycle des saisons. Des fragments des anciennes pratiques nous sont parvenus par le biais de ces syncrétismes et rares sont les fêtes qui sont restées intactes. C’est le cas de la fête de l’ours en Catalogne du Nord qui se déroule en février.

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La fête de l’ours, quelles correspondances ?

Imbolc, le 1er février, est chez les Celtes une fête d’ouverture vers la lumière. Un mois après la période sacrée du solstice d’hiver on constate déjà l’allongement des jours. Le nom d’Imbolc est lié à l’allaitement des agneaux nouveaux-nés, en correspondance avec la montée du lait des brebis et le réveil des végétaux. Le soleil annonce son retour, c’est donc l’arrivée prochaine du printemps qui est célébrée, aussi bien chez les Celtes que chez les Germains. Le 1er février est également le jour de Brigit, déesse mère, bienfaitrice et protectrice, notamment des troupeaux. Un texte irlandais du Xe siècle décrit Brigit comme la fille du grand dieu Dagda. Citons également pour la même période la fête romaine des Lupercales célébrée le 15 février, en l’honneur de Lupercus, dieu protecteur des troupeaux, assimilé à Pan1.

Dimension symbolique de la fête de l’ours

Les fêtes en Catalogne du Nord sont nombreuses, goigs dels ous (cantiques des œufs, fête qui se déroule à Pâques, à mettre en relation avec Ostara), les focs de la Sant Joan (les feux de la Saint Jean, à mettre en relation avec le solstice d’été), etc... son folklore est aussi riche que varié, le choix ici, comme le titre de l’article l’indique, va se porter sur une des plus anciennes des fêtes, la fête de l’ours. Les fêtes traditionnelles, généralement religieuses, pagano-chrétiennes,  agraires ou historiques, ont la particularité et l’avantage d’être cycliques. L’action s’inscrit dans le temps à date fixe, demande une préparation et par conséquent une immersion dans le monde de la tradition. Ce qui permet le maintien d’un lien intergénérationnel et une catalanisation constante des esprits, le sentiment d’appartenance à la communauté villageoise, provinciale ou nationale est permanent. La fête de l’ours puise ses origines dans les rites païens de fécondité, la lutte de la vie ( renaissance printanière) contre la mort hivernale. Elle est présente à Céret, Prats de Mollo et Saint Laurent de Cerdans. Généralement elle a lieu entre janvier et février, à noter un rapprochement avec la fête du carnaval. La fête du carnaval s’inscrit dans la logique de l’antique fête païenne d’Imbolc (ancien nom celte, ère pré-chrétienne) où il fallait célébrer la défaite de l’hiver face au printemps par des réjouissances quelque peu débridées d’où la forme ancienne qui consistait à simuler une chasse, le gibier, personnifiant l’hiver mis à mort. Les villageois représentant le camp de l’hiver devaient être affublés de peaux de bêtes et de caparaçons de paille2. En Vallespir l’image de l’hiver est personnifiée par l’ours. De nos jours cette fête est toujours d’actualité et bénéficie d’un large succès. Le déroulement de la fête peut sembler, pour les visiteurs tranquilles, un peu brutal. Les hommes du village, des chasseurs, partent réveiller ce fameux ours, endormi dans sa grotte.  Il est incarné généralement par un ou plusieurs participants, de préférence robustes, vêtus comme dans les temps anciens d’une peau de bête, la figure et les mains enduites de suie, détail important lors des attaques.  Une fois réveillé notre faux plantigrade se rue sur tout le monde, sans distinction, ou presque, puis les enduit de cette fameuse suie, les femmes généralement par ce geste sont considérées comme fécondées. La fête est généralement accompagnée par des musiques  traditionnelles, une chanson revient souvent, c’est évidemment celle de l’ours. Musique, cris, poursuites dans les rues, bruits de bâtons qui s’entrechoquent, pétards et autres instruments dédiés au chaos sonore mettent le village dans une ambiance d’émeute ! La légende est contée en catalan, heureusement car le rituel conserve donc tout son sens. Bien évidemment les villageois sont les grands vainqueurs de ce combat. L’ours est tondu avec une hache en place publique, et comme par magie il redevient un homme, le printemps, la vie en définitif a eu raison de la noirceur de l’hiver3.

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Pour conclure : Outre le fait de chasser l’hiver qui affame, le rituel de la fête de l’ours selon Robert Bosch évoque une seconde hypothèse complémentaire4 : « Il symbolise le printemps, la renaissance de la nature et des êtres. De plus, l’ours permet aux villageois d’enrayer le problème de la consanguinité qui menace la conservation de l’ethnie. Les dimensions symboliques de l’ours suffisent au maintien des communautés villageoises vallespiriennes qui n’ont besoin de personne d’autre pour subsister ! »

Llorenç Perrié Albanell

A suivre sur Ronde Païenne des Quatre saisons :

https://www.youtube.com/channel/UClUqxeW0YiW87JnHZkGbVnQ

https://www.facebook.com/Ronde-païenne-des-quatre-saisons-105804574440226/?comment_id=Y29tbWVudDoxODE1NjgyNTY4NjM4NTdfMTgxNjIwMDcwMTkyMDA5

Notes:

1 Vial, Pierre, Fêtes païennes des quatre saisons, Les Éditions de la forêt, Saint-Jean-des-Vignes, 2008.

2Ibib.

3Perrié Albanell, Llorenç, Nationalismes irlandais et catalans, convergences, similitudes et différences, Les Éditions de la forêt, Forcalquier, 2014,

4Pagès, Magalie, Culture populaire et résistance culturelle régionale, Paris, L’Harmattan, 2010.

jeudi, 17 décembre 2020

Noël, fête immémoriale en Europe

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Noël, fête immémoriale en Europe

Par Robert Steuckers

Article rédigé pour la revue Cultura Identità (Naples)

La sédentarisation des tribus en Europe, et ailleurs dans le monde indo-européen, implique l’émergence définitive de l’agriculture et donc l’obligation pratique de tenir compte des saisons et d’observer le rythme de l’astre solaire. Les hommes vivront dans notre continent septentrional au rythme d’une liturgie. La liturgie est de fait le fondement le plus solide de la religion : nul autre livre ne l’explique mieux que celui de David Herbert Lawrence, intitulé Apocalypse. L’année est de fait un cycle où l’on trouve un point le plus bas (et le plus froid) et un point le plus haut (le plus chaud). Ce sont les solstices : l’un, estival, annonce pourtant le déclin du soleil ; l’autre, hivernal, annonce son retour, le triomphe de la vie sur la mort de la nature, qui avait commencé avec les premiers frimas de l’automne. Le solstice d’été est une fête triste pour nos ancêtres, qui s’affairaient à rentrer les récoltes, à faire des conserves pour la saison froide. Le solstice d’hiver, en revanche, est une fête joyeuse, où l’on consomme dans la joie, où l’on offre des mets et des cadeaux, où l’on promet, à ses proches, gentillesse et affabilité.

567488175f41676bbdc9762d9f0f229a.jpgLes festivités solsticiales de l’hiver ont été célébrées depuis des temps immémoriaux : ce furent les premiers rites romains des Saturnales, qui finirent par avoir mauvaise réputation mais qui, au départ, avaient le sens de la mesure et de la tenue. Dans le Nord de l’Europe, on célèbre notamment Iduna, déesse de la jeunesse et de la fertilité, des fruits et des pommiers, qui pourra à nouveau s’épanouir grâce au retour du Soleil. Parallèlement à ces cultes d’Europe du Nord et du Sud, la période de l’Empire romain a également connu l’existence d’une fête solsticiale mithraïque, apportée sous nos latitudes par les cavaliers sarmates engagés dans les légions romaines.

Le christianisme primitif, issu de traditions sémitiques où de tels cultes avaient disparu, entendait mettre un terme aux Saturnales et, plus tard, aux rites liés au retour certain de la fertilité en Europe du Nord. La Bible ne parle jamais de « solstice », terme signifiant étymologiquement l’ « arrêt du soleil », sauf dans Josué, 10, v. 12 à 14. Yahvé arrête la course du soleil pour que les Hébreux puissent massacrer leurs ennemis les Amorites. La règle générale est donc une hostilité rabique à l’encontre des traditions païennes européennes, à l’instar de ce que manifestent aujourd’hui les témoins de Jéhovah ou les salafistes radicaux, qui aiment à perturber les festivités de Noël dans nos villes, en adoptant un comportement agressif, contraire à la mansuétude que nos traditions veulent que nous manifestons. 

L’impossibilité d’éradiquer les festivités solsticiales ou leurs rituels transposés dans la pratique des masses christianisées contraint les premiers théologiens chrétiens à la souplesse, surtout parce que le culte de Mithra, véhiculé par les légions de Rome, risquait bel et bien de les supplanter. C’est la raison pour laquelle les conciles finissent par fixer la date de la naissance du Christ au 25 décembre, date de la principale fête mithraïque. La même tolérance vaut alors pour tous les symboles utilisés par la coutume, telles les garnitures faites de feuilles de houx, de branches de sapin, etc. autant d’éléments végétaux vus comme impérissables et, par conséquent, liés à la pérennité de la vie.

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Les princes et les rois, eux aussi, n’ont jamais renoncé aux rites traditionnels immémoriaux des peuples européens, même quand ils utilisaient la puissance de l’Eglise pour consolider leur pouvoir. Le jour de Noël, ils offrent des banquets ; dansent, distribuent des aliments aux miséreux et choisissent le 25 décembre pour se faire couronner et commencer leur règne, en le plaquant sur le début d’un nouveau cycle solaire. Ainsi, Charlemagne se fait couronner Empereur le jour de Noël de l’an 800. Ces banquets, jeux, danses et saynètes seront vus d’un mauvais œil par les théologiens sourcilleux mais rien n’y fera : ils seront maintenus. Quand les saynètes étaient dans le collimateur des théologiens les plus fanatiques, elles ont été remplacées par des mises en scènes figées, faites de figurines sommaires qui donneront à terme les santons de nos crèches.

Noël est donc une christianisation des Saturnales, des rites agraires de toute l’Europe et du culte de Mithra. L’Eglise, ne pouvant éradiquer ces cultes, va plaquer sur les journées qui suivent les solstices deux fêtes de sa propre liturgie : celle de Saint Jean Baptiste (le 24 juin) et celle de Saint Jean l’Evangéliste (le 27 décembre). Le 24 juin donnait lieu, dans les campagnes, à des brèves festivités solaires, consistant souvent à lancer du haut de monticules des roues enflammées, lesquelles amorçaient donc un mouvement descendant comme le soleil qui commençait à perdre de sa vigueur. Le 27 décembre, la fête de Saint Jean d’hiver annonce la Bonne Nouvelle, comme le sont les Evangiles, dont celui du disciple préféré du Christ. L’annonce de la Bonne Nouvelle par le plus jeune des disciples du Christ est assimilée au retour victorieux du Soleil, astre invaincu, comme disaient les Romains.

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En France, récemment, le philosophe en vogue Michel Onfray, qui se pose comme non chrétien et anticlérical, a produit une excellente vidéo montrant que la religiosité populaire a toujours fait l’équation entre le Christ (plus pantocrator que souffrant) et les cultes solaires immémoriaux : les chœurs des églises reçoivent les rayons du soleil sur le maître autel le jour du solstice d’été, les coqs de métal surmontent les clochers parce que le coq est l’animal qui annonce chaque matin le lever du soleil.

Dans les pays catholiques, cette fusion des cultes agraires et christiques n’a que rarement fait problème mais, avec l’avènement de filons fanatiques lors de la Réforme, surtout dans les territoires soumis au calvinisme et aux presbytériens, les fêtes de Noël sont interdites ; ce fut le cas en Ecosse en 1583 et en Angleterre en 1642, quand les puritains de Cromwell tinrent provisoirement le haut du pavé. Sous Cromwell, les Anglais avaient l’obligation de travailler le 25 décembre. Les sectes protestantes, qui animent encore et toujours le deep state des Etats anglo-saxons, ont tout de même vaincu d’une certaine manière car les festivités de Noël se sont, depuis lors, repliées sur la sphère privée et familiale, n’ont plus eu vraiment droit de cité sur les places publiques. L’offensive généralisée des milieux protestants et salafistes, sionistes chrétiens et sectaires, contre la fête de Noël prend aujourd’hui une tournure inattendue : l’expression de leur radicalisme iconoclaste est désormais la pratique économique du néolibéralisme, qui tente de garder ouverts les supermarchés jusqu’à la dernière minute avant la veillée de Noël, tente de supprimer les fêtes du calendrier liturgique (immémorial ou chrétien). Un bel exemple de ces efforts pour détruire définitivement nos traditions les plus belles et les plus innocentes est bien, de nos jours, la France de Macron, créature des Young Leaders néolibéraux qui prennent leurs modèles et leurs ordres dans les officines du deep state aux Etats-Unis. Ce néolibéralisme macronien est couplé au voltairianisme persifleur du filon laïque et révolutionnaire à la française, qui est un avatar particulièrement pervers des volontés éradicatrices toujours à leur œuvre de destruction dans l’histoire : Notre-Dame a brûlé, pas une semaine ne se passe sans qu’une église ou une statue mariale ne soit détruite par le feu ou à coups de maillet, les crèches sont interdites par une flicaille particulièrement brutale : le travail des théologiens du Bas-Empire, des presbytériens, des puritains de Cromwell, des sans-culottes fanatiques et des djihadistes salafistes (alliés objectif du pouvoir en place) est bel et bien parachevé dans les anciennes provinces gauloises de l’Imperium Romanum.

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mercredi, 16 décembre 2020

Rome antique: les Saturnales (17-23 décembre)

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Rome antique: les Saturnales (17-23 décembre)

Ex : https://www.romanoimpero.com

SATURNALIA ET OPALIA

Les Saturnales constituaient un cycle de festivités célébrées du 17 au 23 décembre, période fixée à l'époque impériale par Domitien, en l'honneur de Saturne (Chronos) et de la déesse de l'abondance des fruits de la terre, Ops, son épouse. Dans la religion catholique, les Saturnales ont été remplacées par le cycle de festivités qui vont de la Noël au Nouvel An. Lors de ces festivités païennes, il y avait également des décorations dans les villes, des guirlandes, des torches, des braseros allumés devant les temples, des rubans, des branches et des fleurs d'hiver.

Les Saturnales ont été consacrées à l'installation dans le temple du Dieu Saturne, au mythique âge d'or. Selon le mythe, Saturne a été chassé du ciel par Jupiter et accueilli par Janus sur le sol italique, qui a dès lors pris le nom de Saturnia, où il a régné pendant l’âge d'or, enseignant aux hommes à cultiver la terre et établissant les premières lois.

9782842054069-475x500-1.jpgSelon Hésiode, c'était le premier âge mythique, où "une lignée de mortels ‘en or’ a créé dans les premiers temps les immortels qui habitaient l'Olympe". Ils vivaient au temps de Kronos, lorsqu'il régnait au ciel ; comme des dieux, ils passaient leur vie, l’âme sans angoisse, loin du labeur et de la misère ; et leur misérable vieillesse ne leur pesait pas... (Hésiode - Les travaux et les jours).

Que ce soient les hommes qui créent les Dieux et non l'inverse est une hypothèse également soutenue par Plutarque dans ses Dialogues Delphiques, comme pour dire que les religions sont inventées par les hommes, ce qui ne nie pas les puissances supérieures du cosmos, mais montre que l'homme les a senties, représentées et finalement polluées par ses désirs et ses projections, les déformant totalement.

En l'honneur de Saturne, pendant sept jours, les temps de son règne heureux sont commémorés par des divertissements, des échanges de cadeaux et des banquets, auxquels les esclaves étaient invités parce qu'il n'y avait pas de différences de classe sous la règle de ce dieu. En fait, pendant l'âge d'or, les hommes vivaient sans avoir besoin de lois, sans cultiver de haine ni se faire la guerre entre eux, et ne cultivaient pas la terre parce que les plantes y poussaient spontanément. C'était toujours le printemps, il n'était donc pas nécessaire de construire des maisons ou de s'abriter dans des grottes. Avec l'avènement de Jupiter, l'âge d'or s'est terminé et l'âge d'argent a commencé.

Hésiode dit que l'âge d'argent avait plusieurs défauts, car les enfants restaient longtemps chez leur mère (au lieu d'aller à la gymnastique pour apprendre la guerre) et les adultes étaient querelleurs (mais il n'y avait pas de guerres). Jupiter les a punis pour cela en les exterminant. L'âge d'or a dû être la période primitive et instinctive, où l'homme n'avait pas conscience de sa propre mort.

L'âge d'argent est celui du matriarcat (l'argent, la lune et l'eau sont tous des éléments du féminin), où aucune guerre n'a été faite, Jupiter (le nouveau patriarcat) les a exterminés en mettant fin à l'âge d'argent et en commençant l'âge de fer (toujours selon Hésiode) où les guerres ont été menées.

La fin de l'âge d'or se produisit à cause d'une femme, (mais là on oublie que le ‘bon’ Saturne a dévoré ses enfants et que pour cette raison il a été détrôné), parce que Prométhée, ayant eu pitié des hommes qui n'avaient pas de feu pour cuisiner, le vole aux dieux pour le donner aux humains. Jupiter, qui n'aime manifestement pas les humains, punit Prométhée et comme il y a aussi des hommes, coupables à ses yeux, il les punit aussi en envoyant Pandore, la femme curieuse. C'est elle qui ouvre la boîte interdite, donc fatale pour les humains. Étrange, car le principe de toute science et de tout progrès est la curiosité.

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Les Saturnales commençaient par de grandes processions, des sacrifices, de riches banquets avec de la nourriture et du vin en abondance, pour lesquels, comme il n'y avait pas de condamnation du sexe, même les relations plutôt licencieuses étaient autorisées. L'Eglise catholique a classé ces festivités de décembre dans la catégorie condamnable des orgies, parce que les Romains les aimaient trop. Catulle a appelé ces fêtes l’ "Optimo dierum" (le meilleur des jours).

Les invités de la fête échangeaient alors le souhait "Je suis les Saturnales" (ego Saturnalia), qui selon les auteurs était l'abréviation du souhait de passer des Saturnales heureuses (ego tibi optimis Saturnalia auspico). "Je suis les Saturnales" ne semble pas avoir beaucoup de sens, d'autant plus que c'était une fête très conviviale.

La première interprétation semble donc la plus valable, d'autant plus que le souhait était accompagné de petits cadeaux symboliques, appelés strenne (de la déesse Strenua, la déesse du solstice d'hiver), à base de bougies, de noix, de dattes et de miel.

En fait, les esclaves pendant la fête devenaient des hommes libres, ils n'avaient pas à servir leurs maîtres mais parfois c'étaient les maîtres eux-mêmes qui les servaient, ou du moins qui organisaient un banquet pour eux ; en souvenir du fait que, pendant le règne de Saturne, il n'y avait ni serviteurs ni esclaves. En outre, un "princeps", caricature de la classe noble, était élu par tirage au sort, à qui était attribué tout le pouvoir sur la fête elle-même, vêtu d'un drôle de masque et de couleurs vives parmi lesquelles le rouge, couleur des dieux et des empereurs, prédominait (Sénèque, Apocol., 8).

Le princeps, qui organisait la fête, en assurant son bon déroulement, représentait une divinité inférieure, Saturne ou Pluton, gardiens des morts, mais aussi protecteur des campagnes et des cultures. Dans les Saturnales, les jeux d'argent étaient également autorisés, interdits le reste de l'année, y compris les jeux de dés.

Les Saturnales étaient également célébrées dans l'armée ; la fête était appelée "Saturnalicium castrense", où de simples soldats s'asseyaient à côté des généraux en égaux et portaient un toast en même temps que la fête qui détendait des fatigues et des tensions du combat.

À l'époque romaine, on croyait que ces dieux (Saturne, Pluton, Proserpine), sortis du sous-sol, erraient en procession pendant toute la période hivernale, lorsque la terre se reposait sans être cultivée en raison du gel hivernal. Ils devaient ensuite être apaisés par l'offrande de cadeaux et de fêtes en leur honneur pour les rendre bienveillants, puis retourner dans l'en-deçà, où, en tant que dieux des profondeurs infernales, ils protégeraient les graines, les faisaient germer au printemps et favorisaient les récoltes de la saison estivale.

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Pendant les Saturnales, il n'y avait pas de jours tristes et le deuil était aboli. En effet, Suétone, pour faire comprendre combien Germanicus était aimé des Romains et combien ils pleuraient sa mort, rapporte le fait exceptionnel que le deuil de la population se poursuivait exceptionnellement aussi pendant ces fêtes. "Ainsi, à l'époque des saturnales, Suétone dit que le deuil de Germanicus était tel qu'il dura même en ces temps"

LE MYTHE DE SATURNE

Le dieu Saturne, ou plutôt son correspondant grec Kronos, ou Chronos, qui était aussi la divinité de l'époque, fut exilé par Zeus et ses fils olympiens à la fin de la Titanomachie. Il avait, selon certaines sources, déplacé son royaume vers un endroit que, d'abord les Grecs et ensuite les Romains, appelèrent les "îles bénies" qu’à partir de Claude Ptolémée (100 - 175 après J.C.) on a toujours prétendu qu'elles coïncidaient avec les îles Canaries.

Un autre mythe, purement italien, raconte que Saturne a été lié et enterré par Jupiter dans un endroit secret du Latium. Le nom de cette région remonte à "latere" (se cacher) et le Latium fait allusion au lieu caché du tombeau du dieu. Qui aurait pu découvrir le tombeau aurait pu obtenir la "graine d'or" que Saturne gardait dans sa tombe, graine qui aurait rendu heureux et immortel celui qui l'aurait possédée.

Pendant les Saturnales, les tribunaux et les écoles étaient fermés : il était interdit de commencer ou de participer à des guerres, d'établir des peines de mort, de porter le deuil et, en tout cas, dese livrer à toute autre activité que la célébration. Les Saturnales ont lieu dans la période précédant le solstice d'hiver, à la veille de la veille du Noël du Soleil : le nouveau Soleil renaît après sa mort symbolique.

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C'était la fête la plus prisée des Romains car elle était suivie par tout le peuple, une fête qui se déroulait dans tout l'empire surtout dans les rues, avec des foires, des spectacles et des marchés, d'où nos marchés de Noël. C'est pourquoi il n'a pas été bien vu par certains moralisateurs qui n'aimaient pas les mélanges entre les différentes classes sociales et surtout entre les hommes et les femmes.

La partie officielle de la fête consistait en un sacrifice solennel dans le temple où la tête du dieu était découverte et au cours duquel les bandages de laine qui enveloppaient les pieds du simulacre de Saturne fondaient. Un banquet public suivait, au cours duquel tous les participants échangeaient des toasts et des bons vœux.

Jusqu'à la fin de l'année, Saturne est resté détaché pour remplir ses fonctions de fondateur d'une ère nouvelle. Saturne est mort au solstice d'hiver pour renaître en tant qu'enfant de Dieu au début de l'année.

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Les SATURNALIA CASTRENSIS

Les Saturnales étaient également célébrées dans l'armée ; la fête était appelée "Saturnalicium castrense" ; dans les castra, les soldats décoraient les salles où étaient organisés les banquets et les toasts, et les rangs inférieurs s'asseyaient, pour une seule fois dans l’année, à côté des rangs supérieurs de l'armée romaine. C'était aussi l'occasion pour les supérieurs de faire connaissance avec certains de leurs légionnaires et peut-être, s'ils étaient impressionnés par leurs allures ou leurs propos, de leur confier des tâches plus importantes afin de se démarquer et peut-être de monter en grade.

LES JOURS DE FÊTE

- 17 décembre - ante diem sextum decimum Kalendas Ianuarias - Saturnalia -

- Les Saturnales commençaient par le rite du "lectisternium" : les statues de Jupiter et des douze dieux étaient disposées sur les lits dans une attitude commensale, évidemment les Romains avaient des statues ad hoc pour ce rite ; on leur parlait, et avec beaucoup de respect, on leur demandait leur protection pour Rome et ses citoyens, en leur expliquant les problèmes actuels ; puis on leur offrait de la nourriture qui était ensuite consommée publiquement par les participants, dans certains cas, quand il y avait un danger imminent, la nourriture était plutôt brûlée en offrande aux Dieux.

- Puis il y avait la célébration religieuse avec une procession au temple de Saturne placé au pied du Capitole et des sacrifices d'animaux étaient faits.

- Les bougies étaient allumées et un grand banquet était organisé dans le quartier, avec des focaccias, du fromage, des olives et du vin dilué, auquel tout le monde était invité ; des toasts et des vœux étaient également portés. Tout cela aux frais de l'État.

- À partir du 17, les festivités commençaient sans qu'aucun travail ne soit effectué, des cadeaux et des cartes de vœux s’échangeaient, souvent des épigrammes, ainsi que les trois symboles des saturnales : le myrte, le laurier et le lierre (sacré pour Vénus, Apollon et Bacchus).

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- De grands banquets étaient organisés et le "Princeps Saturnalicius" était élu pour diriger la fête. Même les robes portées changeaient : la toge étaient abandonnée et la synthesis était portée (une robe de maison très décontractée), et le pileus (un chapeau en forme de capuchon) s’utilisait comme coiffe.

"Dans le culte de sa personne et dans son habillement, il était si négligé que ses cheveux étaient toujours coupés en escabeau et, après le voyage en Grèce, lui tombaient même sur la nuque ; de plus, il sortait en public presque toujours sans ceinture et pieds nus, en robe de chambre (synthesis) et avec un mouchoir autour du cou" (Suetonius, La vie de Néron)

Selon une autre tradition, les Saturnales ont été établies par les compagnons d'Hercule qui sont restés en Italie.

Varro faisait remonter plutôt les Saturnales aux Pélasgiens qui s’étaient installés en Italie après en avoir chassé les Siculiens. En tout cas, les fêtes de Saturne sont bien antérieures à la fondation de Rome.

La fête, dont le règlement fut fixé en 217 av. J.-C., durait deux jours au temps de César, quatre jours au temps de Caligula et sept jours au temps de Domitien, car les Romains aimaient prendre des vacances.

Les esclaves erraient dans la ville déguisés et portant le chapeau phrygien (le chapeau de la libération, lorsqu'ils cessaient d'être esclaves et devenaient citoyens romains), s'abandonnant aux réjouissances les plus folles, mais les citoyens romains n'étaient pas moins nombreux dans les rues. Il est clair que pendant la semaine des Saturnales, Rome était en proie au chaos, au bruit et à la confusion, comme le rapportent Sénèque et Pline le Jeune : ce dernier nous raconte que pendant les festivités, il s'est réfugié dans une maison de banlieue, loin du bruit et de la fête.

- 18 décembre - ante diem quintum decimum Kalendas Ianuarias - Saturnalia -

Deuxième jour des festivités de Saturne. Toujours des banquets publics et privés, tout le monde invitait tout le monde, Rome était remplie d’échoppes, de jongleurs, de danseurs et de musiciens, les édicules dédiés aux Dieux étaient ornés de rubans et de fleurs. Ils furent rejoints par la fête d'Éponie, dédiée à Épona et particulièrement chère aux cavaliers, car Epona était la déesse celtique des chevaux, conservatrice et dispensatrice d'abondance et de fertilité. De plus, les 18, 19 et 20 ont été les jours de Mercatus, équivalents des foires et marchés d'aujourd'hui.

- 19 décembre - ante diem quartum decimum Kalendas Ianuarias - Opalia -

Troisième jour des Saturnales, en l'honneur de la déesse Ops ou Opis, ancienne déesse de l'Abondance, protectrice d'une riche récolte, considérée comme l'épouse de Saturne. C’est aussi l’anniversaire de la dédicace du temple du Capitole. La déesse était d'origine sabine, le culte a été introduit à Rome à l'époque de Titus Tatius. On lui demandait des grâces et des vœux se prononçaient.

- 20 décembre - ante diem tertium decimum Kalendas Ianuarias - Sigillaria -

Dans les Saturnales, il y avait aussi la fête des statuettes en terre cuite, appelées sigillaria, cire, pâtes ou figurines en terre cuite, comme offrandes votives et bons vœux. qui s’échangeaient pendant les Saturnales et étaient offertes aux dieux lares ; mais elles étaient aussi offertes au dieu Saturne, car il était le dieu du temps et donc aussi de la mort, rite effectué comme pour détourner celle-ci des siens : l'offrant donnait au dieu le sigillum à la place de sa propre personne.

- 21 décembre - ante diem duodecimum Kalendas Ianuarias - Saturnalia -

- Cinquième jour des festivités de Saturne. Rome était remplie de gens issus de tout l'empire et d'ailleurs, qui venaient voir la merveille de la fête romaine, où l'Urbs donnait le meilleur d'elle-même dans des spectacles sur les places. De la nourriture, des souvenirs, des sealaria, des vêtements, des ornements et des bijoux étaient vendus dans les rues. Des artisans de tous horizons proposaient des articles en cuir, en bois, en terre cuite, en bronze, en laiton, en argent et en succin (ambre jaune de la Baltique).

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- 22 décembre - ante diem undecimum Kalendas Ianuarias - Saturnalia -

Sixième jour des fêtes en l'honneur de Saturne. Comme la fête concernait tout l'empire, les compagnies de danseurs et de mimes qui se produisaient sur les places se rendaient à Rome depuis d'autres villes. En 84, Martial publie les Xenia (cadeaux pour les invités), ses écrits sur les cadeaux que les Romains s’échangeaient à l'occasion des Saturnales.

- 23 décembre - ante diem decimum Kalendas Ianuarias - Saturnalia -

Septième et dernier jour des festivités en l'honneur de Saturne. Les dieux sont remerciés par une nouvelle procession, les rues grouillent de torches et de braseros, et la journée se passe entre les banquets et les bains décorés de rubans et de guirlandes pour l'occasion. Les festivités s’achèvent au coucher du soleil.

BIBLIOGRAPHIE :

- Aulo Gellio - Noctes Atticae - libro II -
- Macrobio - I Saturnali - a cura di Nino Marinone - Unione Tipografico-Editrice Torinese - Torino - 1967 -
- Ambrogio Teodosio Macrobio - I Saturnali - a cura di Nino Marinone - classici latini - UTET - 1987 -

- G. Frazer - The golden bough - Il ramo d'oro - III - Londra - 1911 -
- G. Dumézil - La religione romana arcaica - Milano - 2001 -

- John F. Donahue - "Towards a Typology of Roman Public Feasting" in Roman Dining: A Special Issue of American Journal of Philology  - University Press - 2005 -

 

 

samedi, 05 décembre 2020

Fêtes romaines : les FAUNALIA RUSTICA (du 5 au 8 décembre)

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Fêtes romaines : les FAUNALIA RUSTICA (du 5 au 8 décembre)

Ex: https://www.romanoimpero.com

Le dieu Faune

Le faune est représenté sous forme humaine et farouche simultanément, en référence donc à l'origine naturelle de l'homme, en tant que fils de la Déesse nature. Faune est aimé mais aussi craint parce qu'il aime la forêt dense et les loups qui s'y promènent. Marcus Terentius Varron, transmis par Saint Augustin, raconte un rituel nocturne que les Romains accomplissaient pour empêcher le démon Faune, à l'occasion de la naissance d'un enfant, de faire du mal à la femme qui venait d’accoucher.

Trois hommes se sont fait passer pour les gardiens du seuil, ils ont franchi les limites de la maison et se sont rendus à la porte principale ; le premier, représentant Picumnus, démon du mortier et de la hache, a frappé le seuil avec une hache, le second, représentant Pilumnus, démon de la lance et du pilon, a frappé le seuil avec une arme de jet, et le troisième, imitant Stercutius, démon des ordures et pour faire contraste avec la purification, il nettoyait le seuil des éclats, commis par les deux autres ; avec un balai (dans les cultures anciennes, certains outils quotidiens avaient valeur magique) en invoquant la Deverra, divinité insérée dans la liste des "Indigitamenta" (invocations aux divinités).

Ces actes rituels auraient exorcisé l'intrusion du Faune ou plus traditionnellement du Silvanus. Varro affirme en effet que trois dieux sont assignés comme gardiens à la femme qui a accouché, afin que le dieu Silvanus n'entre pas la nuit et utilise la violence. Et pour symboliser les trois gardiens, trois hommes doivent faire le tour de la maison la nuit, frapper la limite d'abord avec la hache, puis avec le mortier et enfin la nettoyer avec le balai : avec ces signes d'adoration, le Dieu Silvanus ne peut pas entrer.

Le dieu Faune est plus tard identifié à Pan et, à l'époque classique, les faunes deviennent nombreux, les créatures rurales équivalentes aux satyres grecs. Comme ceux-ci, ils ont le corps moitié homme et moitié bouc, des cornes et des sabots. Selon la tradition, le culte du Faune a été introduit à Rome par Numa Pompilius (754 - 674 av. J.-C.) qui était d'origine sabine, on suppose donc que ce Dieu était aussi sabin : "Et (Numa) divisa l'année en douze mois, en suivant tout d'abord le cycle de la Lune ; ... Il divisa ensuite les jours en jours fastes et en jours mauvais, de sorte que certains jours aucune décision publique ne devait être prise".

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Les faunes rustiques

Dans le calendrier romain, le 5 décembre était le premier jour de la fête des Faunalia Rustica, il était indiqué comme dies faustus, un jour de bon augure, et était particulièrement adapté aux activités commerciales.

En fait, les Faunales étaient célébrées en l'honneur du Dieu Faune. Faune était, au départ, une divinité italique d'origine pastorale, protectrice du bétail et de la fertilité, dont le culte avait pour but de promouvoir la fécondité et la santé du bétail. En ce sens, le Faune était opposé au dieu des bois Silvanus, protecteur des lieux sauvages.

De la faune et de la flore

Lors des Faunalia Rustica, dont les célébrations se déroulaient en plein air et dans les champs, étaient allumés des feux et brûlés des parfums propitiatoires, et la fête durait pendant les heures nocturnes, lorsque des danses étaient organisées, également utilisées par les prêtres saliens pour invoquer la protection du Faune sur la récolte et sur le bétail. En son honneur, un chevreau ou un mouton était sacrifié, dont la chair était distribuée aux personnes présentes, ainsi que de grandes jarres de vin.

Caractéristique surtout des zones rurales, la célébration a lieu en hiver et au printemps : les Faunalia d'hiver, également appelées Faunalia Rustica, ont lieu du 5 au 8 décembre et clôt l'année des travaux à la campagne, tandis que les Faunalia de printemps, mieux connue sous le nom de Lupercalia, précède le réveil printanier de la nature en invoquant la protection des troupeaux, et a lieu le 15 février. L

En fin de compte, il s'agissait de deux Faunales d'hiver, également connues sous les noms de Faunalia Rustica et Faunalia Primaverili, pour célébrer le début du printemps et le renouveau de la nature et invoquer leur protection sur les troupeaux, ce qui se passait le 15 février, d'abord de manière isolée, puis souvent associée aux Lupercales. La nuit, il était d'usage de donner lieu à une danse spéciale, qui était également exécutée par les prêtres saliens, par laquelle la protection des cultures et du bétail par le Faune était invoquée.

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C'étaient des jours où les bœufs n'étaient pas soumis au joug, car même les animaux avaient le droit de se reposer et de participer à la joie, en effet pour l'occasion ils étaient couronnés de guirlandes et de rubans enroulés autour de leurs cornes. C'est pourquoi on célébrait les animaux et le côté animal de l'homme. En effet, dans les temps anciens, les Lupercales étaient l'accouplement des prêtresses avec les bergers, puis transformé en flagellation des femmes par les prêtres et la peur qu'un Dieu mystérieux ne viole la femme qui accouche. En bref, une réédition très élaborée du sexe libre pré-romain.

Les temples

À Rome, le seul temple dédié au Dieu Faune se trouvait sur l'île du Tibre et un autre hors les murs, près d'un bois situé près de la fontaine de l'Albunea, où se trouvait un célèbre oracle dédié au dieu, mais la fontaine portait le nom de la Sibylle appelée Albunea ou Tiburtina, d’après un ancien divinateur alors divinisé, protecteur de la ville de Tivoli et créateur des légendaires livres sibyllins.

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La Sibilla Tiburtina était également une favorite de la déesse Vénus, on soupçonne aussi qu'à des époques plus archaïques, les Faunalia Rustica, outre les banquets et le vin, incluait également les rapports sexuels. Horace ne considère pas le dieu avec grande tendresse et, dans son ode, invoque le Faune lui demandant de montrer son sexe, tout en ménageant surtout les créatures errantes dans la forêt, en particulier les loups, le plus grand danger pour les troupeaux.

BIBLIOGRAPHIE :

- Marco Terenzio Varrone - De lingua Latina -
- Ovidio - Fasti - IV -
- Renato Del Ponte - Dei e miti italici. Archetipi e forme della sacralità romano-italica - ECIG - Genova - 1985 -
- Robert Maxwell Ogilvie - The Romans and their gods in the age of Augustus - 1970 -
- William Warde Fowler - The Roman Festivals of the Period of the Republic - London - 1908 -
- Massimo Izzi - "Faunus/fauni" - in "Dizionario dei mostri" - Roma - L'Airone - 1997 -

 

mercredi, 02 décembre 2020

Rome: le rite et le mythe

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Rome: le mythe et le rite

par Mario Perniola

Ex: http://www.archiveseroe.eu

Le rite ne se réduit pas à une simple réactualisation du mythe comme la tradition spiritualiste de la Grèce relayée par le christianisme tendrait à le faire penser. La ritualité ne se fonde pas dans tous les cas sur un mythe d'origine. Le geste n'est pas toujours subordonné au mot, ni la pratique à la croyance, ni l'extériorité à l'intériorité. Mario Perniola, en un texte très documenté d'histoire et de linguistique latine, montre de manière convaincante que la caerimonia n'est pas carimonia. Il faut éviter de penser la cérémonie comme formalisme ou pure extériorité : « extériorité et cérémonie, rite sans mythe et sans foi, ne se trouvent pas au terme du processus historique [mais] se trouvent à l'origine de la romanité »

Le sociologue Claude Rivière remarque à propos de ce texte : « Comme des dieux nul ne sait rien que ce que les mythes leur attribuent, c'est-à-dire que le sacré n'a que le sens qu'on lui suppose à partir de son extériorité, leur véritable existence n'est pour nous que ce qui se manifeste dans l'objectivité de la caerimonia, dans la hiérophanie des liturgies. Les enseignes militaires des armées de César réunies en faisceau objectivent le serment d'alliance, et le symbole détient un pouvoir sacré. L'extériorité du rite correspond à l'extériorité du sacré, non pas actualisation d'un système mais existence objective d'une force immanente à l'histoire.

Certes la référence étymologique n'efface en rien la conception chrétienne, mais au moins montre-t-elle qu'un sens peut être donné à l'extériorité du rite, que les rites et symboles ont le sens que leur attribuent les hommes, fabricants de mythes et d'idéologies, qu'il n'y a pas de précession nécessaire d'un signifié, mais une possibilité de création simultanée du signifié et du signifiant, que l'extériorité du répétitif dans la vie sociale, doublant l'intériorité d'un vécu, énonce en langage gestuel, postural ou verbal la même chose que le mythe comme récit à décrypter, ou que l'idéologie en termes abstraits » (Les liturgies politiques, Puf, 1988).

[Ci-dessus : Equirria, cérémonie en l'honneur du dieu Mars où des chevaux étaient purifiés et sacralisés avant de partir en guerre]

***

Le rite et le mythe

Si le mythe a constitué l’un des plus importants paradigmes culturels de la civilisation moderne, il semblerait que le modèle de l’organisation de la culture dans la société post-moderne soit plutôt le rite : le récit mythique — avec son idéalisation, ses implications émotives, sa référence à une dimension archétypique de l’existence — fait place à la performance, à une action qui réunit en elle-même les caractères de l’exécution et de l’exhibition, qui est désenchantée et répétitive, technique et stratégique, qui présente donc des similitudes substantielles avec le rite.

“Caerimonia” comme “carimonia”

Or, tandis que la société post-moderne perçoit la différence entre monde mythique et monde rituel comme étant le conflit entre une conception dorée et passionnée de la vie et une conception froidement opérante et effective de l’action, l’anthropologie, la sociologie et la philosophie contemporaines ignorent le plus souvent cette opposition ; considérant le rite comme une simple actualisation du mythe, ces disciplines nient à la répétition rituelle toute signification et tout intérêt qui lui soient spécifiques. Dans cette méconnaissance de la spécificité de la ritualité, on retrouve à l’oeuvre le préjugé spiritualiste de la tradition hellénico-chrétienne : on est prêt à reconnaître à l’action un sens et une valeur, mais à l’unique condition qu’elle soit subordonnée à la parole et à la foi. Une action répétitive qui ne trouve pas son fondement et sa justification dans un récit généalogique et dans une croyance individuelle ou collective, religieuse ou sociale, n’est pas considérée (des néo-platoniciens à Diderot, de saint Augustin à Lévi-Strauss) comme un véritable rituel, mais comme une simple cérémonie, c’est-à-dire comme un comportement que l’on jugera systématiquement vide de sens, stéréotypé, inutile, idolâtre, pathologique, désespéré ; au mieux, il fera l’objet d’une appréciation esthétique. Pas plus que les autres sciences humaines, la psychanalyse n’a soustrait la cérémonie à cette condamnation millénaire : en la mettant en relation avec le comportement des sujets atteints de névroses obsessionnelles, elle a même renforcé ce jugement.

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Le véritable scandale de la pensée occidentale, ce n’est pas le mythe, c’est la cérémonie : en premier lieu, en effet, les concepts de muthos et de logos ne sont pas dans la culture grecque aussi opposés que le laisse supposer la formulation sophistico-platonicienne du problème, puisqu’ils sont parfois utilisés comme synonymes ; en second lieu, l’étude scientifique des mythes se développe aujourd’hui en même temps que le mythe de la science, si bien que mythe et science, pensée sauvage et pensée rationnelle, s’avèrent beaucoup plus proches que l’irrationalisme romantique ou le rationalisme positiviste ne veulent bien l’admettre ; enfin, même sur le plan socio-politique, la formation du consensus par le biais d’un appel aux convictions rationnelles des individus, apparaît dans la civilisation politique ouverte par le Siècle des Lumières et par la Révolution française, inséparable de la diffusion de mythes politiques de masse. Tous ces éléments nous incitent à considérer la prétendue pensée rationnelle comme étant davantage la continuation et le travestissement de la pensée mythique que son alternative radicale. Du reste, l’une et l’autre se fondent sur la subordination des gestes aux mots, des pratiques aux croyances, cette subordination étant elle-même fondée sur le primat de l’intériorité.

Le déclin de la civilisation des XVIIIe et XIXe siècles, qui a été essentiellement mytho-logique, se manifeste dans le triomphe du spectacle et de l’apparence, dans l’exhibition obscène de tout ce qui était caché, voilé, secret, dans l’épanouissement de la simulation idéologique et culturelle qui, insensible aux contradictions et aux incompatibilités, rend interchangeables toutes les théories. Cependant, à considérer la société contemporaine comme une simple société du spectacle et de la simulation hyperréelle — et peu importe que ce soit de façon critique ou apologétique —, on ne voit pas l’ampleur et la profondeur du saut historique devant lequel nous nous trouvons ; en effet, ces caractères sont encore étroitement dépendants de la tradition spiritualiste occidentale, qui pense l’extériorité et la cérémonie comme formalisme, surface et sclérose, et qui ne voit en l’une et en l’autre qu’un manque de profondeur, de substance intérieure et de vie. Ainsi, on réduit la caerimonia à une carimonia (de careo, être privé de, sentir le manque de), suivant une étymologie erronée qui date de l’Antiquité, et qui faisait référence à l’offrande sacrificielle faite aux dieux par les hommes : en réalité, le manque que la métaphysique occidentale reproche à la cérémonie, ce manque concerne le mythe et la foi. Une offrande sacrificielle qui n’est pas motivée par une dévotion intime et spirituelle, et qui, en outre, est adressée à des divinités dont on ne sait rien, cela constitue une folie incompréhensible.

La cérémonie des dieux

Pourtant, cette folie constitue la base même de la religion et de la mentalité des anciens Romains. Le plus surprenant, c’est que dans la Rome antique, extériorité et cérémonie, rite sans mythe et sans foi, ne se trouvent pas au terme du processus historique, ne sont pas l’expression de la décadence et de l’essoufflement d’une religion qui aurait perdu tout rapport avec l’expérience vécue dont elle est née ; bien au contraire, ces caractéristiques se trouvent à l’origine de la romanité, elles constituent l’intuition centrale sur laquelle se fonde la conception romaine du divin, de l’humain et du temps.

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En partant de quelques textes d’écrivains de l’Antiquité, Karl-Heinz Roloff, l’auteur de l’étude la plus vaste et la plus exhaustive sur le mot et sur le concept latin de caerimonia (1), montre que parallèlement et antérieurement au sens d’action et de comportement rituels, le terme désigne l’être même du divin, l’objet de la religion, c’est-à-dire ce qu’on peut traduire très approximativement par le mot “Sacralité” (Heiligkeit). Que cérémonie veuille dire beaucoup plus que sainteté, cela paraît prouvé par un texte de Suétone, qui oppose la sanctitas des rois à la caerimonia des dieux, ce terme indiquant que le mode d’existence des dieux est infiniment supérieur à celui des souverains. Ce n’est donc pas à un manque que le mot fait référence, mais, bien au contraire, à la dimension ontologique du sacré ; cela explique que le terme ne soit utilisé dans cette acception qu’au singulier et que, plus tard, des grammairiens l’aient pris pour un nom pluriel. Quand Cicéron parle d’une caerimonia legationis, quand Tacite parle d’une caerimonia loci, ils pensent davantage à l’être de la chose elle-même qu’à l’attitude ou au sentiment humain envers celle-ci. Enfin, lorsque César raconte le complot ourdi contre lui par les Carnutes et par d’autres peuples de la Gaule (dans le De Bello Gallica, VII, 2), il nous dit qu’ils renoncèrent à échanger des otages, afin de ne pas dévoiler leur alliance, mais qu’ils demandèrent que toutes les enseignes militaires soient réunies en faisceau, et que tous fassent le serment de ne pas se séparer des autres lorsque la guerre aurait commencé : un tel acte est défini par César comme une gravissima caerimonia, car les enseignes ainsi réunies acquièrent un pouvoir sacro-saint, objectif, indépendant de la croyance des hommes, et qui remplace très efficacement l’échange d’otages.

S’il convient donc de parler d’une cérémonialité de l’être, celle-ci ne peut être entendue au sens de festivité (Feierlichkeit), de cette contemplation joyeuse que Kerényi attribuait à la religion grecque (2), envisagée dans son rapport direct à la vision, à la manifestation, à la splendide apparition du phénomène. Dans le texte de César, on ne trouve aucune allusion à une manifestation du divin : toute l’attention des Carnutes est concentrée sur l’action qu’ils s’apprêtent à entreprendre et sur la nécessité de fonder cette action historique, pleine de. risques et d’inconnues, sur l’obéissance à la gravissima caerimonia des enseignes réunies en faisceau ; cette cérémonie n’est pas une fête organisée à l’occasion de l’alliance, elle est la garantie objective, extrêmement sérieuse et astreignante, de cette même alliance.

La cérémonialité de l’être ne peut pas davantage être comprise comme spectacularité du divin. Les ludi scaenici sont étrangers à la religion romaine archaïque, à laquelle renvoie le mot utilisé par César (3). La caractéristique essentielle de la religion romaine, c’est l’extraordinaire imprécision de l’aspect des divinités, dont on ignore parfois jusqu’au sexe : les dieux romains sont si abstraits et désincarnés qu’ils se réduisent très souvent à un simple nom. Le Panthéon romain a été très justement comparé par Dumézil à un monde d’ombres presque immobiles, à une foule crépusculaire à l’intérieur de laquelle il est difficile de repérer un contour précis (4). Bien qu’il parle des Gaulois, il va de soi que César leur attribue en cette occasion une façon de penser typiquement romaine.

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Enfin, dans son acception la plus profonde, caerimonia deorum ne désigne ni le culte qui appartient aux dieux, ni le culte qui leur est dû, mais plutôt l’extériorité du mode d’existence du divin. Ici, la réflexion sur la religion romaine rencontre la théorie moderne du sacré conçu comme complètement autre, comme différence, comme refus radical de toute conception anthropomorphique du divin. Cette convergence d’une théorie du sacré qui plonge ses racines dans le monothéisme juif, et du paganisme romain (tenu par Hegel pour une des formes les plus blâmables de la superstition), une telle convergence ne laisse pas de surprendre. Pourtant, malgré la distance qui sépare Yahvé de la cérémonie romaine du divin, la convergence objective de l’iconoclastie hébraïque et de l’aniconisme de la religion romaine des origines (selon la tradition, celle-ci ne connut pas d’images sacrées pendant les premiers cent soixante-dix ans de son histoire), cette convergence nous laisse perplexe. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est de comprendre que l’extériorité de l’être est tout le contraire d’un mode d’existence purement spectaculaire.

La cérémonie des hommes

La signification subjective de la cérémonie (entendue comme opération et comportement rituels) est tout aussi importante que la signification objective attribuée aux “choses elles-mêmes”. Cette seconde acception du terme, qui est la plus répandue et la plus usuelle, est toutefois étroitement liée à la première : par exemple, dans la cérémonie racontée par César, il n’y aurait eu aucune sacralité objective si l’action de réunir toutes les enseignes militaires (action orientée vers un but bien précis) n’avait pas été accomplie. « À cet égard, l’action est elle-même sacralité : sans elle, il n’y aurait pas de sacré, mais d’autre part, le sacré ne tient qu’à l’assemblage des signa » (5).

Ainsi, l’extériorité n’est pas seulement l’aspect fondamental de l’être divin, mais aussi — et au même titre — le caractère essentiel du rite religieux, lequel n’a nullement besoin de fonder sa validité sur une croyance, une foi, une expérience intérieure. Ici apparaît clairement la distance qui sépare la religion romaine et la théologie de la différence, d’origine judaïque ou chrétienne : dans la première, l’extériorité du rite correspond à l’extériorité du sacré ; dans la seconde, au contraire, l’intériorité du culte fait pendant à l’extériorité de Dieu (6). Cela ne signifie pas que la cérémonie romaine brise — comme dit Hegel — le cœur du monde, rompe l’individualité de tous les esprits, étouffe toute vitalité (7), c’est-à-dire qu’elle soit liée à une totale insensibilité émotionnelle et spirituelle. Dans la cérémonie romaine, le rapport entre extérieur et intérieur est inversé : ce n’est pas l’intériorité qui fonde et justifie le culte, comme dans le judaïsme et dans le christianisme, c’est la cérémonie — c’est-à-dire la répétition extrêmement précise et scrupuleuse d’actes rituels — qui ouvre la voie à un type de sensibilité non sentimentale, mais pas moins articulée et complexe pour autant. Dans le récit de César, la cérémonie fait naître chez les conjurés une solidarité plus sûre que celle qui eût été garantie par l’échange d’otages. Le caractère de cette solidarité n’est pas exclusivement religieux, il est également juridique et politique.

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On ne peut pleinement saisir la signification romaine du mot cérémonie si l’on fait abstraction de cette dimension juridico-politique ; cependant, celle-ci ne doit pas être entendue au sens de lex, c’est-à-dire d’acte volontairement contraignant, mais au sens de jus, c’est-à-dire de rite à caractère rigoureusement technique, de procédure dans laquelle le magistrat et les parties ont des rôles rigoureusement déterminés par la tradition. Cela signifie que le caractère obligatoire de la cérémonie ne dépendait pas de l’adhésion des participants à ses contenus, mais de la capacité des magistrats à rattacher le cas particulier à la forme générale et abstraite du rite.

Le jus est précisément un ars, un ars qui in sola prudentium interpretatione consistit : si on garde à l’esprit que ars et ritus dérivent de la même racine ar- qui désigne l’ordre (8), la répétition cérémonielle s’impose comme un des points cardinaux de la pensée romaine.

Le comportement cérémoniel se détermine donc par rapport à deux termes qui sont l’un et l’autre objectifs et extérieurs : la situation spécifique et la forme rituelle. La prudentia, c’est, précisément, la capacité de les harmoniser. D’un côté, l’obéissance à l’occasion, à la donnée particulière, à l’opportunité, ne se réduit pas à un pur opportunisme, car elle s’accomplit en référence à un cadre, à un schéma général hérité du passé ; de l’autre, l’obéissance à la tradition n’est pas pure sclérose, car elle vise à la solution d’un problème, d’un problème concret.

Cette harmonie entre opportunité et forme constitue l’un des principaux thèmes de l’important ouvrage que Jhering, au siècle dernier, consacra à l’esprit du droit romain (9), qu’il définit comme étant « le système de l’égoïsme discipliné ». L’instinct pratique des Romains, observe Jehring, avait permis l’établissement de règles et d’institutions si élastiques qu’elles s’adaptaient toujours aux besoins du moment, bien qu’elles fussent scrupuleusement observées.

1497262099.jpgAppliqué au monde romain, le concept d’extériorité ne veut pas dire, comme dans l’optique judéo-chrétienne, transcendance d’une loi qui s’impose inconditionnellement à l’intériorité humaine ; la cérémonie n’est pas l’exécution d’un devoir-être éternel et immuable, ni l’actualisation d’un mystère méta-historique : les termes sur lesquels elle se fonde sont tous objectifs, mais immanents à l’histoire. Chez les Romains, le sacré ne présente aucun caractère panthéiste ou mystique : il existe essentiellement, nous dit Roloff, dans le cas particulier, dans l’évènement particulier, ce qui est parfaitement conforme au caractère “casuistique” du mode de penser romain (10).

Cérémonie du temps

La cérémonie est aux antipodes du spectacle, de la mise en scène : elle apparaît comme étant la condition de toute production, de toute action, de toute histoire. C’est particulièrement évident dans la conception romaine du temps, qui diffère autant de l’éternel retour des sociétés primitives, avec son cycle de morts et de renaissances rituelles, que de l’histoire linéaire du judaïsme, avec son espérance messianique d’un rachat final. À Rome, la cérémonialité du temps, c’est le calendrier, une structure formelle de jours, de mois, de fêtes, qui revient toujours mais qui n’entrave pas l’activité historique des hommes ; bien au contraire, le calendrier fournit l’indispensable point de référence qui permet de situer chronologiquement toute action particulière.

Le temps cyclique des sociétés primitives, qui n’attribue d’importance qu’à la réactualisation de l’archétype mythique originel, et le temps linéaire du judaïsme, qui considère les entreprises d’Israël comme étant celles de Dieu lui-même, sont tous deux, sous des aspects bien différents, des temps mythologiques, c’est-à-dire des temps dans lesquels il existe un lien indestructible entre la dimension chronologique et son contenu : c’est ce lien, précisément, qui fonde la sacralité de ces expériences du temps. Le calendrier romain, au contraire, fonde un temps démythifié, mais non pour autant désacralisé ou insignifiant : il fournit un cadre, une grille de référence, un tissu dont les éléments sont sacrés, mais il ne dit pas a priori ce que ces éléments doivent contenir, et il ne transforme pas a posteriori leur contenu en histoire sacrée. La structure cérémonielle du calendrier romain se pose comme condition d’histoire : elle commence par laisser indéterminé le caractère concret de l’événement ; puis, quand celui-ci s’est produit, elle n’annule pas sa spécificité en l’insérant dans un processus dont la signification ultime est la rédemption finale, mais elle se soucie de la conserver en en faisant un précédent.

Selon une hypothèse suggestive, les douze mois de l’année doivent être mis en relation avec les douze boucliers réalisés par le forgeron Mamurius Veturius (le premier artisan qui soit mentionné dans l’histoire de Rome), pour le compte de Numa Pompilius. Qui plus est, Mamurius aurait été la représentation symbolique de l’année écoulée (11) ; en effet, le 14 ou le 15 mars (dans le calendrier romain, l’année se terminait à la fin du mois de février), les Romains accomplissaient un rituel connu sous le nom de Mamuralia : la foule portait en procession un homme couvert de peaux de bêtes, puis elle le frappait avec de longues baguettes blanches en l’appelant Mamurius. Ce rituel aurait également inspiré une expression populaire : suivant des sources grecques, lorsqu’on voulait faire allusion à quelqu’un qui avait reçu une bonne volée, on disait qu’il avait “joué les Mamurius” (tàn Mamourion paizein).

La figure de Mamurius serait donc liée à la fois à l’abolition de l’année écoulée (à travers les Mamuralia) et à la fondation de l’année nouvelle (suivant le récit qui le représente comme forgeron au service de Numa). En arguant du lien existant dans l’histoire des religions entre les initiations et les forgerons, en rappelant que les Mamuralia précédaient immédiatement les Liberalia (ces fêtes du 17 mars où les jeunes Romains revêtaient la toge virile), une interprétation particulièrement ingénieuse voit dans le dossier fort complexe de Mamurius rien de moins que ce rite d’initiation à l’âge d’homme, typique des sociétés primitives, que l’on tenait jusqu’à aujourd’hui pour étranger à la religion romaine archaïque (12).

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Si l’on nous demande à quels contenus, à quels idéaux, à quels modèles de vie, Mamurius initiait, la réponse est simple : Mamurius initiait à la cérémonialité du temps, au calendrier, au rite démythifié. Cela signifie que dans le monde romain, la mort simulée n’est pas suivie d’une vraie renaissance, d’une vraie vie (comme dans les rites de passage des sociétés primitives), mais d’une vie artificielle, juridique, cérémonielle, rythmée par le calendrier, qui fait abstraction de tout prototype et de tout temps intérieur, qui est depuis toujours répétitive et extériorisée, et dans laquelle mort et renaissance rituelles coïncident (13).

C’est maintenant qu’on peut comprendre, peut-être, le sens le plus profond du mot ludus, qui n’est pas seulement synonyme de rite, qui ne veut pas dire seulement simulation, qui n’est pas utilisé uniquement par rapport au jeu sexuel et à la séduction, mais qui signifie également école, apprentissage, instruction. Désormais, en effet, on n’a rien à enseigner, on n’a rien à apprendre, sinon les procédures, les cérémonies, les mouvements rotatoires à l’intérieur desquels l’occasion, la particularité la plus empirique, la situation la plus spécifique, doivent être “jouées”. Il est inutile de se dérober au “jeu de Mamurius” : l’essentiel est de vaincre en dépit des coups de bâton. L’enseignement du forgeron Mamurius apparaît donc opposé à celui des autres “maîtres du feu” de l’aire indo-européenne : pas le wut, la fureur religieuse, la colère qui terrorise les ennemis, mais, tout au contraire, le calme, l’indifférence, le mimétisme, en un mot : la cérémonie.

► Mario Perniola, Traverses n°21-22, 1981. [Traduit de l’italien par Thierry Séchan]

Notes :

91dBX7kQy4L.jpg1. K.-H. Roloff, « Caerimonia », in : Glotta, Zeitschrift für griechische und lateinische Sprache, Band XXXII, 1953, p. 101-138.
2. C. Kerényi, La Religion antique, 1957.
3. G. Piccaluga, Elementi spettacolari nei rituali festivi romani, Roma, 1965, p. 64.
4. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 50.
5. K.-H. Roloff, op. cit., p. 111.
6. À ce sujet, cf. les thèses d’Emmanuel Levinas, in : Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, La Haye, 1961, en ce qui concerne le judaïsme. Pour le christianisme, cf. les considérations de R. Otto, in : Le Sacré, 1929.
7. GWF Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, III.
8. E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, 1968, t. II.
9. R. von Jehring, Geist des romischen Rechts auf den verschieden Stufen seiner Entwicklung, Leipzig, 1854-1865.
10. K.-H. Roloff, op. cit., p. 121.
11. J. Loicq, « Mamurius Veturius et l’ancienne représentation de l’année », in : Hommages à Jean Bayet, Paris, 1964, pp. 401- 425.
12. A. Illuminati, « Mamurius Veterius », in : Studi e materiali di storia delle religioni, a. XXXII, 1961, pp. 41-80.
13. M. Perniola, « Mort et naissance dans la pensée rituelle », in : Archivio di Filosofia, 1981.

♦ nota bene : dans un entretien postérieur à cet article, l'auteur précisait : « (...) j’ai orienté mes lectures vers l’étude de l’Empire romain, en particulier les techniques juridiques et administratives qui ont permis aux Romains de surmonter les guerres intestines. La notion-clé sur laquelle a porté mon attention a été celle de rituel sans mythe, qui est aux origines de la religion et de la jurisprudence romaine. L’issue de cet effort a été le volume Ritual Thinking. Sexuality, Death, World (2000). Mon travail a rencontré les tendances les plus récentes de l’anthropologie américaine, qui excluent l’existence des mythes fondateurs des rituels. Dans ce cas, le lien social est garanti uniquement par l’exécution d’une série de schèmes de comportement prédéterminés qui sont tout à fait indépendants de l’adhésion subjective à des croyances, doctrines, fois ou à l’émergence d’affects, d’émotions ou de sentiments. Cela se réalise à travers une épochè : cette expérience d’origine cynique-stoïque a ensuite été reprise par la phénoménologie de Husserl, qui en a fait la condition de toute connaissance rigoureuse. » (Rue Descartes n°4/2015).

 

vendredi, 09 octobre 2020

John T. Koch: Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

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John T. Koch:

Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

 
 
The opening lecture from the 2016 Celtic Mythology Conference at the University of Edinburgh.
 

vendredi, 26 juin 2020

Religions ethnicisées et recomposition des scènes politiques dans l'espace issu de la disparition de l'Union soviétique

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Religions ethnicisées et recomposition des scènes politiques dans l'espace issu de la disparition de l'Union soviétique (Fédération de Russie (Tatarstan et Altaï) et Asie centrale (Kirghizstan)

Aurélie Biard[1]

Ex: http://www.gis-reseau-asie.org

Ce projet de thèse considère les réarticulations du croire et les redéfinitions identitaires au sein des deux républiques autonomes de la Fédération de Russie que sont le Tatarstan et l'Altaï ainsi qu'au Kirghizstan, en se concentrant sur la participation du fait religieux[2] aux tentatives de réification d'identités « néo-ethniques », au travers d'un cas d'études, celui de la mise en concurrence symbolique[3] de l'islam notamment avec la réhabilitation du néo-paganisme. Ce dernier participe dudit « renouveau identitaire » de ces trois républiques de langue turcique. Au sein de la république centrasiatique indépendante qu'est le Kirghizstan ainsi que dans la république autonome du Tatarstan de la Fédération de Russie, républiques turcophones, toutes deux à majorité musulmane, le néo-paganisme correspond, dans une très large mesure, à l'idéologie nationaliste et revivaliste que semble être le tengrisme. Cette idéologie cherche en effet à promouvoir un « retour » aux anciennes religions nationales mythiques des peuples turciques et rejette l'islam. Le tengrisme ou tengrianstvo (« pratiques liées au ciel ») s'apparente à une mode intellectuelle et religieuse, entretenue par des élites urbaines cultivées, et correspond peu ou prou à ce que l'on pourrait qualifier de « religion de la nation ». On la retrouve à la fois en Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan) et parmi les peuples turciques de la Fédération de Russie, en particulier au Tatarstan, au Bachkortostan, en Bouriatie, mais également, dans une moindre mesure cependant, en Iakoutie et dans l'Altaï. Elle consiste à réactiver, à l'heure de la mondialisation, la notion politico-religieuse pré-islamique de « Ciel » (Tengri)[4] – le « Ciel » constituait le concept politique unificateur des empires türks des steppes des VIIe et VIIIe siècles[5] – et, dans les régions de tradition musulmane, à présenter l'islam comme une foi étrangère auprès des populations locales. Selon ses partisans, le tengrianstvo constituerait l'un des éléments majeurs du renouveau identitaire des peuples turco-mongols et devrait être officialisé par les nouveaux États en tant que religion nationale. Les tentatives d'institutionnalisation du néo-paganisme dans la république d'Altaï, laquelle est également de langue turcique mais profondément russifiée tant sur le plan linguistique que culturel et religieux et, partant, acculturée au monde russe, s'appuient généralement, de leur côté, sur une revitalisation du mouvement quasi-messianique connu sous le nom de burkhanisme ou Ak Jang (« Foi Blanche »).

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Le phénomène néo-païen peut ainsi être perçu comme une instrumentalisation du religieux à des fins politiques de définition de la nation, sur la base d'une coïncidence forcée entre « religion païenne » et identité nationale. Les enjeux politiques d'une coïncidence entre néo-paganisme et identité nationale ne sont naturellement pas les mêmes selon le statut des républiques au sein desquelles le néo-paganisme est promu. Ainsi, dans le cas du Kirghizstan, république qui a accédé à l'indépendance en 1991, à la chute du régime communiste, le tengrisme  semble correspondre à une tentative de construction (ou de consolidation) d'un État-nation et, partant, d'un pouvoir centralisé par le biais d'une religion nationale. Cette dernière serait d'ailleurs inscrite dans le territoire, les traditions et l'histoire d'un peuple et elle seule, saurait exprimer, dans le cas du Kirghizstan, une supposée « voie kirghize » ou kirghizité. Aussi l'existence d'un Kirghizstan indépendant focalise-t-il sur lui les discours d'exaltation de l'Etat. Pour ce qui est des républiques autonomes du Tatarstan et de l'Altaï toutefois, les discours des différents théoriciens du néo-paganisme se construisent en référence au centre, Moscou et se concentrent sur la valorisation desdites « spécificités nationales et religieuses » des populations éponymes face aux Russes dits « ethniques » [russkij]. Les discours néo-païens peuvent alors servir de support à des revendications sécessionnistes, notamment au sein de la république autonome du Tatarstan ; le néo-paganisme pouvant ainsi s'apparenter à un contre-pouvoir ou à un pouvoir alternatif à celui de Moscou.

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La sensibilité nationaliste des néo-païens peut être poussée à ses extrêmes et la promotion de l'identité nationale se voir doublée par le rejet de toute altérité : refus de toute idée d'emprunt culturel, de tout principe d'hétérogénéité ou d'exogénéité, définition ethniciste, voire racialisée, des nations, antisémitisme virulent[6]. Le phénomène du néo-paganisme peut être appréhendé, nous l'avons vu, comme une instrumentalisation du religieux répondant à une fin politique de définition de la nation, sur la base d'une coïncidence forcée, non seulement entre néo-paganisme et identité nationale, mais aussi entre néo-paganisme et ce qui serait l'etnos[7] spécifique de chaque peuple. Le néo-paganisme, à travers cette ethnicisation du divin aux conséquences politiques ambiguës, tendrait alors à se constituer en un croire ethnique, excluant toute autre forme d'appartenance et, rejetant par là même, le caractère universel et transnational des religions universalistes. Dans le cas de l'idéologie tengriste promue au Kirghizstan, l'islam se voit ainsi condamné en tant que foi étrangère par les théoriciens du mouvement tengriste. L'islam serait alors pour les théoriciens du tengrisme ou tengrichilik (tengrisme en kirghiz) au Kirghizstan, paradoxalement, l'un des vecteurs possibles de la mondialisation. En condamnant l'universalité des grandes religions et en affirmant que l'islam est au service d'intérêts étrangers, le néo-paganisme constitue la version religieuse de nombreux discours nationalistes, notamment kirghiz et tatars. En effet, les partisans d'une religion ethnicisée à laquelle correspondrait le néo-paganisme ne cachent pas leur engagement politique : au Tatarstan en faveur de l'indépendance de la république ; au Kirghizstan, en faveur d'une « purification » du pays de toutes les influences étrangères, qu'elles viennent de Russie, du Moyen-Orient, des Etats-Unis ou de Chine[8]. Les plus fervents partisans du néo-paganisme dans la république autonome d'Altaï affirment également la nécessité selon eux, de « libérer » la république de l'influence russe et ce, afin de tendre vers une consolidation de l' « unité » de la « nation » altaïenne face aux Russes.         

Nous nous pencherons, dans le cadre de ce travail de thèse, sur les raisons qui ont motivé la création du nouvel outil de gestion du changement qu'est le néo-paganisme au sein de la société kirghizstanaise contemporaine ainsi que dans les républiques autonomes du Tatarstan et de l'Altaï de la Fédération de Russie. Quelles sont les fonctions contemporaines du néo-paganisme ? Quelle est son opérationnalité dans un contexte de désenchantement du politique et que révèle-t-il de celle des autres outils existants, en particulier l'islam ? L'engagement politique des différents théoriciens du néo-paganisme visant à l'officialisation du mouvement en tant que « religion nationale », au sein des républiques concernées, qu'elle soit indépendante dans le cas du Kirghizstan ou intégrées à la Fédération de Russie, comme le Tatarstan et l'Altaï, induit naturellement une résistance de la part des représentants des hiérarchies religieuses et, plus généralement, de la part de certains membres de l'intelligentsia, fermement opposés à sa réhabilitation. Ces derniers tentent, dans le cas du Kirghizstan, au même titre que les théoriciens tengristes, de mettre en avant une « religion nationale », inscrite dans le territoire et, partant, de forger une identité kirghize spécifique, une identité ethnico-nationale articulée autour d'une référence à un islam particularisé et territorialisé, apolitique et syncrétique[9]. La prise en considération du contradictoire, du conflictuel révèle ainsi une compétition en matière de définition de l'identité nationale en question, au travers du prisme religieux, au sein de la Fédération de Russie comme dans la république kirghizstanaise.

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Ainsi, la conjonction paradoxale, dans le néo-paganisme, entre un millénarisme religieux qui n'est en rien spécifique à l'espace post-soviétique et un processus d'ethnicisation du divin aux conséquences politiques ambiguës révèle les profondes mutations idéologiques et les processus de recomposition sociale que sont en train de connaître les sociétés post-soviétiques.

Ce ré-emploi du religieux qu'est le néo-paganisme, qui correspond à une forme de « croire ethnique », met en exergue le déficit d'un politique désenchanté, celui du relatif. Ainsi, loin de témoigner d'un « retour du religieux », le néo-paganisme attesterait, pour reprendre les termes de P. Michel, « son effacement, en pointant un vide, un déficit du politique si massif et si cruel que manqueraient même les mots politiques qui permettraient de le dire. D'où le recours au religieux comme registre de discours, comme langage »[10].

Note:

[1] Doctorante en science politique à l'IEP de Paris. Institut d'Études Politiques de Paris, sous la direction de Patrick Michel. Laboratoire de rattachement : CERI. Programme doctoral : « Russie-CEI ». Courriel

[2] Ce religieux est construit, suivant en cela la démarche initiée par Patrick Michel, en tant qu'« indicateur et mode de gestion d'une triple recomposition, qui s'éprouve fréquemment sur le mode de la crise, et qui affecte l'identité, la médiation et la centralité » in P. Michel, « Préface » in Sébastien Peyrouse, Des Chrétiens entre athéisme et islam, Regards sur la question religieuse, en Asie centrale soviétique et post-soviétique, Maisonneuve & Larose/IFÉAC, 2003, p. 19.

[3] Nous nous focaliserons, tout au long de ce travail de thèse, plus largement sur l'interaction entre islam et « religions ethniques », sur leur collaboration, concurrence, interpénétration, etc.

[4] Voir, entre autres, René Grousset, L'empire des steppes, Paris : Payot, 1965. Le terme de tengri, tergir (tÄnri en vieux turc) signifie le Ciel dans les langues turco-mongoles. Le culte du ciel ou de divinités liées à lui est attesté par de nombreuses sources écrites et archéologiques datant de l'époque des royaumes turciques de Sibérie des VIe-VIIIe siècles. Celles-ci confirment également que le tengrisme était l'une des religions pratiquées dans le khaganat turcique avant que les peuples de la région ne passent au bouddhisme, au manichéisme ou à l'islam. Le Ciel constituait donc le concept politique unificateur des empires türks des steppes. Cf. Aurélie Biard et Marlène Laruelle, « Tengrism in Kyrgyzstan, in search of a new religious and political legitimacy », in Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, à paraître.

[5] Précisons toutefois que nous n'identifions pas pour autant le tengrisme moderne et la religion ancienne des Türks; le tengrisme moderne se réclame certes de cet héritage mais n'a probablement que le ciel en commun avec la religion ancienne des Türks.

[6] Voir Aurélie Biard et Marlène Laruelle, « Tengrism in Kyrgyzstan, in search of a new religious and political legitimacy », in Etudes mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, à paraître.

[7] Nous proposons, à l'instar de Marlène Laruelle, cette transcription. Ainsi que l'explique Marlène Laruelle : « le terme russe etnos peut être transcrit de deux manières suivant que l'on cherche à mettre en avant sa racine grecque et donc à le rapprocher, par exemple, du terme français d'ethnie (ethnos), soit, ce qui est le cas ici, la translittérer directement du russe afin d'insister sur le sens spécifique que le terme a acquis dans le langage soviétique », in « Stalinisme et nationalisme. L'introduction du concept d'ethnogenèse dans les historiographies d'Asie centrale (années 1940-1950) », in Marlène Laruelle et Catherine Servant (sous la direction), D'une édification l'autre : socialisme et nation dans l'espace (post)communiste, Coll. « Sociétés et cultures post-soviétiques en mouvement », Editions Pétra, sep. 2007,pp.206.

[8] Rappelons que le Kirghizstan est un pays limitrophe de la Chine.

[9] Les conflits furent ainsi particulièrement virulents sur la scène kirghizstanaise, lorsque Dastan Sarygulov, alors Secrétaire d'État, tenta de promouvoir le tengrisme. Comme l'a montré Foucault, là où il y a pouvoir, il y a résistance. Les relations de domination, ainsi que la résistance qui lui est intrinsèquement liée cachent naturellement des luttes pratiques de pouvoir, tant il est vrai, ainsi que nous le rappelle G. Ballandier, que le « politique se définit d'abord par l'affirmation des intérêts et la compétition » in Anthropologie politique, PUF, coll. « Quadridge », p. 147.

[10] Cf. Patrick Michel, Religion et démocratie, nouveaux enjeux, nouvelles approches, Paris, Albin-Michel, 1997, p. 20.

 

 

dimanche, 02 février 2020

Imbolc... La fête celtique de la lumière et de la purification

Imbolc... La fête celtique de la lumière et de la purification

[NB: Pour le calcul exact de la date d'Imbolc: Pour Ambiuolcato, il faut que la lune soit gibbeuse montante (entre le premier quartier de lune et la pleine lune) et que le soleil soit dans le Verseau].

Dans la tradition païenne des Celtes, le 1er février se célébrait la fête connue sous le nom d'Imbolc. Cette fête hivernale annonçait le prochain retour du printemps. Imbolc marquait avant tout le retour de la lumière et des forces solaires. Dans le grand rythme des cycles saisonniers, le 1er février est un hymne à la lumière et aux jours qui petit à petit reprennent de la vigueur. Cependant, le mois de février se caractérise dans toutes les traditions indo-européennes par un accent mis sur la symbolique lunaire et les Déesses qui l'accompagnent. Ceci s'explique par le fait que les forces solaires ne sont pas encore au plus fort de leur course cyclique, élément qui nous rappelle le règne hivernal de l'obscurité et de la lune.

Imbolc est ainsi dédié à une Déesse celtique, la Déesse Brigit. C'est elle qui apporte ce retour cyclique de la lumière. Brigit est le nom irlandais de la Déesse, et il correspond à la Déesse Brigantia (actuelle Grande-Bretagne) ainsi qu'à la Déesse gauloise Rigani. Elle est un des aspects de la grande Déesse qui fut très vénérée chez les Celtes. Son nom vient de celui d'une tribu indo-européenne et signifie "altesse", "sublimité". Ce nom de Brigit se retrouve dans la toponymie de nombreux endroits de l'Europe celtique pour lesquels on peut déduire qu'elle y était partciulièrement adorée: Bragana (Portugal), Bregenz (Autriche), Brig (Valais, Suisse), Brega (Irlande), Braint (GB), Barrow (GB), Brent (GB). Ses fonctions sont multiples car son culte est rattché à la protection divine, la prophétie, la médecine, la fertilité et fécondité. Le bétail lui était dédié, ce qui nous renvoie encore une fois aux notions d'abondance et de fertilité. Mais dans la tradition populaire elle est avant tout restée comme une Déesse liée au feu. Cette symbolique du feu la connecte à celle du soleil dont elle incarne le retour en période hivernale. Une tradition toujours très vivante pour Imbolc est celle qui consiste à faire avec du jonc tressé une croix de Brigit. Cette croix que l'on peut voir sur la photo n'est autre qu'un swastika, symbole solaire par excellence. Ce swastika correspond tout à fait au symbolisme du retour de la lumière solaire. De nos jours encore en Irlande existe la coutume de tresser pour le 1er février des croix de Brigit, les enfants dans les maternelles et les écoles s'y donnent à coeur joie. Le culte de la Déesse Brigit était tellement enraciné parmi les peuples celtes, que la christianisation n'arriva jamais à supprimer son culte. Les tentatives furent pourtant nombreuses de la part des chréti(e)ns, mais tout comme pour d'autres Divinités païennes, l'église se vit obligée finalement de la christianiser en faisant d'elle Sainte-Brigid. Ce n'est bien-sûr pas un hasard si la date de cette Sainte-Brigid fut placée au 1er février.

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Une autre caractéristique majeure de la fête d'Imbolc est la norme qui voulait qu'on se lave de forme rituelle les mains, les pieds et la tête. Ceci fait évidemment partie d'un rite de purification. Ce genre de rite est à mettre en parallèle avec les traditions romaines du mois de février comme celle des Lupercalia. Comme nous l'avons récemment vu, "februa" était un terme latin pour désigner les cérémonies de purification. Se purifier lors de la fête celtique d'Imbolc était donc en harmonie complète avec les forces cosmiques qui elles aussi se purifient au mois de février afin de préparer le retour cyclique des forces solaires.

L'étymologie du nom d'Imbolc est également très révélatrice. Imbolc vient de l'ancien irlandais "i mbolg" qui veut dire "dans le ventre". Ce terme fait bien-sûr référence à la grossesse d'une femme enceinte. Cette grossesse est liée à Brigit comme Déesse de la fécondité et protectrice des femmes enceintes. Par ailleurs l'aspect prophétique de la Déesse a lui aussi laissé des traces dans la célébration d'Imbolc étant donné qu'au 1er février on pratiquait beaucoup la divination. Le moment était propice pour interroger les signes afin de savoir ce que l'avenir réserve au foyer et au clan.

Pour Imbolc, n'oubliez donc pas de vous purifier, car vous préparerez de cette manière le grand retour de la lumière solaire, celui qui nous promet de beaux jours pour l'avenir.

JOYEUX IMBOLC À TOUTES ET À TOUS !!!

Hathuwolf Harson

Sources:
"Lexikon der keltischen Mythologie", Sylvia und Paul F. Botheroyd.

http://en.wikipedia.org/wiki/Imbolc

Origines païennes de février dans la tradition romaine: https://www.facebook.com/photo.php?fbid=361818503956964&set=a.305425889596226.1073741835.230064080465741&type=1&theater

Symbolisme du swastika: https://www.facebook.com/photo.php?fbid=315806118558203&a...

mardi, 10 décembre 2019

TERRE & PEUPLE Magazine n°81

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Communiqué de "Terre & Peuple - Wallonie"

TERRE & PEUPLE Magazine n°81

Le numéro 81 de TERRE & PEUPLE Magazine est centré autour du thème de la spiritualité païenne.

Sous le titre ‘Tu trembles, carcasse’ de son éditorial, Pierre Vial relève des signes qui ne trompent pas.  En Allemagne, où l’AfD réalise des scores éblouissants.  En Italie, où le refus de l’invasion permet à la Lega de continuer sa progression.  En Flandre, où le Vlaams Belang s’impose comme le premier parti.  Au même moment, en France, Macron confesse que « ses certitudes sur l’économie s’effondrent» !

Brûlant un cierge à la France française, Pierre Vial épingle le hors-série de Valeurs Actuelles consacré à Michel Audiard.

Bernard Lugan démonte l’offensive anti-française de diversion menée par l’Algérie qui, par la voix de l’Organisation Nationale de Moudjahidines, ses anciens combattants de la libération, accuse le colonisateur français de génocide et de pillage.  Ils rêvent de compensations.  Expert des questions africaines, l’auteur rappelle que l’Algérie engloutissait en réalité 20% du budget de la France !  Et qu’elle a raflé le pactole du Sahara avec lequel historiquement elle n’a pourtant rien de commun.  Il fait remarquer que, dans leur grande majorité, ces résistants libérateurs sont des imposteurs : en 1962, l’Algérie a identifié 6.000 moudjahidines, auxquels elle a reconnu d’importants privilèges.  En 1970, ils étaient déjà devenus 70.000 et, en 2017, 200.000 et leurs ayants-droit 1,5 millions !  Le budget du Ministère des Moudjahidines est un des plus lourds de l’Algérie, après l’Education et la Défense.

Pierre Vial introduit le dossier central sur la spiritualité païenne par un appel à l’essentiel alors que, l’âme morte, des masses humaines se précipitent vers l’enfer.  Ecologie panthéiste, l’esprit de vie païen s’attache instinctivement à réenchanter le monde, dans le combat pour nos forêts, nos rivières, nos mers, nos montagnes.  L’âme de nos martyrs nous accompagne.  Dans nos mythes ancestraux, un des symboles les plus forts de notre spiritualité est le Graal, véhicule de la dimension sacrée du sang.

PEB-portraitdevant.jpgSur une batterie de huit questions sur la spiritualité païenne que leur a posée Pierre Vial, deux personnalités consacrées en ce domaine, Pierre-Emile Blairon (La Roue et le Sablier) et Paul-Georges Sansonetti (Chevalerie du Graal et Lumière de Gloire) apportent leur éclairage à partir d’observations et de témoignages heureusement complémentaires.  Le premier répond à toutes les questions pêle-mêle, dans un agréable foisonnement.  Se propose ainsi, dans un ordre de recommencement, d’évolutions et d’involutions, une invitation à saisir au vol les étincelles enthousiasmantes de l’esprit de vie.  Avant Abraham, tous les peuples, les juifs y compris, étaient polythéistes.  Le christianisme des premiers siècles est citadin, produit des masses cosmopolites des grandes mégapoles.  Férues des nouveautés, elles sont méprisantes pour les traditions rurales.  Il y sera néanmoins largement puisé au cours des siècles suivants.  L'invention de l'écriture (-3.300), énorme progrès technique de la modernité, marque une régression de l'intelligence, qui passe de la mémoire humaine aux archives et à la comptabilité : les symboles sont désincarnés.  C'est une involution : à l'inverse du dogme darwinien de l'évolution linéaire vers un progrès continuel, d'un commencement vers une fin, la conception du temps des païens est cyclique, selon une figure en spirale décentrée, comme le mouvement de notre galaxie.  La notion de tradition primordiale fait référence aux artefacts phénoménaux d'origine humaine que l'archéologie est en peine d'expliquer.  Il est profitable de retentir au message d'une pléiade d'auteurs-éveilleurs aux traditions, tant locales que régionales, ethnique et nationales, et à l’idée d’une involution, d’un Âge d’or spirituel à un Âge de fer matériel.  Le mythe de Prométhée, héros tragique pour les uns, dans sa tentative généreuse d’édification du genre humain, n’exprime pour d’autres que la ruse vaine d’un titan suffisant et insuffisant, qui n’ouvre qu’une Voie des pères, en opposition à l’esprit olympien, transparence de l’être qui est la Voie des dieux.  La Voie des pères propose cependant une troisième voie, entre le paradis des monothéistes et le néant des athées. 

PGS-graal.jpgPour sa part, Georges-Paul Sansonetti répond point par point aux huit questions de Pierre Vial:  -1°En assimilant le paganisme à l’athéisme, on se coupe d’un courant, intérieur au christianisme, qui a sauvegardé des notions essentielles de nos civilisations indo-européennes, notamment ce qui a fait que Janus, gardien des deux solstices, se retrouve dans les deux Saint-Jean, l’évangéliste pour l’hiver et le baptiste pour l’été.  -2°Dans les guides autorisés de la spiritualité païenne, il convient d’épingler Mircea Eliade, Georges Dumézil, Pierre Vial, Jean Haudry, René Guénon et Julius Evola.  Sans oublier les auteurs ‘enracinés’ (tels Giono, Vincenot) ni les mythiques (Tolkien, Earl Cox).  -3°A nos groupes d’amis identitaires, l’auteur recommande les échanges de lectures, le culte partagé des vestiges, des pierre levées néolithiques, de la Crète, des Achéens, des Doriens et de leurs mythes olympiens, de Rome, des mythes celtiques, germaniques, slaves.  Et la découverte en commun de nos espaces ancestraux, de nos forêts, de nos montagnes, dans la fraternité d’un effort partagé.  -4° La connaissance du paganisme européen complète heureusement un engagement politique identitaire par la plus longue mémoire : nos ancêtres célébraient il y a dix-huit mille ans la lumière du solstice d’été dans la Grotte de Lascaux.  -5° Ces mythes expriment les principes de survie de nos communautés : une autorité douée de compréhension et de puissance fulgurantes (Zeus), une force défensive de l’ordre établi (Arès), un génie de la communication (Hermès), un sens joyeux de la festivité (Dionysos), une virtuosité technique (Héphaistos), un charme physique (Aphrodite) et le parfait accomplissement intellectuel et corporel (Apollon).  Sans négliger le message des mythologies nordique, celtique, slave etc. -6° Quant aux néo-paganismes, il les qualifie de parodies pénibles.  -7° Pour s’empresser de passer à la condition de notre survie : notre réaction libératrice face à la veulerie de la bien-pensance et au grand remplacement, pour recréer des ensembles sociétaux et territoriaux à la mesure des potentialités des Européens. -8° Il conclut que, au contraire des progressistes travaillés par l’obsession de mondialiser l’Europe, nous voyons dans son effondrement la catharsis nécessaire à notre renaissance

Robert Dragan titre ‘Esprit, es-tu là’ sa réflexion sur les spiritualités, païennes et autres, et sur l’agnosticisme.  Il s’applique à situer la matière -si l’on peut dire- de l’esprit, en l’opposant au corps, dans lequel les neurones ne sont que des contacts électriques et la mémoire est encore un mystère.  Pour les uns, elle est un réceptacle inorganique participant du cerveau et cette âme, don de(s) dieu(x), a un destin propre, une existence dans un au-delà avec lequel il est possible de communiquer.  Pour les autres (dont certains païens et les scientistes), la nature de la pensée et de la mémoire nous est incompréhensible et nous ne pouvons au mieux que nous appliquer à bien vivre, orientés en cela par nos savant et nos poètes.  Les règles que se donne le païen sont modelées sur la nature.  Il construit une société organique.  Mortel, il recherche la survie de son sang.  Ses émotions sont liées particulièrement à celles de ses semblables, de son lignage, de son milieu écologique.

asatru.jpgHalfdan Rekkirsson est un ouvrier du bâtiment.  A 13 ans, a été transplanté de la campagne alpine à la banlieue chaude de Rouen.  Il a été introduit à l’étude (universitaire) de l’histoire du Nord en général, et à celle de l’Asatrù, religion officielle de l’Islande, en particulier par la découverte du Hobbit de Tolkien.  L’Asatrù (fidélité aux Ases) est apparue au début des années ’90, peu après l’engouement pour le port du marteau de Thor.  Des petits clans se sont mis à pratiquer un rituel un peu partout en France.  L’intérêt grandit pour la mythologie, les sagas, les eddas, les gestes héroïques du Beowulf et des Niebelungen.  A un moment où la science moderne, archéologie, linguistique, études comparatives des religions, paléogénétique, affine notre connaissance de l’histoire de nos ancêtres, l’intérêt pour leur spiritualité est éveillé et soutenu par de l’information de qualité.  Toutefois, l’essentiel est de vivre ces grands principes avec notre temps.  Pour la pratique, Halfdan Rekkirsson a créé le Calendrier runique Asatrù, qui invite les fidèles à vivre leur croyance en célébrant « les bonnes fêtes aux bonnes dates ».  Sa pratique personnelle est familiale.  Il répond ainsi aux monstrueux problèmes que nous pose aujourd’hui le progressisme.  La connaissance utile des runes exige une étude sérieuse.  Halfdan Rekkirsson recommande le Hàvamàl, conseils d’Odhinn, et les Eddas. 

solariabaldr.jpgJean-Christophe Mathelin, astronome, a fondé, avec Vincent Decombis et Christopher Gérard, Solaria, le Cercle européen de recherches sur les cultures solaires, et il dirige la revue du même nom.  Il met en place un Musée du Soleil.  D’éducation catholique, comme à 18 ans il aspirait à une religion ‘pure et dure’, il a goûté au Coran, dont les obscurités rencontraient sa tendance au mysticisme.  Un séjour en terre d’islam l’avait persuadé de piocher plutôt dans le bouddhisme, quand il est tombé, en 1979, sur le ‘Thulé, le Soleil retrouvé des Hyperboréens’ de Jean Mabire.  Celui-ci lui a révélé que sa voie est celle des dieux solaires de ses ancêtres indo-européens et que le culte solaire n’est pas le monopole des Egyptiens, des Incas et des Aztèques.  L’Europe possède un riche passé en la matière durant l’âge du bronze (du IIIe au Ier millénaire avant l’ère chrétienne) et notamment avec l’apollinisme (VIe siècle av. EC) et l’engouement pour les mystères de Mithra (IIIe siècle EC).  Eclipsé par le christianisme, le mythe va renaître grâce à l’héliocentrisme de Copernic.  Le culte se pratique aux moments solaires privilégiés, levers et couchers de culminations.  La Grèce et Rome ont laissé de nombreux hymnes et des rituels, feu, encens, sacrifices, libations.  Les Celtes et les Nordiques privilégiaient des sites sacrés naturels.  Quant à une dominance de dieux solaires masculins sur des divinités lunaires féminines, on remarquera qu’Apollon est le dieu du juste milieu et que, pour les Germano-Scandinaves, c’est la Lune qui est masculine et le Soleil qui est féminin.

Robert Dragan livre la synthèse des trois articles du numéro 3 de la revue de linguistique indo-européenne Wékwos.  Celui de Robert Sergent traite des Tokhariens, établis en Bactriane (Kazakhstan), des Sères (producteurs de soies), attestés par Strabon dans la même région, et des Attacores, qui habitaient la Kroraina (nord du Tibet) et que Pausanias considère être les produits d’un croisement de Scythes et d’Indiens.  Ces sources relèvent leur vigoureuse longévité, leur tempérance, leur qualité guerrière, leur grande taille, leurs yeux clairs et leurs cheveux ‘rouges’.  Les linguistes y repèrent un rameau des parlers germanique et balto-slave, précocement séparé du tronc indo-européen dès la seconde moitié du 4ème millénaire AEC, migrant du Kazakhstan au Tarim vers 2000 AEC.  Ils se distinguent des Scythes de Russie et de Sibérie et des Aryens (Iraniens et Indiens), qui ont émigré plus tard vers l’Asie du sud.  Le deuxième article traite des Scythes et de leurs descendants ossètes et bretons.  Les uns comme les autres font référence aux trois fonctions.  Dans la rivalité de trois princes à succéder à leur père, c’est toujours le plus jeune qui l’emporte.  Ce trait se retrouve dans des romans arthuriens, où le héros doit également se révéler un trifonctionnel accompli.  Le troisième article traite des ‘charmes’, formules à prononcer pour la réalisation d’un vœu, notamment une guérison.  Il rapproche des formules gallo-romaines de certaines anglo-saxonnes du IXe siècle EC et d’autres du folklore moderne, francophone comme germanique, slave comme balte.  Y sont invoquées une trinité de femmes (sœurs, vierges, Marie), issues des Parques latines ou des Nornes germaniques.

wekwos.jpgRobert Dragan encore cite Jean-Paul Lelu dans la part de celui-ci à des mélanges à l’intention de Bernard Sergent, où il propose de localiser la ville mythique d’Avallon dans le site moderne de Saint-Nazaire, sur une petite île rocheuse reliée à la côte par un banc de sable.  Il s’y est élevé une petite cité fortifiée, baptisée du nom d’un saint associé aux jumeaux Gervais et Protais, lesquels évoquent les Dioscures dont Diodore indique qu’ils étaient vénérés sur les bords de l’océan.  Dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, le roi d’Escavallon, adversaire de Gauvain, porte un écu d’or à bande d’azur, les couleurs des seigneurs de Donges et de Saint-Nazaire.  Les guerriers morts au combat sont censés être accueillis par Morgane et ses suivantes.  Strabon (-60 AEC) évoque, devant l’embouchure de la Loire dans l’océan, une petite île habitée par les femmes Samnites.  Possédées de Dyonysos, elles ne laissent aucun homme y mettre le pied.  Dungjo, en ancien francique, désigne le lieu où travaillent les femmes.

Le druide Lugvidion s’applique à situer le druidisme, tant historique (âge du fer) que contemporain et à démontrer chez ce dernier une religiosité bien actuelle.  L’histoire en cette matière est lacunaire : des auteurs grecs et latins souvent peu objectifs ; des copistes irlandais et gallois qui ne conservent les mythes que sous un vernis chrétien ; le comparatisme avec le brahmanisme qui suggère les pièces manquantes du puzzle ; les folklores régionaux aux colorations celtiques (triades de personnages, 1er mai, 1er novembre) ; des découvertes archéologiques récentes ; les travaux des collèges druidiques qui méritent une lecture critique.  En 1717, le franc-maçon irlandais John Toland a créé le Druid Order, dont se réclament tous les collèges européens.  L’extension du druidisme au sein de communautés élargies à d’autres fonctions sociales que philosophiques (savoir importe plus que croire) lui mérite d’être une religion à part entière.  Il s’agit autant d’une voie philosophique de sagesse sacerdotale que d’une voie d’accomplissement heureux.  Les collèges invitent leurs membres à redécouvrir leurs racines celtiques et leur connexion intime avec la nature.  Ils organisent des cérémonies symboliques en phase avec les cycles naturels : la roue de l’année (les deux solstices et les deux équinoxes) et les quatre fêtes celtiques (Samain, Imbolc, Beltaine et Lugnasad).  Ces pratiques ne sont pas qu’une reconstitution historique.  Outre les cérémonies calendaires, se célèbrent des cérémonies familiales (présentation d’enfant, rite de passage, mariage, funérailles) et des cérémonies initiatiques.  L’initiation par l’introspection s’étend en général sur trois à six années avant la titularisation et l’attribution d’un nom initiatique.  Chaque classe de la société celtique se caractérise par des qualités emblématiques et par les défaillances correspondantes tel le découragement, à peine de déshonneur.  Il s’agit d’œuvrer au ‘retour du printemps’.

Jean-Patrick Arteault cuisine Johan, auteur de la chaîne Youtube La Mesnie païenne, référence à la médiévale Mesnie Hellequin qui est elle-même une allusion à la Chasse sauvage d’Odin.  La mesnie était un organisme clanique typiquement rural que l’émergence des villes a dévitalisé.  Soucieux de réveiller la plus longue mémoire européenne, en vue de reconstruire un paganisme européen du XXIe siècle fidèle à ses fondements, Johan était tombé sur une profusion de chaînes YouTube anglophones qui diffusent des vidéos de qualité sur ce sujet, sans pouvoir trouver d’équivalent francophone.  Il a fait l’acquisition d’une caméra et s’est lancé dans l’aventure de l’animation audio-visuelle de sa communauté païenne, à qui il diffuse des documents de vulgarisation.  Il s’agit autant de données historiques que liées à l’actualité, de fêtes saisonnières ou de symbolique que d’archéologie ou de folklore.  Plus que la culture théorique, le primordial est la pratique vécue, l’ancrage identitaire.  Car, pour lui, le paganisme est avant tout un rapport au monde, condition de survie au moment du déclin du christianisme et de l’émergence de la consommation de masse.  Il s’agit de ne plus opposer le spirituel au matériel, de réconcilier l’âme et le corps.  Johan ne s’est pas assigné d’objectif défini.  Il songe à aborder des sujets complexes, qui nécessiteraient un rythme de parution ralenti.

Pierre Vial poursuit, dans sa cinquième partie consacrée à l’Aliyah, retour (tant spirituel que physique) en Eretz Israël, son étude exemplaire du modèle identitaire juif.  Lors de la première Aliyah (1881-1903) d’une vague de 70.000 migrants, la moitié seulement a résisté aux conditions pénibles, dont il n’y a eu qu’une minorité pour fonder des colonies agricoles.  Jusqu’à ce qu’intervienne le baron Edmond de Rothschild, lequel a investi largement dans des plantations d’agrumes, de thé, de coton, de tabac.  Il a confié ces colonies à l’Association palestinienne pour la colonisation juive, présidée par son fils James.  Aux colons, sont enseignées dans l’enthousiasme la langue et la culture hébraïques.  La deuxième Aliyah (1904-1914), qui est alimentée par les pogroms russes de 1903-1905, allie au sionisme les principes du socialisme.  On crée alors des communautés agricoles collectivistes (kibbouts), qui louent aux colons les terres achetées par des collectivités financées par de généreux donateurs.  La sécurité est assumée par le Ha-Shomer, un corps mobile appelé à intervenir n’importe où.  Le Fonds national juif fonde Tel Aviv (‘la colline du printemps’) avec des ouvriers et des habitants exclusivement juifs (3 604 en 1921 et 54 110 en 1931).  En 1917, dans le cadre de la rivalité franco-britannique sur le Moyen-Orient, Lord Balfour, ministre des Colonies, reconnait dans une lettre à Lionel Rothschild le droit de construire un foyer national juif en Palestine.  En 1920, la Société des Nations donne à la Grande-Bretagne mandat sur la Palestine avec mission d’y favoriser le foyer national juif.  Mais le Congrès panarabe de Damas exige alors la rupture totale.  Des milices attaquent les colonies juives et une émeute ravage le quartier juif de Jérusalem.  Les arabes organisant la guérilla tant contre les britanniques que les sionistes, les juifs se sont formés en milices armées et s’attachent à convaincre la Diaspora que l’Aliyah doit continuer et même s’intensifier.  La troisième Aliyah (1919-1923) est accélérée par la révolution russe et la guerre soviéto-polonaise.  Le mouvement de jeunesse He-Haloutz (de Joseph Trumpeldor et David Ben Gourion) préparait à une vie agricole les jeunes haloutsim, qui se considéraient comme des soldats prêts à remplir toute mission.  En 1920, est fondée l’Histadrouth, fédération des travailleurs juifs porteuse d’un projet de société modèle basé sur la coopération, la solidarité et la justice sociale. (à suivre)

mardi, 03 décembre 2019

Le numéro 51 de Solaria arrive très bientôt !

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Solaria

Le numéro 51 de Solaria arrive très bientôt !

Au sommaire du nouveau numéro de Solaria :

— Entretien : QUESTIONS À OLIVIER MEYER AU SUJET DE SON LIVRE " BALDR AU HELHEIM "

— Entretien : L'ART SACRÉ DU VITRAIL, QUESTIONS À SYLVIE FAGOT, MAITRE VERRIER, MEILLEUR OUVRIER DE FRANCE

— Poème : SOLEIL DE VÉRITÉ

— Tradition : LES ÉPICLÈSES D'APOLLON (V)

— Plus nos rubriques habituelles: Héliothèque (Livres, Revues, CD, DVD, Internet), Vents Solaires (Lauriers de Solaria, Expositions, Le monde en bref, Télévision), Plumes Solaires, Cadeaux…

Les tarifs sont les suivants :

Ce numéro : 9€ +1€ de frais d'envoi

Abonnements:

2 numéros (un an): 18€

4 numéros (2 ans): 34€

8 numéros (4 ans): 66€

France: chèque à l’ordre de Solaria.
Autres pays: euros en espèces (discrètes) ou virement à notre compte (nous le demander).
A envoyer à Solaria, 7 rue Christian Dewet, 75012 PARIS.

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mardi, 10 septembre 2019

Cinq ouvrages sur le paganisme germano-nordique

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Cinq ouvrages sur le paganisme germano-nordique

par Thierry DUROLLE

mannusmal-germains.jpgLa mythologie nordique et le monde germano-scandinave jouissent d’un intérêt grandissant, et d’une vulgarisation pas toujours heureuse. La série Vikings, plutôt décevante, n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une « série historique réaliste ». D’ailleurs feu Régis Boyer préférait ne pas faire de commentaire à son sujet… Cependant, et d’un point de vue positif, certains ont pu (re)découvrir un imaginaire, une culture, et un univers qui leur ait souvent plus proche qu’il n’y paraît. En bonus, ils auront pu également découvrir l’excellente musique du groupe norvégien Wardruna !

Les ouvrages sur le Nord et son univers sont pléthore, et pour tout type de publics également. Pour le lecteur uniquement francophone, les livres de Régis Boyer demeurent une référence incontournable. Pour autant ils ne sont pas toujours simple à lire, du moins le niveau ne s’adresse pas à tous… Et c’est tant mieux ! Parmi les éditeurs ayant à cœur de promouvoir l’héritage du paganisme nordique, sans connotations académiques, il faut compter sur la maison d’édition Sesheta Publications, qui propose cinq ouvrages sur le sujet.

Tout d’abord – et ceux sont les livres les plus récents – on trouve une édition bilingue français – vieux norrois des Hávamál ou Dits du Très-Haut, et de la Völuspa ou les « Prophéties de la Voyante ». Tous deux préfacés par un auteur « maison », le Normand Halfdan Rekkirson, ces versions très peu annotées nous livre les 165 strophes des conseils d’Odhinn dans un langage clair et précis pour le premier ouvrage. Collection de préceptes de bonne tenue, de bon sens, avec aussi un récit centré sur la magie à la fin (y ait relaté l’initiation runique de Odhinn, et les chants magiques), ce texte permettra de mieux comprendre la mentalité de l’époque. Et, du coup, l’on se rend compte que le bon sens de nos ancêtres du Nord fut sensiblement le même que le nôtre. Dans le cas des prophéties de la Voyante, Odhinn tient toujours le rôle principal. Composé de 66 strophes, la Völuspa, un peu à l’instar de la Théogonie d’Hésiode, nous raconte ainsi la naissance des Dieux et du cosmos tout entier, du démembrement d’Ymir au funeste Ragnarök. Très court, ce texte est tout simplement un indispensable de la matière nordique.

Calendrier-Asatru-2268.jpgNous parlions d’un auteur « maison » en la personne de Halfdan Rekkirson. Celui-ci compte deux ouvrages à son actif. Le premier s’intitule Calendrier runique Asatru. L’Asatru est une religion néo-païenne qui s’est donnée comme mission de réanimer la vielle foi du Nord. Ce courant, qui se porte bien soit dit en passant, se rencontre principalement en Islande et dans les pays anglo-saxons, États-Unis et Grande-Bretagne en tête. L’ouvrage de Rekkirson témoigne avant toute chose d’un travail sérieux. Élaborer un calendrier n’est pas chose facile ! Le pari est pourtant relevé ! En outre, l’auteur développe certains sujets comme l’interprétation des contes ou l’importance de la Déesse Frigg. C’est un livre roboratif et plaisant à lire.

Son deuxième ouvrage chez Sesheta Publications est tout aussi passionnant. Mannus. Les origines mythologiques des Germains propose une interprétation mythologique de l’ethnogenèse des Germains continentaux. Se basant surtout sur De Germania de Tacite et sur l’Edda de Snorri, le travail d’Halfdan Rekkirson fait preuve encore une fois de sérieux. Cet ouvrage est peut-être moins accessible au novice car il demande un minimum de connaissance au préalable.

Enfin, on retrouve deux tomes d’un auteur que les habitués du réseau (pseudo-) social Facebook connaissent peut-être : Hathuwolf Harson. Derrière ce patronyme se trouve le responsable d’une page Facebook consacrée aux symboles et inscriptions nordiques. Son premier ouvrage se nomme Symboles païens germano-nordiques. Simple, précis, riche en informations et en images, l’auteur fait le tour de nombreux symboles comme le marteau de Thor, le Walknut mais aussi divers animaux ou même des armes et des boissons comme l’hydromel. Une fois de plus nous avons affaire à un livre vulgarisateur dans tout ce qui a de plus positif.

Le deuxième tome quant à lui a pour sujet les runes. Rune par rune – Futhark repasse en revue chaque idéographes de l’ancien Futhark, celui-ci comporte 24 signes. Là encore rien à redire : c’est du très bon travail. Ayant eu l’occasion d’étudier le sujet de près, nous pouvons affirmer que ce livre représente une excellente entrée en matière, même si, évidemment, il devra être compléter par d’autres lectures. Ici, nulles interprétations fantaisistes ou ésotérico-tarabiscotés mais du concret.

Cinq ouvrages, cinq titres forts intéressants. Cette collection « Païenne » regroupe des titres digne d’intérêt mettant de côté le ton parfois pompeux ou abscons de certains livres d’obédience universitaire. Il reste à espérer que viendront s’ajouter d’autre titres, et pourquoi pas celtes, grecs ou romains ? En tout cas ces ouvrages mettent en valeur de belle manière notre héritage septentrional.

Thierry Durolle.

Hávamál. Les dits du Très-Haut, préface de Halfdan Rekkirson, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2019, 68 p., 15 €.

Völuspa. Les Prophéties de la Voyante, préface de Halfdan Rekkirson, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2019, 36 p., 10 €.

Halfdan Rekkirson, Calendrier runique Asatru, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2018, 202 p., 25 €.

Halfdan Rekkirson, Mannus. Les origines mythologiques des Germains, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2018, 144 p., 20 €.

Hathuwolf Harson, Symboles païens germano-nordiques, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2018, 170 p., 22 €.

Hathuwolf Harson, Rune par rune – Futhark, Sesheta Publications, coll. « Païenne », 2018, 230 p., 28 €.

dimanche, 23 juin 2019

SAGESSE POUR L’AGE DU LOUP Une conversation avec le Dr. Stephen Flowers

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SAGESSE POUR L’AGE DU LOUP

Une conversation avec le Dr. Stephen Flowers

Propos recueillis par Michael Moynihan

L’un des paradigmes dominants de la société moderne est la fragmentation. Dans le monde de la culture populaire cela se traduit par des distractions éblouissantes et des éphémères incessants, alors que dans le monde académique cela engendre une spécialisation excessive et un refus tacite d’une simple tentative de comprendre « l’ensemble du tableau », particulièrement d’un point de vue métaphysique.

Dans cet environnement atomisé, quiconque faisant l’éloge d’une vision cohésive marquée par les valeurs traditionnelles – pour ne pas parler de standards élevés – devient automatiquement une anomalie. Et c’est le cas pour le Dr. Stephen Flowers, qui est la plus rare des espèces : un érudit avec de l’esprit, qui a un esprit obstiné mais néanmoins ouvert. Pendant plus d’un quart de siècle il a consacré ses énergies à décoder les mystères non seulement de l’ancien alphabet symbolique des Runes, mais aussi des domaines les plus profonds du mythe et de la culture germaniques dont ils provenaient. Pour Flowers, cette quête est résumée dans un seul mot, RUNA, qui est l’ancienne forme de la vieille langue gothique pour « rune » et qui était équivalente au terme grec mysterion (« mystère »). Ce fut au début des années 1970 que Flowers entendit distinctement ce mot murmuré à son oreille, et depuis ce moment il a infatigablement suivi un chemin pour comprendre ses implications.

Flowers_Stephen_E..jpgSuivant un travail en philologie germanique et celtique sous la direction de l’estimé professeur Edgar Polomé (1920–2000), Flowers reçut son doctorat en 1984 avec une thèse intitulée Runes and Magic: Magical Formulaic Elements in the Elder Tradition (plus tard publiée par Lang, 1986). Au milieu des années 1980, Flowers commença aussi une carrière d’auteur plus publique sous le nom d’Edred Thorsson. Ses livres sur les Runes et la magie germanique (Futhark, Runelore, At the Well of Wyrd, Rune-Might, Northern Magic, The Nine Doors of Midgard, et A Book of Troth) sont devenus des classiques du genre, et bien qu’ils visent le marché du livre occulte, ils révèlent une profondeur de compréhension et un degré de connaissance qu’il est inhabituel de trouver dans ce genre.

Sous son propre nom il publia aussi des écrits moins spéculatifs, par exemple Fire & Ice [Feu et Glace], sur l’ordre magique allemand Fraternitas Saturni, et sa traduction du Galdrabók, un grimoire islandais médiéval. Son intérêt pour les sujets germaniques s’étend non seulement au passé lointain, mais aussi aux manifestations plus récentes et plus controversées, telles que la période völkisch au tournant du XIXe siècle ou les aspects ésotériques du Troisième Reich, et ses traductions du Secret des Runes de Guido von List, de Rune-Magic [Magie runique] de S.A. Kummer, ou des écrits de Karl Maria Wiligut (The Secret King: Himmler’s Lord of the Runes) ont toutes jeté une lumière érudite sur ces sujets. Il a aussi écrit Lords of the Left-Hand Path [Seigneurs de la Voie de la Main Gauche], une longue étude des courants occultes plus obscurs, et une analyse innovante des textes magiques grecs intitulée Hermetic Magic [Magie hermétique].

A la différence de beaucoup de gens qui possèdent des références académiques, Flowers ne se contenta jamais de reléguer ses intérêts à un niveau purement intellectuel, et ainsi il a été longtemps actif dans le renouveau contemporain du paganisme germanique, généralement appelé Odinisme ou Asatrù (un néologisme dérivé du vieux norrois, signifiant « loyauté aux dieux »). Il fut un membre précoce de l’organisation séminale de Stephen McNallen, l’Ásatrú Free Assembly (qui existe encore aujourd’hui sous le nom de Ásatrú Folk Assembly), et en  1979 il fonda son propre groupe initiatique, la Rune-Gild [Guilde runique], dédiée à l’exploration sérieuse des niveaux ésotériques les plus profonds de la tradition germanique, ainsi que de la culture indo-européenne dans son ensemble dont la tradition germanique n’est qu’une branche.

Au fondement de tout ce travail se trouve une croyance en l’importance profonde de la pensée germanique traditionnelle et l’éternelle pertinence de son expression mythologique. Après tout, l’anglais est une langue germanique, et notre société – fragmentée ou décadente comme elle peut l’être aujourd’hui – doit ses vraies origines autant, sinon plus, à l’Europe nordique qu’à Athènes ou Rome. Consterné par l’érosion en cours de l’appui pour les études germaniques dans la plupart des universités du monde occidental, Flowers a récemment [en 2003] dévoilé son projet le plus récent : le Woodharrow Institute [Institut Woodharrow]. Cette institution éducationnelle non-lucrative vise à maintenir et à encourager la tradition des études germaniques, proposant des cours et des publications, et interagissant avec les milieux académiques partout où cela sera possible. En plus d’administrer l’Institut, Flowers et sa femme Crystal dirigent aussi la maison d’édition Rûna-Raven, qui publie un catalogue de titres concernant des aspects variés de l’ancienne culture germanique, avec des études linguistiques spécialisées et des travaux dans des domaines apparentés.

– Michael Moynihan

Entretien

Michael Moynihan : Pouvez-vous rappeler les événements initiaux qui vous conduisirent à prendre le chemin que vous avez pris vers la compréhension des mystères de la tradition germanique ?

Stephen Flowers : J’ai commencé ma « carrière » dans la compréhension des mystères de la tradition germanique comme ce que je finirai plus tard par considérer comme un « nigaud occultistoïde ». J’étais intéressé par beaucoup de choses assez stupides. L’une de mes premières passions fut les films sur les monstres. Ma première bible fut peut-être Famous Monsters of Filmland. Mon « monstre préféré » était celui créé par Frankenstein. Il y avait simplement quelque chose sur l’origine germanique et « gothique » du mythe qui m’attirait. Avant cela je me souviens que j’étais attiré par tout ce qui était germanique (et scandinave) ; les films Les Vikings (que je vis pendant un voyage d’enfance à San Antonio) et La chute de l’empire romain m’inspirèrent vaguement par certaines scènes de « barbarie » germanique. Plus tard cela mûrit un peu en un intérêt pour la mythologie du genre Le matin des magiciens ou La lance du destin, et cela culmina dans mon « audition » du mot RUNA en 1974. Ce fut un catalyseur pour un saut qualitatif dans mon évolution. Cela me poussa à me plonger dans le fondement scientifique et académique de ce qui m’avait tant fasciné depuis l’enfance. Toute cette expérience posa le fondement de la nature de mon propre enseignement, suivant ce motif : inspiration (irrationnelle), conduisant à une étude objective (rationnelle), conduisant à une intériorisation (subjective), ce qui conduit finalement à une action objective (= compréhension/transformation personnelle).

icelandic-magic-9781620554050_hr.jpgMichael : Qu’est-ce qui amena votre initiation dans l’Asatru ou l’Odinisme organisés, et comment regardez-vous cette période aujourd’hui ?

Stephen : Au milieu des années 1970 il y avait très peu d’individus qui entretenaient l’idée d’un renouveau de l’ancienne religion germanique. Mon propre voyage individuel commença dès 1972. Cependant, je dirais que cela resta plutôt aléatoire et sans direction jusqu’en 1974, quand j’entendis le mot RUNA murmuré à mon oreille. Mais même à ce moment, avec l’inspiration venant d’une source supérieure, la lutte pour comprendre la pleine signification de tout cela était une lutte significative qui devait être menée sur le plan terrestre. Je vis des annonces à des endroits comme le magazine Fate pour l’Ásatrú Free Assembly et je fus intrigué, mais pour quelque raison je pensai qu’il ne serait pas sage de contacter ce groupe tant que je n’avais pas quelque chose de significatif à offrir. En 1975 mon travail avait pris la direction d’être davantage guidé par la discipline universitaire. Dès que j’eus fait des progrès significatifs dans la reformulation de ma philosophie runique (qui trouva une expression dans le manuscrit qui devint le livre Futhark) et dans mes études à l’Université du Texas à Austin, je me sentis prêt à prendre contact avec des groupes Asatrù.

Je rencontrai d’abord le leader de l’AFA, Stephen McNallen, au premier Althing [= Assemblée] de l’AFA durant l’été 1979. Rencontrer Steve fut une expérience qui changea ma vie. Il est l’incarnation d’un genre de spiritualité germanique qui met les paroles en action. C’est à cette époque que je fus nommé godhi [la désignation en vieux norrois pour un leader spirituel] dans l’AFA. C’est aujourd’hui la seule référence que je considère comme étant d’une certaine importance dans le monde de l’Ásatrú /Odinisme. En dépit de tout ce qui a pu se passer à la fin des années 1980 et au début des années 1990, il ne peut y avoir de doute que Stephen McNallen est la lumière de l’Asatrù américain. Je compte Steve McNallen comme un ami et un collègue et j’apprécie beaucoup le fait que c’est de lui que je reçus mon godhordh – ou « autorité en tant que godhi ».

Michael : Vous avez souvent dit à quel point la formation érudite disciplinée et fondamentale est essentielle pour comprendre les aspects ésotériques de la religion et parlé de la manière de mettre le plus efficacement ceux-ci en pratique. On peut présumer qu’un tel échange fonctionne aussi simultanément dans la direction opposée – en d’autres mots, de quelle manière positive votre implication active avec la religion a-t-elle impacté votre travail universitaire ?

Stephen : Les aspects spirituels ésotériques fonctionnent comme des formes initiales d’inspiration pour l’esprit. Cela est essentiel pour l’approche odienne [= odinique] de la vie. Il y a d’abord une impulsion « irrationnelle » ou supra-rationnelle – un éclair soudain qui place l’esprit conscient sur sa course mystérieuse. Cette impulsion, pour beaucoup, peut être une attaque déstabilisatrice dont ils ne se remettent jamais. Ils sombrent simplement de plus en plus profondément dans un océan de subjectivité. Pour d’autres, le subjectivisme est finalement équilibré par un travail rationnel. Une compréhension de l’inspiration est acquise, sans pouvoir l’« expliquer ». Permettre à l’expérience et à la vision intérieures subjectives de coexister avec une analyse rationnelle objective est essentiel pour le processus de développement personnel basé sur la symbologie traditionnelle.

Des observateurs extérieurs, mes mentors dans le monde universitaire, ont remarqué que j’avais une aptitude étrange à expliquer des mythes obscurs et à appréhender les connexions cachées entre et parmi diverses structures mythiques. Cette aptitude provenait de mon expérience intérieure qui était construite sur une base se trouvant en-dehors des modèles purement rationnels. Si l’on essaie de plonger dans les mystères de la culture symbolique d’un monde archaïque – un monde très éloigné de notre société contemporaine et de ses valeurs –,  alors évidemment il faut trouver une clé qui soit autre chose que de la logique pesante ou de la spéculation hasardeuse. Pour moi cette clé est l’ouverture équilibrée à l’esprit mythique d’Odin. J’eus suffisamment de chance pour avoir des mentors académiques qui m’appuyèrent dans cette approche, qui étaient eux-mêmes des hommes spirituels. Sans leur appui intérieur, je n’aurais rien pu accomplir de ce que j’ai accompli.

Michael : Pourquoi l’idée d’un spécialiste de la religion préchrétienne qui adhère vraiment aux idées spirituelles qu’il étudie est-elle si dérangeante ? Est-ce simplement un sous-produit de la situation en Occident où tout chemin religieux sortant des croyances monothéistes « majoritaires » est décrit comme sectaire et marginal ?

northerndawn.jpgStephen : Je pense que cette attitude vient presque entièrement de deux sources : (1) l’antagonisme entre la vision-du-monde matérialiste et la vision-du-monde spirituelle traditionnelle, et (2) le fait que les adhérents de la vision-du-monde matérialiste ont saisi l’occasion d’attaquer la vision spirituelle en se basant sur les événements historiques liés à la Seconde Guerre mondiale. Cette vision-du-monde matérialiste est « monothéiste » au sens où elle autorise un seul ensemble de valeurs orthodoxes. De cette manière elle est vraiment une forme laïcisée de la religion monothéiste. Le système de pensée judéo-chrétien s’est très bien prêté à une laïcisation d’une manière telle qu’il peut être transformé en un modèle pour des théories politiques et économiques. Comme remarque additionnelle, l’islam a été beaucoup plus obstiné dans son adhésion à ses valeurs d’origine, ce qui l’a rendu très « arriéré » par rapport à ses cousins monothéistes.

Le judaïsme et le christianisme peuvent être tolérés par le monde académique de l’establishment parce qu’ils peuvent être vus comme des prototypes théoriques du modèle matérialiste et positiviste qui domine aujourd’hui l’Occident. Les modèles traditionnels antérieurs ne sont pas tant vus comme une menace pour la religion que comme une menace pour l’ordre politique et économique monolithique. Les philosophies traditionnelles préchrétiennes sont trop divergentes et multivalentes pour être contraintes à entrer dans un « marché » unique d’idées. Cela révèle l’hypocrisie fatale de l’actuel groupe de « penseurs » modernistes, qui parlent sans cesse de « multiculturalisme » et de tolérance, mais qui soutiennent exclusivement des modèles socio-économiques monolithiques qui mettent en œuvre le contraire de ce qu’ils approuvent publiquement. L’ancien monde traditionnel et préchrétien est sûrement plus en accord avec ce qui sonne vraiment le mieux pour la plupart des gens. Les anciennes et préchrétiennes Athènes et Alexandrie ne sont-elles pas des modèles plus idéaux pour l’avenir, plutôt que la Rome ou la Constantinople du Moyen Age ?

Il est clair que l’animosité envers ceux qui voient une valeur dans les modèles préchrétiens ne vient pas du coté religieux du débat, mais plutôt du défi laïc que le traditionalisme représente pour l’ordre politique actuel. Ce qui est nécessaire, c’est une campagne pour la rééducation du monde universitaire pour montrer qu’un futur idéalisé a plus de chances d’être basé sur la mosaïque des traditions préchrétiennes plutôt que sur le modèle chrétien monolithique.

Les spécialistes de la tradition préchrétienne doivent en fait être sympathiques et même empathiques vis-à-vis des paradigmes qu’ils étudient. S’ils n’ont pas un lien subjectif avec le paradigme qu’ils cherchent à comprendre, alors ils ont catégoriquement placé une barrière infranchissable entre eux-mêmes et l’« objet » qu’ils cherchent à comprendre. C’est pourquoi ils se sont en fait disqualifiés pour la simple capacité de vraiment comprendre les modèles de pensée en question.

Michael : Vous avez toujours tenté d’encourager ceux qui sont impliqués dans le néo-paganisme à maintenir un haut niveau intellectuel, et dès que possible de poursuivre activement une étude universitaire sérieuse. Avez-vous remarqué un nombre significatif de gens prêts à relever ce défi ?

Stephen : Jusqu’ici je dirais qu’il y a eu en effet un nombre significatif de gens qui ont relevé ce défi de poursuivre des buts universitaires comme un moyen pour placer leurs vies spirituelles intérieures sur un fondement plus solide. Le nombre peut être significatif, mais pas grand. On peut espérer qu’avec l’arrivée du nouveau Woodharrow Institute un plus grand nombre de gens « saisira » ce que je tente de transmettre dans cette tendance. Tout le monde « néo-païen » a été transformé en un secteur de la mentalité « underground » bohême de la culture anglo-saxonne (cela inclut l’Américain imitatif). Ce que j’essaie de faire, c’est simplement de reconnecter la culture anglo-saxonne avec ses racines germaniques plus organiques. Cela inclut la manière dont l’idée de « néo-paganisme » est approchée.

ninedoors.jpgComme je l’ai exposé dans mon essai « How to Be a Heathen » [Comment être un païen], publié dans le volume Blue Runa (Rûna-Raven, 2001), il y eut un temps où la « connaissance païenne » désignait d’abord quelque chose qui était rigoureux, et qui évoluait graduellement vers des domaines supérieurs de ce qui est ordinairement ineffable. La « foi chrétienne » était quelque chose qui s’opposait à la « connaissance païenne » et qui était caractérisée par le subjectivisme et des appels incessants à des autorités invérifiables du début à la fin du processus. De cette manière, on peut voir que le « New Ager » ou le « Wiccan » typique est en fait paradigmatiquement beaucoup plus proche du modèle de pensée chrétien originel que ne l’est le « croyant chrétien » moyen aujourd’hui. Les séminaristes chrétiens sérieux ne songeraient pas à ignorer l’étude du latin, du grec et de l’hébreu, et pourtant les nombreux aspirants à la « prêtrise » d’Asatru aujourd’hui pensent qu’il est déraisonnable de leur demander d’apprendre le vieux norrois. Il est remarquable de noter le nombre de gens qui ne connaissent même pas correctement la grammaire de leur « nom nordique » supposé !

Les raisons de cette apparente quasi-hostilité à l’étude font partie de la mentalité « anti crâne d’œuf » anglo-saxonne. Par contre on peut remarquer que certains des revivalistes allemands du tournant du siècle étaient en fait des professeurs, par exemple Jakob Wilhelm Hauer (Tübingen) et Ernst Bergmann (Leipzig). Ce préjugé culturel intérieur doit d’abord être reconnu avant de pouvoir être surmonté. Ne pensez pas une minute que je fasse l’éloge de la grande sagesse ou du grand caractère de l’universitaire moderne typique. Le monde universitaire est actuellement en déclin. Cependant, la connaissance fondamentale et systématique possédée par ceux qui ont passé des décennies dans des études spécialisées, et qui ont été les récipients traditionnels de la connaissance transmise par plusieurs générations antérieures d’érudits est une ressource qui nous est indispensable.

Michael : Si votre centre d’intérêt est généralement la culture germanique ou nord-européenne traditionnelle, vous avez aussi traité d’autres domaines dans une partie de votre travail, comme avec le livre Hermetic Magic [Magie hermétique]. Quelle était votre motivation pour faire cela – et comment ces domaines apparemment distincts s’accordent-ils ou se fécondent-ils mutuellement ?

hermeticmagic.jpgStephen : Dans Hermetic Magic, je me suis concentré sur les opérations des papyri magiques grecs qui utilisaient le pouvoir symbolique du langage et de l’alphabet (c’est-à-dire les opérations les plus influencées par le grec). En fait il y a beaucoup d’enrichissements mutuels possibles entre les traditions germaniques et grecques de magie verbale et alphabétique. Le livre Hermetic Magic fut une expérimentation pour l’usage du principe des RUNA dans le décodage d’une tradition autre que la germanique. Cela se révéla généralement fructueux. Une grande partie de ce qu’était la magie hermétique a été perdue dans la magie du style Golden Dawn/OTO des gentlemen de l’époque victorienne. Hermetic Magic est une tentative pour aller au fond des choses, c’est-à-dire à revenir aux sources de ce qu’est la magie hermétique, afin d’arriver à une perspective fraiche et éternelle sur le pouvoir de la volonté humaine. C’est un exercice sur le pouvoir des RUNA, des Mysterion, tel que je le vois. Hermetic Magic montre ce qui peut être fait avec le principe des RUNA/Mysterion. Que cela ait été généralement ignoré par la foule de l’« hermétisme » ordinaire ne fait que montrer à quel point la véritable tradition est ésotérique.

Michael : L’œuvre de Georges Dumézil, le spécialiste français de l’étude comparative des religions indo-européennes, a eu une forte influence sur votre propre attitude. Quels sont d’après vous les aspects les plus importants de son œuvre, et pourquoi vous ont-ils inspiré à un tel degré ?

Stephen : Avant tout, je suppose que j’y suis venu par tradition. Mon propre enseignant, et Doktorvater, Edgar Polomé, était un dumézilien (qualifié). En plus de ce que j’ai appris dans ses cours, cependant, j’ai compris que ses études objectives (qui impliquaient de faire des dossiers détaillés sur les divers dieux indo-européens, etc.) associées à son approche structuraliste permettaient les débuts d’une synthèse contemporaine et vivante des idées anciennes et de celles de Jung et d’autres. Les idées de Dumézil sont (1) exactes et objectivement vérifiables à un grand degré, et (2) sont des outils puissants pour un travail réel d’auto-transformation.

Michael : Ces dernières années il semble y avoir eu un effort conséquent de la part de certains segments de la communauté universitaire pour discréditer l’œuvre de Dumézil, et spécialement sa formulation du modèle tripartite/trifonctionnel. De telles tentatives rappellent celles qui furent dirigées contre Mircea Eliade et d’autres spécialistes de la religion et du mythe. Pourquoi cette animosité, et de quoi ces discréditeurs ont-ils si peur ?

Stephen : Ils craignent la résurgence de la culture indo-européenne. Ils ont intellectuellement adopté l’idée que l’internationalisme est bon et que tout ce qui glorifie le monde non-européen est préférable à tout ce qui semble accorder du prestige à la culture européenne. Tout cela est très ironique parce que les idéaux dont ils s’inspirent sont entièrement d’origine européenne. Cependant, par idéologie, mais probablement plus par une sorte de mode intellectuelle, l’establishment universitaire fronce les sourcils devant tout ce qu’il considère comme « glorifiant » la culture européenne. Ils diraient probablement que leurs raisons pour cela ont vaguement à voir avec l’Allemagne des années 1930. Dans des conversations avec des spécialistes allemands en runologie, j’ai découvert que les mêmes choses arrivent maintenant dans les universités allemandes que celles qui arrivèrent dans les universités américaines dans les années 1980 et 1990 – tout ce qui a un lien avec l’Europe nordique antique ou médiévale est démantelé.

Il y a aussi la crainte que l’Europe soit vraiment capable de faire la paix avec elle-même en se basant sur le modèle indo-européen, plutôt que sur le modèle chrétien et/ou marxiste. Cela discréditerait leurs préjugés intellectuels une fois de plus. Spécifiquement avec Dumézil et la théorie tripartite, ses théories ont le potentiel pour former la base d’une unité culturelle pan-indo-européenne. Elles sont le plus grand défi au christianisme et au positivisme matérialiste au XXe siècle. Donc ce n’est pas sans quelque justification que Dumézil a été si souvent attaqué. Ses théories représentent un défi, et ne sont pas de simples curiosités intellectuelles. Elles appellent une certaine sorte d’action et une certaine sorte de changement pour le lecteur de ses idées.

Le vilain petit secret est probablement simplement que dans le milieu universitaire l’étude des langues anciennes et de l’histoire ancienne est difficile, alors que ce par quoi ils remplacent tout cela est relativement facile. De sorte que la « guerre contre les Indo-Européens » fait en réalité partie de l’« abêtissement » général du milieu universitaire.

Michael : Il n’y a pas si longtemps vous avez assisté à une conférence internationale de spécialistes en runologie au Danemark. Quelles ont été vos impressions sur la manière dont cette discipline se comporte dans le monde universitaire d’aujourd’hui ?

Stephen : Le domaine universitaire de la runologie, comme toute autre discipline universitaire, est sujet aux dictats de la mode et du changement des tendances intellectuelles (c’est en cela qu’une discipline universitaire diffère d’une discipline Traditionnelle). La plupart des runologues du XIXe siècle et du début du XXe acceptaient la relation entre la  religion ou la magie et les runes comme un fait. Ils acceptaient cela sans sens critique parce que cela leur semblait être (peut-être à juste titre) la conclusion la plus évidente basée sur toutes les indications à première vue. Parce qu’ils n’étaient pas critiques dans leur acceptation, cependant, cela laissa la porte ouverte à une génération ultérieure de runologues pour contester les hypothèses de la génération précédente. Dans le monde de la science c’est une bonne chose. Si ceux qui ne contestaient pas la nature « magique » des runes n’avaient pas été si dépourvus de sens critique, alors une exploration plus profonde et plus perspicace de l’idée des runes et de la magie n’aurait jamais pu être entreprise.

northernmagic.jpegJe suis très satisfait de voir de jeunes individus – beaucoup encore étudiants – à la conférence runique m’approcher discrètement et me dire qu’une partie de la raison pour laquelle ils vinrent à la conférence était de me rencontrer, et qu’ils avaient été exposés pour la première fois au monde merveilleux des runes et la tradition germanique ésotérique par mes travaux plus « populaires ».

Le visage changeant du monde universitaire dicte que ce qui est « dedans » aujourd’hui, sera « dehors » demain. Les germes de la prochaine génération de runologues ont déjà été plantés. A un certain niveau, peut-être, ceux qui sont des ennemis de la tradition ont senti cela. Leur stratégie est peut-être d’empêcher les germes de grandir en ne permettant pas aux germes d’exister dans un sol fertile. Tous les domaines de la runologie, de la religion comparative, des études indo-européennes, etc., sont systématiquement extirpés des institutions universitaires. Spécialement en Amérique cela se passe avec une impulsion simultanée de la « droite » tout comme de la « gauche ». La gauche internationale voit la tradition européenne comme étant au pouvoir, et leur mythe de la dialectique détermine qu’ils doivent chercher à désétablir tout ce qui est au pouvoir, pour des raisons « révolutionnaires ». La droite, de son coté, est dominée en Amérique par un sentiment chrétien, qui voit l’intérêt pour nos traditions anciennes comme étant hostile au modèle chrétien. Il est intéressant de remarquer que ces intérêts apparemment divergents de la « gauche » et de la « droite » sont, en Amérique du moins, d’accord sur le fait qu’au moins l’un de leurs « ennemis » communs est celui représenté par les traditions nationales organiques de l’Europe.

Cela ne se passe pas seulement en Amérique, mais en Europe aussi. Récemment le poste du Prof. Dr. Klaus Düwel de l’Université de Göttingen en Allemagne a été supprimé par l’administration de l’université. Lors de la conférence runique au Danemark, les runologues signèrent une pétition destinée à l’administration de l’université pour demander que ce poste prestigieux soit maintenu. Les racines de l’étude universitaire des runes dans cette institution remontent jusqu’aux frères Grimm.

Michael : La fondation du Woodharrow Institute for Germanic and Runic Studies [Institut Woodharrow pour les études germaniques et runiques] est-elle d’une certaine manière une réponse à la situation actuelle concernant ces domaines d’étude ?

Stephen : Le Woodharrow Institute n’est pas seulement une réponse à cette situation actuelle dans le milieu universitaire, mais aussi aux inconvénients, tels que je les vois, de la « sous-culture ésotérique ». L’Institut se tient à part de l’actuelle « sous-culture magique » en ce qu’il est informé par, et à son niveau le plus basique doit se conformer à, toutes les règles et règlementations légitimes de la procédure scientifique – qui sont toutes bénéfiques pour le processus global s’il est gardé en perspective. Ces méthodes infiltrent notre manière d’approcher les domaines ésotériques, ou les domaines de travail intérieur, aussi bien. Comme cela a toujours été le cas avec la Rune-Gild [Guilde Runique] – qui dans le futur sera rétablie dans le contexte du Woodharrow Institute –, nous partons de ce qui est objectivement connu et nous partons de cette base pour passer à l’exploration des coins plus sombres de l’inconnu.

Donc le Woodharrow Institute est destiné à relever le défi des deux extrémités d’un pôle : c’est pour apporter une base objective et scientifique au début du travail intérieur, et  pour re-envisager le but final du travail intellectuel lui-même comme un accomplissement de soi. C’est pour apporter des standards objectifs à un bourbier de subjectivité (la culture occultistoïde) et pour donner un but intérieur aux recherches souvent stériles et sans intérêt du monde universitaire. C’est un défi formidable, à coup sûr. Mais c’est aussi ce qui le rend digne de l’entreprendre.

Michael : Quel rôle accomplira d’après vous l’Institut finalement, et comment pourrait-il interagir avec des institutions universitaires plus établies ou plus formelles ?

runarmal.jpgStephen : Il est clair d’après ce qui a déjà été dit que la discipline universitaire de runologie, ainsi que certaines des études germaniques et des études indo-européennes plus anciennes, sont en danger. Si la runologie scientifique est laissée à son cycle normal de mode intellectuelle, il n’y a pas de mal. Le runologue traditionnel radical serait libre comme toujours de partager les fruits de ce travail intellectuel et de voir son travail intérieur enrichi par celui-ci. Mais si les domaines universitaires traditionnels sont déracinés et marginalisés pour l’extinction, alors cela ne serait plus possible.

Le Woodharrow Institute est conçu pour être un refuge pour la tradition universitaire – et pour encourager dans une certaine mesure une sorte d’érudition de guérilla. Le travail fondamental pour l’Institut ne doit en aucune façon être compromis par la « pensée occulte » ; il doit être entièrement historique et académique. Nous « jouerons le jeu universitaire » en accord avec ses règles et ses standards. Alors seulement l’Institut pourra accomplir une autre de ses tâches majeures : agir comme un « think tank » pour ceux qui s’intéressent au travail intérieur. Le fait que le mot « académique » soit utilisé pour décrire seulement le genre de travail qui est « purement scientifique » est en un sens une mauvaise utilisation du terme. L’école de Platon, l’Académie, dont notre usage moderne du terme provient en fin de compte, n’avait pas pour but final la production de données scientifiques limitées à ce qui peut être quantifié et connu objectivement. C’était seulement un tremplin vers le vrai but de l’école, qui était la transformation de l’individu en une forme supérieure d’être – en d’autres mots, le « produit » final était l’âme complétée. Tout ce but ultime a été perdu dans l’institution académique moderne, sauf peut-être là où des poches secrètes d’érudits peuvent la préserver non-officiellement.

Le Woodharrow Institute cherche à restaurer le modèle complet de l’Académie antique dans un contexte germanique. En tant que tel, son but ultime est transformationnel et pas simplement « scientifique » comme cela est compris dans le jargon moderne. Les participants ou les membres de l’Institut ne se verront cependant pas demander de poursuivre ce travail intérieur comme une sorte de condition préalable pour devenir membre. L’Institut développera un éventail complet de zones d’intérêt et de recherche.

On espère que l’Institut pourra dans le futur établir de bonnes relations avec le milieu universitaire majoritaire. Nous pourrions proposer des programmes pratiques dans l’étude des langues, l’archéologie expérimentale et, plus important, l’idéologie expérimentale. Notre mission dans le milieu universitaire majoritaire serait simplement de restaurer des zones d’étude traditionnelle où elles ont été perdues et à aider à les conserver là où elles sont en danger.

L’Institut a alors deux buts principaux dans le monde :    

(1) Agir comme un refuge pour le travail scientifique déplacé dans les champs de la runologie, les études germaniques, et les études indo-européennes générales ; et (2) agir comme un « think tank » pour les individus intéressés à faire usage du travail scientifique comme une base pour le développement intérieur. Le Woodharrow Institute est une arme dans le combat contre le modernisme et le subjectivisme occultistoïde.

Michael : Dans l’ancienne cosmologie germanique, une dynamique cyclique existe où l’ancien ordre s’effondre et est déchiré à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, mais c’est une étape nécessaire qui précède le déploiement d’un nouveau commencement. Est-ce excessif de regarder les événements contemporains sous cette lumière ? Et si ça ne l’est pas, quelle est la meilleure manière pour l’individu conscient d’approcher la situation actuelle ?

Stephen : Je soutiens que les idées traditionnelles sont éternellement valables et toujours pleines de sens. La cosmologie germanique, le Ragnarök, qui peut en fait désigner le commencement, le milieu ou la fin du processus cosmologique, implique certains âges à la fin du processus. Ceux-ci sont désignés dans les poèmes de l’Ancienne Edda [= Edda poétique] par des termes tels que l’« Age du Loup », qui désigne la nature « avide », « cupide » ou « appétitive » de l’âge. Il est clair que le monde dans son ensemble se trouve dans un « Age du Loup ». L’individu, et certains groupes d’élus peuvent, comme le dit Evola, « chevaucher le tigre ». Cela signifie que certains individus et certains groupes peuvent, en exerçant leur volonté contre le courant de la réalité du consensus et en s’inspirant de la Tradition, poser les fondements personnels et transpersonnels du prochain (et inévitable) développement cyclique. Ce prochain cycle sera (naturellement) plus imprégné de Tradition, à mesure que la roue du développement tournera.

Des portions de cette interview avec le Dr. Flowers ont précédemment paru dans le journal britannique Rûna: Exploring Northern European Myth, Mystery and Magic, disponible chez BM: Sorcery, London WC1N 3XX, UK. Pour en apprendre plus sur le Woodharrow Institute, ou pour demander un catalogue de livres disponibles, contacter Rûna-Raven Press, PO Box 557, Smithville, Texas 78957, USA.

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Michael Moynihan est un auteur, artiste et éditeur de la Nouvelle-Angleterre. Il est corédacteur du journal TYR: Myth – Culture – Religion, publié à Atlanta, Géorgie. Il contribue régulièrement à des périodiques culturels et musicaux, et est aussi le rédacteur nord-américain de Rûna.

Cet article est paru dans New Dawn n° 77 (mars-avril 2003)

© New Dawn Magazine and the respective author.

For our reproduction notice, click here.

[Il semble malheureusement que ce Woodharrow Institute n’existe plus aujourd’hui en 2016. Il aurait été fermé. – NdT.]

 

 

samedi, 22 juin 2019

Thomas Ferrier: Les paganismes renaissants d'Europe

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Les paganismes renaissants d'Europe

 
 
Dernière vidéo de synthèse des mouvements païens européens contemporains. Les prochaines émissions seront désormais strictement politiques à la rentrée et sur des thèmes plus variés. Le paganisme est une réponse européenne originale à la crise de civilisation qui affecte l'Europe. En France, il est marqué par la Nouvelle Droite (GRECE). Mais dans le reste de l'Europe, il est beaucoup moins marqué politiquement et en expansion. Dominique Venner dans "Le choc de l'histoire" déplorait l'absence de religion identitaire en Europe. Peut-être existe-t-elle finalement.
 

vendredi, 17 mai 2019

Entretien avec Olivier Maulin : «Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante»

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Entretien avec Olivier Maulin : «Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante»

Ex: http://rebellion-sre.fr

Vous n’avez pas lu Olivier Maulin ? Grave faute de goût que vous devez dès maintenant expier ! Il est un des rares auteurs français vivants dont les livres sont une source de joie et d’inspiration pour le lecteur. Il nous avait fait l’honneur de répondre à nos questions dans numéro 83 de Rébellion.

Comment êtes-vous venu à la littérature ? (Question totalement idiote, j’en conviens)

Pas forcément idiote mais compliquée… Je me souviens qu’adolescent, je passais mes soirées à écrire des poèmes et à rêver d’être un poète. J’avais alors pour modèle Rimbaud, bien sûr, et les poètes fauchés de la fin du XIXe siècle qui représentaient pour moi un exotisme fabuleux. C’est donc plus la figure du poète qui me fascinait que la littérature elle-même ! Mais à force d’écrire des poèmes, très mauvais pour la plupart, j’ai appris à écrire, et à m’intéresser à autre chose qu’à la poésie, notamment au roman. Je me suis mis alors à écrire des nouvelles que je publiais dans des petites revues littéraires, puis au roman, assez tardivement. Mais je reste aujourd’hui absolument convaincu que ce sont toutes ces heures passées à écrire de la, poésie qui m’ont tout appris.

Quelles sont les lectures qui vous ont poussé à écrire ? ( question légèrement moins bête)

Adolescent, je ne lisais que de la poésie et des livres d’histoire, cultivant un mépris stupide et un peu snob pour le roman. C’est en licence d’histoire que j’ai eu deux chocs successifs en découvrant Crime et châtiment de Dostoïevski et surtout Mort à Crédit de Céline. J’ai dès lors avalé tout Céline et j’ai compris les possibilités inouïes du roman. Il m’a fallu ensuite une dizaine d’années pour digérer ce monstre et quitter la parodie.

Pour paraphraser Macbeth, l’humour dans vos romans est-il présent pour rappeler que l’existence n’est qu’une histoire de fous racontée par des idiots, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien” ?

Il y a de cela en effet. Mais je n’arrive pas vraiment à parler de l’humour de mes romans. Quand j’ai écrit En attendant le roi du monde, je n’avais pas vraiment conscience que c’était un roman drôle, il a fallu qu’on me le dise. En fait, je ne force rien, c’est la façon dont je vois les choses, je ne peux pas m’empêcher de voir le côté grotesque et raté de l’existence. Et puis je me suis aperçu que l’humour était une arme redoutable qui permettait de tout dire.

Dans votre oeuvre, vous semblez-vous amuser à faire basculer dans l’aventure la vie banale et routinière de vos personnages. Ce point de rupture est pour vous une ouverture vers le vrai sens de la vie ?

Disons que la plupart des mes personnages ne sont pas à l’aise dans ce monde étroit qui de surcroit les rejette. Ils se réfugient ainsi dans des sortes « d’alter-monde » où ils peuvent mettre en pratique leurs « idéaux » même si ceux-ci sont souvent inconscients et non formulés. Mais, oui, il y a une sorte de recherche du vrai sens de la vie comme vous dites, la vie aujourd’hui, pour la plupart des gens des gens, n’en ayant plus beaucoup, de sens.

Vous avez une affection toute particulière pour les « handicapés sociaux ». Etre inadapté au monde actuel est pour vous un signe de bonne santé mentale ?

Exactement ! Le monde actuel étant à mon sens cul par-dessus tête, je crée des carnavals où l’ordre de ce monde est mis à bas. Par le désordre du carnaval, le désordre du monde devient un ordre ! Et puis j’ai une réelle sympathie pour les bras-cassés qui dans notre société de la compétitivité et du sérieux maquillé en cool représentent à eux seuls une provocation et une bouffée d’oxygène.

omroi.jpgDans votre premier roman, « En attendant le roi du monde », vous évoquez des références traditionnelles (Je pense à Mircea Eliade ou René Guénon) pour créer une évocation quasiment magique. Avez-vous été influencé par ce courant ?

Oui, ce sont des auteurs que j’ai lus, surtout Guénon qui a été une lecture très importante pour moi. Certaines vérités établies, lesquelles forment le socle du monde contemporain et ne sont jamais remises en question, se sont écroulées comme un château de cartes à la lecture de Guénon. En le lisant, j’ai à vrai dire eu l’impression que du destop coulait dans ma cervelle et emportait le bouchon de crasse que l’on m’avait collé à l’école… Cela m’a ouvert des horizons intellectuels insoupçonnés. On retrouve l’écho de cette lecture dans mes trois premiers romans où mes personnages sont en quête (selon leurs modalités !) d’une tradition originelle qui rendrait le monde à nouveau habitable.

Un paganisme sauvage et tellurique surgit de la terre ancestrale dans vos romans. Est ce pour vous l’expression d’une voie spirituelle pouvant réenchanter notre époque ?

Je suis un peu ambigu à ce sujet. J’ai eu une période très « païenne » dont je suis un peu revenu. Lorsque Suzy essaie dans Les Evangiles du lac de recréer une religion païenne, elle est obligée d’user d’artifices et de rêves. Que ce paganisme sauvage dont vous parlez puisse irriguer notre rapport au monde, oui. Qu’il ait encore quelque chose à nous dire, encore oui. Qu’il puisse redevenir une religion, non. Il est mort et ne reviendra plus. Mais il est vrai qu’en écrivant mes trois premiers romans, mon but conscient était bien de réenchanter ce monde qui crève d’avoir abandonné le sacré et d’avoir tourné le dos à certains vérités universelles.

727360.jpgEcologie, localisme, communautés alternatives, enracinement sont présent dans votre réflexion. Pensez vous que l’avenir appartient à un croisement entre la ZAD et la Tradition?

Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait mais ce qui est certain c’est que notre monde fonce à toute vapeur vers le précipice. Au moment du grand basculement, il faudra bien inventer des solutions pour s’en sortir et certainement verrons-nous en effet la résurgence de communautés autonomes et enracinées. Ceci étant, je traite toutes ces questions d’un point de vue littéraire en ce sens qu’elles me permettent de mettre en scène des personnages, de raconter des histoires et de développer dans la bonne humeur quelques critiques à l’encontre de notre monde persuadé d’être dans le vrai. Quant à l’écologie, elle est très présente dans mes livres, c’est vrai, tout simplement parce que je pense qu’elle soulève, quand elle est réelle et non tartuffe, des véritables questions, et notamment celle-ci : notre mode de production et de consommation illimitées est-il compatible à terme avec une vie sur cette planète aux ressources limitées ? La réponse est à l’évidence non et le développement durable n’y changera rien. Mais au-delà de cet aspect matériel, c’est presque d’une écologie spirituelle, pour le coup, dont j’ai envie de parler. Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante, ce qui a rendu les gens sont malheureux. La grande promesse du progrès, c’était le bonheur pour tous mais il se vend chaque année en France 60 millions de boîtes d’antidépresseurs ! L’échec est total et il faudra bien que cela finisse par se savoir (ça se sait de plus en plus « en bas » mais pas « en haut » or c’est « en haut » que ça gouverne). La vraie question qui se pose donc aujourd’hui c’est de savoir si une révolution mentale peut encore nous permettre de changer à temps de direction ou si nous allons foncer dans le mur en discutant de l’écriture inclusive et du racisme sur Internet. Malheureusement, je penche pour la dernière hypothèse.

L’idée de communauté autonome du monde a une signification forte pour vous. Pourquoi ce type d’expérience vous attire ?

Mon idéal communautaire, c’est le village médiéval. On y trouve tout ce que j’aime, la solidarité, une relative égalité sociale (la différence entre le petit seigneur local et le paysan le plus pauvre ne dépassait pas le plus souvent les critères du fordisme), une possibilité d’accomplissement dans un travail qui a du sens avec de nombreux jours fériés (autant qu’aujourd’hui) et un ancrage qui, là encore, donne un sens à la vie. Au fond, l’idéal anarchiste est là ! Dans un monde liquide et littéralement invivable (sans cachetons), je vois les expériences communautaires comme des tentatives de recréer cet âge d’or…

793765.jpgComment avez-vous découvert les milieux libres et colonies libertaires de la Belle Époque qui servent de source à l’inspiration du « Bocage à la Nage » ?

Dans un magnifique ouvrage hors commerce paru en 2003, ronéotypé, le n°9 d’une revue intitulée Invariance, je crois, et qui s’intitulait « Naturiens, Végétariens, Végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français ». Il s’agissait de la reproduction de revues ouvrières de la fin du XIXe siècle, écrites par les ouvriers eux-mêmes, tirées à quelques dizaines d’exemplaires et distribuées à la sortie des usines, qui prônaient, pour certaines, la sécession d’avec la société capitaliste. J’avais été frappé par la clairvoyance de cette pensée clandestine, souvent exprimée de manière naïve, qui posait déjà la question de l’écologie (un article de 1895 annonce le réchauffement climatique !) et annonçait les communautés hippies avec soixante ans d’avance. C’est l’époque où commençaient à se développer des « communautés libres » d’ouvriers pour qui le progrès loué de manière unanime par le reste de la société consistait pour eux à travailler douze heures par jour dans les vapeurs toxiques pour un salaire de misère et où l’on faisait ramper des enfants de 12 ans sous les machines lorsqu’un tissu les bloquait pour ne pas avoir à les arrêter et perdre ainsi de l’argent, au risque bien entendu que l’enfant se fasse déchiqueter par la machine. Ce que j’avais trouvé touchant, c’était que même s’ils l’ignoraient, leur repli dans ces communautés libres où ils s’expurgeaient de tous les faux besoins jusqu’à abandonner leurs vêtements pour se faire nudistes, ressemblaient fort à une quête du paradis perdu, une tentative de revenir au temps d’avant le péché originel. A ma connaissance deux livres évoquent cet épisode quasi-inconnu de l’histoire, Les milieux libres de Céline Beaudet (éditions libertaires) et Expériences de vie communautaire anarchiste en France de Tony Legendre (même éditeur) qui traite du milieu libre de Vaux et de la colonie naturiste et végétalienne de Bascon qui a duré jusqu’en 1951. Le formidable écrivain Albert T’Serstevens a quant à lui écrit le seul roman sur le sujet, Un Apostolat, qui raconte l’échec d’une de ces communautés. Le livre va être réédité dans quelques mois aux éditions du Rocher.

Vous rendez bel hommage aux luddismes dans les Evangiles du Lac. Pour vous, cette réaction populaire garde son actualité face aux dérives du « progrès » et des sciences ?

Je suis fasciné par le mouvement luddite qui avait spontanément compris toutes les implications du progrès en effet. Et à propos du progrès, je ne crois pas qu’on puisse parler de « dérives ». Le progrès porte en lui ses effets positifs et négatifs dans le même temps, indépendamment de l’usage que l’on en fait, c’est ce que l’on refuse aujourd’hui de voir. L’ânerie consiste à croire que tout progrès est souhaitable. Certains apportent plus qu’ils ne détruisent et on peut alors les adopter. Mais d’autres détruisent plus qu’ils n’apportent et il est du coup criminel de les adopter. Au fond tout le problème réside dans le fait que le progrès est devenu une religion, un dogme indiscutable. Pour ma part, je pense qu’il faudrait aujourd’hui saccager les laboratoires des docteurs Folamour de l’intelligence artificielle et du bidouillage génétique qui sont une vraie folie furieuse.

Vos racines alsaciennes sont pour vous une source d’inspiration ?

Oui, certainement. L’humour d’abord, est très alsacien. Une forme de gaité tragique aussi. Et puis il y a la langue. Je m’amuse souvent à pêcher des expressions alsaciennes que je retranscris en français dans mes livres. L’alsacien est une langue de paysan, très imagée, très verte aussi, avec une quantité invraisemblable d’insultes fleuries et très drôles. Moi qui ai la nostalgie de la langue médiévale, moins précise que celle dont on a hérité du Grand Siècle mais terriblement plus concrète et plus colorée, j’ai parfois l’impression de la retrouver dans le dialecte alsacien (que je ne parle pas vraiment du reste)…

De l’Ecosse à la Catalogne, le nationalisme/régionaliste s’affirme au sein de l’Union Européenne, quel est votre avis sur ce phénomène ?

Pour vous dire la vérité, je n’ai pas d’idées arrêtées là-dessus. L’indépendance de la Catalogne et de l’Ecosse serait évidemment le point de départ du délitement des nations et du triomphe d’une Europe qui demeure un ectoplasme, et dont je ne crois pas qu’elle pourrait être autre chose qu’un ectoplasme Pour ma part, je suis tiraillé entre deux fidélités, l’alsacienne mais aussi la française qui m’a donné ma langue et mon histoire. La seule raison qui pourrait me faire vouloir l’éclatement des nations, c’est le sauve-qui-peut généralisé. Chacun rentre chez soi avec des fusils et verrouille la porte pour essayer de s’en sortir au mieux.

Propos recueillis par Louis Alexandre

jeudi, 16 mai 2019

Spirito classico - cristianesimo: le tesi di Walter Friedrich Otto

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Spirito classico - cristianesimo: le tesi di Walter Friedrich Otto

Giovanni Sessa

Ex: https://www.ereticamente.net

auWO.jpgNel corpo della cultura europea scorre sangue «pagano». A muovere dal Settecento, filosofi, storici delle religioni e artisti, si sono prodigati nel tentativo di far riemergere le sorgenti più arcaiche della nostra cultura, richiamando l’attenzione sul suo effettivo ubi consistam. Anzi, questo sforzo è ancora in corso: si pensi, tra i tanti esempi che si possono fare in tema, alla valorizzazione del mondo pre-cristiano, presentata, nella propria opera, da Evola o, più recentemente, da autori quali Marc Augé e Alain de Benoist. Un ruolo rilevante, in tal senso, nel secondo decennio del «secolo breve», lo ha svolto il filologo svevo e storico delle religioni, Walter Friedrich Otto. Il suo lavoro più noto, Gli Dei della Grecia, fu in qualche modo preparato da un libro che egli pubblicò nel 1923, Spirito classico e mondo cristiano, di cui è recentemente apparsa la seconda edizione italiana, per i tipi de L’arco e la Corte (per ordini: arcoelacorte@libero.it, pp. 174, euro 15,00). Si tratta, come ricorda Giovanni Monastra, nell’informata e stimolante Prefazione, di un testo nel quale l’autore mostrò, in tutta la sua forza e con invidiabile spessore erudito, l’attrazione empatica per il mondo classico e, in particolare, per la religiosità ellenica.

La potenza teorica del volume, la si spiega tenendo in debito conto alcuni dati biografici dell’autore, riferiti opportunamente dal prefatore. Otto si formò a Tubinga, nel medesimo Stift teologico nel quale avevano studiato Hegel, Schelling ed Hölderlin. Dopo aver seguito brillanti studi filologici, a Monaco incontrò il filosofo Klages e frequentò gli ambienti del Kreis di Stefan George. Fu, inoltre, attratto dagli studi di Leo Frobenius, dai quali trasse l’idea del Weltbild (immagine del mondo), che gli permise di decodificare l’essenza della civiltà ellenica. Fu vicino agli ambienti aristocratico-conservatori e, perciò, antinazisti, della Germania segreta: ciò lo costrinse ad insegnare in un’Università «periferica», quella di Könisberg, dove rimase fino all’arrivo dell’Armata rossa nel 1944. Fu sottoposto, dopo la guerra, ad una serie di controlli preventivi, ma evitò l’epurazione e continuò ad insegnare fino al momento del decesso avvenuto nel 1958. Frequentò, tra gli altri, Heidegger, Kerény e Pettazzoni.

9788894296655_0_306_0_75.jpgIn Spirito classico e mondo cristiano, sono presenti: «lampeggianti intuizioni e utili indicazioni che consentono di vedere con occhi nuovi il mondo religioso ellenico» (p. 13). Otto cerca, in ogni modo, di far parlare i Greci e i loro dei, con la voce che gli fu propria. Fino ad allora, infatti, il clamore millenario prodotto dalla cultura dei vincitori, nella contesa storica sviluppatasi nel IV secolo d.c., quella cristiana, aveva impedito di cogliere il senso ultimo della visione del mondo ellenica. La critica al cristianesimo di Otto è radicale, i toni polemici decisamente aspri, in alcuni passaggi rasentano l’invettiva. Per questo, successivamente, il filologo non si riconobbe del tutto in tali affermazioni e non volle che questo studio fosse nuovamente pubblicato (la precedente edizione italiana uscì nel 1973, ad insaputa della figlia dello studioso). Il libro è scritto sotto il segno di Nietzsche. Come il filosofo dell’eterno ritorno, anche Otto distinse l’originario insegnamento del Cristo, insieme a Socrate considerato ultimo esempio di vita persuasa, dalla successiva dottrina cristiana, esito del travisamento teologico operato dalla tradizione paolino-agostiniana. In ogni caso, quale idea ha Otto della religio greca?

Egli era convinto che i poemi omerici: «contenessero il paradigma più alto della concezione olimpica del divino» (p. 14). Quella omerica era religio virile, fiera, senza uguali nella storia delle religioni. Punto apicale mai più raggiunto, in quanto in essa gli dei venivano invocati in piedi, il greco guardava negli occhi, senza alcun timore reverenziale i propri numi. Non conosceva le genuflessioni cristiane ed asiatiche, di fronte al divino. Questo era inteso quale manifestazione improvvisa, suscitante, al medesimo tempo, meraviglia e sconcerto. La coscienza del singolo era conciliata con i ritmi e le misure che si manifestavano nel cosmo, nessun greco conobbe mai la “cattiva coscienza”, triste novità introdotta dal cristianesimo. Con la sua irruzione si iniziò ad avvertire: «una opposizione tra il mondo sconvolto e disperato dell’anima, agitata sempre da tormenti e turbamenti […], e il mondo olimpico della forma» (p. 16). La natura, avvertita in precedenza quale epifania del divino, venne progressivamente esperita in termini desacralizzati e ridotta alla mera dimensione della quantità.

9788845977350_0_0_626_75LLLLL.jpgI Greci, al contrario, non conobbero mai la fides, la loro religio della forma era, in realtà, un susseguirsi di esperienze, di realizzazioni del sacro, da parte dell’uomo. Il tratto politeista consentiva loro di apprezzare i diversi volti dell’Uno e di viverli, di farne esperienza. A ciò contribuivano il mito e il culto. Nel secondo: «è l’uomo che si innalza al Divino, vive e agisce in comunione con gli dei; nel mito è il divino che scende e si fa umano» (p. 21). Il rapporto uomo-dio si manifestava, come rilevato da Rudolf Otto, nell’endiadi Io-Esso. Si trattava, pertanto, di una relazione centrata sull’ethos, sul modo d’essere (Evola avrebbe detto “razza dello spirito”) e non sul pathos, sulla dimensione emotiva e sentimentale. Il trionfo del cristianesimo rese esplicito che il mondo antico aveva perso la propria anima, vale a dire quest’atteggiamento paritetico degli uomini nei confronti degli dei. Ecco perché alla «buona novella» aderirono gli ultimi, i diseredati e le donne, che divennero strumenti mortiferi per lo spirito classico. In quel frangente, pochi tentarono una resistenza. Si ersero in pochi, ricorda Otto, sulle rovine di un mondo al tramonto per proclamarne la grandezza, tra essi Giuliano Imperatore. Monastra ipotizza, e la cosa va segnalata, che Evola, avrebbe potuto trarre il titolo del suo, Gli uomini e le rovine, proprio da un passo del libro del filologo tedesco, che certamente lesse.

Condividiamo l’esegesi della relazione paganesimo-cristianesimo che questo volume presenta. Forse, come rileva il prefatore, è eccessivo sostenere, come fece Otto, l’unicità religiosa della Grecia. Resta il fatto, però, che la loro fu una religione della realtà: «alla quale risulta del tutto estranea la “fede” in qualcosa di “totalmente altro”» (p. 33). In conclusione, vogliamo qui ricordare quanto, a proposito dell’originario cristianesimo, ebbe a sostenere il filosofo Andre Amo: questa religione avrebbe rappresentato un ritorno dei culti agrari, cosmici, che nel mondo antico si era mostrati a latere del dionisismo, di contro al rigido monoteismo ebraico, imparentato con la religione apollinea. Un considerazione non dissimile da quella fatta propria dal tedesco, alcuni anni dopo la pubblicazione dello Spirito classico e il mondo cristiano.

Giovanni Sessa

vendredi, 03 mai 2019

Le soleil et ses symboles chez les peuples européens

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Le soleil et ses symboles chez les peuples européens

La bannière auvergnate de Terre & Peuple aura le plaisir de recevoir Jean-Christophe Mathelin, fondateur et rédacteur en chef de la revue Solaria, pour une conférence-projection intitulée « Le soleil et ses symboles chez les peuples européens, des origines à nos jours », samedi 25 mai 2019 à Clermont-Ferrand.


Fondée le jour du solstice d’hiver 1992, Solaria édite une revue et un calendrier. Cette association organise des activités culturelles telles que des conférences, des visites de sites et de musées, ou encore des fêtes traditionnelles. Elle a également créé un musée du Soleil. Ses objectifs sont de promouvoir les études et recherches sur les cultes et cultures solaires, ainsi que de rendre ce patrimoine accessible et utile à nos contemporains.


La revue publie dans un esprit ouvert des études, des textes choisis, des informations, des recensions d’ouvrages et d’articles sur la solarité, envisagée au sens le plus large des activités humaines (archéologie, histoire, symboles, art, littérature, poésie, religions, astronomie, écologie, etc…).


En plus de Solaria, Jean-Christophe Mathelin est l’auteur d’une anthologie sur le Soleil et la Lumière. Il est également astronome et conférencier en planétarium.


Dans son souci de renouer avec les religions natives de France et d’Europe, Terre & Peuple et sa bannière auvergnate souhaitent, à travers cette conférence-projection, mettre l’accent sur l’aspect cosmique et solaire du paganisme de nos ancêtres, ainsi que sur l’importance de son symbolisme. Nous vous accueillerons donc samedi 25 mai à Clermont-Ferrand à partir de 17 heures.