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jeudi, 15 avril 2010

Les "néo-conservateurs" sont les nouveaux jacobins de la Maison Blanche

Roberts.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2004

Les “néo-conservateurs” sont les nouveaux jacobins de la Maison Blanche

Entretien avec le Prof. Paul Craig Roberts, ancien représentant

du ministre des finances de l’Administration Reagan

 

Le Professeur Paul Craig Roberts enseigne au “Centre d’Etudes stratégiques et internationales” à Washington, ainsi que dans la célèbre université de Stanford. Sous Reagan, il était le représentant du ministre des finances des Etats-Unis et, conseiller influent du président, il a contribué à donner for­me à l’économie américaine de l’époque. Le terme de “néo-conservatisme” ne reçoit pas son aval: pour lui, c’est une escroquerie, une simple étiquette qui dissimule un autre contenu. Derrière cette étiquet­te, ajoute-t-il, se cache une “bande” qui s’est soustraite à toutes les traditions américaines.

 

Pression sur la CIA

 

Q. : Professeur Roberts, il y a un an commençait la guerre contre l’Irak. Les Américains y trouve­ront-ils les armes de destruction massive qu’ils cherchent?

 

PCR : Non. Les inspecteurs américains ont expliqué qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak. Leur chef, David Kay, a déclaré, début mars, dans un interview, que le refus du gouvernement américain d’accepter ce fait conduisait à miner sa crédibilité en politiques intérieure et extérieure.

 

Q. : Le gouvernement Bush a-t-il été mal informé par ses services secrets au sujet des armes de destruction massives irakiennes?

 

PCR : La CIA et le service secret de l’armée, la “Defence Intelligence Agency”, n’ont pas livré d’informa­tions fausses, pour justifier l’intervention en Irak. Les informations erronées ont été fabriquées par un nouveau “bureau spécial” du Pentagone, mis sur pied par les fauteurs de guerre “néo-conservateurs”, qui veulent une invasion de l’ensemble du Moyen Orient et dépouiller l’Islam de son contenu religieux. Des officiers des services secrets ont dressé leur rapport et constaté que c’est surtout le bureau du Vice-Président qui a exercé une forte pression sur la CIA. Celle-ci a été contrainte de fournir des “informa­tions” cadrant avec l’affirmation des néo-conservateurs, qui prétendaient que l’Irak possédait des armes de destruction massive. Les néo-conservateurs ont parié sur la désinformation et ont manipulé les dé­clarations d’exilés irakiens. Ces exilés voulaient utiliser à leur profit la puissance militaire américaine pour prendre la place de Saddam Hussein.

 

Q. : L’affaire sera-t-elle soumise à une commission d’enquête indépendante?

 

PCR : Si mes compatriotes américains continuent à gérer l’occupation de l’Irak de manière erronée et que ces vices de gestion amènent toujours davantage de troupes américaines à intervenir dans une guerre civile inter-irakienne, alors  il se pourrait bien que l’on mette une commission d’enquête sur pied. L’objectif d’une telle commission d’enquête viserait d’abord, évidemment, à blanchir le gouverne­ment de Bush. Les commissions d’enquête mises sur pied par l’Etat ne sont jamais indépendantes.

 

Q. : John Kerry a-t-il une chance de battre Bush aux prochaines élections?

 

PCR : Les sondages d’aujourd’hui semblent confirmer que Kerry battra Bush. Mais il est encore trop tôt pour avoir des pronostics fiables. D’après les dernières nouvelles, Bush s’efforce de trouver un accord avec le Pakistan pour attraper Oussama Ben Laden. Les conseillers les plus influents de Bush croient que l’arrestation de Ben Laden conduirait à une euphorie, immédiatement avant les élections en novembre prochain, ce qui ramènerait Bush au pouvoir.

 

Outre les doutes quant à l’opportunité d’avoir eu à envahir l’Irak, Bush doit faire face à deux autres gros problèmes. Il s’est aliéné une bonne part de sa base conservatrice, en proposant d’amnistier des millions d’étrangers en séjour illégal aux Etats-Unis. Bon nombre de conservateurs se demandent pourquoi Bush se montre militairement si actif à l’étranger, alors qu’il renonce à défendre les propres frontières du pays.

 

Ensuite, l’autre gros problème de Bush concerne l’emploi. Les Etats-Unis, pour le moment, sont en train de perdre des emplois de haute qualification, à grand rendement productif. Un grand nombre de multinationales ont délocalisé leur production pour le marché américain, à l’étranger et ainsi quitté les Etats-Unis, car elles entendent profiter de la main-d’œuvre bon marché d’Asie. Cette délocalisation de la production à l’étranger confisque à l’économie américaine des emplois bien rémunérés, du capital et de la technologie, désormais délocalisés en Asie.

 

Internet, du fait de la très grande vitesse de communication qu’il permet, fait que des emplois très fortement rémunérés, comme ceux des ingénieurs, des  architectes, des radiologues, des conseillers financiers, des analystes boursiers et des spécialistes en toutes autres hautes technologies, quittent le pays pour migrer en Inde, en Chine, aux Philippines ou en Europe de l’Est, car on peut y faire faire les mêmes travaux pour une fraction seulement du prix qu’ils coûtent aux Etats-Unis. Or ces emplois repré­sentent traditionnellement les échelons à gravir dans la société américaine. Leur perte constituent un ressac très problématique sur les plans économique, social et politique.

 

Les emplois créés aujourd’hui aux Etats-Unis sont des emplois de bas niveau dans le secteur des services, mal rémunérés comme dans les soins de santé, les divers services subalternes et le secteur de la res­tauration. Après vingt-cinq mois de “redressement économique”, l’économie américaine a perdu plus d’emplois qu’elle n’en a créés.

 

L’actuelle mobilité du capital et de la technologie rend caducs les arguments généralement avancés par les défenseurs du libre marché. Les pertes qu’enregistrent le “premier monde” en capital et en technologie, au profit de pays jadis englobés dans le “tiers monde”, où le travail est aujourd’hui moins cher, constitue désormais un problème de premier plan et il concerne principalement les Etats-Unis, qui doivent, sur la planète, leur renommée au fait qu’ils permettaient une ascension sociale rapide. Ce n’est plus le cas. Le chef de file des conseillers de Bush en matières économiques avait déclaré que l’économie américain profitait du remplacement des emplois bien payés par des emplois mal payés, prestés par des étrangers aux Etats-Unis; cette affirmation a beaucoup nui au prestige de l’équipe de Bush.

 

Q. : Vous vous définissez comme un conservateur américain. Selon vous, selon vos options philo­sophiques, qu’y a-t-il d’erroné dans la politique extérieure de Bush?

 

PCR : La politique extérieure américaine est entièrement au service de la réélection du Président. Le gouvernement Bush a détruit le principe de multilatéralité qui avait guidé la politique extérieure des Etats-Unis sous les gouvernements de ces cinquante dernières années. Comment cela s’est-il passé? L’élection de Bush était contestée par la Court Suprême des Etats-Unis. Bush n’a pas obtenu de majorité bien claire parmi les électeurs. Les voix manquantes lui ont été attribuée d’office par la décision d’un tribunal. Les attentats terroristes contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, a permis aux hommes de l’ombre, qui se profilent derrière Bush, de le tirer hors du sac de noeuds que constituait le controverse née des élections; ils ont littéralement emballé Bush dans le drapeau national et l’ont hissé sur le piédestal du chef de la “guerre planétaire contre le terrorisme”. De cette façon, toute opposition à sa personne devenait impossible.

 

Cette situation a favorisé les menées des néo-conservateurs, ou, pour être plus exact, des nouveaux jacobins qui occupaient les principaux postes à responsabilité au ministère de la défense, dans les bureaux de la vice-présidence et dans les postes les plus influents de la politique extérieure. Ces nouveaux jacobins ont revendiqué une validité mondiale pour les principes qu’ils qualifiaient d’”américains”, ce qui revenait à donner à notre pays une sorte de monopole de la vertu. Le résultat de toutes ces démarches donne une idéologie militante, d’après laquelle il y aurait une obligation pour le monde de modifier toutes ses institutions pour les calquer sur le modèle américain, seul paré de toutes les vertus. Les nouveaux jacobins  visent un monde uniforme, un monde unipolaire. L’un de leurs chefs de file, Ben Wattenberg, l’a formulé comme suit : “Un monde unipolaire est une bonne chose, si l’Amérique est ce pôle”.

 

Les nouveaux jacobins sont des alliés de longue date du Likoud israélien. Un autre chef de file néo-jacobin, Norman Podhoretz, vient de nous définir la guerre contre le terrorisme comme une guerre de conquête américaine de l’ensemble du Proche Orient musulman, afin d’attaquer l’Islam à ses racines. L’entrée des troupes américaines en Afghanistan en en Irak doivent constituer les premières étapes d’une victoire prochaine et totale contre l’Islam.

 

Comme l’occupation de l’Irak génèrent des problèmes inattendus, le programme des néo-jacobins perd de son aura auprès des électeurs de Bush et des républicains en général. Pour faire face à cette fronde en sourdine, l’administration Bush s’efforce de créer un Etat policier aux Etats-Unis mêmes, en égratignant des droits civils acquis, bien inscrits dans la loi, au nom de la “guerre contre le terrorisme”. Simultané­ment, le reste du monde est invité, fermement, à prendre modèle sur la “démocratie” américaine. Com­me l’a écrit le Professeur Claes G. Ryn, dans son livre “L’Amérique vertueuse”, le programme des néo-ja­cobins conduit à une série infinie de guerres et de catastrophes.

 

(entretien paru dans DNZ,  Munich, n°13, mars 2004).

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