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mercredi, 21 avril 2010

Quelles alliances dans le monde islamique?

Archives de Synergies Européennes - 1997

 

Quelles alliances dans le monde islamique?

 

eu-islam.pngSur le plan religieux, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire dans le sens latin de re-ligere, soit de lier les membres d'une communauté politique par des valeurs et un héritage culturel communs, notre position est claire: l'Europe est une pluralité de peuples et de paysages, de climats et de végétations, qui impliquent qu'entre les hommes s'instaurent des modalités de vivre-en-commun chaque fois différentes selon les paramètres. Modalités et variations révèlent de la sorte un polythéisme des valeurs, qu'il s'agit d'harmoniser. Les religions monothéistes sont issues, dans leur quintessence, du désert, avec son uniformité sublime qui force à penser l'absolu, le Tout-Autre. En disant cela, nous n'entendons pas dénigrer les spiritualités du désert ni ceux qui en sont les porteurs: avec Ludwig-Ferdinand Clauss qui a pensé simultanément l'esprit de la forêt (nord-européenne) et l'esprit du désert chez les Bédouins, qui est considéré comme un Juste par les Juifs, nous constatons deux modalités du spirituel qui ne se sont pas nécessairement opposées dans l'histoire (cf. les figures de Parsifal et de Feirefiz) mais qui impliquent néanmoins que l'on manie des jeux d'institutions politiques différents, pour être en symbiose avec notre environnement immédiat.

 

La vie dans le désert implique des codes rigoureux, la vie dans les forêts ou dans les lisières défrichées implique des codifications plus souples. Chez le Bédouin ou l'Arabe, la douceur de l'oasis lève souvent la rigueur des codes, et il rejoint là la souplesse des terres à jardins. En Europe, le jardin, d'abord potager puis floral, l'orangerie, la douceur des potagers et des fruits méditerranéens ou la sérénité des vergers centre-européens ou nord-européens, le vieux culte européens des fruits impliquent au fond une moindre rigueur, en dépit des jansénismes ou des puritanismes. Les libres-penseurs ne nous contrediront pas: Voltaire n'a-t-il pas dit et répété, «Cultivons notre jardin», signifiant par là que la variété des essences que nous y cultivons nous procure la sérénité et nous conduit au chemin de la tolérance (mais, hélas, aujourd'hui, la tolérance, dans la bouche des vitupérateurs médiatiques, n'est plus cette sérénité, mais, au contraire, le prétexte à édifier des codes rigides, plus rigides que tous les codes religieux du passé, parce qu'abstraits et désincarnés).

 

Aujourd'hui, la revendication religieuse la plus véhémente est sans conteste celle de l'islamisme radical. Mais quel islamisme? Celui du FIS, de la République Islamique d'Iran, du Soudan, des Frères musulmans, des Talibans de Kaboul, des extrémistes égyptiens qui prennent les cars de touristes pour cibles, d'Erbakan en Turquie? Dans ces multiples facettes de l'islamisme radical d'aujourd'hui, il s'agit pour nous de faire le tri. Non pas en vue d'une conversion qui serait insolite ou marginale. Mais parce qu'en dépit du processus qui s'opère actuellement, c'est-à-dire le regroupement des peuples dans des sphères civilisationnelles axées sur les options religieuses (cf. le recension du livre de Samuel Huntington par W. Strauss dans ce n°30 de NdSE), le dialogue inter-civilisationnel ne s'arrêtera pas pour autant. Si ces regroupements impliquent un certain repli sur soi,  —pour que les peuples revoient enfin clair et se dégagent des philosophades simplistes de l'occidentisme—  les périphéries continueront néanmoins à dialoguer entre elles pour gérer des zones géographiques contigües ou même pour vider des conflits par les armes (car la guerre, en dépit de ce que racontent les irénistes, est une forme de dialogue).

 

Guido A. Del Valle, lors de notre université d'été de 1996 en Lombardie, avait démontré que les principales puissances musulmanes d'aujourd'hui étaient de fidèles alliées des Etats-Unis et, qu'à ce titre, elles étaient instrumentalisées contre l'Europe. Ce constat est juste, hélas, et nous l'acceptons, même si nous aurions préféré un dialogue inter-civilisationnel sur le mode que nous avait préconisé le Juste Ludwig-Ferdinand Clauss, dont Julius Evola admirait tant les œuvres. En effet, l'Egypte, clef du canal de Suez, de la Mer Rouge et de la Méditerranée orientale, est une alliée des Etats-Unis. La Turquie, formidable puissance militaire classique à la charnière de l'Europe et de l'Asie, entre la Mer Noire russo-ukrainienne et la Méditerrannée orientale, est le principal atout américain dans la région. Très nettement, cette puissance joue contre l'Europe et contre la Russie dans les Balkans, en Mer Noire, dans le Caucase, en Asie centrale, à Chypre et dans les vallées du Tigre et de l'Euphrate. Enfin, l'Arabie Saoudite, formidable puissance financière et pétrolière, est entièrement sous la coupe de Washington. En Algérie, la guerre civile empêche une réorganisation du pays, qui pourrait devenir un complément agricole pour l'Europe surpeuplée. La Libye de Khadafi, Etat plus laïc que religieux dans sa structure, est condamnée à faire du sur-place à cause du blocus imposé par Washington. Le Pakistan sert de base arrière aux Talibans qui font la guerre aux Russes et aux Tadjiks, pour empêcher que la plus grande puissance slave ne s'installe par gouvernements locaux interposés sur les rives de l'Océan Indien et n'opère une jonction avec l'Inde, ne réalise un axe Moscou-Dehli. Seul l'Iran, puissance impériale sur la masse continentale eurasiatique, à côté des impérialités euro-germanique, russe, chinoise, japonaise et ottomane (défunte), a une politique anti-américaine et anti-impérialiste cohérente. L'Islam chiite à la mode iranienne est donc un allié potentiel de l'Europe et de la Russie sur la scène internationale. Washington tente de nous le faire oublier, par une propagande remarquablement bien orchestrée, que gobent tous les politiciens à la petite semaine qui peuplent nos ministères des affaires étrangères.

 

Washington a admirablement joué sa carte musulmane. Tous ces coups ont été des coups de maître. S'il existait en Europe des diplomates et des services spéciaux aussi efficaces que ceux qui agissent à Washington, que feraient-ils?

- Ils dénonceraient le blocus anti-libyen, aideraient Khadafi (ou ses successeurs) à réaliser les plans germano-italiens de 1940-43 de fertilisation du désert de Tripolitaine et de Cyrénaïque afin d'avoir une réserve de céréales et d'agrumes aux portes de l'Europe.

- Ils tableraient sur des mouvements néo-nassériens en Egypte, afin d'obtenir le contrôle du Canal de Suez et de la Mer Rouge.

- Ils soutiendraient la politique néo-musulmane et néo-ottomane d'Erbakan en Turquie contre le laïcisme des militaires à la solde de l'Occident libéral. Ils forceraient Serbes et Croates à affronter de concert la menace turque dans les Balkans. Ils aideraient Roumains, Bulgares, Ukrainiens, Russes, Géorgiens et Arméniens à faire de la Mer Noire un lac exclusivement européen, de façon à organiser en synergie fleuves ukrainiens et bassin du Danube, afin d'avoir une voie fluviale non contrôlée par la VIième flotte US et d'y échanger les produits finis centre-européens et les matières premières (blé, pétrole) d'Ukraine et du Caucase. Ils se poseraient en protecteurs de la Syrie et de l'Irak contre la politique des barrages turcs qui assèchent la région en monopolisant dès la source les eaux du Tigre et de l'Euphrate. Ils imposeraient à Washington et à Ankara le tracé russe des oléoducs venant du Caucase, qu'ils coupleraient ensuite au complexe danubien. Ils vieilleraient à la bonne exécution de ces politique en intégrant Chypre à l'UE et en faisant de cette belle île une base aéronavale inexpugnable, où l'armée et la marine grecques auraient un rôle primordial à jouer. Ils réserveraient à Ankara un rôle de premier plan, un rôle impérial, au Proche-Orient, de Mossoul à Aden. La Turquie actuelle n'a de toute façon par de moyens propres suffisants pour faire une autre politique.

- Ils soutiendraient les partis russophiles en Afghanistan, de façon à contrôler, de concert avec l'Iran, toute la côte de l'Océan Indien, d'Aden aux frontières de l'Inde, prélude au grand axe Berlin-Vienne-Moscou-Téhéran-Dehli-Tokyo, résurrection de cinq des grandes impérialités eurasiennes, auxquelles se joindrait rapidement la Chine.

 

Dans le jeu subtil et intéressé de la diabolisation globale de l'“extrémisme islamique”, il s'agit surtout de garder la tête froide, de ne pas raisonner avec passion, mais avec froideur, en toute vraie logique politique. Car les zones incluses aujourd'hui dans la “civilisation musulmane” sont les zones-clefs de l'histoire: ceux qui les contrôlent sont maîtres du monde; ceux qui les ignorent sont condamnés à mariner misérablement dans le jus de leur égocentrisme stérile. Je me permets de rappeler aux isolationnistes étriqués qui veulent édifier des murs entre l'Europe et le monde musulman, que ces murs n'ont jamais existé (ni au temps antiques de l'élan des peuples indo-européens vers la Cappadoce, les hauts plateaux iraniens et l'Inde ni aux temps des croisades et de Marco Polo). Pour employer une métaphore agricole, dans l'esprit des jardins de Voltaire: les isolationnistes sont des consommateurs de fruits confits et de confitures, sans doute faute de mieux; les “dialoguistes inter-civilisationnels”, les héritiers de Frédéric II de Hohenstaufen, mordent dans les fruits frais gorgés de soleil, à pleines dents!

 

Revenons au concret et à l'actualité: dans le monde islamique, nous avons des alliés et des ennemis. Nos alliés sont les adversaires de Washington, parce que Washington veut torpiller toute véritable unification européenne. Nos ennemis sont tous les extrémistes qui agissent pour le compte des Etats-Unis. Tout le reste est littérature, boniments et propagande médiatique. Washington ne fait pas la fine bouche quand il s'agit de choisir ses hommes de main dans les montagnes afghanes, dans les Balkans, le Caucase ou le bled algérien. Pourquoi l'Europe resterait-elle paralysé devant les discours tenus par des ignorants (ou de faux ignorants dûment stipendiés) dans les gazettes bien-pensantes ou sur les ondes de télévisions commerciales? Un synergétiste averti en vaut deux.

 

Gilbert SINCYR.

 

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