lundi, 07 juin 2010
Hommage au Prof. B. Willms: entre Hobbes et Hegel
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991
Hommage au Professeur Bernard Willms
(7.7.1931 - 27.2.1991)
Entre Hobbes et Hegel
par le Dr. Thor von WALDSTEIN
A Bochum vient de mourir le Fichte de notre époque, le Professeur Bernard Willms.
«C'est parce que vous mentez sur ce qui est, qu'en vous ne naît pas la soif de connaître ce qui adviendra» (Friedrich NIETZSCHE).
Lorsqu'une Nation dominée par des puissances étrangères n'a pas encore définitivement renoncé à s'auto-déterminer, elle doit impérativement travailler à une chose en priorité: reconnaître son propre état des lieux. Dans l'Allemagne vaincue d'après 1945, c'est surtout un tel bilan, clair, net, précis, qui a manqué. Privés de souveraineté, privés de la possibilité de décider pour eux-mêmes, les Allemands ont honoré des valeurs, certes importantes, comme la «démocratie», les «droits de l'Homme», la «paix», la «stabilité». Valeurs qui, sans référence à la Nation et sans souveraineté, demeuraient de tristes coquilles linguistiques vides, exportées d'Outre-Atlantique et n'ayant plus qu'une seule fonction: jeter un voile pudique sur l'impuissance impolitique des Allemands. Mais, comme lors de la Guerre des Paysans du XVIième siècle, lors des combats pour la libération du territoire en 1813-1814, lors du Vormärz de 1848, à la fin de l'ère wilhelminienne et sous Weimar, l'Allemagne a eu des penseurs brillants et courageux; pendant l'éclipse de Bonn aussi: des hommes qui ont su désigner les profiteurs de notre misère nationale. Plus la démission de la politique allemande s'institutionalisait, plus la domination étrangère, donnée factuelle éminemment concrète, se dissimulait derrière le rideau de fumée des «valeurs occidentales», plus les régisseurs de la dogmatique politique ambiante, solidement installée, réagissaient avec fiel et aigreur contre les hommes courageux et civiques qui dégageaient la réalité de la cangue médiatique, où on l'avait enserrée, et montraient clairement aux Allemands dans quelle situation ils vivaient.
Parmi ces hommes: Bernard Willms.
En écrivant cette phrase, «L'homme existe politiquement ou n'existe pas», dans son remarquable article intitulé «Antaios oder die Lage der Philosophie ist die Lage der Nation» (= Antaios ou la situation de la philosophie est la situation de la Nation), Willms, en 1982, réveillait brusquement la philosophie universitaire fonctionnarisée de son sommeil théorique et réclamait un ancrage (Verortung) de la philosophie dans le concept de Nation. Willms relançait ainsi dans le débat une thématique que les détenteurs de chaires universitaires, en Allemagne de l'Ouest, avaient enfouie pendant quarante ans sous un tas de scories dogmatiques occidentales, prétextant que toute philosophie allemande après Auschwitz avait cessé d'exister. Au cours du renouveau national des années 80, Bernard Willms est devenue une figure-clef de la nouvelle renaissance allemande, un homme qui «éloigne de soi ce qui est vermoulu, lâche et tiède» (Stefan George) et mange le «pain dur de la vérité philosophique» (Willms).
Celui qui étudie la biographie de ce philosophe allemand constatera que son évolution, qui le conduira à devenir un nouveau Fichte dans un pays divisé, n'a pas été dictée par les nécessités.
Né en 1931 à Mönchengladbach dans un milieu catholique, Willms a étudié la philosophie à Cologne et à Münster, après avoir été pendant quelque temps libraire. Il rédige un mémoire à Münster en 1964, dont Joachim Ritter est le promoteur. Titre de ce travail: Die totale Freiheit. Fichtes politische Philosophie (= La liberté totale. Philosophie politique de Fichte). Pendant la seconde moitié des années 60, lorsque l'Ecole de Francfort transformait l'Université allemande en un second-mind-shop, Willms était l'assistant du célèbre sociologue conservateur Helmut Schelsky. A cette époque-là, Willms visite également, de temps en temps, les Séminaires d'Ebrach, où Ernst Forsthoff attire les esprits indépendants et les soutient. En 1970, Willms est appelé à l'Université de la Ruhr à Bochum, où il acquiert une chaire de professeur de sciences politiques avec comme thématiques centrales, la théorie politique et l'histoire des idées. Marqué profondément par Hegel —Willms s'est un jour décrit comme «hégélien jusqu'à la moëlle»— il avait abordé et approfondit, depuis son passage chez Schelsky, la philosophie de l'Anglais Thomas Hobbes. En 1970, Willms fait paraître Die Antwort des Leviathans. Thomas Hobbes' politische Theorie (= La réponse du Léviathan. La théorie politique de Thomas Hobbes). En 1980, il complète ses études sur Hobbes en publiant Der Weg des Leviathan. Die Hobbes-Forschung von 1968 bis 1978 (= La voie du Léviathan. Les recherches sur Hobbes de 1968 à 1978). En 1987, enfin, il résume ses vingt années de réflexions sur le vieux penseur de Malmesbury dans Das Reich des Leviathan (= Le Règne du Léviathan). Pendant ces deux dernières décennies, Willms est devenu l'un des meilleurs connaisseurs de la pensée de Hobbes; il était devenu membre du Conseil Honoraire de la International Hobbes Association à New York et ne cessait de prononcer sur Hobbes quantité de conférences dans les cercles académiques en Allemagne et ailleurs.
Tout en assurant ses positions, en devenant profond connaisseur d'une matière spéciale, Willms n'a jamais perdu le sens de la globalité des faits politiques: son souci majeur était de penser conjointement et la philosophie et la politique et de placer ce souci au centre de tous ses travaux. De nombreux livres en témoignent: Die politischen Ideen von Hobbes bis Ho Tschi Minh (= Les idées politiques de Hobbes à Ho Chi Minh, 1971); Entspannung und friedliche Koexistenz (= Détente et coexistence pacifique, 1974); Selbstbehauptung und Anerkennung (= Auto-affirmation et reconnaissance, 1977), Einführung in die Staatslehre (= Introduction à la doctrine de l'Etat, 1979) et Politische Koexistenz (= Coexistence politique, 1982).
Au cours des années 80, Bernard Willms fonde une école de pensée néo-idéaliste, en opérant un recours à la nation. Cette école désigne l'ennemi principal: le libéralisme qui discute et n'agit pas. En 1982, paraît son ouvrage principal, Die Deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft (= La nation allemande. Théorie. Situation. Avenir) ainsi qu'un autre petit ouvrage important, Identität und Widerstand (= Identité et résistance). Entre 1986 et 1988, Willms édite en trois volumes un Handbuch zur deutschen Nation (= Manuel pour la nation allemande), trois recueils contenant les textes scientifiques de base pour amorcer un renouveau national. En 1988, avec Paul Kleinewefers, il publie Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin. Diesseits von Ost und West (= Renouveau au départ du centre. Prague. Vienne. Berlin. De ce côté-ci de l'Est et de l'Ouest), ouvrage qui esquisse une nouvelle approche géopolitique du fait centre-européen (la Mitteleuropa), qui a prévu, en quelque sorte, les événements de 1989. Dans son dernier article, intitulé Postmoderne und Politik (= Postmodernité et politique, 1989), Willms relie ses références puisées chez Carl Schmitt et chez Arnold Gehlen à la critique française contemporaine de la modernité (Foucault, Lyotard, Derrida, Baudrillard, etc.). Sa démonstration suit la trajectoire suivante: la négation de la modernité doit se muer en principe cardinal des nations libres.
Si Bernard Willms a bien haï quelque chose dans sa vie, c'est le libéralisme, qu'il concevait comme l'idéologie qui fait disparaître le politique: «Le libéralisme par essence est hostile aux institutions; sur le plan politique, il n'a jamais existé qu'à l'état parasitaire. Il se déploie à l'intérieur même des ordres politiques que d'autres forces ont forgés. Le libéralisme est une attitude qui vit par la maximisation constante de ces exigences et qui ne veut de la liberté que ce qui est agréable». La phrase qu'a prononcée Willms avant la réunification à propos du libéralisme réel ouest-allemand n'a rien perdu de sa pertinence, après l'effondrement du mur. Jugeons-en: «La République Fédérale n'a des amis qu'à une condition: qu'elle reste ce qu'elle est».
Ceux qui, comme Willms, s'attaquent aux «penseurs débiles du libéralisme» et stigmatisent la «misère de notre classe politique», ne se font pas que des amis. Déjà au début des années 70, quelques énergumènes avaient accroché des banderoles sur les murs de l'Université de Bochum, avec ces mots: «Willms dehors!». Quand, pendant les années 80, les débats inter-universitaires ont tourné au vinaigre, d'autres drôles ont surnommé Willms «le Sanglant», démontrant, en commettant cette ahurissante et ridicule sottise, combien ils étaient libéraux, eux, les défenseurs du libéralisme, face à un homme qui, somme toute, ne faisait que sortir des sentiers battus de l'idéologie imposée par les médias et appelait les choses par leur nom. La remarque d'Arno Klönne, qui disait que Willms était le principal philosophe du néo-nationalisme, et le mot du Spiegel, qui le désignait comme «le fasciste le plus intelligent d'Allemagne», sont, face à l'ineptie de ses contradicteurs les plus hystériques, de véritables compliments et prouvent ex negativo que ses travaux de Post-Hegelien serviront de fil d'Ariane pour une nouvelle génération d'Allemands qui pourront enfin penser l'Allemagne dans des catégories philosophiques allemandes, sans rêver aux pompes et aux œuvres d'Adolf Hitler.
Bernard Willms était un philosophe qui prenait au sérieux le mot de Cicéron, vivere est cogitare, vivre, c'est penser. Avec sa mort, la nation perd la meilleure de ses têtes philosophiques des années d'avant le 9 novembre 1989, jour de la chute du Mur. Ernst Jünger nous a enseigné que la tâche de tout auteur est de fonder une patrie spirituelle. Chose rare, Bernard Willms est l'un de ceux qui ont réussi une telle œuvre d'art. Dans un interview, en 1985, il avait répondu: «On écrit des livres dans l'espoir qu'ils seront lus et compris par les hommes qui doivent les lire et les comprendre». Une jeune génération, formée par son école néo-idéaliste, a donc désormais la mission de témoigner de l'idéal national de Willms, d'utiliser ses livres et ses idées comme des armes pour construire, à Berlin et non plus à Bonn, une Allemagne nouvelle, au-delà des gesticulations stériles des bonzes qui la gouvernent aujourd'hui.
A Münster en Westphalie, ses disciples l'ont porté en terre sous les premiers rayons d'un pâle soleil de mars. Sur son cercueil, ils avaient fixé une plaque en cuivre, reproduisant la page de titre qui figurait sur la première édition du Léviathan, écrit par le Sage de Malmesbury. Bernard Willms avait l'habitude, au cours des années 80, de prononcer une phrase, imitée de Caton, à la suite de chacune de ses nombreuses conférences: ceterum censeo Germaniam esse restituendam (je crois que l'Allemagne doit être restituée). C'est le message et la mission qu'il nous laisse. Soyons-en digne.
Dr. Thor von WALDSTEIN,
14 mars 1991.
00:05 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, allemagne, sciences politiques, théorie politique, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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