mercredi, 24 septembre 2014
GEORGES VENDRYES - Disparition d'un géant
GEORGES VENDRYES
Disparition d'un géant
Philippe Berthier
Ex: http://metamag.fr
Ceci est passé inaperçu dans la presse officielle, pourtant un grand physicien nucléaire s'est éteint le 16 septembre, à l'âge 94 ans. Il s'agit de Georges Vendryes. Aucun journal en a parlé naturellement.
Georges Vendryes est considéré comme le père de Superphénix ; en fait il a développé durant sa carrière la filière du nucléaire renouvelable et l'a portée au plus au niveau. À la sortie de l'école Polytechnique et de sa spécialisation à l'école des Ponts et Chaussée, il commence par travailler dans la reconstruction du pays. Il découvre le nucléaire par hasard, lors d'une conférence de Pierre Auger, à Nice. Il change alors radicalement de voie pour débuter un travail de thèse dans un laboratoire qui dépend de Frédéric Joliot. En 1956 il participe au projet d'un petit réacteur à neutrons rapides en France, c'est lui qui en proposera le nom. Rapsodie verra le jour dans le centre de Cadarache, en 1962 après d'autres petits réacteurs nécessaires à son développement. Rapsodie parce que le cœur baigne dans le sodium liquide et pour exprimer que les neutrons ne sont pas ralentis comme dans les réacteurs à eau ou au graphite. Lors de sa mise en route en 1967 les plus grands personnages de l'Etat se déplacèrent.
La France part en retard. Grâce à Georges Vendryes et ses équipes, elle va doubler les concurrents anglais et américains. Le programme de 1967 à 1974 aboutit au couplage au réseau électrique du réacteur Phénix. Durant son fonctionnement jusqu'en 2008 , il aura recyclé quatre fois son combustible. Un tel réacteur possède de nombreux autres avantages par rapport aux réacteurs à eau sous pression : une sécurité totale, la possibilité de moduler instantannément la puissance, moins de rejets, moins de dose reçue, moins de besoin de refroidissement, la possibilité de fissionner les actinides mineurs. C'est donc un succès total, il repose sur des bons choix de développement concernant le combustible (oxyde), les gaines , la conception du réacteur elle-même (pool). Mais, même si sa production revient finalement moins chère que le rachat de l'électricité éolienne, ce n'est pas encore un réacteur industriel. Phénix produit 250 MW, alors que le programme nucléaire lance des REP de 900 MW
Le succès de Phénix, conduit à la construction de 1976 à 1986 d'un réacteur de taille commerciale (1200 MW) Superphénix . Un tel réacteur est donc le moyen de l'indépendance de notre continent pauvre en énergie. Mais dans l'Europe de Yalta, il rencontre de multiples oppositions. On se souvient de la manifestation pacifiste-libertaire de 1977 où, parmi de gentils vacanciers, se mêlèrent des éléments plus radicaux, prêts à en découdre. Un peu plus tard, en 1982, pourvu d'armes soviétiques par l'intermédiaire d'un groupe terroriste, le futur député écologiste Chaïm Nissim tire 5 roquettes soviétiques contre le réacteur. Parallèlement le mouvement écologiste avait décidé de prendre comme cible le nucléaire plutôt que l'automobile et les campagnes d'intoxication ne cessèrent plus. La plus stupide eut lieu lorsque les dirigeants de la CRIIRAD qui avaient un peu trop regardé Star Streck, affirmèrent que les traces de plutonium issu des essais atomiques autour du site provenaient du réacteur. Aujourd'hui encore, des militants antinucléaires n'arrivent pas à comprendre comment s'applique la sûreté dans ce type de réacteur. Comme finit par le déclarer un ancien responsable de Novatome, l'entreprise qui devait les commercialiser : « Fukushima n'aurait pas eu lieu sur Superphénix. La fusion de cœur peut certes arriver, mais seulement après une perte du sodium. Dans ce cas, le cœur en fusion serait récupéré à l'intérieur de la cuve ». Superphénix possède bien avant l'EPR un récupérateur de corium. Au-dessus de la cuve un dôme garantit le confinement en cas d'explosion de vapeur et naturellement on refroidit la cuve de l'extérieur.
Superphénix est en fait un prototype, mais chaque mise au point est le prétexte d'un arrêt administratif, surtout lorsque la gauche a besoin de son allié vert dans les élections. Pour une entrée d'air dans le circuit d'argon, Superphénix est arrêté 4 ans...Pendant ce temps là, la presse du système répète que le surgénérateur est un échec. Pourtant durant l'année 1996 Superphénix qui semble avoir surmonté tous les obstacles, affiche une disponibilité exceptionnelle bien supérieure à celle des REP.
Entre temps, la situation a changé, le contre choc pétrolier a ralentit les programmes nucléaires, la demande d'uranium ne croît plus, et pendant la construction de Superphénix on a découvert de gros gisements comme Olympic Dam. En 1997, quatrante années de développement vont être sacrifiées à un accord politique entre Dominique Strauss-Kahn et Dominique Voynet. Les âgents du CEA ont été réduits au silence, EDF s'est débarrassé d'une centrale qu'on l'interdisait d'exploiter. Il y a du gaz à gogo, les politiques pensent que ça durerait toujours.
Mais aujourd'hui, vingt ans après, nous sommes en crise pétrolière, nous pouvons aussi récupérer l'américium des combustibles usés, mais nous avons plus de réacteur à neutrons rapides pour les fissionner.
Le CEA est obligé donc de sortir par le haut, il met au point un cœur encore plus robuste, pour distinguer les futurs réacteurs à neutrons rapides de Superphénix. On aura peut être un réacteur de 600 MW en 2020 et un autre de 1500 MW en 2040. Les Russes construisent le BN 1200 pour 2020, c'est l'équivalent de Superphénix qui avait donc 34 ans d'avance. Les politiques et peut-être les journalistes qui ont compris trop tard qu'ils avaient détruit une filière stratégique, essaient de cacher les traces de leur méfait , comme des enfants qui ont cassé un vase. Les nouveaux réacteurs seront donc associés au terme de quatrième génération pour les distinguer de Superphénix.
Oublié en France, le travail de Georges Vendryes est célébré à l'étranger. En 2008, il faut la conjonction d'une prise d'ôtages pour remarquer que Georges Vendryes reçoit un prix en Indes. L'association nucléaire américaine qui a vu, elle aussi, l'arrêt de son petit surgénérateur EBR2 devant une campagne de presse équivalente, fait de Phénix un site historique du nucléaire. Le prix japonais exprime le mieux l'oeuvre de Georges Vendryes, il est accordé aux personnalités dont « les accomplissements originaux et exceptionnels en sciences ou en technologie sont reconnus comme ayant fait avancer les frontières de la connaissance et servi la cause de la paix et de la prospérité de l'humanité ».
Oublié en France, le travail de Georges Vendryes est célébré à l'étranger. En 2008, il faut la conjonction d'une prise d'ôtages pour remarquer que Georges Vendryes reçoit un prix en Indes. L'association nucléaire américaine qui a vu, elle aussi, l'arrêt de son petit surgénérateur EBR2 devant une campagne de presse équivalente, fait de Phénix un site historique du nucléaire. Le prix japonais exprime le mieux l'oeuvre de Georges Vendryes, il est accordé aux personnalités dont « les accomplissements originaux et exceptionnels en sciences ou en technologie sont reconnus comme ayant fait avancer les frontières de la connaissance et servi la cause de la paix et de la prospérité de l'humanité ».
00:05 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hommage, georges vendryes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
La presse, naturellement, a oublié G. Vendryes, mais pas seulement !
Pas un geste "officiel" de l'Administrateur Général du CEA, l'ineffable Bigot qui, lors de son discours, le jour de l'arrêt de Phénix en 2009 , n'a pas mentionné le père des RNR français !
Et que dire de l'interdiction d'accès au site de Cadarache à G. Vendryes et P. Schmitt (ancien directeur de Superphénix) venus parler des conditions de l'arrêt politique de cette Centrale.
Honte au CEA !
Pauvre France !
A. Lacroix, Directeur de Superphénix de 1990 à 1996
Écrit par : André LACROIX | dimanche, 30 novembre 2014
Les commentaires sont fermés.