mercredi, 20 mai 2015
Entretien avec la romancière anglaise Jill Dawson
Entretien avec la romancière anglaise Jill Dawson
Propos recueillis par Michel LhommeEx: http://metamag.fr
Jill Dawson est une romancière britannique qui a grandi à Durham, en Angleterre dans un milieu modeste et qui a commencé à publier ses poèmes dans des brochures et magazines. Puis elle s'est mise à écrire des romans régulièrement primés en Angleterre et qui apparaissent dans la liste du Goncourt anglais britannique (le British Academy Book Prize). En France, a été traduit aux Editions du Rocher, "L'enfant sauvage de l'Aveyron" sur le jeune garçon du Docteur Itard dont Truffaut avait tiré un film étudié dans toutes les classes de terminales, "L'enfant sauvage" et "Fred et Edie" (Editions Joëlle Losfeld) qui raconte l'histoire d'un long procès qui passionna l'Angleterre de 1922 celui d'Edith Thompson, une jeune Anglaise émancipée, mariée à un homme rustre et violent et de son amant de sept ans son cadet, Frederic Bywaters. Il assassina le mari et ils furent tous deux condamnés à la peine capitale. Comme toujours, Jill Dawson brode dans ce roman une fiction à partir d'éléments biographiques patiemment récoltés en choisissant à chaque fois de nous faire épouser un point de vue différent. Dans "The Great Lover", la vie du jeune poète anglais Rupert Brooke est décrite dans ses moindres détails et même ses turpitudes bisexuelles par la servante de la pension d'étudiant où il loge. A chaque fois, l'intérêt de l'œuvre de Jill Dawson tient à la description vivante de la société anglaise des années vingt ou des années 1900-1910 dans le cas de Brooke. C'est bien sûr le centenaire de la mort de Rupert Brooke qui nous a réunis très chaleureusement au buffet-bar d'un aéroport. Michel Lhomme.
Métamag : Jill Dawson, vous venez de publier en Angleterre votre huitième roman, The Tell-Tale Heart, chez votre éditeur attitré Sceptre, pouvez-vous nous en dire quelques mots?
Jill Dawson : The Tell-Tale Heart est l’histoire de trois hommes : Patrick, un universitaire de 50 ans à qui on transplante un cœur tout neuf ; le donneur, Drew, un adolescent des Fens amoureux de sa prof, et Willie Beamiss, l’un des émeutiers de Littleport au XIXe siècle, ancêtre de Drew. J’ai toujours voulu écrire l’histoire des émeutiers de Littleport, et j’avais le reste du roman dans la tête depuis longtemps. J’avais, il y a longtemps, vu un documentaire qui m’est resté à l’esprit, à propos de la mémoire cellulaire (l’idée que d’autres organes du corps autres que le cerveau puissent être porteurs de souvenirs et d’empreintes de la personnalité). Ce qui m’était resté en particulier, c’est la scène où le « transplanté » rencontre la mère de son donneur, laquelle lui demande d’écouter le battement du cœur de son fils dans sa poitrine. C’était une scène extraordinaire, très émouvante. Il est facile (en tant que mère) de comprendre cette demande lorsqu'on sait que le battement de son cœur est le premier signe du fait que vous portez un bébé en vous – c’est la prise de conscience de votre enfant, si vous voulez – et puis on met tellement l’accent sur le cœur durant la grossesse, le « travail » et la naissance.
Un des thèmes de ce livre est la folie mais aussi c'est particulièrement vrai pour ce roman, très physiologiquement, les histoires de cœur. N'est-ce pas aussi le thème de votre version de l'Enfant sauvage, traduit en français mais aussi de votre biographie romancée de Rupert Brooke, The Great Lover (traduction inédite) du grand poète de guerre britannique ?
Il est difficile pour un auteur de résumer ses thèmes mais il me semble que l’un de ceux qui reviennent dans mon travail est celui-ci : qu’est ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes ? Les gènes, la culture, l’histoire, tout cela nous affecte alors : nature ou culture ?... Lucky Bunny, The Tell-Tale Heart et Wild Boy (L'enfant sauvage de l'Aveyron) traitent plus spécifiquement de ce thème. Et aussi : qu’est-ce que cela signifie d’être pleinement vivant, pleinement humain, de tout risquer – c’est aussi un des thèmes profond de The Great Lover.
On commémore aujourd'hui un peu partout en Europe le centenaire de la guerre de 14-18. Les poètes anglais du front et des tranchées y sont en Angleterre tout particulièrement à l'honneur alors qu'en France, on trouve plutôt sur les présentoirs des libraires des témoignages ou des lettres de poilus. Quelle place occupe selon vous, Rupert Brooke aujourd'hui dans la poésie anglaise ?
Parce qu'il est mort très tôt dans la guerre, en 1915. Sa réputation a été celle d’un patriote romantique et il ne possède pas la stature des poètes « anti-guerre » comme Owen et Sassoon. Pourtant, ses lettres et sa prose montrent un Brooke bien différent – bien plus complexe, drôle, acerbe et interrogateur que ne le suggère sa réputation de jeune poète romantique…
Contrairement au personnage de votre dernier roman, Rupert Brooke n'eut pas de seconde vie, mais vous en avez donné une à Lucky Bunny, par exemple, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce concept d’une seconde chance dont on pourrait bénéficier dans la vie, je l’ai exploré en effet dans Lucky Bunny et aussi dans L'enfant sauvage. Queenie Dove naît dans une grande pauvreté, dans l’East End (les quartiers “prolétaires” de Londres) et elle grandit dans un monde de criminels. Il semble que sa vie sera assez comparable à celle de ses parents, mais elle utilise des moyens malicieux et peu orthodoxes pour en changer. Je n’ai jamais été une grande admiratrice des gens (ni des enfants) obéissants et Queenie met un point d’honneur à désobéir et à briser les règles. J’ai adoré Moll Flanders de Daniel Defoe, et Lucky Bunny est en dialogue avec ce roman-là.
Fred et Edie a été votre premier roman traduit en français, vous semblez à coup sûr aimer les histoires d'amour compliquées ou criminelles, seriez-vous alors comme Brooke, l'une de nos dernières romantiques anglaises ou une romancière néo-païenne ?
Je ne suis pas sûre. Il est vrai que je considère l’imagination comme la clé de tout, la clé de notre humanité et que, bien qu’on en fasse l’éloge chez les enfants, elle n’est pas souvent glorifiée en tant que talent – une vie riche de fantasmes et de fantaisie est souvent considérée comme marquée du signe de l’illusion ou de la folie plutôt que comme une réussite !
On relève dans vos œuvres le thème permanent du déclassement avec pour toile de fond le socialisme anglais. Dans The Great Lover, c'est le personnage de la bonne mais aussi l'engagement fabien de Rupert, dans Fred et Edie, c'est la lutte contre la peine de mort ou dans ce scénario inédit que vous avez écrit et que nous avons lu, sur le trio amoureux de l'artiste et écrivain William Morris et Dante Gabriel Rossetti avec Jane Burden, la lutte contre tous les préjugés moraux. Alors qu'en est-il du socialisme anglais ? Se trouve-t-il aujourd'hui autant en déshérence que le socialisme français ? Qu'est-ce qu'être ouvrier anglais en 2015 à la veille des élections générales anglaises du mois de mai et après le « There is no alternative » de Margaret Thatcher ?
Oui, j’ai le sentiment qu’il y a pléthore de romans à propos des classes moyennes ou des classes dirigeantes ! Leurs personnages vivent habituellement dans de belles maisons, ils sont invités à des dîners et ont des aventures amoureuses dans les quartiers arborés du nord de Londres ; ils travaillent comme architectes, universitaires ou dans l’édition… Je laisse à d’autres d’écrire ces romans-là : il y en a suffisamment qui donnent le point de vue des Londoniens. J’aime donner une voix à ceux dont on n’entend pas si souvent parler – la vie de Drew, le garçon de The Tell Tale Heart, qui fréquente une école publique, dans la campagne autour de Cambridge, dont le père est ouvrier agricole, et qui rêve d’avoir une meilleure éducation que son père au XXIe siècle. Voilà le genre de personne à qui je veux donner une voix.
Pardonnez-moi, je vous vois écrire en ce moment, serais-je alors indiscret de vous demander le thème de votre prochain roman ?
Le titre en est The Crime Writer (l’Auteur de romans policiers). Cela se passe dans le Suffolk des années 1960, et comme je viens juste de le commencer, il vaut sans doute mieux que je n’en dise pas plus pour l’instant !
Jill Dawson en français :
Fred et Edie, Editions Joëlle Losfeld, Paris 2001, 20,80 euros.
L'enfant sauvage de l'Aveyron, Editions du Rocher, Collection ''Anatolia'', Paris 2005, 20,30 euros.
00:05 Publié dans Entretiens, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jill dawson, entretien, littérature, lettres, lettres anglaises, littérature anglaise, rupert brooke | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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