Le monde ne fonctionne pas et ça fait baver de plaisir les journalistes. Ils se voient déjà dénoncer les défauts de ce fonctionnement et s’ils bavent, c’est parce que cette dénonciation n’a pas de terme. Ils vont avoir du travail pour les siècles des siècles. Il fallait voir la journaliste Arianne Dayer à l’émission de la RTS Infrarouge mercredi soir. Il est vrai qu’elle ne bavait pas. Elle est une jolie femme et devait savoir que baver est inconvenant. Mais ses yeux brillaient d’excitation lorsqu’elle parlait des Panama Papers qui révèlent de tels dysfonctionnements dans le système financier international qu’ils blanchissent des monstres vendant des petites filles comme esclaves sexuelles. Arianne Dayer ne fait pas dans la dentelle. C’est aussi pour ça qu’elle ne bave pas.
Comme chacun sait, il n’y a pas que le système financier international qui ne fonctionne pas. Il y a aussi l’Église pleine de pédophiles, l’éducation nationale pleine elle aussi de pédophiles, la FIFA pleine de margoulins, sans compter les ripoux, les arnaqueurs au quotidien, et puis, ne l’oublions pas, les abominables braconniers africains qui tuent et mutilent des éléphants. Bref les méchants sont partout. La tâche est immense et pour lutter contre les méchants, il faudra des moyens, immenses eux aussi. Ainsi se mettent en place des plateformes de dénonciation des actes de corruption comme en Suisse (et en ligne s’il vous plaît), une nouvelle législation destinée à protéger les lanceurs d’alerte, des séminaires de recherche avec d’assidus chercheurs (comme il se doit), des séminaires interdisciplinaires avec experts évidemment renommés et internationaux. Un coup d’œil sur les conférences du Global Studies Institute à Genève en dit long sur les efforts accomplis dans le monde académique pour rejoindre les journalistes qui auront ainsi de puissants alliés. Un immense contrôle de tout et de tous risque de se mettre en place sur la planète entière. Le député libéral Christian Lüscher l’a bien relevé lors de l’émission Infrarouge dont je parlais plus haut. Avec ironie, il a lancé à Carlo Sommaruga, croisé de la pureté, qu’il se réjouissait de le voir en gendarme du monde.
Certains estiment que la croisade mondiale pour la pureté ou la transparence est menée par les Américains. Si au moins ! Car alors on pourrait couper la tête du monstre ! Or ce monstre est cette hydre de Lerne qu’Hercule voulait tuer. Mais à chaque fois qu’il coupait une tête, une autre repoussait.
Cette dynamique de la dénonciation a sa source dans une religion, celle du bien, la pire de toutes. On dénonce volontiers le prosélytisme des chrétiens, mais que dire de cette religion du bien ? Son développement est tentaculaire et global. Elle fait efficacement concurrence à l’Église catholique. Les nouveaux croisés de la pureté, dignes héritiers des gnostiques d’autrefois, dénoncent tout ce qui va mal dans le monde. Il s’agit, pour eux, de procéder à de multiples épurations. Mais elles pourraient bien, un jour, ces épurations, paraître relativement bénignes en regard d’une purification mondialisée au nom de la transparence. En ce domaine, nous avons d’ailleurs un maître, Robespierre, l’incorruptible, ancêtre des épurateurs. Il n’y allait pas par quatre chemins. Au moindre soupçon, hop, la guillotine !
Nous n’en sommes pas encore là, c’est vrai, mais ne nous réjouissons pas trop vite. Le vingtième siècle a abondé en purifications et épurations. Qui les a vues venir ? Celui qui, à la belle époque, aurait parlé de la Shoah et du Goulag aurait été envoyé en asile psychiatrique. Aujourd’hui, tout est prêt, dans le langage employé, pour exterminer les méchants comme de la vermine. Il ne s’agit pas, en effet, de s’adresser à eux comme à des êtres humains, mais de les éliminer par des mesures appropriées.
On prend presque les journalistes en pitié tant ils auront du pain sur la planche. Parce qu’après la dénonciation du mal, il faudra mettre en place des contrôleurs qui repéreront les méchants comme nos radars repèrent les mauvais conducteurs. Et ces contrôleurs, il faudra les contrôler. Eux aussi vont faillir et il faudra les poursuivre médiatiquement et pénalement. Les budgets vont enfler et les contribuables vont devoir sortir leur portemonnaie. A chasser le mal (Satan comme on disait autrefois), on se lance dans une poursuite qui ne s’achève jamais. Les journalistes se sont engagés dans une chasse qui va les faire s’enfoncer dans une jungle si épaisse que nous les perdrons de vue. Qui les pleurera ?
Jan Marejko, 15 avril 2016
Les commentaires sont fermés.