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vendredi, 02 juin 2017

Le legs de Zbig : à l’origine...

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Le legs de Zbig : à l’origine...

Ex: http://www.dedefensa.org

Comme l’écrit Neil Clark ce 29 mai 2017 sur RT, on pourrait dire que le legs de Zbigniew Brzezinski, qui vient de mourir à 89 ans, est notre “monde en flammes” (« World in flames - the deadly legacy of Cold War warrior Brzezinski »). C’est lui, Brzezinski, qui recommanda et orchestra le lancement de l’opération qui allait conduire à l’implication de l’URSS en Afghanistan, au développement de la résistance afghane de laquelle découlèrent les innombrables branches du terrorisme islamiste, à commencer par Ben Laden. Dès l’origine, la CIA fut l’instrument opérationnel de cette énorme entreprise, à laquelle l’Arabie Saoudite notamment fut largement partie prenante (financièrement) dès le départ.

Clark écrit, et c’est le “before” qui compte puisque la version officielle fut longtemps que les USA avaient répliqué en formant les moudjahidines (“combattants de la liberté”) comme on les appelait alors, après l’intervention soviétique de décembre 1979 : « In fact, US financial assistance for anti-government forces had begun BEFORE the invasion- and was expressly designed to provoke a Soviet military response. In 1998 Brzezinski admitted that he had got President Carter to sign the first order for secret aid to ‘rebels’ in July 1979 a full five months before the Soviets intervened. “I wrote a note to the president in which I explained to him that in my opinion, this aid was going to induce a Soviet military intervention,” Brzezinski said. Even before that, US officials had been meeting with ‘rebel’ leaders. While in 1977 Zbig had set up the Nationalities Working Group - whose goal was to weaken the Soviet Union by stirring up ethnic and religious tensions. »

La révélation de cette action préventive (juillet 1979), qui donne toute la responsabilité de l’origine des événements de déstabilisation massive qui viennent jusqu’à nous se fit dans une interview du Nouvel Observateur ; interview très courte mais très révélatrice, qui résume en quelque phrase, non seulement la pensée de Brzezinski (avec la multiplication par ce qu’on peut nommer la “haine antirusse” de son origine polonaise) mais aussi la stratégie opérationnelle de l’establishment US depuis des décennies. Cette stratégie à tendance globalisante existait déjà de manière offensive durant la Deuxième Guerre mondiale, avec l’activisme des divers services officiels US auprès des indigènes et des diverses organisations soit nationalistes, soit panarabes avec de fortes consonances religieuses dans les pays à population arabe sous colonisation européenne, y compris par exemple dans les pays du Maghreb alors français à partir du débarquement de novembre 1942. Cette même attitude prévalut dans les pays asiatiques dans la même situation, notamment dans l’Indochine française. (Ho Chi-minh reçut l’aide de l’OSS pour former son organisation et il fondait à l’origine ses ambitions sur le schéma de la Constitution des États-Unis.) Dans cette attitude US, on retrouve un mélange d’un puissant affairisme avec l’annexion au profit des USA des marchés extérieurs, d’un anticolonialisme remontant au temps de la Guerre d’Indépendance, et enfin de l’idéalisme de type-wilsonien selon lequel la diffusion de la formule américaniste de la démocratie et de la modernité constitue la voie évidente vers une globalisation et une uniformisation vertueuses du monde, – selon le “modèle” américaniste naturellement. Ainsi l’anticolonialisme si souvent acclamé par la pensée moderniste trouve-t-il là une parentèle inattendue sinon quelque peu gênante. (Nous avons déjà rappelé combien Arnold Toynbee a bien montré comment il importait de faire toute la lumière sur ce mouvement à partir des conceptions du suprémacisme de l’anglosaxonisme, de l’“anglosphère”, puis de l’américanisme gobant le tout au bout du compte.)

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Voici donc la courte interview de Zbigniew Brzezinski parue dans Le Nouvel Observateur numéro 1732 du 15 janvier 1998, lorsque on s’intéressait encore fort peu à l’implication des révélations qu’il y fait. (Le propos est recueilli par Vincent Jauvert, les mémoires de Robert Gates servant de référence sont intitulés : From the Shadows, chez Simon and Schuster. Nous avions déjà publié cette interview le 15 juillet 2005.)

Le Nouvel Observateur : « L'ancien directeur de la CIA Robert Gates l'affirme dans ses Mémoires : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidine afghans six mois avant l'intervention soviétique. A l'époque, vous étiez le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité ; vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire. Vous confirmez? »

Zbigniew Brzezinski : « Oui. Selon la version officielle de l'histoire, l'aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c'est-à-dire après que l'armée soviétique eut envahi l'Afghanistan, le 24 décembre 1979. Mais la réalité, gardée secrète jusqu'à présent, est tout autre : c'est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l'assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là, j'ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu'à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. »

Le Nouvel Observateur : « Malgré ce risque, vous étiez partisan de cette “covert action” [opération clandestine]. Mais peut-être même souhaitiez-vous cette entrée en guerre des Soviétiques et cherchiez-vous à la provoquer ? »

Zbigniew Brzezinski : « Ce n'est pas tout à fait cela. Nous n'avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu'ils le fassent.

Le Nouvel Observateur : « Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu'ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant, il y avait un fond de vérité... Vous ne regrettez rien aujourd'hui ? »

Zbigniew Brzezinski : « Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j'ai écrit au président Carter, en substance : “Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam.” De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l'éclatement de l'empire soviétique. »

Le Nouvel Observateur : « Vous ne regrettez pas non plus d'avoir favorisé l'intégrisme islamiste, d'avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ? »

Zbigniew Brzezinski : « Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

Le Nouvel Observateur : « “Quelques excités”? Mais on le dit et on le répète: le fondamentalisme islamique représente aujourd'hui une menace mondiale. »

Zbigniew Brzezinski : « Sottises ! Il faudrait, dit-on, que l'Occident ait une politique globale à l'égard de l'islamisme. C'est stupide: il n'y a pas d'islamisme global. Regardons l'islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. C'est la première religion du monde avec 1,5 milliard de fidèles. Mais qu'y a-t-il de commun entre l'Arabie Saoudite fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l'Egypte pro-occidentale ou l'Asie centrale sécularisée? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté... »

Après l’attaque du 11 septembre 2001 et avec l’attaque américaine contre l’Afghanistan puis contre l'Irak qui suivirent, certains avaient ressorti cette courte interview de Zbigniew Brzezinski au Nouvel Observateur, pensant qu’elle servirait à tempérer toutes les affirmations officielles sur le terrorisme dans sa quasi-fatalité islamiste, sur “le choc des civilisations”, sur le Mal et sur le diable. Il n’en fut rien et la version officielle aussitôt proclamée par l’administration GW Bush fut bien qu’il y avait un terrorisme islamiste né d’une origine lointaine, lié à la religion, ami du Diable et représentant le Mal contre le Bien qui tenait et tient toujours congrès permanent à Washington D.C.

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Bien entendu, les manœuvres sans nombre des divers services de l’IC (Intelligence Community), CIA en tête, et des divers services des forces armées, pour créer et instrumenter différents groupes extrémistes en les équipant d’armes et en les couvrant d’ors saoudiens, constituèrent un élément fondamental qui intervint dans un phénomène où l’existence précédait l’essence pour satisfaire les conceptions sartriennes, les Américano-Saoudiens se chargeant de définir de quelle essence il s’agissait ; vue la nature de leurs liens, aux américanistes et aux Saoudiens, ce n’était pas difficile. En d’autres mots, l’islamo-terroriste qui n’existait pas comme phénomène majeur ni même annexe en 1980, était devenu le phénomène universel qu’on connaît après 9/11, et bien plus encore après le surge de Petraeus en Irak en 2007-2007, négociant à coup de conteneur de dollars le ralliement des sunnites d’Irak et mettant ainsi en place les structures du futur Daesh et de toute la galaxie qu’on retrouve en Syrie.

Brzezinski et son mépris pour les craintes d’un mouvement terroristes islamiste avait sûrement raison d’un point de vue stratégique en 1980 ; il avait sans doute encore un peu raison en 1999 malgré qu’il ait été démontré par la mise à jour d’archives diverses que l’URSS n’avait nullement été le danger d’agression permanente que Brzezinski eut continuellement à l’esprit pour minorer tous les autres dangers. (Le véritable danger de la Guerre froide était de type “objectif” et catastrophique pour tous les acteurs, dans le chef de la possibilité de l’usage de l’arme nucléaire.) Comme en 1980, le terrorisme islamiste n’était pas encore, en 1999, un danger majeur, sauf peut-être en Russie avec la Tchétchénie, ce qui n’était d’ailleurs pas pour déplaire à Zbig. Il l’est devenu avec 9/11, communication oblige, et opérationnellement notamment grâce aux canaux et aux complicités sans nombre, aux corruptions innombrables, aux manipulations vertigineusement nombreuses et aussi sans queues ni têtes, déjà en place avec l’activisme forcené et incontrôlé de la CIA que Brzezinski avait immédiatement mis sur le coup en 1979.

Brzezinski avait été le conseiller pour la sécurité nationale du président Jimmy Carter, de 1977 à 1981. A ce poste, il fut effectivement le principal animateur, contre l’avis du secrétaire d’État Vance, du prologue et du lancement de l’aide américaine aux moudjahidines luttant contre les communistes en Afghanistan (effectivement: “contre les communistes” en général ; d’abord contre le régime communiste de Babrak Karmal puis, à partir de décembre 1979, contre les Soviétiques de l’Armée Rouge également). Cette politique a donc été souvent et justement décrite comme l’événement créant le Osama Ben Laden présenté depuis comme le cerveau d’une offensive mondiale de terrorisme, avant de passer le relais aux vedettes actuelles. Elle prit, avec Reagan et son directeur de la CIA Bill Casey, relais de Wall Street et maître des coups fourrés impliquant diverses branches du crime organisé, des proportions importantes, accentuant l’effet initial voulu par Brzezinski et l’administration Carter (l’accentuation de la lutte contre les Soviétiques passant par le renforcement des structures de l’extrémisme islamiste).

C’est effectivement de là que datent le développement et la mise en place, et l’équipement militaire initial également, de la nébuleuse islamiste qu’il est de bon ton de considérer aujourd’hui, dans les milieux de la pensée conformiste globalisée, comme la première menace contre la civilisation. La véritable responsabilité est donc bien celle du Système, avec l’organisation colossale venue des divers services d’agitation et de subversion des moyens opérationnels de l’américanisme (IC et le reste), et sans aucun doute l’opération globale de déstabilisation la plus ambitieuse jamais lancée par les USA. (En 1980, Brzezinski parlait de “l’arc de crise” du monde allant de l’Inde à la Somalie et le président Carter créait le Central Command qui constitue aujourd’hui le commandement militaro-politique le plus puissant des forces bellicistes et expansionnistes US. (Carter, qui a évoulé dans le meilleur sens du monde, devenu parfaitement antiSystème, n'a jamais dit précisément ce qu'il pensait de cette évolution-là à laquelle il avait présidé, comme parfait jouet du Système.)

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Certes, personne de sérieux, en 1998, à Washington, n’aurait contredit Brzezinski sur le fond, malgré l’insistance de l’intervieweur. Aujourd’hui, rappeler ces déclarations de Brzezinski pourrait représenter un cas d’une condamnation sans appel, avec effet rétroactif s’il le faut. Restent la réalité, les faits, les manigances, les intentions, — bref, ce qui fait ici la cause première de l’enchaînement menant aux événements du 11 septembre 2001 et après. Il est bon de se rappeler jusqu’à quel point, et à quelle profondeur, avec quel zèle, quelle absence de défiance et de scrupule, quelle courte vue et quel cynisme, quel idéalisme niais et si fortement lié aux gains du capitalisme, les États-Unis ont semé les graines dont ils récoltent aujourd’hui les fruits amers (d’ailleurs pas amers pour tout le monde, y compris à Washington D.C.). Si ce n’est de la prédestination, cela y ressemble, jusques et y compris dans l’entraînement vers un destin catastrophique pour les USA que suppose cette vaste opération ; après tout, c’est elle qui n’a cessé d’exercer une influence déstabilisatrice, directement et indirectement, aux USA même, à Washington D.C., en développant une corruption effrénée, en installant une communication tout à fait faussaire et en créant des événements relevant du simulacre pur et simple, en donnant à des organisations diverses dont la CIA est l’archétype des pouvoirs énormes et incontrôlables ; bref, en donnant les moyens opérationnels de faire entrer la postmodernité comme simulacre de réalité à la place de la vérité du monde.

 

 

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