Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre. Il n’y a pas non plus de grand penseur pour sa fille aînée. Avec Fille de révolutionnaires, la journaliste macronienne Laurence Debray a ravi tous les détracteurs de son père, Régis Debray. La photographie du bandeau de la couverture attire déjà l’attention. On la voit presque au garde-à-vous devant une porte tenant un fusil. À l’âge de dix ans, elle séjourne en juillet dans un camp des Jeunesses communistes à Cuba où elle apprend entre autres à manipuler des armes. Un mois plus tard, elle participe à un camp de jeunes aux États-Unis. En accord avec sa mère d’origine vénézuélienne, Elizabeth Burgos, son père veut qu’elle prenne enfin partie. À Cuba, la jeune fille découvre que chaque matin commence par la cérémonie des couleurs cubaines et des autres nationalités présentes. Elle observe que « si le communisme prêche l’égalité, un bon communiste est meilleur que les autres et doit sans cesse le prouver (p. 246) ». Entre le modèle castriste et l’exemple yankee, elle choisit finalement « la vieille Europe, assez modérée et confortable : on y mange bien, lit bien, dort bien (p. 253) ».
Adulte, après une scolarité franco-espagnole ponctuée de nombreuses fugues, Laurence Debray travaille deux années dans une banque à New York avant de se reconvertir dans le journalisme et d’écrire une biographie sur son héros qui a dû dernièrement bien la décevoir, le félon royal Juan-Carlos. Épouse d’Émile Servan-Schreiber, fils de Jean-Jacques, elle côtoie depuis l’enfance tout le petit monde germano-pratin de la gauche bien-pensante. Elle a discuté avec Danièle Mitterrand et Lucie Aubrac. Elle a aussi bénéficié de cours particuliers de la part du couple Blandine Kriegel – Alexandre Adler. Certains traumatismes ne guérissent jamais. L’auteur ne cache pourtant pas son admiration pour sa grand-mère paternelle, Janine Alexandre – Debray, conseillère de Paris et éphémère sénatrice gaulliste de la capitale. Elle signale que sa famille est apparentée aux Ritzen. Elle aurait pû rappeler que l’oncle de son père était Pierre Debray-Ritzen, ce médecin proche de la Nouvelle Droite hostile à la psychanalyse.
Elle dépeint des parents entièrement préoccupés par la politique au point qu’ils ne s’en occupent guère. Ses jeunes années sont surtout marquées par l’incessante traque parentale de Klaus Barbie dont le procès télévisé va marquer le début de l’ère de l’hypermnésie victimaire. Elle insiste en outre longuement sur les années de son père passées à La Havane aux côtés de Fidel Castro et du Che ainsi que sur sa période de guérillero en Bolivie et sur les conditions éprouvantes de détention. Ambassadeur de France à La Paz, l’ancienne barbouze en chef anti-OAS, Dominique Ponchardier, aidera beaucoup le détenu et ses parents.
Au cours de sa détention, Régis Debray écrit une lettre restée confidentielle au Général de Gaulle. Sa fille relève que « certains déclarent aujourd’hui que le gaullisme paternel lui est venu sur le tard, après son désenchantement mitterrandien. Ils ne savaient pas que mon père avait collé sur un mur de sa cellule la couverture d’un Paris Match montrant le général en uniforme (p. 120) ». Ainsi À demain de Gaulle (1990) révèle-t-il une inclination plus ancienne, déjà perceptible dans La puissance et les rêves (1984) et Les Empires contre l’Europe (1985).
Laurence Debray pose un regard désabusé sur son adolescence. Du manque d’implication de ses parents dans son éducation et des oppositions vives qui en découlent, elle reconnaît volontiers : « Je compris plus tard que j’habitais plus une langue qu’un pays. Je n’ai plaisir qu’à lire et écrire en français; l’espagnol et l’anglais resteront des langues utilitaires et fonctionnelles. J’ai une patrie littéraire qui me tient bien de patrie tangible. Elle est très pratique, on peut l’emmener partout avec soi (p. 244). » Quand le nomadisme adopte un Ersatz d’enracinement…
Fille de révolutionnaires traduit bien l’introspection d’une pauvre petite fille des beaux quartiers de Paris, aujourd’hui mère de famille, nostalgique d’une confrontation toujours reportée avec l’autorité parentale. Les effets sociétaux de Mai 68 nuisent à tous, y compris et surtout à la progéniture des révolutionnaires de gauche.
Georges Feltin-Tracol
• Laurence Debray, Fille de révolutionnaires, Stock, 2017, 312 p., 20 €.
Le livre est désormais disponible en version "poche":
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