Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 05 août 2021

Debord prophète: notre monde de choses

838_054_zep2133.jpg

Debord prophète: notre monde de choses

par Joakim Andersen

Ex: https://motpol.nu/oskorei/2021/07/29/en-varld-av-ting/

Guy Debord a décrit dans La société du spectacle comment une telle société du spectacle a émergé, une société dans laquelle "le monde tangible est remplacé par une sélection d'images qui existent au-dessus de lui, et qui s'imposent simultanément comme le tangible par excellence". La société moderne est remplie de marchandises, d'images et de rôles, à tel point que ces marchandises, images et rôles apparaissent comme la réalité et que la propre vie de chacun est désormais posée comme irréelle. Debord s'est toujours exprimé de manière catégorique, souvent avec justesse. Il note notamment que "le spectacle est une guerre permanente de l'opium qui vise à faire identifier les biens aux marchandises et la satisfaction à la survie qui augmente selon ses propres lois." Il était marxiste, mais nombre de ses descriptions de la société du spectacle vont au-delà de la droite et de la gauche, certaines étant même plus proches de la droite que de la gauche. C'est notamment le cas de la distinction qu'il fait, à la manière de René Guénon, entre qualité et quantité.

510YfHlKhgL.jpg

Debord écrit ici que "la perte de qualité est si évidente à tous les niveaux du langage spectaculaire, depuis les objets qu'il vante jusqu'aux comportements qu'il régule, et ne fait que traduire les traits fondamentaux de la production réelle qui balaie la réalité: la forme-marchandise est de part en part égale à elle-même, la catégorie du quantitatif."

Comme Klages, il a fait la distinction entre vivre et survivre, bien que la terminologie de Klages soit partiellement différente. Comme Klages, il s'est également intéressé au phénomène de l'idéologie matérialisée, un choix de mots qui nous rappelle que derrière chaque publicité IKEA et chaque bâtiment laid se cache une idéologie. Pour citer le comte Stenbock, "un lampadaire laid est un lampadaire maléfique".

Il est également intéressant de noter que Debord se concentre sur la bureaucratie étatique du monde moderne, un point de vue plus solide que celui de la plupart des marxistes, et qu'il utilise le concept marxien de "despotisme oriental" pour caractériser les tendances de la société moderne. Là où Michael Jones parle du "massacre des villes", Debord a plutôt soutenu la même approche sur la façon dont les conditions du despotisme oriental sont recréées artificiellement dans la métropole moderne (au paragraphe 177 de La société du spectacle, un livre dont la lecture devrait être obligatoire dans notre mouvance). Une population fragmentée et anhistorique est créée par l'urbanisme et le spectacle, Debord parle de "paysannerie artificielle" et comment les "villes nouvelles" de la pseudo-paysannerie technologique inscrivent clairement dans le paysage leur rupture avec le temps historique sur lequel elles ont été construites".

ob_231d4c_debord.jpg

Quelle que soit l'opinion que l'on a des paysans historiques, c'est un aperçu fructueux; la bureaucratie et la société de consommation façonnent ensemble une population de sujets apathiques, anhistoriques et atomisés. Dans le même ordre d'idées, Debord a critiqué Marx pour sa vision linéaire de l'histoire et sa sous-estimation de l'importance économique de l'État moderne. Debord écrit au paragraphe 87 que "la simplification a conduit Marx à négliger le rôle économique de l'État dans la gestion d'une société de classe". Dans l'ensemble, des idées pertinentes, que l'on veuille lire Marx à partir de la droite, Rothbard à partir de la gauche, ou que l'on ait d'autres intentions suspectes.

L'essai fait constamment allusion à des éléments de l'idéologie dominante, qu'il s'agisse de l'africanisation des animaux dans les programmes pour enfants ou du remplacement de la "toute-puissance soudaine" par "la pratique ardue rend parfait" dans plusieurs films. Il est intéressant de noter qu'étant donné que Debord décrit le jeu comme un processus de préservation, dans lequel les marchandises sont parfois décrites presque comme des personnalités, "les choses règnent et sont jeunes; les choses s'affrontent et se remplacent", les marchandises ont tendance à devenir des personnages dans plusieurs programmes pour enfants. On est tenté de citer le Dr Ssempa, "c'est la marchandisation à un autre niveau", mais on cite plutôt Debord, "le spectacle ne chante pas les louanges des hommes et de leurs armes, mais des marchandises et de leurs passions".

71Ag72XIICL._AC_SL1160_.jpg

91+ofe3ZHML.jpg

depositphotos_59293405-stock-illustration-crazy-cup-cake-cartoon.jpg

Pris isolément, les personnages principaux et secondaires de séries comme Shopkins et Regular show sont inoffensifs et parfois divertissants, et ces séries ne sont pas pires que d'autres dans leur genre. Mais en tant que phénomène historique, il convient de noter que la frontière entre l'imaginaire et le spectaculaire, pour combiner les perspectives de Castoriadis et Debord, s'est effondrée au point qu'un nombre croissant de biens de consommation vivants participent aux dessins animés. Ici, nous pouvons simultanément identifier comment les frontières entre les époques historiques et entre les genres se sont effondrées dans un éternel maintenant, semblable à un collage (comme, d'ailleurs, les frontières biologiques ont cessé dans la fraternité entre le cupcake vivant et le dinosaure). S'il est possible de séparer l'œuf de la poule dans la "totalité répressive" dont parlait Marcuse, il existe un lien évident entre cette tendance du spectacle et plusieurs tendances idéologiques contemporaines (voir le "remplacisme" de Renaud Camus). Nos arrière-grands-parents et nos grands-parents racontaient des histoires de souris grimpantes et d'ours, de gnomes et de lutins, parce que c'était leur réalité vécue. La réalité vécue par leurs petits-enfants est très proche de la pièce de théâtre, et c'est de là que viennent leurs personnages de contes de fées. De même, la forêt a été remplacée d'abord par la petite ville, puis par la grande ville ou même le quartier hipster comme toile de fond de leurs escapades.

storytelling.jpg

 

18:18 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guy debord, philosophie, société du spectacle | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.