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vendredi, 28 juin 2024

Qui est l'agresseur? Selon Carl Schmitt ou selon Hans Kelsen? - L'impact du conflit ukrainien sur la relation franco-allemande

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Qui est l'agresseur? Selon Carl Schmitt ou selon Hans Kelsen?

L'impact du conflit ukrainien sur la relation franco-allemande

Divergence Macron/Scholz sur le rôle de l'Amérique. Les Enseignements du capitaine de Gaulle in : « La discorde chez l’ennemi »
 
Irnerio Seminatore

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2024/juin/qui-est-l-agresseur-selon-carl-schmitt-ou-selon-hans-kelsen-l-impact-du-co

TABLE DES MATIERES

- Qui est l’agresseur ? L’hostilité et l’intérêt vital

- La « Souveraineté » (Carl Schmitt) contre la « Grundnorm » (Hans Kelsen)
- Renforcement ou affaiblissement des alliances ?
- Contexte historique et évolution des alliances. 

- Munich ou Yalta ?

- Discorde, inimitiés et défaite. Les enseignements du Capitaine de Gaulle

- Une guerre sans limites ? « Zweck » conditionnel ou inconditionnel ?

- L’évolution des alliances depuis la guerre froide 

- L’impact du conflit ukrainien sur l’Otan et sur la relation franco-allemande.

- Divergence Macron/ Scholz sur le rôle de l’Amérique

************************

Qui est l’agresseur ? L’hostilité et l’intérêt vital

Si l’option de l’hostilité est l’un des fondements de la politique internationale, elle précède les affrontements et se poursuit bien au-delà, dans la mémoire des peuples. C’est toujours l’hostilité qui détermine l’ennemi et c’est l’hostilité qui prolonge les conflits, comme « négation existentielle de l’autre ». Elle appartient à un ordre où la décision (Entscheidung) de s’engager est entièrement liée à une conjoncture de déstabilisation et à un ensemble de circonstances, car, si l’hostilité comporte le choix existentiel d’un affrontement violent, celui-ci prime sur l’ordre normatif existant, sous la tension de l’exceptionnalisme latent et subjectif du politique et de « sa » vérité extra-juridique, la vérité de « L’intérêt vital ».

La logique de l’intérêt prévaut à son tour sur l’idéologie, libérale ou socialiste (Mearsheimer), surtout dans des systèmes régionaux ou mondiaux à hégémonie instable.

Puisque tout Etat s’inscrit dans un système de rivalités, l’Etat, comme unité politique de base du système international agit, en situation de crise, hors du cadre du droit public et du normativisme dominants, car le souverainisme s’oppose au fétichisme de la norme, au nom d’une issue voulue de crise, de la nécessité ou de l’intérêt vital. Dans ces cas la « logique d’exception » prévaut sur tout ordre juridique et fonde l’opposition du décisionnisme et du normativisme, anéantissant toute illusion de la paix par le droit. En effet, selon la lecture réaliste de Mearsheimer, la réaction de Moscou à l’élargissement de l’Otan (prévention, rapport de forces), aurait été rationnelle face à la légitime perception d’une menace réelle envers sa sécurité, considérée logiquement comme la sphère de son intérêt vital. L’abus sémantique du terme « agresseur » utilisés par les Occidentaux vis à vis du Kremlin serait erroné, car il reflète les valeurs d’ordre, régies par la « Grundnorm » d’un système juridique (Kelsen), traduisant le souci d’une stabilité qui est l’expression de l’hégémonie dominante.

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Or, si l’hostilité comporte le choix existentiel d’un affrontement violent et ce choix d’exception prime sur l’ordre international existant, l’objectif normatif latent et subjectif du politique, celui par exemple de Poutine ou encore de Netanyahou, décident de « l’intérêt vital » de la Russie ou d’Israël, sur la base du critère extra juridique du politique, la survie. Ceci est énoncé très clairement par C. Schmitt lorsqu’il affirme : « En vue de la catastrophe imminente, tu dois te donner les moyens de répondre ! » La catastrophe imminente a été pour Netanyahou l’attaque terroriste du 7 octobre et pour Poutine l’attaque préventive, planifiée par l’Ukraine, l’Otan et l’Occident collectif, fin 2021 - début 2022, et débutés par le coup d’Etat de Maïdan de 2014, suivis par les accords non respectés de Minsk (élargissements de l’Otan et refus d’application des Accords de Minsk 1 & 2).  Dans ces diverses situations Poutine a été tout à la fois « Etat et Souverain », ainsi que « souverain et peuple » et, en ces qualités, le décideur incontesté de la riposte contre les forces globalistes (néo-libéristes, géo-économiques, unipolaristes et positivistes du système juridique dominant), qui travaillent à la déstabilisation et à l’usure de la Russie.

Telle est l’interprétation moscovite du choix stratégique du Kremlin, suivant lequel est politique « tout regroupement qui se fait dans la perspective d’un rapport de forces » (C. Schmitt). Il en ressort que le conflit avec l’ennemi fonde l’unité politique de l’Etat-civilisationnel du décideur, mais fortifie également le peuple dans son identité historique et cette identité va au-delà de l’épaisseur politique que confère la majorité aléatoire d’une élection chez l’adversaire, soit-elle démocratique (à titre de paradoxe pensons à ce que pèsent les élections américaines sur les décisions de politique étrangère qui dépendent d’un procès judiciaire contre Trump). Les procédures constitutionnelles des « Checks and Balances » garantissent elles les équilibres de liberté internes et internationaux, ou bien ne diluent -t- ils pas la perception de l’ennemi, la dégradant en compétition économique et en partenariat social au nom d’une « juste cause » ?

Le révélateur existentiel de l’ennemi doit être civilisationnel et stratégique et doit désigner l’émergence d’un autre acteur et d’une autre perspective historique, porteurs d’une conception du monde (Gramsci) métaphysique, sociale et révolutionnaire, qui constitue comme telle une menace directe pour l’hégémonie existante et pour la nation qui l’incarne.

Or, dans la décision de faire jouer la violence par la figure de l’ennemi, la volonté politique du décideur acquiert une signification déterminante, car, à partir de l’appareil d’Etat « sa » volonté parvient à disposer du « jus belli » et donc de la possibilité effective de désigner l’ennemi et de le combattre, activant autrement le « telos » ou le « sens » de l’histoire en acte.

La « Souveraineté » (C. Schmitt) contre la « Grundnorm » (H. Kelsen)

Ainsi le concept d’hostilité oppose logiquement « Grundnorm et souveraineté », en bouleversant leur portée dynamique et leur répercussions générales.

En effet le souverainisme de Poutine s’oppose au normativisme dominant et à l’illusion de la paix par le droit et fait de son acte de souveraineté (l’action militaire spéciale), un jugement d’exception « libre et arbitraire », contre un ennemi contre lequel « tous les conflits sont possibles » (C. Schmitt).

En réalité la décision souveraine de faire appel à la force naît d’un néant normatif de la loi internationale qui vise à dissoudre le concept de souveraineté.

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En pur principe, en effet, la souveraineté se constitue comme telle lorsqu’elle instaure « la tranquillité, la sécurité et l’ordre souverain et possède ainsi toute l’autorité » (Hobbes).

Autorité que Hobbes attribue au pouvoir et guère aux principes, selon la formule « Auctoritas, non veritas facit legem ! ». A propos de l’autorité d’une norme internationale, en polémique avec Kelsen, Schmitt affirme que l’instauration de l’ordre ne peut être déduite du contenu d’une norme, ni d’un ordre préexistant (celui de la communauté internationale) et refuse la conception de la loi, adoptée par les globalistes (intégrationnistes et multilatéralistes), par référence au positivisme juridique. Carl Schmitt refuse en conclusion la conception libérale de la loi et sa mise au service de l’individu gouverné, au lieu de la conception de l’État et du pouvoir d’État en place, qui gouverne et qui décide. Puisque le droit est politique et la politique de l’inimitié exprime la prééminence du désordre concret sur la norme abstraite, la situation du conflit sur le terrain doit traduire une asymétrie entre les deux personnalités qui incarnent l’antagonisme des conceptions, de hiérarchie de puissance et des acteurs aux prises, Zelenski et Poutine.

Renforcement ou affaiblissement des alliances ?

L’intensification de la rivalité stratégique sur le terrain du conflit en Ukraine a provoqué une reconfiguration de l’équilibre mondial des forces, une diversification des alignements au sein des alliances permanentes (Otan) et un accroissement du « brouillard » des intentions et des jeux diplomatiques, dans lesquels s’insèrent l’augmentation de l’aléatoire et de la riposte nucléaire, la complexification des forces et des doctrines et un questionnement sur « le sens ultime » des alliances.

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Pour ce qui est de l’Europe son exigence d’autonomie stratégique et son réflexe d’indépendance politique ont été brusquement réveillés, suscitant la prise de conscience d’une vassalité paralysante vis-à-vis de la puissance hégémonique. L’Europe a redécouvert le caractère univoque des alliances civilisationnelles, accroissant les tensions entre alliés militaires (européens et atlantiques) et rivaux stratégiques (européens et russes, russes et chinois, européens et asiatiques) et entre masses continentales et puissances maritimes.

Contexte historique et évolution des alliances

Munich ou Yalta ?

L’importance des antagonismes et les traits politiques des alliances se sont toujours modelés sur le contexte historique, la guerre probable et le péril encouru. En termes diplomatiques, les alliances ont toujours réuni des pays marqués par les mêmes caractéristiques, culturelles et sociales des « Leaders de bloc » et par leurs perspectives idéologiques. Ces éléments ont défini les enjeux et les défis à surmonter et les sacrifices à consentir, pour le triomphe d’une cité, d’une hégémonie, ou d’une grande conception du monde. Par ailleurs la stratégie d’une alliance a toujours résulté de la hiérarchie de pouvoir de ses membres et de la conscience, inégalement partagée et inégalement déterminante de ces différents éléments, Soft et Hard. C’est pourquoi l’évolution des alliances a traduit les transformations des conjonctures internationales, en particulier depuis la Deuxième Guerre mondiale et a circonscrit de plus en plus les espaces de manœuvre, imposant aux politiques d’hostilité le choix ultime, « négocier ou combattre » ou encore, « éviter la guerre ou partager le monde », dont les modèles paradigmatiques demeurent Munich et Yalta.

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Discorde, inimitiés et défaite. Les enseignements du Capitaine de Gaulle

Des alliances de la guerre froide aux alliances actuelles de la multipolarité les formes classiques de l’affrontement ont différemment conçu les prises de risque, le sens de la discorde et les sentiments d’unité. Immédiatement après la première guerre mondiale le Capitaine Charles de Gaulle, dans son premier essai : « La Discorde chez l’Ennemi » de 1924, avait identifiées les causes de la défaite du Reich wilhelminien dans quatre causes fondamentales tenues pour décisives : les erreurs stratégiques et diplomatiques, comme la guerre sous-marine à outrance, la mésentente avec Vienne, le conservatisme du général von Kluck et la crise morale et politique entraînant la déroute de l’automne 1918 , imputable à la démoralisation du peuple allemand.

Ces causalités affaiblirent dans leur ensemble le concept central d’inimitié, anti-français et anti-britannique, autrement dit la perception de l’encerclement et de l’intérêt vital de la puissance montante, provoquant l’effondrement interne de l’Allemagne. Comment ne pas remarquer « mutatis mutandi » les similitudes avec le déroulement de la crise ukrainienne ? Dans sa stratégie anti-otanienne Poutine ne vise-t-il pas la discorde et la division chez l’ennemi occidental ? Et l’Occident (coalition de 54 pays) ne poursuit-il pas une guerre terrestre et aérienne à outrance, visant des objectifs en territoire russe, dans le but de mobiliser le potentiel occidental et de fissurer de l’intérieur le monolithisme militaire des intentions et des buts de l’Opération militaire spéciale ? Dans l’affichage des volontés belliqueuses Macron et d’autres puissances mineures de la Baltique ne vont-ils pas trop loin dans la prise de risque (hypothèse d’envoi de troupes au sol), interprétée par l’adversaire comme cobelligérance et susceptible de provoquer une escalade et une montée aux extrêmes de la violence, y compris nucléaire ?

Une guerre sans limites ? « Zweck » conditionnel ou inconditionnel ?

La  position de Macron, qui consiste à poursuivre une guerre d’usure, a été taxée d’une « erreur par excès », puisque l’enjeu revendiqué ne la justifie pas (cet enjeu se traduisant en une paix de compromis et en une sécurité européenne inclusive). L’opération militaire spéciale et l’ampleur qu’elle a assumée depuis, rappellent que la finalité du conflit (Zweck), n’était pas la même pour les deux belligérants et qu’elle était « limitée » pour Moscou et « inconditionnelle» pour l’Occident collectif. D’où l’objectif de l’Occident d’annihiler l’intention hostile de l’ennemi (la Russie), est hors limites. En effet, même si, avec l’effondrement de l’Union Soviétique, puis la dissolution du Pacte de Varsovie, l’inimitié vis-à-vis de Moscou n’a jamais disparue, la raison en est que cette inimitié est de nature historique, civilisationnelle et géopolitique et pas uniquement idéologique. Avec le rapprochement russo-chinois et le « partenariat Moscou-Beijing », la politique d’hostilité de l’Occident, fait dessiner à ce rapprochement une configuration systémique, de nature anti-hégémonique et planétaire.

Celle-ci est présentée par les Occidentaux sous trois formes :

- celle d’un bloc autoritaire ou multipolaire, opposant les alliances globalistes et néo-libérales des démocraties, prônées activement par Washington, aux partenariats des autocraties;

- celle d’une complexification de l’équilibre des forces, imposée par les deux stratégies d’encerclement /anti-encerclement du Rimland par le Heartland;

- celle d’une diversification des intérêts des puissances non alignées (hedging), tentants de se soustraire aux contraintes des blocs.

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D’une façon générale est ami ou ennemi et désigné comme tel, l’acteur, étatique ou exotique, qui soutient ou porte atteinte à l'Hégémon, à l’Hégémonie et au pouvoir hégémonique établi, car il ne peut y avoir de système international sans un Léviathan, détenteur du pouvoir suprême, souverain ou empereur, qui accorde la multitude par sa force ou par consensus et la sorte de « l’état de guerre de tous contre tous ».

L’évolution des alliances depuis la guerre froide

L’intensification de la compétition stratégique, l’élargissement des tutelles sur la stabilité et la sécurité internationales, le renforcement des interdépendances suite à la mondialisation économique et financière et l’émergence du terrorisme et d’autres formes de radicalisme, ont conduit à l’émergence de nouveaux formats d’association entre Etats. Se sont multipliés des liens originaux entre risques et opportunités, influant sur la transformation des alliances militaires classiques, fondées sur le concept identitaire d’inimitié, en coalitions hybrides, connectées désormais au concept d’intérêt socio-économique (interdépendances). Ainsi cette deuxième catégorie d’intérêts est venue s’associer à la sphère des intérêts existentiels et à long terme, brouique, technologique et financière des politiques. Dualité contradictoire et ambiguë d’objectifs, favorisant la stratégie chinoise d’anti-encerclement face à la politique américaine d’endiguement, accords de coopération militaires contournant des sanctions multiples, diversification des puissances néo-révisionnistes mais non antisystème, syndicats tiers-mondistes de puissances contestataires (Brics), banalisation des comportements opportunistes au sein des alliances traditionnelles (Otan) et marchandisation des appartenances de camp (achat des systèmes S400 russes par Erdogan), instrumentalisation des question religieuses et d’immigration, à l’intérieur et à l’extérieur des institutions européennes, telles sont , en survol, les évolutions remarquées de la conjoncture post-classique, en matière d’alliance.

D’autres formes de coopération, plus explicitement stratégiques et de ce fait plus innovantes, comme complément de la gestion planétaire de l’hégémonie mondiale des Etats-Unis, apparaissent par l’établissement de nombreuses relations bilatérales de la part de ces derniers dans la région de l’Indo-Pacifique sous forme de partenariats stratégiques (Australie, Inde, Japon) et de coopérations limitées.

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A partir de 2003 et de l’invasion de l’Irak, la banalisation des coalitions militaires contre les « Rogues States » affirme le principe que la mission décide de la coalition, expérimentée en Libye (2011) sous la forme du « Leadership from behind ». A partir de cette même période on constate la transformation des vieilles alliances à caractère économique, telle l’ASEAN, crée en 1967, en communautés de sécurité, finalisées à la gestion de la stabilité, ou en Europe, au maintien d’une architecture de relations durables entre la Russie post-soviétique et l’Europe occidentale, grâce à l’OCSE. Ces évolutions posent le problème d’une réflexion sur le rôle des alliances de sécurité pour la gestion de la stabilité internationale ou encore de la transition d’un système à l’autre et de l’émergence non conflictuelle d’une hégémonie montante.

L’impact du conflit ukrainien sur l’Otan et sur la relation franco-allemande.

Divergence Macron/ Scholz sur le rôle de l’Amérique

Quant à l’Europe, l’Otan comme alliance permanente, subit un impact controversé du conflit ukrainien, ouvrant une « faille stratégique » dans la relation franco-allemande et provoquant un double déplacement du centre de gravité du continent vers le Nord-Est et vers l’autre foyer de tension du Pacifique, la zone disputée de Taiwan, via le Moyen Orient turbulent. Si le système des rivalités étatiques n’a jamais disparu, le retour de la guerre en Europe, comme guerre par procuration entre les Etats-Unis et l’Otan d’un côté et la Fédération russe de l’autre remet en cause les alliances militaires d’hier et les souvenirs des anciennes alliances avec l’URSS et les vieux Empires russe, allemand, autrichiens et ottoman de la première guerre mondiale On y retrouve les vieilles unités territoriales, identitaires et civilisationnelles, jamais entièrement disparues.

Il en est de même pour l’Union européenne et pour sa relation fondatrice, le « moteur » ou le « couple franco-allemand », couple qui, de l’aveu de Scholz marque dans le 24 février 2024, date du déclenchement de l’Opération militaire spéciale russe, l’anniversaire, pour l’Allemagne, d’un changement d’époque (Zeitenwende). Les enjeux de sécurité et de défense sont apparus en leur évidence, puisque l’incertitude et le doute, en cas de péril et de risque existentiels concernent la couverture militaire de ces pays par l’Amérique, le pilier de l’Otan, de l’Union européenne, de l’Aukus, de l’Asean, et ces enjeux sont définis par la divergence de fond sur la nature de l’engagement américain dans la défense de l’Europe.

Les alliances qui devraient rééquilibrer la « faille stratégique » entre Paris et Berlin, « le Triangle de Weimar » (France, Allemagne et Pologne), en réalité non seulement l’aggravent mais la compliquent, faussant les rapports de forces, les postures et le langage diplomatique. L’Amérique est en effet un rempart protecteur pour l’Allemagne et un ami douteux pour la France. Dans cette lecture du risque suprême toute autre analyse est secondaire et devient occasion de diatribes et de malaise dans la relation franco-allemande, fondée sur la disparité des différents éléments de puissance.

Les prises de position de Macron sur « l’envoi de troupes au sol » font apparaître le président français en toute sa velléité, celle d’un homme impulsif, qui fait de la prudence de Scholz la réserve d’un écuyer sans courage face à un seigneur désinvolte. Cependant Macron ne peut changer les cartes du jeu, ni la distribution du pouvoir mondial, ni, sur le fond, les fonctions d’une bureaucratie bruxelloise sans boussole, parvenue à un rendez-vous historique, les élections parlementaires du 9 juin 2024.

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L’argument de Macron fondé sur la défaite de la Russie, indispensable à la sécurité et à la stabilité de l’Europe démontre une carence de réflexion en termes de système international. En effet, il évacue l’intérêt de Washington à ne pas plonger la Sibérie et l’extrême-orient russe dans le chaos d’un démembrement et d’un vide de pouvoir qui renforcerait la Chine et les autres puissances d’Asie centrale, sans accroître le pouvoir de l’Europe. C’est par une vision plus réaliste de la situation mondiale, que Scholz fait jouer à l’Allemagne le rôle de « puissance réticente » sans accepter le défi de la bataille du Leadership et en prétendant viser le renforcement de l’Otan et celui de la souveraineté européenne et non l’indépendance politique et l’autonomie stratégique vis à vis de l’Amérique.

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En termes institutionnels, la définition de la souveraineté de la part de Jean Bodin de 1576 est beaucoup plus proche de celle de la cinquième république et de la prépondérance de l’exécutif que celle d’une République fédérale et parlementaire et cela a une importance fondamentale en matière de sécurité et de défense, surtout pour ce qui est de la perception de l’intérêt national, des situations de survie et de la riposte nucléaire, unique et inaliénable.

Bruxelles 6 juin 2024

Irnerio Seminatore

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