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lundi, 25 mai 2020

Manifestations en Espagne: une révolution conservatrice en marche?

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Manifestations en Espagne: une révolution conservatrice en marche?

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Par Juanma BADENAS

(traduction de l’espagnol Michel LHOMME)

La transgression, la modernité et la révolution sont maintenant de droite mais selon l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène esthétique mais aussi politique car il trouve ses racines dans la révolution conservatrice allemande d’il y a un siècle et ce qui se passe en Espagne depuis quelques jours en serait un signe positif. ML.

Il y a quelques jours, j’ai lu un article publié par un site internet concurrent intitulé « La révolte des enfants bien » (https://www.elespanol.com/opinion/columnas/20200516/revue... ) et il semblerait que certaines personnes en veulent ou sont agacés de voir qu’il y a des gens qui manifestent et descendent dans les rues en brouhaha de klaxons ou de casseroles, comme si finalement le droit de manifester n’était que le privilège exclusif des « progressistes ». Les participants de ces manifestations spontanées scandent des appels à la liberté, appellent à la démission du gouvernement, agitent des drapeaux espagnols mais, et c’est ce qu’on leur reproche, on ne les entend pas réclamer des avantages économiques ou quelque chose dans le genre. Alors de manière irrespectueuse et pour les dénigrer, on parle de la « révolution du club de golf », de la « révolte de la cuillère d’argent » ou de la « mutinerie du sac Louis Vuitton » (https://metainfos.fr/2020/05/24/casseroles-et-klaxons-nom...). 

Le prix Nobel de littérature Thomas Mann n’est pas seulement connu pour avoir écrit des romans célèbres comme Mort à Venise (que l’on a tant cité pendant la pandémie), mais aussi certains essais et articles, dont Russian Anthology, publiés en 1921. Dans ce dernier, l’écrivain allemand a été le premier à créer l’expression Konservative Revolution, « révolution conservatrice » qui a donné son nom à un mouvement politique qui s’est développé en Allemagne au cours des premières décennies du XXe siècle et s’est terminé brutalement avec l’arrivée du nazisme. Il s’agit d’un mouvement intellectuellement puissant auquel participent d’autres auteurs notables comme Ernst Jünger, Carl Schmitt, Hugo von Hofmannsthal et Edgard Julius Jung (assassiné par la Gestapo, en juillet 1934, lors de la «Nuit des couteaux»). Ils se sont tous inspirés des travaux d’un autre auteur allemand bien connu, Oswald Spengler et son œuvre magistrale, Le déclin de l’Occident. Le futurisme, dirigé par Filippo Marinetti, poète italien, dont le manifeste fut publié par Le Figaro en 1909, peut être incorporé dans ce mouvement, de telle sorte que nombreux sont ceux qui réalisèrent alors, pour la première fois, que le moderne, l’avant-garde, le révolutionnaire pouvait être de droite .

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Deux idées principales peuvent être détectées dans cette révolution conservatrice : la palingénésie ou l’esprit de régénération dont, selon ces auteurs, l’Europe avait besoin; et la juxtaposition de la tradition avec la technique. 

Bien qu’il puisse sembler qu’il s’agit de deux points de vue très éloignés, c’est peut-être la même motivation qui a poussé ces intellectuels européens, à manifester à l’époque comme ceux qui maintenant réclament la liberté et agitent les drapeaux dans les rues d’Espagne. Comme la révolution conservatrice allemande, les manifestants espagnols sont animés d’un esprit de régénération nationale (et démocratique). Ils savent que le gouvernement a profité de l’état d’urgence sanitaire irrégulier pour imposer son histoire et son discours, et même de manière oppressive, suspendant des droits fondamentaux qui n’ont rien à voir avec la maîtrise d’une épidémie. Le simple discours pseudo-juridique (et légal) qui essaie de la justifier, est un leurre absolu et en même temps un symptôme de plus du besoin de régénération technico-démocratique dont notre société a besoin. Les Espagnols, comme ces Allemands et ces Italiens contestataires [surprenante au passage la soumission en silence des Français; NdT ] exigent également la restauration de la science et de la technique (y compris juridique) sur la politique, car seules les deux premières sont des garanties de sauver des vies et marquent un progrès social, par rapport à l’emprisonnement, la mort et l’appauvrissement des politiques.

Les conservateurs espagnols ont du mal à manifester

Bien que chaque jour il y en ait de plus en plus qui descendent dans la rue, il apparut difficile au départ pour les conservateurs espagnols de manifester et cela pour plusieurs raisons.

La première est que le politiquement correct est une fabrique de lâches. Nous sommes sous l’influence de cette maladie sociale pernicieuse depuis plusieurs décennies, aussi dangereuse pour la gangrène nationale qu’une pandémie, et qui affecte non seulement la gauche, mais aussi et très fortement la droite. 

La seconde concerne les fondements moraux de la pensée de droite, parmi lesquels l’autorité, la loyauté et la défense du capital moral de la nation. Les conservateurs doivent toujours alors faire beaucoup d’efforts pour se rebeller contre l’autorité de leurs dirigeants. Cela va à l’encontre de leur base morale, ancrée, comme je l’ai dit, dans le principe d’autorité. Tout comme la gauche se méfie de la police et, surtout, de la garde civile, considérant qu’il s’agit d’organes répressifs, la droite éprouve de la sympathie pour le corps et les forces de sécurité, car ils sont censés servir l’intérêt général de la nation et la renforcer. [En France, ces sont ces stupides réclamations que l’on attend régulièrement devant les forces de l’ordre : « les flics, la police avec nous ! »].  

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Il semble à certains conservateurs que critiquer le gouvernement, même pour d’énormes erreurs et négligences, pourrait être interprété comme un manque de loyauté envers le groupe et pourrait nuire à la communauté nationale. Les droitiers se soucient beaucoup de la nation et de sa considération, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire; quelque chose qui est bien sûr le moindre des soucis des gens de gauche. Même si ce qui est arrivé en Espagne est dû à d’énormes erreurs et négligences, le critiquer pourrait être interprété comme un manque de loyauté envers le groupe et pourrait nuire à la communauté nationale.

A l’inverse, cela ne coûte rien aux faux « progressistes », bien au contraire (c’est même dans leurs gènes), d’attaquer et de se rebeller contre l’autorité de gouvernements qui ne sont pas de gauche, parce qu’ils ne croient pas à ce principe et ne ressentent pas la moindre culpabilité pour avoir trahi la loyauté de la nation à laquelle ils appartiennent. En réalité, ils se considèrent comme des citoyens du monde et les rédempteurs de l’oppression internationale. Un  « progressise » se montrera toujours propice à faire preuve de solidarité avec la cause d’un réfugié ou d’un immigrant illégal plutôt qu’avec son malheureux voisin du septième, à l’égard duquel il n’a aucun scrupule à démontrer sa supposée supériorité morale, surtout dans le cas où il serait de droite ou du centre ce qui pour lui est à peu près la même chose ! Pendant le confinement, nous n’avons vu aucune ONG d’aide internationale ne s’est convertie pour créer une banque alimentaire pour les citoyens espagnols, tandis que toutes les Cáritas et autres organisations traditionnelles ont intensifié leur aide sociale aux illégaux.

À ce qui précède, nous devons ajouter une autre question qui n’est pas anodine. Jean Delumeau, dans son œuvre La peur en Occident, entre autres, décrit comment les pandémies et la peste ont été reçues par les citoyens européens entre le 14e et le 18e siècle. L’enfermement des populations (dans les villes et villages, pour la plupart murés et aux entrées et sorties étroites et contrôlées) a provoqué la panique des voisins qui, faute de moyens ou ne l’ayant pas connu à temps, ont été piégés. Dans ces villes, vingt, trente et même quarante pour cent des habitants d’origine ont fini par mourir. Les témoignages documentés de l’époque mettent en évidence deux types d’attitude face à la peur engendrée par la peste: la lâcheté de la majorité, par rapport au courage et à même à l’héroïsme de certains citoyens, très peu nombreux.

À l’heure actuelle du bilan du confinement, la deuxième attitude s’est avérée elle-aussi très rare, mise à part celle des médecins, des infirmières, des aides-soignants, des forces de l’ordre et de l’armée qui méritent une mention spéciale, ainsi que certains bénévoles, qui ont mis leur vie en danger pour sauver les autres. Comme, par exemple, les moines capucins qui ont assisté avec dévouement – contrairement à d’autres ordres religieux qui ont préféré fuir – le peuple de Paris lors de la peste qui s’est développée entre 1580 et 1581. Le gouvernement sait de quoi je parle, et c’est pourquoi, il continuera de faire appel à  » l’union de tous », ce qui équivaut à exiger la loyauté des citoyens.  Quant aux gauchistes espagnols, le gouvernement les tient par l’idéologie et aussi mauvais qu’il soit, ces gauchards ne verront jamais rien et ne le critiqueront jamais ! Les idéologies, comme le soulignait Jean-François Revel, rendent impossible tout jugement objectif. Ainsi, le gouvernement espagnol en profite et en appelle à la tradition de loyauté et d’autorité des « droitiers » pour éviter la révolte.

Cependant, les citoyens qui ne sont pas de gauche doivent ouvrir les yeux. L’autre partie est en effet aveuglée: l’idéologie l’emporte sur la Constitution. La loyauté envers la nation ne doit pas nécessairement coïncider avec l’adhésion à son gouvernement, surtout s’il s’agit d’un gouvernement inepte qui abuse également des normes juridiques pour imposer une politique autoritaire. Le moment est venu de renoncer aux attitudes compromettantes. Une nouvelle morale est en train de naître. Nous commençons à l’avoir dans nos esprits. Les masques doivent tomber et pour paraphraser Marinetti, « le courage, l’audace et la rébellion seront des éléments essentiels de la nouvelle poésie ». C’est une vraie révolution qui alors peut-être se prépare….

SOURCE : https://elmanifiesto.com/
 

Le mémoriel russe doit rester pacifique

Se souvenir des blessures dont la patrie a souffert, ne pas oublier les drames qui l’ont marquée et qui font partie de son histoire est parfaitement compréhensible et naturel, d’autant que ces moments douloureux ont souvent contribué à forger son unité. Quoi de plus normal également, que ceux qui en furent les martyrs, les héros, soient honorés. Mais tout ceci doit rester dans le cadre national et ne pas se transformer en haine contre l’autre.

Des atrocités, les guerres en regorgent. Elles résultent souvent d’ambitions, nationales, mais parfois personnelles. Aucun des camps qui s’affrontent ne peut prétendre se parer du blanc-manteau de l’innocence. Au nom de valeurs trop fréquemment hypothétiques, elles voient les peuples s’écharper allégrement. L’apogée dans l’horreur revenant certainement à la seconde guerre mondiale, où l’inhumanité a atteint son paroxysme.

Malgré tout ce qui rapproche les peuples européens, les difficultés à s’unir, pour contrebalancer les deux grandes puissances dominatrices et celles qui commencent à émerger, sont difficiles à dépasser. Il en va ainsi avec la Russie, pourtant nécessaire à la grande Europe, qui nous hisserait au premier rang mondial.

Cette immense entité serait sécurisante et avantageuse pour les deux parties, l’Union européenne et la Russie. Ce n’est pas en exhumant les contentieux d’une histoire, même récente, que l’on y parviendra. Laissons le temps poursuivre son œuvre d’apaisement. Les cicatrices seront toujours présentes, mais elles doivent surtout nous rappeler que la coopération et la paix doivent seules nous inspirer.

La Russie peut-être amère, face à une Europe qui n’a pas su, pour certains de ses membres pas voulu, saisir l’occasion d’engager une saine et féconde coopération.

Pour notre part, nous avons souvent dénoncé l’attitude malveillante de certaines initiatives européennes. Le Partenariat Oriental illustre ce comportement.

Particulièrement cynique et provocateur, à travers toutes les dispositions, politiques, sécuritaires et économiques, il nuit à la Russie. De même, nous nous sommes élevés contre les sanctions démesurées, prises lors de l’annexion de la Crimée.

Tout bien considéré, elles sont loin d’être justifiées, cette région étant historiquement, linguistiquement, culturellement, russe. Quelle curiosité cet empressement à châtier ce pays, alors que ces mêmes censeurs sont totalement passifs, face aux annexions absolument arbitraires, commises par d’autres nations dans le monde. Cela étant, la dernière initiative prise par la Russie, concernant la Finlande, est pour le moins inappropriée.

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N’extirpons pas de la mémoire des faits douloureux ou glorieux, capables de faire ressurgir du tréfonds de l’être, des sentiments de revanche. Posons-nous la question de savoir si les batailles mémorielles qu’ils vont alimenter sont nécessaires pour laver des affronts.

L’intérêt des nations ne s’identifie pas forcément à celui de ses dirigeants. En ouvrant une enquête pénale contre la Finlande, sous le chef d’accusation de génocide, la Russie ne favorise guère le bon voisinage.

Les faits reprochés, des crimes commis par les troupes d’occupation finlandaises entre 1941 et 1942 en Carélie, ne soulèvent aucun doute. Cependant, les termes de l’accusation, par les graves implications qui peuvent en résulter, nous semblent excessifs. Que la Russie désire explorer ce passé lancinant, pour en connaître toutes les facettes, rien de plus naturel. Les historiens dont c’est la vocation et la compétence peuvent mener ces recherches, en toute honnêteté et au seul profit de l’histoire.

Contrairement à la majorité des autres pays de la région, qui à l’instar de la Pologne, entretiennent une suspicion chargée d’agressivité à l’égard de la Russie, la Finlande est plutôt placide. Malgré les incursions de l’aviation russe dans son espace aérien, elle a des rapports apaisés. La Finlande a fait preuve de bonne volonté.

Elle a privilégié une mitoyenneté profitable et toujours recherché le dialogue. L’attitude de la Russie n’en est que plus déroutante et interrogative. Enjeu des rivalités territoriales russo-finlandaises, la Carélie est une région martyre, qui n’a pas été épargnée lors de la seconde guerre mondiale. Durant cette période, l’armée finlandaise a commis des meurtres en Carélie orientale, qui sont connus et qu’elle a reconnus. Au-delà du problème soulevé, les drames qui ont ravagé cette région n’honorent ni la Finlande, ni la Russie.

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Le président Urho Kekkonen, ancien des Corps francs anticommunistes finlandais et artisan d'une paix durable avec l'URSS.

Dans le passé, Le Président Vladimir Poutine nous avait habitués à une autre approche de ce type de question. À Varsovie, en avril 2010 et alors qu’en 2008 la Pologne avait signé l’accord sur le bouclier antimissile, il a déclaré, concernant le massacre de Katyn « Un crime ne peut être justifié d’aucune manière », ajoutant « Nous n’avons pas le pouvoir de changer le passé, mais nous pouvons rétablir la vérité et la justice historique. »

Enfin, rejetant tout impérialisme : « Dans l’Europe du XXIe siècle, il n’y a pas d’alternative à un bon voisinage entre la Pologne et la Russie. »

C’est ce langage que nous aimerions voir adopter à l’égard de la Finlande qui, contrairement à la Pologne, a constamment manifesté son désir d’entretenir des rapports pacifiés. La construction de la grande Europe doit emprunter les chemins de la conciliation.

Il est logique que la Russie, comme toutes les nations, recherche la vérité sur les événements qui l’ont affectée. Mais cette quête doit seulement concourir à construire son histoire.

Guerre froide « 2.0 » : le coronavirus n’est qu’un prétexte

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Guerre froide « 2.0 » : le coronavirus n’est qu’un prétexte

Éditorial d'Éric Denécé (revue de presse : Centre Français de Recherche sur le Renseignement – mai 2020)*

Ex: https://cf2r.org

Un nouvel ordre mondial, organisé autour d’une nouvelle rivalité stratégique Etats-Unis/Chine structurant les relations internationales, pourrait bien enfin s’esquisser, trente ans après la chute de l’URSS et la fin de la Guerre froide.

L’épidémie du coronavirus a déclenché une crise sanitaire et une crise économique. Elle va également marquer une rupture géopolitique dont les premiers signes sont déjà visibles. Cette rupture se fonde sur deux éléments : l’un faux, l’autre vrai.

Mensonges et provocations américains

La fausse raison de cette évolution internationale majeure est la soi-disant responsabilité chinoise dans la diffusion de la pandémie.

Depuis plusieurs semaines, le Président américain a, à plusieurs reprises, accusé la Chine d’être responsable de la propagation du coronavirus dans le monde. Donald Trump a déclaré, le 30 avril, que le virus proviendrait d’un laboratoire de Wuhan[1]. Les failles de sécurité du laboratoire P4 sont l’occasion au passage, d’égratigner la France. Il a également menacé Pékin de représailles. Le 6 mai 2020, il a déclaré que l’épidémie actuelle, partie de Chine, est la « pire attaque de l’histoire contre les États-Unis, encore pire que Pearl Harbor ou les attentats du 11 septembre 2001 ». Trump a de nouveau critiqué Pékin pour avoir laissé le virus quitter le pays et considère que la Chine constitue « la menace géopolitique la plus importante pour les Etats-Unis pour le siècle à venir ».

Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, n’a pas pris de gants non plus pour faire monter d’un cran supplémentaire l’escalade verbale à l’encontre de Pékin[2]. « Il existe des preuves immenses que c’est de là que c’est parti », a déclaré le secrétaire d’Etat sur la chaîne ABC, à propos de l’Institut de virologie de Wuhan. « Ce n’est pas la première fois que la Chine met ainsi le monde en danger à cause de laboratoires ne respectant pas les normes », a-t-il ajouté. Il a également dénoncé le manque de coopération des responsables chinois afin de faire la lumière sur l’origine exacte de la pandémie : « Ils continuent d’empêcher l’accès aux Occidentaux, aux meilleurs médecins », a-t-il dit sur ABC. « Il faut que nous puissions aller là-bas. Nous n’avons toujours pas les échantillons du virus dont nous avons besoin ».

Le secrétaire d’État a déclaré que le gouvernement Chinois avait fait tout ce qu’il pouvait « pour s’assurer que le monde ne soit pas informé en temps opportun » sur le virus. Il a déclaré à ABC que le Parti communiste chinois s’était engagé dans un « effort classique de désinformation communiste » en faisant taire les professionnels de la santé et en muselant les journalistes pour limiter la diffusion d’informations sur le virus.

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Ces attaques ont été appuyées par diverses productions gouvernementales falsifiant également la réalité dans le même sens, afin de donner corps à la réalité que la Maison-Blanche souhaite diffuser et imposer.

Selon l’Associated Press, un rapport de quatre pages du Département de la sécurité intérieure (DHS) accuse le Chine de n’avoir pas divulgué des informations sur le virus afin de mieux préparer sa réponse à la pandémie. Ce document indique que Pékin a diminué ses exportations et accru ses importations de fournitures médicales en janvier, ce qui incite le DHS à conclure « avec une certitude de 95% » que ces changements dans les importations de produits médicaux ne sont pas normaux.

De même, un rapport affirmant être une production des Five Eyes[3] – ce qui a été démenti -, publié par le Daily Star[4] britannique, avance que la Chine a sciemment détruit des preuves sur l’origine du coronavirus. Selon le journal, le document de quinze pages indique que le gouvernement chinois a fait taire ou « disparaître » les médecins s’étant exprimé sur le sujet, et a refusé de partager des échantillons avec la communauté scientifique internationale. Le dossier également affirme que le virus a été divulgué à l’Institut de virologie de Wuhan fin 2019. 

L’analyse des services de renseignement

Les déclarations du président et de son secrétaire d’Etat sont contredites par l’analyse des services de renseignement américains. Ces derniers ont annoncé être parvenus à la conclusion que le Covid-19 n’avait pas été créé ou modifié génétiquement par l’homme. Toutefois, ils ne disposent pas d’informations suffisantes « pour déterminer si l’épidémie a commencé par un contact avec des animaux infectés ou si elle a été le résultat d’un accident de laboratoire à Wuhan ».

Les informations partagées entre les services de renseignement des Five Eyes les conduisent à conclure qu’il est “hautement improbable” que l’épidémie de coronavirus se soit propagée à la suite d’un accident dans un laboratoire, mais plutôt sur un marché chinois. « Il est très probable qu’elle se soit produite naturellement et que l’infection humaine soit due à une interaction naturelle entre l’homme et l’animal » [5].

En France, l’hebdomadaire Valeurs actuelles rapporte que de nombreuses sources qu’il a interrogées fin avril dans les services de renseignement français (spécialistes du contre-espionnage ou des armes chimiques et bactériologiques) sur l’origine du coronavirus, ont l’absolue certitude que ce n’est pas une fuite du laboratoire P4. « Toutes les souches analysées montrent qu’elles n’ont pas été modifiées humainement. La souche est bien animale, elle a été transmise à l’homme sans qu’on sache encore exactement pourquoi. Elle ne vient pas d’une fausse manipulation ou d’une fuite ».

Le rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet est également intervenu pour réfuter les allégations fallacieuses des autorités américaines. L’attribution à une origine humaine du virus est écartée par tous les virologues sérieux. Il a insisté sur l’intérêt des publications chinoises en la matière, riches en données.

Toutefois, les attaques mensongères de l’administration américaine n’exonèrent pas les autorités chinoises d’un certain nombre d’erreurs et de dissimulations.

Erreurs et responsabilités de la Chine

Indéniablement, les autorités chinoises – dans un premier temps à Wuhan et dans un second temps à Pékin – ont tardé à réagir et à communiquer, voire ont eu tendance à minimiser l’épidémie. Pour cette raison, Pekin fait l’objet de nombreuses critiques internationales. Mais concédons-là qu’il est facile de juger après coup. Cette épidémie est nouvelle et sa rapidité de diffusion semblait difficile à anticiper.

201405-COUV.jpgToutefois, après avoir initialement dissimulé la gravité de l’épidémie, face aux soupçons, au lieu de jouer la carte de la transparence, le gouvernement chinois a déchaîné sa propagande contre ceux qui osaient critiquer sa version officielle et n’a pas hésité à faire la leçon à aux pays occidentaux sur leur propre gestion de l’épidémie. Cette attitude a braqué contre la Chine la majorité des Etats occidentaux et des voix se sont élevées pour réclamer une enquête de l’Organisation mondiale de la santé sur l’origine du virus, ce qu’a refusé Pékin, de même qu’il a refusé de participer aux financements lors des réunions de donateurs pour lutter mondialement contre l’épidémie.

En revanche, la Chine s’est attachée à fournir une aide à de nombreux pays dans un cadre systématiquement bilatéral, cherchant par ce biais à donner une image de puissance « aidante », mais sans parvenir à tromper personne sur le jeu d’influence se cachant derrière cette manœuvre. En agissant ainsi, la Chine s’est attirée des critiques redoublées.

Ainsi, l’hostilité au régime chinois a atteint un niveau sans précédent depuis la répression sanglante du mouvement étudiant de Tiananmen en 1989 et pourrait avoir de lourdes conséquences diplomatiques. Les pressions dont la Chine fait l’objet n’émanent pas uniquement des Etats-Unis. Elles sont exercées aussi par l’Australie, le Japon, les pays d’Asie et l’Union européenne. Tous demandent des comptes tant les éléments s’accumulent prouvant que le régime chinois a dissimulé, au départ, l’étendue de l’épidémie.

Réalité de la menace chinoise

Toutefois, la véritable raison de la virulence de la réaction américaine contre la Chine est ailleurs. Et elle est double. D’une part, Washington ne cesse de s’inquiéter depuis plusieurs années de la montée en puissance de ce nouvel adversaire stratégique en passe de remettre en cause son leadership ; d’autre part, afin de relancer leur économie, de relocaliser une part de leur production industrielle et de consolider autour d‘eux le camp occidental, les Etats-Unis ont besoin d’une nouvelle Guerre froide.

Si une partie des arguments employés par Washington contre Pékin sont fallacieux, force est de constater qu’il y a de très nombreuses raisons de s’inquiéter sérieusement du développement continu de la puissance chinoise depuis la fin de la Guerre froide.

– La Chine est devenue l’usine du monde en matière d’informatique, d’électronique, de médicaments, de textile, etc. Si tout le monde en avait conscience, la crise récente via les pratiques de confinement et l’interruption des transports internationaux a permis au monde occidental de mesurer à quel point il était dépendant de Pékin. Les délocalisations à outrance vers la Chine et les pays à faible coût de main d’œuvre ont profondément affaibli la résilience de nos économies et de nos systèmes de santé, ce qui n’est pas acceptable et doit être corrigé. La crise a également permis de mesurer la flexibilité, l’efficacité et la réactivité industrielle de la Chine, ce dont l’Occident n’est plus capable.

– Depuis de nombreuses années, la Chine, dans la cadre de son projet des Nouvelles routes de la soie, s’implante dans le monde entier, par des investissements massifs dans les infrastructures – ne reculant jamais devant la corruption des autorités locales – et via le rachat de très nombreuses entreprises, y compris au sein de l’Union européenne. Ces nombreuses acquisitions d’entreprises occidentales laissent entrevoir une stratégie insidieuse de prise de contrôle de nos actifs économiques, donc d’une nouvelle dépendance.

– Les progrès réalisés – voire l’avance prise – en matière technologique par les Chinois – résultat de leur volonté, de leurs capacités financières, humaines et technologiques – notamment en matière militaire (5G, missiles hypersoniques, porte-avions, satellites, lanceurs, etc.) ne cesse d’impressionner et engendre une vraie préoccupation en matière de sécurité.

– La puissance militaire chinoise ne cesse en effet de se développer[6] et l’épidémie de Covid-19 n’a pas ralenti le rythme d’équipement des forces armées en nouveaux matériels offensifs : courant avril, un navire d’assaut amphibie (type 075) est entré en service et deux nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) (type 094) ont été mis à l’eau, donnant à la marine chinoise une véritable capacité de dissuasion océanique, ce qui n’était pas le cas avec les submersibles précédents (type 092). Par ailleurs, une autre classe de SNLE (type 096), encore plus moderne, capable d’embarquer un nouveau missile balistique de 10 000 km de portée, est en cours de développement. A noter également que les manoeuvres autour de Taïwan se sont poursuivies, de même que celles en mer de Chine méridionale.

– Les services de renseignement chinois se montrent particulièrement agressifs partout dans le monde occidental, tant par leurs actions de cyberespionnage que par le développement de leurs infrastructures clandestines et leurs tentatives de recrutement d’agents.

– Pékin continue à étouffer la vie démocratique sur son territoire et a profité de la crise pour remettre Hong-Kong au pas. La Chine ne supporte plus l’exception hongkongaise, tant sur le plan politique qu’économique. En effet, l’ex-colonie britannique joue un rôle essentiel comme porte d’entrée et de sortie pour les capitaux chinois. La bourse de Hong-Kong accueille les plus grandes entreprises chinoises, et nombre des familles les plus riches y ont une partie de leur fortune. Pékin a procédé à un coup de force discret, passant outre son engagement de non-ingérence dans les affaires intérieures de Hong-Kong[7] et a arrêté une quinzaine de leaders pro-démocratie.

N’oublions pas, par ailleurs, que la Chine occupe toujours, en contravention avec le droit international de la mer, des îlots de mer de Chine méridionale – dont certains conquis par la force sur ses voisins – sur lesquels elle a construit d’importantes installations militaires[8].

– Surtout, rappelons que la République populaire de Chine n’est pas une démocratie et que son peuple n’y exprime jamais son point de vue librement à travers des élections, qu’il ne bénéficie pas d’un état de droit ou d’une presse libre. Le pays reste sous le contrôle étroit du Parti communiste, lui-même aux mains d’un véritable autocrate et de sa clique d’affidés. Si les Etats-Unis doivent être critiqués depuis trois décennies pour leur politique étrangère unilatérale aux effets parfois dévastateurs (Irak, « révolutions » arabes, etc.), il serait encore plus inquiétant pour la paix et la sécurité mondiales que la puissance dominante soit un Etat totalitaire ne pouvant être remis en cause par des élections, une opposition interne ou un mouvement citoyen.

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La stratégie américaine : relancer une guerre froide

La crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 est donc le prétexte qu’ont choisi les Américains pour attaquer Pékin et contrecarrer ou ralentir le développement de sa puissance économique et militaire.

Depuis fin avril, outre-Atlantique, articles de presse, témoignages de spécialistes et déclarations d’autorités se multiplient, avançant que Pékin est responsable et qu’il doit payer. Le ton ne cesse de se durcir et les menaces de prendre forme.

Ce thème va à n’en pas douter occuper dans les mois qui viennent une part croissante de l’actualité internationale, car les élections américaines approchent et que ce thème est une aubaine pour Donald Trump, comme pour l’Intelligence Community ; les deux pourraient bien ainsi se réconcilier sur le dos de Pékin.

Les sanctions contre la Chine

Depuis le début de la pandémie, Donald Trump s’en est pris à la Chine, l’accusant d’avoir considérablement affaibli l’économie américaine. C’est donc en ce domaine qu’il a décidé en premier lieu de réagir. Le président américain a déclaré que de nouveaux tarifs sur les importations chinoises seraient la “punition ultime” pour les déclarations erronées de Pékin sur l’épidémie de coronavirus.

Trump a qualifié les tarifs de “meilleur outil de négociation” et a insisté sur le fait que les droits que son administration avait imposés jusqu’à présent, ont obligé la Chine à conclure un accord commercial avec Washington. Il a également menacé de résilier cet accord si la Chine n’achetait pas de marchandises aux États-Unis comme cela avait prévu, voire de procéder à l’annulation des avoirs chinois investis dans la dette américaine. Donald Trump a également récemment évoqué la possibilité de demander à Pékin de payer des milliards de dollars de réparations pour les dommages causés par l’épidémie.

Pression sur les Alliés

Parallèlement, les Américains accroissent la pression sur leurs alliés européens, tentés par l’adoption de la 5G chinoise où déjà engagés dans son déploiement.

A l’occasion du sommet de l’OTAN, à Londres, en décembre 2019, les Européens, ont assuré Washington de leur engagement à « garantir la sécurité de leurs communications, y compris la 5G, conscients de la nécessité de recourir à des systèmes sécurisés et résilients. » Or, en dépit des recommandations de l’OTAN et des pressions américaines, le gouvernement britannique a autorisé, en janvier, l’opérateur chinois Huawei à mettre en place des réseaux de télécommunication 5G au Royaume-Uni.

Pour Washington, « Huawei comme les autres entreprises technologiques chinoises soutenues par l’État, sont des chevaux de Troie pour l’espionnage chinois », a déclaré Mike Pompeo, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, en février 2020.

En conséquence, Washington a laissé entendre, début mai, que ses moyens de collecte de renseignements électroniques actuellement basés au Royaume-Uni, pourraient être redéployés dans un autre pays européen ayant choisi de ne pas adopter la 5G chinoise. De plus, les Américains laissent planer une menace concernant l’avenir de la base de Menwith Hill, pièce maitresse du réseau Echelon, où ils disposent d’une station terrestre de communication par satellite et d’installations d’interception exploitées en coopération avec les Britanniques. The Telegraph prête même à la Maison-Blanche l’idée de retirer jusqu’à 10 000 militaires américains du Royaume-Uni[9].

Le nouveau concept stratégique de l’OTAN

Le ciblage de la Chine permet par ailleurs à Washington de préparer les états-majors et les opinions publiques occidentales à la réactualisation du concept stratégique de l’OTAN, en cours de préparation. Le fait de désigner Pekin comme l’adversaire potentiel principal devrait être accepté par les Etats membres sous l’effet du choc de la pandémie et de ses conséquences. En revanche, le fait d’inscrire également la Russie comme autre menace majeure contre l’Alliance atlantique serait une double erreur. D’une part, car Moscou n’est en rien une menace, contre l’Europe. Il est important de ne pas se laisser influencer par l’obsession antirusse des élites américaines. Rappelons à ce titre les propos pertinents du document du Cercle de réflexion interarmées (CRI) à l’approche des prochains exercices militaires aux frontières de la Russie : « organiser des manœuvres de l’OTAN, au XXIe siècle, sous le nez de Moscou, plus de 30 ans après la chute de l’URSS, comme si le Pacte de Varsovie existait encore, est une erreur politique, confinant à la provocation irresponsable ». Pour la France, « y participer révèle un suivisme aveugle, signifiant une préoccupante perte de notre indépendance stratégique »[10].

D’autre part, une telle décision aurait pour effet de jeter Moscou dans les bras de la Chine, ce qui aurait des conséquences désastreuses. Malheureusement, de nombreux éléments laissent craindre le pire, les Américains – si personne ne leur tient tête sur ce point – en sont tout à fait capables, confirmant leur penchant à jouer les apprentis-sorciers… dont les créations se retournent généralement contre eux.

Cibler la Chine peut avoir un intérêt stratégique pour revitaliser l’Alliance occidentale et il est très probable que tous ses membres y adhèrent, car cela a du sens sur les plans stratégique et économique. Un « élargissement » de l’OTAN à certains ex-pays de l’OTASE[11] partageant cette analyse de la menace, ainsi qu’au Japon et à la Corée du Sud, pourrait même être envisageable. En revanche, cibler la Russie serait contre-productif et ferait du continent européen un nouveau théâtre de Guerre froide, sans raison valable. Il est essentiel que nous ne nous trompions pas d’adversaire et que les Européens infléchissent le concept stratégique de l’OTAN.

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La crise du coronavirus est une aubaine stratégique pour les États-Unis. Elle leur offre l’opportunité de se recréer un adversaire stratégique à la hauteur de leurs besoins. Une adversité majeure est pour eux indispensable afin de conserver leur leadership, relancer leur économie et consolider autour d’eux le camp occidental.

Observer les Américains falsifier une nouvelle fois la réalité pour réaffirmer leur leadership n’est guère rassurant mais pas surprenant. Les voir relancer une stratégie de tension, voire une nouvelle guerre froide, non plus. Cependant, en l’occurrence, leur décision est loin d’être infondée.

Jusqu’à la récente crise sanitaire, l’idée que le monde pourrait entrer dans une nouvelle ère d’affrontement semblait saugrenue ; les avoirs financiers des Etats-Unis et de la Chine semblaient si étroitement liés et leurs économies interdépendantes que l’hypothèse d’un conflit apparaissait peu probable[12].

Désormais, tous les signes annonciateurs d’une nouvelle ère géopolitique et d’une nouvelle guerre froide – dont les modalités seront en partie différentes de la précédente – sont là. La rivalité stratégique sino-américaine devrait désormais régir les relations internationales des prochaines décennies sur les plans militaire, économique, financier, technologique et idéologique. Il convient de s’y préparer.

Notes :

[1] https://www.teletrader.com/trump-saw-evidence-virus-origi...

[2] https://thehill.com/policy/healthcare/public-global-healt...

[3] Alliance des agences de renseignement des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

[4] https://www.dailystar.co.uk/news/world-news/top-secret-mi...

[5] https://www.cnn.com/2020/05/04/politics/coronavirus-intel...

[6] Cependant le différentiel des budgets reste énorme : 649 milliards de dollars et 3,2% du PIB pour les Etats-Unis ; 250 milliards de dollars et 1,9% du PIB pour la Chine (SIPRI, 2018).

[7] Principe inscrit dans l’article 22 de la Basic Law reconnue par la Chine.

[8] Cf. Eric Denécé, Géostratégie de la mer de Chine méridionale, L’Harmattan, Paris 1999.

[9] http://www.opex360.com/2020/05/07/les-etats-unis-pourraie...

[10] https://www.capital.fr/economie-politique/il-faut-se-libe...

[11] Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est. Alliance militaire anticommuniste, pendant de l’OTAN pour la zone Asie/Pacifique, ayant regroupé de 1954 à 1977, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines et la Thaïlande.

[12] La décision Washington de mettre fin aux investissements des fonds de pension américains en Chine, de limiter les détentions chinoises d’obligations du Trésor et de déclencher une nouvelle guerre des monnaies va rapidement mettre un terme aux liens financiers qui unissaient les deux économies.

*Source : Cf2R