samedi, 07 juin 2014
Castoriadis: actualité d'une grande pensée
CASTORIADIS REVISITÉ
L’actualité d’une grande pensée
Pierre Le Vigan Ex: http://metamag.fr
Serge Latouche et Cornélius Castoriadis ont beaucoup en commun. C’est pourquoi l’ouvrage du premier sur le second, décédé en 1997, est beaucoup plus qu’un ouvrage de présentation. C’est avant tout un corps à corps avec la pensée de Castoriadis. L’autonomie est le maitre mot de Castoriadis. L’autonomie du citoyen, et l’organisation de l’autonomie des collectifs de producteurs-travailleurs, cela amène logiquement à refuser la domination d’une technique monoforme au service du Capital comme rapport social et organisation productiviste de l’économie. La technique doit être plurielle, et non pas orientée en fonction des exigences de l’accumulation du Capital. L’autonomie mène ainsi directement à l’écosocialisme, ou encore, comme le dit Serge Latouche et comme le souhaitait André Gorz, à la décroissance.
Se libérer du culte de la performance technologique, redécouvrir le vernaculaire dans les pratiques, qu’elles soient de construction, de fabrication, de bricolage, etc, tout cela nous ramène au meilleur d’Yvan Illich. A la société publicitaire, à la pensée unique qui est moins une pensée qu’une somme de réflexes conditionnés, Castoriadis – et Latouche – oppose la paideia c’est-à-dire l’éducation et auto-éducation de soi sous le patronage de laquelle avait fonctionné, à la fin des années 1990, le café philosophique de la revue Eléments dont certains se souviennent.
Castoriadis avait compris une chose essentielle : le prolétariat, à l’encontre d’un certain marxisme simplifié et messianique, n’était pas porteur historiquement d’une tâche d’émancipation de toute l’humanité. Il faut simplement savoir que cette tâche ne peut pas ne pas le concerner, le traverser, à l’inverse des idées de Terra Nova qui croient que l’on peut faire comme si les classes populaires étaient définitivement sorties de l’histoire. Le sujet de l’histoire, c’est toujours le peuple, mais c’est le peuple tout entier, comme disent les zapatistes. Face aux « nouveaux maîtres du monde » ( Naomi Klein ), c’est une lutte globale d’émancipation de tout le peuple et de tous les peuples qui est nécessaire. L’exemple de l’Ukraine montre que le système mondial est prêt à tout pour activer des micro-nationalismes à l’encontre des Ukrainiens et Russes, peuples frêres, qui ont tout intérêt à la sortie d’un monde dominé par l’unilatérialisme américain. Misère des micro-nationalismes aveugles aux nécessaires alliances de civilisation et aux grands enjeux géostratégiques.
Serge Latouche, Cornélius Castoriadis ou l’autonomie radicale, Ed. le passager clandestin, 96 pages, 8 €.
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jeudi, 22 août 2013
Castoriadis : un penseur de notre temps
Castoriadis : un penseur de notre temps
Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
Le philosophe Cornélius Castoriadis, mort en 1997, reste assurément un des penseurs majeurs de notre temps. Ce « Grec moderne » avait animé, avec Claude Lefort, Jean-François Lyotard, Daniel Mothé et quelques autres la célèbre revue Socialisme ou Barbarie. L’ouvrage remarquablement complet de Jean-Louis Prat, plus qu’une simple introduction à Castoriadis, est au meilleur sens du terme une mise en examen de sa pensée. Cornélius Castoriadis allait infiniment au-delà du simple constat que le socialisme réellement existant n’était pas… socialiste. Le concept clé que reprend Castoriadis est très exactement celui que développait Engels dans sa préface à la réédition de 1888 du Manifeste du Parti communiste. C’est l’idée que le communisme désigne le mouvement ouvrier lui-même, par opposition aux socialismes bourgeois réformateurs de la société par « en haut » et par opposition aux réformateurs « médicastres » visant à soigner les « excès » du capitalisme sans mettre en cause le profit et sa logique.
En résumé, selon Engels, « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Castoriadis reprend cette idée de l’autonomie nécessaire du mouvement d’émancipation des travailleurs. Sa deuxième idée centrale c’est le refus argumenté du déterminisme historique. Non, la classe ouvrière n’est pas « naturellement » portée à accomplir sa mission historique d’auto-émancipation. Non, la baisse tendancielle du taux de profit n’est pas assurée. Contrairement aux trotskistes Castoriadis ne considère pas que l’URSS était un « Etat ouvrier dégénéré ». Il ne considérait pas non plus que c’était un socialisme d’Etat, étape pénible mais nécessaire vers un vrai socialisme. Contrairement aux théoriciens d’un déterminisme strict du développement des forces productives, Castoriadis ne pense pas non plus que le régime russe issu de la Révolution d’Octobre relevait d’un capitalisme d’Etat. C’était pour lui un capitalisme bureaucratique. C’est pourquoi Castoriadis refusa toujours à la fois la pseudo « défense de l’URSS » tout comme la pseudo « défense du monde libre ». De même il soulignera la convergence symbolique entre l’Humanité et le Figaro pour nier une des dimensions essentielles de la révolte hongroise de 1956, celle d’un mouvement ouvrier autonome de résistance à l’accumulation forcenée du capital, sous une étiquette socialiste et sous la forme réelle d’un capitalisme bureaucratique (ce qui n’exclut pas le rôle dans la révolte d’une volonté d’indépendance retrouvée de la nation).
L’opposition de Castoriadis au déterminisme économiste l’amènera à remarquer que loin d’être toujours la conséquence du développement des forces productives, la bureaucratie d’Etat peut au contraire en être l’agent créateur, comme dans le cas de la Chine « communiste ».
Déjà, George Orwell avait dénoncé les « petits professeurs (…) occupés à prouver que le socialisme ne signifie rien de plus qu’un capitalisme d’Etat plus planifié et qui conserve entièrement sa place comme mobile à la rapacité. » Castoriadis comme Orwell n’a cessé de combattre ce contresens. Il avait aussi parfaitement perçu le « nouvel esprit du capitalisme » (Luc Boltanski et Eve Chiapello) et les récupérations par le productivisme des aspirations à l’autonomie, comprenant qu’avec la société du spectacle le capitalisme engendrerait une « crise de la socialisation comme telle », c’est-à-dire amplifierait d’une manière inédite la déshumanisation de l’homme. Il avait compris que l’écologie met en cause radicalement le capitalisme, quand elle refuse le « cercle carré » du développement durable. Marxiste non dévot, Castoriadis constatait encore que la plupart des pseudos « dépassements du marxisme » constituaient en fait de pures et simples régressions. La suite ne lui a pas donné tort.
Jean-Louis Prat, Introduction à Castoriadis, La Découverte/Repères, 126 pages, 8 €.
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