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dimanche, 15 août 2021

Réflexions sur les thèses de Cornelius Castoriadis: Image de soi et servilité

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Réflexions sur les thèses de Cornelius Castoriadis: Image de soi et servilité

par Joakim Andersen

Dans nos tentatives de comprendre la psyché de la gauche libérale dans toute sa complexité auto-contradictoire, nous avons remarqué qu'elle semble fonctionner à plusieurs niveaux. Le niveau rhétorique, la ritournelle qui dit que "la diversité est passionnante", ne correspond pas toujours, ni même souvent, à la vision du monde qui semble sous-tendre la pratique réelle (où, à intervalles réguliers, on entend le mot d'ordre suivant: "maintenant, nous nous distançons de cette diversité"). Ce phénomène ne se limite pas à la "diversité", mais semble être fortement lié, faute d'un meilleur terme, aux priorités discursives du pouvoir. Dans certaines questions politiques, le pouvoir, l'establishment ou les élites sont contrariés; être de la "gauche libérale" est lié à une capacité développée de sentir quand les choses se produisent puis d'ajuster ses positions en conséquence. La femme politique de gauche germano-iranienne Sahra Wagenknecht a mentionné dans son dernier livre Die Selbstgerechten,  les slogans tels "réfugiés bienvenus", les discours écologistes sur le climat, le phénomène BLM et la pandémie comme exemples de ces marquages imposés par l'élite. Il semble possible d'établir un cycle dans lequel le pouvoir, tel un boxeur, nourrit son adversaire, le peuple, de coups de poing. Une fois que le peuple et les éléments subalternes des élites ont appris à gérer, disons, le facteur BLM, soit à la fois les arguments avancés par ce facteur et l'hystérie systémique initialement très effrayante qu'il a provoquée, il est temps de passer au coup suivant. Ce qui viendra après la pandémie est encore difficile à deviner, il pourrait s'agir d'un ennemi interne tels les "nationalistes blancs".

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Quoi qu'il en soit, cela nous amène involontairement à une observation du penseur franco-grec Cornelius Castoriadis (1922-1997). Castoriadis est surtout connu aujourd'hui comme l'un des fondateurs et l'un des contributeurs les plus fréquents de Socialisme ou Barbarie, un groupe libertaire qui critiquait notamment l'empiètement de la bureaucratie à l'Est comme à l'Ouest. Il s'est inspiré du marxisme mais a également développé une critique parfois cinglante de certains de ses éléments. Castoriadis est souvent aussi prolifique que Debord et Burnham dans son analyse de la bureaucratisation de la société moderne (ses idées sur les personnes autonomes, les types humains et la "société de l'oubli" ont déjà été abordées à Motpol). 

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Dans Une société à la dérive, il explique comment nos sociétés étaient déjà fondamentalement antidémocratiques en 1992, "nos régimes sont faussement appelés démocratiques, alors qu'en réalité ce sont des oligarchies libérales". Aujourd'hui, une telle combinaison de mots au mauvais moment aurait pu faire bannir Castoriadis de Facebook; il a amorcé une analyse, pour savoir comment cet état de fait s'est produit et s'est reproduit. Selon cette analyse, "la domination d'une oligarchie et la passivité et la privatisation du peuple sont les deux faces d'une même médaille". Le terme "privatisation" était utilisé ici dans un sens légèrement différent de celui que l'on utilise dans la Suède d'aujourd'hui, Castoriadis faisant référence au retrait des personnes dans la sphère privée de la consommation et autres niches dépolitisées. Quant à l'économie, Castoriadis souhaitait en 1992 "un véritable marché, et non, comme aujourd'hui, un marché dominé par des monopoles et des oligopoles - ou par l'intervention de l'État".

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Mais revenons au sujet. Castoriadis a posé l'hypothèse d'une dichotomie anthropologique. Pour être libre (ou autonome dans la terminologie castorienne), l'homme doit vouloir être libre. De solides forces et tendances s'y opposent, notamment la canalisation de l'énergie individuelle et collective par la société de consommation. Aujourd'hui, nous observons des tendances totalitaires plus évidentes qu'à l'époque de Cornelius Castoriadis; les citoyens ont des raisons bien réelles de craindre les dirigeants d'aujourd'hui. Et c'est précisément pour cela que ce n'est pas quelque chose que l'on dit à voix haute dans une société civilisée.

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Le lien entre cette situation et les quatre niveaux du politiquement correct est, à mon humble avis, le suivant. La plupart des gens reconnaissent l'existence de conséquences prévisibles et imprévisibles pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas jouer un rôle dans les questions où les élites ont placé et imposé leurs balises. Tout le monde sait aujourd'hui quiconque remet en question la politique d'immigration sera puni, soit directement par l'État, soit par d'autres avec le consentement plus ou moins tacite de l'État. Prétendre le contraire, c'est jouer les idiots. La "privatisation" et la logique bureaucratique que Castoriadis a identifiées signifient cependant que peu de personnes sont prêtes à risquer ces conséquences, notamment parce que beaucoup pensent qu'elles le feront seules et en vain (cette perception qu'il y a moins de critiques qu'il n'y en a réellement, d'ailleurs, sert une fonction politique et ne devrait jamais être encouragée).

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En clair, ce sont des lâches; dans les milieux dissidents, on les qualifie souvent de "moutons". Il est clair, cependant, que cela ne fait pas partie de l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, sauf dans des cas exceptionnels. L'image de soi est cruciale pour la plupart des gens. Un mécanisme psychologique veut donc qu'ils maintiennent à la fois leur image de soi et leur conformité au langage et aux réflexes idéologiques imposés en affectant une stupidité et un aveuglement sélectifs. Ils se convainquent de la justesse d'affirmations qu'ils ne peuvent pas vérifier, dialectiquement parlant, ils sont à la fois convaincus et non convaincus (tout comme ils peuvent être conscients ou non de leur stupidité sélective). Il faut savoir dans ce contexte que ce n'est pas la force des arguments qui les convainc, mais un autre processus, plus complexe. Pour certains, cette réminiscence (de la stupidité sélective pour laquelle ils ont opté) peut provoquer de forts sentiments d'agressivité à l'encontre du messager. Pour d'autres, cela peut être contre-productif, peut-être surtout pour ceux dont l'intégrité personnelle est plus forte. En tout cas, présenter les élites comme plus fortes ou plus unies, et le peuple comme plus faible, qu'ils ne le sont réellement, semble extrêmement contre-productif dans cette optique. Se déplacer uniquement sur le plan rhétorique et répondre à des arguments qui ne sont même pas honnêtes, peut dans de nombreux cas être une stratégie mieux combinée avec une méta- et/ou une psychanalyse plus risquée. Se limiter à une analyse individuelle, "tu es un mouton", n'est pas non plus juste et tactiquement correct lorsqu'il existe un contexte structurel à la lâcheté de l'individu.

Source : https://motpol.nu/oskorei/2021/08/05/sjalvbild-och-servilitet/

samedi, 12 mai 2018

La critique du Testament de Dieu de Bernard-Henry Lévy (1979)

samedi, 07 juin 2014

Castoriadis: actualité d'une grande pensée

CASTORIADIS REVISITÉ
L’actualité d’une grande pensée

Pierre Le Vigan
Ex: http://metamag.fr
cast7.jpgSerge Latouche et Cornélius Castoriadis ont beaucoup en commun. C’est pourquoi l’ouvrage du premier sur le second, décédé en 1997, est beaucoup plus qu’un ouvrage de présentation. C’est avant tout un corps à corps avec la pensée de Castoriadis. L’autonomie est le maitre mot de Castoriadis. L’autonomie du citoyen, et l’organisation de l’autonomie des collectifs de producteurs-travailleurs, cela amène logiquement à refuser la domination d’une technique monoforme au service du Capital comme rapport social et organisation productiviste de l’économie. La technique doit être plurielle, et non pas orientée en fonction des exigences de l’accumulation du Capital. L’autonomie mène ainsi directement à l’écosocialisme, ou encore, comme le dit Serge Latouche et comme le souhaitait André Gorz, à la décroissance.

Se libérer du culte de la performance technologique, redécouvrir le vernaculaire dans les pratiques, qu’elles soient de construction, de fabrication, de bricolage, etc, tout cela nous ramène au meilleur d’Yvan Illich. A la société publicitaire, à la pensée unique qui est moins une pensée qu’une somme de réflexes conditionnés, Castoriadis – et Latouche – oppose la paideia c’est-à-dire l’éducation et auto-éducation de soi sous le patronage de laquelle avait fonctionné, à la fin des années 1990, le café philosophique de la revue Eléments dont certains se souviennent.
 
Castoriadis avait compris une chose essentielle : le prolétariat, à l’encontre d’un certain marxisme simplifié et messianique, n’était pas porteur historiquement d’une tâche d’émancipation de toute l’humanité. Il faut simplement savoir que cette tâche ne peut pas ne pas le concerner, le traverser, à l’inverse des idées de Terra Nova qui croient que l’on peut faire comme si les classes populaires étaient définitivement sorties de l’histoire. Le sujet de l’histoire, c’est toujours le peuple, mais c’est le peuple tout entier, comme disent les zapatistes. Face aux «  nouveaux maîtres du monde » ( Naomi Klein ), c’est une lutte globale d’émancipation de tout le peuple et de tous les peuples qui est nécessaire. L’exemple de l’Ukraine montre que le système mondial est prêt à tout pour activer des micro-nationalismes à l’encontre des Ukrainiens et Russes, peuples frêres, qui ont tout intérêt à la sortie d’un monde dominé par l’unilatérialisme américain. Misère des micro-nationalismes aveugles aux nécessaires alliances de civilisation et aux grands enjeux géostratégiques.
 
Serge Latouche, Cornélius Castoriadis ou l’autonomie radicale, Ed. le passager clandestin, 96 pages, 8 €.