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lundi, 01 juin 2020

Sur le livre « maudit » de Thierry Maulnier

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Sur le livre « maudit » de Thierry Maulnier

par Georges FELTIN-TRACOL

Maulnier-RN-214x300.jpgThierry Maulnier, nom de plume de Jacques Louis André Talagrand (1909 – 1988), a rédigé de nombreux essais, écrit plusieurs pièces de théâtre et donné bien des préfaces. Sa bibliographie comporte cependant une omission de taille : l’absence de Révolution Nationale. L’avenir de la France. Cet ouvrage s’apparente à une sorte de fantôme dont diverses personnes ont nié son existence réelle.

Le silence de Thierry Maulnier sur ce livre est peut-être dû à un ensemble de facteurs liés à la période de l’après-guerre. Outre son titre, ce recueil de vingt-six textes paraît en 1942 à l’« Édition du gouvernement général de l’Indochine » domiciliée à Hanoï. Son impression a par conséquent bénéficié de toutes les autorisations de la part des services de censure locale. Sachant qu’il est alors très difficile aux représentants de l’État français en Extrême-Orient de communiquer correctement avec les autorités à Vichy, il était quasi impossible de penser que Thierry Maulnier a eu connaissance de cette publication. Il s’agirait d’une édition pirate officielle…

Un livre non souhaité

On peut très bien en revanche envisager qu’un fonctionnaire du bureau de propagande du gouvernement général soit un lecteur attentif de Maulnier. Avant de venir au Tonkin, il lisait probablement le mensuel de Maulnier et de Jean de Fabrègues, Combat, et L’Insurgé de Maulnier et de Maurice Blanchot. Maréchaliste convaincu, ce fonctionnaire voit dans l’auteur d’Au-delà du nationalisme le plus amène d’expliquer la Révolution nationale. Avec l’assentiment de sa hiérarchie, ce responsable de propagande en Indochine choisit les articles les plus pertinents et les agence autour de six grands thèmes. Ainsi y trouve-t-on une contribution de 1934, des articles de La Revue Universelle, du Figaro, de Candide et du Jour – Écho de Paris, souvent repris par le Journal de Shanghaï qui assure un lien ténu entre la métropole, le monde et la communauté française d’Indochine.

thMnietzsche.jpgCette hypothèse expliquerait la non reconnaissance de cette édition par Thierry Maulnier d’autant que la même année sort chez Lardanchet La France la guerre et la paix. Dans cet autre recueil, voulu celui-ci par Maulnier, se trouvent trois textes présents dans Révolution Nationale : « Guerre mondiale et Révolution nationale » à l’identique dans les deux ouvrages tandis que les premiers paragraphes de « Rester la France » et « La médiation française » ont été réécrits pour cette parution. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Thierry Maulnier publie chez Gallimard Violence et Conscience qui « a été écrit en 1942 et 1943 (p. 1) » et qui contient une version modifiée et enrichie à partir du deuxième paragraphe de « Révolution prolétarienne et réaction patriarcale ». En 1946, chez un jeune éditeur moins consensuel, La Table Ronde, paraît Arrière-pensées qui réunit des chroniques « écrites et publiées entre le printemps de 1941 et le printemps de 1944 (p. 5) ». Par rapport à Révolution Nationale, on relit souvent dans une version modifiée, voire changée, « Les poseurs de rails », « Avant l’assaut », « Erreurs de jeunesse », « L’assaut des médiocres », « Les “ intellectuels ” sont-ils responsables du désastre ? », « Un jugement sur Racine », « L’art et l’éducation », « Polémique d’ancien régime » et « L’esprit français est-il coupable ? » qui s’intitule dans Révolution Nationale « Controverses sur l’esprit français » (1). On suppose que les textes qui forment Révolution Nationale proviennent directement des périodiques. Dans le cas des recueils autorisés, Thierry Maulnier a retravaillé certains passages afin de les lier aux autres textes et d’en donner une cohérence interne évidente.

Révolution Nationale. L’avenir de la France séduit les autorités proconsulaires françaises. Ses articles développent un point de vue proprement national français qui ne cède ni au camp du « Ja », ni à celui du « Yes » et encore moins à celui du « Da ». Cette position favorable à une « quatrième voie » se rapproche de l’attitude du capitaine de cavalerie Pierre Dunoyer de Segonzac, le « Vieux Chef », et de ses élèves de l’École des cadres d’Uriage (2). Tous pensent que « se renier et chercher ailleurs des modèles, c’est, tout comme s’abandonner, une manière de subir, de déchoir et enfin de mourir, avertit Maulnier. La France n’a qu’un moyen de se sauver, et c’est de continuer d’être (p. 13) ». Seule l’action résolue d’une révolution nationale effective facilitera le maintien et le renouvellement français surtout si on conçoit « la Révolution nationale [… comme] une œuvre de destruction et de construction positives (p. 220) » (3).

Pourquoi la révolution nationale ?

Il faut cependant prendre garde à ne pas encore verser dans les anciens clivages stériles, funestes et incapacitants. Thierry Maulnier proclame que « la Révolution Nationale sera réaliste ou ne se sera pas (p. 215) ». Ainsi renonce-t-il aux controverses de l’entre-deux-guerres entre « matérialistes » et « spiritualistes ». « La Révolution nationale n’est pas matérialiste, assure-t-il. Mais elle n’est pas non plus uniquement idéaliste, et l’idéalisme est peut-être un des dangers qui la menacent le plus (p. 118) ».

552176_medium.jpgEn outre, « le destin de la Révolution nationale, poursuit-il, est précisément de ne se laisser attirer ni par l’ancienne gauche, ni par l’ancienne droite : d’attirer au contraire en elle l’ancienne gauche et l’ancienne droite pour abolir en elles leurs stériles contradictions et pour les anéantir (p. 82) ». Voilà pourquoi « c’est dans la révolution nationale et dans la révolution nationale seule que la France peut aujourd’hui trouver les moyens de guérir ou plutôt de renaître, faire éclater la vigueur d’un génie qui survit intact à ses blessures, affirmer son droit à la vie (pp. 76 – 77) ». Il devient évident que « c’est sur nous et nous seuls que nous devons compter pour créer une civilisation où il nous soit possible de vivre (p. 55) ».

Fidèle à la ligne maurrassienne de la « seule France », le chroniqueur militaire à L’Action Française et au Figaro Thierry Maulnier déplore qu’« un certain nombre de Français cèdent aujourd’hui à une passion singulière, qui est celle de l’humiliation, pour ne pas dire de la servitude (p. 7) ». « La révolution nationale ne saurait être qu’une révolution qui libère, ajoute-t-il. Elle est aux yeux de tous les Français un moyen de retrouver la France et de lui rendre une personnalité inaliénable, non pas un moyen de la soumettre, politiquement, économiquement ou spirituellement, à d’autres peuples. Elle ne saurait donc se confondre avec cette autre forme plus subtile de la servitude qui s’appelle l’imitation (pp. 39 – 40). » Selon Maulnier, « les Français savent très bien que le salut pour eux est dans la révolution nationale française, non dans l’adhésion de la France à un “ national-socialisme ” ou à un “ fascisme ” international. Une révolution nationale reçue de l’étranger est contradictoire dans les termes (pp. 38 – 39) ». La rédaction de Je Suis Partout ne peut pas ne pas réagir à de pareilles saillies typiquement « vichystes » (4).

mythes-socialistes.jpgThierry Maulnier conçoit la Révolution Nationale, on l’a vu, comme la matrice d’un nouvel ordre français. « Il faut créer de nouvelles mœurs, de nouvelles valeurs et de nouveaux modes de pensée (p. 71). » Comment ? Ce qu’il propose convient au fonctionnaire de la propagande à Hanoï qui a classé les textes à sa disposition. « refaire une nation, c’est d’abord se donner les moyens de la refaire. C’est d’abord occuper et réorganiser l’État (p. 22). » l’auteur s’intéresse aux interactions psychiques, sociales et politiques entre le « Chef », l’élite et le peuple. « La nature de l’autorité n’est pas seulement d’accroître la force ou pour mieux dire l’efficacité de ceux qui lui obéissent; elle est de métamorphoser cette force en une force de qualité supérieure (p. 204). » Cependant, « l’autorité elle-même, pour atteindre à toute sa vertu, a besoin à son tour de la collaboration de ceux sur qui elle s’exerce. Elle perd beaucoup de son efficacité, s’il ne lui est donné qu’une obéissance passive et comme inerte (p. 205) ». Cela signifie restaurer ce qui est à l’origine de la nation française : l’État. « C’est le pouvoir qui devait donc être rétabli ou refait avant toute chose : c’est l’ensemble des moyens d’exécution; c’est l’État. C’est par l’État que la reconstruction française à commencer (p. 23). »

En quête d’héroïsme volontariste

L’auteur de La crise est dans l’homme s’intéresse par ailleurs à l’esprit français qui doit animer en amont cette nécessaire restauration nationale. Défendant René Descartes et Jean Racine, il voit en Pierre Corneille, qu’il qualifie de « plus grand des poètes de la volonté (p. 192) », comme « l’un des plus actuels de nos maîtres parce qu’il est le poète de la personnalité (p. 196) ». Il se lance dans une comparaison entre l’héroïsme de Frédéric Nietzsche et de celui de Pierre Corneille. Pour lui, l’héroïsme cornélien « est l’effort de l’homme pour se conquérir lui-même, pour atteindre le plus haut degré humain de domination de la nature humaine, d’indépendance et de responsabilité (pp. 193 – 194) ». Il en profite au passage pour déplorer qu’« en trois siècles, de Richelieu à M. Lebrun [le dernier président de la IIIe République décadente], l’âge moyen des membres de l’Académie française était passé de vingt-sept à soixante-dix ans (p. 213) ». L’ironie fera que Thierry Maulnier entrera sous la Coupole du quai Conti en 1964 à l’âge de 55 ans !

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La référence à Corneille et à Racine n’est pas anodine. De formation littéraire, cet épris du « Grand Siècle » ludovicien recherche un volontarisme héroïque indépendant de l’enseignement de l’« Allemand » de Sils-Maria. Il souhaite par des figures volontaristes et héroïques insuffler un dynamisme nouveau au peuple de France trop longtemps léthargique et avachi. « devant ses vainqueurs et devant l’histoire, il est impossible qu’un peuple ne soit pas jugé solidaire, au moins jusqu’à un certain point, des institutions qu’il a, sinon choisies, du moins tenues pour acceptables et tolérées (p. 5). » S’il ne veut pas une révolution nationale inspirée des exemples allemand et italien, il propose néanmoins une « révolution intellectuelle et morale » d’un peuple traumatisé par la raclée de mai – juin 1940. Sous la direction du Maréchal Pétain (qu’il ne cite jamais), il croit que « la France reprend conscience d’elle-même nationalement et politiquement, non seulement pour sauvegarder son existence dans des circonstances difficiles, mais pour reconstruire de bas en haut, tous les rapports et toutes les valeurs de sa civilisation, pour faire une “ révolution nationale ”. Ensuite, que la situation où se trouve la France est si particulière, qu’elle lui permet, ou plutôt qu’elle lui impose, une “ révolution nationale ” plus étendue et plus complète que celles des autres pays (pp. 29 – 30) ».

La_face_de_Méduse_du_[...]Maulnier_Thierry_bpt6k3355720d.JPEGLa Révolution Nationale doit de facto « dès maintenant nous préparer à une paix qui pourrait être pour nous, sin nous n’y prenons garde, plus redoutable que la guerre elle-même (p. 44) ». Il lui assigne donc une tâche ardue : fondre toutes les contradictions nationales dans un seul môle. En effet, « le drame du monde moderne vient de ce que les valeurs dont la composition merveilleuse et l’équilibre sans cesse en mouvement font une société harmonieuse ont commencé de se séparer les unes des autres, de s’exclure les unes les autres avec une fanatique intolérance, de s’amplifier jusqu’au mythe et d’exercer leur ravage anarchique en visant d’une vie monstrueusement indépendante (pp. 52 – 53) ». D’où cette mentalité française qui s’installe facilement dans la routine. « Si les Français se sont montrés inférieurs à d’autres peuples, au cours des cinquante dernières années, ce n’est pas dans la vitalité, ce n’est pas dans le jaillissement des sources créatrices, c’est dans l’organisation, l’utilisation, l’exploitation de leurs ressources. Ils n’ont pas été dépassés dans l’ordre de l’invention scientifique, mais dans celui des applications industrielles (p. 11) ». Il ne pointe pourtant pas la cause pratique de ces échecs répétés : une administration de plus en plus bureaucratique qui freine ou noie toute initiative originale afin de rester dans un moule normatif confortable. Il n’entend pas que la Révolution Nationale s’affadisse ou s’embourbe dans le marais des ministères incapables de se faire obéir de ses fonctionnaires.

Au service d’une France européenne et impériale

Thierry Maulnier l’imagine comme une synthèse des valeurs actuelles. « Liberté et autorité, coordination de tous les efforts au service de la communauté et indépendance des personnes, souveraineté de l’État et droit des individus, capital et travail; droit et force, recherche du bien-être et acceptation du sacrifice, tradition et progrès, statisme et dynamisme, stabilité des institutions et libre développement des énergies vivantes, droit et force, technique et culture, bonheur et courage, les antagonismes du monde moderne ne sont que les antagonismes de vérités incomplètes (pp. 51 – 52) ». De ce constat découle l’obligation d’une révolution nationale française qui intégrera et réordonnera ces vains antagonismes dans un sens français. Ne s’agit-il pas là de la fonction de la France dont « le rôle de médiatrice […] lui appartient par vocation (p. 67) » ? Attention néanmoins ! « La médiation dont nous parlons est celle qui consiste dans la construction d’un ordre; elle ne se situe pas au “ juste milieu ” entre les extrêmes qui se combattent, elle tend à dépasser les contradictions et à aller au-delà, là où le problème est résolu (p. 67). »

L’auteur comprend bien que « la conciliation des contraires est pour la France la loi même de son existence nationale. De tous les peuples, elle est celui dont la composition est la plus complexe, dont le sol, la race et l’esprit sont formés du plus grand nombre d’éléments hétérogènes, dont les activités sont les plus diverses (pp. 59 – 60) ». Toujours à la suite de Charles Maurras, il rappelle qu’« il n’y a pas de sang français pur, il n’y a pas de type ethnique français (5). Le peuple français est le produit non du sang, mais de l’histoire, il n’est parvenu à se donner une unité que par une lente et délicate élaboration, par la fusion patiente dans le creuset commun d’apports hétérogènes (p. 63) ».

Thierry-MAULNIER-LA-PENSÉE-MARXISTE-1948.jpgThierry Maulnier pense par conséquent que « la France n’est pas le pays de la mesure : mais elle est, géographiquement, historiquement, socialement, moralement, intellectuellement, le pays de la conciliation des contraires (p. 59) ». Malgré la Débâcle de 1940, le pays vaincu conserve des atouts. Ceux-ci reposent sur sa géographie. L’auteur se lance dans une succincte et pertinente analyse géopolitique qui bouscule la fameuse et sempiternelle dualité Terre – Mer. La « complexité de notre civilisation nous est imposée par notre sol lui-même. Solidement établie au cœur de l’Europe, la France regarde en même temps vers toutes mers, et la géographie l’attache en même temps aux peuples continentaux et aux peuples maritimes qui se disputent en ce moment la prééminence. L’Allemagne n’est qu’européenne (6), l’Angleterre n’est qu’impériale (7) : la France est européenne et impériale en même temps. On en a vu les conséquences dans l’histoire militaire : celle de l’Allemagne n’est guère que terrestre, celle de l’Angleterre n’est guère que marine. Tout au long de son histoire, la France a dû se battre sur terre et sur mer en même temps (pp. 60 – 61) ». Encore de nos jours, l’Hexagone républicain se voit tiraillé entre un projet pseudo-européen germanocentré sous la houlette étatsunienne, une francophonie « grand remplaciste » métisseuse mondialisée et un monde atlantique anglo-saxon auquel il se rattache indirectement par la Normandie et la rémanence territoriale de la Grande Louisiane et de la Nouvelle-France des XVIIe et XVIIIe siècles… Terre de contrastes majeurs parce que « continentale et maritime, agricole et urbaine, européenne et impériale, nationaliste et humaniste, unitaire et régionaliste, religieux et rationaliste (8), particulariste et cosmopolite, pacifique et guerrière, la France concentre en elle toutes les contradictions de l’univers et a fait sa civilisation et sa vie, passablement heureuse et glorieuse au cours des siècles, de ces mêmes contradictions (p. 65) ».

Une révolution économique et sociale

Cette médiation géo-politique trouve son équivalent dans le champ économique et social. En observant le national-socialisme allemand et le fascisme italien, Thierry Maulnier remarque que « le nationalisme européen n’a accompli sa deuxième étape qu’en prenant conscience de soi comme antidémocratique dans l’ordre politique, et antilibéral ou anticapitaliste dans l’ordre économique et social (p. 32) ». La Révolution Nationale a une ambition socio-économique similaire. La troisième partie du recueil, « La Révolution Nationale et les problèmes sociaux », comprend huit articles, tous de haute volée, en particulier le sixième intitulé « Sociaux ou Socialistes ? (pp. 143 – 147) ». Si le socialisme sonne trop marxiste, « social » laisse entendre une signification réactionnaire, sauf si entre en jeu le caractère révolutionnaire du redressement national, cette « organisation d’une société nouvelle où le travail ne sera pas le serviteur docile du capital, où le produit du travail ne sera pas la propriété exclusive du capital (p. 144) ».

Thierry Maulnier reprend des accents de L’Insurgé en 1937. « Nos théoriciens politiques, de Maurras à Sorel, ont été les premiers maîtres des révolutions contemporaines (p. 12). » Il s’en prend bien sûr à « la mythologie libérale [qui] n’est en fin de compte que la méthode de domination d’une certaine partie de la société sur les autres parties (p. 102) ». Il pointe « la démocratie libérale et capitaliste [qui] avait affaibli l’État français, livré la politique française aux intérêts financiers, aux intrigues internationales et aux passions populaires, désorganisé la production française, affaibli en fin de compte la valeur technique et morale de l’armée elle-même (pp. 7 – 8) ». Il soutient que « la liberté dans le régime démocratique n’est point, conformément aux apparences, la liberté pour chacun de vivre, d’agir et de penser à sa guise sous la protection des lois, mais la liberté conférée à l’argent d’étendre indéfiniment dans la vie sociale la domination des moyens de puissance qui lui sont propres (p. 107) ».

thierry-maulnier-un-itineraire-singulier.jpgEspérant que « la structure économique de la France de demain sera corporative (p. 119) », Thierry Maulnier se plaît à souligner au nom d’une future et éventuelle convergence des révolutionnaires nationaux de « droite » et des révolutionnaires sociaux de « gauche » que « l’opposition légitimiste approuva les révoltes ouvrières contre la monarchie bourgeoise et libérale de Louis-Philippe (p. 121) ». Parce que « la Révolution Nationale n’est pas le régime de la facilité : elle demande et doit demander à chacun la patience dans l’effort et le sacrifice (p. 139) », son rôle « est précisément d’arracher le travail à cette dégradation qu’il subit dans l’exploitation capitaliste et dans les réactions qu’elle provoque (p. 137) » en s’appuyant sur un corporatisme renaissant à expérimenter. Il est clair qu’« anticapitaliste, [la Révolution Nationale] ne se confond ni avec la réaction patriarcale ni avec la révolution prolétarienne. […] Elle est la révolution d’une société qui ne se renie pas pas, mais obéit à sa loi interne d’un présent qui ne transforme le passé que pour l’accomplir (pp. 124 – 125) ». N’est-ce pas la définition exacte d’une révolution conservatrice ?

Probablement non souhaité ni encouragé par un auteur distant de plusieurs milliers de kilomètres, Révolution Nationale. L’avenir de la France n’en reste pas moins la preuve d’une tentative dans la première moitié des années 1940 de renouveler les idées nationalistes et sociales dans une orientation conservatrice et révolutionnaire. Ce livre – rare et « maudit » – demeure un témoignage tout à fait pertinent dans le cadre de l’histoire des idées politiques non-conformistes du siècle dernier.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Certains textes dans Révolution Nationale sont des extraits incomplets du Figaro. D’autres articles commencent dans Arrière-pensées au deuxième ou troisième paragraphe des textes lus dans Révolution Nationale. Dans « Polémique d’ancien régime » paru dans Arrière-pensées, Thierry Maulnier rend anonymes les noms de Ludovic-Oscar Frossard et d’Édouard Herriot et modifie la conclusion en changeant « révolution nationale » en « reconstruction française ».

2 : cf. le remarquable travail de Bernard Comte, Une utopie combattante. L’École des cadres d’Uriage 1940 – 1942, préface de René Rémond, Fayard, coll. « Pour une histoire du XXe siècle », 1991. On lira aussi Michel Bergès, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années 40, préface de Jean-Louis Loubet Del Bayle, Economica, coll. « Publications du Centre d’analyse politique comparée », 1997.

3 : Proche de certains cénacles de l’État français, Thierry Maulnier accepte que certains de ses articles soient repris par Jeunesse… France !, la revue officielle de l’École d’Uriage. Ses livres figurent dans les listes de lecture proposées par l’encadrement de l’école à ses stagiaires. Bernard Comte rappelle qu’en juillet 1941, Thierry Maulnier aurait dû donner une conférence à Uriage sur « Vérités et erreurs du nationalisme », mais il dut l’annuler pour une raison inconnue (Bernard Comte, op. cit., pp. 235 – 236).

4 : cf. collectif, Je Suis Partout. Anthologie (1932 – 1944), préface de Philippe d’Hugues, Auda Isarn, 2012.

5 : Cette assertion peut être contredite. Cf. par exemple Charles Becquet, L’ethnie française d’Europe, avant-propos de Hervé Lavenir, préface de Marcel Thiry, Nouvelles Éditions latines, 1963.

6 : C’est-à-dire continentale.

7 : Comprendre puissance coloniale de première importance.

8 : Le texte écrit « nationaliste », ce qui est certainement une coquille.

mardi, 28 octobre 2014

Présence de Thierry Maulnier

Présence de Thierry Maulnier

A propos d'une monographie par Georges Feltin-Tracol
 
par Christopher Gérard
Ex: http://www.salon-littéraire.com
 
 
r069.jpegItinéraire singulier que celui de Jacques Talagrand (1909-1988), mieux connu sous son pseudonyme de L’Action française, Thierry Maulnier. Normalien brillantissime, condisciple de Brasillach, de Bardèche et de Vailland, Maulnier fut l’un des penseurs les plus originaux de sa génération, celle des fameux non conformistes des années 30, avant de devenir l’un des grands critiques dramatiques de l’après-guerre, ainsi qu’un essayiste influent, un chroniqueur fort lu du Figaro, et un académicien assidu. Un sympathique essai tente aujourd’hui de sortir Maulnier d’un injuste purgatoire, moins complet bien sûr que la savante biographie qu’Etienne de Montety a publiée naguère, puisque l’auteur, Georges Feltin-Tracol, a surtout puisé à des sources de seconde main. Moins consensuel aussi, car ce dernier rappelle à juste titre le rôle métapolitique de Thierry Maulnier, actif dans la critique du communisme en un temps où cette idéologie liberticide crétinisait une large part de l’intelligentsia, mais aussi du libéralisme, parfait destructeur des héritages séculaires. Car Maulnier, en lecteur attentif des Classiques, savait que l’homme, dans la cité, doit demeurer la mesure de toutes choses sous peine de se voir avili et asservi comme il le fut sous Staline, comme il l’est dans notre bel aujourd’hui. Feltin-Tracol souligne par exemple le fait que, peu après mai 68, Maulnier s’impliqua aux côtés d’un jeune reître au crâne ras, qui avait tâté de la paille des cachots républicains, dans l’animation d’un Institut d’Etudes occidentales qui influença la toute jeune nouvelle droite. L’activiste en question s’appelait Dominique Venner, futur écrivain et directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire…

Le digne académicien, le ponte du Figaro, n’avait pas oublié sa jeunesse d’orage, quand, exaltant Nietzsche et Racine dans deux essais mémorables, il critiquait les mythes socialistes ou nationalistes, et analysait cette crise de l’homme européen dont nous ne sommes pas sortis, en tout cas par le haut. Héritier de Maurras, mais de manière critique et sans servilité aucune (posture moins courante qu’on ne le croit chez les intellectuels français, si friands d’obédiences et de chapelles, si perinde ac cadaver ), Maulnier prôna dans des brûlots tels que L’Insurgé (dangereusement proche de la Cagoule, comme me le dit un jour le délicieux Pierre Monnier, salué comme il se doit dans la jolie préface de Philippe d’Hugues) ou Combat une révolte spirituelle (et agnostique), aristocratique (etlibertaire), conservatrice (et personnaliste), aux antipodes des mises au pas rouges ou brunes. Son credo peut se résumer par une phrase de son vieux maître provençal : « un ordre qui est une tendresse tutélaire pour la chair et l’âme des hommes et des choses, à qui il permet de naître, de grandir, et de continuer d’être ». En un mot comme en cent, la subversion classique, celle-là même qu’illustra l’écrivain Jacques Laurent.

782273.jpgPenseur lucide et inquiet, sensible au déclin d’une Europe fracturée, Maulnier ne cessa jamais de réfléchir au destin de notre civilisation, notamment en faisant l’éloge de Cette Grèce où nous sommes nés, qui « a donné un sens bimillénaire à l’avenir par la création d’une dialectique du sacré et de l’action, de l’intelligence héroïque et de la fatalité ». Ces simples mots, aussi bien choisis qu’agencés, montrent que Maulnier ne fut jamais chrétien, mais bien stoïcien à l’antique – ce qui le rapproche de la Jeune droite des années 60.  

Insulté par la gauche idéologique, calomnié par la droite fanatique, tenu pour suspect par les bien-pensants (un sportif qui lisait Nietzsche !), Maulnier fut un homme relativement isolé, qui n’adouba nul disciple. Voilà une raison de plus pour lire Maulnier, ses Vaches sacrées, sa lumineuse Introduction à la poésie française, qu’il composa avec son amie de cœur, la future Pauline Réage.

Christopher Gérard

Georges Feltin-Tracol, Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier, Ed. Auda Isarn, octobre 2014, 106 p., 18€

> Voir aussi Etienne de Montéty, Thierry Maulnier, Julliard.

mardi, 21 octobre 2014

Singulier Maulnier!

 

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Singulier Maulnier !

par Bastien VALORGUES

 

Notre rédacteur en chef adulé, Georges Feltin-Tracol, est décidément très prolifique ces derniers temps. Plus de trois semaines après la sortie aux éditions Les Bouquins de Synthèse nationale, d’un essai très remarqué, En liberté surveillée, le voici qui récidive en publiant aux éditions Auda Isarn Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier.

 

Dense et concis, cet ouvrage évite le superflu. Il raconte le parcours de l’académicien, dramaturge, journaliste, moraliste et homme d’idées Thierry Maulnier. La concision est voulue. Il importe de donner à découvrir au jeune public, victime des programmes de « délecture » de la « rééducation non-nationale », de grandes figures intellectuelles. Il On compte même un cahier photographique.

 

Depuis sa disparition en 1988, Thierry Maulnier se trouve au purgatoire des idées. Guère réédités, ses ouvrages sont maintenant difficiles à dénicher hors des bouquinistes. Grand connaisseur de l’histoire des idées politiques contemporaines, Georges Feltin-Tracol n’évoque que brièvement l’œuvre théâtrale de ce membre de l’Académie française élu en 1964. Le préfacier Philippe d’Hugues le regrette. Le livre aborde surtout des thèmes occultés ou ignorés par le journaliste Étienne de Montety, dont le premier titre fut en 1994 un Thierry Maulnier récemment réédité.

 

 

848628.jpgNé en 1909, Thierry Maulnier est le pseudonyme de Jacques Talagrand. Issu d’une famille de professeurs, piliers de la IIIe République, il reçoit paradoxalement une instruction d’autodidacte de la part d’un père méfiant envers le système scolaire. Le jeune Jacques ne découvre donc le lycée qu’à seize ans à Nice. Il y fait preuve d’une incroyable nonchalance, qui frôle la plus grande paresse, et d’une érudition stupéfiante. Séjournant très vite chez ses grands-parents maternels en région parisienne, le lycéen à la haute taille acquiert une réputation assumée de dilettante. Bachelier, il se plie néanmoins à l’injonction conjointe de ses parents divorcés et s’inscrit en classe préparatoire : il doit intégrer l’École nationale supérieure et décrocher une agrégation, passage obligé pour une carrière d’enseignant prometteuse.

 

Là, il y côtoie des condisciples appelés Maurice Bardèche ou Robert Brasillach, et s’y fait des amitiés durables. Espiègle et facétieux, le futur Maulnier s’enthousiasme pour le théâtre, la vie nocturne parisienne et la bibliothèque de la rue d’Ulm. Lecteur de la presse militante royaliste, il se lie à l’Action française et s’approche de Charles Maurras. Il commence bientôt à rédiger dans cette presse. Afin d’éviter les foudres administratives et parentales, Jacques Talagrand collabore à des périodiques engagés et adopte un pseudonyme.

 

Lecteur avide et grand adepte de l’effort physique sportif, Thierry Maulnier apparaît dans les années 1930 comme l’un des principaux meneurs de la Jeune Droite, cette tendance post-maurrassienne des non-conformistes de la décennie 30. Sans jamais rompre avec Maurras, Maulnier s’en émancipe et développe ses propres réflexions politiques et intellectuelles, quitte à encourir parfois les vives critiques du « Vieux Maître ». Il s’implique dans des revues plus ou moins éphémères (Rempart, La Revue du XXe siècle, Combat, L’Insurgé). Cet activisme éditorial, amplifié par la parution d’ouvrages majeurs tels que La Crise est dans l’homme (1932),  Mythes socialistes (1936) ou Au-delà du nationalisme (1937), se complète par un engagement furtif dans l’Action française et dans quelques ligues. Parallèlement, il collabore au Courrier royal du comte de Paris et commence une œuvre philosophique, littéraire et poétique avec Nietzsche (1933) et Racine (1935).

 

Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier s’attarde sur sa vie privée. Avant d’épouser l’actrice Marcelle Tassencourt en 1944, il éprouve dans la seconde moitié des années 30 une puissante passion avec Dominique Aury alias Anne Desclos, future Pauline Réage de la fameuse Histoire d’O (1954). Jacques Talagrand paraît tirailler entre ces deux femmes quand bien sûr leurs liaisons sont consécutives. Dominique Aury et Marcelle Tassencourt forment une polarité féminine stimulante pour Thierry Maulnier. En effet, Dominique Aury attise les feux de la radicalité : tous deux se passionnent pour la poésie, la polémique et le roman. Vers 1939, Thierry Maulnier commence un roman qui restera inachevé. Marcelle Tassencourt recherche pour son futur époux la renommée : ils aiment le théâtre, en dirigent un à Versailles et s’éloignent des controverses. Même après sa rupture avec Dominique Aury, Thierry Maulnier balancera toujours entre le repli théâtral et l’investissement politique.

 

Ses tergiversations sont paroxystiques au cours de la Seconde Guerre mondiale. Réfugié dès 1940 à Lyon, Thierry Maulnier écrit dans L’Action française et, sous la signature de Jacques Darcy pour Le Figaro, des contributions militaires attentivement lues par les occupants, Londres, les résistants et les responsables de Vichy. S’il approuve l’orientation générale de la Révolution nationale, il conserve néanmoins des contacts avec certains résistants et se ménage plusieurs sorties. Cet attentisme ainsi que ce double (voire triple ou quadruple) jeu sont dénoncés par ses anciens amis de Je suis partout. Cette réserve lui permet à la Libération d’échapper aux affres de l’Épuration ! Mieux, de nouveau dans Le Figaro refondé, il prend la défense publique des « réprouvés » parmi lesquels Maurice Bardèche et Lucien Rebatet.

 

Certes, l’après-guerre le détache de l’action (méta)politique. Il se lance dans la mise en scène de pièces classiques ou de ses propres pièces. Thierry Maulnier tient l’éditorial au Figaro, accepte de nombreuses préfaces et peut s’engager plus politiquement.

 

Georges Feltin-Tracol s’appesantit sur la participation de Thierry Maulnier à l’Institut d’études occidentales cofondée avec Dominique Venner au lendemain de Mai 1968. Si l’I.E.O. s’arrête trois ans plus tard avec de maigres résultats, il ne s’en formalise pas et soutient bientôt bientôt la « Nouvelle Droite ». Il assistera au XIIe colloque du G.R.E.C.E. en 1977 et acceptera de siéger dans le comité de patronage de Nouvelle École. Conservateur euro-occidental favorable à l’Europe libre et fédérale, il fustige le communisme, le gauchisme culturel et la menace soviétique sans se faire d’illusions sur la protection américaine, ni sur une véritable révolution des rapports sociaux au sein des entreprises en promouvant une véritable cogestion des travailleurs dans leurs entreprises.

 

Le soir de sa vie le fait moraliste avec sa tétralogie, Les Vaches sacrées. Dommage que l’auteur ne s’y arrête pas assez ! Mais c’est peut-être une partie remise grâce à un travail à venir d’une biographie intellectuelle complète. Beaucoup de ses détracteurs se sont gaussés d’un trajet qui, commencé aux confins du maurrassisme et du non-conformisme, s’acheva au Figaro et à l’Académie française. Et pourtant, on se surprend d’y relever plus de cohérence dans cette vie qu’on ne le croît. Georges Feltin-Tracol le démontre avec brio !

 

Bastien Valorgues

 

• Georges Feltin-Tracol, Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier, préface de Philippe d’Hugues, Auda Isarn, 112 p., 18 €, à commander à Auda Isarn, B.P. 90825, 31008 Toulouse C.E.D.E.X. 6, chèque à l’ordre de Auda Isarn, port gratuit !

 


 

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