Parution du n°459 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Yoann Loisel
La guerre, en vérité
Une lettre de Paul Bonny à Céline [1961]
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Maurice Joly et le grand engourdissement de la France
Par Nicolas Bonnal
« Un égoïsme dur et féroce était entré dans les mœurs en même temps qu’une froide démoralisation » : Maurice Joly et le grand engourdissement de la France vers 1860 (la Question brûlante)
Je poursuis mon enquête sur le présent permanent: un Etat fou et totalitaire, une masse toujours plus abrutie se rebellant vaguement de temps en temps. L’Etat totalitaire vient nous exterminer globalement et localement avec l’informatique maintenant, tout se passera comme à la parade.
C’est Flaubert qui dit après le putsch de Badinguet: « 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. »
Régime autoritaire, retors et moderne, industriel et policier le Second Empire est l’inventeur du monde moderne. Marx ne s’y trompe pas, qui lui consacre son fabuleux Dix-Huit Brumaire.
J’ai déjà parlé de Maurice Joly et des Entretiens qui auraient influencé les Protocoles. Un lecteur me conseille la Question brûlante sur Wiki source : c’est génial et cela ne fait que trente pages.
Joly écrit :
« Il ne faut pas s’étonner si ce noble pays est resté immobile pendant douze ans: las de vicissitudes politiques, épuisé d’agitations, désabusé de ses erreurs, il n’a pas encore eu le temps de refaire sa pensée; il se cherche et ne se trouve pas. Nourri dans le matérialisme des idées modernes, il a oublié momentanément qu’il avait une âme; il lui suffisait de vivre sous un gouvernement habile à protéger ses intérêts. »
Le peuple est déjà vieux et fatigué – il est saturé et désabusé : voyez mes Chroniques sur la fin de l’histoire qui commencent par Chateaubriand et sa fabuleuse conclusion des mémoires.
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Joly ajoute :
« D’où vient qu’il ne trouve rien autour de lui que des voix depuis longtemps asservies, et que lui-même, sans doute, il ne compte pas ? D’où vient que l’opinion ne se rallie pas, ne se manifeste pas, ne fait explosion nulle part ? Osons le dire : C’est qu’il n’y a pas d’opinion, c’est qu’il n’y a que des individus, c’est qu’il n’y a que des intérêts ; c’est que tous les ressorts de la France sont, non pas brisés, Dieu me garde de dire un tel mot, mais si profondément détendus, qu’il n’y a plus nulle part ni action ni pensée. Le mal est profond, il est terrible, il est pire que l’agitation peut-être, car l’agitation, c’est la vie du moins ; l’atonie, c’est le commencement de la mort. »
Drumont aussi parlera d’atonie vers 1885 quand il constate que, la république définitivement installée sur le cadavre du peuple, le froncé se moque de tout. Mais le cadavre social, français ou occidental, met du temps à pourrir, c’est tout.
Le sujet de cet essai c’est la réforme libérale voulue par Napoléon III :
« Cette prostration de l’esprit public ne devait point échapper à l’Empereur ; il n’entendait point sans doute régner sur des ombres. »
Le problème est qu’on a déjà une crise morale et religieuse : « toute idée religieuse était détruite, une haine sauvage animant les uns contre le culte de leur pays, une indifférence incurable formant chez les autres une sorte de plaie indolente ; les caractères étaient détrempés, les esprits avaient perdu tout ressort ; aussi l’art, qui n’est que l’expression d’une époque, était-il descendu au même niveau, montrant partout les froides empreintes d’un siècle sans génie ; la littérature avilie se traînait dans le ruisseau ; le théâtre, qui, lui aussi, est l’expression des mœurs, n’était plus qu’un réceptacle où l’ineptie donnait rendez-vous à la licence. »
Après les fastes du romantisme la littérature décline ; il reste Flaubert et Baudelaire que l’on veut d’ailleurs envoyer en prison.
Comme Tocqueville ou Guénon – et même Jouvenel, Joly en veut à la monarchie d’avoir liquidé les Grands – les aristos ; on récolte la classe moyenne (qui se nourrit de l’Etat, explique Tocqueville) et la dictature bureaucratique ; haine pour la bourgeoisie :
« Le gouvernement de Louis XIV et celui de Richelieu furent étrangement imprévoyants, il faut en convenir, en favorisant sans mesure l’essor de la bourgeoisie : l’un en décapitant les restes de l’autocratie féodale, l’autre en ruinant la noblesse dans les fêtes et en l’asservissant au milieu du faste de sa cour. 1789 est le résultat final de leur politique. »
Effondrement du personnel politique :
« …en vain formait-on coalition sur coalition pour escalader le pouvoir et y faire arriver les plus agissants. Pas un homme solide ne se présentait en scène ; on ne voyait que des pygmées se montant sur le dos les uns des autres, et dégringolant aux grands éclats de rire de la foule. »
Joly, qui sous-estime la satanique résilience du bourgeois, éprouve plus de sympathie pour le peuple. Mais bon, le peuple: beaucoup d’appelés (sous les drapeaux), peu d’élus (à la Chambre !):
« Demandez donc aux masses déplorablement égarées de 48, si elles se sentaient incarnées dans la bourgeoisie comme le Saint-Esprit dans la Trinité. Non, la bourgeoisie n’est pas le peuple ; le peuple avec ses grands instincts, sa haute moralité, n’entend pas qu’on le confonde avec la bourgeoisie ; il veut être lui et il est lui, ne fût-ce que par cette distinction profonde qu’il n’a rien et que la bourgeoisie possède, qu’il vit de son travail quotidien et que la bourgeoisie est émancipée du labeur, qu’elle est parvenue et que lui cherche à parvenir… »
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L’abêtissement général est déjà une évidence (voyez mon texte sur Maxime du Camp) :
« Les beaux ouvrages dont une foule de rares génies ont doté la France sont bien plus connus à l’étranger qu’ils ne le sont en France, où personne ne les lit ; des livres pleins de frivolité, de sottises et quelquefois de turpitudes, sont seuls en possession de la faveur publique. »
On est déjà avec cet individu distrait et lâche, dont parlera Julius Evola :
« Mais ce qui est plus grave, c’est une absence de volonté, un défaut de persévérance, une mobilité qui fait tout entreprendre et tout quitter. Le moindre obstacle décourage, la moindre adversité terrasse. »
Et nous sommes entourés de Macron et d’Attal – et de Dussopt :
« C’est plus que jamais le règne des petits hommes, des hommes d’antichambre, des hommes de coulisse ; il semble qu’une mystérieuse conspiration les pousse, les élève, les caresse, ce sont les mœurs du sérail. Où sont donc nos vertes franchises et notre vieil esprit gaulois ? »
Joly écrit même que « le peuple français n’ose plus moquer ouvertement tous ces Gitons... »
On essaie d’éviter le fisc (aujourd’hui seuls le peuvent les plus riches) : « la masse du public en France ne comprend seulement pas le principe de l’impôt ; on n’y satisfait qu’avec douleur ; pour beaucoup de gens, se soustraire aux charges de l’État n’est pas une mauvaise action, voler le gouvernement n’est pas voler, c’est reprendre son bien à un ennemi qui a toujours les mains dans vos poches. »
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Fin de l’opinion publique et des grands hommes :
« Non, je le répète, il n’y a pas d’opinion publique en France, je vais plus loin, je dis qu’il n’y a pas de libre-arbitre. À part quelques hommes qui se sont fait des principes et des idées personnelles à force d’étude et de méditation, le plus grand nombre vit sur une provision de lieux-communs qui passent de main en main comme de la monnaie. »
Avant la télé on est bien abruti par la presse. Car la galaxie Gutenberg aura fait de nous des couillons :
« Ce sont partout les mêmes mots, les mêmes phrases qui reviennent à l’oreille, et ces mots, ces phrases sont toutes faites depuis vingt ans. La Presse a habitué le public à prendre chaque jour sa pâtée d’idées toute formulées ; — voyez plutôt ce qui se passe : jamais le public ne jugera par lui-même un homme, un livre, une brochure ; la Presse lui dit : tel livre vient de paraître, c’est fort beau, il le lit ; la Presse lui dit : on joue ce soir telle pièce, c’est magnifique, il y court. Ainsi du reste. »
Le public cocu reste content : « et ce qu’il y a de plus fort, le public est trompé, dupé, on se rit de lui en face il croit, il croit toujours ; il lui suffit que les choses soient imprimées, sa déconvenue de la veille ne lui dessille pas les yeux le lendemain. »
Le grand engourdissement est là pour durer :
« Mais il est douteux que le pays sorte si tôt de son engourdissement. Nul mouvement d’opinion n’a précédé ni suivi cette crise, l’atonie persiste en présence du remède le plus salutaire : c’est un symptôme que le siège du mal est profond. »
Sources :
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Question_br%C3%BBlante
https://www.dedefensa.org/article/karl-marx-et-notre-etat...
https://www.dedefensa.org/article/gustave-flaubert-et-not...
https://www.dedefensa.org/article/chateaubriand-et-la-con...
https://www.dedefensa.org/article/maurice-joly-et-le-gouv...
https://www.dedefensa.org/article/bernanos-et-drumont-fac...
https://lesobservateurs.ch/2023/02/28/tocqueville-et-le-g...
https://www.dedefensa.org/article/maxime-du-camp-et-le-de...
19:13 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurice joly, littérature, littérature française, 19ème siècle, lettres, lettres françaises | |
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Prôner la grève de l’électeur avec Octave Mirbeau
Sélection de Nicolas Bonnal
Depuis deux siècles et demi nous nous faisons escroquer, ruiner, remplacer, exterminer et priver de nos libertés par nos élus, maires et députés, ministres et présidents. Cette fois sur fond de russophobie et de Reset nous allons y passer pour de bon et être liquidés par nos élus et ceux qui les ont mis là - comme candidats (RN y compris). Prônons la seule grève générale et totale qui compta alors : celle de l'électeur. Par Octave Mirbeau, écrivain anarchiste ami de Léon Bloy et inspirateur de Luis Buñuel. Le jour des élections mettez les piquets de grève : pas d'élu, pas de génocide et pas de guerre ; pas d'élu, pas de misère ; pas d'élu, pas de lois ; pas d’élus, pas de reset et pas de dette.
Mirbeau (1888) :
Une chose m’étonne prodigieusement — j’oserai dire qu’elle me stupéfie, c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? Et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.
Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je comprends M. Chantavoine s’obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel, parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin !
Il est bien entendu que je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l’électeur « qui la connaît » et qui s’en moque, de celui qui ne voit dans « les résultats de sa toute-puissance » qu’une rigolade à la charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à celui-là, c’est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n’a cure du reste. Il sait ce qu’il fait. Mais les autres ?
Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu’ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Par ma volonté, Floquet fait des lois auxquelles sont astreints trente-six millions d’hommes, et Baudry d’Asson aussi, et Pierre Alype également. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver qu’il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ?
À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baïhaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage, fleurir et s’épanouir dans Vergoin et dans Hubbard des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.
Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.
Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de donner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.
⁂
Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent, chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.
Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.
Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.
Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.
Octave Mirbeau.
(1888)
21:08 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : octave mirbeau, nicolas bonnal, élections, électeurs, scrutin, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | |
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Parution du n°459 du Bulletin célinien
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Entretien avec Yoann Loisel
La guerre, en vérité
Une lettre de Paul Bonny à Céline [1961]
Sous l’Occupation, Céline bénéficiait dans la presse collaborationniste du statut de “prophète”. C’est que, dans ses terribles brûlots d’avant-guerre, il avait prédit l’imminence du danger et le péril d’un conflit dans lequel la France serait entraînée. « Ne tirez pas sur le prophète » s’exclame, par exemple, Robert Brasillach en janvier 1942 lorsque des exemplaires des Beaux draps sont saisis en zone non occupée. Sera-t-il un jour considéré par certains comme le prophète du “grand remplacement” ? Certes il n’était pas le seul à s’inquiéter. « C’est une immense tragédie que la diminution de la race blanche, sa disparition… », confiait Paul Morand peu de temps avant sa mort. Au journaliste qui lui demandait pourquoi cette disparition l’affligeait particulièrement, il répondait tout uniment : « Parce que c’est ma race. » Dans un ouvrage savant consacré à ce sujet, on ne s’étonne pas de voir Pierre-André Taguieff consacrer tout un chapitre à Céline. Il est précisément intitulé : « La fin de la “race blanche” : Céline prophète ». Truffé de nombreuses citations, ce chapitre montre, si besoin était, que ce fut chez lui une préoccupation constante, non seulement à l’époque des pamphlets, mais jusqu’à la fin.
Est-ce chez certains célinistes un sujet tabou ? Le simple fait d’avoir posé une question sur le racialisme célinien à un auteur dont le livre récent fait précisément le lien entre cette obsession et le sentiment de décadence a suscité chez lui des pudeurs de gazelle et le refus d’accorder un entretien. Dans le même ordre d’idées, ceux qui se disent soulagés de ne pas être confrontés à une telle thématique dans les romans d’après-guerre montrent qu’ils ne les ont pas bien lus. Ces livres, tout autant que les interviews de l’époque, fourmillent d’observations de ce genre. Le chapitre que nous propose Taguieff en constitue une sorte de florilège. « L’homme blanc est mort à Stalingrad » est une sentence qu’il prononce, à plusieurs reprises, au début des années soixante. Lorsqu’une journaliste du Monde lui demande ce qu’est, selon lui, le tragique de notre temps, la réponse fuse : « C’est Stalingrad. Ça, comme catharsis ! La chute de Stalingrad c’est la fin de l’Europe. Il y a eu un cataclysme. L’épicentre c’était Stalingrad. Là on peut dire que c’était fini et bien fini, la civilisation des Blancs. »
Son refus du métissage est tout aussi emblématique : « Le monde devient peu à peu comme le Brésil. Le grand mélange. Brasilia capitale du Monde. » Ambivalence toujours dans le cas de Céline : ailleurs, il précise : « Le métissage ne veut pas dire mauvaise santé. Il y a bien un peu de bizarrerie mentale, mais ce n’est pas gênant. Et çà a tout de même fait des Alexandre Dumas, des Pouchkine, des Leconte de Lisle, des Heredia, des Gaugin, et une immense partie du personnel artistique. » On aura compris que, pour lui, ces exceptions ne doivent pas constituer la loi générale. Pierre-André Taguieff affirme que les projections démographiques permettent de prévoir qu’à l’horizon 2050 les États-Unis deviendront un pays majoritairement non blanc. Nul doute que Céline eût été conforté dans ses prédictions par ce constat. Constat ne signifie pas théorie complotiste. Demeure la crainte d’une page qui se tourne. L’auteur, lui, tient à se tenir à égale distance de l’angélisme des adeptes du “politiquement correct” et du catastrophisme de ce qu’il nomme les “nationalistes exaltés”, qui dénoncent, écrit-il, l’« immigration-invasion ». Mais n’est-ce pas l’expression qu’utilisait, voici déjà trente ans, un ancien président de la République ?
• Pierre-André TAGUIEFF : Le grand remplacement ou la politique du mythe, Éditions de l’Observatoire, 2022, 328 p. (23 €)
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Femmes savantes, Harpagons, malades imaginaires: sur la prodigieuse actualité de Molière…
Nicolas Bonnal
Dans mes deux livres Littérature et conspiration et Chroniques sur la Fin De l’Histoire j’ai essayé de dater les débuts du monde moderne. Je suis tombé d’accord avec Guénon (Crise du Monde moderne) pour jeter la coulpe au siècle de Louis XIV. Bien avant le bourgeois louis-philippard d’Audiard on a le bourgeois moliéresque, celui qui fait dire à George Dandin : - Tu l’as voulu, George Dandin, tu l’as voulu…
Le bourgeois de Molière est un idiot malmené par sa femme. Sa femme savante est déjà woke et hostile à la chair sous toutes ses formes : elle ne se rêve que gnostique et spirituelle. Elle est déjà en mode Reset. Elle hait l’homme qui la craint.
Ce bourgeois est un produit créé artificiellement; Fukuyama parle d’un produit fabriqué à l’époque de Hobbes sans doute pour s’accommoder d’une société matérialiste, athée, et d’un pouvoir digne du Léviathan. Taine dans ses Fables de La Fontaine a parlé aussi d’un produit bourgeois qui se développe avec les monarchies fortes. Et Marx comprend dans son Dix-Huit Brumaire que le bourgeois s’accommode d’un Etat fort parce qu’il transforme ses enfants en fonctionnaires et en retraités, tout en tapant sur les ouvriers: de Louis-Napoléon à Macron cela n’a guère changé.
Molière a peut-être appartenu à des sociétés savantes ou semi-secrètes, libertines et matérialistes (pensez à Gassendi, Cyrano, Spinoza, à Descartes et ses animaux machines), mais il est surtout l’héritier des grands comiques grecs et romains qui dépeignent aussi une humanité tuméfiée par la vie en ville et l’Etat gréco-romain omniprésent (voyez mes textes sur Ibn Khaldun ou Fustel de Coulanges); et il pressent une sous-humanité présente et à venir, petite, avare, médiocre, vieille, bigote, crédule, fan de gazettes, fascinée par les aristos, les riches ou les VIP (bourgeois gentilshommes); c’est un monde limité et médiocre qui s’installe depuis le crépuscule du Moyen Age. Le pullulement des Tartufes et des hypocrites comme Don Juan – tous entourés d’Orgon crétinisés ou de Sganarelle guettant leurs gages – donne une vision claire du monde dénoncé plus tard par les romantiques ou les surréalistes.
Vers le milieu du Siècle dit Grand, les Grands perdent leur guerre (la Fronde); le baroque décline et devient classicisme. La muse soit apprendre à marcher droit. Comme dit Hugo dans une merveilleuse préface: les autres peuples disent Dante, Goethe, Shakespeare; nous disons Boileau. A la même époque D’Artagnan vieillit (c’est dans Vingt ans après) et devient un fonctionnaire à turbans. Il s’adonne dit Dumas à une méditation «transfenestrale» - tant il s’emmerde (1).
Mais le couple plus génial de Molière c’est Géronte et c’est Harpagon, c’est nos vieillards génocidaires: Schwab, Biden, Soros ou Rothschild, les vieux de la vieille qui veulent nous mettre à la portion congrue, et qui se sont adjoint les services des Dorante et Scapin. Les racailles unies aux vieillards argentés, quelle aubaine...
Le reste est littérature.
Sources :
On verra que je suis cette transcendantale question depuis longtemps :
https://www.les4verites.com/societe/le-malade-de-moliere-...
https://www.dedefensa.org/article/comment-fukuyama-expliq...
https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/07/08/lecons-liber...
https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/07/21/lecons-liber...
https://www.amazon.fr/grands-auteurs-th%C3%A9orie-conspir...
https://www.amazon.fr/Chroniques-sur-lHistoire-Nicolas-Bo...
(1) « Ainsi étendu, ainsi abruti dans son observation transfenestrale (la télé ! La télé !), d’Artagnan n’est plus un homme de guerre, d’Artagnan n’est plus un officier du palais, c’est un bourgeois croupissant entre le dîner et le souper, entre le souper et le coucher ; un de ces braves cerveaux ossifiés qui n’ont plus de place pour une seule idée, tant la matière guette avec férocité aux portes de l’intelligence, et surveille la contrebande qui pourrait se faire en introduisant dans le crâne un symptôme de pensée. »
https://www.les4verites.com/societe/le-malade-de-moliere-et-les-depenses-de-sante
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Livres
"Entretien avec Ionesco", redécouverte d'un penseur encombrant
par Riccardo Rosati
Source: https://www.barbadillo.it/75125-libri-intervista-con-ionesco-alla-riscoperta-di-un-pensatore-scomodo/?fbclid=IwAR0JqjRwt6WSOWtEKSjV71iUMUfSd0lQAXv12C6161yUQn9KRpBWw1mnJyA
Au printemps 1985, Rome a accueilli dans ses murs anciens et immortels Eugène Ionesco (1909-1994), le grand dramaturge français d'origine roumaine. L'auteur d'œuvres d'une importance cruciale pour le théâtre contemporain telles que La Leçon (1951) et Rhinocéros (1959) a accordé à cette occasion une interview pour le moins décisive à Giuseppe Grasso, spécialiste des lettres françaises, qui a eu la grande chance de pouvoir deviser à l'écrivain, alors âgé de 76 ans.
Ionesco logeait dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Grand Hôtel St. Regis, l'un des plus beaux, et non vulgairement luxueux, hôtels de la capitale. L'interview est parue en juin de la même année dans le journal romain Il Popolo dans une version très abrégée. Aujourd'hui, grâce également à la sensibilité culturelle de l'éditeur Solfanelli, des Abruzzes, cette conversation voit enfin le jour dans son intégralité, offrant aux chercheurs en lettres françaises - y compris l'auteur de ces lignes - et pas seulement, un document extrêmement important qui devrait être valorisé dans la recherche sur le terrain, car il offre une contribution qui nous apporte des données factuelles, c'est-à-dire ce qui fait le "sang et le corps" d'une recherche académique efficace et non auto-référentielle.
Une conversation avec un grand auteur
Le texte dont nous parlons éclate comme un nuage d'où surgissent les mots sous la forme d'une quasi "tempête". Un raisonnement, celui que Grasso stimule chez Ionesco, plein de sollicitations pour le lecteur, composé de références, de noms et de lieux d'une géographie idéale, dessinant métaphoriquement une cartographie de l'horizon culturel composite de cette thématique, autant qu'un auteur talentueux. En outre, Ionesco n'a jamais eu peur d'exposer ses convictions, comme, par exemple, son manque de sympathie pour certaines positions socialistes et progressistes. C'était une "offense" grave dans la France - tout aussi grave, voire pire, dans l'Italie - de l'époque, où des écrivains tels que Philippe Sollers et Jean-Paul Sartre étaient, à notre avis, appréciés bien au-delà de leurs mérites littéraires simplement pour avoir pris ouvertement parti pour les gauches ; c'est-à-dire le parti qui, pendant des décennies, dans les bons salons d'Europe, a été considéré, sans la moindre critique, comme le seul et l'unique. De telles catégories idéologiques, comme on peut également le comprendre à la lecture de ce volume, ne convenaient pas à un artiste comme Ionesco, et il ne pouvait en être autrement dans le cas du véritable inventeur du "théâtre de l'absurde".
Si aujourd'hui cette longue conversation voit enfin le jour dans une version plus étendue, ce n'est pas par caprice de l'auteur, qui a mis la main à la pâte en reprenant les enregistrements originaux, mais en réponse à une particularité qui justifie sa re-proposition sous forme de livre: l'interview est un document et les pages qui la composent constituent un "texte", c'est-à-dire qu'elles donnent vie à une forme essayistique très particulière comme celle du "parlé", en l'occurrence sur le théâtre et la poétique de Ionesco, dont les mots étaient aussi inconfortables hier qu'aujourd'hui; nous ajouterons même que le monde globalisé craint l'intelligence, surtout quand elle est non-conformiste, et celle du notable dramaturge franco-roumain l'était certainement.
Le spécialiste chevronné ès-littérature française qu'est Grasso assume ici pleinement le rôle de l'intervieweur, réalisant qu'il s'adresse à un géant de la littérature, et qu'il fallait profiter de cette occasion, ce qu'il fait avec beaucoup de dévotion, sans toutefois faire un complexe d'infériorité. En fait, il est sûr de lui et pose des questions précises, sachant où "regarder", comment viser, à quoi s'attendre, malgré l'imprévisibilité de son interlocuteur pointu. Grasso sollicite le maître en face de lui sans aucun scrupule; il le marque, le presse, ne le ménageant que parfois, car il ne manque pas d'exprimer son désaccord ou de proposer des idées différentes. Mais lorsqu'il accepte d'être heureusement dépassé, il est déterminé à ramener un résultat concret, et c'est dans le caractère concret de la pensée exprimée par Ionesco que réside la qualité de cette publication, dûment élaborée par son éditeur. En substance, qu'est-ce qui en ressort ? Trois bonnes heures de conversation !
On découvre les pensées d'un écrivain "mal à l'aise".
L'interview est un genre littéraire problématique. Aujourd'hui comme jamais auparavant, la capacité à poser des questions a été complètement perdue. On s'offusque ou, plus souvent encore, on se plie en quatre, on flatte sans vergogne, passant de ce qui serait un service culturel à un véritable service idéologisé. Heureusement, ce n'est pas le cas avec le livre de Grasso. Ionesco lui-même explique ce qui est peut-être la principale tâche de l'écrivain, à savoir "poser des questions" et non "proposer des solutions" (21).
Le texte s'ouvre sur une introduction très utile de la journaliste Simone Gambacorta, qui précise qu'il s'agit également d'un "livre de liaisons", car il établit des liens et indique des perspectives. Gambacorta rappelle avec force l'importance de savoir mener un entretien. Nous pouvons presque appeler cela un "sous-métier" du journalisme, qui ne se réalise pas simplement en posant des questions, mais ce qui compte c'est : "[...] avoir quelque chose à dire" (5). Et Ionesco parle, se confesse presque, tout en restant toujours solennel. De ses paroles, on comprend la raison qui a poussé Grasso à emprunter le sous-titre du texte à une œuvre de l'intellectuel roumain Emil Cioran (1911-1995): De l'inconvénient d'être né (1973). La citation ouverte de l'éditeur à cet auteur raffiné et, injustement, encore peu étudié, sanctionne avec acuité une parenté de désenchantement; comme l'atteste d'ailleurs le court essai de Ionesco A propos de Beckett, qui conclut le volume et n'en dit pas moins sur l'écrivain que sur l'auteur de En attendant Godot (1952).
Ionesco et Beckett, unis par la même dénonciation inexorable, à la différence que le premier est plus "politique", tandis que le second est plus mental, comme l'explique également l'éditeur: "Par rapport à Beckett, dont le nihilisme apparaît beaucoup moins humoristique, centré avant tout sur le vide, Ionesco émet au contraire un cri étourdi face au vide, signalé par le rire" (29). Cette comparaison incite à mieux cadrer l'existentialisme de Ionesco qui, à la différence de son collègue irlandais, est vital, tendant à rejeter les raisonnements d'évasion: " La chose la plus absurde est d'être conscient que l'existence humaine est inacceptable... et, malgré tout, de s'y accrocher désespérément, conscient et affligé parce que destiné à perdre ce qu'on ne peut supporter [...]" (23).
Ainsi, l'inconvénient d'être chez Ionesco est une reconnaissance des choses, et non une "attente" stérile, bien que suggestive, comme nous le trouvons dans l'opus beckettien. À cet égard, Ionesco revendique légitimement, à notre avis, la paternité de ce que le critique et écrivain hongrois Martin Esslin (1918-2002) a défini pour la première fois comme le "théâtre de l'absurde". L'académie internationale, en revanche, a toujours désigné Beckett comme l'initiateur de ce courant littéraire, puisque les œuvres de Beckett ne visaient pas à ne rien raconter, mais faisaient plutôt du néant leur raison d'être. Pour sa part, Ionesco ne s'est jamais caché derrière "l'absurde"; au contraire, il s'en est servi comme d'un poinçon pour tenter de démêler le vide mental de l'âge moderne, ses nombreuses hypocrisies. Il va sans dire que, par le passé comme aujourd'hui, dire la vérité, peu importe de quelle manière, est considéré comme dangereux pour une certaine Pensée unique qui dirige l'Occident depuis des décennies. Ce système de pouvoir culturel a maintes fois changé de nom et de forme, mais son essence malveillante est restée intacte, et sans aucun scrupule, nous affirmons que de ce Mal, Ionesco se considérait fièrement comme un ennemi.
Ionesco, un anti-moderniste ?
Stylistiquement, on trouve dans le livre, surtout dans la partie qui précède l'interview, une sorte de contraste entre l'écriture de Grasso, avec une recherche parfois "baroque" de lemmes et l'alternance de phrases courtes et longues, qui est alors l'une des prérogatives d'un titan comme Joseph Conrad, et tout le monde ne peut pas être lui, dirions-nous, avec l'exactitude des réponses de Ionesco. Cependant, au final, le résultat global est fondamentalement harmonieux et la lecture est agréable. En outre, l'éditeur a le mérite, ainsi que le courage, de cadrer les idées de Ionesco dans une perspective que l'on pourrait qualifier de traditionaliste: "[...] l'homme, désarticulé de la transcendance, est un être englouti par les sables mouvants de l'insignifiance et du dérisoire, riche de ses déguisements, de ses soucis, de ses mesquineries" (22). Tout cela nous incite à poser de nouvelles bases dans l'étude de cet écrivain, c'est-à-dire une évaluation critique de Ionesco comme l'un de ces nombreux antimodernes dignes de ce nom dont les positions humaines et politiques ont été délibérément mal comprises.
La force de ce dramaturge, ce qui l'a rendu parfois impopulaire dans certains milieux, est que "son" vide n'en est pas un, puisqu'il est empreint d'un scepticisme structuré, à tel point que le terme "absurde" n'est utile que pour définir sa forme, mais pas son essence, si l'on considère, comme l'explique Grasso, qu'avec le théâtre Ionesco entendait : "[...] dénoncer, sans fausse modestie, la crédulité et l'absurdité de la condition humaine, vues comme les plaies [sic ! ] endémiques de l'homme bourgeois moyen" (22).
Entretien avec Ionesco pourrait presque être jugé comme un livre "méta-théâtral", le prologue critique de l'éditeur préparant le lecteur à l'action théâtrale, tout comme dans les textes dramaturgiques, lorsqu'au début de chaque acte est décrite la scène dans laquelle les personnages vont évoluer. Et cet entretien qui prend la forme d'une pièce de théâtre se déroule en un seul acte, dans la confrontation verbale entre deux protagonistes isolés du reste du monde, rappelant paradoxalement le style de son "rival" Beckett.
Néanmoins, ce livre a aussi sa propre valeur pour la recherche, étant un excellent "outil" pour saisir la littérature française tout court, permettant d'aborder avec profit la lecture et la compréhension de cet auteur. Le "ton" de l'interview que Grasso recueille peut se résumer à l'hostilité bien connue de Ionesco envers Victor Hugo: "Il reste donc sa vie, sa grande éloquence, qui m'a toujours irrité et énervé, sa grande vanité littéraire; et le grand homme parfait, c'est-à-dire la "nullité" faite personne" (37). Une fois de plus, le dramaturge se montre sans fausse modestie, allant s'attaquer à l'une des plus pompeuses des idoles littéraires transalpines, car il possédait une sorte de "mauvaise intelligence", une caractéristique qui a fait la grandeur de Louis-Ferdinand Céline, et qui fait qu'il n'a pas peur des canons et des jugements.
Ainsi, cette rencontre à Rome il y a des années nous rappelle que l'opinion est quelque chose qui nous accompagne toujours, même si nous essayons souvent de la cacher avec crainte ou, pire encore, avec hypocrisie. Si, en revanche, on a l'intention de la jeter à la face du monde, comme Ionesco l'a fait avec ses œuvres et ses idées, alors il faut en être capable; en d'autres termes, être à la hauteur de ses idées préconçues et de ses idiosyncrasies.
Il en va de même pour les positions politiques particulières de Ionesco, que Grasso encadre parfaitement en le décrivant comme un "démonteur de faux mythes" (31), notamment du communisme. C'est une autre raison pour laquelle il n'est pas apprécié par l'intelligentsia européenne qui, depuis des décennies, contribue à démolir tous les piliers de la culture du Vieux Continent. Nous partageons également les réflexions de Gambacorta dans sa présentation, qui nous incitent à redéfinir Ionesco une fois pour toutes comme un antimoderne: "[...] il savait bien comment la véritable perversion globale consistait en la prévalence de l'historique sur le métaphysique [...]" (6). Ce n'est donc pas une coïncidence si l'écrivain considérait que le "réalisme", qui est le vieux dogme de la gauche, était presque pernicieux, étant synonyme d'"engagement"; un mot en soi vide et canalisant souvent des imbroglios intellectuels et des mensonges: "La littérature réaliste est complètement fausse parce qu'elle tend à s'immiscer dans la démonstration" (11). Tout ceci devrait suggérer l'inclusion de Ionesco dans les rangs de ces penseurs anti-système d'origine roumaine tels que Cioran, Camilian Demetrescu et Mircea Eliade, déjà mentionnés, à qui nous devons une puissante défense d'une culture solide, mais non immuable, et profondément spirituelle.
En résumé, Gambacorta fait à nouveau allusion de manière suggestive à une "consonance esthétique" (10) entre l'interviewé et l'intervieweur dans ce petit volume savant où il nous incite à considérer la vie essentiellement comme une tromperie divine, un concept nodal dans la vision du monde de Ionesco. Pour comprendre le grand auteur franco-roumain, il est peut-être utile de le juxtaposer une fois de plus à son collègue irlandais, et le fait que Beckett soit néanmoins présent dans ce texte est un grand enrichissement, afin d'avoir une idée complète du Théâtre de l'Absurde. Ainsi, Ionesco exprime, a de la vigueur; tandis que Beckett laisse ponctuellement planer un doute qui prend la forme d'une attente qui sent souvent la maladie, proposant un théâtre certes de grande qualité, mais à sa manière exécrable.
À l'inverse, Eugène Ionesco, malgré sa désillusion sur le sens même de la vie, nous apparaît comme tout sauf renonçant. En effet, en parfait antimoderne, il était peu attaché à l'existence en tant que fait matériel, mais ne s'est certainement pas ménagé dans la lutte contre les mensonges du progrès.
Giuseppe Grasso, Intervista con Ionesco - L'inconveniente di essere nati (avec un essai de l'auteur sur Beckett), Chieti, Solfanelli, 2017.
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Parution du n°458 du Bulletin célinien
Sommaire :
La biographie de Gen Paul
Rentrée scolaire 1900, rue de Louvois
Un dessinateur inattendu de Voyage. Le sculpteur Alfred Bottiau
L.-F. Céline sur Internet
Quand Charles Plisnier revenait sur son engouement pour Voyage au bout de la nuit.
On se souvient qu’à l’occasion du 30e anniversaire de la mort de Brasillach, l’historien Pascal Ory, partisan résolu de l’abolition de la peine de mort, avait déclaré qu’en février 1945, il aurait volontiers « figuré parmi les douze hommes qui exécutèrent au petit matin le condamné Robert Brasillach »¹. Pierre-Yves Rougeyron, militant de droite souverainiste, fait tout aussi bien. Faisant allusion au sort des manuscrits de Céline à la Libération, il clame : « Il fallait lui laisser ses œuvres, il fallait pas les piquer. C’est lui qu’il fallait pendre. C’est là où je suis très gaulliste : moi, je touche pas aux œuvres, c’est aux hommes que je touche. »². Cet épurateur au petit pied comprend-il que si l’on avait liquidé Céline en 1944, nous eussions été privés d’une grande part (et non la moindre) de son œuvre ? Mais cet admirateur éperdu de Malraux n’en a certainement cure. Quant à l’auteur des Quatre jeudis, notre justicier à rebours ne fait pas davantage dans la dentelle : « Brasillach, je l’aurais flingué de mes mains. » [sic]. Vouant aux gémonies tous les écrivains de la Collaboration, sait-il que son idole voyait en Drieu la Rochelle « l’être le plus noble » qu’il ait jamais connu ? Mais un militant obtus peut-il comprendre ce genre de paradoxe ? Malraux forçait peut-être même son talent en déclarant que « Drieu n’a jamais trahi la France, même sous l’Occupation. » Rougeyron s’en remettra-t-il ?
Sur cette période, bien des légendes circulent. Et il arrive que l’on parvienne à en créer de nouvelles dès lors que certaines affabulations sont reprises. Dans un livre récent, un prétendu historien – il n’en a pas la formation – affirme que « depuis l’arrivée des occupants, [Céline] ne cesse d’envoyer des lettres à l’ambassade d’Allemagne ou à la Wehrmacht [sic], par lesquelles il exige un durcissement des mesures raciales. »³. La seule correspondance adressée à un officiel allemand que l’on connaisse est celle adressée à son ami Epting, directeur de l’Institut allemand, où il ne demande rien de ce genre. À moins que l’auteur ne détienne une correspondance inédite de Céline à Otto Abetz ainsi qu’à quelque hiérarque de l’armée allemande ? Passons…
Dans le genre bobard étincelant, signalons aussi une vidéo sur Gen Paul dans laquelle une “spécialiste”4 affirme ceci : « L’amitié entre Paul et Céline a probablement été l’une des plus importantes dans la vie des deux hommes, mais elle est devenue de plus en plus difficile, lorsque Céline s’est engagé à promouvoir ses idées plus que controversées, qui engendrera la rupture entre les deux hommes. » Vous pouvez me croire : la dame prononce cette phrase sans ciller. Comme on le sait, la rupture qu’elle évoque intervint bien après que Gen Paul eut accompagné Céline à l’ambassade d’Allemagne (février 1944), et auparavant à Berlin (mars 1942). Ignore-t-elle aussi que, cette même année 42, l’artiste illustra Voyage et Mort à crédit ? Étonnant pour une experte en œuvres artistiques… Que n’a-t-elle lu, avant son exposé, la biographie de Gen Paul par Jacques Lambert qui vient d’être rééditée.
Notes:
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Parution du numéro 457 du Bulletin célinien
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Londres : splendeur et misère des courtisanes
Guerre traduit en créole
Londres face à la critique
Entretien avec Émeric Cian-Grangé
Notre Rabelais [1939]
Maurice Nadeau, troisième service.
La parution du second manuscrit inédit, Londres, a suscité beaucoup de commentaires dont nous rendons compte dans ce numéro. Certains estiment que ces textes n’auraient pas dû être publiés. C’est le cas de Yann Moix, par ailleurs admirateur de l’écrivain, qui reproche, d’une part, à Gallimard d’avoir cédé aux pressions relatives à la réédition des pamphlets, et, d’autre part, d’avoir édité « de manière tout à fait cynique un roman de Céline qui est, en fait, un brouillon de brouillon de brouillon [sic] de Voyage au bout de la nuit. » Ce qui, selon lui, « abîme la réputation de Gallimard pour très longtemps. »¹ Il évoquait alors uniquement Guerre, le second inédit n’étant alors pas encore paru. Et faisait sienne l’hypothèse (fallacieuse) selon laquelle ce texte date de 1932. Accusation absurde : d’un auteur majeur, on souhaite tout connaître, même les brouillons qui, sans être destinés à la publication en l’état, apportent un éclairage inédit sur une période d’écriture féconde. Nul doute que si Moix était édité par Gallimard, il serait moins intransigeant. Henri Godard a raison de rappeler que l’œuvre proprement dite est constituée des romans que Céline a publiés lui-même, le reste étant à considérer comme des documents de genèse. Ce qui est précisément bien le cas des deux inédits qui sont apparus. Tout au plus pourrait-on reprocher à Gallimard de les avoir édités dans la fameuse collection “Blanche”, et non pas, par exemple, dans les Cahiers Céline où ils auraient eu naturellement leur place.
Mais va-t-on reprocher à une maison d’édition, qui est aussi une entreprise commerciale, de rentabiliser au mieux deux inédits d’un de ses écrivains-phares ? Affirmer, par ailleurs, que ces textes n’auraient dû trouver leur place qu’en annexe d’une édition de la Pléiade est faire bon marché de l’exigence économique la plus élémentaire, d’autant que Guerre s’est déjà vendu à plus de 150.000 exemplaires. Le reproche émane, cette fois, de l’universitaire italien Pierluigi Pellini². Selon lui, le fait de publier ces textes comme des romans à part entière fausse la réception de l’œuvre. Désormais, dit-il, des milliers de personnes n’ayant jamais lu Voyage au bout de la nuit ou Guignol’s band auront lu Guerre et Londres qui leur donneront une fausse image de l’écrivain. Cette appréciation est-elle fondée ? Il faudrait pouvoir vérifier que les nombreux acheteurs de ces inédits sont majoritairement de nouveaux lecteurs découvrant l’œuvre de Céline et non pas d’anciens lecteurs qui s’y replongent. Dans un article récent, un journaliste a relevé qu’en quatre mois, de mai à août 2022, les ventes en collection de poche (Folio) ont déjà augmenté de 50 % par rapport à l’année dernière³. Chaque année, Gallimard vend environ 20.000 exemplaires (en poche) des livres de Céline. Or, cette année le chiffre de 30.000 a déjà été atteint. La parution de ces inédits fait donc, au contraire, naître un nouvel intérêt pour l’œuvre. Le même universitaire italien critique aussi « une sorte de fétichisme où chaque page, chaque brouillon devient un objet sacré pour adeptes du culte célinien ». Mais n’en va-t-il pas de même pour Proust dont on commémore cette année le centième anniversaire de la mort ?4 C’est le lot de tous les écrivains importants et c’est bien naturel. Fétichisme bien partagé…
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Louis-Ferdinand Céline et le grand esprit humanitaire occidental
Nicolas Bonnal
Tout le monde comprend peu à peu la farce humanitaire : il y a la victime qui compte et celle qui ne compte pas (russe, palestinienne, etc.) ; il y a la cible qui compte et celle qui ne compte pas. Mais tout cela se base sur un culte humanitaire né au XVIIIème siècle et appliqué depuis bien longtemps. Flaubert le voit venir dans son Dictionnaire et dans sa Correspondance : l’humanité occidentale (il n’y a d’humanité qu’occidentale) se rend un culte ; aujourd’hui elle veut même se sacrifier en sacrifiant sa consommation en carbone. Elle en devient christique, la pauvre.
Ce culte implacable et dictatorial veut aujourd’hui nous empêcher de manger, de rouler, d’être soignés. Les médias s’en foutent ou célèbrent. Il y aura les dieux du capitalisme financier qui circuleront en jet pour célébrer la Gaia et les idiots qui grelotteront en regardant Netflix et LCI. Mais il y aussi une grosse et mondiale bureaucratie humanitaire ou autre qui va être payée plus ou moins maigrement pour contrôler et réduire le troupeau de pollueurs.
Céline en avait marre déjà du culte humanitaire ; et il avait compris son fonctionnement bureaucratique avec comme objectif la retraite, idole de la classe moyenne décriée par Guénon ou Tocqueville ; et ce surdoué de la colère écrit dans Bagatelles :
« Je vous le prédis, c'est écrit, la mère des Apôtres est pas morte. Le monde est encore plein de martyrs qui crèvent au fond des ergastules du désir de nous libérer, et puis d'être "titularisés" par la même aubaine dans des fonctions pas fatigantes, d'un ministère ou d'un autre, avec une retraite. Jamais on n'a vu tant d'Apôtres, comme de nos jours, retraités. Le front commun à cet égard, c'est qu'une petite répétition, une petite avance sur l'avenir...
Mais il y a un diable humanitaire. C’est lui qui détruit l’Occident entre autres avec son écologie ou sa nouvelle et très folle doctrine du sexe ; et Céline s’en moque déjà dans les Beaux draps :
« Je connais le plus honnête homme de France. Il se donne un mal ! Il se dépense ! Il est maître d’école à Surcy, à Surcy-sur-Loing. Il est heureux qu’au sacrifice, inépuisable en charité. C’est un saint laïque on peut le dire, même pour sa famille il regarde, pourvu que l’étranger soit secouru, les victimes des oppressions, les persécutés politiques, les martyrs de la Lumière. Il se donne un mal ! Il se dépense ! Pour les paysans qui l’entourent c’est un modèle d’abnégation, d’effort sans cesse vers le bien, vers le mieux de la communauté. »
Le problème de ces humanitaires c’est qu’ils ne s’arrêtent jamais :
« Secrétaire à la Mairie, il ne connaît ni dimanche ni fête. Toujours sur la brèche. Et un libre d’esprit s’il en fut, pas haineux pour le curé, respectueux des ferveurs sincères. Faut le voir à la tâche ! Finie l’école… à la Mairie !... en bicyclette et sous la pluie… été comme hiver !... vingt-cinq, trente lettres à répondre !... L’État civil à mettre à jour… Tenir encore trois gros registres… Les examens à faire passer… et les réponses aux Inspecteurs… C’est lui qui fait tout pour le Maire… toutes les réceptions… la paperasse… Et tout ça on peut dire à l’oeil… C’est l’abnégation en personne… Excellent tout dévoué papa, pourtant il prive presque ses enfants pour jamais refuser aux collectes… Secours de ci… au Secours de là… que ça n’en finit vraiment pas… À chaque collecte on le tape… Il est bonnard à tous les coups… Tout son petit argent de poche y passe… Il fume plus depuis quinze ans… Il attend pas que les autres se fendent… Ah ! pardon ! pas lui !... Au sacrifice toujours premier !... »
Céline dresse hilare la liste des êtres de lumière à secourir partout et surtout nulle part :
« C’est pour les héros de la mer Jaune… pour les bridés du Kamtchatka… les bouleversés de la Louisiane… les encampés de la Calédonie… les mutins mormons d’Hanoï… les arménites radicaux de Smyrne… les empalés coptes de Boston… les Polichinels caves d’Ostende… n’importe où pourvu que ça souffre ! «
Notre agité du bocal (un instit’ maçon donc) s’agite toujours :
« Y a toujours des persécutés qui se font sacrifier quelque part sur cette Boue ronde, il attend que ça pour saigner mon brave ami dans son coeur d’or… Il peut plus donner ? Il se démanche ! Il emmerde le Ciel et la Terre pour qu’on extraye son prisonnier, un coolie vert dynamiteur qu’est le bas martyr des nippons… Il peut plus dormir il décolle… Il est partout pour ce petit-là… Il saute à la Préfecture... Il va réveiller sa Loge… Il sort du lit son Vénérable… Il prive sa famille de 35 francs… on peut bien le dire du nécessaire… pour faire qu’un saut à Paris… le temps de relancer un autre preux… qu’est là-bas au fond des bureaux… qu’est tout aussi embrasé que lui question la tyrannie nippone… »
Nos possédés sont prêts à crever pour la cause (penser au pauvre climat pourtant si froid en ce moment, à la guerre contre la Chine ou la Russie) :
« Ils vont entreprendre une action… Il faudra encore 500 balles… Il faut des tracts !… Il faut ce qu’il faut !… On prendra sur la nourriture… il compte plus ses kilos perdus… Il rentre au bercail… il repasse à l’action… prélude par une série de causeries… qui le font très mal voir des notables… Il va se faire révoquer un jour… Il court à la paille… En classe il souffre pour ne rien dire… Tout de même il est plein d’allusions surtout pendant l’Histoire de France… »
Ce texte tordant est dans les Beaux draps (je ne mets pas de lien, trouvez-le).
Bernanos a parlé de la colère des imbéciles. Elle va durer des siècles cette colère des imbéciles. Jusqu’à totale extinction de nos feux.
https://www.amazon.fr/Louis-Ferdinand-C%C3%A9line-pacifis...
19:53 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, humanitarisme | |
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Parution des numéros 455 et 456 du Bulletin célinien
N°455:
Sommaire :
Hommage à Robert Le Vigan [1972 – 2022]
Le Vigan à Montmartre
Rencontre avec Le Vigan (1939)
Une amitié épistolaire
Propos d’exil
Le procès de Le Vigan
À Fresnes
Les historiens, qui n’aiment guère Céline, sont rarement d’accord entre eux. « Céline a été un collaborateur enthousiaste de l’Allemagne nazie », déclare Pierre-André Taguieff¹. Ce n’est pas l’avis de Pascal Ory qui évoque « une collaboration hypocondriaque »². Divergence aussi quant au jugement du 21 février 1950 : « Le jugement qui le sanctionne est d’une sévérité extrême », constate Anne Simonin³. Pas du tout, affirme sa consœur Odile Roynette observant que « le verdict de la Cour de Justice s’avéra indulgent »4. À cet égard, elle commet une erreur dans le livre qu’elle lui a consacré : Céline a été uniquement condamné au titre de l’article 83-4 du Code pénal (pour “actes de nature à nuire à la défense nationale”), et non du fait de ses prises de position antisémites (p. 177). La même cite Drieu la Rochelle et Brasillach, « anciens combattants de la Grande Guerre, comme Céline » (p. 243). Apprenons lui que Brasillach avait cinq ans en 1914 et que son père mourut au combat. Il est assez étonnant que ces historiennes, rigoureuses l’une et l’autre, commettent de telles erreurs. Ainsi, Simonin affirme avec force que la seule fois où Céline utilise une note infrapaginale, c’est dans Les Beaux draps. Or il recourt à ce procédé dans Semmelweis [1936, éd., p. 89] et dans L’École des cadavres. (p. 35). Les allégations erronées sont une chose, les commentaires où perce de manière constante le dénigrement en sont une autre. À propos de la guerre de Louis Destouches, Roynette évoque des « actes prétendument héroïques » et dresse, au fil des pages, le portrait d’un homme humainement peu fréquentable, affabulateur médiocre et calculateur. Il s’agit surtout de tenter de démontrer que sa blessure n’était pas si grave et que Destouches aurait logiquement dû retourner au combat au lieu de « s’embusquer » à Londres. Simonin renchérit et évoque « une médaille [militaire] que Céline a obtenue sans qu’on sache comment [sic]. »5 Et de faire l’amalgame entre Louis Destouches et le narrateur de Guerre pour mieux discréditer le premier. Bien entendu, elle est hostile à la réédition des pamphlets, ne comprenant pas cette « insistance à revisiter la bibliothèque antisémite française. » Or ce corpus est abondamment commenté ici et là : ne serait-il pas utile qu’il soit autant accessible que les explications le concernant ? On s’étonne qu’un historien ne veuille résoudre ce paradoxe. On peut aussi se demander si celui-ci est dans son rôle lorsqu’il adopte de manière constante une rhétorique moralisatrice même quand la conduite de Louis Destouches est exempte de tout reproche, comme ce fut assurément le cas en 1914. Pas que les historiens. Ainsi, un lecteur de L’Express, domicilié à Courbevoie (!), déplore que, dans un article consacré à Guerre, il ne soit pas rappelé que Céline « fut aussi collaborationniste, antisémite et frappé d’indignité nationale »6. Ce lecteur est-il également déçu lorsqu’un article sur Aragon ne rappelle pas ses turpitudes staliniennes ? Étant entendu que les dévoiements de l’un n’excusent pas ceux de l’autre.
N°456
Sommaire :
Entretien avec Frédéric Hardouin –
Deux points de vue inattendus sur Guerre –
Le cas Thibaudat –
Yvon Morandat –
Héritage –
Les Hussards, suite et fin –
“Martynabe” persiste mais ne convainc pas.
Au départ, il s’agit d’une thèse de doctorat : “Le style réactionnaire : positions de la droite littéraire française sur la langue et le style au XXe siècle ». Ayant à y revenir afin de l’adapter pour l’édition, son auteur ne cache pas que cela lui a procuré « un sentiment nauséeux » [sic]¹. Une plongée dans l’œuvre de Bernanos, Marcel Aymé, Paul Morand, Antoine Blondin, Jacques Laurent, pour ne citer qu’eux, est-elle de nature à susciter cette réaction répulsive ? Pour ce jeune universitaire qui traque les menées de la Réaction dans les lettres, c’est assurément le cas. Et lorsqu’un bas-bleu lui demande si prendre du plaisir à lire Céline fait d’elle une réactionnaire qui s’ignore, il recommande « de lire du Sartre pour se laver un peu l’esprit »². C’est que pour ce jeune universitaire, animateur d’un séminaire “Lectures de Marx”, il s’agit de combattre l’idée selon laquelle les réactionnaires sont de grands stylistes irréprochables. Ce livre rappelle irrésistiblement celui de l’inénarrable Daniel Lindenberg qui, dans son Rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires (2002) fustigeait déjà Houellebecq mais aussi Philippe Muray. Si Berthelier ne lui accorde pas un chapitre entier, il consacre tout de même quelques pages à Céline, histoire de tancer au passage ses « idées exterminatrices ». Peu importe que les exégètes céliniens les moins complaisants à son égard, tels Godard ou Tettamanzi, répètent à l’envi qu’il n’y a pas chez lui d’appel au meurtre des juifs.
Berthelier maîtrise manifestement mal ce sujet. Si l’on trouve des tropismes réactionnaires chez Céline, il ne peut de toute évidence être réduit à ça. La Réaction étant ce qui s’oppose au progrès social, cela cadre mal avec les réformes proposées, par exemple, dans Les Beaux draps. En réalité, vouloir enfermer Céline dans un carcan (conservateur, fasciste ou anarchiste) s’avère une impasse. Il apparaît davantage comme un hapax que comme un échantillon représentatif des écrivains de droite. Précisément en raison du style. Dans sa Poétique de Céline, Henri Godard affirme que son écriture est à contre-courant de son idéologie, le plaisir que procure au lecteur le style célinien ayant un pouvoir libérateur. Lequel serait en opposition avec un fascisme de l’ordre réprimant les instincts³. Ce qu’avait contesté, on s’en souvient, Marie-Christine Bellosta qui estime au contraire que son style est en phase avec cette idéologie dans la mesure où elle se présente précisément comme un triomphe de l’instinctif sur l’intellectualité4. Il est exact que la droite révolutionnaire a souvent utilisé les ressources de la verve populaire. Mais est-ce typiquement “fasciste” ? On retrouve des procédés analogues chez Hébert, le créateur du Père Duchesne. Rendant compte du livre de Berthelier, un critique en arrive même à se demander s’il faut considérer le lyrisme célinien comme le véhicule de son fascisme (!)5. Tout cela est grotesque. Sur son site internet, l’auteur clame que son livre mérite d’être acheté. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
• Vincent BERTHELIER, Le style réactionnaire (De Maurras à Houellebecq), Éditions Amsterdam, 2022, 385 p. (22 €)
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Edward Bernays et Louis-Ferdinand Céline face au conditionnement moderne
par Nicolas Bonnal
Avant d’étudier Bernays, on rappellera Céline. Apparemment, tout les oppose, mais sur l’essentiel ils sont d’accord : le monde moderne nous conditionne !
« Nous disions qu'au départ, tout article à "standardiser": vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s'imposer au goût, à l'admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l'article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu'eux tous à la fois. »
Bernays… C’est un des personnages les plus importants de l’histoire moderne, et on ne lui a pas suffisamment rendu hommage ! Il est le premier à avoir théorisé l’ingénierie du consensus et la définition du despotisme éclairé. Reprenons Normand Baillargeon :
Edouard Bernays est un expert en contrôle mental et en conditionnement de masse. C’est un neveu viennois de Freud, et comme son oncle un lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux États-Unis, sans se préoccuper de ce qui va se passer à Vienne... Journaliste (dont le seul vrai rôle est de créer une opinion, de l’in-former au sens littéral), il travaille avec le président Wilson au Committee on Public Information, au cours de la première Guerre Mondiale. Dans les années Vingt, il applique à la marchandise et à la politique les leçons de la guerre et du conditionnement de masse ; c’est l’époque du spectaculaire diffus, comme dit Debord. A la fin de cette fascinante et marrante décennie, qui voit se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, le surréalisme et le radicalisme en France, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande (la première congrégation de propagande vient de l’Eglise catholique, créée par Grégoire XV en 1622) où le plus normalement et le plus cyniquement du monde il dévoile ce qu’est la démocratie américaine moderne : un simple système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et primaires à la fois ; et une oligarchie, une cryptocratie plutôt où le sort de beaucoup d’hommes, pour prendre une formule célèbre, dépend d’un tout petit nombre de technocrates et de faiseurs d’opinion. C’est Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggsau petit déjeuner par exemple : dix ans plus tard les hygiénistes nazis, aussi forts que lui en propagande (et pour cause, ils le lisaient) interdisent aux femmes de fumer pour raisons de santé. Au cours de la seconde guerre mondiale il travaille avec une autre cheville ouvrière d’importance, Walter Lippmann.
Avec un certain culot Bernays dévoile les arcanes de notre société de consommation. Elle est conduite par une poignée de dominants, de gouvernants invisibles. Rétrospectivement on trouve cette confession un rien provocante et –surtout – imprudente. A moins qu’il ne s’agît à l’époque pour ce fournisseur de services d’épater son innocente clientèle américaine ?
“Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d'êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d'habiles personnages agissant en coulisse.”
Bernays reprend l’image fameuse de Disraeli dans Coningsby: l’homme-manipulateur derrière la scène. C’est l’image du parrain, en fait un politicien, l’homme tireur de ficelles dont l’expert russe Ostrogorski a donné les détails et les recettes dans son classique sur les partis politiques publié en 1898, et qui est pour nous supérieur aux Pareto-Roberto Michels. Nous sommes dans une société technique, dominés par la machine (Cochin a récupéré aussi l’expression d’Ostrogorski) et les tireurs de ficelles, ou wire-pullers (souvenez-vous de l’affiche du Parrain, avec son montreur de marionnettes) ; ces hommes sont plus malins que nous, Bernays en conclut qu’il faut accepter leur pouvoir. La société sera ainsi plus smooth. On traduit ?
Comme je l’ai dit, Bernays écrit simplement et cyniquement. On continue donc:
“Les techniques servant à enrégimenter l'opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La complexité suppose des élites techniques, les managers dont parle Burnham dans un autre classique célèbre (l’ère des managers, préfacé en France par Léon Blum en 1946). Il faut enrégimenter l’opinion, comme au cours de la première guerre mondiale, qui n’aura servi qu’à cela : devenir communiste, anticommuniste, nihiliste, consommateur ; comme on sait le nazisme sera autre chose, d’hypermoderne, subtil et fascinant, avec sa conquête spatiale et son techno-charisme – modèle du rock moderne (lisez ma damnation des stars).
L’ère des masses est aussi très bien décrite – mais pas comprise – par Ortega Y Gasset (il résume tout dans sa phrase célèbre ; « les terrasses des cafés sont pleines de consommateurs »…). Et cette expression, ère des masses, traduit tristement une standardisation des hommes qui acceptent humblement de se soumettre et de devenir inertes (Tocqueville, Ostrogorski, Cochin aussi décrivaient ce phénomène).
“Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites d'intérêt général ; nous acceptons qu'un guide moral, un pasteur, par exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.”
Pour Bernays bien sûr on est inerte quand on résiste au système oppressant et progressiste (le social-corporatisme dénoncé dans les années 80 par Minc & co).
La standardisation décrite à cette époque par Sinclair Lewis dans son fameux Babbitt touche tous les détails de la vie quotidienne : Babbitt semble un robot humain plus qu’un chrétien (il fait son Church-shopping à l’américaine d’ailleurs), elle est remarquablement rendue dans le cinéma comique de l’époque, ou tout est mécanique, y compris les gags. Bergson a bien parlé de ce mécanisme plaqué sur du vivant. Il est favorisé par le progrès de la technique :
« Il y a cinquante ans, l'instrument par excellence de la propagande était le rassemblement public. À l'heure actuelle, il n'attire guère qu'une poignée de gens, à moins que le programme ne comporte des attractions extraordinaires. L'automobile incite nos compatriotes à sortir de chez eux, la radio les y retient, les deux ou trois éditions successives des quotidiens leur livrent les nouvelles au bureau, dans le métro, et surtout ils sont las des rassemblements bruyants. »
La capture de l’esprit humain est l’objectif du manipulateur d’opinion, du spécialiste en contrôle mental, cet héritier du magicien d’Oz.
“La société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande de toute sorte. Un effort immense s'exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d'une politique, d'un produit ou d'une idée.”
Concernant la première guerre mondiale, Bernays “révise” simplement l’Histoire en confiant que la croisade des démocraties contre l’Allemagne s’est fondée sur d’habituels clichés et mensonges ! Il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point…
“Parallèlement, les manipulateurs de l'esprit patriotique utilisaient les clichés mentaux et les ressorts classiques de l'émotion pour provoquer des réactions collectives contre les atrocités alléguées, dresser les masses contre la terreur et la tyrannie de l'ennemi. Il était donc tout naturel qu'une fois la guerre terminée, les gens intelligents s'interrogent sur la possibilité d'appliquer une technique similaire aux problèmes du temps de paix.”
On n'a jamais vu un cynisme pareil. Machiavel est un enfant de chœur. La standardisation s’applique bien sûr à la politique. Il ne faut pas là non plus trop compliquer les choses, écrit Bernays. On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble (les producteurs de soap séries à la TV) ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis politiques, et deux ou trois programmes simplifiés !
Bernays reprend également l’expression demachinede Moïse Ostrogorski (voir notre étude sur ce chercheur russe, qui disséqua et désossa l'enfer politique américain), qui décrit l’impeccable appareil politique d’un gros boss. La machine existe déjà chez le baroque Gracian. Ce qui est intéressant c’est de constater que la mécanique politique – celle qui a intéressé Cochin - vient d’avant la révolution industrielle. Le mot industrie désigne alors l’art du chat botté de Perrault, celui de tromper, d’enchanter – et de tuer ; l’élite des chats bottés de la politique, de la finance et de l’opinion est une élite d’experts se connaissant, souvent cooptés et pratiquant le prosélytisme. Suivons le guide :
“Il n'en est pas moins évident que les minorités intelligentes doivent, en permanence et systématiquement, nous soumettre à leur propagande. Le prosélytisme actif de ces minorités qui conjuguent l'intérêt égoïste avec l'intérêt public est le ressort du progrès et du développement des États-Unis. Seule l'énergie déployée par quelques brillants cerveaux peut amener la population tout entière à prendre connaissance des idées nouvelles et à les appliquer.”
Comme je l’ai dit, cette élite n’a pas besoin de prendre de gants, pas plus qu’Edouard Bernays. Il célèbre d’ailleurs son joyeux exercice de style ainsi :
“Les techniques servant à enrégimenter l'opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La démocratie a un gouvernement invisible qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Si on avait su…
Après la Guerre, Bernays inspire le méphitique Tavistock Institute auquel Daniel Estulin a consacré un excellent et paranoïaque ouvrage récemment.
Mais en le relisant, car cet ouvrage est toujours à relire, je trouve ces lignes définitives sur l'organisation conspirative de la vie politique et de ses partis :
« Le gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. Depuis, par esprit pratique et pour des raisons de simplicité, nous avons admis que les appareils des partis restreindraient le choix à deux candidats, trois ou quatre au maximum. »
Et cette conspiration était n'est-ce pas très logique, liée à l’esprit pratique et à la simplicité :
« Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d'organisation et de direction, la dispersion de leurs voix individuelles entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusion ».
Pour le grand Bernays il n'y a de conspiration que logique. La conspiration n'est pas conspirative, elle est indispensable. Sinon tout s'écroule. L'élite qu'il incarne, et qui œuvre d'ailleurs à l’époque de Jack London, ne peut pas ne pas être. Et elle est trop souple et trop liquide pour se culpabiliser. N'œuvre-t-elle pas à la réconciliation franco-allemande après chaque guerre qu'elle a contribué à déclencher, et que la Fed a contribué à financer au-delà des moyens de tous ?
Elle est aussi innocente que l'enfant qui vient de naître.
Un qui aura bien pourfendu Bernays sans le savoir dans ses pamphlets est Louis-Ferdinand Céline. Sur la standardisation par exemple, voici ce qu’il écrit :
« Standardisons! le monde entier! sous le signe du livre traduit! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. »
Et d’ajouter sur un ton incomparable et une méchanceté inégalable :
« le livre pour l'oubli, l'abrutissement, qui lui fait oublier tout ce qu'il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l'autochtone, l'achèvement en somme de l'œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l'alcoolisme. »
La standardisation (j’écris satan-tardisation…) rime avec la mort (mais n’étions-nous pas morts avant, cher Ferdinand ? Vois Drumont, Toussenel même, ce bon Cochin, ce génial Villiers…). Le monde est mort, et on a pu ainsi le réifier et le commercialiser ;
« Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, puisqu'ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial ou lyrique, aucun besoin de se gêner! Le public prend ce qu'on lui donne. Pourquoi ne pas submerger tout! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère? Parfaitement insipide?... »
Divaguons sur ce thème de la civilisation mortelle – et sortons du Valéry pour une fois. A la même époque Drieu la Rochelle écrivait dans un beau libre préfacé par Halévy, Mesure de la France :
« Il n'y a plus de conservateurs, de libéraux, de radicaux, de socialistes. Il n'y a plus de conservateurs, parce qu'il n'y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d'autorité, ce n'est que ruine et poudre. »
Puis Drieu enfonce plus durement le clou (avait-il déjà lu Guénon ?) :
« Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera. »
Le gros shopping planétaire est mis en place par la matrice américaine, qui va achever de liquider la vieille patrie prétentieuse :
« Il n'y a plus de partis dans les classes, plus de classes dans les nations, et demain il n'y aura plus de nations, plus rien qu'une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. »
Drieu affirme il y a cent ans que le catholicisme romain est zombie :
« Le Vatican est un musée. Nous ne savons plus bâtir de maisons, façonner un siège où nous y asseoir. A quoi bon défendre des banques, des casernes, et les Galeries Lafayette ? »
Enfin, vingt ans avant Heidegger ou Ellul, Drieu désigne la technique et l’industrie comme les vrais conspirateurs :
« Il y aura beaucoup de conférences comme celle de Gênes où les hommes essaieront de se guérir de leur mal commun : le développement pernicieux, satanique, de l'aventure industrielle. »
Revenons à Céline, qui avec ferveur et ire dépeint la faune nouvelle de l’art pour tous :
« Les grands lupanars d'arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l'art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés... Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l'amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l'humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »
Et de conclure avec son habituelle outrance que l’époque de l’inquisition et des gladiateurs valait bien mieux :
« Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement asservis, invertis corps et âmes, d'une façon si dévotieuse, si suppliante. Rome? En comparaison?... Mais un empire du petit bonheur! une Thélème philosophique! Le Moyen Age?... L'Inquisition?... Berquinades! Epoques libres! d'intense débraillé! d'effréné libre arbitre! le duc d'Albe? Pizarro? Cromwell? Des artistes! »
Dans son très bon livre sur Spartacus, l’écrivain juif communiste Howard Fast établit lui aussi un lien prégnant entre la décadence impériale et son Amérique ploutocratique. C’est que l’homme postmoderne et franchouillard a du souci à se faire (ce que Léon Bloy nommait sa capacité bourgeoise à avaler – surtout de la merde) :
« Plus c'est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le "bon sens" des foules c'est : toujours plus cons. L'esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l'art réaliste, surréaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25.000 haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu'elle est Mélanie l'incomparable... Un minimum d'originalité, mais énormément de réclame et de culot. L'être, l'étron, l'objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la propagande massive, doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d'autant mieux qu'il sera plus soigneusement dépourvu d'aspérités, de toute originalité, que toutes ses surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter l'attention et surtout la controverse. »
Et comme s’il avait lu et digéré Bernays Céline ajoute avec le génie qui caractérise ses incomparables pamphlets :
« La publicité pour bien donner tout son effet magique, ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n'importe quelle himalayesque, décervelante, tonitruante fantasmagorie... à propos d'automobiles, de stars, de brosses à dents, d'écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne ne tique... ne s'élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie.
Le reste, tout ce qu'il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit disparaître. C'est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu'on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l'infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d'imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte... »
Et de poursuivre sa belle envolée sur la standardisation :
« Le Standard en toutes choses, c'est la panacée. Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l'immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c'est la standardisation totale, âmes et corps. »
La violence pour finir :
« Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »
Céline est incomparable quand il s’attaque à la foule, discutable quand il reprend le lemme du juif comme missionnaire du mal dans le monde moderne. Mais c’est cette folie narrative qui crée la tension géniale de son texte. De toute manière, ce n’est pas notre sujet. Et puis c’est Disraeli et c’est Bernays qui ont joué à l’homme invisible un peu trop visible. Comme dit Paul Johnson dans sa fameuse Histoire des Juifs (p. 329): “Thus Disraeli preached the innate superiority of certain races long before the social Darwinists made it fashionable, or Hitler notorious.”
Bibliographie:
Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration (Dualpha, Amazon.fr)
Frédéric Bernays/Normand Baillargeon – Propagande
Céline – Bagatelles…
Drieu la Rochelle – Mesure de la France
Johnson (Paul) – A History of the Jews
19:57 Publié dans Littérature, Manipulations médiatiques, Psychologie/psychanalyse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : edward bernays, louis-ferdinand céline, céline, nicolas bonnal, propagande, manipulatiosn médiatiques, conditionnement, contrôle mental, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | |
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16:59 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, livre, frédéric andreu | |
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Cinquantième anniversaire de la mort d'Henry de Montherlant
"La liberté existe toujours. Elle n'en paie que le prix".
Par Eduardo Nuñez
Source: https://www.tradicionviva.es/2022/09/22/50-aniversario-de-la-muerte-de-henry-de-montherlant/?fbclid=IwAR2pDQowh7lp6hSpFz_UsAAi2s0CmoVtjiFtOmT3mczvOR8WKlhHqNCTPrQ
Henry de Montherlant était un romancier, essayiste, dramaturge et universitaire français d'origine catalane, et l'un des meilleurs écrivains de langue française du 20ème siècle.
Il est né à Paris le 20 avril 1895. Issu d'une famille noble et aristocratique, il a été éduqué dans un élitisme influencé par Maurice Barrès et Nietzsche, et était un ardent nationaliste et sportif qui combinait les valeurs du paganisme et de la religion chrétienne.
Sa principale contribution à la littérature française est un cycle de quatre romans élégamment écrits, qui expriment des analyses intérieures. Sa renommée en tant que dramaturge repose sur ses nombreux drames historiques, dont "Malatesta" (1946), "Le Maître de Santiago" (1947) et "Port-Royal" (1954).
Montherlant a combattu pendant la Première Guerre mondiale, une expérience qu'il a retranscrite dans son roman "Songe". Se consacrant au théâtre et aux essais, il a joué plusieurs pièces à succès telles que "La reine morte" (1934) et "La Ville dont le prince est un enfant", qui a été transformée en pièce télévisée en 1997.
De son expérience communautaire, religieuse et amicale à l'école Sainte-Croix de Neuilly, sont nés Relève du matin (1920), La ville dont le prince est un enfant (1951) et Les garçons (1969). Mobilisé en 1916, blessé au combat et décoré, son roman autobiographique Songe (1922) est une exaltation de l'héroïsme et de la fraternité. Dans ses œuvres ultérieures, Les bestiaires (1926), Les olympiques (1924), Aux fontaines du désir (1927), La petite infante de Castille (1929), etc., on retrouve le même esprit héroïque et fraternel que pendant la guerre, jusqu'à ce que son roman Les jeunes filles (1936-1939), mélange de tyrannie possessive et de renoncement, d'intégrité et d'amoralité, déclare ouvertement sa misogynie.
À partir des années 1940, au sommet de sa maturité intellectuelle et de sa maîtrise de la langue, le théâtre occupe une place prépondérante dans sa production littéraire. De plus, la demande qu'il reçoit de la Comédie-Française d'adapter une comédie de l'âge d'or espagnol - il opte pour Reinar después de morir de Vélez de Guevara - confirme son intérêt pour les thèmes hispaniques, qui avait commencé avec La petite infante de Castille: La reine morte (1942), Malatesta (1946), Le maître de Santiago (1947), Port-Royal (1954), Don Juan (1958), Le cardinal d'Espagne (1960), etc. Ses œuvres reflètent sa noble éthique d'inspiration romaine, à mi-chemin entre le stoïcisme et le jansénisme, toujours à la recherche d'une esthétique virile et impériale.
La présence de son œuvre en Espagne commence avec la publication de Las olímpicas (1925), dans une version de Manuel Abril, collaborateur de La Ilustración Española y Americana, avec un prologue d'Antonio Marichalar, et avec Los bestiarios (M., Biblioteca Nueva, 1926), une traduction, ou plutôt une "restitution culturelle", de Pedro Salinas, rééditée en 1979 (M., Alianza). Le roman décrit le monde de la tauromachie et incorpore sa propre terminologie ainsi que des termes dialectaux et d'argot du sud que le traducteur non seulement transcrit, mais explique relativement souvent et tout aussi inutilement. S'il est vrai que la traduction de l'œuvre de Montherlant a commencé dans le premier tiers du 20ème siècle et s'est poursuivie dans les années 1950 avec la parution dans Revista de Occidente (1950) d'un volume de pièces (El maestre de Santiago, Hijo de nadie, Malatesta, La reina muerta et Mañana amanecerá), traduites par Mauricio Torra-Balarí et Fernando Vela, on ne peut pas dire qu'elle ait eu une quelconque influence littéraire, bien que sa figure et son œuvre aient suscité un certain intérêt. Il convient toutefois de mentionner l'attention portée à l'auteur par des publications culturelles de premier plan, telles que la Revista de Occidente et Ínsula, qui ont publié plusieurs articles critiques sur Montherlant, son œuvre et certaines de ses traductions en espagnol.
Les pièces de théâtre transposant des figures emblématiques et des moments exceptionnels de l'Espagne du 16ème siècle ont bénéficié d'une attention particulière en tant que traductions : La reina muerta, dans une "version espagnole" de Fernando Díaz-Plaja (San Sebastián, Alfil, 1959 ; rééd. B., Círculo de Lectores, 1973), El cardenal de España (M., Aguilar, 1962), traduit par le dramaturge Joaquín López Rubio. Ces versions alternaient avec les premières de pièces telles que La ciudad en la que reina un niño (1973) et La reina muerta (1995). Il en va de même pour les récits à caractère nostalgique, libertaire ou anarchique : M.ª Luisa Gefaell a traduit, avec succès éditorial (1974, 3e éd.), El caos y la noche (B. Noguer, 1964), et Josep Palàcios a traduit l'œuvre en catalan, El caos i la nit (B., Proa, 1965). Il existe une édition de Mi jefe es un asesino (B., Noguer, 1972), traduit par Ana Inés Bonnín, de La rosa de arena (B., Seix Barral, 1975), traduit par José Escué, et une autre de Las olímpicas (Círculo de Lectores, 1979), traduit par Carlos Manzano. Dans les années 80, de nouvelles versions de certaines œuvres déjà publiées - Las olímpicas de Jorge de Lorbar (B., Nuevo Arte Thor, 1983) - ont été publiées à nouveau, ou traduites pour la première fois : Don Juan et Hijo de nadie de Mauro Armiño (M., Cátedra, 1989).
Membre de l'Académie française depuis 1960, Henry de Montherlant est l'un des grands écrivains de la littérature française contemporaine. Son œuvre prolifique nous montre un culte païen de l'action et de l'audace. "Les Olympiques" - l'œuvre préférée de Montherlant - fait l'éloge du sport, de la volonté et de la camaraderie. C'est un hymne à la jeunesse et à l'effort, dont la lecture reste toujours actuelle et jeune.
Montherlant s'est suicidé à l'âge de 77 ans le 21 septembre 1972 car, pour lui, "il s'agit moins d'avoir une vie que d'avoir une vie supérieure".
Eduardo Núñez
23:25 Publié dans Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, henry de montherlant, montherlant | |
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Parution du numéro 454 du Bulletin célinien
Sommaire :
L’épigraphe de Voyage au bout de la nuit (Le chant de la Bérézina)
Entretien avec Jean Guenot (5e et dernière partie)
Guerre, antérieur à Voyage ?
Jean-Pierre Maxence, critique de Céline.
Thibaudat a lâché le morceau cet été : le détenteur des fameux inédits n’était autre qu’Yvon Morandat (1913-1972), celui que Céline appelle comiquement « mon occupant » puisqu’il emménage dans son appartement, réquisitionné par la Résistance, à la Libération. Ailleurs il évoque « celui qui occupe [s]on lit à Montmartre ». On savait que ce résistant, gaulliste de la première heure, avait placé le mobilier de Céline dans un garde-meuble. Et que celui-ci avait refusé de le récupérer contre le paiement des frais de gardiennage. On savait aussi que l’écrivain n’avait pas tenu à recouvrer ces manuscrits qui n’avaient, disait-il, aucun intérêt pour lui ¹. Ce qui ne l’empêcha pas de se poser en victime de Morandat. Mais se souvenait-il de tout ce qu’il avait laissé ? On ignorait par ailleurs que le nouveau locataire détenait aussi, dans une malle, des documents personnels de Céline dont des lettres, photographies et autres archives privées. C’est l’une des filles du résistant qui, via un ami de la compagne de Thibaudat, lui a remis le tout à l’aube des années 80. Il a donc détenu ces inédits pendant quarante ans. Il ne s’agissait en aucun cas de les remettre à Lucette Destouches car c’était « s’exposer à voir des documents gênants pour Céline disparaître ou être interdits de publication. » Il importait aussi de ne pas faire de cadeau à celle qui « avait déployé beaucoup d’efforts pour tenter de gommer l’ignominie antisémite de son époux » [sic]. On comprend aussi qu’il ne fallait pas entacher la mémoire de Morandat que de mauvais esprits eussent pu accuser de recel puisqu’il conserva par-devers lui, outre les manuscrits (que Céline déclina), des documents privés qu’il aurait pu lui remettre en mains propres lorsqu’il le rencontra, au domicile de Pierre Monnier, au début des années cinquante. Quid d’Oscar Rosembly ? C’est de toute évidence lui qui, en août 1944, subtilisa le manuscrit complet de Casse-pipe (plus de 800 pages, selon Céline), la version cédée par Morandat étant, elle, très lacunaire ².
Que sont devenus les manuscrits dérobés par Rosembly (car il y aurait aussi la version finale de La volonté du roi Krogold) ? Les ayants droit comptent-ils s’adresser au petit-fils de Rosembly, journaliste à Marseille, afin de savoir ce qu’il en est ? Guère d’espoir de ce côté puisqu’on se souvient qu’il tomba des nues lorsqu’il apprit, l’été précédent, les “exploits” de son grand-père. Comme on le voit, bien des zones d’ombre subsistent et, avec Céline, on n’est pas au bout de nos surprises. Toutes ces péripéties sont d’ailleurs très céliniennes. De même le fait que cette histoire suscite tant de commentaires imbéciles. Ainsi, à la suite de l’ineffable Roussin, l’ancien journaliste de Libération relève que, dans l’exposition organisée par Gallimard, la médaille militaire de Louis Destouches a été exposée sans que ne fût rappelé qu’il n’avait plus le droit de la porter par décision de justice. Cette hargne envers un auteur mort il y a 60 ans a quelque chose de fascinant…
• Jean-Pierre THIBAUDAT, « Céline, le trésor retrouvé. La piste Morandat », Mediapart, 10 août 2022. Neuf épisodes ont été publiés au total [https://blogs.mediapart.fr]
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Parution du numéro 453 du Bulletin célinien
Sommaire :
- Céline et Paul Mondain
- Entretien avec Jean Guenot (IV)
- Une conférence sur Céline en 1950
- Chez Lacloche à Nice, 1912
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Chateaubriand et la conclusion de notre histoire
Nicolas Bonnal
Un des plus importants textes du monde moderne, le premier qui nous annonce comment tout va être dévoré : civilisation chrétienne occidentale et autres, peuples, sexes, cultures, religions aussi. C’est la conclusion des Mémoires d’outre-tombe. On commence avec l’unification technique du monde :
« Quand la vapeur sera perfectionnée, quand, unie au télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait disparaître les distances, ce ne seront plus seulement les marchandises qui voyageront, mais encore les idées rendues à l’usage de leurs ailes. Quand les barrières fiscales et commerciales auront été abolies entre les divers Etats, comme elles le sont déjà entre les provinces d’un même Etat ; quand les différents pays en relations journalières tendront à l’unité des peuples, comment ressusciterez−vous l’ancien mode de séparation ? »
On ne réagira pas. Chateaubriand voit l’excès d’intelligence venir avec un excès de mécanique et un déclin de la force et de la liberté :
« La société, d’un autre côté, n’est pas moins menacée par l’expansion de l’intelligence qu’elle ne l’est par le développement de la nature brute. Supposez les bras condamnés au repos en raison de la multiplicité et de la variété des machines, admettez qu’un mercenaire unique et général, la matière, remplace les mercenaires de la glèbe et de la domesticité : que ferez−vous du genre humain désoccupé ? Que ferez−vous des passions oisives en même temps que l’intelligence ? La vigueur du corps s’entretient par l’occupation physique ; le labeur cessant, la force disparaît ; nous deviendrions semblables à ces nations de l’Asie, proie du premier envahisseur, et qui ne se peuvent défendre contre une main qui porte le fer. Ainsi la liberté ne se conserve que par le travail, parce que le travail produit la force : retirez la malédiction prononcée contre les fils d’Adam, et ils périront dans la servitude : In sudore vultus tui, vesceris pane. »
Le gain technique va se payer formidablement. Vient une formule superbe (l’homme moins esclave de ses sueurs que de ses pensées) :
« La malédiction divine entre donc dans le mystère de notre sort ; l’homme est moins l’esclave de ses sueurs que de ses pensées : voilà comme, après avoir fait le tour de la société, après avoir passé par les diverses civilisations, après avoir supposé des perfectionnements inconnus on se retrouve au point de départ en présence des vérités de l’Ecriture. »
Chateaubriand constate la fin de la monarchie :
« La société entière moderne, depuis que la barrière des rois français n’existe plus, quitte la monarchie. Dieu, pour hâter la dégradation du pouvoir royal, a livré les sceptres en divers pays à des rois invalides, à des petites filles au maillot ou dans les aubes de leurs noces : ce sont de pareils lions sans mâchoires, de pareilles lionnes sans ongles, de pareilles enfantelettes tétant ou fiançant, que doivent suivre des hommes faits, dans cette ère d’incrédulité. »
Il voit le basculement immoral de l’homme moderne, grosse bête anesthésiée, ou aux indignations sélectives, qui aime tout justifier et expliquer :
« Au milieu de cela, remarquez une contradiction phénoménale: l’état matériel s’améliore, le progrès intellectuel s’accroît, et les nations au lieu de profiter s’amoindrissent : d’où vient cette contradiction ?
C’est que nous avons perdu dans l’ordre moral. En tout temps il y a eu des crimes; mais ils n’étaient point commis de sang−froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. A cette heure ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps; si on les jugeait autrefois d’une manière différente, c’est qu’on n’était pas encore, ainsi qu’on l’ose affirmer, assez avancé dans la connaissance de l’homme; on les analyse actuellement; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu’on peut en tirer d’utile, comme la chimie trouve des ingrédients dans les voiries».
La corruption va devenir institutionnalisée :
« Les corruptions de l’esprit, bien autrement destructives que celles des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n’appartiennent plus à quelques individus pervers, elles sont tombées dans le domaine public. »
On refuse une âme, on adore le néant et l’hébétement (Baudrillard use du même mot) :
« Tels hommes seraient humiliés qu’on leur prouvât qu’ils ont une âme, qu’au-delà de cette vie ils trouveront une autre vie ; ils croiraient manquer de fermeté et de force et de génie, s’ils ne s’élevaient au-dessus de la pusillanimité de nos pères ; ils adoptent le néant ou, si vous le voulez, le doute, comme un fait désagréable peut−être, mais comme une vérité qu’on ne saurait nier. Admirez l’hébétement de notre orgueil ! »
L’individu triomphera et la société périra :
« Voilà comment s’expliquent le dépérissement de la société et l’accroissement de l’individu. Si le sens moral se développait en raison du développement de l’intelligence, il y aurait contrepoids et l’humanité grandirait sans danger, mais il arrive tout le contraire : la perception du bien et du mal s’obscurcit à mesure que l’intelligence s’éclaire ; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s’élargissent. Oui, la société périra : la liberté, qui pouvait sauver le monde, ne marchera pas, faute de s’appuyer à la religion ; l’ordre, qui pouvait maintenir la régularité, ne s’établira pas solidement, parce que l’anarchie des idées le combat… »
Une belle intuition est celle-ci, qui concerne…la mondialisation, qui se fera au prix entre autres de la famille :
« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra−t−elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez-vous jeter au cou d’un frère. »
Puis Chateaubriand décrit notre société nulle, plate et creuse - et surtout ubiquitaire :
« Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne ? ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait−il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera−t−il un idiome universel, ou bien y aura−t−il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient−elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? »
Et de conclure sur cette prison planétaire :
« Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »
Elle n’en est même pas capable…
Et Chateaubriand insiste encore – l’air va devenir irrespirable (entre le modèle chinois et le modèle américain !) – et on n’aura décidément plus qu’une envie : ne plus être là ou ne plus être carrément :
« Les modernes sectaires...pensent qu’on pourrait nous mener à l’idéale médiocrité américaine… D'autres, plus obligeants encore, et qui admettent une sorte d'élégance de civilisation, se contenteraient de nous transformer en Chinois constitutionnels, à peu près athées, vieillards éclairés et libres, assis en robes jaunes pour des siècles dans nos semis de fleurs, passant nos jours dans un confortable acquis à la multitude, ayant tout inventé, tout trouvé, végétant en paix au milieu de nos progrès accomplis, et nous mettant seulement sur un chemin de fer, comme un ballot, afin d'aller de Canton à la grande muraille deviser d'un marais à dessécher, d'un canal à creuser, avec un autre industriel du Céleste−Empire. Dans l'une ou l'autre supposition, Américain ou Chinois, je serai heureux d'être parti avant qu'une telle félicité me soit advenue ».
Sources principales :
François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, conclusion
https://www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/chateaubriand_memoires_outre-tombe.pdf
Nicolas Bonnal – Chroniques sur la fin de l’histoire ; Guénon, Bernanos et les gilets jaunes (Amazon.fr)
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Sommaire :
- Guerre vu par la presse
- Personnages & avatars dans Guerre
- Cascade ou l’Œdipe des bas-fonds.
Pour le premier numéro de sa revue, Littératures & Cie, Joseph Vebret nous gratifie de deux articles relatifs à la découverte des manuscrits de Céline. Celui signé David Alliot, « Qui a volé Louis-Ferdinand Céline ? », retrace l’étonnante histoire de ces manuscrits inédits qui firent surface l’été dernier. L’autre, « Céline en valises », est dû à Emmanuel Pierrat, conseil du receleur Thibaudat. Certes, il faut savoir gré à celui-ci d’avoir préservé ces trésors et de ne pas avoir cherché à les monnayer. Mais comment ne pas songer à Lucette qui eût été heureuse de savoir que ces manuscrits n’avaient pas disparu et dont l’exploitation commerciale l’aurait aidée à la fin de sa vie ? On pense aussi aux amis céliniens, aujourd’hui disparus, qui n’auront jamais pu lire ces textes que Thibaudat dit détenir depuis une quinzaine d’années alors même qu’il savait leur origine frauduleuse.
Manuscrits volés, et non pas “abandonnés« , puis “confisqués” par la Résistance comme certains se plaisent à l’affirmer aujourd’hui¹. Les mêmes soulignent le piquant paradoxe du “sauvetage” des manuscrits par des résistants mais se font discrets sur la personnalité de Rosembly, se gardant bien d’indiquer qu’avant de devenir un résistant de la onzième heure (emprisonné à la Libération pour pillage d’appartements), il fut un militant actif d’un parti collaborationniste radical. Mais est-ce vraiment lui l’auteur du vol ? Et, si tel est le cas, a-t-il conservé longtemps ces manuscrits ? Ou sont-ce les (vrais) résistants, membres du futur Comité parisien de la Libération, qui se réunissaient dans l’appartement en-dessous de celui de Céline ? Ce qui n’est pas davantage rappelé, c’est que la plainte des ayants droit fut suscitée par le refus catégorique de Thibaudat de restituer ce qui ne lui appartenait pas.
Mieux : il entendait, comme l’un de ses courriels l’atteste, imposer ses conditions : 1) céder les manuscrits à l’IMEC dont il est proche (alors que la BNF, qui dispose déjà d’un important fonds Céline, a la préférence des ayants droit) ; 2) en assurer seul l’édition scientifique. Son intransigeance s’évanouit dès qu’une plainte pour recel et vol fut déposée : il s’exécuta alors sans barguigner et remit les manuscrits à l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels). Pierrat affirme que si sa relation avec les ayants droit s’est rapidement dégradée, c’est parce que Véronique Chovin s’est dite effrayée à l’idée que fût révélé l’’antisémitisme de Céline (!). Sollicitée par le BC, elle s’insurge : « En aucune façon je n’ai pu exprimer une telle crainte d’autant plus que je suis résolument contre toute censure et ne chercherai jamais à cacher l’antisémitisme de Céline si de nouveaux documents venaient à apparaître. Les seuls propos que j’ai échangés avec Pierrat traitaient du vol qu’il n’a d’ailleurs jamais cherché à nier (prescrit, m’a-t-il répondu), et du recel qui n’aurait posé aucun problème si nous avions été d’accord. »
Toute la vérité au sujet du vol et de la restitution sera-t-elle un jour révélée ? Thibaudat annonce un livre dans lequel il « promet de tout révéler »³. …Chiche !
• Littératures & Cie, n° 1, 1er semestre 2022, 218 pages.
Notes:
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Brasillach, le paria qui a vu les "sept couleurs" du cinéma
L'essai de Claudio Siniscalchi "Sans romantisme" raconte la relation entre l'écrivain et l'image
Stenio Solinas
Source: https://www.ilgiornale.it/news/spettacoli/brasillach-reietto-che-vide-i-sette-colori-cinema-2043998.html
J'ai commencé à lire Robert Brasillach quand j'étais encore très jeune. J'ai ensuite écrit sur lui, j'ai préfacé un de ses romans, Les sept couleurs, j'ai édité et traduit un autre, Comme le temps passe et je lui suis resté fidèle au fil des ans, comme cela se produit avec les choses de la vie que l'on chérit le plus, cette amitié, cet amour, un certain paysage, une peinture, un film... Quand on me dit qu'après tout, c'est un écrivain mineur, je laisse tomber. Que signifie "mineur" ? Par rapport à qui, par rapport à quoi ? Quel est le critère d'évaluation, le critère de jugement ?
Si l'on veut comprendre ce qu'était la France entre les deux guerres mondiales, son témoignage intellectuel reste incontournable, si l'on veut comprendre l'attraction et/ou la tentation fasciste dans les démocraties à l'heure du totalitarisme, également. Quant au narrateur, rares sont ceux qui, comme lui, ont su nous rendre cette saveur si particulière qu'a la jeunesse lorsqu'elle part à l'aventure, s'épanche dans les passions, rêve de grands exploits et, entre-temps, panse ses plaies: la première déception, la première trahison, les faux pas, les bévues sans échappatoire. Mineur ? Peu importe.
Toutes les raisons pour lesquelles la musique d'un certain Brasillach ne cesse de résonner dans notre tête à chaque fois que nous la lisons se trouvent bien alignées dans cet essai de Claudio Siniscalchi, Senza romanticismo (Bietti, pp. 350, euro 20), ostensiblement centré sur le cinéma, dont Brasillach fut un historien et un critique exemplaire, ainsi qu'à l'avant-garde par rapport à son époque, mais en réalité construit dans un soleil d'histoire, de politique, d'idéologie, de culture, de coutumes et de société autour de la France de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, et donc à ce qui en partie existait avant cette année 1909 où Brasillach vint au monde, et à ce qui en partie y sera après cette 1945 où il fut enlevé du monde. Siniscalchi sait très bien qu'une naissance enregistrée à l'état civil ne suffit pas à enfermer une vie, tout comme une pierre tombale au cimetière n'y met pas fin.
L'un des mérites de ce livre est le naturel avec lequel son auteur se promène dans un domaine aussi accidenté que l'histoire des idées et l'histoire politique, un naturel qui est le résultat d'une maîtrise des deux: Siniscalchi a tout lu, sait faire les bons liens, cherche à comprendre et n'a pas la prétention de juger. En commentant la bipartition de Walter Benjamin entre l'esthétisation de la politique et la politisation de l'esthétique, la première négative, comme fasciste, la seconde positive, comme communiste, il saisit intelligemment qu'elle n'est rien d'autre qu'une bizarrerie de sophiste: en réalité, explique-t-il, en tant que phénomènes totalitaires, le fascisme et le communisme ont pratiqué les deux options, c'est-à-dire qu'ils ont embelli la politique et fait de l'art son bras armé. Ce qui est intéressant à voir, c'est la façon dont des concepts de ce genre ont été traduits dans ce qui n'était pas des régimes totalitaires, mais des démocraties parlementaires plus ou moins en crise, la France, l'Angleterre, l'Espagne et l'Allemagne elle-même, du moins jusqu'à l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Pour rester dans le premier cas, nous nous contenterons de constater qu'ici la droite intellectuelle est plus généreuse dans ses jugements critiques que son homologue, c'est-à-dire aussi bien en termes aussi larges que, cela va sans dire, généraux.
Il y a de nombreuses raisons à cela : à gauche, l'idéologie est plus ferrée et ne donne pas de rabais, ni littéraire ni amical, alors qu'à droite, elle est plus fallacieuse car fortement conditionnée par l'individualité. Il y a dans cette dernière une idée chevaleresque de la vie, dans l'autre elle est absente, ce qui se répercute dans toute une série de choix, y compris artistiques, sans oublier la moindre emprise de la forme dite du parti à l'égard de ses militants. Dans les années 1930, Bernanos quitte poliment l'Action française, mais cela ne fait pas déserter son entourage. Dans les années 1930, Paul Nizan a critiqué le Parti communiste français et a été traité comme un vendu et un traître.
(...)
Dans son livre, Siniscalchi saisit très bien un point central de la poétique de Brasillach, avec son culte de la jeunesse qui signifie mémoire, souvenir, fidélité, vie et modèle de comportement lorsqu'il observe que pour ceux de son âge "la jeunesse est le cinéma".
Brasillach appartient à une génération qui n'a pas eu le temps de vivre la Première Guerre mondiale, ce qui le rend moins cynique, moins désabusé, moins meurtri et moins désenchanté que ceux qui, comme Drieu, Céline, Montherlant et Aragon, ont plutôt vécu cette expérience et ne l'ont pas oubliée. Son adolescence coïncide avec les années 20, avec la grande illusion (ce n'est pas un hasard si c'est aussi le titre d'un film de Jean Renoir) de la "guerre qui mit fin à toutes les guerres" et la découverte du cinéma comme le véritable art du 20e siècle, quelque chose d'inégalé, un nouveau langage sous la bannière des images en mouvement, le mouvement qui devient verbe. La combinaison est explosive, d'autant plus que le cinéma est un plaisir individuel, mais aussi de masse, qui se savoure ensemble, qu'il bénéficie d'espaces physiques reconnus et favorise ainsi les rencontres et les connaissances, qu'il est une religion avec ses rituels, ses adorateurs, ses officiants, le sentiment commun d'une même foi... Cette acceptation de la modernité est chez Brasillach typiquement fasciste, au sens de l'homme nouveau qu'il a théorisé et dont nous avons déjà parlé. Siniscalchi note à juste titre que Charles Maurras, qui avait également été le maître politique de l'Action française de Brasillach, n'avait jamais dépassé la vision de Ben Hur au cinéma... Ce n'était pas son monde, c'était un monde qu'il ne comprenait pas..... Sur la cinéphilie de Brasillach, une parenthèse doit être faite. Laissant de côté l'Histoire du cinéma, dans nombre de ses romans ainsi que dans ses mémoires autobiographiques, elle est racontée, revendiquée, fait partie de l'éducation sentimentale et de la vie de ses protagonistes et de lui-même. Cependant, elle ne se transforme jamais en fétichisme, en idolâtrie, en rejet de toute autre expérience esthétique. Il est trop cultivé, Brasillach, trop imprégné de la culture classique pour faire l'erreur de la jeter. Et c'est précisément pour cette raison qu'il est suffisamment curieux pour essayer de comprendre dans quelle mesure et jusqu'à quel point les deux cultures peuvent fusionner, surtout à une époque où l'avènement du son marque la ligne de partage des eaux entre le domaine de l'image mobile pure et ce qui viendra plus tard et qui, cependant, c'est sa réflexion, doit être au service de la première, et non la dominer. En bref, le lecteur verra que Brasillach raconte des expériences, des réflexions, des rencontres et des heurts qui étaient typiques de la passion pour le cinéma au moins jusqu'aux années 1970 et 1980, lorsque les ciné-clubs et les cinémas d'art et d'essai existaient encore et, en bref, toute cette coterie cinéphile qui a longtemps été liée à la jeunesse. On peut comprendre pourquoi, dans les années 1950, François Truffaut a rendu hommage à Brasillach. Ils étaient du même type.
20:38 Publié dans Cinéma, Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert brasillach, cinéma, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, livre | |
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Anatole France sur la guerre en Ukraine – et la folie américaine
par Nicolas Bonnal
L’Amérique est toujours en guerre, un peu comme sa marâtre anglaise ; elle a fait détruire l’Ukraine et prépare l’anéantissement de l’Europe comme en 1942-43 (on rase l’Occident et on laisse l’Orient à Staline); ensuite l’infatigable ira exterminer russes et chinois; et si elle peut au bout détruire une nouvelle fois le monde, elle sera exaucée car on pourra tout reconstruire ou faire des croisières au milieu des ruines (Julius Evola sera bien attrapé). Anatole France nous explique pourquoi dans l’Ile aux pingouins (merci à un lecteur anonyme).
C’était il y a plus de cent ans. Avant la guerre, on fait les présentations (Titan, Babel, géant, Walhalla du business comme dans le film Network, etc.) :
« Après quinze jours de navigation son paquebot entra, la nuit, dans le bassin de Titanport où mouillaient des milliers de navires. Un pont de fer, jeté au-dessus des eaux, tout resplendissant de lumières, s'étendait entre deux quais si distants l'un de l'autre que le professeur Obnubile crut naviguer sur les mers de Saturne et voir l'anneau merveilleux qui ceint la planète du Vieillard. Et cet immense transbordeur charriait plus du quart des richesses du monde. »
On arrive dans la Nouvelle Atlantide façon Francis Bacon (on y reviendra à celui-là) :
« Le savant pingouin, ayant débarqué, fut servi dans un hôtel de quarante-huit étages par des automates, puis il prit la grande voie ferrée qui conduit à Gigantopolis, capitale de la Nouvelle-Atlantide. Il y avait dans le train des restaurants, des salles de jeux, des arènes athlétiques, un bureau de dépêches commerciales et financières, une chapelle évangélique et l'imprimerie d'un grand journal que le docteur ne put lire, parce qu'il ne connaissait point la langue des Nouveaux Atlantes. Le train rencontrait, au bord des grands fleuves, des villes manufacturières qui obscurcissaient le ciel de la fumée de leurs fourneaux: villes noires le jour, villes rouges la nuit, pleines de clameurs sous le soleil et de clameurs dans l'ombre. »
Le très crétin professeur obnubilé se croit dans un pays pacifique (il n’a pas lu Smedley Butler) :
« —Voilà, songeait le docteur, un peuple bien trop occupé d'industrie et de négoce pour faire la guerre. Je suis, dès à présent, certain que les Nouveaux Atlantes suivent une politique de paix. Car c'est un axiome admis par tous les économistes que la paix au dehors et la paix au dedans sont nécessaires au progrès du commerce et de l'industrie. »
Gigantopolis est une dromocratie (comme dirait Virilio) :
« En parcourant Gigantopolis, il se confirma dans cette opinion. Les gens allaient par les voies, emportés d'un tel mouvement, qu'ils culbutaient tout ce qui se trouvait sur leur passage. Obnubile, plusieurs fois renversé, y gagna d'apprendre à se mieux comporter: après une heure de course, il renversa lui-même un Atlante. »
On arrive au parlement (style grec néoclassique) :
« Parvenu sur une grande place, il vit le portique d'un palais de style classique dont les colonnes corinthiennes élevaient à soixante-dix mètres au-dessus du stylobate leurs chapiteaux d'acanthe arborescente.
Comme il admirait immobile, la tête renversée, un homme d'apparence modeste, l'aborda et lui dit en pingouin:
—Je vois à votre habit que vous êtes de Pingouinie. Je connais votre langue; je suis interprète juré. Ce palais est celui du Parlement. En ce moment, les députés des États délibèrent. Voulez-vous assister à la séance?
Introduit dans une tribune, le docteur plongea ses regards sur la multitude des législateurs qui siégeaient dans des fauteuils de jonc, les pieds sur leur pupitre. »
La séance commence – et les justes guerres et autres guerres du droit commercial ou autre. On commencera par la Mongole (c’est entre la Chine et la Russie) :
« Le président se leva et murmura plutôt qu'il n'articula, au milieu de l'inattention générale, les formules suivantes, que l'interprète traduisit aussitôt au docteur:
—La guerre pour l'ouverture des marchés mongols étant terminée à la satisfaction des États, je vous propose d'en envoyer les comptes à la commission des finances….
»Il n'y a pas d'opposition?…
»La proposition est adoptée.
»La guerre pour l'ouverture des marchés de la Troisième-Zélande étant terminée à la satisfaction des États, je vous propose d'en envoyer les comptes à la commission des finances….
»Il n'y a pas d'opposition?…
»La proposition est adoptée. »
Après Anatole nous explique pourquoi cette grande nation commerçante adore comme l’Angleterre faire tout le temps et partout la guerre. Lisez bien c’est génial :
—Ai-je bien entendu? demanda le professeur Obnubile. Quoi? vous, un peuple industriel, vous vous êtes engagés dans toutes ces guerres!
—Sans doute, répondit l'interprète: ce sont des guerres industrielles. Les peuples qui n'ont ni commerce ni industrie ne sont pas obligés de faire la guerre; mais un peuple d'affaires est astreint à une politique de conquêtes. Le nombre de nos guerres augmente nécessairement avec notre activité productrice. Dès qu'une de nos industries ne trouve pas à écouler ses produits, il faut qu'une guerre lui ouvre de nouveaux débouchés. C'est ainsi que nous avons eu cette année une guerre de charbon, une guerre de cuivre, une guerre de coton. Dans la Troisième- Zélande nous avons tué les deux tiers des habitants afin d'obliger le reste à nous acheter des parapluies et des bretelles. »
La suite n’est pas mal non plus :
« À ce moment, un gros homme qui siégeait au centre de l'assemblée monta à la tribune.
—Je réclame, dit-il, une guerre contre le gouvernement de la république d'Émeraude, qui dispute insolemment à nos porcs l'hégémonie des jambons et des saucissons sur tous les marchés de l'univers.
—Qu'est-ce que ce législateur? demanda le docteur Obnubile.
—C'est un marchand de cochons.
—Il n'y a pas d'opposition? dit le président. Je mets la proposition aux voix.
La guerre contre la république d'Emeraude fut votée à mains levées à une très forte majorité.
—Comment? dit Obnubile à l'interprète; vous avez voté une guerre avec cette rapidité et cette indifférence!… »
Cerise sur le gâteau, le coût humain :
—Oh! c'est une guerre sans importance, qui coûtera à peine huit millions de dollars.
—Et des hommes….
—Les hommes sont compris dans les huit millions de dollars. »
N’oublions pas que nos commerçants anglo-saxons sont malthusiens aussi. Il leur faudra 500 millions d’hommes, comme indiqué en Géorgie.
On laisse le maître conclure :
« Alors le docteur Obnubile se prit la tête dans les mains et songea amèrement:
—Puisque la richesse et la civilisation comportent autant de causes de guerres que la pauvreté et la barbarie, puisque la folie et la méchanceté des hommes sont inguérissables, il reste une bonne action à accomplir. Le sage amassera assez de dynamite pour faire sauter cette planète. Quand elle roulera par morceaux à travers l'espace une amélioration imperceptible sera accomplie dans l'univers et une satisfaction sera donnée à la conscience universelle, qui d'ailleurs n'existe pas. »
Mais si que la conscience universelle existe, ou la communauté internationale, ils l’ont dit à la télé !
On répète car c’est merveilleux :
—Les hommes sont compris dans les huit millions de dollars. »
Sources :
http://www.bouquineux.com/index.php?telecharger=1970&...
https://fr.wikisource.org/wiki/Nouvelle_Atlantide_(trad._...
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Parution du n°451 du Bulletin célinien
Sommaire :
Le procès de Nord (1962)
Simone Saintu (1892-1939)
Bardamu au fast-food
En marge de cette parution, une exposition se tient à Paris jusqu’à la mi-juillet à la Galerie Gallimard. Plusieurs feuillets, extraits des liasses des manuscrits retrouvés, y sont présentés, dont le manuscrit de Guerre, particulièrement mis en valeur. Des documents plus intimes (lettres, cartes postales, tirages d’époque, portraits,…), issus des archives de l’écrivain, sont présentés. Cette documentation apporte un éclairage sur les sources biographiques de l’œuvre, en particulier sur les liens entre Louis Destouches et ses parents, sur sa formation militaire à Rambouillet et sur sa convalescence de blessé de guerre à Hazebrouck et au Val-de-Grâce. Les médailles militaires du maréchal des logis sont exposées, ainsi que le journal de marche de son régiment (conservé par le Service historique de la Défense), et le livret matricule (prêté par les Archives de Paris). L’ensemble est complété par des documents d’histoire éditoriale provenant des archives des Éditions Gallimard et des Éditions Denoël. En cette année du 90e anniversaire de la parution de Voyage au bout de la nuit, toute l’œuvre célinienne est ainsi à nouveau sur le devant de la scène littéraire.
• Louis-Ferdinand CÉLINE, Guerre, Gallimard, coll. “Blanche”, 2022, 192 p. Édition établie par Pascal Fouché ; avant-propos de François Gibault.
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par Nicolas Bonnal
On a vu avec Castaneda l’importance des prédateurs qui se sont emparés de la terre et nous sucent comme des bonbons. Ils se nourrissent de notre énergie psychique (disons pour satisfaire les imbéciles que tout cela est une métaphore littéraire, OK ?). Le vaccin planétaire, le Reset et autres abominations technologiques, écologiques et territoriales nous ont fait basculer dans une ultra-réalité cauchemardesque basée sur la terreur, la pénurie, la connexion neuronale et l’hypnose. Hannibal Genséric a consacré un texte passionnant sur les liens de la grippe et de l’électricité, de la guerre de 14 et de la grippe soi-disant espagnole. J’ai expliqué dans un texte souvent repris que la crétinisation est venue avec la technologie, le premier à l’avoir senti et décrit fut Villiers de l’Ile-Adam (Contes cruels).
Lovecraft admirait beaucoup Maupassant. Nous aussi : Maupassant dans le Horla décrit cette intrusion extraterrestre avec un bateau marchand (ah, la mondialisation, ah, les exportations, ah, les belles usines…) qui remonte la Seine. Mais il décrit aussi TOUJOURS DANS LE HORLA la crétinisation du peuple parisien par le patriotisme (Céline fera pareil). Et cela donne ces lignes sans pareilles et jamais lues comme toujours (ah, l’école…) :
14 juillet. – Fête de la République. Je me suis promené par les rues. Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant. C’est pourtant fort bête d’être joyeux, à date fixe, par décret du gouvernement. Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt stupidement patient et tantôt férocement révolté. On lui dit : « Amuse-toi. » Il s’amuse. On lui dit : « Va te battre avec le voisin. » Il va se battre. On lui dit : « Vote pour l’Empereur. » Il vote pour l’Empereur. Puis, on lui dit : « Vote pour la République. » Et il vote pour la République. »
Le peuple technophile et moderne est bête-manipulé mais ses élites sont fanatiques-dangereuses. Maupassant :
« Ceux qui le dirigent sont aussi sots ; mais au lieu d’obéir à des hommes, ils obéissent à des principes, lesquels ne peuvent être que niais, stériles et faux, par cela même qu’ils sont des principes, c’est-à-dire des idées réputées certaines et immuables, en ce monde où l’on n’est sûr de rien, puisque la lumière est une illusion, puisque le bruit est une illusion. »
Dans Les dimanches d’un bourgeois de Paris Maupassant tape aussi sur la république et les élections. Et cela donne :
« Reste le suffrage universel. Vous admettez bien avec moi que les hommes de génie sont rares, n’est-ce pas ? Pour être large, convenons qu’il y en ait cinq en France, en ce moment. Ajoutons, toujours pour être large, deux cents hommes de grand talent, mille autres possédant des talents divers, et dix mille hommes supérieurs d’une façon quelconque. Voilà un état-major de onze mille deux cent cinq esprits. Après quoi vous avez l’armée des médiocres, qui suit la multitude des imbéciles. Comme les médiocres et les imbéciles forment toujours l’immense majorité, il est inadmissible qu’ils puissent élire un gouvernement intelligent. »
Et d’ajouter sur les députés :
« Autrefois, quand on ne pouvait exercer aucune profession, on se faisait photographe ; aujourd’hui on se fait député. Un pouvoir ainsi composé sera toujours lamentablement incapable ; mais incapable de faire du mal autant qu’incapable de faire du bien. Un tyran, au contraire, s’il est bête, peut faire beaucoup de mal et, s’il se rencontre intelligent (ce qui est infiniment rare), beaucoup de bien. »
Maupassant est libertarien en fait :
« Entre ces formes de gouvernement, je ne me prononce pas ; et je me déclare anarchiste, c’est-à-dire partisan du pouvoir le plus effacé, le plus insensible, le plus libéral au grand sens du mot, et révolutionnaire en même temps, c’est-à-dire l’ennemi éternel de ce même pouvoir, qui ne peut être, de toute façon, qu’absolument défectueux. Voilà. »
Dans Bel-ami l’auteur français le plus lu dans le monde durant un siècle écrivait :
« Il espérait bien réussir en effet à décrocher le portefeuille des Affaires étrangères qu’il visait depuis longtemps. C’était un de ces hommes politiques à plusieurs faces, sans conviction, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel. Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait des députés. Il était assez soigné, assez correct, assez familier, assez aimable pour réussir. Il avait des succès dans le monde, dans la société mêlée, trouble et peu fine des hauts fonctionnaires du moment. »
Depuis que nous sommes sous l’emprise de ses prédateurs dépourvus d’imagination (Castaneda) ou de cette modernité techno-sulfureuse, le Temps est, comme je ne cesse de le dire immobile. Même la mode disait Debord n’a plus bougé et ne bougera plus : costard-cravate. Et nous vivons dans un cercle d’informations abrutissantes et répétées. Debord :
« La construction d’un présent où la mode elle-même, de l’habillement aux chanteurs, s’est immobilisée, qui veut oublier le passé et qui ne donne plus l’impression de croire à un avenir, est obtenue par l’incessant passage circulaire de l’information, revenant à tout instant sur une liste très succincte des mêmes vétilles, annoncées passionnément comme d’importantes nouvelles ; alors que ne passent que rarement, et par brèves saccades, les nouvelles véritablement importantes, sur ce qui change effectivement. Elles concernent toujours la condamnation que ce monde semble avoir prononcée contre son existence, les étapes de son autodestruction programmée. »
Mais revenons au Horla et aux prédateurs. On a l’impression que Castaneda a lu et plagié Maupassant. Car le dernier maître de notre littérature (très grand inspirateur des deux plus grands génies du cinéma américain, Raoul Walsh et John Ford – la diligence…) écrit:
« Ah ! le vautour a mangé la colombe ; le loup a mangé le mouton ; le lion a dévoré le buffle aux cornes aiguës ; l’homme a tué le lion avec la flèche, avec le glaive, avec la poudre; mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et du bœuf : sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. Malheur à nous ! »
Ensuite on entre carrément dans la SF. Je vous laisse retrouver des titres de films (mon préféré est le classique de Don Siegel sur les body snatchers) et je cite :
« Mais celui qui me gouverne, quel est-il, cet invisible ? cet inconnaissable, ce rôdeur d’une race surnaturelle ?
Donc les Invisibles existent ! Alors, comment depuis l’origine du monde ne se sont-ils pas encore manifestés d’une façon précise comme ils le font pour moi ? Je n’ai jamais rien lu qui ressemble à ce qui s’est passé dans ma demeure. Oh ! si je pouvais la quitter, si je pouvais m’en aller, fuir et ne pas revenir. Je serais sauvé, mais je ne peux pas. »
Hitler a parlé dans Hitler m’a dit de Rauschning (je sais, c’est un faux, etc.) de ses visions du dur surhomme qui l’effrayaient. Maupassant :
« On dirait que l’homme, depuis qu’il pense, a pressenti et redouté un être nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde, et que, le sentant proche et ne pouvant prévoir la nature de ce maître, il a créé, dans sa terreur, tout le peuple fantastique des êtres occultes, fantôme vagues nés de la peur… »
Après le narrateur fait allusion au grand espace :
« Pas de lune. Les étoiles avaient au fond du ciel noir des scintillements frémissants. Qui habite ces mondes ? Quelles formes, quels vivants, quels animaux, quelles plantes sont là-bas ? Ceux qui pensent dans ces univers lointains, que savent-ils plus que nous ? Que peuvent-ils plus que nous ? Que voient-ils que nous ne connaissons point ? Un d’eux, un jour ou l’autre, traversant l’espace, n’apparaîtra-t-il pas sur notre terre pour la conquérir, comme les Normands jadis traversaient la mer pour asservir des peuples plus faibles ? »
Et il cite la presse ce narrateur (le conditionnement par la presse est la clé de l’involution spirituelle puis psychique depuis cinq siècles – relisez Macluhan) :
« Une nouvelle assez curieuse nous arrive de Rio de Janeiro. Une folie, une épidémie de folie, comparable aux démences contagieuses qui atteignirent les peuples d’Europe au moyen âge, sévit en ce moment dans la province de San-Paulo.
Les habitants éperdus quittent leurs maisons, désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant poursuivis, possédés, gouvernés comme un bétail humain par des êtres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en outre de l’eau et du lait sans paraître toucher à aucun autre aliment. »
Ici on est très proche du film Prédateur ; car la petite paysanne indienne explique qu’un diable venu de l’espace venait dans sa jeunesse manger les hommes. Le savant ufologue Jean-Pierre Petit a fait état d’observations en ce sens dans plusieurs de ses livres :
« Il est venu, Celui que redoutaient les premières terreurs des peuples naïfs, Celui qu’exorcisaient les prêtres inquiets, que les sorciers évoquaient par les nuits sombres, sans le voir apparaître encore, à qui Les pressentiments des maîtres passagers du monde prêtèrent toutes les formes monstrueuses ou gracieuses des gnomes, des esprits, des génies, des fées, des farfadets. »
Ce qui m’intéresse en conclusion c’est de souligner que le fantastique – comme la crétinisation industrielle et typographique-médiatique – s’est développé avec la révolution industrielle, technologique et médiatique, comme si nous avions en notre époque troublée lâché et absorbé des forces méphitiques, comme ce qui était annoncé du reste dans l’Apocalypse. J’ai cité Monseigneur Gaume qui a très bellement parlé pour nous éclairer de « boucherie des âmes » pour expliquer ce qui se passe en nous depuis le temps des Lumières…
Et je vous recommande pour terminer de pratiquer la discipline de Castaneda ainsi que la relecture de mon livre sur Littérature et conspiration…
Sources :
http://achard.info/debord/CommentairesSurLaSocieteDuSpect...
http://maupassant.free.fr/pdf/horla.pdf
https://www.dedefensa.org/article/le-pokemon-et-la-cretin...
https://numidia-liberum.blogspot.com/2020/05/covid-arnaqu...
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/12/01/t...
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Parution des numéros 449 et 450 du Bulletin célinien
N°449:
Sommaire :
Entretien avec Damian Catani –
Le Céline de Damian Catani –
Dr Destouches versus Dr Ichok. Retour sur une rivalité médicale.
Suite à la parution de Céline à hue et à dia, un ami m’écrit qu’il n’apprécie guère que l’on prenne D’un château l’autre pour une œuvre historique. « Les malheureux exilés de Sigmaringen ne méritaient pas cela, et ces sarcasmes à leurs dépens me chagrinent », ajoute-t-il. Il n’est pas le seul. À la différence d’un Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau se sentit, lui, franchement offensé par ce livre qu’il considérait comme une trahison. C’est que celui qu’on appelait « PAC » avait l’esprit clanique et réagissait comme tel. Céline, lui, se voulait libre et n’entendait pas être assimilé aux journalistes de la presse collabo qui, contrairement à lui, étaient rémunérés et soumis à la censure allemande. D’un autre côté, nombreux furent les témoins de l’époque à dire que, malgré ses outrances et affabulations, Céline est le seul à avoir restitué la vérité de ce que fut le chaudron de Sigmaringen. La déception de Cousteau fut à la mesure de l’admiration qu’il portait auparavant au pamphlétaire. En mars 1957, dans le premier numéro de la revue de son ami Coston, il rappelle que Céline est « le plus grand polémiste de l’immédiate avant-guerre ». Mais trois mois plus tard paraît D’un château l’autre, précédé dans la presse de la fameuse interview à L’Express, qui va susciter l’ire de PAC. Au point de lui consacrer, en quelques semaines, pas moins de trois articles. Le premier paraît le 20 juin dans l’hebdomadaire Rivarol sous le titre « M. Céline rallie le fumier (doré) du système ». Le seul fait qu’il ait accordé un entretien à L’Express, dirigé par Schreiber et Giroud-Gourdji, le hérisse, et plus encore le fait que Céline renie, selon lui, ce qu’il écrivit jadis dans ses pamphlets.
Dans la revue Lectures françaises, il remet le couvert, pratiquant la satire avec un art consommé. Parodiant le titre du roman qui marque le grand retour de Céline sur la scène littéraire, il porte l’estocade, le 11 juillet, avec un brûlot titré « D’un râtelier l’autre ». Son goût de la parodie y fait merveille. Cet article vient d’être repris dans une anthologie des écrits journalistiques de Cousteau. Bien entendu, Céline ne laissera pas ces attaques sans réponse : il y répliquera dès son roman suivant, Nord, précisant qu’il n’avait pas besoin d’autres haineux, ceux de son clan lui suffisant. PAC y est cité une dizaine de fois. Idem dans Rigodon (posthume), où il se voit traité d’employé de la Propagandastaffel, et de « bourrique » aussi enragée que Sartre. Toutes ces querelles appartiennent au passé. Ce qui importe désormais c’est le talent. Et, s’il n’atteignait pas, loin s’en faut, le génie de Céline, Cousteau n’était pas dépourvu de savoir-faire. Dans un style bien différent, ce prince de la litote était un sacré polémiste. Qu’il se soit, lui aussi, fourvoyé ne change rien à l’affaire. Depuis qu’il est à la retraite, son fils, cardiologue émérite, a entrepris de publier sa biographie et différents inédits, dont son journal de prison, qui constitue un document exceptionnel. Reste à rééditer Les Lois de l’hospitalité, sans doute son meilleur livre. Il n’a jamais été republié depuis sa parution, l’année même où parut D’un château l’autre. Cousteau mourut prématurément l’année suivante, victime d’un cancer qui suscita, il faut bien en convenir, les sarcasmes malvenus de Céline dans Rigodon. Ce qui lui vaudra d’être vilipendé post-mortem par l’un des amis de Cousteau lorsque ce livre fut réédité en Pléiade¹.
• Pierre-Antoine COUSTEAU, Portraits et entrevues [textes réunis et présentés par Jean-Pierre Cousteau], préface de Pierre-Alexandre Bouclay , Via Romana, 2022, 410 p. (29 €)
N°450:
Sommaire :
Woinville, 22 septembre 1914
Les affabulations de Marc-Édouard Nabe
Bibliographies
Entretien avec Jean Guenot (3e partie)
Céline sauvé par ses pamphlets ? Telle est la thèse hétérodoxe d’un prêtre catholique, docteur en philosophie. Ils sauvent, selon lui, l’œuvre célinienne « de la banalisation, de l’embourgeoisement, bref du “classicisme” ». …Comme si cette œuvre avait besoin de ça ! Jamais les lettrés ne risqueront de la trouver banale ou conformiste. Ni même classique au sens où l’entend l’auteur. Et Céline n’a aucunement besoin du scandale pour demeurer un auteur vivant, comme l’a récemment montré l’écho suscité par la découverte des manuscrits inédits. Le scandale suscité par ses écrits polémiques aurait plutôt pour effet d’écarter de lui de nombreux lecteurs. Ce scandale, l’auteur ne craint pas de l’affronter, rendant compte, de manière probe, de la teneur des “pamphlets”. (Pas tous. Mea culpa n’est pas pris en compte, ce qui est dommage car il s’y trouve un passage qui plairait au philosophe chrétien.) À juste titre, il estime Bagatelles supérieur aux deux suivants, appréciant notamment l’épisode à l’hôpital de Leningrad, « absolument hilarant ». D’une manière générale, il estime que ce livre, en beaucoup d’endroits, est « un ouvrage intensément drôle, qui fait hurler de rire son lecteur. » Commentaire audacieux alors que certains s’attachent aujourd’hui à culpabiliser ceux qui osent rire à la lecture de ce brûlot. À propos de L’École des cadavres, l’auteur rappelle qu’il faut se garder de verser dans l’anachronisme et rappelle que le livre a été publié en novembre 1938 : « La France n’est nullement en guerre contre l’Allemagne, encore moins envahie par les Allemands. » Et d’ajouter que ce pamphlet n’est pas un livre « collaborationniste ». Mais sait-il que, quatre ans plus tard, Céline le revendiquera comme étant « collaborateur (avant le mot) » ? Quant aux Beaux draps, il écrit que ce livre est « beaucoup plus lisible et intéressant » que le précédent. L’auteur commet, en revanche, un contresens lorsqu’il estime que Céline se contredit, ayant d’abord proclamé, rappelle-t-il, son intention de ne jamais « s’engager ». Si le pamphlétaire affirme dans Bagatelles qu’il n’a, en effet, jamais pris parti pour tel ou tel, bref qu’il n’a voulu être inféodé à personne, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’ait pas pris position. Lorsque les Allemands confisquent son or en Hollande, il écrit à Brinon : « J’espère que l’on voudra bien ne pas me “punir” d’avoir été partisan. »
L’auteur n’est pas un célinien patenté. Ainsi n’apprécie-t-il guère, dans la trilogie allemande, les passages savoureux où Céline évoque sa vie à Meudon. Il assure aussi que, même lorsqu’on l’apprécie, Nord est « un peu longuet » (!). En le lisant, on comprend que ses goûts l’orientent davantage vers des écrivains, également sulfureux, mais plus conventionnels. Il a devancé le reproche qu’on pourrait lui adresser en rappelant que ces auteurs – également traités dans son livre –, pour critiquables qu’ils soient, n’ont jamais assassiné personne. Et d’ajouter ceci qui ne manque pas de force : « Quand je pense que de grands massacreurs comme Danton et Robespierre possèdent respectivement une vingtaine de rues à leur nom en France ; quand je songe qu’un archi-criminel scandaleux comme Lénine est gratifié de près de quatre-vingt-dix rues, toujours en France, je me dis que parler de Drumont, de Barrès, ou de Maurras, est vraiment permis aux honnêtes gens¹. »
• Grégoire CELIER, Le XIXe parallèle (Flâneries littéraires hors des sentiers battus), Via Romana, 2022, 348 p.
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Astolphe de Custine et les racines du conflit entre Russes et Occidentaux
Nicolas Bonnal
Les lettres de Custine sont une démonstration géopolitique du présent permanent : dans les années 1830-40, le « monde moderne » se forme – et comme dit Guénon, au moment où on abuse du mot, la « civilisation » au sens réel et traditionnel disparaît.
A ce moment se crée le combat et le thème de la russophobie. Custine incarne cet ordre libéral à qui la Russie répugne. Et cela donne ces lignes sur le Russe :
«Le despotisme complet, tel qu'il règne chez nous, s'est fondé au moment où le servage s'abolissait dans le reste de l'Europe. Depuis l'invasion des Mongols, les Slaves, jusqu'alors l'un des peuples les plus libres du monde, sont devenus esclaves des vainqueurs d'abord, et ensuite de leurs propres princes. Le servage s'établit alors chez eux non-seulement comme un fait, mais comme une loi constitutive de la société. Il a dégradé la parole humaine en Russie, au point qu'elle n'y est plus considérée que comme un piège: notre gouvernement vit de mensonge, car la vérité fait peur au tyran comme à l'esclave. Aussi quelque peu qu'on parle en Russie, y parle-t-on encore trop, puisque dans ce pays tout discours est l'expression d'une hypocrisie religieuse ou politique".
«L'autocratie, qui n'est qu'une démocratie idolâtre, produit le nivellement tout comme la démocratie absolue le produit dans les républiques simples. »
Custine voit déjà le futur « homo sovieticus » de Zinoviev et il décrit le russe comme un automate :
« Ce membre, fonctionnant d'après une volonté qui n'est pas en lui, vit autant qu'un rouage d'horloge; on appelle cela l'homme, en Russie… La vue de ces automates volontaires me fait peur; il y a quelque chose de surnaturel dans un individu réduit à l'état de pure machine. Si, dans les pays où les mécaniques abondent, le bois et le métal nous semblent avoir une âme, sous le despotisme les hommes nous semblent de bois; on se demande ce qu'ils peuvent faire de leur superflu de pensée, et l'on se sent mal à l'aise à l'idée de la force qu'il a fallu exercer contre des créatures intelligentes pour parvenir à en faire des choses; en Russie j'ai pitié des personnes, comme en Angleterre j'avais peur des machines. Là il ne manque aux créations de l'homme que la parole; ici la parole est de trop aux créatures de l'État. »
Petite pointe involontairement humoristique :
« Ces machines, incommodées d'une âme, sont, au reste, d'une politesse épouvantable; on voit qu'elles ont été ployées dès le berceau à la civilité comme au maniement des armes… »
On fait souvent de Poutine un grand joueur d’échecs. Custine écrit déjà :
« Cette population d'automates ressemble à la moitié d'une partie d'échecs, car un seul homme fait jouer toutes les pièces, et l'adversaire invisible, c'est l'humanité. On ne se meut, on ne respire ici que par une permission ou par un ordre impérial; aussi tout est-il sombre et contraint; le silence préside à la vie et la paralyse. Officiers, cochers, cosaques, serfs, courtisans, tous serviteurs du même maître avec des grades divers, obéissent aveuglément à une pensée qu'ils ignorent; c'est un chef-d'œuvre de discipline; mais la vue de ce bel ordre ne me satisfait pas du tout, parce que tant de régularité ne s'obtient que par l'absence complète d'indépendance. »
Un seul cerveau contrôle tout le monde :
« Parmi ce peuple privé de loisir et de volonté, on ne voit que des corps sans âmes, et l'on frémit en songeant que, pour une si grande multitude de bras et de jambes, il n'y a qu'une tête. »
Et Custine prévoit aussi la Révolution russe :
« Le pouvoir exorbitant et toujours croissant du maître est la trop juste punition de la faiblesse des grands. Dans l'histoire de Russie personne, hors l'Empereur, n'a fait son métier; la noblesse, le clergé, toutes les classes de la société se sont manqué à elles-mêmes. Un peuple opprimé a toujours mérité sa peine; la tyrannie est l'œuvre des nations. Ou le monde civilisé passera de nouveau avant cinquante ans sous le joug des barbares, ou la Russie subira une révolution plus terrible que ne le fut la révolution dont l'Occident de l'Europe ressent encore les effets. »
Ceci dit il prévoit une guerre avec supériorité russe à la clé :
« Lorsque notre démocratie cosmopolite, portant ses derniers fruits, aura fait de la guerre une chose odieuse à des populations entières, lorsque les nations, soi-disant les plus civilisées de la terre, auront achevé de s'énerver dans leurs débauches politiques, et que de chute en chute elles seront tombées dans le sommeil au dedans et dans le mépris au dehors, toute alliance étant reconnue impossible avec ces sociétés évanouies dans l'égoïsme, les écluses du Nord se lèveront de nouveau sur nous, alors nous subirons une dernière invasion non plus de barbares ignorants, mais de maîtres rusés, éclairés, plus éclairés que nous, car ils auront appris de nos propres excès comment on peut et l'on doit nous gouverner. »
Une génération plus tard Ernest Renan écrira à ce propos :
« Le Slave, dans cinquante ans, saura que c’est vous qui avez fait son nom synonyme d’esclave : il verra cette longue exploitation historique de sa race par la vôtre, et le nombre du Slave est le double du vôtre, et le Slave, comme le dragon de l’Apocalypse dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l’Asie centrale, l’ancienne clientèle des Gengis Khan et Tamerlan. »
https://www.gutenberg.org/ebooks/25755
https://www.les4verites.com/culture-4v/1870-la-prophetie-...
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De Pétain à Macron: Bernanos contre leur France robotisée
Nicolas Bonnal
Bernanos publie sa fastueuse France contre les robots en 1945. Il rêve d’une France qui serait reine de la Liberté dans le futur, mais nous savons ce qu’il en est. Pour le reste il ne se trompe sur rien ; il voit un monde déjà unifié (le monde multilatéral est un simulacre sur le plan du réalisme) :
« Car, à la fin du compte, la Russie n’a pas moins tiré profit du système capitaliste que l’Amérique ou l’Angleterre ; elle y a joué le rôle classique du parlementaire qui fait fortune dans l’opposition. Bref, les régimes jadis opposés par l’idéologie sont maintenant étroitement unis par la technique. »
Il résume le monde moderne :
« Un monde gagné pour la Technique (qui) est perdu pour la Liberté. »
Il voit déjà un monde fermé, comme celui de nos passes vaccinaux et politiques (voyez les émissions de l’avocat Pierre Gentillet) :
« Jamais un système n’a été plus fermé que celui-ci, n’a offert moins de perspectives de transformations, de changements, et les catastrophes qui s’y succèdent, avec une régularité monotone, n’ont précisément ce caractère de gravité que parce qu’elles s’y passent en vase clos. »
Le monde moderne est le fils de la civilisation capitaliste anglo-saxonne ; les démocraties et les dictatures ne sont pas très différentes :
« Ce qui fait l’unité de la civilisation capitaliste, c’est l’esprit qui l’anime, c’est l’homme qu’elle a formé. Il est ridicule de parler des dictatures comme de monstruosités tombées de la lune, ou d’une planète plus éloignée encore, dans le paisible univers démocratique. Si le climat du monde moderne n’était pas favorable à ces monstres, on n’aurait pas vu en Italie, en Allemagne, en Russie, en Espagne, des millions et des millions d’hommes s’offrir corps et âmes aux demi-dieux, et partout ailleurs dans le monde — en France, en Angleterre, aux États-Unis — d’autres millions d’hommes partager publiquement ou en secret la nouvelle idolâtrie. »
Bernanos résume son époque de pétainistes de 1945 :
« …contre de Gaulle cette poignée de nobles dégénérés, de militaires sans cervelle et sans cœur, d’intellectuels à la solde des spéculateurs, d’académiciens sans vergogne, de prélats serviles… »
Les seuls à attaquer la tyrannie vaccinale sont d’ailleurs les gaullistes (il est vrai qu’en Gaule éternellement occupée tout le monde se réclame de lui). Bernanos aussi souligne une « coalition d’ignorance et d’intérêts… ». On est bien d’accord.
Pour le reste il rappelle :
« Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la République. Une démocratie sans démocrates, une République sans citoyens, c’est déjà une dictature. »
Depuis la Révolution Française on a créé le citoyen docile :
« Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse. »
Bernanos a été marqué par une pièce du méprisé Courteline :
« Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats…Ce n’était pas ses doigts que le petit bourgeois français, l’immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c’était sa dignité, c’était son âme. »
Ce résistant annonçait un monde sinistre :
« Le petit bourgeois français n’avait certainement pas assez d’imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d’État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d’hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. »
Avant le marquage numérique, le marquage digital n’est guère acceptable ; mais il fut accepté par tout le monde :
« Depuis vingt ans, combien de millions d’hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l’impossibilité non pas seulement de nuire aux Tyrans, mais de s’en cacher ou de les fuir ? »
Brève allusion au code QR ou au Nombre de la Bête :
« Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. »
La civilisation de la liberté sous l’Ancien Régime (que Bernanos reconnaît, mais pas Foucault – par exemple) a disparu car l’homme preux de l’Ancien monde est mort. Ce qui reste c’est le bobo acidulé ou le retraité téléphage que Bernanos décrit dans ses termes :
« Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice ; on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce. On pourrait dire plus exactement encore qu’une civilisation disparaît avec l’espèce d’homme, le type d’humanité, sorti d’elle. »
Le service militaire a joué son rôle (la France toujours est responsable…) :
« L’institution du service militaire obligatoire, idée totalitaire s’il en fut jamais, au point qu’on en pourrait déduire le système tout entier comme des axiomes d’Euclide la géométrie, a marqué un recul immense de la civilisation. »
Il ne faut pas s’étonner de la passivité et de la collaboration de la population. L’homme hait la Liberté :
« Des millions et des millions d’hommes ne croyaient plus à la liberté, c’est-à-dire qu’ils ne l’aimaient plus, ils ne la sentaient plus nécessaire, ils y avaient seulement leurs habitudes, et il leur suffisait d’en parler le langage. Depuis longtemps, l’État se fortifiait de tout ce qu’ils abandonnaient de plein gré. Ils n’avaient que le mot de révolution à la bouche, mais ce mot de révolution, par une comique chinoiserie du vocabulaire, signifiait la Révolution Socialiste, c’est-à-dire le triomphal et définitif avènement de l’État, la Raison d’État couronnant aussi l’édifice économique… »
Et notre écrivain ajoute magnifiquement :
« Ils le savaient bien, ils souhaitaient en finir le plus tôt possible avec leur conscience, ils souhaitaient, au fond d’eux-mêmes, que l’État les débarrassât de ce reste de liberté, car ils n’osaient pas s’avouer qu’ils en étaient arrivés à la haïr. Oh ! ce mot de haine doit paraître un peu gros, qu’importe ! Ils haïssaient la liberté comme un homme hait la femme dont il n’est plus digne… »
Je vous laisse redécouvrir ce texte inoubliable et inutile.
Sources:
https://www.youtube.com/watch?v=RJ6xLA0LQqk
https://fr.wikisource.org/wiki/La_France_contre_les_robots
https://fr.wikisource.org/wiki/Boubouroche_et_autres_pi%C...
17:18 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges bernanos, france, robots, robotisation, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | |
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Parution du n°448 du Bulletin Célinien
Sommaire :
Gianni Celati nous a quittés
Entretien avec Jean Guenot (II)
Un professeur suisse nous fait relire Bagatelles
Oscar Rosembly (1909-1990)
Rosembly dans Gringoire
Mais c’est aux prisons françaises de l’épuration qu’un historien, Pierre-Denis Boudriot, vient de consacrer un livre d’autant plus passionnant que le sujet n’a jamais été traité auparavant. Cette plongée dans le monde carcéral de l’immédiate après-guerre est basée sur les nombreux témoignages de condamnés politiques. Aussi retrouve-t-on dans ce livre des personnages connus tels ceux déjà cités mais aussi Ralph Soupault, Lucien Combelle, Claude Jamet et d’autres qui payèrent parfois très cher leur engagement. L’auteur s’est également appuyé, ce qui est plus rare, sur les nombreuses notes et circulaires de l’administration pénitentiaire relatives aux maisons centrales et à leurs prisonniers. L’exceptionnelle richesse documentaire de ce fonds donne à cet ouvrage tout son prix. La confrontation de ces deux sources a permis de confirmer la véracité des écrits des épurés, souvent jugés tendancieux car pétris de ressentiment. De manière exhaustive, l’auteur analyse tout ce qui constitue la vie carcérale : le personnel pénitentiaire, la discipline, l’alimentation, le travail, la correspondance et le parloir, les lectures (autorisées), puis l’amnistie et les libérations conditionnelles ou anticipées. Et enfin, sous le titre « Une vie à recommencer », le retour au foyer. Ce sujet a concerné pas moins de 10.000 hommes et 4.000 femmes de toutes conditions sociales, connus ou pas. Un ouvrage dont le réalisme suscite une certaine compassion rétrospective tant les conditions de détention étaient dures à cette époque.
• Pierre-Denis BOUDRIOT, Bagnes & camps de l’épuration française (1944-1954), Auda Isarn [BP 80432, 31004 Toulouse cedex 6], 2021, 239 p., bibliographie et index (20 € franco)
09:05 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, revue, livre, épuration, univers carcéral, prison, années 40 | |
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Parution du n°447 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit n’avaient aucune raison d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de Taguieff et Duraffour qui nous firent cette confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq qui le considère comme « un auteur ridiculement surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ». De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.
• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine].
Marc Laudelout
Céline à hue et à dia
Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain. Il fut aussi antisémite et souhaita la victoire des forces de l’Axe. Deux raisons pour lesquelles il est légitime pour beaucoup de le honnir. Mais ce n’est pas suffisant pour certains qui, ajoutant la diffamation à la détestation, l’accusent d’avoir été un vil délateur, un auxiliaire de la police allemande et un partisan du génocide. Sans apporter aucune preuve formelle et contredisant ainsi les spécialistes intègres de l’écrivain : « Ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (R. Tettamanzi) ; « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument » (F. Gibault) ; « Les mesures que Céline préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (H. Godard).
D’autres enfin, pour enfoncer le clou, affirment que c’est un écrivain surévalué. Dans cet ouvrage, Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien depuis 40 ans, épingle ces anticéliniens rabiques. Il évoque aussi diverses interférences littéraires, dresse le portrait de quelques figures (dont les « céliniens historiques ») et explore quelques faits liés à la biographie ainsi qu’à la réception critique de l’œuvre.
Un volume broché de 412 pages, 25 € frais de port inclus.
Exemplaire dédicacé sur demande.
Mode de règlement : chèque (bancaire ou postal) à l’ordre de M. Laudelout. Ou par virement bancaire sur le compte LCL du Bulletin célinien à Lille : IBAN : FR59 3000 2082 3100 0019 5794 L60 (BIC : CRLYFRPP).
Dans ce cas, il est recommandé de nous adresser un courriel signalant ce virement.
Autre mode de paiement : virement sur le compte du BC à Bruxelles : BE 79 0637 1647 0933 (BIC : GKCCBEBB).
Commander à :
Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
B. P. 77
BE 1200 Bruxelles
14:34 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revue, louis-ferdinand céline, céline, marc laudelout, livre, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française | |
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