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mercredi, 30 juillet 2014

Catastrophe grecque après la première guerre mondiale

 

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Erich Körner-Lakatos:

Catastrophe grecque après la première guerre mondiale

 

Au printemps de l'année 1919, Athènes ne se borne pas à réclamer la Thrace orientale jusqu'aux faubourgs de la ville de Constantinople, que les Grecs espéraient ardemment reprendre. Les Grecs veulent aussi la partie occidentale de l'Asie Mineure, au départ de la région de Smyrne (l'actuelle Izmir).

 

Les Américains font remarquer que les Turcs sont majoritaires en Anatolie occidentale. Personne ne les écoute. Dès lors, le conseil suprême de l'Entente donne le feu vert à Venizelos en mai 1919 et l'autorise à envahir l'Anatolie, alors que des troupes grecques avaient déjà débarqué à Smyrne. Au même moment, les Grecs qui vivent sur la côte méridionale de la Mer Noire et qui sont les descendants des maîtres de l'Empire de Trébizonde, détruit en 1461, se révoltent et, le 18 décembre 1919, se constitue à Batoum le gouvernement de la future République Pontique, que l'on entend bien mettre sur pied. Mais Trébizonde n'est pas seulement revendiquée par les Grecs pontiques: elle l'est aussi par les Arméniens qui exigent dans une note que cette ville leur soit cédée et fasse partie de la future Grande Arménie. Le premier ministre grec Eleftherios Venizelos déclare devant le parlement grec qu'il n'y voit aucun inconvénient. Ilkonomos, Président de la Ligue Nationale Pontique critiquera très sévèrement la Grèce pour avoir ainsi cédé face aux revendications arméniennes.

 

Lors de la signature de la Paix de Sèvres, le 10 août 1920, la Grèce obtient la Thrace orientale, l'Epire septentrionale avec Koritza. Le territoire de l'Etat grec s'étend donc jusqu'à la Mer Noire. Les Turcs conservent Istanbul, leur ancienne capitale mais celle-ci est occupée par une garnison alliée composée de troupes britanniques, françaises et grecques. Les Ottomans vaincus se montrent très réticents contre toute attente. Le Parlement du Sultan refuse la ratification et, aussitôt, un mouvement national turc se constitue sous la direction de Kemal Pacha (le futur "Atatürk") qui, sans perdre de temps, affronte les Arméniens et les Grecs le long des côtes de la Mer Noire. Ses troupes sont victorieuses: ni la Grande Arménie ni l'Etat grec-pontique ne verront le jour.

 

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A l'automne 1920, Venizelos suggère aux Britanniques d'obliger les Turcs à accepter toutes les clauses du Traité de Sèvres. Les puissances de l'Entente sont lasses de faire la guerre et pansent leurs plaies: elles acceptent la proposition grecque. Forts de ce blanc-seing, les troupes grecques s'infiltrent toujours plus profondément en Anatolie intérieure. Mais un événement ruine les plans de Venizelos: la mort du Roi Alexandre. Après un référendum, tenu le 5 décembre 1919, 999.954 voix grecques se prononcent pour le retour du Roi Constantin contre seulement 10.383 voix contre. Le vieil adversaire de Venizelos est donc à nouveau en selle: Constantin revient d'exil juste avant Noël et est accueilli triomphalement à Athènes.

En Asie Mineure, le vent tourne: en décembre 1920, les Français essuient une défaire en Cilicie contre les troupes de Kemal Pacha. Du coup, Paris décide d'évacuer le pays et de redéployer les forces françaises sur le territoire de la Syrie mandataire. Les Italiens, à leur tour, abandonnent l'Asie Mineure hostile et préfèrent se contenter de l'archipel du Dodécanèse et de l'Ile de Rhodes. Rome commet là une injustice à l'égard des Grecs car le Traité de Sèvres avait bel et bien prévu de donner ces îles à la Grèce; en contrepartie, les Italiens recevaient un morceau du Sud de l'Anatolie, celui qu'ils abandonnent après le repli français vers la Syrie. En Grèce, la Roi revenu d'exil mobilise l'armée, désormais forte de plus de 300.000 hommes. C'est la seule façon, pense Constantin, de résoudre la situation difficile dans laquelle se débattent les troupes grecques qui ont envahi l'Anatolie et qui subissent la pression constante des nationalistes turcs qui ne cessent de consolider leurs rangs. En effet, en janvier et en mars 1921, les Grecs avaient perdu deux batailles près d'Inönü. En juin 1921, le Roi Constantin se rend en Asie Mineure et prend personnellement le commandement des forces armées helléniques. L'armée de terre grecque s'avance alors vers le Nord-Est, en direction du cœur de l'Anatolie.

 

Dans un premier temps, l'offensive grecque connaît le succès, les Turcs vacillent mais c'est une tactique bien conçue. Kemal Pacha ordonne à ses troupes de se replier vers des terrains inhospitaliers. L'armée royale grecque avance jusqu'à la rivière Sakarya, très près d'Ankara. La chaleur est étouffante et les Grecs sont harcelés par des bandes de partisans nationalistes turcs. Leur logistique est entravée, ce qui handicape tous leurs mouvements. Les Grecs, toutefois, sont persuadés que les Britanniques vont les soutenir dans leur offensive et poursuivent le combat même si les Turcs sont prêts, à ce moment-là des opérations, à faire des concessions. Le front se stabilise sur une centaine de kilomètres et une bataille terrible s'engage, qui durera trois semaines le long de la rivière Sakarya. Les troupes de Kemal parviennent à bloquer l'avance des Grecs, malgré la supériorité de ceux-ci en matériel. Les attaquants déplorent la mort de 5227 soldats, morts ou disparus, plus une vingtaine de milliers de blessés et de malades. Côté turc, le nombre de victimes est plus grand encore parce que les soldats grecs disposaient d'un plus grand nombre de mitrailleuses.

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Après cette bataille de la Sakarya, les adversaires ne s'affrontent plus que lors d'escarmouches occasionnelles. A peu près un an plus tard, le 26 août 1922, une contre-attaque turque remporte un succès rapide. Les régiments de cavalerie de Mustafa Kemal percent le cordon ténu des troupes helléniques, surprennent les états-majors et détruisent les dépôts d'approvisionnement. Smyrne tombe l'après-midi du 9 septembre quand la 2ème Division de cavalerie turque pénètre dans la ville. Le reste des forces grecques quittent dans le désordre l'Anatolie. A Athènes, le désastre de la campagne d'Anatolie provoque une révolte d'officier le 26 septembre: les soldats revenus d'Asie Mineure obligent le Roi Constantin I à quitter le pays. Il meurt peu après en exil.

 

Erich Körner-Lakatos.

(article paru dans zur Zeit, Vienne, n°19/2014, http://www.zurzeit.at ).

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Un nouveau traité de paix 

 

Le seul traité signé dans la banlieue parisienne après la première guerre mondiale à avoir été révisé fut celui de Sèvres. Pendant l'été 1923, ses clauses sont remplacées par celle du Traité de Lausanne, après huit mois d'âpres négociations: le nationalistes turcs -le Sultanat supranational a été supprimé le 1 novembre 1922 et le Sultan Mehmed VI a quitté Constantinople le 17 novembre à bord d'un navire de guerre anglais pour cingler vers la Côte d'Azur-  obtiennent les régions qu'ils sont parvenus à reconquérir, soit l'Anatolie occidentale et la Thrace orientale.

 

Cela signifie, pour les Grecs, la fin de leur "grande idée" ("megali idea"), de leur rêve de reconstituer l'Empire byzantin, avec Constantinople pour centre et pour capitale. Une autre tragédie s'opère: l'échange des populations. Plus d'un million de Grecs sont contraints de quitter leur patrie de la région de Smyrne ou des côtes désormais turques de la Mer Noire, alors que ces terres avaient toujours été peuplées d'Hellènes depuis l'antiquité. 400.000 Turcs abandonnent la Thrace occidentale pour la Thrace orientale.

 

L'Entente est obligée de renoncer aux réparations qu'elle espérait infliger aux Turcs. Elle abandonne aussi Istanbul. Les Turcs garantissent en échange la libre circulation maritime dans les Détroits. Les Arméniens et les Kurdes doivent renoncer à leur rêve de disposer d'un Etat à eux. La Turquie est dorénavant un Etat aux frontières bien délimitées, réduit au noyau anatolien, qui s'est maintenu tel quel jusqu'à nos jours, si l'on excepte toutefois un gain de petites dimensions, celui d'une bande territoriale le long de la frontière syrienne: le Sandjak d'Alexandrette, cédé par la France, puissance mandataire en Syrie, en 1939.