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mercredi, 04 août 2010

Sarközy ou la trahison du gaullisme

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Bernard TOMASCHITZ :

 

Sarközy ou la trahison du gaullisme

 

En France, la résistance au sarközisme s’organise car le Président a mené le pays à l’impasse

 

La France vit déjà à l’ombre des présidentielles de 2012. En juin de cette année, l’ancien chef du gouvernement, Dominique de Villepin, un adversaire de longue date du Président Nicolas Sarközy, a formé son propre parti, « République solidaire ». De Villepin, dit-on, cultive depuis longtemps l’ambition d’accéder à la magistrature suprême. Par conséquent, il critique la politique de Sarközy, notamment l’important déficit budgétaire, qui livre la France « aux bonnes grâces de ses créanciers », de même que le retour dans le giron de l’OTAN et de ses structures de commandement, ce qui met en péril l’indépendance de la nation.

 

Même si Villepin attend encore pour annoncer sa candidature, la lutte pour le pouvoir bat déjà son plein dans le camp gaulliste. Finalement, les deux hommes se perçoivent comme les  héritiers du fondateur de la 5ème République, même si, depuis l’entrée en fonction de Sarközy il y a trois ans, le gaullisme n’est plus rien d’autre que du folklore politique. Il y a belle lurette que la politique étrangère de la « Grande Nation » est déterminée par le sarközisme : elle se manifeste de la manière la plus patente dans le rapprochement entre la France, d’une part, et les Etats-Unis et l’OTAN, d’autre part. Dès l’été 2007, à peine quelques semaines après son entrée à l’Elysée, Sarközy annonçait : « L’alliance atlantique est notre alliance : nous l’avons fondée, nous sommes aujourd’hui l’un de ses principaux bailleurs de fonds ». L’enthousiasme que manifeste Sarközy pour le « partenariat transatlantique » va si loin que les conflits d’intérêt entre la France et les Etats-Unis, comme par exemple la résistance de Paris à l’attaque contre l’Irak en 2003, sont complètement mis entre parenthèses au nom de l’harmonie nouvelle. En mars 2009, Sarközy défendait les opérations des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Yougoslavie et l’Afghanistan : « Non, l’Alliance atlantique ne pratique pas le ‘choc des civilisations ‘ ; elle a défendu les Musulmans de Bosnie et du Kosovo contre les agressions de Milosevic et elle défend le peuple afghan contre tout retour des talibans et d’Al Qaeda ». L’ancien Président américain, George W. Bush, n’aurait pas mieux défendu la politique hégémoniste des Etats-Unis.

 

Par la politique pro-américaine de son Président, la France court le risque de perdre toutes ses marges de manœuvre en politique étrangère et sur le plan de la défense. Après l’ère de la décolonisation dans les années 60, Paris s’est toujours efforcé de défendre ses intérêts en Afrique, par la force des armes s’il le fallait, afin d’apporter son soutien à ses favoris. Le meilleur exemple reste le Tchad, où la France a réussi à atteler ses « partenaires européens » sous un prétexte humanitaire pour appuyer le potentat du lieu, Idriss Deby. Aujourd’hui, des appels viennent de Washington, demandant aux Français de s’engager davantage en Afghanistan, pays où, selon Sarközy, « le peuple afghan doit être défendu contre le retour des talibans et d’Al Qaeda ». Paris doit dès lors s’exécuter et envoyer plus de troupes dans l’Hindou Kouch, troupes qui y seront clouées et ne pourront donc plus servir à défendre la « Françafrique », la zone d’influence française sur le Continent Noir. Les Etats-Unis seuls profiteront de cette situation car, dans la concurrence qui oppose aujourd’hui les puissances pour le contrôle des richesses minières africaines, ils se débarrassent ainsi subrepticement de leurs derniers concurrents européens dignes d’être pris au sérieux.

 

Renoncer aux projets politiques gaulliens  –qui entendaient former un contre-pôle européen solide face aux superpuissances américaine et soviétique, tout en réclamant l’instauration de rapports particuliers avec Moscou–  signifie aussi un fameux recul dans le développement d’une Communauté de sécurité et de défense au sein de l’UE. Car sans la France comme puissance motrice, il n’y aura pas, face aux Etats-Unis, d’émancipation européenne sur les plans de la sécurité et de la défense. Cette capitulation va dans le sens des forces les plus influentes qui, au sein des innombrables « think tanks » américains, se cassent la tête pour savoir comment agir pour que l’Europe demeure sur le long terme dans un statut semi-colonial. Le journaliste français Thierry Meyssan émet l’hypothèse que la CIA « a fait de l’un de ses agents le Président de la République française ». D’après Meyssan, les services secrets américains ont programmé en trois étapes « l’annihilation du courant gaulliste » et la montée de Sarközy. « D’abord, la mise hors jeu de la direction du parti gaulliste et la prise de contrôle de son appareil ; ensuite l’élimination du principal rival à droite, puis la nomination d’un candidat gaulliste à la présidence et, finalement, l’élimination de tout challengeur sérieux à gauche » : tel aurait été le scénario, selon Meyssan.

 

Entretemps, surtout dans les rangs de la droite, on s’est rendu compte en France que le sarközisme était en contradiction avec les intérêts stratégiques du pays. L’ancien premier ministre Alain Juppé, homme de confiance de Jacques Chirac, le prédécesseur de Sarközy, a critiqué ce dernier en février 2009, juste deux semaines avant que l’Assemblée nationale ne donne son feu vert au retour de la France dans les structures de commandement de l’OTAN ; Juppé écrivait, à ce propos, dans une tribune libre du quotidien Le Monde : «Fondée dans le contexte de l’opposition entre les blocs soviétique et occidental, l’OTAN doit aujourd’hui repenser le but de son existence et de ses missions et réfléchir au lieu où celles-ci s’exercent. La conception que s’en font les Etats-Unis ne correspond pas nécessairement à celle des Européens, surtout les Français ». Il est donc fort possible que Juppé et d’autres hommes politiques influents de la droite française iront soutenir de Villepin lors des prochaines présidentielles.

 

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°27/2010 ; http://www.zurzeit.at/ ).