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vendredi, 19 janvier 2007

Houston Stewart Chamberlain

MARS 1992

Houston Stewart Chamberlain, prophète du national-socialisme?

par Adrien de Xertigny

De vieille noblesse anglaise et écossaise, Houston Stewart Chamberlain nait le 9 septembre 1855 à Southsea près de Portsmouth en Angleterre. Son père, à sa naissance, est capitaine de la Royal Navy. Il deviendra plus tard amiral. Sa mère, Eliza Jane Hall, mourra peu de temps après sa naissance. Le jeune Houston Stewart sera élevé par sa grand-mère paternelle et sa tante Harriet Chamberlain, toutes deux résidant à Versailles. Il a fréquenté une école privée anglaise proche de la capitale française, puis a été envoyé au Collège de Cheltenham, où il reste jusqu'en 1870. Les quelques années de pension anglaise qu'il subit le dégoûtent définitivement de l'Angleterre. Il garde en revanche une affection toute de tendresse pour la France de son enfance: "... les Français restent chers à mon c¦ur quelque mauvaise que puisse être leur politique, quelque pitoyables que s'affirment les charlatans qui les conduisent".

Atteint d'une maladie nerveuse, il perégrine à travers toute l'Europe occidentale et centrale, d'hôpitaux en villes de cure. Sous la houlette de son précepteur d'allemand, le théologien Otto Kuntze, il acquiert une maîtrise parfaite de la langue de Goethe, ce qui contribue à sceller son destin de "prophète du germanisme". En 1875, grâce à son ami juif Blumenfeld, il découvre le wagnérisme, "synthèse complète de l'art, en tant que générateur de formes". En 1876, fasciné, il écrit que l'avenir de l'Europe et de sa civilisation dépend de la santé de la science et de l'esprit allemands. Il épouse en 1878 Anna Horst, fille d'un éminant juriste allemand, d'origine israëlite mais converti au protestantisme. En 1879, il est à Genève, où il entame des études universitaires à la faculté des sciences naturelles. Il s'intéresse à la botanique, plus particulièrement à la sève ascendante, montant des racines des plantes pour se capillariser à travers tiges, branches, pétales et feuilles. Interrompue par plusieurs rechutes de sa maladie nerveuse, sa recherche ne se termine qu'en 1897, année où paraît sa thèse de doctorat (Recherche sur la sève ascendante). En 1882, il assiste à la représentation du Parsifal de Wagner, lors du festival de Bayreuth. Il y reviendra chaque année.  De 1884 à 1889, il réside à Dresde où il se préoccupe intensément de l'¦uvre de Kant, de littérature et d'art allemands. En 1884, il se rend pour la première fois à la Haus Wahnfried de Bayreuth, mais ce n'est qu'en 1888 qu'il fait la connaissance de Cosima Wagner, avec laquelle il ne cessera plus de correspondre. En 1890, il part pour Vienne, où il poursuit ses études de botanique sous la direction de Julius Wiesner. C'est à Vienne qu'il rencontre les premiers cercles qualifiables d'"antisémites", notamment le Neuer Richard-Wagner-Verein (Nouvelle Association Richard Wagner), créé par le Chevalier von Schönerer, chef de file des antisémites autrichiens. Sans doute par engouement pour l'¦uvre de Wagner, Houston Stewart Chamberlain devient membre d'honneur de cette association, en dépit des ascendances juives de son épouse. A la tribune du NRWV, il prononce quelques conférences: ce sont ses premières activités para-politiques et c'est là que naissent ses premières réflexions sur le sémitisme et l'antisémitisme, de même que sur le "chaos ethnique", perceptible à Vienne, capitale d'un Etat plurinational. Chamberlain ne s'est jamais, à proprement parler, considéré comme un antisémite, mais plutôt comme un "a-sémite", comme une individualité imperméable à l'esprit juif. Position qui ne l'a jamais empêché d'admirer, chez les Juifs, la fierté d'appartenir à une race, vieille de plusieurs millénaires. Heinrich Härtle, qui fut le secrétaire d'Alfred Rosenberg, confirme, dans son ouvrage consacré à l'antisémitisme allemand (Deutsche und Juden. Studien zu einem Weltproblem, Druffel Verlag, Leoni, 1977), que la pensée de Houston Stewart Chamberlain est tout à l'opposé de l'antijudaïsme dogmatique. Ce qui importe aux yeux de Chamberlain, c'est la continuité qui forge la race: les Sépharades d'Espagne, créateurs d'une symbiose judéo-vandalo-hispano-arabe en Andalousie (Cordoue et Séville), constituent une "vraie race", une noblesse "au plein sens du mot". Les figures de cette symbiose ont belle allure, des visages empreints de noblesse, sont dignes dans leur discours et leur gestuelle. Une amitié lie Chamberlain à trois wagnériens de souche israëlite: Löwenthal, Hermann Levi et Blumenfeld (qui l'encouragea, alors qu'il séjournait à Vienne, de se rendre à Bayreuth). Se déclarant exposant de la spiritualité "aryenne" la plus profonde, car tels sont les impératifs tacites que lui dicte sa nature, Chamberlain refuse l'antisémitisme vulgaire; dans une lettre adressée le 24 juin 1899 à la rédaction de la revue Jugend, il écrit: "En fait, je ne suis pas antisémite; cela peut vous paraître étonnant, mais je compte beaucoup de Juifs et de Demi-Juifs parmi mes amis, et cette amitié qui me lie à eux est chaleureuse". Mais cette amitié ne doit pas empêcher Aryens et Juifs de reconnaître leurs spécificités et, partant, leurs différences, qu'ils ont non seulement le droit mais le devoir de défendre et d'illustrer. Et Chamberlain ajoute: "Nous nous entendrions beaucoup mieux avec nos concitoyens juifs, s'il y avait entre nous une séparation claire et honnête, sur les plans intellectuel et moral; aujourd'hui, au contraire, tout est confusion et mélange (wo alles durcheinanderschwirrt)".

A partir de 1892, il ne se consacre plus qu'à son ¦uvre littéraire: celle-ci concerne d'abord la figure de Richard Wagner, à laquelle il voue une admiration sans bornes (cf. Richard Wagner, Munich, 1896). De l'esthétique wagnérienne, l'¦uvre de Chamberlain glisse progressivement vers des thématiques religieuses, philosophiques et politiques. Ces préoccupations pluridisciplinaires donneront l'¦uvre maîtresse de Chamberlain: Die Grundlagen des 19. Jahrhunderts (en franç.: La genèse du XIXième siècle), qui paraît en 1899. Dans cette esquisse historique, Chamberlain tente de dégager quelles sont les formes fondamentales, les fondements, les assises, de l'hellénité, de la romanité (plus précisément, du droit romain, principal legs de Rome), de la religion annoncée par le Christ, du judaïsme, du germanisme. L'Europe du XIXième siècle constitue l'apothéose de la germanité qui a créé une nouvelle culture entre 1200 et 1800. Les découvertes (de Marco Polo à Galvani), la science (de Roger Bacon à Lavoisier), l'industrie (du papier à la machine à vapeur de Watt), l'économie (des ligues interurbaines de Lombardie à Robert Owen, fondateur de la notion et de la pratique de la "coopération"), la politique et la vie religieuse, la vision-du-monde (Weltanschauung; de François d'Assise à Immanuel Kant), l'art (de Giotto à Goethe), portent la marque indélébile du germanisme, en dépit des influences destructrices de l'esprit juif/sémitique, ou, plus exactement, puisque Chamberlain est plutôt "a-sémite" qu'"antisémite", du prophétisme dissolvant les "formes", issues d'un fond racial/culturel spécifique, élaborées par le génie inné des peuples aryens au cours de leur histoire. Le prophétisme dissout ou tente de dissoudre ce qui est inscrit dans le réel, y compris dans la chair des peuples, parce qu'il juge inférieur ce qui existe en acte et ne valorise que ce qui adviendra dans un avenir tout hypothétique. Les peuples affectés par le prophétisme oublient leur devoir de rester fidèles aux formes léguées par leurs ancêtres.

A partir de 1901, l'Empereur Guillaume II, lecteur enthousiaste de la Genèse, amorce une correspondance avec Houston Stewart Chamberlain, qui se poursuivra jusqu'à sa mort en 1927. Le 31 décembre 1901, dans l'une de ses premières lettres, l'Empereur remercie Chamberlain de l'avoir éclairé "sur les racines raciales de la culture européenne et sur les dangers qui les menacent"; pour Guillaume II, Chamberlain est "un compagnon de combat et un allié dans son combat pour la Germanie contre Rome, Jérusalem, etc.". Le courrier entre l'Empereur et l'auteur de la Genèse est une source très importante pour comprendre les idées motrices de Guillaume II et du germanisme politique; mais on y trouve également des réflexions philosophiques, notamment sur la philosophie de Kant, sollicitée aujourd'hui dans une perspective humanitariste et universaliste. Chamberlain, et à sa suite, Alfred Rosenberg, puis le secrétaire de ce dernier, Heinrich Härtle, jettent les base d'un kantisme non humanitariste et non universaliste; en effet, dans une lettre à Guillaume II, datée du 20 février 1902, Chamberlain explique ce qui le fascine en Kant: "... Kant savait ce que je sais: que la religion, qui était adaptée aux Juifs, n'est pas adaptée aux Aryens; et il savait aussi qu'elle était en contradiction avec ce qu'enseignait le Christ, qui n'était pas juif... Les idées folles du sémitisme doivent être reconnues en tant que telles; le spectre des falsifications historiques, qui tournoie autour de notre libre esprit [i.e. l'esprit germanique détaché de tout dogme, ndt], doit être éloigné...". Pour Chamberlain, la non-judéité du Christ saute aux yeux quand on compare son message à celui du prophète Ezéchiel, consigné dans l'Ancien Testament; Ezéchiel expose les ressentiments d'un peuple vaincu, qui cherche vengeance mais demeure impuissant face à la force de ses dominateurs. Ezéchiel fait miroiter à cette masse de vaincus amorphes, qui refoule tant bien que mal sa soif de vengeance, un "avenir impossible à atteindre", scellant par là même la naissance du messianisme de facture sémitique. Cet espoir insensé, cette mobilisation des c¦urs pour des objectifs qui ne se réaliseront jamais: en cela, réside l'erreur du judaïsme, d'autant plus que ce messianisme s'accompagne d'une codification dogmatique des comportements, transformant le judaïsme en une religion de la loi. Pour fonder le judaïsme, les prophètes, à la suite d'Ezéchiel, tuent une religion populaire hébraïque, jadis vivante, mais en conservent le cadavre momifié.

En 1905, codifiant ses réflexions éparses, il publie un maître-ouvrage sur le philosophe allemand Immanuel Kant (où figurent également des études aussi profondes qu'innovatrices sur Goethe, Léonard de Vinci, Descartes, Giordano Bruno et Platon; Immanuel Kant. Die Persönlichkeit als Einführung in das Werk, Munich, 1905). Par cette étude sur Kant, Chamberlain rompt avec le préjugé, fort répandu, qui voit dans le philosophe de Königsberg, un esprit terne, ultra-compliqué, sec, d'une précision d'horloge, hors du monde, dépourvu de "sang et de tripes". Au contraire, Chamberlain s'aperçoit qu'au-delà de la sécheresse de l'écriture kantienne, le philosophe de Königsberg nous plonge dans la vie, dans l'"expérience immédiate" des choses qui peuplent le cosmos. Chamberlain, qui avait écrit et répété que son objectif était de pénétrer le mystère de la vie, trouve en Kant un aîné, un maître. Son étude sur Kant permet de l'inscrire dans une "filiation métaphysique/philosophique": le Christ, François d'Assise, Kant, Goethe; le Christ dit: "Le Royaume est au-dedans de vous"; Kant, dix-huit siècles plus tard écrit: "le ciel étoilé est au-dessus de moi et la loi morale est en moi"; au lieu de déduire la loi morale d'un Dieu extérieur, dominateur, vengeur, indifférent et/ou capricieux, Kant en place la source dans l'intériorité même de l'homme, laquelle devient, ipso facto, une subjectivité saine, capable de générer le bien et le beau dans le monde. L'idéal de la "subjectivité saine" de l'homme honnête, de la communauté intacte ou du peuple pur peut, à l'évidence, se greffer sur l'idéologie racialiste, dérivée de Gobineau et en vogue dans l'Europe du XIXième siècle. Elle sera reprise par les philosophes et juristes nationaux-socialistes, tels Ernst Krieck et Otto Koellreutter (qui, après un aggiornamento, participera à l'élaboration du droit propre à la RFA). Dans l'optique de Chamberlain, il existe des peuples à la subjectivité saine, capables de produire de grandes ¦uvres historiques. Depuis la chute de Rome, ce sont les peuples germaniques (mais aussi slaves et celtiques) qui ont déployé et enrichi, en Europe et dans le monde, les trésors enfouis en puissance dans leur "subjectivité saine" spécifique. Sur le plan de l'antisémitisme, thème sulfureux, nous apercevons également la filiation entre la critique du prophétisme d'Ezéchiel et l'engouement pour la pensée de Kant: ce dernier a reproché aux églises chrétiennes de "vouloir transformer tous les hommes en Juifs", en affirmant que le Christ était un prophète juif, réalisant la prophétie d'Ezéchiel. Aux yeux de Kant, cette transformation de tous les hommes en Juifs provient du fait qu'à l'instar du judaïsme prophétique, les églises chrétiennes imposent des catalogues de dogmes, alors que, précisément, le Christ, en tant que prophète non du judaïsme mais de l'aryanité, cherchait à établir une religion dégagée des dogmes, reposant sur l'intériorité saine des hommes.

En 1908, après son divorce avec Anna Horst, il épouse Eva von Bülow (1867-1942), fille illégitime de Richard Wagner et de Cosima von Bülow, elle-même fille illégitime du compositeur Franz Liszt et de la Comtesse Marianne d'Agoult, née Vicomtesse de Flavigny. A partir de 1909, il se fixe définitivement à Bayreuth; son vivier devient le cercle des intimes de Cosima Wagner-von Bülow. En 1912, paraît son étude magistrale sur Goethe, qui fait toujours autorité aujourd'hui, alors que sa Genèse du XIXième siècle fait partie, elle, des ¦uvres refoulées par l'idéologie dominante (Goethe, Munich, 1912).

Peu avant la première guerre mondiale, un empoisonnement, dû à l'absorption d'une trop forte dose de mercure, le paralyse progressivement; la faculté de parole s'amenuise et il mourra muet. En 1914, il prend fait et cause pour sa patrie d'adoption, réservant ses critiques les plus acerbes à son pays d'origine, l'Angleterre (cf. Deutsches Wesen. Ausgewählte Aufsätze, 1916). L'Empereur Guillaume II estime que ses thèses anti-anglaises sont excellentes, servent à merveille la propagande allemande, et lui confère, en guise de récompense, la Croix de Fer de Première Classe. Notons que ce n'est qu'en 1916 que Houston Stewart Chamberlain acquiert la nationalité allemande. Après la défaite allemande et l'exil en Hollande de l'Empereur (avec lequel il poursuit sa correspondance), Houston Stewart Chamberlain, physiquement très diminué, achève son ¦uvre philosophique: en 1921 parait Mensch und Gott (= L'Homme et Dieu; Mensch und Gott. Betrachtungen über Religion und Christentum, Munich, 1921), une analyse brillante du rapport unissant la divinité à l'homme dans le christianisme, où la figure du Christ-Sauveur est valorisée en tant que mystique "claire et enfantine", "souriante et sûre d'elle-même", tandis que celle de Paul de Tarse, admirée par Chamberlain pour son volontarisme et l'engagement total qu'elle exige des croyants, essuie une critique de fond: Jésus n'insiste pas trop sur le péché, de même que l'évangéliste Jean; Paul, en revanche, et toutes les églises après lui, font du péché la pierre angulaire de leur religion. Même différence d'attitude devant la mort: pour Paul, elle est le salaire du péché; pour Jésus et pour Jean, elle est le moment suprême de réconciliation entre l'homme et Dieu; elle est le retour à Dieu, une ré-incarnation métaphysique qui succède à l'incarnation physique. De ce fait, pour Jésus et pour Jean, la religion n'est pas histoire (téléologie) mais éternelle présence.

A l'automne 1923, Hitler, qui vient de fonder à Munich son parti national-socialiste des ouvriers allemands, rend visite à Chamberlain, paralysé et alité. Quelques jours plus tard, le 7 octobre, le philosophe malade écrit au chef du jeune mouvement politique: "Je me suis demandé pourquoi, vous, qui êtes, avec une si rare intensité, un éveilleur d'âmes, un éveilleur de ces âmes qui dorment et s'affaissent dans la routine, m'avez offert récemment, après m'avoir quitté, un long sommeil réparateur, alors que je n'en avais plus eu de semblable depuis le jour fatidique d'août 1914, où un mal sournois m'a frappé. Aujourd'hui, je crois apercevoir ce qui vous caractérise pour l'essentiel et constitue votre personnalité propre: le véritable éveilleur est aussi celui qui dispense le repos. Vous n'êtes pas du tout comme on vous a décrit, c'est-à-dire un fanatique; au contraire, je voudrais vous caractériser comme le contraire d'un fanatique. Car le fanatique excite les têtes. Vous, vous réchauffez les c¦urs. Le fanatique veut parler plus haut que les autres, avoir toujours raison; vous, vous voulez convaincre, seulement convaincre; c'est la raison pour laquelle vous y parvenez. Ensuite, je voudrais aussi vous caractériser comme le contraire du politicien  ‹au sens habituel que prend ce mot‹  car l'axe de toute action politique, c'est l'adhésion à un parti, tandis que, chez vous, les partis disparaissent, consumés par l'ardeur de votre amour pour la patrie. Je pense que là était le malheur de notre grand Bismarck: par le cheminement de son destin  ‹et non par ses dispositions innées‹  il s'est un peu trop mêlé à la vie politique. Puisse ce sort vous être épargné! Vous avez de grandes choses à accomplir et, malgré la force de votre volonté, je ne vous considère pas comme un homme de violence. Vous connaissez la différence que posait Goethe entre violence et violence. Il existe une violence qui procède du chaos et qui conduit au chaos; et il existe une violence, dont la nature est de mettre le cosmos en forme; et, en parlant de cette violence-là, il disait: "elle constitue par régulation toutes les formes  -et même en grande dimension, elle n'est pas violence". C'est en pensant à cette violence, cette force constructrice du cosmos, que je vous range parmi les hommes constructeurs, non parmi les hommes violents (...). Le fait que vous m'ayez apaisé, donné le repos, vient très certainement de votre regard et des gestes de vos mains. Votre oeil est comme doté de mains: il saisit l'homme et le maintient attaché à vous (...). Quant à vos mains, elles sont si expressives dans leurs mouvements qu'elles rivalisent avec vos yeux. Un homme tel que vous est donc capable de donner du repos à un pauvre esprit affligé comme le mien! (...). Que l'Allemagne, à l'heure où sa misère est la plus grande, soit capable de générer un Hitler, témoigne de sa vitalité (...)". Chamberlain, au soir de sa vie, avait rencontré le "César avec l'âme de Parsifal" qu'il avait toujours cherché dans ses rêves wagnériens. Mais c'est sur le jeune Alfred Rosenberg que Chamberlain va exercer une fascination et une influence prépondérante. Dans ses réflexions, flanquées de notices autobiographiques, que Rosenberg rédigera dans sa cellule de Nuremberg, en attendant de gravir les marches de la potence américaine après la condamnation à mort que lui avait infligée un tribunal digne du Far West (auquel la France et l'Angleterre ont participé, se discréditant à jamais aux yeux des Allemands et des peuples centre-européens; vu la chute du Rideau de fer, l'avenir nous révélera l'ampleur de ce discrédit), l'auteur du Mythe du XXième siècle rend un ultime hommage au "visionnaire de Bayreuth" et rappelle qu'il l'avait lu dès l'âge de quinze ans, où il l'avait découvert dans la bibliothèque de son tuteur. Rosenberg avait étudié la Genèse, mais aussi le Kant et le Goethe de Chamberlain.

En 1925, toujours à Munich, paraît Rasse und Persönlichkeit, où Chamberlain précise ce qu'il entend par "race" et approfondit les thèses qu'il avait esquissées dans la Génèse. Après sa mort, survenue le 9 janvier 1927, le biologiste Jakob von Uexküll, publie Natur und Leben (Munich, 1928), où nous trouvons une définition du vitalisme tel que l'entendait Chamberlain. Cette définition, alimentée par une lecture très attentive de Kant et une connaissance approfondie de l'¦uvre de Goethe, présente dans toute l'¦uvre chamberlainienne, postule que la Vie est Forme (Gestalt), que la Vie se manifeste dans sa plénitude grâce à des "formes", nées de l'histoire, façonnées patiemment par des élites à la subjectivité saine, devenues immuables grâce à leur excellence. Ces "formes", il convient de les maintenir contre l'action délétère de la "matière" (Stoff), qui les corrode. La vertu première de la "forme" consiste donc à résister, plutôt qu'à évoluer ou à varier. Cette insistance sur la "résistance" des formes face à l'action délétère de la matière distingue la pensée "conservante/maintenante" de Chamberlain de celle de Darwin, évolutionniste et progressiste. Cette théorie chamberlainienne de la forme se transpose dans le domaine de la race; car la race n'est rien d'autre qu'un fragment d'humanité devenu "forme" (gestaltgewordenes Menschentum). Quand la forme-race se maintient et se défend contre les forces dissolutrices de la matière, l'humanité s'épanouit et progresse. Chamberlain, optimiste, croit que la race germanique, par ses qualités fondamentales, résistera aux assauts des aléas, ce qui permettra l'envol d'un nouvel épanouissement culturel. Par ailleurs, cette définition de la race que nous donne Chamberlain n'est pas biologisante au sens strict du terme: l'appartenance à une race (humaine) n'est pas comparable à l'appartenance à une espèce (animale). La race est une modalité supérieure de la vie, qui s'est instituée petit à petit par Züchtung (élevage/dressage/acculturation) et différenciation, sous la pression de circonstances précises, d'ordre historique et géographique. Le produit de la Züchtung se stabilise, devient héréditaire, se transmet et permet l'éclosion de la culture. Au départ, il n'y a pas de races pures (affirmation qui distingue le concept de race chez Chamberlain de celui que l'on trouve chez Gobineau); l'histoire provoque des croisements, suivis d'une endogamie de longue durée sur base de ces mêmes croisements. Les races de Chamberlain sont donc des races-résultats, produits d'une différenciation enrichissante. Dans l'optique de Chamberlain  ‹différente de celle du "gobinisme vulgaire"‹  la race, en tant que forme génératrice de culture, n'est pas un phénomène mort, purement statistique. Son caractère de "forme"   ‹et, par suite, son immuabilité qui en fait un "modèle" permanent à suivre et à imiter‹   est dynamisant, dans le sens où la matière humaine doit s'adapter en permanence au modèle qu'est la race en tant que forme. Ce processus d'adaptation permanent produit de l'innovation au sein de la culture globale où évoluent les individus. Le destin des peuples germaniques prouve cette théorie de la race: les Germains en faisant irruption dans l'Empire romain et en donnant forme (leur forme) au Moyen Age européen, ont redonné vie au chaos racial, au melting pot ethnique de l'Antiquité romaine décadente. En redynamisant un monde mort, tué par une promiscuité raciale "indifférenciante", la famille des peuples germaniques a créé une multiplicité de variantes de sa forme initiale. La forme raciale initiale se démultiplie et se différencie; vectrices de cette démultiplication et de cette différenciation: les nations, formes intermédiaires donnant naissance à des types nouveaux, tels les Spartiates, les Prussiens, les Anglais conquérants.

En 1929, enfin, Paul Pretzsch édite la correspondance entre Chamberlain et l'Empereur Guillaume II. C'est ainsi que s'achève une ¦uvre plurielle, en prise sur les interrogations de son époque et confrontée, tant en comité restreint que dans les débats universitaires et publics, aux idées des amis et des correspondants de Chamberlain: le Comte Hermann Keyserling, l'indologue Paul Deussen, le théologien Adolf von Harnack, le physiologue-botaniste Julius Wiesner, le biologiste Jakob von Uexküll, l'homme politique et diplomate Comte von Brockdorff-Rantzau, l'Empereur Guillaume II et le Roi Ferdinand de Bulgarie.

Petit à petit, à la suite de nombreux mémoires universitaires consacrés, dans l'espace linguistique français, aux figures de la révolution conservatrice (cf. la thèse de Dupeux sur les nationaux-bolchéviques; celle de Favrat sur Paul de Lagarde; de Denis Goeldel sur Moeller van den Bruck; de Gilbert Merlio sur Oswald Spengler; de Jean-Pierre Boyer sur Hermann von Keyserling; les travaux de la Revue d'Allemagne, publiée à Strasbourg avec le concours du CNRS; la collection dirigée par Alain de Benoist chez Pardès à Puiseaux, où sont parus ou reparus des textes de Niekisch, Sombart, Carl Schmitt et bientôt la thèse magistrale du Dr. Armin Mohler sur la révolution conservatrice dans son ensemble), le puzzle se reconstitue: nos contemporains retrouvent une idéologie, une Weltanschauung aux possibles innombrables qui remplacera dignement le marxisme communiste décédé et le libéralisme insipide d'inspiration américaine. La réédition de la Genèse du XIXième siècle, le retour de Houston Stewart Chamberlain dans le débat, constituent deux pas de plus vers la renaissance de cet esprit européen que le gendre de Wagner nommait la Gestalt, ou la race, germanique. Ces deux pas, aujourd'hui franchis, consacrent évidemment un recul supplémentaire du matérialisme pervers, délétère, que Chamberlain, avec une énergie à laquelle il faut rendre hommage, n'avait cessé de combattre, même paralysé et à moitié muet, en ne bénéficiant que du soutien admirable de son épouse, Eva von Bülow, la fille de Richard et de Cosima Wagner.

Adrien de Xertigny,
Paris, Nancy et Nice, mars 1992.
 

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