samedi, 07 avril 2007
Les maîtres censeurs
Elizabeth LÉVY : Les maîtres censeurs,
J. C. Lattès ( www.editions-jclattes.fr ), ISBN 2-7096-2132-0, Paris, 2002, 18,50 Euro.Pour Elizabeth Lévy, la France est devenue la plus provinciale de "bien-pensances", est entrée dans une "décennie de plomb" où les "maîtres penseurs" ont laissé la place aux "maîtres censeurs". Evolution que les francolâtres, ivres de leurs trahisons, ont introduit en Belgique francophone, ruinant tout débat et parisianisant le ton de la presse, notamment du "Soir" à Bruxelles. Elizabeth Lévy dénonce dans son ouvrage l'inculpation du passé (marotte qui vise l'effacement des legs historiques et institutionnels), la judiciarisation des moeurs (où des juges se hissent sans vergogne au-dessus de la démocratie), le climat de délation (pratique qui permet l'élimination préventive de toute contestation), la hantise de la vigilance (avec la camarilla qui tourne notamment autour d'un hurluberlu nommé Olender qui s'est attaqué sans raison à la revue Vouloir), le manichéisme accusateur (or tout manichéisme est un simplisme dangereux), la diabolisation des dissidences (car on ne peut plus faire dissidence par rapport à la "pensée unique", posée comme phase terminale de l'aventure intellectuelle de l'humanité). Son analyse est à mettre en parallèle avec celle de Debord, dans la mesure où elle dénonce la "propagande-spectacle" et le mépris du sens commun dont font montre les médias (et la RTBF tout particulièrement, surtout depuis l'avènement au pouvoir de l'écoeurante majorité "arc-en-ciel"). A noter dans ce livre une analyse très fine du fameux débat des "rouges-bruns" de 1993, où avait oeuvré le pitre Olender. Elizabeth Lévy y défend notamment Alain de Benoist, avec une courtoisie qui mérite nos hommages, bien que le chef de file de la ND (canal historique) ait eu, vu de notre côté, un comportement lamentable de froussard et de trouillard, en particulier face à la jactance d'un certain Spire, qui, comme les roquets, avait senti suinter les humeurs de trouille chez son adversaire et, bavant comme un bouledogue privé de nonos, lui avait aboyé ses sornettes à la face. En entendant les glapissements stridents du Spire, molosse imaginaire, le héros-malgré-lui du "rouge-brunisme parisien" s'est enfui, piteux, à c....... rabattues... Faux facho de vrai carton pâte... Garde de fer en paroles, garde de guimauve en actes...
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K. Hamsun: nostalgie de la simplicité
Knut Hamsun: une nostalgie de la simplicité
Par Ellen KOSITZA
Au lycée, les livres obligatoires ne suscitaient guère mes enthousiasmes. Mais, un jour, j'ai pu opter pour le livre d'un Norvégien, que je ne connaissais pas, pour le chef-d'œuvre de Knut Hamsun, dont j'ignorais le caractère génial: Segen der Erde (Bénédiction de la Terre). Thème: le vie d'un paysan sur des terres à défricher. Je suis une jeune fille de la ville, née dans une mégapole hideuse, surpeuplée, déboisée, sans parcs ni jardins, mais, quand j'ai lu Segen der Erde, un fil d'Ariane intérieur me reliait directement à cet Isak, cet homme rustre, plongé dans la nature, très loin de la civilisation et de ses artifices. Cette beauté fascinante qui se dégageait de ce roman norvégien, cette existence intimement liée à la Terre, cette fabuleuse simplicité qui éveillait en moi une réelle nostalgie occultée, fit de moi une lectrice enflammée de ce roman, récompensé en 1920 par un Prix Nobel, une admiratrice inconditionnelle de Knut Hamsun.
Le paysan Isak est dur, d'une dureté absolument masculine, et s'installe sur un sol de tourbe, infertile, sur une pente loin du dernier village organisé. Isak n'a pas cherché la facilité en optant pour ce terroir ingrat: “Le plus difficile a été de trouver un lieu qui n'appartienne à personne, qui n'aurait appartenu qu'à lui; et maintenant les jours de labeur allaient venir...”. C'est le travail d'une année de ce paysan défricheur que décrit le roman, de la besogne quotidienne d'un rude gaillard taiseux, bourru mais vigoureux. Segen der Erde évoque la récolte qu'offre la Terre à ce laboureur obstiné. Le rude Isak trouve rapidement une femme, Inger, travailleuse, bonne fille; elle est celle qu'il lui faut et n'a qu'un défaut: un bec de lièvre. Leur vie de défricheurs est d'abord idyllique: plaisir et travail alternent: “Aux premières lueurs du petit matin, ils se lèvent, commencent une nouvelle journée; il y avait toutes sortes de besognes pénibles, mais il y avait aussi la lutte et le joie, bref toute la vie”.
Mais la Terre est sacrée, parce que toute la famille la travail en commun, mais ce monde n'est pas “gentil”, “eudémonique”, dépourvu de conflit. Ce n'est pas une utopie rurale que Knut Hamsun a voulu nous décrire. Sur le sol ingrat du défricheur ne s'esbaudissent pas des enfants insouciants, il n'y a pas que des oiseaux qui chantent et pépient joyeusement, pas que des fleurs bleues comme les aimaient les romantiques... A Sellanra —tel est le nom qu'Isak a donné à sa terre— seul le chemin est but. L'écrivain norvégien n'a pas voulu nous chanter la vie merveilleuse du paysan isolé, n'a pas voulu nous composer la ennième robinsonade idyllique, il n'a pas voulu nous décrire les beautés de la nature. Il campe plutôt deux antagonistes: la Wildnis originelle, la nature dans sa sauvagerie, sa rudesse, primordiales, d'une part, et les caprices, les humeurs, de l'homme, d'autre part; l'immuabilité de la nature est mise ici en équation avec la fierté altière du défricheur.
Ensuite, une tragédie: Inger tue son troisième enfant, une fille née, comme elle, avec un bec de lièvre. Superstitieuse, simple, elle croit qu'une malédiction les frappe. Un parent éloigné et malveillant renseigne les enquêteurs, le crime est découvert et Inger est condamnée à plusieurs années de travaux forcés. Isak accepte ce coup du sort avec la résignation de l'homme simple et droit, qui respecte les lois, les lois intérieures comme les lois extérieures. Pendant qu'il attend, avec ses fils, le retour de sa femme, qu'il aime toujours, il continue à travailler sa terre, agrandit sa ferme, et reste au beau milieu de cette splendide, mais âpre, nature du Nord, qu'il salue toujours avec crainte, respect et piété: “En hiver, il y a les étoiles et les lumières du Septentrion, un firmament en flammes, un jet de feu, là-haut, près de Dieu. Ici et là, mais pas souvent, pas habituellement, ici et là, ils percevaient un grondement de tonnerre. Surtout en automne, quand il commençait à faire plus sombre et que la nature était en fête, pour les hommes comme pour les animaux. Les animaux domestiques qui broutaient dans les prairies proches, se rassemblaient maintenant et se pressaient les uns contre les autres. A quelle loi obéissaient-ils? Attendaient-ils la Fin? Et qu'attendaient les hommes sur cette terre ingrate quand ils courbaient le chef en entendant le grondement du tonnerre?”.
Quand Inger revient, elle a énormément changé; Geißler, un fonctionnaire qui a quitté son emploi, un ami mystérieux d'Isak et d'Inger, un homme apparemment de grand cœur, a découvert un filon de cuivre dans la montagne d'Isak. Le flux d'argent de l'industrie, les citadins avides de faire des affaires, des innovations techniques jusqu'alors inconnues dans ces zones désolées envahissent brusquement le terroir que seules les mains d'Isak avaient travaillé. D'autres colons s'installent dans les environs. Inger elle-même, en revenant chez elle, apporte un souffle du vaste monde et de la ville: elle porte des jolis vêtements, adopte des manières citadines. “Elle ne pensait ni ne méditait plus, devenait superficielle, plus légère”. Dès ce moment, la vie urbaine avec ses modernismes qui déroutent, rendent fou, avec ses négociants, ses vendeuses et ses habitants aux visages blafards devient l'antithèse de ce monde naturel archaïque, immuable, pur, de cette vie paysanne saine. Inger, la femme, entre dans des phases successives d'orgueil, d'infidélité, puis de mélancolie, d'humilité, et, parfois, de phases de profonde piété; Isak, lui, dans toutes ses fibres, reste fidèle à sa glèbe.
Les fils du couple, Eleseus et Sivert évoluent dans des directions complètement différentes. Sivert, le cadet, est paysan, le digne héritier de son père. Eleseus, lui, perd son âme, il devient un citadin. Il recherche fébrilement la gloire et l'argent et échoue dans ses belles illusions. Il prend la fuite, totalement déraciné, s'en va en Amérique. Mais ceux qui habitent vraiment, qui fertilisent, les terres ingrates ne perdent jamais la tête: “...les diamants ne lui manquent pas; le vin? Il n'en a entendu parler que dans la parabole des noces de Canah. L'habitant des terres ingrates ne se casse pas la tête pour toutes ces merveilles auxquelles il doit renoncer: l'art, les journaux, le luxe, la politique, n'ont de valeur que si les hommes veulent bien payer pour les obtenir. Mais elles ne valent vraiment rien de plus. La récolte, elle, doit à tout prix être faite, car elle est à l'origine de toute chose, la source de toutes choses. Comment? La vie du paysan des terres ingrates est sinistre et triste? Hamsun rit: “Hoho, mais rien de tel! Ce paysan vit avec des forces supérieures, avec ses rêves, sa vie amoureuse, ses riches superstitions”.
Et si Hamsun n'entend pas, en première instance, accuser la société, mais n'en veut qu'à quelques misérables créatures, il développe une critique radicale de la civilisation moderne qui menace de broyer les âmes des hommes. Les nouvelles évolutions touchent aussi les colons des terres ingrates: l'émancipation féminine progresse, même chez eux, le tourisme menace l'équilibre écologique de la région. Un autre meurtre d'enfant, commis par la fille d'un voisin, reste impuni malgré la brutalité avec laquelle il a été perpétré: les temps ont changé. Mais, au bout du compte, la nature fait face et triomphe de ces signes de la modernité vagabonde. Les montagnes restent immuables. Semailles et récoltes se succèdent. La porte-paroles de l'association pour l'émancipation des femmes, qui avait vitupéré contre le trop-plein des naissances, est dépassée par la Vie et devient une mère heureuse: «Elle avait dit: “il faut donner à la femme le droit de vote et lui accorder un droit d'influence sur son propre destin. Mais elle a finit par être prise. Oui, disait la femme du pasteur, elle a usé de son influence, ha ha ha, mais elle n'a pas échappé à son destin!».
Ce n'est pas un hasard, je pense, que ce mythe du paysan travailleur, enraciné sur sa glèbe, m'ai fascinée, moi, enfant d'une mégapole. Ce livre, et après lui toute l'œuvre de Hamsun, ne m'ont plus lachée, depuis le lycée. J'ai ressenti ce qui me manquait terriblement, j'ai ressenti cette lacune très présente, centrale: l'absence de sol, de terroir, de glèbe, cette faculté de pouvoir à tout moment recourir à de réelles racines. Segen der Erde est un livre qui émeut, profondément, quand il décrit la force de caractère inébranlable de ce paysan Isak qui s'annoblit fondamentalement en exécutant ses tâches quotidiennes, mais c'est aussi un livre qui répond à une nostalgie presque indicible, à une nostalgie de pureté, du don de soi en toute confiance, d'un sentiment “holique” que la ville, trop rigoureusement structurée et encadrée, ne peut plus nous communiquer. Je me rappelle du discours que tient Geißler à Sivert, le fils d'Isak: «Vous voyez devant vous, chaque jour, des montagnes bleutées; ce ne sont pas des choses inventées, fabriquées, ce sont de vieilles montagnes, elles sont là depuis la nuit des temps, mais elles sont vos amies. Marchez toujours de concert avec le ciel et la terre, soyez unis à eux, soyez unis à cette immensité, soyez fidèles au sol. Vous n'avez nul besoin de tenir l'épée à la main, allez sans casques, sans armes à travers la vie, entourés de toute cette amitié des éléments. Voyez, elle est là, la nature, elle t'appartient, à toi et aux tiens. L'homme et la nature ne se combattent pas, ils se donnent raison, ils n'entrent pas en concurrence, ne se battent pas pour obtenir un quelconque avantage, ils vont main dans la main».
Ellen KOSITZA.
(article tiré de Junge Freiheit, n°3/96).
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Une voix eurosceptique en Turquie
Une voix eurosceptique en Turquie
ANKARA – Le chef de l’opposition turque Deniz Baykal ne croit pas à une adhésion de son pays à l’UE. La politique pro-européenne des milieux politiques turcs, qui sont favorables à l’adhésion, repose, « sur un espoir sans objet, sur une illusion » a déclaré fin mars le chef du parti populaire (CHP), dont les orientations politiques sont nationalistes de gauche. Après avoir examiné la proposition allemande d’un « partenariat privilégié », il a émis l’opinion suivante : « Ils nous disent que nous devons travailler, comme s’ils avaient l’intention de nous accepter quand même un jour ». Les déclarations de la Chancelière Angela Merkel relèvent toutefois d’un autre langage, pense Baykal, qui reproche ensuite vivement à l’UE d’exiger l’instauration de droits pour les minorités en Turquie car cette exigence mettra inévitablement l’unité de la Turquie en danger : « Le nationalisme est le ciment de la société turque. Il est la valeur fondamentale qui fait de nous ce que nous sommes », conclut Baykal.
(source : « Junge Freiheit », Berlin, n°14/2007).
Commentaires:
- Prisonniers d’un discours „politiquement correct“ selon lequel personne ne peut émettre de critique à l’encontre d’une nation appartenant à l’aire civilisationnelle musulmane (sauf si les Etats-Unis l’autorisent), les dirigeants de l’UE n’osent pas dire leurs craintes de voir entrer la Turquie dans l’Union. Ce discours crée l’ambiguïté et le quiproquo permanent. Il faut y mettre fin afin de devenir enfin crédible.
- La notion de « partenariat privilégié » est pourtant la notion la plus adéquate pour régler les futurs rapports entre l’UE et la République turque. Il s’inspire des projets allemands d’avant 1914, quand l’Empire ottoman, plus ou moins moribond, avait besoin de l’aide européenne pour se sortir de la profonde ornière où il s’était enlisé. En contrepartie, l’Europe centrale avait besoin du territoire ottoman et mésopotamien pour se porter vers l’Océan Indien et briser, en un point géostratégique important, l’arc territorial qui unissait cet Océan du Milieu sous la férule navale britannique, du Cap à Perth en Australie. Mais cette convergence d’intérêts ne signifiait pas (et ne doit toujours pas signifier) fusion irréfléchie d’éléments hétéroclites et irréconciliables. En ce sens, la notion de « partenariat privilégié », telle que l’utilise la Chancelière Merkel, est plus réfléchie et rationnelle que les rodomontades que l’on a toujours vivement reprochées à l’Empereur Guillaume II (en Palestine, à Constantinople ou au Maroc).
- Le droit des minorités est un principe cardinal, sur lequel nous ne pouvons transiger, surtout dans l’espace couvert par l’actuelle république turque. Les Kurdes sont un peuple locuteur d’une langue indo-européenne, véhiculant des traditions admirables que nos ancêtres, eux aussi, ont partagé. Ils doivent pouvoir les exprimer sans restrictions, sous le regard bienveillant de toutes les puissances européennes (du moins si elles ne sont pas amnésiques…). De même pour les Arméniens et les Grecs d’Ionie, qui doivent, en plus, obtenir réparation pour les sévices que leurs grands-parents ont subis. Les Araméens également véhiculent des traditions proches de la véritable Europe, plus proche, en tout cas, que ne l’est le mixte boiteux et bizarre de musulmanisme sunnite, d’ottomanisme résiduaire, de kémalisme plus ou moins maçonnique et de panturquisme intrinsèquement hostile à l’Europe. C’est sans doute ce mixte-là que Baykal nomme le « nationalisme turc », ciment, dit-il, de l’unité sociale. Ce mixte confus, baptisé « nationalisme », n’a évidemment pas sa place en Europe. Surtout quand il alimente l’idéologie des bouchers d’hier et d’aujourd’hui, qui ont souillé l’honneur de leur drapeau en prétendant le servir. Nous pensons au journaliste arménien assassiné récemment avec une cruelle sauvagerie, comme le furent d’autres, lors des grands massacres perpétrés entre 1890 et 1923.
- Quant à l’unité de la Turquie, ce ne doit pas être le souci des Européens. L’Europe a intérêt à avoir une Asie Mineure morcelée en autant d’entités possibles, comme avant l’avènement des Osmanlis ou pendant la brève période de ressac au début du 15ième siècle, quand l’Anatolie, après une invasion calamiteuse par les hordes de Tamerlan, était soumise à quantité de séditions et de jacqueries, qui ont donné brièvement du répit à l’Europe, permettant même à nos Ducs d’envisager une reconquista via le Danube et d’encourager des corsaires en Mer Noire. La Turquie s’est ensuite redressée, pour notre malheur, la Grèce et Constantinople sont tombées entre ses mains entre 1435 et 1453. L’unité turque porte malheur à l’Europe. Son morcellement est au contraire un bienfait. C’est une loi inéluctable de l’histoire : il faut être capable de l’écouter.
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Rivalité Chine/Inde
La rivalité Chine/Inde
Quand on additionne les populations de ces deux géants asiatiques, on obtient le chiffre de 2,5 milliards d’hommes. Le taux de croissance d’ici l’année 2020 est estimé à 8% pour l’Inde et à 10% pour la Chine. La « Chininde », comme se plaisent à la nommer quelques journalistes occidentaux, serait ainsi l’atelier de 40% de la population mondiale, où se fabriqueraient 17% des productions de l’économie mondiale. Si la « Chininde » fusionne en un bloc unique, estiment ces mêmes journalistes et observateurs, nous assisterions à l’éclosion d’une nouvelle superpuissance, qui risquerait bien vite de contester la primauté des Etats-Unis, pour ne même plus parler de l’Europe, aire de querelles mesquines où pèse la sclérose sociale.
Lorsque le Président chinois Hu Jintao est venu à la Nouvelle Dehli en novembre 2006, cette vision fantasmagorique de la « Chininde » a brièvement excité les esprits. Les conclusions hâtives quant au futur destin de l’Asie ont encombré à nouveau les bibliothèques et les colonnes des journaux. Alors, cette « Chininde » deviendra-t-elle bientôt réalité ? En jetant un regard rétrospectif sur l’histoire, on peut en douter…
Les causes actuelles de la rivalité Inde/Chine
Les rivalités régionales entre les deux géants démographiques d’Asie, en pleine croissance économique, sont trop importantes : ils s’opposent pour obtenir le maximum d’influence au Népal, en Birmanie (Myanmar) et en Asie du Sud-Est. Le souvenir de la guerre perdue par l’Inde en 1962 reste vivace. La frontière dans l’Himalaya, longue de 1200 km reste contestée par les deux parties. Les revendications chinoises sur la province nord-orientale de l’Inde, l’Arunachal Pradesh, troublent les relations entre les deux pays. L’Inde craint d’être encerclée et de devoir livrer une guerre sur deux fronts puisque la Chine est l’alliée du Pakistan, son ennemi mortel et héréditaire. Par ailleurs, la Chine craint l’alliance possible entre l’Inde et les Etats-Unis, qui, si elle se concrétise, serait le seul succès diplomatique de l’ère de Bush junior. A tous ces contentieux s’ajoute la concurrence croissante entre les deux géants pour le contrôle des matières premières et du pétrole en Birmanie/Myanmar, au Moyen- et Proche-Orient, en Asie centrale et en Afrique. Les deux pays se font concurrence pour ravir les débouchés internationaux où se vendent leurs productions bon marché exigeant une main-d’œuvre zélée. Dans cette course aux débouchés, l’Inde a été jusqu’ici défavorisée, à cause de la faiblesse des ses infrastructures et de sa bureaucratie hostile à l’économie. L’Inde, dans ce contexte, s’est davantage concentrée sur l’exportation de services et de produits finis de haute qualité, ce qui semble, évidemment, plus prometteur sur le long terme.
Après l’indépendance de l’Inde en 1947 et le départ des Britanniques, la guerre avait éclaté avec le Pakistan sécessionniste et musulman pour la domination de la région montagneuse du Cachemire. Le Pakistan musulman est rapidement devenu l’allié des Etats-Unis et, à ce titre, membre du CENTO. Pour riposter à ce coup de Jarnac islamo-américain, l’Inde, sous la houlette du Parti du Congrès, opte pour le non-alignement du Tiers-Monde et entretient une coopération étroite avec l’URSS sur le plan militaire. Cette situation durera jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique. Dans ce contexte de non-alignement et d’alliance soviétique, l’Inde pratique à l’intérieur une politique de socialisme bureaucratique, propre aux pays en voie de développement, et, à l’extérieur, un anti-américanisme clairement affiché. Avec Jawarharlal Nehru comme chef de gouvernement, tous les petits pays voisins, comme le Bhoutan en 1949, le Sikkim et le Népal en 1950, la Birmanie en 1951 et Ceylan en 1954, sont contraints de se lier à l’Inde par des traités qui sanctionnent nettement la prééminence indienne.
L’intervention au Sri Lanka
Lors de la guerre de sécession du Bengla Desh en 1971, les troupes indiennes attaquent l’armée pakistanaise dans l’Est du Bengale, ce qui fait accéder l’ancien « Pakistan oriental » à l’indépendance. En 1975, Indira Gandhi profite de troubles, suscités par l’Inde, pour annexer le petit royaume himalayen du Sikkim et en faire le vingt-deuxième Etat de la Fédération indienne. Au Sri Lanka (ex-Ceylan), les services secrets indiens soutiennent les Tamils hindouistes qui dominent un grand Etat de la Fédération srilankaise, le Tamil Nadu, ainsi que l’organisation rebelle tamil des « Tigres » contre les Cinghalais bouddhistes, qui constituent la nation titulaire de l’Etat du Sri Lanka insulaire. L’Inde, en 1987, impose au Sri Lanka, tiraillé par la guerre civile, un contingent militaire indien de 70.000 hommes. Rapidement, cette armée, contre son gré, est entraînée dans une guerre de guérilla contre les Tamils qui se considéraient comme grugés, puisque certains services indiens leur avaient promis l’indépendance. Au bout de deux ans, le contingent indien est forcé de se retirer sans gloire, après avoir perdu 1200 hommes. En 1991, le Premier Ministre Rajiv Gandhi tombe à son tour, victime tardive de sa propre politique sri-lankaise, par la main d’une femme-kamikaze tamil.
L’ennemi principal de l’Inde était et demeure le Pakistan. L’objet du conflit est la province du Cachemire, dont le Pakistan revendique l’annexion complète. Depuis la première partition de l’ancien empire des Indes en 1948, une ligne de démarcation et d’armistice coupe le Cachemire en deux morceaux ; cette ligne est contestée par les deux antagonistes ; quatre guerres d’ampleurs diverses ont ensanglanté son tracé, en 1965, en 1971, en 1984 et en 1999. L’armée pakistanaise et ses services spéciaux, l’ISI, soutiennent là-bas un mouvement insurrectionnel musulman très virulent depuis 1989, qui a déjà fait 40.000 morts, parmi lesquels de nombreux hommes politiques locaux modérés qui se font systématiquement assassinés par des kamikazes fanatisés. Lors du dernier affrontement indo-pakistanais au Cachemire, en mai 1999, l’armée pakistanaise avait déclenché une attaque en haute montagne, près de Kargil, pour couper aux Indiens le col de Karakorum qui mène au Tibet. Lorsque les Pakistanais furent repoussés par les chasseurs de montagne indiens et par des tapis de bombes, ils menacèrent de faire jouer leur armement nucléaire. L’intervention personnelle de Bill Clinton et la menace de sanctions économiques de grande ampleur ont contraint le Premier pakistanais Nawaz Sharif en juillet 1999 de retirer ses troupes et de composer.
Le premier affrontement sino-indien
Au départ, vu leur rhétorique anti-colonialiste et anti-occidentale commune, l’Inde socialiste et la Chine communiste entretenaient de bons rapports. L’Himalaya est un verrou de montagnes sans voies qui les traversent : derrière cette muraille gigantesque, quasi impénétrable, l’Inde se sentait à l’abri, même après l’annexion forcée du Tibet à la Chine en 1950. Personne, en Inde, ne se souciait de la chose ; la rhétorique anti-colonialiste empêchait les Indiens de condamner la Chine parce qu’elle n’avait pas respecté la ligne McMahon, tracée antérieurement par les dominateurs britanniques pour délimiter les territoires de l’Inde, de la Chine et du Tibet. Mais à l’automne 1959, une patrouille militaire indienne tombe dans une embuscade tendue par des soldats chinois dans une région frontalière contestée ; neuf soldats indiens trouvent la mort au cours de cet incident. L’âme indienne est révulsée et crie vengeance. Le Premier Ministre Nehru ordonne ouvertement à Kaul, son chef d’état-major, un général qui n’avait jamais fait la guerre, de chasser les Chinois de la région contestée. Le Général Kaul augmenta les troupes de gardes-frontières dans la région, leur ordonne de parfaire de vastes opérations de reconnaissance, mais rien de plus.
L’armée populaire de libération chinoise n’avait toutefois pas l’intention d’attendre passivement d’être repoussée par les Indiens. Elle attaque massivement les troupes frontalières indiennes le 12 octobre 1962, par un coup de main préventif. Les gardes-frontières indiens sont écrasés parce qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de munitions et de réserves. Ils se sont bravement battus, souvent jusqu’au dernier homme. Au bout de deux semaines, la Chine propose à Nehru un armistice. Le leader indien refuse. Et ordonne à une deuxième vague de troupes indiennes, rassemblées et acheminées à la hâte vers le front, de passer à la contre-attaque. Une nouvelle fois, les Chinois passent vigoureusement à l’attaque et délogent les Indiens de leurs positions. Après avoir atteint leurs objectifs territoriaux, les Chinois déclarent, le 21 novembre, un armistice unilatéral, que l’Inde a respecté depuis. Chaque camp avait perdu environ 500 hommes. Aujourd’hui, sur les mêmes lieux, des deux côtés d’une frontière longue de 3400 km, campent 200.000 hommes inclus dans des brigades de chasseurs de montagne, dans des batteries d’artillerie de montagne et dans des milices de gardes frontières.
Effectifs et matériels de l’armée indienne
L’Inde revendique toujours l’Aksai Chin qu’occupent les Chinois et tous les territoires que ceux-ci avaient conquis en 1962. La Chine, de son côté, revendique l’ensemble du territoire de l’Arunanchal Pradesh, cette province indienne du Nord-Est, qu’ils appellent crânement « Zanguan » ou « Tibet méridional ». L’armée indienne fonctionne, selon bon nombre d’observateurs, comme une armée traditionnelle de modèle britannique selon les critères des années 50 du 20ième siècle, mais disposant de matériels soviétiques. Elle aligne un corps d’officiers apolitiques, élitiste, formé dans des académies militaires de type anglais. Ces officiers cultivent le souvenir des gloires de l’armée coloniale britannique. Les troupes blindées indiennes disposent des T72 et de T90 russes, massés à l’Ouest face à la plaine du Punjab, occupée en grande partie par les Pakistanais. L’armée indienne aligne par ailleurs des troupes de montagne dans le Nord au Cachemire et le long de la frontière himalayenne. L’Inde doit réserver de plus en plus de troupes pour combattre les terroristes punjabis qui créent des désordres intérieurs, pour affronter les rebellions maoïstes d’ouvriers agricoles, de bandes hors castes et sans terres, les émeutes inter-raciales ou les séparatistes du Nagaland à l’Est. Au total, 1,2 million d’Indiens servent dans l’armée. Le budget militaire monte à 22 milliards de dollars, ce qui revient à 2,3% du PIB, chiffre énorme pour un pays qui doit encore se développer. Mais ce chiffre est modeste par rapport au budget militaire chinois.
Du bon état de la marine indienne
L’armée de l’air indienne, qui a une bonne expérience du combat, dispose de 850 appareils : des Mig, des Mirages 2000 et des chasseurs-bombardiers Sukhoi S30, dont l’entretien laisse toutefois bien à désirer, vu le nombre élevé de « crashes » accidentels. La marine indienne est capable d’affronter la haute mer : elle a pour mission de défendre le pays contre les manœuvres chinoises d’encerclement. Elle dispose de huit destroyers, de dix-sept frégates, de vingt-huit corvettes et de dix-neuf sous-marins d’attaque, équipés au mieux. En acquérant l’ « Amiral Gorchkov » en Russie et le « Hermès » en Grande-Bretagne, les Indiens se sont dotés de deux porte-aéronefs. A Fort Blair, dans les Iles Nicobar, l’Inde a construit un bon point d’appui pour sa flotte, organisé par un état-major maritime oriental, partiellement autonomisé, permettant d’intervenir, le cas échéant, dans le Détroit de Malacca, et de contrôler le Golfe du Bengale. Par ce déploiement, la marine indienne s’est dotée d’un solide collier de points d’appui dans l’Océan Indien, dans le but de contrer les tentatives chinoises dans cet espace océanique ; en effet, les Chinois ont négocié des droits de mouillage dans certains ports birmans et sri-lankais, ainsi qu’à Chittagong au Bengladesh et à Gwadar au Pakistan. Des accords militaires lient désormais l’Inde à l’Indonésie et au Vietnam. La lutte commune contre l’abominable piraterie des mers offre un bon prétexte à la marine indienne de patrouiller aux côtés de l’US Navy dans le Détroit de Malacca et dans la Mer de Chine du Sud.
Albrecht ROTHACHER
(article tiré de « Zur Zeit », Vienne, n°13/2007).
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