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samedi, 07 avril 2007

Rivalité Chine/Inde

Albrecht ROTHACHER :

 

La rivalité Chine/Inde

Quand on additionne les populations de ces deux géants asiatiques, on obtient le chiffre de 2,5 milliards d’hommes. Le taux de croissance d’ici l’année 2020 est estimé à 8% pour l’Inde et à 10% pour la Chine. La « Chininde », comme se plaisent à la nommer quelques journalistes occidentaux, serait ainsi l’atelier de 40% de la population mondiale, où se fabriqueraient 17% des productions de l’économie mondiale. Si la « Chininde » fusionne en un bloc unique, estiment ces mêmes journalistes et observateurs, nous assisterions à l’éclosion d’une nouvelle superpuissance, qui risquerait bien vite de contester la primauté des Etats-Unis, pour ne même plus parler de l’Europe, aire de querelles mesquines où pèse la sclérose sociale.

Lorsque le Président chinois Hu Jintao est venu à la Nouvelle Dehli  en novembre 2006, cette vision fantasmagorique de la « Chininde » a brièvement excité les esprits. Les conclusions hâtives quant au futur destin de l’Asie ont encombré à nouveau les bibliothèques et les colonnes des journaux. Alors, cette « Chininde » deviendra-t-elle bientôt réalité ? En jetant un regard rétrospectif sur l’histoire, on peut en douter…

Les causes actuelles de la rivalité Inde/Chine

Les rivalités régionales entre les deux géants démographiques d’Asie, en pleine croissance économique, sont trop importantes : ils s’opposent pour obtenir le maximum d’influence au Népal, en Birmanie (Myanmar) et en Asie du Sud-Est. Le souvenir de la guerre perdue par l’Inde en 1962 reste vivace. La frontière dans l’Himalaya, longue de 1200 km reste contestée par les deux parties. Les revendications chinoises sur la province nord-orientale de l’Inde, l’Arunachal Pradesh, troublent les relations entre les deux pays. L’Inde craint d’être encerclée et de devoir livrer une guerre sur deux fronts puisque la Chine est l’alliée du Pakistan, son ennemi mortel et héréditaire. Par ailleurs, la Chine craint l’alliance possible entre l’Inde et les Etats-Unis, qui, si elle se concrétise, serait le seul succès diplomatique de l’ère de Bush junior. A tous ces contentieux s’ajoute la concurrence croissante entre les deux géants pour le contrôle des matières premières et du pétrole en Birmanie/Myanmar, au Moyen- et Proche-Orient, en Asie centrale et en Afrique. Les deux pays se font concurrence pour ravir les débouchés internationaux où se vendent leurs productions bon marché exigeant une main-d’œuvre zélée. Dans cette course aux débouchés, l’Inde a été jusqu’ici défavorisée, à cause de la faiblesse des ses infrastructures et de sa bureaucratie hostile à l’économie. L’Inde, dans ce contexte, s’est davantage concentrée sur l’exportation de services et de produits finis de haute qualité, ce qui semble, évidemment, plus prometteur sur le long terme.

Après l’indépendance de l’Inde en 1947 et le départ des Britanniques, la guerre avait éclaté avec le Pakistan sécessionniste et musulman pour la domination de la région montagneuse du Cachemire. Le Pakistan musulman est rapidement devenu l’allié des Etats-Unis et, à ce titre, membre du CENTO. Pour riposter à ce coup de Jarnac islamo-américain, l’Inde, sous la houlette du Parti du Congrès, opte pour le non-alignement du Tiers-Monde et entretient une coopération étroite avec l’URSS sur le plan militaire. Cette situation durera jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique. Dans ce contexte de non-alignement et d’alliance soviétique, l’Inde pratique à l’intérieur une politique de socialisme bureaucratique, propre aux pays en voie de développement, et, à l’extérieur, un anti-américanisme clairement affiché. Avec Jawarharlal Nehru comme chef de gouvernement, tous les petits pays voisins, comme le Bhoutan en 1949, le Sikkim et le Népal en 1950, la Birmanie en 1951 et Ceylan en 1954, sont contraints de se lier à l’Inde par des traités qui sanctionnent nettement la prééminence indienne.

L’intervention au Sri Lanka

Lors de la guerre de sécession du Bengla Desh en 1971, les troupes indiennes attaquent l’armée pakistanaise dans l’Est du Bengale, ce qui fait accéder l’ancien « Pakistan oriental » à l’indépendance. En 1975, Indira Gandhi profite de troubles, suscités par l’Inde, pour annexer le petit royaume himalayen du Sikkim et en faire le vingt-deuxième Etat de la Fédération indienne. Au Sri Lanka (ex-Ceylan), les services secrets indiens soutiennent les Tamils hindouistes qui dominent un grand Etat de la Fédération srilankaise, le Tamil Nadu, ainsi que l’organisation rebelle tamil des « Tigres » contre les Cinghalais bouddhistes, qui constituent la nation titulaire de l’Etat du Sri Lanka insulaire. L’Inde, en 1987, impose au Sri Lanka, tiraillé par la guerre civile, un contingent militaire indien de 70.000 hommes. Rapidement, cette armée, contre son gré, est entraînée dans une guerre de guérilla contre les Tamils qui se considéraient comme grugés, puisque certains services indiens leur avaient promis l’indépendance. Au bout de deux ans, le contingent indien est forcé de se retirer sans gloire, après avoir perdu 1200 hommes. En 1991, le Premier Ministre Rajiv Gandhi tombe à son tour, victime tardive de sa propre politique sri-lankaise, par la main d’une femme-kamikaze tamil.

L’ennemi principal de l’Inde était et demeure le Pakistan. L’objet du conflit est la province du Cachemire, dont le Pakistan revendique l’annexion complète. Depuis la première partition de l’ancien empire des Indes en 1948, une ligne de démarcation et d’armistice coupe le Cachemire en deux morceaux ; cette ligne est contestée par les deux antagonistes ; quatre guerres d’ampleurs diverses ont ensanglanté son tracé, en 1965, en 1971, en 1984 et en 1999. L’armée pakistanaise et ses services spéciaux, l’ISI, soutiennent là-bas un mouvement insurrectionnel musulman très virulent depuis 1989, qui a déjà fait 40.000 morts, parmi lesquels de nombreux hommes politiques locaux modérés qui se font systématiquement assassinés par des kamikazes fanatisés. Lors du dernier affrontement indo-pakistanais au Cachemire, en mai 1999, l’armée pakistanaise avait déclenché une attaque en haute montagne, près de Kargil, pour couper aux Indiens le col de Karakorum qui mène au Tibet. Lorsque les Pakistanais furent repoussés par les chasseurs de montagne indiens et par des tapis de bombes, ils menacèrent de faire jouer leur armement nucléaire. L’intervention personnelle de Bill Clinton et la menace de sanctions économiques de grande ampleur ont contraint le Premier pakistanais Nawaz Sharif en juillet 1999 de retirer ses troupes et de composer.

Le premier affrontement sino-indien

Au départ, vu leur rhétorique anti-colonialiste et anti-occidentale commune, l’Inde socialiste et la Chine communiste entretenaient de bons rapports. L’Himalaya est un verrou de montagnes sans voies qui les traversent : derrière cette muraille gigantesque, quasi impénétrable, l’Inde se sentait à l’abri, même après l’annexion forcée du Tibet à la Chine en 1950. Personne, en Inde, ne se souciait de la chose ; la rhétorique anti-colonialiste empêchait les Indiens de condamner la Chine parce qu’elle n’avait pas respecté la ligne McMahon, tracée antérieurement par les dominateurs britanniques pour délimiter les territoires de l’Inde, de la Chine et du Tibet. Mais à l’automne 1959, une patrouille militaire indienne tombe dans une embuscade tendue par des soldats chinois dans une région frontalière contestée ; neuf soldats indiens trouvent la mort au cours de cet incident. L’âme indienne est révulsée et crie vengeance. Le Premier Ministre Nehru ordonne ouvertement à Kaul, son chef d’état-major, un général qui n’avait jamais fait la guerre, de chasser les Chinois de la région contestée. Le Général Kaul augmenta les troupes de gardes-frontières dans la région, leur ordonne de parfaire de vastes opérations de reconnaissance, mais rien de plus.

L’armée populaire de libération chinoise n’avait toutefois pas l’intention d’attendre passivement d’être repoussée par les Indiens. Elle attaque massivement les troupes frontalières indiennes le 12 octobre 1962, par un coup de main préventif. Les gardes-frontières indiens sont écrasés parce qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de munitions et de réserves. Ils se sont bravement battus, souvent jusqu’au dernier homme. Au bout de deux semaines, la Chine propose à Nehru un armistice. Le leader indien refuse. Et ordonne à une deuxième vague de troupes indiennes, rassemblées et acheminées à la hâte vers le front, de passer à la contre-attaque. Une nouvelle fois, les Chinois passent vigoureusement à l’attaque et délogent les Indiens de leurs positions. Après avoir atteint leurs objectifs territoriaux, les Chinois déclarent, le 21 novembre, un armistice unilatéral, que l’Inde a respecté depuis. Chaque camp avait perdu environ 500 hommes. Aujourd’hui, sur les mêmes lieux, des deux côtés d’une frontière longue de 3400 km, campent 200.000 hommes inclus dans des brigades de chasseurs de montagne, dans des batteries d’artillerie de montagne et dans des milices de gardes frontières.

Effectifs et matériels de l’armée indienne

L’Inde revendique toujours l’Aksai Chin qu’occupent les Chinois et tous les territoires que ceux-ci avaient conquis en 1962. La Chine, de son côté, revendique l’ensemble du territoire de l’Arunanchal Pradesh, cette province indienne du Nord-Est, qu’ils appellent crânement « Zanguan » ou « Tibet méridional ». L’armée indienne fonctionne, selon bon nombre d’observateurs, comme une armée traditionnelle de modèle britannique selon les critères des années 50 du 20ième siècle, mais disposant de matériels soviétiques. Elle aligne un corps d’officiers apolitiques, élitiste, formé dans des académies militaires de type anglais. Ces officiers cultivent le souvenir des gloires de l’armée coloniale britannique. Les troupes blindées indiennes disposent des T72 et de T90 russes, massés à l’Ouest face à la plaine du Punjab, occupée en grande partie par les Pakistanais. L’armée indienne aligne par ailleurs des troupes de montagne dans le Nord au Cachemire et le long de la frontière himalayenne. L’Inde doit réserver de plus en plus de troupes pour combattre les terroristes punjabis qui créent des désordres intérieurs, pour affronter les rebellions maoïstes d’ouvriers agricoles, de bandes hors castes et sans terres, les émeutes inter-raciales ou les séparatistes du Nagaland à l’Est. Au total, 1,2 million d’Indiens servent dans l’armée. Le budget militaire monte à 22 milliards de dollars, ce qui revient à 2,3% du PIB, chiffre énorme pour un pays qui doit encore se développer. Mais ce chiffre est modeste par rapport au budget militaire chinois.

Du bon état de la marine indienne

L’armée de l’air indienne, qui a une bonne expérience du combat, dispose de 850 appareils : des Mig, des Mirages 2000 et des chasseurs-bombardiers Sukhoi S30, dont l’entretien laisse toutefois bien à désirer, vu le nombre élevé de « crashes » accidentels. La marine indienne est capable d’affronter la haute mer : elle a pour mission de défendre le pays contre les manœuvres chinoises d’encerclement. Elle dispose de huit destroyers, de dix-sept frégates, de vingt-huit corvettes et de dix-neuf sous-marins d’attaque, équipés au mieux. En acquérant l’ « Amiral Gorchkov » en Russie et le « Hermès » en Grande-Bretagne, les Indiens se sont dotés de deux porte-aéronefs. A Fort Blair, dans les Iles Nicobar, l’Inde a construit un bon point d’appui pour sa flotte, organisé par un état-major maritime oriental, partiellement autonomisé, permettant d’intervenir, le cas échéant, dans le Détroit de Malacca, et de contrôler le Golfe du Bengale. Par ce déploiement, la marine indienne s’est dotée d’un solide collier de points d’appui dans l’Océan Indien, dans le but de contrer les tentatives chinoises dans cet espace océanique ; en effet, les Chinois ont négocié des droits de mouillage dans certains ports birmans et sri-lankais, ainsi qu’à Chittagong au Bengladesh et à Gwadar au Pakistan. Des accords militaires lient désormais l’Inde à l’Indonésie et au Vietnam. La lutte commune contre l’abominable piraterie des mers offre un bon prétexte à la marine indienne de patrouiller aux côtés de l’US Navy dans le Détroit de Malacca et dans la Mer de Chine du Sud.

Albrecht ROTHACHER

(article tiré de « Zur Zeit », Vienne, n°13/2007).   

 

 

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