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jeudi, 04 décembre 2008

L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine

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L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine

par Jacques d'ARRIBEHAUDE

A l'origine d'un esprit de révolte qu'il analyse ici re-marquablement, François Richard évoque les baro-ques et les libertins du XVIème et du XVIIème sièc-les, diversement suspects aux pouvoirs en place et dé-jà "non conformes". Il signale à juste titre la "Sa-ti-re Ménippée", mais, très vite, en vient à son vrai sujet, qui tient à l'esprit et au rôle de ceux qu'il ran-ge parmi les anarchistes de droite de la fin du siècle dernier à nos jours. "En fait, écrit-il, l'anarcho-droi-tis-me se révolte contre la montée et la tentative d'in-car-nation des idéaux démocratiques, mais cette op-po-sition n'englobe pas sa pensée dans son entier. El-le n'en est qu'un des aspects: sur cette humeur ré-tive, ce refus viscéral, croît et se développe une atti-tude philosophique globale qui, dans sa lucidité, sa vio-lence et son appétit de liberté, a engendré l'un des flamboiements littéraires les plus contestés et les plus impressionnants de ce temps".

Soutenu par un excellent choix de citations, le livre s'ar-ticule en six chapîtres de lecture aisée et capti-van-te, qui vont du "refus de la démocratie" à la "chas-se à l'absolu". Il est évident que la révolution de 89, dont les masses se voient sommées, à leurs pro-pres frais de contribuables, de célébrer le bicente-naire, est ici une charnière, un point de rupture fon-damental. Parmi beaucoup d'autres, on peut retenir cette appréciation de Léautaud: "Au total, une bande de coquins et d'imbéciles sans en excepter un seul... Voilà pourtant ce qu'on glorifie, voilà les créateurs de la France, de la France d'aujourd'hui, les précur-seurs des bavards et des sots qui nous gouver-nent...". Drumont avait déjà parfaitement constaté que "la Société fonctionnant en mode subversif, tout ce qui semblerait devoir protéger les honnêtes gens concourait en réalité à assurer aux gros voleurs le succès d'abord, l'impunité ensuite". La caractéristi-que de tous ces hommes que leur forte individualité sé-pare et rend parfois hostiles les uns aux autres, c'est le refus des mots creux, des abstractions gro-tes-ques imposées comme valeurs suprêmes du Pro-grès à majuscule et d'une république considérée par Léon Bloy comme "le droit divin de la médiocrité absolue". C'est aussi, dans un siècle où l'idéal se ré-duit de plus en plus à "la même chose pour tout le monde", l'appel spontané à la contradiction et la vo-lonté farouche de rejeter les crédos de plus en plus suspects, les vulgates les plus agressivement niaises d'une intelligentsia aussi sotte que perverse en ses pe-sants rabâchages. On conçoit dans ces conditions le cri de Nimier et de quelques autres, qui eurent vingt ans en 45. "Plus l'Apocalypse s'est rappro-chée de l'Allemagne et plus elle est devenue ma pa-trie". On conçoit aussi que, dans l'asphyxie du confor-misme ambiant, étayé d'un appareil judiciaire et po-licier parfaitement au point, appuyé à tous les cré-neaux possibles par des aboyeurs médiatiques, des enseignants abrutis et l'armée socialisante d'une plé-tho-rique fonction publique où nul ne semble avoir jamais vu l'ombre d'un prolétaire, le moindre pro-pos d'un Drumont, d'un Céline, d'un Rebatet, et, plus près de nous, d'un Nabe ou d'un Micberth, soit aussitôt perçu comme une menace intolérable. A l'Est, il y a pour ces criminels les fameux "asiles psy-chiatriques". Dans nos démocraties de progrès, de tolérance et de droits de l'homme, c'est tout simplement l'assassinat par étouffement, piqures d'é-pin-gle, inquisition fiscale, persécutions admi-nistra-tives, incarcération sur motifs fabriqués, le tout dans "ce grand silence de l'Abjection" si bien évoqué ja-dis par Châteaubriand.

 

De Gobineau à Micberth en passant par Drumont, Bloy, Darien, Léautaud, Daudet, Céline, Rebatet, Mar-cel Aymé, Bernanos et bien d'autres, François Ri-chard éclaire à merveille le talent, la vigueur po-lé-mique et la fécondité d'un courant qui, en dépit de toutes les censures, de tous les éteignoirs, et de l'im-mense peur des bien-pensants de tous bords, appa-raît "comme l'une des tendances politiques, morales et intellectuelles les plus stimulantes de notre moder-ni-té".

 

Où l'auteur de cette excellente étude s'égare un peu, me semble-t-il, c'est lorsqu'il cite Louis Pauwels en bonne place parmi ces irréductibles briseurs de ta-bous dont il souligne pourtant bien, par ailleurs, le ca-ractère irrécupérable. Certes Pauwels est honni et abreuvé d'injures par les tout puissants foutriquets de ce qu'il nomme si justement la "gauche caviar", qui ne sauraient lui pardonner ses ricanements à pro-pos du "sida mental" dont il les voit atteints. Mais Pauwels est une institution qui se recommande, tout comme ses adversaires et détracteurs, de la démo-cra-tie, de la République, et de l'épilepsie moralisante de nos cardinaux judéo-chrétiens. Je distingue mal le rap-port avec Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Da-rien, Rebatet, Micberth, etc. Je regrette, en revan-che, que François Richard ait omis de citer Brigneau, Gripari, Marc-Edouard Nabe, Willy de Spens, d'autres peut-être, qui appartiennent, sans conteste, par l'éclat, le talent et le caractère, à cette flamboyante aristocratie de réprouvés qu'il s'est atta-ché à dépeindre. Mais ne boudons pas notre satis-faction dès lors qu'il s'agit là du premier ouvrage sérieux sur un sujet pratiquement tabou jusqu'à ce jour.

 

Jacques d'ARRIBEHAUDE.

 

François RICHARD, L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine,  PUF (coll. "Littératures mo-dernes"), Paris, 1988, 244 pages, 130 FF.

 

 

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