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jeudi, 21 mai 2009

La littérature abolit le progrès

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La littérature abolit le progrès

 

Pierre Le Vigan / http://europemaxima.com/


Thierry Hentsch écrivait : « La mort est la grande affaire de l’homme. Elle est, qu’il le veuille ou non, le révélateur de sa vie, le suprême moment de vérité, l’échéance qui éclaire la vie de son inéluctable avènement. Vie, mort et vérité sont étroitement chevillées les unes aux autres, et la conscience n’échappe à la pensée de cette jonction qu’au prix de sa propre diminution. » Le récit n’est pas la vérité, mais, même quand il est mythique, il n’est pas le contraire non plus de la vérité. Il est un moyen de mieux se comprendre. Ceci a toujours été admis sauf avec le Nouveau Testament, le seul récit qui s’est voulu aussi La Vérité. « Le christianisme accomplit un incroyable exploit. Il réussit à imposer cette antinomie : un récit de vérité », note Thierry Hentsch. C’est le seul Grand Récit ancien qui ne s’est voulu susceptible de ne relever que d’une seule interprétation. Le Nouveau Testament représente ainsi la fin de la gratuité du récit, offert aux libres interprétations, et le début des mono-interprétations, donc des appauvrissements de l’imaginaire.

Il n’en était pas de même, à son origine, du grand récit scientifique. Kant avait écrit que la science ne nous donnait aucune certitude sur les choses en soi. La science a sauté au dessus de ce problème du vrai. Ce qui importe est ce qui est efficace, ce qui fonctionne. C’est ce qui fonctionne qui est vrai, et non ce qui est vrai qu’il importe de faire fonctionner. De cette conception découle une dévalorisation de la littérature, bien vue, par exemple, par Alain Finkielkraut. Car la logique de la littérature n’est pas l’efficacité, c’est le labourage, c’est le sarclage, c’est justement la culture. La littérature s’oppose à deux choses : à la science, et aussi à l’herméneutique. Le postulat de la littérature est que aucune érudition, aussi nécessaire soit-elle, ne confère une autorité en matière d’interprétation. C’est pourquoi, selon le mot de Thierry Hentsch, la littérature « nous délivre de l’idée de progrès » - et c’est d’ailleurs aussi pour cela, pour éviter cette délivrance funeste à notre « productivité » que la littérature tend à ne plus être enseignée. Heidegger n’est pas un « progrès » par rapport à Pascal ou à Montaigne. Ce point concerne aussi l’art, qui ne peut relever du progrès. Il serait insensé de dire que Van Dongen est un progrès par rapport à Lorenzo Veneziano. Si la littérature n’abolit pas le temps, elle abolit le progrès et c’est en cela qu’elle aide enfin chacun à se comprendre dans le temps.

Pierre Le Vigan

Note

1 : Thierry Hentsch, Raconter et mourir. Aux sources narratives de l’imaginaire occidental, Presses de l’Université de Montréal-Bréal, 2002, prix Louis-Pauwels 2003.

00:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, lettres, philosophie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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