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mercredi, 08 décembre 2010

Goritsa: la culture guerrière russe

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

Goritsa: la culture guerrière russe

 

Russian%20Martial%20Arts.jpgLes immenses étendues russes, ses steppes secouées par les vents et ses peuples anciens comme le monde, résonnent encore du chant mystique d'ancestrales traditions. Mais la tradition ne meurt jamais, et aujourd'hui les esprits fertiles de savants bien écolés s'agitent au-delà des bouleversements du temps et de l'histoire, à la recherche de ce qui rapprochait les hommes à l'aube de la civilisation. Parmi eux, le professeur Alexander Belov, enseignant titulaire de la chaire d'«Histoire des Religions à Moscou».

 

Fort de son prestige incontestable au sein de la classe guerrière moscovite, il entreprit, au cours des années 70, une longue recherche sur la tradition martiale russe, pour la réexhumer systématiquement. Cette entreprise le mena dans les villages les plus reculés, à entretenir des relations avec d'anciens maîtres et de rudes guerriers de souche paysanne, jusqu'à rendre toute sa splendeur à l'art martial de la Goritsa, méthode de lutte assez complète qui, au cours des siècles, s'était scindée en différentes branches.

 

Dans la Russie d'aujourd'hui, on assiste à un important réveil de la classe guerrière, à un développement virtuel d'un archétype de bellator bien enraciné dans la branche autochtone de la grande famille indo-européenne. Une rigoureuse conscience de classe rapproche ceux qui appartiennent à cette caste, pour laquelle la conception fondamentale est drujima («Un pour tous, tous pour un»).

 

A cette renaissance s'ajoute la volonté d'élargir toujours plus la caste elle-même, pour réunir les esprits les plus vifs, l'élite des énergies russes, dans les différents clans guerriers, comme celui des «Loups Bleus» auquel appartient le Prof. Belov. Et cela en vertu de profondes racines philosophico-religieuses qui sont à la base du grand édifice de la Goritsa.

 

C'est pourquoi la formation d'un aspirant guerrier exige un travail long et complexe. Les prémices ne sont guère favorables: si virtuellement quiconque peut s'entraîner dans la Goritsa, seulement celui qui est choisi par un Maître peut espérer accéder aux niveaux les plus hauts. Parmi les candidats, seuls trois sur dix y parviendront.

 

L'acceptation du candidat guerrier de la part du Maître, repose sur une fascinante faculté sémiotique: du premier regard le maître est en mesure de juger s'il est opportun de choisir le candidat et dans quelles conditions. Par exemple, il peut se servir d'une classification des typologies humaines basée sur les trois principes de la Nature Prav, Jav et Nam.

 

Au début de l'entraînement, l'élève tente de rejoindre la sublimation spirituelle en travaillant d'abord sur sa propre personnalité et ensuite sur l'énergie intérieure (ce dernier argument est traité seulement avec les initiés). Dans un deuxième temps on accède à une identité collective puisque l'homme, être essentiellement social, peut tirer une grande force des rapports humains. Symboliquement cette conception est représentée par la lettre «I», l'Individu, inscrite dans la lettre «O», la Collectivité, qui enserre l'individualité.

 

Le pratiquant, à qui on attribue un compagnon (appelé «Oncle»), est personnellement suivi par le Maître, car l'enseignement doit être adapté aux caractéristiques spécifiques de chacun. Le système d'entraînement tend à exclure l'activité du cortex cérébral pour favoriser celle de parties plus primitives du cerveau, comme le noyau lenticulaire, l'étage inférieur du pédoncule cérébral et le cervelet. En fait, par cette technique, le guerrier agira de manière instinctive, sans interférences de pensée, qui freineraient l'action et empêcheraient un tonus musculaire correct. Comment arrive-t-on à ce résultat?

 

Au cours d'un entraînement sont proposés environ cent vingt mouvements différents. Le néo-encéphale n'est pas en mesure de les traiter tous, alors il subit une sorte de blocus, pendant que le subconscient prend la relève en amorçant sa propre activité. Durant les premiers mois, le pratiquant, sur base de ces principes, s'entraîne trois fois par jour en raison de quinze minutes par séance.

 

Justement parce qu'il est fondé sur de complexes réactions psychophysiques, ce type d'entraînement peut provoquer de sérieux problèmes s'il est pratiqué sur un système neuropsychique inadéquat. D'autre part, il est vrai aussi que les instructeurs de Goritsa se décarcassent littéralement afin que leur art puisse profiter à des personnes affligées par des problèmes psychologiques en leur donnant, par la pratique, une meilleure confiance en soi et un meilleur équilibre intérieur.

 

Ainsi, depuis quelque temps les sections spéciales de l'Armée Russe s'entraînent dans la Goritsa, non seulement pour son utilité au combat, mais aussi pour l'attitude qu'elle insuffle d'aller toujours de l'avant, sans jamais reculer. Attitude très utile même dans certaines situations au quotidien, comme quand on éprouve une certaine crainte vis-à-vis de personnes en position d'autorité. On peut donc engager un combat psychologique et verbal, source de stratégies capables de renverser la situation à son propre avantage, sans parler de l'efficacité certaine que recèle implicitement une mentalité de “gagnant”.

 

Parmi les disciplines de la Goritsa, il en existe certaines qui possèdent des propriétés curatives: en se basant sur les théories de la médecine ésotérique russe, on stimule des points spécifiques du corps par des mouvements, des percussions et des massages.

 

Un des aspects essentiels de la culture guerrière russe concerne son substrat religieux-spirituel complexe. A sa base, on découvre un courant théologique très ancien, aujourd'hui connu sous le nom de néopaganisme, qui englobe la vie du pratiquant sous tous ses aspects. Dans cette religion, dont Alexander Belov a été longuement ministre, la position centrale est occupée par les différentes manifestations de la Nature, beaucoup d'entre elles étant symbolisées par des divinités. Ces divinités ne font pas l'objet de vénération, n'étant pas directement reconnues comme quintessences suprêmes: leur rôle est de rappeler à l'adepte (et cette valeur paradigmatique recèle la puissance du symbole) une image bien précise.

 

La même fonction est attribuée aux simulacres de dieux, de telle sorte que même une image du Christ pourrait être acceptée dans cette perspective et exploitée d'après les coordonnées historico-religieuses qui la caractérisent (par exemple, la bonté et l'amour universel). Il n'y a pas d'acte de foi plus élevé pour ceux qui reconnaissent un sens religieux à la Nature et à ses merveilles!

 

En quête d'une proximité qui frôle le fusionnement, depuis le mois de mai jusqu'aux premières neiges, les guerriers de la Goritsa s'exercent dans des milieux naturels, en courant et en s'entraînant dans les bois, parmi les arbres séculaires.

 

C'est le contraire de ce qui se passe dans des villes comme Milan, par exemple, où l'élément «pierre» est prédominant, où l'interaction négative de ces murailles avec l'esprit empêche ce dernier de se détendre: voici pourquoi, dans les grandes métropoles sans végétation, beaucoup de personnes sont affligées par des troubles psychiques. Quand le Prof. Belov vit le Dôme de Milan, tout en étant frappé par la force religieuse qu'il dégageait, il ne l'estima pas plus intense que celle produite par une tempête en montagne.

 

Dans ce credo essentiellement animiste, qui présume une étroite connexion entre tous les éléments de l'Univers, on accepte une tétralogie élémentaire, développée dans le schéma suivant:

 

Air - Soleil/Feu - Terre

 

Les quatre éléments se déplacent perpétuellement en sens rotatif, en engendrant une figure graphique proche du svastika tantrique, pendant qu'au centre sied le dieu Ra. Ra, racine lexicale (et ici la mystique païenne montre le lien lexical de signification-signifant) extrêmement ancienne et commune, et tout particulièrement dans un sens théologique, à plusieurs cultures, depuis le dieu Ra des Egyptiens jusqu'au dieu Rama des Indiens.

 

Il est intéressant de noter les traces de la syllabe RA dans les toponymes d'une frange centrale du territoire russe qui s'étend du Nord au Sud, comme si elle y avait été véhiculée par les migrations des peuples vers les régions méridionales, depuis la chaîne de l'Oural jusqu'à la Mer d'Aral, au nom hiératique de la Mer Caspienne.

 

Ra/Rot: le démiurge immobile

 

Le dieu russe Ra, plus tard appelé Rot, est tellement éloigné des hommes qu'il ne se préoccupe pas de leurs affaires. Toutefois, il reste le démiurge immobile qui déplace les éléments de l'Univers. Parmi ceux-ci le feu, au dieu duquel est consacré un style (aux propriétés curatives), qui représente l'art martial de la Goritsa, puisque le feu est le symbole de l'action et de la dynamique pures: les mouvements circulaires du guerrier doivent envahir l'espace, comme le feu envahit l'air.

 

L'importance idéologique de certains principes cosmiques, et de l'iconographie religieuse qui s'y rapporte, est telle qu'un disciple se voue à une divinité, choisie parmi celles qui s'accordent le mieux avec sa personnalité, et cette divinité sera son guide dans son itinéraire existentiel et spirituel.

 

Mais le dieu majeur de cette religion est relié à la trinité de base de la philosophie néopaïenne russe: Nam, terme qui veut désigner le fait de «prendre l'énergie» (se rapportant aussi, par exemple, à ces personnes qui, comme on dit, aspirent  l'énergie d'autrui), Jav, «donner l'énergie»; et Prav, le plus important, l'équilibre entre les deux. Les guerriers ont pour tâche le maintien de cet équilibre. A la conception Prav est lié le dieu principal de l'Olympe russe, comme le Zeus grec: Perun, qui représente aussi l'action continue.

 

Aujourd'hui, au moment où s'accentuent et s'intensifient les relations entre les peuples et les cultures, la possibilité nous est donnée d'accéder à un patrimoine de sagesse de grande élévation. Nous devons espérer que des esprits ouverts et talentueux parviendront à cueillir le message, pour le perfectionnement permanent et régulier de l'homme et de la vie humaine.

 

Stefano PERNATSCH.

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