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vendredi, 12 avril 2024

L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort

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L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/leterno-ritorno-di-evola-a-50-anni-dalla-morte/

L'oeuvre de Julius Evola se confirme, avec le temps, un demi-siècle après sa mort (en date du 11 juin 1974), comme une aire incontournable au cœur de la modernité. Andrea Scarabelli lui a consacré un livre magnifique et volumineux, Vita avventurosa di Julius Evola, publié chez Bietti (pp.737,39,00 €), dont nous parlerons dans les prochaines semaines, un livre indispensable qui, par sa complexité et son exhaustivité, nous fait découvrir l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle.

81mIbi4H1lL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgPour avoir lu et apprécié Evola, bien que sur plus d'un point avec des réserves compréhensibles, il y a cinquante ans, ou même plus tôt quand le débat autour de ses idées faisait rage, en essayant de le sauver d'une diabolisation préventive, c'est comme si on ne l'avait pas connu du tout quand on le relit aujourd'hui, surtout après la publication du livre de Scarabelli, dans le contexte de la révolution la plus subtile et la plus radicale qui ait eu lieu: l'affirmation d'une pensée unidimensionnelle et homologatrice, totalitaire dans son essence et libertaire dans sa forme, qui est à la fois fiction et enveloppe du déracinement des valeurs auquel nous participons, consciemment ou inconsciemment. Evola, paradoxalement, est beaucoup plus notre contemporain qu'il ne l'était à l'époque où son observation minutieuse et son diagnostic précis de la décadence se sont déployés, se projetant dans une dimension qui, seulement des décennies plus tard, comme il l'imaginait lui-même, s'ouvrirait même dans les sphères culturelles qui, de son vivant, tendaient à le marginaliser, voire à le "réduire au silence".

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L'œuvre d'Evola, loin d'être embaumée et conservée dans les recoins d'une aire intellectuelle minoritaire, fréquentée uniquement par des "dévots" sans esprit critique, est surtout aujourd'hui, dans sa complexité, non seulement un formidable réquisitoire, extraordinairement efficace et approprié, contre l'idéologie du déclin sous les différentes formes qu'elle a prises, mais se révèle pour ce que tant de gens ont pu y voir en s'y plongeant au point d'en sortir transformés, comme ce fut le cas par exemple pour le grand poète allemand Gottfried Benn après la lecture de Révolte contre le monde moderne. Et si ce sont les traits stylistiques d'une certaine "révolution conservatrice" que Benn a reconnus dans le livre du penseur italien, qui devait conquérir avec lui une notoriété non éphémère dans les milieux culturels européens, il faut dire aussi que l'analyse profonde et complète de la Tradition par Evola laissait entrevoir un horizon culturel qui, au tournant de la crise continentale, pas encore libéré des affres de la première grande guerre civile européenne, s'apprêtait à se dissoudre dans la crise de l'Europe, se préparait à se dissoudre dans la seconde, comme le prédisait "prophétiquement" un fascinant diagnosticien représentant le "déclin de l'Occident", un peu comme Evola lui-même le fera des années plus tard en entraînant la "prophétie" spenglérienne au-delà des contingences qui l'avaient inspirée pour la fonder dans l'éclipse d'une religiosité, même non fidéiste; la "crise du monde moderne" dont René Guènon avait déjà donné une représentation convaincante au point qu'elle tient encore face aux convulsions qui nous habitent et auxquelles nous avons l'impression de ne pas pouvoir échapper.

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C'est à ce sentiment d'impuissance qu'Evola s'est souvent intéressé, nous invitant à une sorte de révolution spirituelle qui, en ce début du 21ème siècle, nous apparaît comme la seule carte à jouer face aux contradictions de l'égarement intellectuel. Les conséquences politiques sont connues et la crise substantielle de la démocratie, démembrée par les pouvoirs oligarchiques, maîtres absolus du marché, n'est que la dernière étape de la dissolution sociale qui a commencé avec les crimes commis par la Grande Révolution.

Le "totalitarisme mou", auquel Evola s'est implicitement référé tant de fois, ne s'arrête pas à la prétention d'uniformiser la vie selon l'uniformisation imposée par les potentats transpolitiques et la finance prédatrice à travers les médias, la publicité, l'allégorie fantasmagorique de la liberté exaltée - pour la nier - par les réseaux sociaux, l'apologie de l'homo consumans comme seul être réputé pertinent, la suppression de la souveraineté des peuples, des nations et des Etats en vue de la création d'un Marché Universel dont l'égalitarisme formel devrait être la ligne directrice. Avec pour objectif, de la part des oligarques intellectuels et politiques qui tiennent les ficelles, de transformer, jusqu'à les réduire à néant, les faits et phénomènes de diversité et de catapulter finalement la "théorie du genre" dans l'assimilation pratique de l'unisexe dans une société réduite à un désert de formes et privée de forces vives: bref, la révolution la plus bouleversante qui ait traversé l'humanité.

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La "pensée unique" a hâtivement consumé, dans l'horrible lande des idéologies mortes, ses gloires, renversant le principe d'"universalité" (qui n'est pas l'uniformité) propre aux soi-disant "civilisations traditionnelles" en celui de "collectif" propre à la soi-disant "civilisation moderne". Celle-ci s'oppose à l'"universel" comme la "matière" s'oppose à la "forme", affirme Evola. Et il explique, dans les dernières pages de Révolte contre le monde moderne, que "la différentiation de la substance dans la promiscuité de la collectivité et la constitution d'êtres personnels par l'adhésion à des principes et à des intérêts supérieurs constituent la première étape de ce qui, dans un sens éminent et traditionnel, a toujours été compris comme la "culture". Lorsque l'individu est parvenu à donner une loi et une forme à sa propre nature, de sorte qu'il s'appartienne à lui-même au lieu de dépendre de la partie purement physique de son être, la condition préalable à un ordre supérieur est déjà présente, dans lequel la personnalité n'est pas abolie, mais intégrée: tel est l'ordre même des "participations" traditionnelles, dans lesquelles chaque individu, chaque fonction et chaque caste acquièrent leur signification propre par la reconnaissance de ce qui leur est supérieur et de leur lien organique avec lui. Et, à la limite, l'universel est atteint dans le sens du couronnement d'un édifice dont les solides fondations sont précisément constituées à la fois par les diverses personnalités différenciées et formées, chacune fidèle à sa propre fonction, et par des organismes ou des unités partielles avec des droits et des lois correspondants, qui ne se contredisent pas mais se coordonnent solidement grâce à un élément commun de spiritualité et à une disposition active commune à un dévouement supra-individuel".

Il en va tout autrement dans la modernité, où s'impose une conception opposée, de type mécaniste pourrait-on dire, visant au collectivisme. Ainsi, comme l'explique si bien Evola, l'individu apparaît de plus en plus incapable de valoir autrement qu'en fonction de quelque chose: dans ce "quelque chose", indéfini, il cesse d'avoir un visage propre; son visage est celui que les autres lui donnent, fruit de l'homologation, du renoncement à être lui-même du moins formellement. Aujourd'hui, on range tout cela sous le titre de "pensée unique", dont le déploiement est une praxis existentielle visant à la construction d'un indifférentisme accepté, presque toujours inconsciemment, comme une valeur apportée par le déploiement de la démocratie la plus accomplie, alors que c'est exactement l'inverse qui est vrai. C'est-à-dire que la régression dans l'indistinct constitue la dissolution non seulement des différences ordinaires et donc des hiérarchies morales, culturelles et civiles, mais aussi d'une démocratie populaire dont l'essence devrait être l'exaltation des pièces individuelles d'une mosaïque communautaire cimentée par la reconnaissance de la dignité.

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À l'époque de la quantification et de l'absolutisme mercantile, il est inévitable que la force du nihilisme devienne un puissant facteur de stabilisation de l'instabilité, avec des conséquences facilement imaginables que nous pouvons déjà voir à l'œuvre autour de nous, massivement présentes dans notre imaginaire culturel et destinées à submerger même les îles isolées que l'on croyait jusqu'à récemment à l'abri des flots de la vulgarité massifiante qui véhicule les modes et les coutumes qui remontent à l'univers de l'unicité de la pensée et donc au triomphe de la modernité. Âge sombre" ou "âge de fer", reprenant l'antique image d'Hésiode: c'est ainsi qu'Evola a défini notre époque. Et lorsque les formulations ont pris des allures de polémiques politiques, il ne s'est pas trouvé un seul homme pour ne pas stigmatiser le "baron noir" par des épithètes irrévérencieuses et pour ne pas considérer ses disciples comme pathétiques. Le temps s'est fait gentilhomme et le néo-totalitarisme, préfiguré et analysé par Evola en des termes on ne peut plus alarmants, bien avant que ses miasmes n'envahissent nos existences, progresse dans l'indifférence de ceux qui ne perçoivent pas les restrictions des espaces de liberté désormais occupés par les cris des multitudes qui réclament l'attention d'on ne sait qui, étant donné que ceux qui tissent les fils de la modernité ont intérêt à faire semblant de donner l'apparence de l'autonomie et de la critique à ceux qui la réclament, à condition, bien entendu, de disposer d'un cadre et d'une structure impénétrables et blindés pour protéger la citadelle du pouvoir qui n'admet aucune contestation, celui de l'argent qui domine les consciences en les achetant avec des gadgets culturels et des croyances nouvellement créées.

Le spenglérien Evola écrit, toujours dans Révolte contre le monde moderne De même que les hommes, les civilisations ont leur cycle, un début, un développement, une fin, et plus elles sont immergées dans le contingent, plus cette loi est fatale. Cela, bien sûr, ne peut impressionner ceux qui sont enracinés dans ce qui, étant au-dessus du temps, ne serait altéré par rien et qui demeure comme une présence éternelle. Même si elle disparaissait définitivement, la civilisation moderne n'est certainement pas la première des civilisations à s'éteindre, ni celle au-delà de laquelle il n'y en aura pas d'autre. Les lumières s'éteignent ici et se rallument ailleurs dans les vicissitudes de ce qui est conditionné par le temps et l'espace. Les cycles se ferment et les cycles se rouvrent. Comme on l'a dit, la doctrine des cycles était familière à l'homme traditionnel, et seule l'insipidité des modernes leur a fait croire un instant que leur civilisation, plongée, plus qu'aucune autre ne le fut jamais, dans l'élément temporel et contingent, pouvait avoir un destin différent et privilégié.

Mais est-il possible que la fin d'un cycle puisse préluder à l'ouverture d'un autre dans une continuité, certes essentielle et marginale ? C'est un grand thème qui, projeté sur l'immense marécage contemporain, sollicite des considérations anthropologiques par rapport auxquelles tous les domaines de la pensée sont remis en question, à commencer par le religieux (même s'il n'est pas ancré dans une foi donnée) jusqu'à l'économico-social. C'est dans ce contexte que celui que l'on a appelé la "lux évolienne" s'est imposé de manière décisive, surpassant même des théoriciens de la crise et du déclin beaucoup plus acclamés. Evola, contrairement à ce que l'on pourrait penser - et surtout dans les dernières années, bien qu'il n'ait pas cultivé les illusions à court terme d'une possible renaissance (les nombreux articles qu'il a écrits pour Il Conciliatore, L'Italiano et Roma en sont la preuve) - a imaginé la possibilité d'inverser le cours des choses, sans s'attarder à les chercher dans certains renouveaux plus folkloriques qu'autre chose des "traditionalistes" autoproclamés de la dernière heure ou dans une religiosité de seconde main, telle qu'on l'observe dans Masques et visages du spiritualisme contemporain.

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Il a imaginé qu'une minorité active et culturellement consciente de la tâche à laquelle elle doit se consacrer après avoir mesuré les étapes de la décadence et tiré les conséquences de la dissolution des formes même élémentaires inhérentes à une existence à peine ordonnée, pourrait émerger. Il définit les personnalités qui composent ce noyau comme des egregoroi, c'est-à-dire ceux qui regardent. Mais en plus grand nombre, dit-il, "il y a des individualités qui, sans savoir au nom de quoi, ressentent un besoin confus mais réel de libération. Orienter ces personnes, les mettre à l'abri des dangers spirituels du monde présent, les amener à reconnaître la vérité, et rendre absolue leur volonté que certains d'entre eux puissent atteindre la phalange des premiers, c'est encore ce que l'on peut faire de mieux". Et, toujours dans un rigoureux réalisme, il ajoutait: "Mais là encore il s'agit d'une minorité et il ne faut pas s'imaginer qu'il puisse en résulter une variation appréciable dans l'ensemble des destinées. Telle est donc la seule justification de l'action tangible que certains hommes de la Tradition peuvent encore exercer dans le monde moderne, dans un milieu avec lequel ils n'ont aucun lien. Pour l'action directrice précitée, il est bon que de tels "témoins" soient là, que les valeurs de la Tradition soient toujours indiquées, sous une forme d'ailleurs d'autant plus atténuée et dure que le courant adverse est plus fort. Même si ces valeurs ne peuvent pas être réalisées aujourd'hui, elles ne sont pas réduites à de simples "idées"". Et encore: "Rendre clairement visibles les valeurs de vérité, de réalité et de Tradition à ceux qui, aujourd'hui, ne veulent pas de "ceci" et cherchent confusément "autre chose", c'est apporter un soutien pour que la grande tentation ne l'emporte pas chez tous, où la matière semble désormais plus forte que l'esprit".

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La Tradition, prise non pas comme conatus réactif à la "pensée unique", mais comme véhicule d'affirmation d'une "pensée autre", est donc l'héritage d'Evola pour les "derniers temps". Une Tradition, bien sûr, vécue dans ses valeurs constitutives et non dans les déchets rhétoriques qui lui sont associés, auxquels les attitudes culturelles ont offert un espace pour le moins irrespectueux à l'égard de l'univers traditionnel lui-même. Et qui ne peut devenir "active" qu'en prenant les traits d'une "révolution conservatrice", comme le suggère Evola lui-même dans Gli uomini e le rovine (Les hommes au milieu des ruines), dans Cavalcare la tigre (Chevaucher le tigre) et dans de nombreux autres écrits organiques et occasionnels. La formule met en évidence l'élément dynamique représenté par la "révolution", qui n'a donc pas de valeur subversive ou violente d'un ordre légitime, et l'élément constitutif qui l'étaye, lequel est "conservateur". Mais conserver quoi? La tradition et ce qui en découle, en la faisant vivre - et c'est là la tentative la plus ardue - à travers les instruments de la modernité sans être conditionnée ou même subjuguée par eux. Préserver la Tradition et ce qu'elle signifie est le seul véritable acte révolutionnaire imaginable. Et il est loin d'être irréaliste de croire qu'une réaction loin d'être stérile au totalitarisme de la "pensée unique" puisse en découler.

Loin de cristalliser l'idée de Tradition, Evola la relance comme proposition culturelle à l'heure de la crise de toutes les croyances et à la veille de l'effondrement d'idéologies élevées au rang de pratiques quasi mystiques. Dans un article paru dans Il Conciliatore en juin 1971, Evola écrit: "L'introduction de l'idée de Tradition vaut pour libérer chaque tradition particulière de son isolement, précisément en ramenant son principe générateur et ses contenus essentiels dans un contexte plus large, en des termes qui soient d'une intégration effective. Seules les éventuelles revendications d'exclusivisme et de privilèges sectaires en pâtissent. Nous reconnaissons que cela peut être dérangeant et créer une certaine désorientation chez ceux qui se sentaient en sécurité dans une zone donnée et clôturée. Mais pour d'autres, la vision traditionnelle ouvrira des horizons plus larges et plus libres, elle ne fera qu'instiller une sécurité supérieure, à condition qu'ils ne trichent pas au jeu: comme dans le cas de ces "traditionalistes" qui n'ont mis la main sur la Tradition que comme une sorte de condiment à leur propre tradition particulière réaffirmée dans toutes ses limites et dans tout son exclusivisme".

La personnalité multiforme d'Evola se prête, on le sait, à des interprétations diverses, variées, voire contradictoires. Mais sur un aspect de sa pensée, il n'y a probablement pas de différence de jugement. Evola - au-delà de ses propres intentions - est le protagoniste incontesté d'une révolte culturelle contre le conformisme dont la dictature de la "pensée unique" est l'expression la plus macroscopique et la plus meurtrière.

Evola est en bonne compagnie, bien sûr. Mais la pertinence contemporaine de ses idées est telle qu'il est considéré comme la référence d'une vision du monde qui embrasse, contrairement à d'autres, bien que contigus, les domaines les plus importants de l'esprit et de l'action, du sexe (à la "Métaphysique" duquel, anticipant prodigieusement les résultats de la soi-disant "libération sexuelle", il a consacré des pages qui déboulonnent la théorie du genre et l'unisexisme dominant) à la religiosité dans ses multiples déclinaisons, en passant par la science, la démographie, la contestation de la jeunesse et ses mythes, et les formes de décadence.

Quelle est sa pertinence aujourd'hui ? Question inutile. La réponse se trouve dans ses livres.

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mercredi, 10 avril 2024

Le traditionalisme et la Lituanie

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Le traditionalisme et la Lituanie

Mindaugas Kaktavičius

Source: http://www.radikaliai.lt/

La tradition est ce qui se transmet. C'est ce qui reste constant dans les métamorphoses constantes de l'histoire et de la vie lituaniennes. C'est une source authentique de valeurs fiables de la culture nationale, qui nourrit toutes les cellules de la culture et de la mentalité nationale (1). La présente publication étudie les origines philosophiques et la vision du monde des nouvelles doctrines des mouvements religieux traditionalistes en Lituanie. Elle se concentre sur les concepts traditionalistes les plus influents du passé et du 20ème siècle, qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence des nouveaux mouvements religieux (NRM) contemporains les plus influents dans notre pays.

Sacrum versus profanum

Avant de procéder à un examen plus détaillé des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines traditionalistes des NRM en Lituanie, nous aborderons brièvement l'idéologie du traditionalisme et définirons les concepts de base que nous utiliserons, ainsi que les doctrines traditionalistes qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence et la propagation des NRM. Nous commencerons notre analyse par son concept central. L'origine du terme NRM doit être retrouvée au Japon, où le phénomène a commencé à être étudié au début du 20ème siècle. Le terme "nouvelles religions" est une traduction du japonais shin shukyo. Emprunté aux sociologues japonais dans les années 1970, les chercheurs occidentaux en ont fait un terme universel à utiliser à la place des termes "secte", "culte" ou autres "dénominations". Les sectes sont limitées aux groupes religieux, psychothérapeutiques, politiques ou commerciaux hautement manipulateurs [2].

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En Occident, une approche différente des phénomènes religieux en général a commencé à émerger aux 19ème et 20ème siècles. Pierre Daniel Chantepie de la Saussaye (1848-1920) (photo, ci-dessus), le père néerlandais des études religieuses modernes, a inventé pour la première fois le terme "phénoménologie de la religion" dans son livre Lehrbuch der Religionsgeschichte (1887). Pour cet érudit, l'objectif de la phénoménologie de la religion était de collecter des données historiques afin d'analyser les concepts de la religion. Les idées de P. D. Chantepie de la Saussaye ont été suivies par un autre Néerlandais, William Brede Kristensen (1867-1953), qui a proposé de décomposer le phénomène de la religion en éléments spécifiques à des religions particulières.

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La phénoménologie de Kristensen (photo, ci dessus) s'est beaucoup inspirée, mais elle s'est encore plus appuyée sur le concept très influent de sacré (das Heilige) développé par le théologien luthérien allemand Rudolf Otto (1869-1937) dans son livre éponyme publié en 1917.

Le sacré selon R. Otto se trouve "derrière" le sacré, [...] elle peut le déterminer, le conditionner, mais il ne peut pas être identifiée à la sainteté" [3]. Pour Otto, "l'espace et le temps sont divisés en deux sphères: le sacré et le profane" [4]. Cette division donne au sacré une nouvelle "place" - le "centre" du monde, l'axis mundi. Les Lituaniens, comme beaucoup de peuples, avaient leurs propres "centres" du monde - les alci.

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Un exemple de "centre" du monde moderne et du nouvel âge est la pyramide dite de Merkinė dans le village de Česuki dans le district de Varėna (photo, ci-dessus). Plus tard, le thème du sacré a été développé par le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade [5] (1907-1986), par le Néerlandais Gerardus van der Leeuw (1890-1950) [6] et par de nombreux autres chercheurs, qui ont tenté de définir la différence entre les deux mondes - celui dans lequel vit la personne religieuse et le monde séculier. Il est vrai que la dichotomie entre le sacré et le séculier, l'ésotérique et l'exotérique, n'est pas forte dans toutes les religions. Dans le bouddhisme, par exemple, le dualisme entre le sacré et le profane n'est pas reconnu, alors que dans les mouvements du nouvel âge, il revêt une importance capitale, comme en témoigne la stricte hiérarchie des membres de ces mouvements : les nouveaux venus se voient enseigner les "secrets" du NRM jusqu'à ce qu'ils atteignent le seuil de l'initiation, et, une fois ce seuil franchi, ils sont introduits dans le royaume du sacrum.

La distinction entre le sacré et le profane a été définie par les traditionalistes, influents partisans de la méthodologie comparative, dont l'école est également connue sous le nom de traditionalisme intégral ou de pérennisme (de Sophia Perennis, qui signifie "sagesse éternelle" en latin). L'inspirateur du mouvement traditionaliste, René Guénon (1886-1951), célèbre spécialiste français des études culturelles comparatives, de l'esthétique et de l'histoire de l'art, converti à l'islam, "a souligné la relativité du "culte des valeurs matérielles" et de la "civilitsation" qui sont exaltés en Occident et qui sont considérés dans le système de valeurs des civilisations traditionnelles comme des manifestations de "barbarie"".

Outre cet érudit, plusieurs autres pionniers du mouvement traditionaliste ont exercé une grande influence: de Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka), où le mouvement traditionaliste a été fondé.

Ananda Coomaraswamy (1877-1947), métaphysicien né en Suisse et l'un des plus grands spécialistes des études comparatives indiennes et occidentales de la culture, de l'esthétique et des arts;

Le poète et peintre Frithjof Schuon (1907-1998), érudit suisse de langue allemande;

Titus Burckhardt (1908-1984);

Le spécialiste iranien de la religion, de la philosophie, de l'esthétique et de l'art Seyyed Hossein Nasr (né en 1933).

Ces penseurs ont affirmé que le monde moderne devait être réformé sur la base des traditions culturelles chères à l'humanité depuis des millénaires, qu'ils ont identifiées dans leurs textes comme le concept fondateur de la Tradition, qu'ils ont capitalisé et associé à la Sophia Perennis. Le terme Sophia Perennis ou Philosophia Perennis remonte d'ailleurs à la Renaissance. L'érudit allemand Gottfried Leibniz (1646-1716) a écrit plus tard sur ce sujet, mais c'est en fait le bibliothécaire du Vatican et théologien Agostino Steuco (Steucho/Steuchus/Steuchius), moins connu, qui a décrit pour la première fois l'idée de sagesse éternelle et inventé le terme "Philosophia Perennis" dans son ouvrage De philosophia perenni sive veterum philosophorum cum theologia christiana consensu libri X, publié en 1540. Il est vrai que les termes "source éternelle de la volonté de Dieu" ou "sagesse éternelle de Dieu" ont été utilisés par les scolastiques dès les 12ème et 15ème siècles, mais la phrase "Dieu est l'entendement, le compris et l'entendement de l'entendement" de Steuchius est devenue légendaire pour les philosophes à venir.

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Comme nous pouvons le constater, les idéologues traditionalistes susmentionnés et leurs inspirateurs ont souligné l'importance du symbolisme, de la métaphysique et de la spiritualité. Ils se sont inspirés des traditions orientales pour affirmer que le monde occidental vivait un âge des ténèbres (Kali Yuga). Il ne pouvait être aidé que par une élite intellectuelle revivifiée qui ressusciterait de l'oubli les connaissances longtemps oubliées qui avaient formé le cœur de la mentalité des sociétés traditionnelles il y a des centaines ou des milliers d'années. L'époque au cours de laquelle la tradition divine s'est épanouie est appelée l'âge d'or (Satya Yuga).

Par une coïncidence intéressante, de nombreux traditionalistes étaient des adeptes de l'islam, la religion qui a connu la plus forte croissance dans le monde au cours du siècle dernier. L'islam est aujourd'hui pratiqué par plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde. En Lituanie, bien que de nombreux adeptes de cette religion aient servi fidèlement notre État multiculturel et polyconfessionnel (en particulier dans les structures militaires) au cours des siècles, depuis l'apogée du Grand-Duché de Lituanie (elle constituait certaines des unités militaires les plus fiables du Grand-Duché de Lituanie), une petite communauté de musulmans - environ 3200 personnes - a survécu jusqu'à aujourd'hui. Comme les Karaïtes, les Juifs (Hassidim et Mitnageds) et les confessions chrétiennes (catholiques latins, catholiques grecs, vieux croyants, orthodoxes, luthériens évangéliques, réformés évangéliques), ils sont reconnus par la loi lituanienne comme une communauté religieuse traditionnelle, qui regroupe sept communautés (8). Comme dans le reste du monde, l'islam est la religion la plus en expansion en Lituanie. En témoignent non seulement le nombre croissant de convertis à l'islam en Lituanie, mais aussi la littérature qu'ils publient et les sites web qu'ils gèrent [9].

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L'islam a une longue et profonde tradition en Lituanie. Les premiers musulmans étaient des Tatars, un groupe ethnique unique qui vit actuellement en République de Lituanie, dans la partie occidentale de la République du Belarus et à la frontière orientale de la République de Pologne. Les Tatars sont apparus aux 14ème et 16ème siècles et se sont installés dans le Grand-Duché de Lituanie, à l'invitation de Vytautas le Grand. Ayant perdu leur langue en peu de temps, les Tatars de Lituanie ont préservé leur identité nationale pendant plus de 600 ans, grâce à leur fort attachement à leur religion ancestrale, l'islam. Selon certaines sources, les souverains de Lituanie et de Pologne ont toujours été tolérants à l'égard de la société tatare et de sa religion, construisant des mosquées sur leurs terres et permettant aux Tatars de pratiquer leur religion sans entrave. En 1988, la Société culturelle tatare lituanienne a été fondée et les activités sociales des communautés tatares ont été rétablies.

En 1998, le Muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites en Lituanie, a été restauré. "Cependant, les Tatars ne sont pas les seuls musulmans à vivre en Lituanie. Au cours des dix dernières années, des visiteurs étrangers ont commencé à arriver en Lituanie et à s'y installer pour y vivre ou y étudier. Bien que la Lituanie soit un pays chrétien, ils ont suivi avec diligence les traditions de leur pays d'origine. En collaboration avec des muftis et des imams tatars, les étudiants étrangers ont relancé les prières du vendredi et ont commencé à organiser des conférences dominicales dans les mosquées et les écoles des petites villes peuplées de Tatars. Outre les nombreuses communautés tatares, Vilnius abrite le muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites de Lituanie, ainsi que la communauté de la jeunesse musulmane lituanienne, dont le centre est la mosquée de Kaunas" [10].

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Martin Lings

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Kurt Almqvist

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Tage Lindbom

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Ashq Dahlén

Il n'est pas surprenant qu'outre Guénon, les musulmans comprennent le traditionaliste F. Schuon, ses disciples Martin Lings (1909-2005), un Britannique, et les Suédois Kurt Almqvist (1912-2001) et Tage Lindbom (1909-2001), ainsi que Burckhardt, S. H. Nasr, et le compatriote iranien Ashq Dahlén (né en 1972).

D'autres traditionalistes, il faut le souligner, ne pratiquaient que des religions traditionnelles: Coomaraswamy était hindou, Marco Pallis (1895-1989), un Britannique, était bouddhiste, avec un intérêt particulier pour les traditions religieuses et la culture du Tibet, et le Français Jean Borella (né en 1930) était chrétien et néoplatonicien.

Julius Evola (1898-1974), éminent spécialiste italien des études culturelles et religieuses comparatives, qui s'est intéressé toute sa vie à l'hermétisme, au bouddhisme et au taoïsme, et qui a publié un certain nombre d'études comparatives importantes, s'est également décrit comme un traditionaliste "en cette époque de ténèbres spirituelles". La liste pourrait s'allonger à l'infini. Mais le fait est que la victoire du traditionalisme, ou plutôt de la Tradition, qui est restaurée à travers lui, sur la postmodernité peut être considérée comme au moins partiellement acquise. Les traditionalistes soulignent que notre époque n'est pas seulement une période d'obscurité et de crise, mais aussi un "royaume de la quantité" (terme de Guénon), où l'homme et le cosmos sont de plus en plus remplis de matérialité. Depuis la Renaissance, affirment-ils, le monde occidental a presque complètement perdu tout lien avec la Sophia Perennis et le sacrum. Dans le sous-continent indien, ces termes ont un équivalent sanskrit, le sanātana dharma ("loi éternelle"). L'hindouisme est la plus ancienne religion du monde, qui fait partie d'une tradition extrêmement complexe, la troisième après le christianisme et l'islam en termes de nombre d'adeptes (environ 1 milliard).

Voici un bref aperçu des principales thèses des gardiens de la Tradition. Selon René Guénon, "[...] les civilisations traditionnelles sont fondées sur l'intuition intellectuelle. En d'autres termes, dans ces civilisations, la doctrine métaphysique est la chose la plus importante, et tout le reste en découle. [...] Le monde moderne tente de toutes ses forces, tout en se réclamant de la science, de tendre vers un seul but: le développement de la production et de la mécanisation. Ainsi, en voulant asservir la matière, les hommes deviennent eux-mêmes ses esclaves. Ils ne se contentent pas de limiter leurs prétentions intellectuelles - si elles existent encore aujourd'hui - à l'invention et à la construction de mécanismes. Les hommes sont devenus eux-mêmes des mécanismes. [...] La qualité ne signifie plus grand-chose, seule la quantité compte. C'est pourquoi la civilisation moderne peut être qualifiée de quantitative, c'est-à-dire de matérialiste" [11].

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Guénon souligne l'existence d'une "science sacrée" et d'une "science profane". "Le monde moderne est un monde de négation de la Tradition et de la vérité surhumaine. Si les hommes le comprenaient, la transformation finale du monde ne serait pas une catastrophe, mais il est désormais impossible de l'éviter. [...] Mais rien ne pourra jamais vaincre la vérité. Rappelons donc la devise de certaines des anciennes organisations initiatiques d'Occident : "Vincit omnia Veritas" - "La vérité triomphe de tout" [12]. Les paroles de Guénon sont devenues prophétiques des décennies plus tard, le rapport de la Fédération de la Croix-Rouge indiquant que le nombre de catastrophes naturelles a atteint un niveau record cette année, avec pas moins de 500 désastres en 2007 (contre 427 l'année précédente).

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Burckhardt (photo, ci-dessus) a enseigné à aimer la tradition. "Pour comprendre une culture, il faut l'aimer, et cela ne peut se faire que sur la base de ses valeurs universelles et intemporelles. Ces valeurs sont essentiellement les mêmes dans toutes les vraies cultures, et elles satisfont non seulement les besoins physiques mais aussi les besoins spirituels de l'homme, sans lesquels sa vie n'a pas de sens. Rien ne nous rapproche plus d'une autre culture que les œuvres d'art qui la représentent, comme si elles en étaient le "centre". Il peut s'agir de peintures sacrées, de temples, de cathédrales, de mosquées ou encore de tapis anciens. Nous pouvons donc beaucoup mieux comprendre, par exemple, les formes intellectuelles et éthiques de la culture bouddhiste si nous connaissons l'image typique du Bouddha" [13].

Schuon a ajouté à la profondeur de la pensée de ces penseurs la miniature mystique "Être avec Dieu": "Soyez avec Dieu dans la vie. Dieu sera avec vous dans la mort. Soyez avec Dieu dans le temps. Dieu sera avec vous dans l'éternité. Souvenez-vous de Moi. Je me souviendrai de vous" [14].

Coomaraswamy a dit: "Les nations sont créées par les poètes et les artistes, et non par les commerçants et les politiciens. Les principes les plus profonds de la vie sont dans l'art" [15]. Pour ce penseur, le mot "nationalisme" signifiait l'expression culturelle d'une nation. Lorsque l'Inde est devenue indépendante, il a déclaré publiquement : "Soyez vous-mêmes". Le traditionaliste déclarait ainsi l'authenticité esthétique plutôt que l'aspect politique de la liberté.

Il est regrettable que de nombreux nouveaux mouvements religieux en Lituanie n'aient rien à voir avec la Tradition, mais soient influencés par la "McDonaldisation", l'expansion de la "culture" occidentale que Guénon craignait tant, ainsi que par le syncrétisme. Il est également désagréable que les traditionalistes soient souvent accusés de promouvoir un nationalisme fasciste. Pourtant, Guénon, Burckhardt, Schuon, Coomaraswamy, Pallis et Lings sont des humanistes qui luttent pour les droits des opprimés, des humiliés et pour la préservation de leurs traditions, et de telles accusations sont à l'origine de l'émergence de figures ultra-nationalistes à travers le monde, comme par exemple celle du philosophe russe, néo-eurasiste, qui s'est fait un nom sur la scène internationale, le philosophe russe et néo-eurasiste Alexandre Douguine (né en 1962) [16], le fondateur français du mouvement "Nouvelle Droite" Alain de Benoist (né en 1943), ou encore des propagandistes néo-nazis comme Stephen McNallen (né en 1948) [17].

Cependant, à côté des figures fascistes, il existe aussi dans notre pays des gardiens holistiques du sacrum.

Metaphysique.jpgLe terme "holisme" est dérivé du mot grec "holos", qui signifie "entier". "Le principe de base du holisme remonte à la Métaphysique d'Aristote: "Le tout est plus que la somme des parties". En d'autres termes, pour nous comprendre nous-mêmes, comprendre le monde, l'univers, nous devons considérer l'ensemble (sphères biologique, chimique, sociale, économique, mentale, linguistique et autres). Ce n'est qu'en comprenant le tout que nous pouvons comprendre comment les différentes parties du tout fonctionnent. Le terme "holisme" a été utilisé pour la première fois par le Premier ministre sud-africain, officier militaire (maréchal), botaniste et philosophe Jan Christian Smuts (1870-1950) dans son livre de 1926 intitulé Holism and Evolution (Holisme et évolution). Il définit le holisme comme "la tendance de la nature à former des ensembles qui sont plus grands que la somme de leurs parties, en tenant compte de la créativité de l'évolution".

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La vie de J. Ch. Smuts, érudit et polyglotte, n'est pas sans rappeler la philosophie du holisme : il a lutté contre l'apartheid naissant en Afrique du Sud et a fondé les Nations unies. Lorsqu'Albert Einstein a lu "Holisme et évolution", il a déclaré qu'au cours du prochain millénaire, les gens seraient influencés par deux choses : sa théorie de la relativité et le holisme de J. Ch. Smuts. Le célèbre physicien a également ajouté que J. Ch. Smuts est "l'une des onze personnes au monde" à avoir compris sa théorie de la relativité. Une statue en l'honneur du fondateur du holisme est érigée sur Parliament Square, à Londres. J. Ch. Smuts est également considéré par les Juifs comme l'une des personnes ayant le plus contribué à la fondation d'Israël. Plusieurs rues des villes israéliennes portent son nom, ainsi qu'un certain nombre de plantes qu'il a trouvées en Afrique du Sud.

Par ailleurs, le holisme rappelle non seulement la culture mélanésienne de Nouvelle-Calédonie, que le missionnaire protestant Maurice Leenhardt (1878-1954) appelait le cosmomorphisme (la symbiose parfaite entre l'homme et le monde naturel qui l'entoure), mais aussi la foi balte, où nos ancêtres recherchaient l'harmonie avec les plantes, les animaux et les phénomènes naturels.

Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les théories physiques du chaos et de la complexité se sont développées à partir du holisme. Le holisme a influencé l'écologie, une nouvelle approche de la théorie économique, la philosophie du langage, l'anthropologie, l'architecture, le design, l'éducation, la médecine psychosomatique" [18]. Il est vrai que certains spéculent sur le holisme et le transforment en un autre mouvement new age. Par exemple, l'Institut de santé holistique de Kaunas a été fondé, où l'on enseigne la médecine extrasensorielle, la bioénergie, l'"astrologie médicale", la chiromancie, la parapsychologie, la "psychologie spirituelle", etc.

Le retour à la tradition est également recherché par la foi balte, souvent qualifiée sans raison de "païenne" (latin paganus - "villageois"), bien que les adeptes de cette foi n'aient pas peur du mot "païen".

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Il est vrai que Gintaras Beresnevičius admet qu'il est impossible de recréer une religion ancienne, "mais il est possible de recréer (créer ?) une certaine attitude, une humeur de l'âme - une ouverture religieuse à l'environnement - sur la base d'expériences spéciales sacrées" [20]. Beresnevičius qualifie les Romuviens - membres de la communauté confessionnelle balte Romuva - de "bouddhistes zen partiellement lituaniens", "et le bouddhisme zen, comme l'expérience sacrée de la nature, n'exclut pas un autre type de religiosité" [21]. Selon l'universitaire, l'idée du peuple romuva est le lien entre l'homme, ses ancêtres, la nature et l'univers. En d'autres termes, il s'agit d'un retour à la tradition. Surtout que dans le mouvement romuva, on peut sentir l'individualité de la personnalité, ils ne sont pas nivelés comme dans beaucoup de NRM : "... les Romuvas sont différents, individuels, leur religiosité ne les met pas dans un ghetto socialement, émotionnellement, elle n'endommage pas leur psyché", tandis que, mentionnant le cas de la Parole de Foi comme exemple, G. Beresnevičius souligne que "si vous parlez à l'un d'entre eux, vous parlez à tous" [22].

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Les Romuvas eux-mêmes le disent: "Romuva est une foi et une religion baltes. Romuva, c'est la paix, l'harmonie et la beauté - les valeurs les plus importantes de notre esprit. Romuva est une religion de vie et d'harmonie. Le nom de Romuva a brillé à nouveau avec la renaissance d'un peuple et d'une ancienne foi naturelle. En la qualifiant de "baltique", nous soulignons son ancienneté et sa tradition ininterrompue" [23]. Par ailleurs, les Romuvas reconnaissent la réincarnation, bien que cette doctrine soit issue de la philosophie indienne.

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Le premier krivi lituanien Jonas Trinkūnas (photo) a été ordonné sur la tombe de Gediminas à Vilnius en 2002, après un hiatus de 600 ans. G. Beresnevičius a qualifié cet événement d'importance européenne. Il s'agit bien sûr d'une des pierres angulaires de la restauration de la Tradition. Malheureusement, les autorités de notre pays, la Lithuanie, favorisent les NRM destructeurs - par exemple, le mouvement très controversé des adeptes d'Osho est enregistré comme une communauté bouddhiste auprès du ministère de la Justice, alors qu'il n'a rien à voir avec le bouddhisme, et ceux qui professent la foi balte ne reçoivent toujours pas de reconnaissance de la part de l'État.

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Dans son livre sur la foi balte, Trinkūnas explique: "Vydūnas a écrit à plusieurs reprises sur l'ancienne foi des Lituaniens et s'est émerveillé de sa sagesse. Une caractéristique importante de cette foi était son autosuffisance; elle a grandi et s'est développée comme un chêne sacré dans sa terre natale. Malheureusement, l'expérience spontanée du Grand Mystère a été entravée et interrompue, et la perte de conscience de soi a pu se poursuivre pendant des siècles. Notre ancienne foi n'a jamais consisté à lire des livres et à en discuter. L'essence de cette foi était la vie elle-même et sa sagesse. Aujourd'hui, cependant, nous avons besoin de livres sur la religion naturelle et la vision du monde, car la connaissance vivante de la foi ancestrale s'est évanouie. La civilisation agressive dilue encore davantage la mémoire naturelle des peuples. En pensant à l'avenir de la nation, nous aspirons à sa survie et à celle de ses valeurs spirituelles. La tradition balte est la vision du monde, les anciennes croyances, les coutumes, le folklore, etc. et Romuva symbolise l'unité et la continuité de cette tradition" [24].

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La nature traditionnelle de la foi balte a fait l'objet de nombreux écrits de la part de G. Beresnevičius (1961-2006), ainsi que Norbertas Vėlius (1938-1996) (photo, ci-dessus), qui a écrit The Ancient Baltic Worldview (1983), Sources of Baltic Religion and Mythology (4 volumes, 1996-2005) et d'autres ouvrages, Marija Gimbutienė/Marija Gimbutas (1921-1994), Pranė Dundulienė (1910-1991), Nijolė Laurinkienė, Elvyra Usačiovaitė, Libertas Klimka, Dainius Razauskas, Radvilė Racėnaitė, Vladimiras Toporovas et d'autres.

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L'idée de Gimbutiene (Marija Gimbutas) selon laquelle la mythologie balte est une fusion des cultures matricentriques de la vieille Europe et de la nouvelle religiosité patricentrique apportée par les Indo-Européens est la plus proche du concept de Tradition. Il est vrai que le matricentrisme de la Vieille Europe n'est qu'une hypothèse qui existe depuis le 19ème siècle et qui a influencé les mouvements néopaïens qui ont émergé dans le monde dans la seconde moitié du 20ème siècle (dont le plus célèbre est peut-être la Wicca, un NRM, créé en 1954 par l'occultiste britannique Gerald Gardner (1884-1964).

220px-Pictorius.jpgIl faut cependant admettre que les origines du néopaganisme remontent à la Renaissance, avec la publication en 1532 de la Theologia mythologica du médecin allemand Georg Pictorius de Villigen (c.1500-1569) (gravure, ci-contre). Plus tard, en 1717, l'"Ordre des druides" a été fondé, suivi d'un intérêt pour l'héritage scandinave et, au début du 20ème siècle, pour les runes. Le plus grand spécialiste des runes est peut-être le poète, écrivain et occultiste autrichien Guido von List (1848-1919), qui a publié en 1908 une sorte de classique, Das Geheimnis der Runen (Le secret des runes).

Malheureusement, le néopaganisme a ensuite fusionné avec le mouvement new age. Selon Beresnevičius, cette fusion complète la société moderne avec la montée des tendances polythéistes, des doctrines orientales, des enseignements sur la réincarnation, du féminisme, de l'environnementalisme, de l'essor de l'astrologie et de l'exploration de la conscience et de l'inconscient dans la science et la parapsychologie. Tout cela a éloigné la société de la Tradition et l'a rendue laïque [25].

paveikslelis-446-bg.jpgLa tradition n'a pas complètement disparu. Des tentatives relativement mineures ont été faites pour étudier les runes lituaniennes (sic!). L'érudite lituanienne Pranciška Regina Liubertaitė (photo) affirme que non seulement les Scandinaves, les Anglo-Saxons (Anglais, Saxons, Jutes, Frisons), les Goths, les Turcs, les Hongrois, mais aussi... les Lituaniens possédaient des runes. Une plaque avec des signes runiques, qui a donné beaucoup à réfléchir [26], a été trouvée lors de la construction de l'ascenseur de la colline de Gediminas en 2003. Le mot rune est d'origine indo-européenne, et il signifie un secret, c'est-à-dire une tradition.

En résumé, tous les traditionalistes, qu'ils soient modérés ou radicaux, partagent le même désir de ramener la Tradition, seuls les moyens qu'ils proposent diffèrent.

À l'opposé des gardiens du sacrum (des phénoménologues aux traditionalistes et aux holistes) se trouvent les philosophes cyniques du postmodernisme et du transhumanisme.

Profanum contre sacrum

La philosophie postmoderne a été influencée par la phénoménologie, le structuralisme, l'existentialisme et la philosophie analytique. Mais voyons ce qui nous intéresse le plus dans ce cas, à savoir l'approche de la religion par la philosophie postmoderne.

Commençons par une hypothèse: le postmodernisme, contrairement aux gardiens du sacrum, nie le dualisme entre le monde spirituel et le monde physique, entre l'esprit et les objets qu'il valorise; en d'autres termes, la postmodernité est un monde qui peut être influencé par la seule pensée. Les postmodernistes nient la Tradition et influencent la mentalité de la société moderne sécularisée avec la vision que tout est hyperréalité, pseudo-événement, virtualité, simulacre. Les transhumanistes nient également la Tradition, mais ils rêvent d'une utopie du corps. Rappelez-vous les paroles prophétiques du penseur anglais Thomas More (1478-1535): "[...] les utopistes, par leurs facultés instruites par les sciences, sont admirablement habiles dans les inventions qui procurent toutes les commodités de la vie" [27].

Nous aimerions définir les principaux termes inventés et utilisés par les anti-traditionalistes (transhumanistes).

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Daniel Boorstin

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Hyperréalité. Dans la philosophie postmoderne, l'incapacité de la conscience à distinguer la réalité de la fantaisie. Les philosophes les plus célèbres qui ont étudié l'hyperréalité sont le Français Jean Baudrillard (1929-2007), l'Allemand Albert Borgmann (né en 1937), l'Américain Daniel Boorstin (1914-2004) et l'Italien Umberto Eco (né en 1932).

Baudrillard a déclaré: "La distorsion de l'espace qui suit la distorsion d'une planète équivaut au désensablement de la souche humaine, ou à sa réversion dans l'hyper-courant de la simulation. C'est la fin de la métaphysique, la fin du fantasme, la fin de la science-fiction, le début d'une ère d'hyperréalité" [28]. Borgmann a souligné l'aliénation de notre société par rapport à la Tradition, car elle est devenue hyperactive, pathologiquement accro au travail. Boorstin a dit un jour que le plus grand obstacle qui nous empêche de découvrir la forme de la terre, ses continents et ses océans, est l'illusion que nous savons. Eco a qualifié l'hyperréalité, paradoxalement, de "faux authentique".

Pseudo-événement. D. Boorstin a emprunté ce terme à Guy Debord (1931-1994), le célèbre situationniste auteur de l'ouvrage légendaire La Société du spectacle (1967). Un pseudo-événement est créé pour attirer l'attention des médias, mais il ne fonctionne pas dans la réalité. C'est la publicité qui s'est emparée de notre monde, les "nouvelles" biaisées, les "nouvelles" créées par les sociétés de relations publiques (PR). L'événement n'existe plus dans une société qui a oublié la Tradition, mais il a été remplacé par un pseudo-événement qui devient "plus réel que la réalité". Par exemple, la lettre "M" est censée créer le monde de McDonnald's, qui représente un certain aliment, mais en réalité la lettre "M" dans le monde profane ne signifie pas grand-chose. En revanche, la rune M (mannaz ou manwaz) a toujours signifié l'homme et, dans la Tradition, comme d'autres runes, elle a été chargée de sens.

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Virtualité. Le terme a été inventé par Ted Nelson (né en 1937) (photo), philosophe américain et expert en technologies de l'information qui a inventé le terme hypertexte en 1963. On lui attribue également la phrase suivante: "La plupart des gens sont stupides, le gouvernement est mauvais, Dieu n'existe pas, tout est mauvais". Le virtuel représente tout ce qui n'est pas réel. En d'autres termes, c'est un profanum.

Simulacre. Le "père" de ce terme est Baudrillard. Les simulacres sont l'imagination utopique, la science-fiction et la "réalité" hyperréelle.

Pour résumer les grandes lignes de la philosophie postmoderne, il est clair que, selon Baudrillard, ce monde est une copie (copyworld). La réalité n'est plus réelle, elle a disparu de sa propre carte. Ou, comme le dirait Jacques Derrida (1930-2004), un autre philosophe postmoderne français, il y a "religion et espace-temps virtuel" [29].

"Il est vrai qu'il existe aussi une alternative (ou plutôt une opposition) positiviste à la Tradition: le transhumanisme. Le concept d'Übermensch, présenté au public dans le livre de Friedrich Nietzsche (1844-1900) de 1883 Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), est au cœur de cette alternative. Elle trouve son origine dans l'expression "survie du plus apte" inventée par le philosophe anglais Herbert Spencer (1820-1903), telle qu'elle est décrite dans son ouvrage Principles of Biology de 1864, écrit en réponse à son admiration pour les idées de Charles Darwin (1809-1882). L'idée du surhomme a cependant dégénéré lorsque les nazis l'ont utilisée à leurs propres fins, déclarant que les Aryens étaient des surhommes, la "race supérieure" (en allemand: Herrenvolk). Dans la culture populaire et dans les nouveaux mouvements religieux, le surhomme est l'un des personnages les plus importants. Les hommes politiques utilisent également l'image du surhomme.

On peut qualifier tout cela de sophismes historiques ou de simples spéculations. Cependant, depuis un certain temps, il existe dans le monde une philosophie futuriste du transhumanisme (ou posthumanisme), qui est prise très au sérieux par beaucoup. 

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La pionnière du transhumanisme contemporain est l'artiste américaine Natasha Vita-More (née en 1950; de son vrai nom Nancie Clark) (photo), qui a écrit en 1982 le Manifeste pour l'art transhumaniste. On peut y lire: "L'art transhumaniste développe et prolifère de nouveaux modes d'expression artistique. Notre esthétique et nos expressions, liées à la science et à la technologie, stimulent l'expérience sensorielle. Les transhumanistes cherchent à améliorer et à activer la vie. Nous utilisons la technologie pour activer et améliorer la vie" [30].

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Mais il ne s'agit là que des premières étapes du transhumanisme moderne (ou posthumanisme). L'une des figures les plus importantes associées au transhumanisme moderne est le philosophe et futurologue d'origine iranienne Fereidoun M. Esfandiary (1930-2000) (photo), qui a déclaré avoir "une grande nostalgie de l'avenir". En 1989, il a écrit un ouvrage de référence sur la philosophie du transhumanisme, Are You a Transhumanist?

Fils d'un diplomate iranien, il avait déjà visité 17 pays à l'âge de 11 ans, puis a travaillé pour la Commission des Nations unies en Palestine entre 1952 et 1954. Il a écrit plusieurs livres de fiction sous son vrai nom, et des ouvrages philosophiques scientifiques, futurologiques et transhumanistes sous le pseudonyme FM-2030 (il pensait qu'en 2030, notre civilisation aurait déjà considérablement changé - "cette année-là, nous serons devenus éternels"). Malheureusement, en 2000, le philosophe est emporté par un cancer. À sa demande, le corps de FM-2030 a été cryogénisé à l'Alcor Life Extension Foundation en Arizona.

Le transhumanisme (également connu sous le nom de >H ou H+) est aujourd'hui un vaste mouvement intellectuel et culturel qui soutient les dernières découvertes technologiques et scientifiques. Les transhumanistes pensent que les humains deviendront progressivement beaucoup plus intelligents et capables, c'est-à-dire des post-humains qui seront immortels - mais dans leur corps plutôt que dans leur âme [32].

La transformation des humains en post-humains a été décrite par l'éminent philosophe américano-japonais Francis Fukuyama (né en 1952). Dans son célèbre ouvrage La fin de l'histoire et le dernier homme (1992), il affirme que l'époque actuelle est la fin de l'histoire, car elle représente le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale.

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Dix ans plus tard, dans son livre Our Posthuman Future: Consequences of the Biotechnology Revolution (2002), Fukuyama a développé cette thèse, affirmant que la fin de l'histoire ne peut survenir avant la fin des sciences naturelles et de la technologie. Pour lui, le fait que l'humanité soit sur le point de prendre le contrôle de ses processus évolutifs aura un effet profond et extrêmement destructeur sur la démocratie libérale. Les post-humains, selon Fukuyama, en manipulant le génome humain, seront capables de refaire l'humanité de la manière la plus neutre sur le plan idéologique et de la vision du monde. En d'autres termes, ce sera aussi la fin de la Tradition.

Incidemment, il convient de noter qu'en tant qu'ennemi idéologique du président américain George W. Bush (né en 1946), Fukuyama a souligné que les États-Unis ont grandement exagéré le danger de l'"islam radical", car la lutte contre le djihad n'est pas militaire, mais plutôt politique, une bataille avec les cœurs et les esprits de la population musulmane du monde, c'est-à-dire une bataille avec la Tradition. "Dans la période post-historique, il n'y aura ni art ni philosophie, seulement l'entretien perpétuel du musée de l'histoire" [33], conclut tristement Fukuyama.

Ainsi, après avoir brièvement discuté des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines des nouveaux mouvements religieux traditionalistes en Lituanie, nous pouvons dire qu'ils ont été principalement influencés par les diverses théories traditionalistes qui se sont répandues au cours du 20ème siècle. Leurs idéologues les plus influents ont encouragé les personnes de différents pays et religions à se tourner vers leurs racines et à prendre conscience de l'importance des valeurs traditionnelles dans un monde désacralisé dominé par de puissantes tendances à la commercialisation culturelle.

Parallèlement aux doctrines traditionalistes, des systèmes de vision du monde et des religions influentes telles que le taoïsme, le bouddhisme chan, le bouddhisme zen, le bouddhisme seon, l'hindouisme et le shintoïsme gagnent du terrain dans le monde d'aujourd'hui, tout comme la promotion du holisme et la déclaration de la relation indissoluble de l'homme avec la nature. Le nombre croissant de partisans de ces visions du monde, des holistes profondément enracinés dans l'élite universitaire et artistique occidentale, sont convaincus que, comme l'affirme le célèbre Livre des changements chinois (Yijing), tout est lié dans le monde et que, par conséquent, la nature ne peut être séparée de l'homme, et l'homme ne peut être séparé de la nature (ou de Dieu). Ces attitudes, qui ont suivi la puissante vague de l'orientalisme postmoderne, se sont largement répandues en Occident et sont devenues partie intégrante de la culture, de l'esthétique, de l'art et de la religion postmodernes. Selon les idéologues postmodernes influents, il n'y a plus de religion et de réalité clairement centrées dans le monde postmoderne de la culture méta-civilisationnelle, car nous vivons dans un contexte de lutte et de concurrence entre une multitude d'idées et de théories religieuses, et nous errons donc dans le monde comprimé de la mondialisation, à la recherche d'une vision du monde et d'une attitude religieuse plus acceptables pour tout le monde.

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Selon les transhumanistes, à l'avenir, "dans l'ère humaine, les machines seront des dieux", "les machines complexes seront une forme évolutive de la vie" et "la logique sera un produit de l'imagination humaine" (selon les mots de l'écrivain anglais Robert Pepperell, fondateur de la branche posthumaniste du mouvement transhumaniste, né en 1963). Contrairement à de nombreuses régions du monde, où l'on observe un retour croissant aux valeurs traditionnelles de la culture, de la religion, de l'éthique et de l'art, en Lituanie, nous devons dire que les nouveaux mouvements religieux ont tendance à ignorer la tradition.

La plupart du temps, par manque de compréhension de l'importance des traditions culturelles dans le monde actuel, ils courent après des modes post-mondaines qui séduisent les gens qui ne croient pas en la valeur de la Tradition. En effet, la tradition ne se promeut pas d'elle-même, elle doit être découverte pour elle-même. C'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles la tradition unique de la culture et de la religion baltes, qui est si importante pour notre culture, notre mentalité et notre conscience nationale, a si peu de partisans. Cette situation est très surprenante pour de nombreux spécialistes religieux étrangers, en particulier les Japonais, qui sont parfaitement conscients de l'importance du maintien des traditions culturelles et religieuses nationales dans un monde post-moderne qui nivelle les distinctions.

Notes:

[1] A. Andrijauskas, Beresnevičius et les possibilités de la réception heuristique de l'histoire de la culture de la GDL // Kultūrologija 14. Est-Ouest: études comparatives V. - Vilnius, Institut de la culture, de la philosophie et de l'art, 2006, p. 29.

[2] M. D. Langone, Secular and Religious Critics of Cults : Complementary Visions, Not Irresolvable Conflicts, 22 novembre 2006, http://www.csj.org/infoserv_articles/langone_michael_secularandreligious....

[3] G. Beresnevičius, "Sanctification et laïcité": une brève introduction à un sujet inattaquable // Mircea Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997, p. viii.

[4] Ibid, p. x

[5] M. Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997.

[6] G. Van der Leeuw, Phänomenologie der Religion - Tübingen, J. C., 1933.

[7] A. Andrijauskas, Histoire comparée des idées de civilisation. - Vilnius Academy of Arts Publishing House, 2001, p. 335.

[8] http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2006/71392.htm.

[9] Cheikh Ali El-Tantawi, Introduction à l'islam. - Kaunas, Mosque, 2001 ; le journal de l'Union des communautés tatares de Lituanie "Lietuvos totoriai" - près de 140 numéros ont été publiés depuis 1995 [données du 26.02.2012], le journal peut être consulté sur Internet à l'adresse http://www.tbn.lt/lt/?id=8&item=43 ; et il y a également les sites web des musulmans vivant en Lituanie www.islamas.lt et www.musulmonai.lt.

[10] http://islamas.lt/il.htm.

[11] http://www.lib.ru/POLITOLOG/genon.txt.

[12] Ibid.

[13] http://www.worldwisdom.com/Public/Authors/Detail.asp?AuthorID=4#excerpt.

[14] http://www.frithjof-schuon.com/TEXT1142ENG.htm.

[15] http://www.tamilnation.org/hundredtamils/coomaraswamy.htm.

[16] http://www.evrazia.org.

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[17] McNallen a créé en 1985 une pseudo-science, la métagénétique, prônant un homme nouveau au-delà des découvertes de la génétique, rappelant le "vrai Aryen" créé par les ariosophes nazis.

[18] M. Peleckis, The Phenomenon of Industrial Subculture (5) : Holistic Art in Lithuania // Literatura ir menas, 23.11.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3166&kas=straipsnis&st_id=11786.

[19] Publicité dans le magazine Būrėja, 2005, n° 12 (38).

[20] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų (Sur les axes du temps) - Vilnius, Aidai, 2002, p. 95.

[21] Ibid, p. 94.

[22] Ibid, pp. 93-94.

[23] Sous le signe de Romuva. Notre foi aujourd'hui. - Vilnius, Floramedia Baltic, 2001, p. 2.

[24] J. Trinkūnas, Baltic Faith. Vilnius, Diemedžio leidykla, 2000, pp. 5, 6, 8.

[25] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų - Vilnius, Aidai, 2002, p. 87.

[26] Il y avait peut-être la seule communauté en Lituanie, bien que virtuelle, intéressée par Tradicija ir ruų paslaptys (Tradition et mystères des runes), qui se trouvait sur le site http://lietuva.white-society.org et s'appelait " Baltosios tradicijos " (Traditions baltes), mais sa page a été fermée ; les runes intéressent également certains musiciens industriels, comme le groupe Sala, originaire d'Utena.

[27] T. More, Utopia. - Vilnius, Vaga, 1968, p. 109.

[28] J. Baudrillard, Simuliakrai ir simuliacija - Vilnius, Baltos lankos, 2002, p. 143.

[29] J. Derrida, G. Vattimo et al, Religija - Vilnius, Baltos lankos, 2000, p. 10.

[30] http://www.transhumanist.biz/transhumanistartsmanifesto.htm.

[31] FM-2030, Êtes-vous un transhumain ? Monitoring and Stimulating Your Personal Rate of Growth in a Rapidly Changing World - New York, Warner Books, 1989.

[32] M. Peleckis, Transhumanisme : espoirs et dangers // Literatura ir menas, 14.09.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3156&kas=straipsnis&st_id=11370.

[33] F. Fukuyama, La fin de l'histoire // The Natural Interest, été 1989, p. 18.

samedi, 30 mars 2024

Dadaïste, séducteur, dandy. L'aventure d'être Evola

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Dadaïste, séducteur, dandy. L'aventure d'être Evola

par Stenio Solinas

Source : Il Giornale & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/dadaista-seduttore-dandy-l-avventura-di-essere-evola

3051158418.jpg"Tout ce que vous avez voulu savoir sur Evola sans jamais oser le demander" pourrait être, en paraphrasant Woody Allen, le sous-titre de la solide biographie de plus de 700 pages qu'Andrea Scarabelli, avec Vita avventurosa di Julius Evola (Bietti, 39 euros), consacre à ce personnage complexe et controversé. Fort d'une décennie de recherches, d'archives italiennes et étrangères, de correspondances, d'interviews et de témoignages, Scarabelli a réussi à contextualiser son œuvre tout en mettant l'accent sur le type humain qui l'a rendue possible et à dresser un portrait convaincant de l'époque, ou plutôt des époques, dans lesquelles Evola a vécu: la Rome artistique, politique et idéologique du début du 20ème siècle puis de l'entre-deux-guerres; Vienne, qui n'est plus habsbourgeoise mais pas encore nazie; Paris surréaliste et moderniste; l'"île païenne" de Capri, par excellence: mais aussi le fer et le feu de la Seconde Guerre mondiale, l'effondrement italien et la capitulation allemande, la difficile période de l'après-guerre marquée par la paralysie physique de ses jambes, par de longues hospitalisations, par des difficultés économiques et de soudaines poussées de notoriété publique, des arrestations et des procès, qui ne contribueront pas peu à sa réputation de "mauvais maître" ou de maître tout court du néo-fascisme italien dans les années 1950 et 1960.

Le premier élément qui saute aux yeux, contredisant et/ou corrigeant cette aura d'impassibilité et d'impersonnalité qu'il a lui-même contribué à construire et que ses exégètes ont transformé en une sorte de totem intemporel, est qu'Evola était un interventionniste, immergé dans son époque, désireux de se tailler un espace public et de jouer un rôle à l'ère de l'agonie culturelle. C'était un homme colérique et polémique, mais il était prêt à faire des compromis lorsque d'autres voies n'étaient pas viables, à être marqué et dénoncé, voire calomnié dans la presse, et à se faire battre la main... Dès ses débuts, il fut un peintre dadaïste et théoricien d'un art abstrait dans sa volonté de faire tabula rasa de tout ce qui était tradition, conservation, passé, ainsi qu'un adepte d'un dandysme à la Oscar Wilde, comme le lui reprochaient ses détracteurs: monocle, brillantine, ongles émaillés, élégance extrême, faux titre de noblesse, prédilection pour les femmes mûres qui voyaient sans doute dans la séduction de cet "élégant abatino" (définition du futuriste Bragaglia) quelque chose de pervers et en même temps d'excitant.

Il l'était encore plus sous sa forme ultérieure de philosophe et, comment dire, d'idéologue, dans cet archipel déchiqueté qu'était le mouvement fasciste avant qu'il ne se cristallise en régime, et qui pourtant, une fois qu'il l'était, maintenait en son sein une telle vivacité de positions et de contrastes qu'elle rendait caduque aussi bien l'idée d'un système monolithique que celle d'une absence de débat culturel, voire d'une absence totale de culture.

3657945660.jpgDe ce point de vue, le livre de Scarabelli est d'autant plus intéressant qu'il dresse une carte, aussi raisonnée que composite, des différentes âmes intellectuelles qui ont vu le jour à l'époque, chacune avec ses propres points de référence, qu'il s'agisse de journaux, de lieux de rencontre, de maisons d'édition, ainsi que des référents politiques et donc des centres de pouvoir alternatifs. Une chose que l'on n'a jamais assez soulignée, et que Scarabelli met au contraire en évidence, c'est que l'intellectualité fasciste qui s'est manifestée à l'époque était l'enfant de l'interventionnisme de guerre qui l'avait précédée. Tout le monde, plus ou moins, avait été au front, tout le monde était revenu du front à la vie civile en conservant une mentalité militaire. C'était la répétition de ce phénomène que furent les demi-soldes napoléoniens si bien décrits par Balzac, des inadaptés par rapport au monde qui aurait dû les accueillir comme si rien ne s'était passé entre-temps...

L'idée que ceux qui avaient été dans les tranchées ou à l'attaque devaient maintenant s'asseoir derrière un bureau et recevoir des ordres de ceux qui étaient restés à la maison semblait surréaliste, tout comme l'appel au vieux décorum bourgeois, à l'échange poli d'opinions, à la polémique polie... Bien que moins virulent que les champions de l'insulte gratuite tels que Mario Carli et Emilio Settimelli dans les colonnes de L'Impero, Evola a également joué son rôle, un bellicisme des mots qui a paradoxalement débordé du fascisme vers le néo-fascisme d'après-guerre, où ce n'est pas une coïncidence qu'Evola se retrouve souvent décrit sur les mêmes tons et avec les mêmes épithètes dénigrantes qui l'avaient accompagné pendant les vingt années de fascisme...

Il faut cependant préciser, et Scarabelli le fait très bien, qu'Evola n'était en aucun cas un personnage marginal dans la culture fasciste. S'il s'est trouvé en marge, c'est en raison des batailles idéologiques très précises qui ont été menées et débattues, les batailles anticatholiques et racialistes, pour ne citer que les deux plus importantes, et qui, même si elles l'ont enveloppé d'un cône d'ombre, n'ont jamais réussi à le mettre complètement hors-jeu. Il est significatif qu'en décembre 1942, le jeune Italo Calvino demande à Eugenio Scalfari, collaborateur de la Rome fasciste, des éclaircissements sur Evola et "ses balivernes sur la pensée aryenne" qui, pour balourdes qu'elles soient, "exercent une certaine fascination, au point qu'en lisant certains de ses articles, j'ai puisé plus d'une inspiration dramatique". D'ailleurs, de Moravia à de Pisis, de Croce à Gentile, à Marinetti et Papini, de la maison d'édition Laterza à la maison d'édition Bocca, Evola a eu, dès sa première apparition, des fréquentations et des publications qui ont contribué à faire de lui un personnage complet, pas du tout folklorique, et encore moins insignifiant.

tableau-julius-evola.jpgIl a également des connaissances chez les politiques, en premier lieu Farinacci, qui le prend sous son aile protectrice, mais aussi Bottai, bien que de manière discontinue et fluctuante. Surtout, et malgré ses dénégations à cet égard, il avait en Mussolini, sinon un protecteur, un référent pragmatique et non a priori hostile. Ce que l'historiographie sur le fascisme tend à oublier, c'est qu'avant le Mussolini politique, il y avait eu le Mussolini intellectuel, le fondateur d'Utopia et le collaborateur de La Voce, l'ami de Prezzolini, mais aussi de Lombardo Radice et de Salvemini, l'agitateur socialiste et interventionniste, le préfet du Porto sepolto d'Ungaretti, l'ami et le compagnon d'armes de Marinetti...

Mussolini connaissait la culture de son temps parce qu'il l'avait pratiquée, elle ne lui était pas étrangère, il la comprenait. Cela explique l'attention, même paroxystique, avec laquelle il en suivait les événements, punissant ou récompensant tel ou tel écrivain, tel ou tel mouvement. C'était en quelque sorte son terrain de chasse et les intellectuels son gibier, avec autant d'espèces protégées et d'espèces à tuer ou à sacrifier. Evola, après tout, se rangeait dans la première catégorie.

Le livre contient également un examen approfondi de sa pensée, passionnant et difficile, mais, comme le titre l'indique, l'intérêt de l'auteur se porte ailleurs, sur cette vie "aventureuse", en fait, qui, au moins jusqu'à la tragique crise de 1945 au cours de laquelle il a perdu l'usage de ses jambes, correspondait tout à fait à cet adjectif. Depuis son expérience dadaïste, Evola avait également une vision non provinciale de lui-même : il était polyglotte, avait une bonne connaissance des langues classiques, une passion pour l'Europe de l'Est et une irritation pour le climat culturel romain qui s'est souvent avéré asphyxiant pour lui.

Par rapport à la mythologie que l'après-guerre a construite autour de lui, le portrait que dessine Scarabelli est aussi celui d'un bon vivant, brillant et jamais ennuyeux, à l'humour discret, conscient de sa valeur, mais soucieux de ne pas tomber dans la caricature. Très jaloux aussi de sa liberté: du travail, des charges familiales, des contingences matérielles, et prêt à en payer le prix. Courageux aussi, amoureux du danger compris comme une sorte de blind date, un test spirituel en quelque sorte, un test et en même temps une offrande, et finalement un signe. À Vienne, marcher sous les bombes signifiait précisément cela. "Nous ne pouvons comprendre qu'à travers toutes les conséquences". Toutes, sans exception, comme il l'a expérimenté lui-même, mais sans jamais s'insurger contre le destin cynique et barbare.

mardi, 26 mars 2024

Massimo Scaligero: "L'homme renaît du sacré"

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Massimo Scaligero: "L'homme renaît du sacré"

par Luca Leonello Rimbotti

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-uomo-rinasce-dal-sacro

En réalité, le lien entre l'archaïque et le postmoderne serait toujours possible, à condition qu'il y ait une décision politique adéquate. Selon Scaligero, l'actualité n'est que le dernier exutoire du primordial. Et nul ne peut invoquer l'incompatibilité du primordial et du futuriste.

La vertu de la pensée serait de créer l'action. La question est de savoir s'il n'est pas possible d'établir un lien entre la sphère intérieure, d'où naît la volonté, et la décision, d'où naît l'action. Habituellement, dans l'histoire, c'est dans les moments d'effondrement civil, de décadence politique et culturelle, que l'homme se tourne vers son âme, l'interrogeant sur le sens de l'existence, exigeant des réponses absolues et recherchant la possibilité d'activer des solidarités protectrices. Lorsqu'une société est triomphante, noyée dans le bien-être, les mystiques et les prophètes ne se manifestent guère. La science du quotidien, qui répond à toutes les questions, suffit. La contrefaçon de l'esprit, la superficialité, comme l'a fait le New Age dans le monde occidental, suffisent. L'esprit d'un peuple, mais aussi celui de l'individu, plane lorsque les inquiétudes sont éveillées et que les questions sont posées. La véritable antithèse créative au matérialisme séculaire est le soin de l'âme, la construction d'un esprit artistique.

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Les sciences de l'esprit, en ce sens, ont toujours constitué une contre-culture visant à reconstruire l'histoire comme une apparition du sacré. Surtout dans la modernité, cette convergence a souvent pris des significations de résistance caractérielle et culturelle, capable de tailler des lignes de roc sur lesquelles construire l'appareil d'une volonté antagoniste. L'Europe du vingtième siècle a connu des personnages qui, de Schuré à Guénon, de Meyrink à Steiner et au-delà, ont contribué, du côté ésotérique, pour ainsi dire, à ériger une barrière - quelle que soit la manière dont on la juge - sur laquelle certaines dérives de la modernité se sont parfois brisées, laissant non seulement des témoignages, mais des arguments, des gestes mentaux, des attitudes et des exemples qui, à chaque époque, constituent le précieux héritage de la "race indomptable".

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Un personnage comme Massimo Scaligero, aujourd'hui réduit à n'être plus qu'une divinité secondaire et relevant presque du sectaire, lui comme tant d'autres présents sur la dangereuse crête des "nouvelles spiritualités" rongées par le vice américain, dans ce compartiment ambigu qu'est la pensée ésotérique, nous le prenons comme exemple de ce que pourrait représenter la condition dans laquelle se trouve l'homme qui entend s'opposer à l'expansion de la Cosmopolis matérialiste. On pourrait dire qu'il s'agit d'individualités, d'individus, d'avant-gardes, mais potentiellement l'événement de la révolte intérieure investit les masses, implique toute la société chancelante. En effet, la révolution de l'esprit créateur, nécessaire à la fois pour supporter le poids de la dégradation quotidienne et pour penser à l'abattre, est le premier tour d'une roue confucéenne capable de faire bouger l'histoire et même de la renverser.

La recherche d'une vérité absolue se tourne vers l'Orient. C'est un classique de la modernité européenne. Depuis Schopenhauer, cet "ex Oriente lux" a régné pendant plus d'une saison. Et c'est précisément l'"homme de lumière", sur la piste persane de la gnose éclairante, c'est précisément cette entité transfigurée qui est le mirage qui maintient la volonté créatrice en éveil. Scaligero en a ravivé le sens à une époque de grands bouleversements, celle de l'immédiat après-guerre. C'est alors que se rejoignent la demande de salut, l'évasion du monde de l'envie, l'entrée dans une dimension d'altérité et de libération du besoin. La vertu "consolatrice" de la philosophie, appliquée à la catastrophe historique, engendre la mystique, on le sait. Et la mystique de la lumière, c'est la pensée de Scaligero.

Il s'agit d'une tentative - l'une des nombreuses, au 20ème siècle, mais l'une des rares, en Italie - d'endiguer la vague moderniste et de greffer sur le progrès matériel quelques-unes des branches les plus touffues de la tradition. Mais la pensée est-elle capable d'enrayer l'effondrement de la civilisation dans l'inculture ? Le repli sur les plis de l'esprit peut-il construire une vérité encore nouvelle ?

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Tout tourne autour du concept d'édification. La pensée puisée dans les profondeurs de la transcendance peut construire, éduquer, former. Sur ce point, la procédure de concentration intérieure quitte la phase solipsiste individuelle et devient - peut devenir - une affaire communautaire, de repousse de nouvelles techniques d'apprentissage formatif. La solitude du sage, à partir de Zarathoustra, devient le cadre de valeurs d'un peuple. Toute pensée qui creuse l'énergie en elle-même, toute religion ou religiosité, à condition d'être mise en contact avec le feu de l'action, peut devenir et devient une révolution.  Cela signifie donc que le retour aux soins de l'âme n'est pas une fuite dans l'irréalité, dans l'intimité ou dans le secret des arcanes, s'il est effectué avec la compréhension de la véritable metànoia, la soif de changement qui grandit chaque fois qu'un homme lit dans les yeux d'un de ses semblables ses propres rêves.

L'Orient repensé par Maximus Scaligerus devait être un remède pour l'Occident perturbé par la démocratie libérale et jeté à corps perdu dans les mâchoires d'un matérialisme séculaire brutal. L'obsession progressiste a besoin d'un apaisement, et c'est ce pouvoir que l'essai met en évidence dans les processus de renaissance de l'ego. Comment échapper à l'emprise du temps progressif, qui enferme les individus et les masses dans l'angoisse de l'égarement, au contact de la violence nihiliste ? Comment ne pas ressentir dans son cerveau et dans sa chair la violence du monde à notre égard ? Cette civilisation de l'anéantissement n'a qu'un seul adversaire : nous-mêmes et notre force. Scaligero s'est formé à travers Nietzsche, Stirner et Steiner : cela nous dit déjà tout. L'homme brise sa chaîne schizophrénique en brisant le sortilège progressiste qui l'a forgée. L'homme est puissance, force, lutte. Il a en lui les outils de la libération. Ici, donc, la pensée peut devenir et devient un exercice, c'est-à-dire une ascèse, d'opposition. Chacun peut boire à la fontaine qui lui plaît. Scaligero, comme beaucoup d'autres avant lui, dans le long après-guerre, a désigné l'Orient traditionnel comme un réservoir de conscience et d'édification intérieure encore suffisamment limpide, puis l'a fusionné avec des apports christiques, avec des intuitions néo-païennes, avec des foudres hermétiques. Même si cet Orient s'est entre-temps contracté davantage, du fait de la désastreuse occidentalisation planétaire, avec sa cour du profit, son règne de l'argent, son oubli du savoir, sa domination techno-scientiste, malgré l'ensemble grandiose qui massacre les héritages et s'appelle puissance mondiale, malgré cela et le recul d'époque de la pensée mythique et transcendante, tout cela ne suffit pas encore à déclarer l'inanité de la persévérance.

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La civilisation issue de la dialectique socratique et du scientisme cartésien a été elle-même détruite et engloutie par la tempête ruineuse qu'est l'irruption mondiale du pouvoir économique sur les substrats cognitifs de l'homme et ses paramètres existentiels habituels. Face à cet assaut, l'homme conscient a besoin d'armes pour faire face. La "vitalité transcendante" et la "chaleur des instincts" étaient, selon Scaligero, des moments de cette "puissance d'amour" qui, comme une nouvelle gnose, devait enlever la lourdeur du présent. Et voici le devenir de la lumière, l'avènement d'une puissance solaire qui se concrétise dans le détachement de la ruine et dans la gymnastique/ascèse de la contemplation du symbole : quelque chose qui bouge et qui dérive, comme toute notre vie, de la "mémoire sensible", cette sorte d'atavisme communautaire inné que chaque individu peut déterrer de lui-même, comme avec une hachette [1].

Dans ces propositions, nous ne trouvons pas d'impuissance passéiste. Nous y trouvons au contraire la détermination sereine de déterrer les trésors de la conscience de soi. Le retour à la source aujourd'hui n'est pas une lubie d'intellectuel désorganisé, ni une complainte impuissante de mélancolique : celui qui voit, touche et savoure la source accomplit un miracle communautaire, il irradie autour de lui la puissance du sacré. "Une montée des temps, à contre-courant", si je ne me trompe, disait Evola. Savoir unir les choses du monde à celles de l'idée hyperboréenne déclenche la puissance de cette révolution expansive: le ciel et la terre. Se pencher sur les dangers de la transcendance, décider d'activer l'ascétisme, ce sont des voies du monde, pas des échappatoires au monde. La formation d'une espèce humaine ancienne et rénovatrice est mise en gestation, l'avènement d'un type est invoqué, auquel est réservée la tâche de détruire la société de l'usure pour donner naissance à la société de la valeur. Penser la transcendance et vivre la vie. Deux symboles en mouvement. Ce que Scaligero, à un certain moment, encore jeune, de sa maturation intellectuelle, avait aussi esquissé en termes de pouvoir politique organique, qui, historiquement, unit les sphères privées et cosmiques :

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La race qui vénère les forces du ciel conçoit un rapport symbolique entre le feu du foyer, l'atmosphère et le feu solaire, de sorte que, par la flamme, les offrandes sont brûlées et absorbées par l'éther, la grande divinité céleste ; la race qui vénère les forces terrestres communique avec ses divinités en apportant des offrandes dans les cavernes et en les plongeant dans l'abîme. Dans l'unité olympienne-terrestre, d'origine hyperboréenne, renouvelée par Rome, un motif symbolique dominant est le "feu qui réchauffe la terre", la flamme qui brûle à l'intérieur du temple de Vesta : ici se manifeste la rencontre des deux symboles et des deux spiritualités qui sont les fondements métaphysiques de l'Empire [2].

L'union du tellurique et de l'uranique est la garantie qu'il n'y a pas de dissociation entre le sacré et le profane.

S'agit-il d'une conception de l'existence trop éloignée du quotidien banal de la société de l'anarcho-libéralisme mondialiste ? En apparence seulement, et seulement pour ceux qui ont perdu toute capacité à croire en la possibilité de renverser le néant massifié.

En réalité, le lien entre archaïque et postmoderne serait toujours possible, dès lors qu'il y a une décision politique adéquate. Il n'existe rien d'inéluctable, sauf la résignation. Les cultes anciens, par exemple, pourraient encore aujourd'hui, et même demain, réapparaître comme des moments crédibles de réciprocité sociale, à nouveau viables. La tradition sacerdotale et la tradition héroïque, en ce sens, selon le langage des sciences de l'esprit, peuvent très bien coexister avec la technoscience de masse et la "mégamachine" productiviste.

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Selon Scaligero, comme selon les grandes voies de l'Orient et de l'Occident métaphysique, l'actualité n'est que le dernier débouché du primordial. Et nul ne peut invoquer l'incompatibilité du primordial et du futuriste. L'argument nous mènerait loin, mais l'histoire a montré à maintes reprises que le primordial revit dans l'actualité, pour peu qu'il y ait une volonté - non seulement culturelle, mais précisément politique - qui l'évoque. Le monde du Logos et du Mythos se voit barrer la route si la transcendance se réfugie dans les plis de l'intimité individuelle ; il voit l'horizon s'ouvrir si, au contraire, le sacré se répand dans le monde comme obéissance à la vie. "La mémoire du Logos est le principe de la régénération de l'homme", écrit Scaligero. "Chaque fois que l'Esprit rencontre l'âme pour l'expression de la pensée, le Logos resplendit, mais imperceptiblement". Pour inverser la tendance et pour que l'ouverture à la transcendance soit perçue même au milieu du vacarme moderniste, il faut que surgisse une pensée qui unisse l'idée et l'expérience, le monde et le surmonde :

Dans les temps nouveaux, le chemin vers le don de la Vie passe par la pensée : elle seule peut réveiller la vie perdue du sentiment. Aujourd'hui, la possibilité directe de l'Esprit est la pensée. [...] Cette pensée veut se relever de sa mort, veut revenir à la vie, à la Lumière de la Vie : elle veut se relever en tant que mélodie, parce que la mélodie cosmique est la force à partir de laquelle elle se meut réellement [3].

Il ne s'agit pas de promenades gratuites dans les prairies de l'illusion ou de digression ésotérique rêveuse, mais du produit d'un effort empirique, physique, sans lequel il n'est pas possible d'attaquer le monde dans lequel nous vivons, si imposant, si monolithique, pas même du côté de l'utopie. Il s'agit en effet de donner la parole à cette race particulière d'hommes qui, dans l'histoire du monde de toutes les époques, a toujours constitué le moteur immobile du changement et de l'événement : ceux qui, par l'éducation, l'édification personnelle, la sanctification providentielle ou autre, gardent toujours en eux, à chaque moment, même le plus désespéré en apparence, le "courage de l'impossible" [4].

Notes:

[1] Cf. Scaligero, L'immaginazione creatrice [1964], introd. par Pio Filippani Ronconi, F.lli Melita Editori, Rome 1989, p. 27, où, se référant à la substance de lumière de l'être éthérique, Scaligero affirme que dans l'homme sont produites des images qui "se traduisent en lui immédiatement en sensations et en pensées conformes à la mémoire sensible : qui est la mémoire de la race et du sang".

[2] Scaligero, La razza di Roma, éd. Mantero, Tivoli 1938, p. 49.

[3] Scaligero, Isis-Sophia, la dea ignota, Edizioni Mediterranee, Rome 1980, pp. 62-63.

[4] Cf. Aa. Vv, Massimo Scaligero, Il coraggio dell'impossibile, Tilopa, Teramo 1982.

vendredi, 23 février 2024

La vie aventureuse du philosophe Julius Evola

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La vie aventureuse du philosophe Julius Evola

La biographie monumentale du penseur traditionaliste éditée par Andrea Scarabelli arrive dans les librairies d'Italie

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/113097-la-iita-avventurosa-del-filosofo-julius-evola/?fbclid=IwAR2lRtsNMLf6gASscEhKwbfiSxW943v2iyLXDc-IZYCqZ0J3sujOn38OFj4

wwasvajeoristore.jpgJulius Evola est mort il y a cinquante ans. Son nom continue d'être accablé de préjugés aprioristiques récemment ravivés par le battage journalistique mainstream visant à promouvoir un volume mal informé dans lequel le penseur traditionaliste est présenté, rien de moins, comme l'"instigateur moral" du "viol de Circeo". Le philosophe Piero di Vona, l'un des plus fins exégètes de la vision du monde d'Evola, avait en effet raison de souligner l'urgence, pour sauver Evola d'un dénigrement préconçu ou d'une exaltation hagiographique tout aussi stérile, d'écrire une biographie objective et équilibrée de cet intellectuel qui a traversé le "petit siècle" en tant que l'un de ses protagonistes. Andrea Scarabelli a répondu à ce besoin de clarification historique avec sa Vita avventurosa di Julius Evola (Vie aventureuse de Julius Evola), désormais en librairie grâce aux éditions Bietti (pour les commandes : 02/29528929, pp. 830, 39,00 euros).

Il s'agit d'une reconstruction méticuleuse de la vie du traditionaliste, développée en dix chapitres à caractère organique, révisée avant publication par de nombreux spécialistes d'Evola et d'autres. Le travail de Scarabelli a surtout une qualité littéraire évidente. La vie d'Evola, certainement peu commune et "au-dessus des lignes", est également étudiée dans le récit par le biais de références appropriées à son cheminement de pensée. Ces pages ne se limitent pas à la présentation de données biographiques et de contingences historico-existentielles, mais constituent un portrait: la "pensée incarnée" d'Evola. Le lecteur doit être conscient qu'il lit "la biographie de quelqu'un qui n'a pas voulu être biographié, la périodisation d'une pensée qui a tout fait pour se situer au-delà de l'Histoire, sauf alors à parier sur l'Histoire elle-même" et sur l'engagement en elle pour en "rectifier" le cours. On sort de la lecture avec une certitude: la linéarité de l'iter d'Evola est plus problématique que ce que le philosophe veut bien nous faire croire, car elle est constituée de points d'arrivée et de redémarrages conséquents qui, dans certains cas, représentent une rupture par rapport à la phase précédente.

1516802448569.jpgScarabelli (photo) a utilisé une vaste documentation d'archives, a parcouru (pour la première fois) tout le matériel conservé par la Fondation, a consulté des lettres épistolaires (parfois inédites), a recueilli de nouveaux témoignages, a suivi les traces laissées par Evola en Italie et en Europe. Grâce à la vaste documentation produite, on peut parler, et pas seulement pour le volume que constitue l'ouvrage, d'un livre monumental, d'une œuvre charnière dans la bibliographie critique concernant le penseur traditionaliste. Le personnage d'Evola fait ici l'objet d'une étude approfondie, ses points positifs et sa grandeur sont notés, mais aussi ses limites et ses traits "humains, trop humains". Il en ressort un portrait équilibré: un Evola face au miroir. Dans l'incipit, l'environnement familial est reconstitué dans son intégralité (dans la mesure où les documents le permettent), révélant la nature tout sauf aristocratique de la famille (le surnom de "baron", par lequel Evola est souvent désigné, est en fait un surnom qui lui a été donné à l'époque du dadaïsme).

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Il s'agit d'une reconstitution évocatrice du mileu ésotérico-occultiste dont Evola était l'animateur à Rome dans les premières décennies du siècle dernier, à l'époque du "Groupe UR", avec ses divisions et les personnages extraordinaires qui l'animaient, de Reghini (photo) à Maria de Naglowska (photos). L'auteur présente également une reconstruction précise de l'environnement des cercles futuristes que l'artiste-philosophe, d'abord proche de Balla et ensuite le plus grand interprète italien du dadaïsme poétique, fréquentait en animant des soirées mémorables aux "Caves d'Augusteo".

Evola était également un voyageur passionné. Il aimait la Capri pré-touristique, le cœur de la Méditerranée panique-dionysienne, un refuge, à cette époque, pour les "hérétiques" de toutes sortes et où Evola a acheté une maison avec deux amis en 1943 (Villa Vuotto, dans la Via Campo di Teste). C'est là qu'il travaille à l'une des nombreuses revues prévues mais jamais réalisées, Sangue e Spirito (Sang et Esprit), aidé par une jeune et belle secrétaire allemande, Monika K., fille d'un photographe berlinois, qui, Evola absent de l'île, se suicidera en ingérant une grande quantité de tranquillisants. Cela incite Evola à revenir brusquement à Capri et à écrire une lettre sincère à la sœur de la jeune amie (l'épisode, jusqu'à présent, n'a pas été connu).

Toujours à Vienne, le penseur participe à la fondation, avec les principaux éléments de la révolution conservatrice locale, du Kronidenbund : "il passait en revue [...] la dimension nocturne de la ville. Il fréquente un club appelé, non sans raison, "Le Rien", dont les murs arborent des symboles hermétiques et astrologiques et où : "Au lieu de tables, il y a des cercueils et les boissons sont servies dans des crânes". En Allemagne, il est bien accueilli dans les milieux aristocratiques et entretient des relations positives avec Edgar Julius Jung, secrétaire de von Papen, qui sera plus tard éliminé par les nazis.

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Les épisodes de la vie d'Evola liés au paranormal ne manquent pas : il est invité, par exemple, au château de Taufers (photo), à Campo Tures, où se produisent des phénomènes médiumniques. À son entrée, ces phénomènes, au lieu de s'atténuer, se sont accentués. Evola les a qualifiés d'"influences errantes", d'"énergies" : "influences errantes, énergies à l'état libre".

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Il se rendit également à la chartreuse de Maria Hain (photo), près de Düsseldorf, où il fut témoin d'un rituel: Au milieu de la nuit, il évoque quelque chose de radical. Deux aspects, à notre avis, sont les plus pertinents qui ressortent de la biographie:

1) un rapport médical anonyme de l'hôpital où Evola a été hospitalisé après l'explosion de la bombe du 21 janvier 1945 (un bombardement sans doute américain !) dans lequel apparaît l'histoire médicale de l'état de santé du penseur et des thérapies qu'il a suivies. Jusqu'à présent, on avait toujours supposé qu'Evola était paralysé des membres inférieurs immédiatement après le bombardement. L'exégèse des dossiers médicaux montre au contraire que ce sont les thérapies appliquées, inadaptées à la pathologie d'Evola, qui ont aggravé et dégénéré la situation: il s'agit d'une faute professionnelle, qui s'explique par les conditions des hôpitaux autrichiens de l'époque ;

Agostino_Gemelli.jpg2) l'analyse du racisme d'Evola. Le "racisme spirituel" proposé par le philosophe n'était pas seulement impraticable à la lumière des contingences historiques et donc politiquement inutile, mais il était aussi combattu, comme "anti-allemand", non seulement par les nazis, mais aussi par des cercles appartenant à la Compagnie de Jésus, le père Agostino Gemelli (photo) et Pietro Tacchi-Venturi. Même Giorgio Almirante (qui décrira plus tard Evola comme "notre Marcuse") et Giulio Cogni ont contribué à l'isolement d'Evola.

Scarabelli note que, dans certains écrits et certaines circonstances, même le philosophe a succombé à la culture de l'époque, au racisme "populaire", et a développé des considérations qui ne pouvaient pas être partagées. Il n'en reste pas moins que le "raciste" Evola était moins "raciste" et "antisémite" que beaucoup d'autres qui se sont convertis par la suite aux idéaux des nouveaux maîtres. L'histoire terrestre d'Evola s'est achevée par le dépôt de ses cendres parmi les glaciers du Lyskamm, après bien des vicissitudes : "C'est la conclusion d'une vie aventureuse et peu commune, qui a traversé le XXe siècle, en portant ses masques et en interrogeant ses énigmes".

Giovanni Sessa

Traditionalistes contre globalistes: le grand chambardement planétaire

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Traditionalistes contre globalistes: le grand chambardement planétaire

par Pierre-Emile Blairon

1.

Etat des lieux

En 2020 a eu lieu un événement sans précédent dans l’histoire du monde : un groupe d’oligarques psychopathes a fomenté un coup d’État planétaire, qu’il a dénommé le Great Reset, la « grande réinitialisation » en français, une expression à l’évidence inspirée par la main-mise de la technologie informatique sur le monde que nous vivons. Ce coup d’État est toujours en cours ; il trouve ses origines funestes et son but pernicieux dans un lointain passé de l’humanité, transmis de siècle en siècle, de sociétés secrètes en officines « satanistes » (terme revendiqué par ces mêmes officines et, actuellement, par ces mêmes psychopathes), de cooptation en cooptation d’individus malfaisants jusqu’à la secte maléfique qui s’est emparée de quasiment toutes les structures civilisationnelles du monde d’aujourd’hui[1]. Pourquoi cette engeance a-t-elle décidé d’intervenir à ce moment ? Parce que la fin de notre cycle, qui s’accompagne, comme tous les précédents, de nombreux troubles, d’origine humaine ou naturelle, présente une vulnérabilité que les globalistes attendent depuis bien longtemps et qu’il s’agit d’empêcher la naissance de celui qui va suivre.

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C’est amusant, ces personnages nuisibles qui semblent issus en droite ligne d’Epiméthée, le frère idiot de Prométhée, plus que de Prométhée lui-même, ont ouvert la boîte de Pandore (qui, dans la mythologie, était une jarre) répandant tous les malheurs qui vont inévitablement leur tomber sur la tête. Oui, l’existence des racailles en col blanc qui dirigent le monde procède de cette filiation mythologique dont ils se réclament.

En effet, par cette soudaine entrée en scène et la répression qui l’a suivie, les globalistes se sont révélés au monde et, de ce fait, ont déclenché une prise de conscience de tous ceux qui ne se sentaient pas concernés jusque là par les agissements de leurs gouvernants, valets, complices ou adeptes de la secte.

Les mondialistes avaient méticuleusement préparé leur coup depuis de longues années ; leur première tâche avait consisté à prendre le contrôle de tous les médias afin de conditionner les populations ; il faut reconnaître que cette étape décisive a parfaitement fonctionné ; les techniques d’ingénierie sociale sont très au point ; et les quelques rares esprits lucides qui n’ont pas été atteints par cette épidémie de crétinisation ont regardé avec effarement les masses se plier sans broncher à toutes les absurdes injonctions qui leur étaient lancées afin de tester leur degré de soumission.

En quelques mois, toutes les valeurs qui constituaient le socle même des sociétés civilisées depuis des siècles ont disparu ; en moins de quatre ans, ce qu’on a appelé l’Occident s’est effondré sur tous les plans: spirituel, économique, diplomatique, technologique, culturel, intellectuel, sapientiel, mémoriel...

L’infime minorité qui a su conserver son esprit critique a pu se relever, se regrouper et entamer une résistance courageuse avec ses faibles moyens. Des personnes venues de tous horizons, qui ne se côtoyaient pas auparavant, se sont reconnues comme faisant partie d’une même communauté, sentiment accru du fait qu’elles sont passées par les mêmes épreuves, surtout lors de la troisième offensive lancée contre les peuples, celle d’une pseudo-vaccination mortifère, après l’entreprise de conditionnement planétaire des populations - de leur lobotomisation - et après la fabrication du coronatralalavirus en Chine et sa diffusion.

Les clivages artificiels économiques (de classe) ou politiques (gauche-droite) laissent place désormais à une reconfiguration des archétypes sociaux avec d’un côté, les individus conformistes qui ont été conditionnés par l’ingénierie sociale (les plus nombreux) adhérant par défaut - de cerveau - au camp mondialiste ou, pour les autres, plus éveillés mais en minorité, rejoignant le camp traditionaliste.

Mais nous verrons que ces nouveaux résistants n’ont pas le profil attendu de gens passéistes qui s’accrochent à leurs privilèges, à leur confort ou à une idéologie conservatrice ; ceux-ci rejoignant le camp mondialiste sans se poser de questions. Les cartes ont été rebattues avec l’accélération et la multiplication d’événements significatifs qui ont divisé le monde selon des critères inattendus.

En voici quelques exemples.

- La guerre déclenchée par les Occidentistes [2] en Ukraine a, contrairement aux espérances des Américains, de l’OTAN et de leur entité vassale, l’Union Européenne, renforcé ces dissidents occidentaux qui se sont rapprochés de la Russie, laquelle brandit sans complexe et avec fermeté le flambeau des valeurs pérennes indo-européennes de nos origines communes.

 - La création de l’alliance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ouvre une alternative à l’hégémonie planétaire américaine ; la Russie, bien loin de succomber économiquement face aux sanctions occidentales, s’est, au contraire, consolidée sur le plan économique, déclenchant même un marasme sans précédent dans beaucoup d’Etats européens (dont la France).

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- La récente entrevue du journaliste-vedette américain Tucker Carlson avec Vladimir Poutine, qui a pu enfin exposer le point de vue de la Russie sur la guerre en Ukraine, a déclenché un tsunami médiatique et une vague de sympathie pour le dirigeant russe à laquelle ne s’attendaient pas les globalistes.

 - Les Etats-Unis - « dirigés » par un vieillard sénile compromis, en compagnie de son fils, dans d’innombrables affaires douteuses - sont en complète déliquescence, à tel point que de nombreux Etats songent à faire sécession.

 - Autre théâtre de troubles internationaux, le massacre en cours perpétrée par Israël sur la  population palestinienne ne peut, à terme, que fragiliser l’état sioniste et ses alliés, Israël constituant l’un des trois principaux composants du bloc occidental avec les Etats-Unis et l’Union européenne.

 - Les Africains commencent à se réveiller et chassent les Français (dont c’était la « chasse gardée », la Françafrique), à cause de l’ignorance, de la bêtise, de la vanité et de la maladresse d’Emmanuel Macron ; la France est brusquement remplacée par la Chine et la Russie.

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- Enfin, la fronde des paysans européens contre le projet sournois de l’Union européenne visant à les éradiquer (fronde toujours en cours à l’heure où nous publions) a radicalisé les franges les plus traditionnelles de la population qui semblent décidées à ne plus se laisser manipuler.

C’est ainsi que se dessine lentement un monde bipolaire (à défaut, pour l’instant, d’être multipolaire) à la fois sur le plan économique mais aussi sociétal, les BRICS, composés essentiellement de très anciennes civilisations traditionnelles, solidement structurées par des valeurs ancestrales, refusant unanimement les errances d’un Occident déboussolé et suicidaire.

Quelles sont les caractéristiques de chacun des deux blocs ainsi constitués ?

 2.

Le camp traditionaliste

Le terme de « tradition » vient du latin  traditio, action de transmettre et du verbe tradere  : transmettre ; on confond souvent les traditionalistes avec les conservateurs ; le latin précise bien qu’il y a une action qui est requise ; la tradition n’est donc pas un simple « retour au passé », un concept figé, contrairement au mot « conservation » qui suppose une préservation, certes, mais aussi le « maintien d’un statu quo », selon le Larousse. C’est exactement la différence que décrit l’adage russe : « Le passé n’est pas un port, c’est un phare ». c’est-à-dire ce qui éclaire notre présent pour envisager notre avenir.

Il faut toujours remonter à la source pour comprendre le présent et tenter de deviner le futur. Remonter à la source, c’est prendre de la hauteur, l’eau coule toujours du haut vers le bas ; l’eau qui sourd de la source est un renouvellement constant, comme une fontaine de Jouvence.

Nos ancêtres avaient observé la nature et les astres et en avaient conclu que le temps était cyclique et que le processus pérenne « naissance-vie-mort » n’avait ni début ni fin. Les anciennes civilisations indo-européennes indiennes, grecques et iraniennes avaient partagé les grandes périodes de ce temps cyclique en quatre âges représentés par des métaux qui allaient du plus précieux au plus vil (or, argent, bronze et fer), l’or étant incorruptible et le fer se décomposant en rouille jusqu’à disparaître avec la fin du cycle avant qu’en renaisse un nouveau. L’Âge d’or représentant le plus haut sommet d’une civilisation, chacun des citoyens vivait selon les préceptes d’une spiritualité raffinée, productrice de valeurs admirables, aristocratiques et chevaleresques qui structuraient une société policée et enracinée au sol qui lui avait été dédié, ces vertus s’émoussant au fil du temps et des âges jusqu’au déclin de l’Âge de fer qui voit la totale décomposition de cette société par l’inversion de ses valeurs, l’abêtissement et l’ensauvagement de l’humanité et le règne du matérialisme le plus abject.

Nous sommes à la fin de ce dernier âge et l’on peut constater les méfaits qui l’accompagnent inévitablement et inexorablement dans la vie de tous les jours.

Une certaine catégorie d’hommes et de femmes (que Julius Evola appelle « les êtres différenciés ») se consacre, au fil des siècles et des générations, à la transmission et à la maintenance des valeurs de l’Âge d’or qui devraient être les valeurs naturelles et spirituelles de l’humanité si elles n’avaient pas été détournées. La réactivation de ces valeurs étant la condition indispensable à la résurgence du nouveau cycle lorsque le temps sera venu.

Le camp globaliste veut coûte que coûte empêcher cette réactivation qui, si elle est menée à bien, signifierait la fin de son hégémonie matérielle. C’est tout le combat des « êtres différenciés » dont nous parlerons en fin d’article. Toutes les actions qui visent à retarder la chute de cette modernité matérialiste constituent une production d’énergie en pure perte ; le seul combat utile consiste à préparer le grand retournement en rassemblant les bagages (les valeurs) pour franchir le gué qui mène au nouveau cycle, au nouvel Âge d’or, et en empêchant les satanistes d’interrompre le processus d’avènement du nouveau cycle.

Ce processus est expliqué dans la plupart de mes ouvrages et articles ; je ne pourrai pas ici l’expliciter plus avant. Je donne juste quelques indications qui, dans le cadre de cette intervention, permettent de comprendre les événements qui nous préoccupent actuellement, c’est-à-dire les raisons de l’offensive inattendue et brutale des forces négatives qui ont pris le pouvoir sur l’ensemble de la planète.

 3.

Le camp globaliste

Je parlerai indifféremment de mondialistes, globalistes, satanistes ou transhumanistes puisque ce sont autant de sectes nuisibles qui interfèrent, se complètent et se substituent l’une à l’autre selon les situations ou les besoins du moment, mais qui visent le même but sous des apparences quelquefois patelines et anodines : la réduction puis la mise en esclavage et/ou en robotisation de ce qui restera de la population planétaire, « l’élite » (que ces groupes s’arrogent le droit exclusif de représenter) ne se préoccupant que d’accroître sa durée de vie et son bien-être matériel au prix de bien de turpitudes et de misères infligées aux peuples sans le moindre état d’âme, ce qu’a amplement prouvé l’épisode sanitaire et ses suites tragiques.

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Nos globalistes se veulent les héritiers de la race des Titans qui, dans la mythologie grecque, ont voulu se mesurer aux dieux par la révolte de leur figure la plus emblématique qui s’appelle Prométhée, lequel est réputé avoir créé les humains ; le prométhéisme, ou le titanisme, a donné naissance au surhumanisme, qui est lui-même l’antichambre de l’actuel transhumanisme qui milite pour un « homme augmenté », équivalent du surhomme. Humanisme (domination de l’Homme sur les autres règnes), surhumanisme, transhumanisme et, but ultime : posthumanisme qui voit l’Homme transformé en robot dans un épouvantable cliquetis de ferraille...

Cette vanité, cet orgueil qui a poussé les Titans à défier les dieux s’appelle l’hubris, la démesure élevée en mode de fonctionnement de nos sociétés actuelles, la folie titanesque qui voit, par exemple, s’élever des tours toujours plus hautes au sein de mégapoles toujours plus gigantesques.

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Et ce n’est pas un hasard si l’équivalent des Titans chez les monothéistes sont les anges rebelles, et de ce fait déchus, dont le chef s’appelle évidemment Satan, dont la racine serait la même que celle de Titan, selon le chercheur Daniel E. Gershenson. La cause de la déchéance de ces « anges » est identique à celle qui a poussé Prométhée à défier les dieux : l’hubris, l’orgueil, la vanité, la volonté de se mesurer à Dieu, voire de le remplacer.

Les ancêtres de nos modernes transhumanistes sont les auteurs d’une grande manipulation, bien avant celles de la pseudo-pandémie et des pseudo-vaccins, une totale inversion des valeurs et de la logique.

Cette manipulation s’est révélée à la faveur, d’une part, des multiples inventions scientifiques qui ont jalonné la fin du 19e siècle (inventions qui ne pourront que tourner la tête des foules et les persuader qu’une ère nouvelle était en train de bouleverser leur vie, celle du progrès sans fin) et, d’autre part, à la même époque, de la parution du livre de Charles Darwin, L’Origine des espèces, qui professe que l’ancêtre de l’homme est un singe. Ces nouveaux « progressistes » en ont profité pour diriger l’humanité vers une croyance entièrement tournée vers le matérialisme et le monde artificiel qui ne pouvait qu’avantager leur ambition démesurée de contrôler la planète par ce biais, ces individus d’alors, tout comme leurs successeurs d’aujourd’hui, étant incapables de toute démarche spirituelle.

La théorie du progrès (lequel ne peut être que technique, et encore sous certaines réserves) et celle de l’évolution qui procèdent toutes deux d’un même illogisme sont des aberrations dans un monde qui, quand on observe la nature, ne peut que nous conduire à constater que tout ce qui vit sur Terre vit sous le principe traditionnel de l’involution, expliqué par Julius Evola [3], c’est-à-dire, dans un sens qui va du meilleur au pire, de la naissance à la mort et non pas le contraire [4]. Ces aberrations ont également infesté le raisonnement de l’archéologie naissante qui voit dans les ossements humains qu’elle découvre encore aujourd’hui des ancêtres de l’homme actuel alors que ce sont, dans un flux naturel qui coule en sens contraire, des restes de branches humaines dégénérées qui appartiennent vraisemblablement à des fins de cycles antérieurs au nôtre, tout comme les peuplades primitives qui sont nos contemporaines [5].

Toujours selon Evola, seule une petite minorité de personnes a conscience de cette manipulation parce que ces personnes ont conservé ce qu’il appelle « cette hérédité des origines, cet héritage qui nous vient du fond des âges qui est un héritage de lumière. […] Seul peut adhérer au mythe de l’évolutionnisme et du darwinisme l’homme chez qui parle l’autre hérédité (celle introduite à la suite d’une hybridation) car elle a réussi à se rendre suffisamment forte pour s’imposer et étouffer toute sensation de la première [6]».

Le constat d’involution est la plus grande idée révolutionnaire que l’on puisse émettre car, à partir de ce constat, tous les fondements illusoires de notre société matérialiste basés sur les notions de progrès et d’évolution s’écroulent.

4.

Qui est Laurent Alexandre ?

Le chantre du transhumanisme en France, bien connu depuis la parution de son livre en 2011, La Mort de la mort, se nomme Laurent Alexandre.

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Chirurgien-urologue, diplômé de Sciences-Po, d’HEC, de l’ENA, il vit actuellement en Belgique (histoire de ne pas payer d’impôts ?) avec sa famille, après avoir vendu son site internet Doctissimo pour 139 millions d’euros au groupe Lagardère.

Dans son livre, il nous prédit une révolution technologique notamment dans le domaine médical, si radicale que la notion même de mort sera caduque dans les quelques dizaines d’années qui viennent. Ces progrès spectaculaires tiennent, dit-il, en quatre lettres : NBIC, pour : Nanotechnologies, Biologie, Informatique, et sciences Cognitives. « Grâce à ces révolutions concomitantes de la nano-technologie et de la biologie, chaque élément de notre corps deviendra ainsi réparable, en partie ou en totalité, comme autant de pièces détachées. »

Alexandre tente, avec beaucoup de maladresse et de désinvolture – on sent bien que c’est le moindre de ses soucis – de se doter d’une morale, ou plutôt d’une philosophie, ou tout au moins d’une posture pour contrebalancer l’excessivité de ses positions matérialistes et le cynisme qui va avec. Le résultat est un naufrage, l’auteur se contredisant d’une page sur l’autre et émettant tous les poncifs en vogue. On se demande ce que vient faire ici, dans ce livre où il est question d’une révolution majeure, l’épuisant et mesquin conflit gauche-droite : « Le mouvement transhumaniste deviendra l’allié de l’Etat-providence, et défendra l’accès pour tous aux technologies bionanomédicales. Répétons-le, le transhumanisme est une idéologie de gauche très égalitariste. Ce n’est pas la défense d’une race supérieure contre les autres… » (page 247) mais, page 301 : «  L’alliance des transhumanistes et des humanistes égalitaristes de gauche pourrait conduire à la généralisation de normes administratives réductrices de libertés. » Seulement administratives ?

Page 303 : « Dans les siècles qui viennent, les souvenirs pourront être manipulés directement dans les cerveaux humains. De quoi donner un nouvel élan aux sinistres mouvements ˝conspirationnistes˝ qui contestent les vérités les plus établies, de la Shoah à la conquête de la lune, en passant par les attentats du 11 septembre. » Un nouvel élan dans plusieurs siècles ? Il faut être patient. Mais, page 309 : «  Le problème, c’est que le lobby transhumaniste est très organisé et puissant alors que l’on attend toujours qu’une contestation aux technologies NBIC s’organise. »

Page 248 : « Les transhumanistes sont fondamentalement des sociaux-démocrates et pas du tout une nouvelle extrême-droite. » (retenez bien ceci qui va nous servir dans un moment) mais, page 317 : «  Rien ne garantit qu’une humanité augmentée sera tolérante vis-à-vis des humains traditionnels. [] La possible tyrannie de la minorité transhumaniste doit être envisagée avec lucidité. ».

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Et voici une perle : en 2011, Laurent Alexandre avait « prédit » ce qui allait se passer en 2020, mais ce ne sont pas des terroristes qui sont à l’origine de cette attaque, ce sont ses amis, et il avait même prévu le pseudo-vaccin qui allait suivre  : « Une attaque terroriste virale, avec par exemple une version génétiquement modifiée du SRAS, de la variole ou autre, pourrait provoquer des millions de victimes avant qu’un vaccin ne soit disponible. » Mais Alexandre nous met la puce… à l’oreille ; les transhumanistes sont prêts à tout pour arriver à leur fin : « La hantise de la mort chez beaucoup des transhumanistes pourrait bien les conduire à accélérer l’histoire technologique, quitte à utiliser la force ».

C’est ce qu’ils ont déjà commencé à faire ; la tactique des globalistes consiste à conditionner les populations aux abominations qu’ils ont préparées pour elles, tout en laissant croire qu’il ne s’agit que d’une fatalité contre laquelle personne ne peut rien, et sûrement pas eux.

Le grand chambardement dont il est question dans le titre de cet article ne fait pas seulement référence à la création des BRICS, il est aussi européen, mais surtout français parce qu’il concerne notre classe politique qui ne réagit pas du tout comme nous étions en droit de l’attendre.

5.

La trahison des droites populaires

Georgia Meloni n’est pas le seul dirigeant européen à avoir trahi ses électeurs, mais elle a été la première à l’avoir fait avec une telle rapidité et un tel dédain de ses électeurs et elle est encore actuellement le modèle des deux courants principaux de la droite populaire française : RN et Reconquête qui, désormais, ne se distinguent pratiquement plus : Marion Maréchal a annoncé récemment son intention de rejoindre le groupe de Meloni au Parlement européen si elle est élue et nous allons voir que les deux partis cochent toutes les cases du politiquement correct sous la houlette de l’Union européenne.

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En décembre 2023, Georgia Meloni, en reniant ses promesses électorales et surtout celle concernant l’arrêt de l’immigration pour laquelle elle a été élue, a décidé d’accueillir légalement 452.000 travailleurs étrangers en Italie (en plus des clandestins qui débarquent à flots à Lampedusa) pour combler les prétendus déficits en main-d’œuvre de l’agriculture, de la pêche et de la restauration ; situation similaire à celle de la France : si les ouvriers et employés étaient bien payés et si les indépendants ne succombaient pas sous les charges, les mondialistes n’auraient pas besoin d’appeler au secours des migrants pour les traiter en esclaves ; les secteurs concernés apprécieront, surtout les paysans [7].

Tout comme les Fratelli d’Italia (le parti de Meloni), RN et Reconquête ont coché et cochent encore  toutes les cases du politiquement correct de l’Union européenne :

 - Pendant la crise sanitaire, les deux partis français étaient favorables à la « masquarade », au confinement et à l’injection des pseudo-vaccins.

- Les deux partis ont pris position pour l’Otan lors de la guerre que cette organisation a initiée en Ukraine contre la Russie.

- les deux partis se sont rangés derrière Israël pour dénoncer l’agression du Hamas contre Israël et, du même coup, soutenir le massacre en cours des Palestiniens par les sionistes.

 - L’immigration devrait encore être le cheval de bataille des deux partis puisqu’ils sont mandatés par le peuple pour l’arrêter même si, à l’arrivée aux affaires de l’un des deux, il n’aurait strictement aucun pouvoir, - la reculade de Meloni l’a prouvé - puisque tous les organismes satellites de l’Union européenne ayant force de loi sur ce sujet sont pleinement favorables à une invasion migratoire sans limite. Rappelons cependant que Marine Le Pen n’a pas attendu les élections pour donner des gages de soumission à l’Europe (alors qu’on ne lui demandait rien) puisque, au début de ce mois de février, elle a « mis en garde » le parti dit « d’extrême-droite » allemand, l’AFD, sur son projet d’organiser la remigration des étrangers non-européens contre lequel elle est vent debout ( par souci électoral?)

Nous en serions là de ces « droites populaires » acquises à presque toutes les dérives mondialistes si le RN, jamais en retard d’un asservissement, n’avait pas poussé le bouchon beaucoup plus loin !

6.

Laurent Alexandre : coucou, le revoilou ! Il joue au gourou ! chez Bardella !

Oui, ce personnage, d’apparence qui ne peut pas être qualifiée de guillerette, se trouve désormais être l’un des principaux conseillers du RN, propulsé à cette fonction par Marine Le Pen et Jordan Bardella ; rappelons ce qu’écrivait Laurent Alexandre dans son ouvrage La mort de la mort, p. 248 : « Les transhumanistes sont fondamentalement des sociaux-démocrates et pas du tout une nouvelle extrême-droite. »

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Son ralliement à « l’extrême-droite » nous fait penser à la position de l’éminence grise qui se tenait derrière l’élection de chacun de nos présidents depuis des décennies, je veux parler de Jacques Attali (celui qui rêve de voir disparaître les personnes âgées de plus de 65 ans parce qu’elles sont « improductives »), personnage pour lequel Alexandre a la plus grande sympathie [8] et qu’il rêve peut-être de remplacer. Et quoi de plus facile à faire avec le RN quand on sait avec quel empressement les dirigeants de ce parti saisissent n’importe quelle occasion de s’immiscer dans la cour fermée des lanceurs de fatwa du politiquement correct pour tenter d’être épargnés de leurs traits redoutables.

Le philosophe Gaspard Koenig [9] a publié dans le journal Les Echos du 11 octobre 2023 un article au sujet de cette marotte inattendue de Marine Le Pen et Jordan Bardella sous le titre : Pourquoi l’extrême-droite est devenue technophile ?

« Le transhumanisme a trouvé un écho très favorable dans les milieux d'extrême droite, satisfait de voir se dessiner une humanité homogénéisée, faite de clones hyperconnectés dressés dans le culte de la performance, regrette Gaspard Koenig. Les masques tombent : le transhumanisme est un antihumanisme. Qui, parmi la classe politique, parle aujourd'hui de colonisation du cosmos, de sélection embryonnaire, d'Homo deus ou d'IA forte (« l'autre grand remplacement ») ? Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui se fait remarquer depuis un an par sa technophilie galopante et qui vante avec candeur les progrès des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) en déplorant les ardeurs régulatrices de l'Europe. Il se fait ainsi l'écho fidèle de Laurent Alexandre , l'importateur zélé des rêves de la Silicon Valley, qui parle aux politiques de tous bords et semble avoir trouvé oreille attentive. »

Cet engouement du RN pour le transhumanisme ne date pas d’hier, déjà, en 2020, le journal L’Opinion s’en faisait l’écho sous le titre : Laurent Alexandre, le docteur qui phosphore avec la droite radicale[10] : « Son allure sage, chemise à rayures et lunettes invisibles, est trompeuse : Laurent Alexandre est le showman qui parle de repousser les limites de la mort. Marine Le Pen l’écoute. Elle a invité l’ancien chirurgien-urologue à sa rentrée politique à Fréjus, en septembre , quitte à dérouter un public militant peu porté sur le transhumanisme. Qu’importe, la patronne du RN sort ravie de l’amphithéâtre : la preuve que son parti « réfléchit » ! Quoi de mieux qu’un futurologue médiatique pour dépoussiérer un meeting ronronnant ? « Je les perturbe », rigole l’intéressé auprès de l’Opinion. »

Yuval-Harari-Homo-deus.jpgUn article du Monde du 10 février 2023 relate que Jordan Bardella a été fortement impressionné par le livre Homo deus, une brève histoire du futur de Yuval Harari, le principal théoricien des sectes mondialistes et transhumanistes.

Enfin, pour couronner le tout, Laurent Alexandre a été invité à participer à un débat avec le philosophe Olivier Rey le 28 juin 2023 sur le thème de « L’irruption de l’IA (intelligence artificielle) : un bouleversement sous-estimé pour nos sociétés » lors du colloque de la Fondation ID intitulé « Relever le défi de l’IA en Europe » présenté par le jeune député RN de l’Hérault Aurélien Lopez-Liguori, président du groupe d’études de l’Assemblée nationale consacré à la souveraineté numérique [11].

Eliezer Yudkowsky, l'un des experts de cette nouvelle science met en garde le monde, dans le Guardian du 17 février 2024 contre les dangers de l'intelligence artificielle [12]. Et le magazine Geo rapporte ainsi l’entretien: « Selon lui, l’IA pourrait nous mener à notre perte. Pour détruire l’humanité toute entière... Elle n’aurait besoin que de quelques années. "Si vous me mettez au pied du mur, si vous m’obligez à faire des probabilités, [je peux vous dire que] j’ai le sentiment que notre calendrier actuel ressemble plus à cinq ans qu’à cinquante ans, a-t-il confié au quotidien. Cela pourrait mettre deux ans, cela pourrait en mettre dix."

En bref, Yudkowsky prévient le monde qu’il serait très dangereux de laisser n’importe quel apprenti-sorcier farfelu s’occuper d’I.A car les conséquences pourraient être très graves.

Disons-le clairement: cette dérive des droites populaires est consternante et gravissime, dérive qui s’effectue dans l’indifférence ou l’ignorance des militants et électeurs de ces mêmes droites, dont les espérances légitimes pour un retour aux valeurs saines qui ont fondé nos sociétés traditionnelles européennes sont entièrement bafouées.

Nous aurions pu espérer au moins que les théoriciens des milieux identitaires et traditionalistes auraient promptement et vivement réagi à ces dévoiements. Il semble bien que ce soit tout le contraire; ces structures quelquefois vieilles de plus de 50 ans sont restés cantonnées dans leur microcosme intellectuel parisien, dans leur attachement désuet au concept surhumaniste qu’elles n’ont pas vu bifurquer vers le transhumanisme; ces mêmes « élites » qui, tout au long de ces cinquante années, n’ont jamais pu prendre le moindre pouvoir effectif sur le plan spirituel, culturel, idéologique, politique, métapolitique, économique, etc., tous détenus par la gauche, l’extrême-gauche et les mondialistes d’une manière générale, auraient, paradoxalement (?), retrouvé un nouveau souffle en se ralliant aux structures mondialistes et ainsi favorisé le dérapage globaliste de ces droites renégates si l’on en croit l’étude de Périne Schir, rapportée par Marine Turchi dans Médiapart du 18 déc 2023  sous le titre : « Sous la présidence Bardella, la Nouvelle Droite retrouve un rôle de premier plan au RN » :

1652089042567.jpg« Chercheuse à l’université George-Washington, Périne Schir (photo) démontre l’influence que retrouvent au Rassemblement national deux cercles radicaux : la Nouvelle Droite sur l’idéologie, la « GUD Connection » sur les finances. Tout en partageant les mêmes connexions avec l’extrême droite italienne.

Sous la présidence de Jordan Bardella, deux réseaux radicaux ont retrouvé une place de premier plan au Rassemblement national (RN) : la Nouvelle Droite et la « GUD Connection ». Et ces cercles, qui bénéficient de connexions étroites avec l’extrême droite italienne, pourraient aider le nouveau président du RN à se rapprocher de la première ministre italienne, Giorgia Meloni. »

La boucle est bouclée.

7.

Les êtres différenciés

On comprend mieux l’expression du visionnaire Julius Evola, « les êtres différenciés », ceux qui sont chargés de faire repartir la roue du nouveau cycle depuis l’offensive, en 2020, des sectes globalistes.

En effet, on pouvait prévoir que ces êtres différenciés surgissent des habituels cercles d’une vieille droite nationale qui ne semblait pas très éloignée du concept traditionnel.

Il s’est avéré que ces êtres différenciés étaient des êtres différents de ceux que l’on attendait.

Ce ne sont pas ces militants qui se disent « nationalistes » (par opposition au mondialisme) qui se sont érigés en résistants lors de ces agressions mondialistes ; ceux-ci sont restés, pour la plupart, confinés en leur demeure, comme l’ordre leur en avait été donné. Ce sont d’autres personnes, souvent issues du milieu médical qui, par leur courage et leur charisme, ont pu rassembler autour d’eux, l’embryon d’une communauté destinée à préparer l’après-fin de notre cycle.

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C’est ainsi que l’on a pu voir une librairie nationaliste être saccagée par des gauchistes qui ont rallié le grand capital (notamment celui de Big Pharma) tout comme l’ont fait les droites dites « populaires » ; c’est sans doute ce que Guillaume Faye appelait la « convergence des catastrophes » ! Et, oh surprise ! Les vitrines de cette librairie dénonçaient comme « facho » un Louis Fouché, médecin de son état, qui fut l’un des grands lanceurs d’alerte se dressant courageusement et avec talent contre la dictature sanitaire [13], un homme que ces mêmes gauchistes appellent un « covidonégationniste » ! Il se fait que Louis Fouché a, ou avait, plutôt des sympathies de gauche si l’on s’en tient encore à ce manichéisme suranné droite-gauche ; les terroristes gauchistes expliquent ainsi leur « action » dans un style qui nous a quand même fait pouffer de rire :

Malgré ses positionnements politiques, il est traité avec complaisance par une partie de celleux (sic !) qui devraient être ses ennemis, parce qu’il mobilise des références prisées à l’extrême-gauche telles qu’Alain Damasio ou Murray Bookchin dans le cadre d’une stratégie confusionniste, et parce que le mouvement antifasciste n’a pas entièrement pris la mesure de la menace continue que constitue le covidonégationnisme. Louis Fouché, comme tous ceux qui nient la gravité du Covivid-19, l’efficacité du vaccin et des masques, est un eugéniste, prêt à sacrifier les personnes les plus vulnérables à la maladie. Il est également clair que lui et ses amis sont des fascistes, et doivent désormais être traités comme tel par tou-tes les révolutionnaires. »

On peut classer aussi comme « covidonégationnistes » toutes les grandes personnalités du monde médical comme le professeur Raoult, le professeur Perronne, la généticienne Alexandra Henrion-Caude, le regretté prix Nobel Luc Montagnier, etc. qui se sont élevés contre Big pharma et la secte mondialiste.

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Dans d’autres domaines ont surgi aussi sur le devant de la scène des êtres différenciés tel l’ingénieur-physicien Philippe Guillemant (photo), lui aussi spécialiste de l’intelligence artificielle, mais qui n’en tire pas, loin de là, les mêmes conclusions que Laurent Alexandre ou que Jordan Bardella. Philippe Guillemant inclut dans ses recherches la dimension spirituelle qui fait cruellement défaut aux transhumanistes et autres chercheurs scientistes. On le voit ici en photo en compagnie de Georges Gourdin (ci-dessous), le créateur et rédacteur en chef du site Nice-Provence Info.

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Les préoccupations de son livre paru en 2021 chez Trédaniel, Le grand virage de l’humanité, rejoignent celles que nous avons exprimées en tout début de cet article et dans les paragraphes traitant du transhumanisme, avec le grand plus de son expertise en matière scientifique et notamment de science physique, et son talent de prospectiviste, tel que nous l’indique la dernière de couverture de ce même ouvrage : « Si la crise du coronavirus représente un grand tournant dans l’histoire de l’humanité, vers quel futur nous dirige-t-elle dorénavant ? D’après Philippe Guillemant, la physique peut répondre à cette question. L’avenir serait en effet déjà tracé, mais pourrait radicalement changer, comme le parcours d’un GPS, en produisant des coïncidences étranges suivies de défaillances irrationnelles. L’auteur en déduit que les événements sidérants que nous avons vécus de 2019 à 2021 sont des signes que, dans le futur, l’humanité s’est débarrassée du transhumanisme pour s’orienter vers une nouvelle destinée, construite par par un éveil de conscience à la véritable nature de l’humain. »

Je conclurai cet article comme je le fais désormais pour tous les autres, à savoir rappeler que ces forces négatives qui veulent arrêter le cours de la vie sur Terre en défiant Dieu ou les dieux ne réussiront JAMAIS à venir à bout de leur projet qui ne peut se situer que sur un plan matériel, la spiritualité qui gouverne tous les autres plans, y compris le plan matériel, leur étant inaccessible du fait même de leur origine satanique ou du pacte qu’ils auraient éventuellement conclu avec un supposé diable, dont ils se revendiquent en permanence [14].

Pierre-Emile Blairon

Notes:

[1]. Voir sur ce même site mon article : Mais quelles est cette secte qui dirige le monde ?

[2]. Comme nomment les Occidentaux les anciens dissidents russes Zinoviev et Boukowski, bien placés, de par leur expérience en Union soviétique, pour prédire que l’Europe dite de Bruxelles allait devenir une dictature. Voir mon livre La Roue et le sablier, p. 202.

[3]. « Alors que l'homme moderne, jusqu'à une époque toute récente, a conçu le sens de l'histoire comme une évolution et l'a exalté comme tel, l'homme de la Tradition eut conscience d'une vérité diamétralement opposée à cette conception. Dans tous les anciens témoignages de l'humanité traditionnelle, on retrouve toujours, sous une forme ou sous une autre, l'idée d'une régression, d'une "chute" : d'états originels supérieurs, les êtres seraient descendus dans des états toujours plus conditionnés par l'élément humain, mortel et contingent. Ce processus involutif aurait pris naissance à une époque très lointaine. ». Julius Evola, Révolte contre le monde moderne.

[4]. Consulter à ce sujet sur ce même site les articles que j’ai signés : La France, laboratoire de la secte mondialiste et aussi : Evola et la Tradition primordiale : une autre vision de l’Histoire.

[5]. « Il est très significatif, d'autre part, que les populations où prédomine encore ce que l'on présume être l'état originel, primitif et barbare de l'humanité ne confirment guère l'hypothèse évolutionniste. Il s'agit de souches qui, au lieu d'évoluer, tendent à s'éteindre, ce qui prouve qu'elles sont précisément des résidus dégénérescents de cycles dont les possibilités vitales étaient épuisées, ou bien des éléments hétérogènes, des souches demeurées en arrière du courant central de l'humanité ». Julius Evola, Révolte contre le monde moderne.

[6]. Julius Evola, Révolte contre le monde moderne

[7]. https://www.youtube.com/watch?v=hKcOARkVHZs

[8]. https://www.tiktok.com/@ingridcourregesofficiel/video/7283487210056207648

[9]. Lequel n’a pas compris que le transhumanisme n’est pas un « antihumanisme » mais la suite logique de l’humanisme et du surhumanisme.

[10]. https://www.lopinion.fr/politique/laurent-alexandre-le-docteur-qui-phosphore-avec-la-droite-radicale

[11]. https://www.youtube.com/watch?v=Lf088Pj7XVA

[12]. https://www.geo.fr/sciences/ia-pourrait-terrasser-humanite-en-deux-ans-seulement-alerte-un-expert-guardian-eliezer-yudkowsky-218905

[13]. https://paris-luttes.info/attaque-de-la-librairie-vincent-17863

[14]. Voir à ce sujet sur ce même site mes articles :  La France, laboratoire de la secte mondialiste et, auparavant :  Mais quelle est cette secte qui dirige le monde ?

lundi, 05 février 2024

Cinquante ans sans Evola et Romualdi. Mais leurs idées s'affirment et germent

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Cinquante ans sans Evola et Romualdi. Mais leurs idées s'affirment et germent

Source: https://www.barbadillo.it/112748-cinquantanni-senza-evola-e-romualdi-ma-le-loro-idee-si-affermano-e-germogliano/

Décembre 2023 - janvier 2024. L'année "romualdienne" se termine et l'année "évolienne" s'ouvre: cinquante ans se sont écoulés depuis le moment où Adriano Romualdi (1940-1973), d'abord, et Julius Evola (1898-1974), ensuite, ont quitté leur vie terrestre en se consacrant à la détermination et à la codification d'une langue, à la clarification et à la préservation d'une vision du monde, à la définition et à la transmission d'une culture "traditionnelle" et, en même temps, "de droite".

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Les deux années 1973-1974 et, avec elles, les anniversaires des cinquantenaires relatifs d'aujourd'hui représentent une sorte de passage à deux visages sous le signe de Janus, un de ces "rites de passage" qui fondent ces "sociétés d'hommes" sur lesquelles l'un et l'autre ont tant écrit : ces initiations par lesquelles les "fils" perdent et, en même temps, deviennent "pères", ces pertes qui sont en même temps des conquêtes, ces sacrifices et ces détachements qui favorisent la naissance et la maturation des "ordres", ces legs par lesquels les "héritiers" reçoivent des "ancêtres" le bâton ainsi que la responsabilité et la charge de conserver, de vivifier et de transmettre, à la postérité, ce qui a été reçu.

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Le "saut" et le "passage" se sont ouverts le 12 août 1973 et se sont refermés le 11 juin 1974: la droite italienne, avec l'ouverture et la fermeture de cette parenthèse, s'est retrouvée orpheline de ses principaux intellectuels capables de l'informer et de la former, de la préserver et de la renouveler. Contre nature, c'est le "disciple" - même si "élève du maître" il n'a jamais voulu se définir, mais qui était certainement celui qui, comme l'écrit Gianfranco de Turris, "avait assimilé et mieux interprété ses idées" - qui a quitté prématurément le "maître". Dans le numéro d'août-septembre 1973 de L'Italiano - la revue fondée et dirigée par son père Pino et à laquelle Evola lui-même a collaboré de façon fructueuse (1) - Evola écrit des pages brèves et denses de commémoration: "Avec la mort de notre cher jeune ami Adriano Romualdi, due à une malheureuse contingence, la nouvelle génération orientée dans le sens "traditionnel" et de droite perd l'un de ses représentants les plus qualifiés" (2).

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À la suite de ce funeste accident de voiture sur la Via Aurelia, à l'époque de l'exode du Ferragosto (mi-août), des générations entières - parmi lesquelles nous pouvons donc également inclure celle d'Evola - ont perdu une référence brillante et un animateur plein d'énergie; et tout un "monde" - celui de la Tradition et de ceux qui, depuis la "droite", se sont tournés vers elle - s'est réveillé orphelin de l'homme qui, alors qu'il n'avait même pas trente-trois ans de vie derrière lui, avait donné une "vision", en mettant à profit le meilleur enseignement d'Evola à travers le développement d'une Weltanschauung à laquelle notre groupe, humain plus encore qu'éditorial, est profondément redevable.

C'est pour cette raison que - avec l'aide de nos amis Mario Michele Merlino et Rodolfo Sideri - Cinabro Edizioni a décidé de commémorer cet "anniversaire bicéphale" avec une publication qui puisse rendre hommage et témoigner des deux : tous les articles publiés par Adriano Romualdi dans L'Italiano entre 1959 et 1973 ont été rassemblés. Une anthologie née avec la prétention convaincue et ambitieuse d'éviter le risque que son héritage culturel et son œuvre - "souvent dispersés dans des revues oubliées et/ou désormais introuvables" - ne tombent dans l'oubli, bien que son enseignement soit recherché "par les nouvelles générations qui entendent parler d'Adriano Romualdi mais ne connaissent pas ses écrits" (3).

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Une anthologie d'Adriano Romualdi est sur le point d'être publiée par les éditions Cinabro : tous les articles publiés (1959-1973) dans la revue L'Italiano - Titre: Adriano Romualdi - Un Italiano per l'Europa (il Cinabro)

Ce n'est pas un hasard si les trois derniers articles qu'Adriano a écrit pour L'Italiano, entre mai et juillet 1973, ont été écrits précisément pour commémorer le 75ème anniversaire d'Evola, comme appendice, synthèse et complément à son essai déjà publié chez Volpe à l'occasion de son 70ème anniversaire: face aux signes de "fatigue" qu'offrait le débat sur la "culture de droite", Romualdi, imperturbable, voulait "profiter du 75ème anniversaire d'Evola pour rappeler, avec l'ampleur nécessaire, la contribution qu'il avait apportée à cette culture qui - en se plaçant en dehors des idéaux du progressisme, de l'humanitarisme et de l'égalitarisme - peut être appelée à juste titre "de droite"" (4).

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À l'occasion de l'une des dernières conversations entre Evola et Romualdi, les deux hommes se sont livrés à une réflexion et à une méditation sur l'adage "la vie est un voyage dans les heures de la nuit". Après leur mort, le voyage est devenu plus difficile et la nuit plus sombre, sans lune ni étoiles, mais le flambeau qu'ils ont allumé est toujours vivant et gardé par ceux qui, après cette période de deux ans, se sont réveillés orphelins mais aussi et surtout héritiers.

Notes:

(1) Dont les contributions ont été rassemblées par Alberto Lombardo dans J. Evola, "L'Italiano" (1959-1973), Fondazione Julius Evola, Rome, 2023.

   

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(2) J. Evola, "Per Adriano Romualdi", in L'Italiano, août-septembre 1973, pp. 485 et suivantes, maintenant dans A. Romualdi, Su Evola, Fondazione Julius Evola, Rome, 1998, pp. 19 et suivantes.

(3) "... Il reste son héritage culturel, son œuvre à laquelle il faut se référer, qui, souvent dispersée dans des revues oubliées et/ou désormais introuvables, risque de tomber dans l'oubli, bien qu'elle soit recherchée par les nouvelles générations qui entendent parler d'Adriano Romualdi mais ne connaissent pas ses écrits..." (Gianfranco de Turris, Adriano Romualdi e Julius Evola, in A. Romualdi, Su Evola, Fondazione Julius Evola, Rome, 1998, p. 18).

(4) A. Romualdi, "I 75 anni di Julius Evola" (I), maintenant dans Un Italiano per l'Europa, Cinabro Edizioni, Rome, 2024.

(de leggifuoco.it)

vendredi, 02 février 2024

Traditionalisme: le projet radical de restauration de l'ordre sacré

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Traditionalisme: le projet radical de restauration de l'ordre sacré

Un compte-rendu

Source: https://reactionair.nl/artikelen/traditionalism-the-radical-project-for-restoring-sacred-order/

Mark Sedgwick, professeur d'études arabes et islamiques à l'université d'Aarhus, a publié son premier livre sur le traditionalisme en 2004 et vient d'écrire une nouvelle introduction à ce mouvement philosophique et religieux avec Traditionalism : The Radical Project for Restoring Sacred Order (= Le traditionalisme : le projet radical de restauration de l'ordre sacré). Cette publication comble une lacune importante dans l'étude du traditionalisme. Elle offre un aperçu approfondi mais accessible du mouvement traditionaliste et constitue donc une bonne introduction pour quiconque souhaite se familiariser avec ce monde de pensée intéressant. Malheureusement, l'auteur n'exploite pas tout le potentiel du sujet en raison de certains choix étranges et d'omissions flagrantes. Néanmoins, la conclusion finale est que le livre contient beaucoup d'informations précieuses sur le traditionalisme et constitue donc une bonne introduction à cette philosophie.

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Dans son ouvrage, Sedgwick affirme que l'essence du traditionalisme se compose de trois éléments. Premièrement, les traditionalistes sont pérennialistes. En d'autres termes, ils croient que sous toutes les religions se cache "une tradition sacrée unique, intemporelle et ésotérique" (p. 43). Deuxièmement, les traditionalistes ont une vision cyclique de l'histoire, selon laquelle l'histoire peut être divisée en plusieurs périodes successives. Le fondateur du traditionalisme, René Guénon, s'appuie pour cela sur les quatre jugas hindous. Ce qui est caractéristique, c'est que l'histoire n'est pas perçue comme une progression, mais comme une dégénérescence. Troisièmement, le traditionalisme propose une critique fondamentale de la modernité. Dans la modernité, l'individualisme, le sentiment, le chaos social et, surtout, la matérialité deviennent centraux selon les traditionalistes (p. 102-103). Tous ces éléments s'opposent à la Tradition dans laquelle il y avait un ordre social et une orientation vers la transcendance.

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Selon Sedgwick, ce noyau de la pensée traditionaliste est suivi d'un certain nombre de projets centraux et secondaires. Les projets centraux comprennent la réalisation de soi, la religion et la politique. Les projets plus latéraux comprennent l'art, le genre, la nature et le dialogue interconfessionnel. Toutes ces composantes sont largement abordées dans l'ouvrage et, dans l'ensemble, on obtient donc une vue d'ensemble assez large et, pour une introduction relativement courte, assez profonde de l'essence du traditionalisme et de la manière dont il s'exprime dans les différents projets.

Le réactionnaire

Néanmoins, il convient de noter que le contenu du livre présente des choix étranges et des lacunes. Tout d'abord, il y a le choix particulier des représentants centraux de la pensée traditionaliste. Sedgwick choisit de considérer René Guénon, Fritjhof Schuon et Julius Evola comme les représentants centraux et les plus originaux de la pensée traditionaliste. Or, les deux premiers penseurs sont universellement reconnus comme des figures centrales qui se sont trouvées à la base du filon traditionaliste. Evola, en revanche, est une figure controversée du mouvement et n'est donc pas considéré par beaucoup comme faisant partie du traditionalisme. Par exemple, Evola semble s'opposer directement à Guénon et à Schuon sur des points importants. Pour citer quelques exemples: Evola a une compréhension fondamentalement différente de ce que signifie la tradition primordiale. Alors que Guénon et Schuon se concentrent sur les grandes religions mondiales telles que l'hindouisme, le bouddhisme, le christianisme et l'islam, Evola s'intéresse davantage à la mythologie européenne et aux divers mouvements ésotériques et hermétiques. Il convient également de mentionner qu'alors que Guénon et Schuon mettent l'accent sur la vita contemplativa, Evola semble mettre l'accent sur la vita activa. Dans le même ordre d'idées, on peut dire que si pour Guénon et Schuon la politique n'avait que peu d'importance, pour Evola la politique a joué un rôle plus ou moins important au cours de sa vie - par exemple, Evola a été un partisan de l'apolitisme pendant la dernière phase de sa vie. Le choix de considérer Evola comme le penseur central du traditionalisme est tout à fait étrange, étant donné qu'Ananda Coomaraswamy ne se voit attribuer qu'un rôle latéral, alors que ce grand écrivain et penseur a joué un rôle fondamental dans le traditionalisme. En fait, il est tout à fait défendable d'affirmer que ses œuvres et ses écrits sur l'art, le symbolisme et la métaphysique sont d'une qualité au moins égale, sinon supérieure, à celle de Guénon. Il ne s'agit pas de minimiser les brillants travaux de Guénon, mais d'indiquer le haut niveau de réflexion et d'écriture des travaux que Coomaraswamy partage avec nous. Malheureusement, Coomaraswamy n'est abordé en profondeur que dans le chapitre sur l'art.

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Une autre critique, que nous entendons formuler, est que Sedgwick choisit de discuter de certains "compagnons de route" traditionalistes dans presque tous les chapitres. Les points de vue de ces penseurs ne correspondent pas suffisamment aux hypothèses fondamentales du traditionalisme pour qu'on puisse les classer dans cette catégorie, mais ils s'en rapprochent par certains aspects importants. Par exemple, Jordan Peterson est cité plusieurs fois et discuté en détail. Le lecteur peut avoir des doutes sur le fait de citer Peterson comme compagnon de route, car ses archétypes ont une origine principalement jungienne et qu'il soutient la plupart des hypothèses de la modernité. Il ne semble donc pas y avoir de raison valable de lui accorder une place prépondérante dans le livre.

En outre, la discussion sur le sujet du symbolisme est une absence thématique importante dans le livre. Sedgwick déclare lui-même qu'il a choisi cette option parce que l'attention et l'interprétation du symbolisme par les traditionalistes n'ont eu que peu d'impact. Que cela soit vrai ou non - on pourrait certainement affirmer que Coomaraswamy et Nasr ont eu un certain impact académique dans ce domaine - la question est de savoir si l'on doit considérer le sujet uniquement d'un point de vue externe pour évaluer l'intérêt d'un sujet. En effet, pour les traditionalistes eux-mêmes, le symbolisme est d'une importance capitale. Guénon a écrit des dizaines d'articles et de livres sur les symboles, et ces réflexions nourrissent en quelque sorte l'ensemble de la pensée traditionaliste. Aujourd'hui encore, les traditionalistes publient des ouvrages importants sur le symbolisme. En 2020, par exemple, le Dr Charles William Dailey a publié un ouvrage important intitulé The Serpent Symbol in Tradition (1). L'absence de chapitre sur le symbolisme signifie que cet ouvrage ne peut donc pas être considéré comme une introduction complète et exhaustive au traditionalisme.

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En conclusion, il convient toutefois de dire que Mark Sedgwick a fourni une bonne introduction au traditionalisme. Sur la base de ce livre, le profane peut avoir un bon aperçu des pensées fondamentales du mouvement et de certains de ses principaux penseurs. Toutefois, le lecteur doit garder à l'esprit que certains choix de l'auteur concernant les penseurs et les sujets abordés ne sont pas entièrement défendables. Toutefois, compte tenu de ces points, l'ouvrage est vivement recommandé à toute personne désireuse d'en savoir plus sur ce sujet.

Note:

(1) En vente dans la librairie https://reactionair.nl/winkel/

19:06 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, mark sedgwick, traditionalisme, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 14 décembre 2023

Le Kali Yuga a toujours existé...

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Le Kali Yuga a toujours existé...

par Michele (Blocco Studentesco)

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2023/11/29/bs-il-kali-yuga-e-sempre-stato-qui/

Il n'y a pas de doute sur le poids qu'a eu un certain ésotérisme et une pensée traditionnelle dans le monde bigarré du fascisme et surtout du néo-fascisme. L'une des thèses centrales consiste à associer le concept de kali yuga au sentiment européen de décadence - résultat de la révolution industrielle et de la sécularisation engendrée par la modernité (la fameuse "perte de l'auréole" de Baudelaire) - et à son pendant philosophique, à savoir le nihilisme. Le cas le plus illustratif à cet égard est peut-être celui de Chevaucher le Tigre d'Evola. Dans les toutes premières pages du livre, il en explique la signification :

"dans le monde classique, il était présenté comme une descente de l'humanité depuis l'âge d'or jusqu'à ce qu'Hésiode appelait l'âge de fer. Dans l'enseignement hindou correspondant, l'âge terminal est appelé kali-yuga (= l'âge des ténèbres), et l'idée essentielle est ici clarifiée en soulignant que le kali-yuga est précisément un climat de dissolution, le passage à un état libre et chaotique des forces individuelles et collectives, matérielles, psychiques et spirituelles, qui étaient auparavant contraintes de diverses manières par une loi venue d'en haut et par des influences d'un ordre supérieur".

En d'autres termes, la phase terminale que nous vivons actuellement ne peut s'expliquer uniquement dans une perspective historico-politique, mais s'inscrit dans un cycle cosmique. Elle touche non seulement les cordes intimesde l'humain, mais aussi celles du divin. Une image - même si ce n'est pas précisément le cas d'Evola (Chevaucher le Tigre lui-même est une tentative, certes plus existentielle que politique, de trouver une voie et une direction au sein du kali yuga) - qui pourrait conduire à un certain défaitisme et à un certain fatalisme. En tout cas, ce n'est pas très encourageant pour ceux qui doivent faire face à la réalité qui les entoure. Au contraire, penser que tout est en proie à la décrépitude et donc intimement lacunaire peut conduire à un étrange snobisme, où l'erreur de l'époque dans laquelle nous vivons devient l'alibi de nos propres erreurs et de nos propres manques.

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Cette tentation est encore plus forte lorsque nous idéalisons et exagérons comme les heures les plus sombres les derniers siècles de notre histoire où tout est perdu, ou lorsque nous ignorons tout simplement l'étendue du kali yuga. En dehors de la tradition hésiodique, qui reconnaît une renaissance de l'âge d'or juste avant l'âge de fer, l'âge des héros se terminant à peu près avec la guerre de Troie, dont nous avons quelques documents historiques en plus des poèmes homériques, l'ensemble de l'histoire humaine que nous connaissons se situe dans l'âge sombre du kali yuga. Dans la plupart des mythes, ce dernier commence avec le déluge universel.

Savoir cela peut être encore plus désespérant pour certains, mais il est utile d'éviter de se créer de fausses illusions sur le passé. Les traditions ne sont que l'écho d'une sagesse primordiale, elles ne sont pas ce savoir exact. De Sparte à Rome, même les références politiques les plus anciennes que nous pouvons prendre comme exemple idéal sont encore plongées dans l'imperfection et l'obscurité, même si elles brillent de leur propre lumière. Il s'agit précisément de modèles qui naissent de et avec leur époque. En approfondissant la doctrine des cycles cosmiques, les humanités qui peuplent les différents âges sont métaphysiquement différentes les unes des autres. La nostalgie d'un âge d'or a donc quelque chose de paradoxal ; elle est d'ailleurs le plus souvent utilisée comme mythe politique par les forces progressistes qui s'imaginent pouvoir racheter le monde et trouver un nouvel âge d'or dans l'utopie, qui ressemble d'ailleurs le plus souvent à une sorte de tranquillité animale.

La doctrine des cycles cosmiques est-elle donc à jeter aux oubliettes ? Pas du tout, à condition de savoir la comprendre. On pourrait la comparer à cette forme d'étrange pessimisme existentiel qu'est l'esprit tragique des Grecs. La contemplation lucide de la souffrance, de l'imperfection et de l'absence de sens de l'existence ne conduit pas à une acceptation passive, ni à l'idée qu'il s'agit d'une sorte de péché à éradiquer ou d'erreur à corriger. Il en résulte au contraire une volonté de s'affirmer, une exaltation de la vie et du destin comme amor fati, car "s'il y a quelque chose de plus puissant que le destin, / c'est le courage qui le porte inébranlablement". Penser à cela dans une époque sombre, sinon dans les temps les plus sombres, doit donc être pris comme une invitation au courage et à l'affirmation de soi malgré tout.

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mercredi, 29 novembre 2023

Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade

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Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/10/30/mircea-eliade-zalmoxis/

Le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade (1907-1986) est une source d'enrichissement pour les universitaires et les critiques de la civilisation, notamment parce que ses critiques s'inscrivent dans une perspective de droite. Dans sa jeunesse, il a été proche de la Garde de fer nationaliste et, en exil, il a fréquenté Evola, Dumézil, Bataille et le cercle Eranos de Carl Jung. Sa critique de la civilisation s'appuie sur une connaissance approfondie des sociétés et des cultures historiques, qui démontre avec force à quel point l'Occident moderne est devenu déviant. En outre, il manque quelque chose que les comparaisons avec d'autres cultures montrent comme la dimension mythique est universellement humaine; son absence est remplie de pseudo-mythes, de manies et de problèmes de santé.

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Eliade a écrit de manière initiée et passionnante sur tous les sujets, de l'initiation et des forgerons aux chamans et à l'éternel retour. Un ouvrage intéressant est Zalmoxis - The Vanishing God. Il s'agit d'un recueil d'articles intitulé "Comparative Studies in the Religions and Folklore of Dacia and Eastern Europe" (Études comparatives des religions et du folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est). En termes d'histoire religieuse, ils sont unis par un intérêt pour les créations religieuses qui manquent d'expression écrite et, souvent, de critères chronologiques. Eliade a écrit qu'en étudiant le folklore roumain, il a souvent rencontré des problèmes méthodologiques similaires à ceux rencontrés dans l'étude des peuples "primitifs". En même temps, il était conscient que la rencontre avec les valeurs religieuses archaïques pouvait être fructueuse pour l'homme moderne, "ces univers de valeurs spirituelles archaïques enrichiront le monde occidental autrement qu'en ajoutant des mots à son vocabulaire (mana, tabu, totem, etc.) ou à l'histoire des structures sociales". On reconnaît ici Eliade comme un critique de la civilisation, soucieux de rappeler à l'homme moderne ce qu'il a perdu. Un fil conducteur intéressant de Zalmoxis, étant donné que les articles se concentrent sur la patrie d'Eliade, est la tentative d'identifier les aspects de l'âme populaire. Eliade était bien conscient que le monde religieux des Géto-daces ne correspond pas nécessairement à celui que nous trouvons dans le folklore roumain, mais l'approche est fructueuse et peut être utilement appliquée au folklore suédois également.

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Dans l'introduction de "Les Daces et les loups", Eliade constate que les Roumains sont un peuple de loups. De nombreuses tribus indo-européennes s'identifient au loup, notamment par le biais de noms ethniques tels que daoi/daker, hyrkanoi, orkoi et hirpi sorani. Il existe un lien évident avec les associations cultuelles masculines dans lesquelles le loup jouait souvent un rôle central. Parfois, des tribus entières semblent avoir adopté le nom de loup à partir de ces associations, parfois des Männerbünde ont conquis d'autres groupes et leur ont donné leur nom. C'est une lecture fascinante, mais qui n'est probablement pas nouvelle pour les lecteurs de notre site suédois Motpol. Eliade résume tout cela en disant que "l'essentiel de l'initiation militaire consistait à transformer rituellement le jeune guerrier en une espèce d'animal sauvage prédateur. Il ne s'agissait pas seulement de courage, de force physique ou d'endurance, mais "d'une expérience magico-religieuse qui changeait radicalement le mode d'être du jeune guerrier. Il devait transmuter son humanité en accédant à une fureur agressive et terrifiante qui le transformait en un carnivore enragé".

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Eliade a constaté que les Roumains étaient un peuple de loups à trois égards. Ils descendaient des Daces, conquis par les Romains, qui à leur tour descendaient de Rémus et Romulus ("les fils du dieu-loup Mars, allaités et élevés par la louve du Capitole"). Seul un tel peuple pouvait assimiler les Daces. La Roumanie moderne est ensuite née de l'invasion des terres daco-romaines par Gengis Khan et ses descendants, où l'on retrouve le mythe du loup ("le mythe généalogique des Gengis-Khanides proclame que leur ancêtre était un loup gris descendu du ciel et accouplé à une biche").

Eliade's_Chamanisme.jpgLa section sur Zalmoxis est également intéressante, Eliade comparant son culte à la fois aux mystères initiatiques comme ceux d'Éleusis et au chamanisme. Il évoque l'immortalité de l'âme, le symbolisme des grottes, les katabasis, l'immortalité, Pythagore, les dieux-ours, les Jordanes, la confusion entre les chèvres et les Goths, et les traces de chamanisme dans la Grèce antique. Il est fascinant de constater que le chaman apparaît en partie dans les récits de philosophes tels que Parménide et Pythagore. Cependant, la conclusion d'Eliade est que Zalmoxis était un représentant des mystères plutôt que des chamanes. Il mentionne également que Zalmoxis a été rapidement assimilé par le Christ, ce qui est logique étant donné les grandes similitudes entre les deux personnages. D'autres figures ont survécu jusqu'à l'époque moderne dans le folklore roumain, mais Zalmoxis a presque complètement disparu. Du moins jusqu'à ce qu'une renaissance nationale, à l'époque moderne, fasse revivre l'archétype indigène, "toujours et partout Zalmoxis est revivifié parce qu'il incarne le génie religieux des Daco-Gètes, parce que, en dernière analyse, il représente la spiritualité des "autochtones", des ancêtres presque mythiques conquis et assimilés par les Romains". L'union du pouvoir religieux et du pouvoir séculier apparaît ici comme un fil rouge, une caractéristique nationale, de l'époque dacienne à la Garde de fer et à Ceausescu.

Un chapitre passionnant sur l'histoire des religions traite d'un mythe de la création qui revient chez les Roumains, les Bulgares, les Russes, les Polonais et les Roms de Transylvanie, mais aussi chez plusieurs peuples d'Asie et d'Amérique du Nord. Le monde est recouvert d'eau, Dieu et le Diable se rencontrent et le Diable prend de la boue au fond de la mer. Dans certaines versions du mythe, il tente ensuite de noyer un Dieu endormi en le faisant rouler dans l'eau, mais au lieu de cela, la masse terrestre se développe. Dans d'autres versions, moins dualistes, un oiseau aide Dieu pendant le processus de création. Dans plusieurs variantes, Dieu est alors inopinément passif et a besoin d'aide pour achever la création. Eliade retrace ici une relation avec le dieu du ciel plutôt lointain, un deus otiosus, chez plusieurs peuples d'Eurasie. Dans une société chrétienne, elle peut également séparer le Créateur des éléments de la création tels que le mal et le péché, "la distance de Dieu est directement justifiée par la dépravation de l'humanité. Dieu se retire au ciel parce que les hommes ont choisi le mal et le péché". Eliade a également constaté qu'il semble s'agir d'un mythe ancien qui a atteint l'Amérique du Nord et l'Europe, souvent influencé par le dualisme iranien, où le Diable a remplacé l'aide de Dieu dans le port des animaux.

Moldavia's_coat_of_Arms_of_1481.jpgUn passage intéressant de Zalmoxis raconte comment le prince Dragos a fondé la Moldavie à la suite d'une chasse à l'aurochs, une version des mythes sur la chasse rituelle et les guides animaux. C'est notamment un animal sauvage qui a montré aux Vandales le chemin de Gibraltar ; de même, les Huns ont trouvé leur chemin vers des terrains de chasse plus civilisés au-delà des marécages. Eliade a également abordé le symbolisme du cerf et du taureau. Dans d'autres chapitres, il aborde la mandragore, le monachisme, le chamanisme roumain et l'importante ballade Miorita. Cette dernière est très populaire parmi les Roumains, Eliade affirmant qu'elle exprime l'âme populaire ("nous sommes en présence d'une création populaire encore vivante, qui touche l'âme populaire comme aucune autre ; en d'autres termes, il y a une "adhésion" totale et spontanée du peuple roumain aux beautés poétiques et au symbolisme de la ballade"). Dans le chapitre consacré à Miorita, il aborde également ce qu'il appelle le christianisme cosmique, une version sud-est européenne de la foi.

Dans l'ensemble, comme d'habitude, l'ouvrage est très facile à lire. Certaines sections peuvent être plus pertinentes que d'autres, les chapitres sur le peuple des loups et le mythe de la création m'ayant personnellement davantage intéressé, mais Eliade est intéressant quel que soit le sujet qu'il aborde. L'approche consistant à explorer l'âme populaire roumaine à travers l'étude des coutumes et du folklore est inspirante et peut fournir des pistes à ceux qui souhaitent faire quelque chose de similaire avec les Suédois.

vendredi, 24 novembre 2023

NOOSPHÈRE : la guerre pour l'hégémonie - L'aspect ontologique de la confrontation

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NOOSPHÈRE : la guerre pour l'hégémonie - L'aspect ontologique de la confrontation

Artur Alonso

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/noosfera-guerra-pela-hegemonia-o-lado-ontologico-do-confronto

    "Le mal n'existe pas en tant que conscience, comme nous l'enseignent les maîtres kabbalistiques. C'est plutôt l'absence plus ou moins grande du souverain Bien (l'essence divine) qui génère des illusions. En ce sens, ce que l'on entend par "mal" n'est rien d'autre que l'ignorance, la plus grande absence du Bien, qui est la Lumière de la Conscience pure et éternelle".

- João Paulo Haak Miranda

Le concept de Noosphère

Selon Vladimir Vernadski, le développement de la Terre a connu trois phases: la géosphère, caractérisée par la prédominance de la matière inanimée, la biosphère, celle de la vie biologique, et la noosphère, le moment où les êtres intelligents entrent en relation avec l'environnement dans lequel ils vivent.

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Tout comme l'émergence de la vie a transformé la géosphère, donnant naissance à la biosphère, l'émergence de la cognition humaine transforme la biosphère, donnant naissance au concept de noosphère.

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James Lovelock, qui a élaboré la "théorie Gaïa" en 1979, a développé certaines des hypothèses de Vernadski.

Pour Vernadski, la pensée "scientifique" humaine est considérée comme une nouvelle force géologique agissant sur la biosphère. Cette force est qualitativement différente des forces physiques, chimiques et biologiques.

L'humanité et ses actions intégratives représentent une nouvelle étape dans l'évolution de la biosphère, façonnant ce que Vernadski a appelé la Noosphère: la sphère de la raison.

La biosphère serait l'espace où l'énergie cosmique, en particulier l'énergie solaire, est transformée en énergie terrestre active telle que l'énergie électrique, chimique, mécanique et thermique - la vie est une énergie qui se développe. Tandis que la noosphère serait chargée de canaliser cette énergie vitale et de la transformer en conscience de vie, permettant à l'humanité de partir en pèlerinage à la recherche de ce qui est le plus évolutif: la recherche intérieure de la transcendance.

C'est cette recherche intérieure de ce qui transcende qui sous-tend les différents mythes des différentes cultures: l'être en transformation à la recherche de la gnose, de l'ascension. Le Lugh celtique, le Quetzalcoatl des Toltèques - et son chemin de Toltecayotl ; l'Horus égyptien et son ascension - élévation - transformation d'un être terrestre qui a obtenu la connaissance matérielle et revient comme un faucon, le spirituel - La crucifixion du Christ - l'Oint. L'octuple sentier - la voie médiane du Bouddha. Les douze travaux d'Hercule, les douze heures du Nucteremon d'Apollonius de Tyane, les douze chevaliers de la table ronde du roi Arthur, vécus selon l'idée de Joseph Campbell du "mono-mythe" ou du "voyage du héros".   

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C'est sur ce chemin en faveur du dépassement que l'être humain entre dans sa conscience, d'abord axée sur la survie - l'énergie vitale en action (physicalité - animalité, maîtrise des instincts - lutte territoriale) jusqu'à ce qu'il atteigne le niveau le plus élevé de la recherche d'une raison d'être. S'élever, se transcender (développement supérieur du psychisme à la recherche de la gnose : la connaissance) - Ainsi l'énergie vitale évolue en faveur de la conscience vitale (la raison psychologique unie à l'intuition, la connexion intérieure de l'âme avec la nature et le cosmos).

C'est là que le mythe des 7 Pléiades renferme son profond secret - dans l'élévation de la conscience initiale d'"Alcione" à la supra-conscience ou esprit cosmique de "Maya". Maya (à ne pas confondre avec l'illusion de la "Matrice" de la mythologie indienne) mère de Mercure - le pont entre le Divin et le Titanique - le messager des Dieux, le chef d'orchestre - "Psychopomp" des âmes - qui guide les êtres intérieurs les plus ouverts à la connaissance. L'être transformé, porteur de la connaissance divine.

C'est là que la philosophie, en tant qu'amour de la sagesse et investigation de la dimension essentielle et ontologique du monde réel, prend son sens le plus profond. Avec ses différentes écoles anciennes (platonisme, aristotélisme, stoïcisme, épicurisme, scepticisme...) et modernes (rationalisme, empirisme et idéalisme) qui tentent d'utiliser cette énergie vitale en faveur d'une conscience vitale capable de donner un sens au monde qui nous entoure. Organiser la pensée humaine dans la période historique qui lui correspond.

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Et tout ce corpus philosophique occidental et oriental, qu'il soit chinois (confucianisme, taoïsme, pensée ying-yang...), persan (Zoroastre, les Lumières de Sohrawardi, ou le mouvement chiite iranien - qui porte en lui des idées grecques, gnostiques et persanes) ou encore l'héritage indien déjà cité, le bouddhisme tibétain ou le bouddhisme zen... Ils font partie d'un moment historique spécifique, également façonné par la prédominance d'une certaine période politique et sociale et d'un modèle économique, qui à son tour façonne également la vision intérieure et extérieure du monde. Mais sans jamais abandonner, dans son essence, la racine transformatrice - la transmutation initiale - à la recherche de l'évolution individuelle et collective.

Des périodes qui commencent toujours par l'évolution (ouverture de la spirale de croissance - expansion) et qui connaissent leur apogée dans l'involution (contraction de cette spirale - décadence - diminution).

C'est également le cas aujourd'hui avec le pouvoir du capital mercantile - financier. Sommes-nous dans une contraction de ce modèle économique, politique et social mené par l'Occident ? Sommes-nous dans une spirale inversée qui rend le système politique, économique, social, culturel et civilisationnel actuel involutif ?

Le capital comme anti-évolution

Denis Collin, dans son texte "Progressisme et ectogenèse : l'ingénierie des machines appliquée à l'homme", nous met en garde :

"l'une des dimensions essentielles du capital est la marchandisation de l'être humain, sa transformation en marchandise. Le nazisme semblait être l'aboutissement de ce processus de réification : des êtres humains réduits à l'état de cadavres, dont les dents en or étaient réutilisées, en revanche, dans des élevages, il y avait des êtres humains parfaits, ou du moins améliorés (les Lebensborn). Il ne fallait pas beaucoup d'audace pour comprendre que le nazisme n'était pas réactionnaire, mais tout à fait "progressiste". Les nazis ont fait tout cela avec une cruauté et une brutalité que nous trouvons insupportables, et à juste titre".

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Luiz Alberto Moniz Bandeira, pour sa part, dans son livre The World Disorder - The Full Spectre of Domination, nous a donné des aperçus très intéressants sur l'orientation de l'inertie expansive du capital, qui a créé un secteur financier mercantile tout-puissant, toujours en vigueur aujourd'hui, et qui, par logique évolutive, tend vers la marchandisation totale de la société, y compris de l'être humain lui-même. Y compris la psyché humaine? Cela inclut-il également la "noosphère", c'est-à-dire la manière dont les êtres humains sont en relation avec leur environnement? Voici un petit extrait du livre de Bandeira :

"Le nazisme n'était pas un phénomène propre à l'Italie et à l'Allemagne, puisqu'il a menacé et s'est répandu, sous différentes formes, dans d'autres pays d'Europe, tels que le Portugal et l'Espagne, entre les années 1920 et le début de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Ce qui s'est passé dans ces pays est une sorte de ce que Niccolò Machiavelli (1469-1527) a appelé la mutazione dello stato (mutatio rerum, commutatio rei publicae), lorsque la res publica, un État, sous le nom de liberté, s'est transformée en un État tyrannique, avec ou sans violence. Le phénomène politique connu sous le nom de nazifascisme au 20ème siècle a pu et peut se produire dans les États modernes lorsque l'oligarchie et le capital financier ne sont plus en mesure de maintenir l'équilibre de la société par les moyens normaux de répression, couverts par les formes classiques de la légalité démocratique, et prennent des caractéristiques et des couleurs différentes, en fonction des conditions spécifiques de temps et de lieu".

Nous laissant bien conscients, dans les pages de son livre, que toute puissance aspire à un maximum de domination par l'inertie matérielle expansionniste intrinsèque à tout corps en ascension, à moins qu'un contrepoids transcendant, issu de la puissance cognitive de la noosphère supérieure, ne vienne équilibrer ce processus. En nous montrant un épisode historique peu connu où le pouvoir de l'ombre manœuvre contre la démocratie, la montée des peuples vers la connaissance et la nécessité d'ouvrir des voies pour qu'une société plus complète se développe dans "l'entraide".

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Examinons le fait surprenant raconté par Moniz Bandeira :

"Pendant la Grande Dépression, qui a suivi l'effondrement de la bourse de Wall Street en octobre 1929, le vendredi noir, certains groupes financiers et industriels - quelque 24 des familles les plus riches et les plus puissantes des États-Unis, dont Morgan, Robert Sterling Clark, DuPont, Rockefeller, Mellon, J. Howard Pew et Joseph Newton Pew, de la Sun Oil company, Remington, Anaconda, Bethlehem, Goodyear, Bird's Eye, Maxwell House, Heinz Schol et Prescott Bush - ont conspiré. Ils projettent de financer et d'armer des vétérans de l'armée, sous le couvert de la Légion américaine, avec pour mission de marcher sur la Maison Blanche, d'arrêter le président Franklin D. Roosevelt (1933-1945) et de mettre fin aux politiques du New Deal. L'objectif est d'instaurer une dictature fasciste, sur le modèle de l'Italie et de ce qu'Hitler commence alors à construire en Allemagne. Le complot de Wall Street a cependant échoué.

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Le major général Smedley Darlington Butler (1881-1940), que les grands hommes d'affaires ont tenté de coopter, dénonce la conspiration au journaliste Paul French du Philadelphia Record et du New York Evening Post. Et le 20 mars 1934, la Chambre des représentants adopte la résolution 198, 73e Congrès, proposée par John W. McCormack (Massachusetts) et Samuel Dickstein (New York), membres du Parti démocrate, créant la Commission spéciale sur les activités anti-américaines, l'enquête sur les activités de propagande nazie et l'enquête sur certaines autres activités de propagande du Congrès des États-Unis (HUAC)"

La nécessité d'un contrepoint social bien informé, formé et conscient, pour faire contrepoids à un pouvoir corporatif privé ou étatique omniprésent, devient donc plus visible à nos yeux incrédules lorsque les preuves sont très claires, comme dans le cas raconté par Moniz Bandeira. Encore une fois, Denis Collins, dans son article susmentionné, nous met en garde avec force, précisément pour réveiller ce besoin qu'ont les humains les plus rationnellement et spirituellement compétents de prendre position et d'agir:

"Si, en tant que matérialiste convaincu, nous pensons que l'être humain, comme tous les autres êtres vivants, n'est rien d'autre qu'un ensemble de cellules, parmi lesquelles, en particulier, un ensemble très complexe de cellules neuronales, et que, par conséquent, il n'y a rien de particulièrement "sacré" dans l'être humain, rien qui le rende intouchable, comme nous améliorons nos voitures et nos robots domestiques, pourquoi ne pas améliorer l'être humain et le rendre plus "performant"?".

71BjqUAFGpL.jpgLa philosophie transhumaniste de Yuval Noah Harari (qui est l'un des fondements de la pensée progressiste de ce pouvoir capitaliste transnational et mondialiste) reflète en partie cette conception de l'être humain comme une machine à transformer.

Ainsi, pour le pouvoir financier corporatif progressiste qui dirige l'Occident, un chemin d'évolution rationnel et non spirituel est nécessaire afin que la société qui l'affronte et travaille en faveur du changement vers un nouveau cycle de pouvoir civique n'ait pas de référents ontologiques, mais des informations centrées sur l'activité et l'accomplissement matériel de la vie.

Ce pouvoir financier a besoin d'une société domestiquée axée sur la raison de la recherche de la subsistance.  Au lieu d'une nouvelle voie universelle plus traditionaliste (enracinée dans les savoirs anciens de chaque peuple) et donc spirituelle et transcendante. Une voie transcendante qui, auparavant (pour nos grands-parents plus éveillés au côté religieux et plus ancrés dans la connexion avec la nature), était nécessaire à l'évolution et à la coexistence de la société. Nos anciens, nos grands-parents, étaient plus intégrés dans le concept étymologique de la religion, son aspect de reconnexion et de révélation - plus présent dans la religion bien avant le concept sacré de la nature.

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Un concept transcendant qui peut continuer à être nécessaire aujourd'hui pour faire face à cette tentative de domestiquer les êtres humains au capital transnational et à sa dynamique : accommoder les êtres humains à une réalité de dépendance totale aux chaînes de production, contrôlées par des sociétés multinationales et des fonds d'investissement. Des entités sans soi, contrôlant les sources, la distribution et l'expédition des différentes énergies qui alimentent le système, jusqu'à monopoliser les chaînes de l'alimentation, de l'habillement et même de l'éducation, de la santé et des loisirs. Le danger de soumettre l'être humain rationnel - transcendantal - à une entité juridique déjà liée à l'intelligence artificielle - intrascendantale - du raisonnement algorithmique séquentiel.

C'est un danger pour le même concept d'asservissement de l'humanité - en optant pour un contrôle de la psyché humaine qui est beaucoup plus subtil que l'esclavage physique.

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Le concept d'"égrégore" étudié par Carl G. Jung, appliqué à l'"anneau" de contrôle civilisationnel d'une période historique donnée - d'un territoire d'influence donné d'un certain empire - est crucial pour comprendre comment une communauté, une nation, un État ou un empire est dominé. Comme "l'égrégore actuel" du christianisme - en voie de dissolution et de naissance d'un nouvel égrégore, celui qui commande encore l'Occident, et impose donc sa vision du monde à l'humanité (par le processus de globalisation ou d'américanisation - homologation - unification à une idée spécifique du monde occidental, en l'occurrence).

Cet égrégore, désormais usé, doit muter en un nouvel égrégore, comme une tentative de contrôle global - Cette construction du nouvel égrégore, qui commandera l'avenir de l'humanité, et celui qui met en conflit l'Unipolarité occidentale avec la Multipolarité du soi-disant "Sud global" (l'Eurasie étant son représentant le plus combatif et le plus puissant dans la confrontation).

Ainsi, comme nous l'avons dit dans d'autres articles, le nouvel égrégore (la matrice ontologique qui commande un processus civilisateur) en cours dans l'œcuménisme doit décider s'il mise sur l'œcuménisme rationaliste de l'Occident ou sur l'œcuménisme eschatologique spiritualiste de l'Orient.

Il s'agit là du noyau central de la grande dispute pour l'hégémonie mondiale entre la puissance occidentale anglo-saxonne (en contraction mais qui conserve sa suprématie) et la nouvelle puissance eurasienne (en pleine ascension mais qui construit encore son organigramme multipolaire alternatif en contrepoint).

L'"homme nouveau" (homo economicus) amoral et unidimensionnel du néolibéralisme s'oppose à l'être humain que le marxisme envisage, doté d'une conscience sociale, d'un haut degré d'humanisme et d'une compréhension des processus historiques, dans lesquels les critères individuels et collectifs peuvent coexister harmonieusement", affirme Daniel Vaz de Carvalho, dans son article du 12-09-2023 intitulé "Quatre leçons de la "démocratie libérale"" ; en nous faisant comprendre pourquoi cet homme nouveau marxiste peut s'enraciner avec l'homme traditionaliste auquel aspire René Guénon et, comme l'observe Serguei Glaziev (photo, ci-dessous), "l'unique voie vers un nouveau modèle économique": la seule voie vers un nouveau modèle économique passe par le socialisme chinois; les deux travaillent dans ce nouvel homme spirituel et social du 21ème siècle, qui tend à former la nouvelle matrice - l'égrégore traditionnel spiritualiste de l'Orient (si son modèle finit par se tronquer) dans une confrontation de plus en plus ouverte avec l'égrégore matérialiste évolutionniste de l'Occident.

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Deux forces opposées

Nous sommes face à un changement non seulement géopolitique, mais aussi civilisationnel, dans le cadre de la recherche de la maîtrise du nouvel "Imaginaire Collectif Global" - le Nouvel Egrégore Oecuménique (en remplacement de l'Egrégore qui, jusqu'à aujourd'hui, commandait l'Occident et donc influençait l'ensemble de l'humanité). En principe, cet œcuménisme dépasse les églises chrétiennes et englobe l'union future de l'islam, du judaïsme et du christianisme susmentionné. Tout ce processus s'inscrit dans un changement de cycle du pouvoir mercantile (devenu néo-féodalisme financier, tel que conceptualisé par Michael Hudson - et transhumaniste, comme nous en avertit Collins) en faveur d'un nouveau cycle de pouvoir civique.

Et ce grand "carrefour" derrière notre évolution quotidienne "normale" crée beaucoup de confusion, faute de repères solides sur la direction que prend le monde.

Deux modèles politiques sont à l'œuvre : l'Occident progressiste, qui se dirige vers un fascisme d'entreprise, camouflé en "capitalisme inclusif" (dans le cadre de l'agenda 2030 et de son agenda woke) ; et l'Orient autocratique étatiste - social ou socialiste, conservateur (avec son agenda traditionaliste et anti-trashumaniste, qui remet aujourd'hui en question l'agenda 2030, sur lequel le consensus a déjà volé en éclats).

Ce fascisme d'entreprise, de nombreux analystes le qualifient aujourd'hui de supposées "Démocraties absolues", qui s'opposeraient aux actuelles et supposées "Autocraties de l'Est" qui luttent pourtant pour un monde multipolaire et des prises de décisions internationales plus "démocratiques". Des dynamiques contradictoires qui perturbent encore plus la vision d'ensemble.

Dans cette nouvelle situation - qui fait ses premiers pas - la dichotomie gauche/droite se dilue : elle ne peut expliquer la nouvelle réalité...

Dans la nouvelle dichotomie du mondialisme occidental - le monde multipolaire du "Sud global" (commandement économique par la Chine, commandement militaire par la Russie), l'Eurasie (de l'île mondiale de Mackinder) se situe comme le nouveau centre géographique à disputer, ainsi que sa croissance économique qui colonise le monde...

Cette "île mondiale", où le pouvoir occidental thalassocratique affronte le pouvoir oriental tellurocratique, est-elle en train de redevenir d'actualité ?

Les États-Unis eux-mêmes ont déjà déclaré que le centre économique et civilisationnel se déplace de l'Ouest vers l'Est.  Le point de vue de Mackinder, selon lequel celui qui contrôle l'"île-continent" contrôle le monde, continue-t-il de façonner les processus géopolitiques ?

C'est pourquoi la lutte contre la Russie (il suffit de regarder une carte géographique) devient une priorité, puis la soumission de la Chine est une évidence, car l'Iran se retrouverait sans défense.

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Le PNAC (Project for the New American Century) formulé par les néo-conservateurs dans les années 1990, destiné à maintenir la suprématie, parlait déjà de cette priorité ; il s'agissait à l'époque de contrôler totalement le Moyen-Orient. Le plan a ensuite été retiré en raison d'un échec militaire.

L'administration Obama/Biden a ensuite tenté de faire pivoter sa politique étrangère en élaborant le projet Pacific Pivot, avec l'intention de concentrer ses forces en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique afin de contenir la Chine. En laissant le Moyen-Orient "brûler" pour éviter de consolider les routes de la soie chinoises.

À l'heure actuelle, la chute de la Russie permettrait de faire les deux: contenir la croissance de la Chine en Asie et briser l'alliance énergétique russe et le commerce chinois avec l'Europe. Mais pour l'instant, cette entreprise ne porte pas ses fruits en Ukraine.

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Avec la création du Quad (partenariat de sécurité quadrilatéral entre les États-Unis, l'Inde, l'Australie et le Japon) et d'Aukus (alliance entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie pour la coopération technologique et militaire), l'endiguement de la Chine dans la région indo-pacifique devient, avec l'affaiblissement de la Russie, comme nous l'avons déjà mentionné, la nouvelle doctrine géostratégique des États-Unis - leur nouvelle realpolitik. Une doctrine qui, par inertie, place l'Europe à la périphérie.

Dans cette nouvelle conjoncture, la vieille analyse (typique de la guerre froide) de la polarité gauche ou droite ne peut fournir aucune réponse viable pour comprendre la réalité en cours. Une réalité plurielle, diverse, non cohésive et parfois même chaotique... D'où la perte de la gauche woke et la désorientation de l'extrême droite européenne. Une droite très conservatrice, en théorie altermondialiste, mais en pratique pro-OTAN atlantiste - bras armé du mondialisme - et économiquement néo-libérale, incompatible avec un Etat minimum garant de la souveraineté...

La droite et la gauche européennes sont toutes deux des individualistes, nihilistes, favorables au pouvoir privé qui diminue l'État, tandis que la droite et la gauche souverainistes du Sud sont devenues étatistes par nécessité de confronter le néocolonialisme occidental des entreprises privées à un pouvoir fort et centralisé. C'est pourquoi des gens comme le président du Salvador, Nahib Bukele (photo, ci-dessous), s'allient à la Chine et se déclarent socialistes avec des valeurs conservatrices...

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Ici, la gauche et la droite européennes perdent leurs références, évitant de se prononcer clairement sur le sujet. Mais même dans le sud de l'Amérique, une nouvelle gauche et une nouvelle droite (qui forment l'axe de la Nouvelle Résistance) commencent à tisser des alliances anti-nord-américaines en faveur d'un État social, s'unissant en faveur de la souveraineté et en confrontation avec le pouvoir privé corporatif anglo-saxon (perçu comme le plus grand ennemi).

C'est pourquoi l'axe de la nouvelle résistance au pouvoir mondial occidental est actuellement si divers et contradictoire. Ses visages les plus visibles sont ceux des dirigeants des pays tels : la Russie - la Chine - l'Iran - la Corée du Nord - le Venezuela - le Salvador - et l'Afrique "francophone" dans une guerre de libéralisation - de ce qu'ils appellent le joug néocolonial; avec l'Algérie affrontant le Maroc pro-US - et maintenant le Nigeria (pro-occidental) essayant de soumettre le Niger (pro-russe)...

Les rues du Sénégal brûlent, le Mali et le Burkina Faso abandonnent la tutelle française. Le Gabon ne sait pas quelle direction il va prendre... Le cri de l'Afrique est contre l'Occident et en faveur du nouveau centre eurasien; tandis qu'en Europe de l'Est, de la fin des années 1990 à l'inverse, les populations se sont soulevées contre le pouvoir soviétique - lors des soi-disant révolutions de couleur (soutenues par le pouvoir néo-conservateur occidental "progressiste", qui a occupé les espaces laissés par le pouvoir soviétique traditionaliste, perçu comme inefficace)...

L'arrivée au pouvoir de ces néo-conservateurs (néo-conservateurs "straussiens") aux États-Unis, qui ont pris le contrôle des partis démocrate et républicain, aide à comprendre ce phénomène. Aujourd'hui, Blinken, James Sullivan et Victoria Nuland font tous partie de cette école du philosophe Leo Strauss.

Seuls Robert F. Kennedy Jr. (militant contre le vaccin anti-Covid) du côté démocrate et Donald Trump (lié au mouvement Qanon) du côté républicain - tous deux associés à d'étranges théories du complot - échappent au contrôle des néoconservateurs aux États-Unis. Trump étant apparemment écarté de la course à la présidence et Kennedy Jr n'ayant pas beaucoup de chances, il n'est pas difficile d'imaginer que la démocratie américaine n'a que très peu de pluralité dans la pratique. Elle n'est plus vraiment représentative car elle ne couvre pas l'ensemble de la société (que ses propositions nous plaisent ou non).

A son tour, elle ressemble à l'Empire occidental qui a atteint sa limite économique dans l'effondrement systémique de 2007-2008 et qui atteint peut-être aujourd'hui sa limite d'expansion territoriale (puissance de l'OTAN) en Ukraine...

Les précédents de son lent déclin sont le retrait de l'armée américaine d'Afghanistan, l'atout de l'Iran au Yémen et l'atout de la Russie en Syrie. Le tournant en faveur d'une nouvelle puissance militaire russe capable de faire face à l'Occident s'est peut-être produit lors de la crise de l'Abkhazie contre la Géorgie (en août 2008), qui a entraîné une nouvelle délimitation de la pression exercée par l'OTAN sur la Fédération de Russie aux frontières du Caucase. Depuis lors et jusqu'à la crise actuelle au Kazakhstan et en Arménie dans le Haut-Karabakh, la Russie est devenue un nouvel acteur international. Aidée par l'échec de la Turquie, qui a été livrée à la puissance financière occidentale (qui contrôle désormais sa banque centrale) - morte ou retardée à l'idée de devenir une puissance régionale turque selon Erdogan, mais ayant besoin d'un certain accord avec Moscou, afin de ne pas se diluer complètement (en tant qu'acteur régional).

Une nouvelle situation dans le corridor Heartland de Mackinder, qui doit faire partie de la guerre américaine (non plus offensive, mais défensive) dans tout l'Est, afin d'empêcher la consolidation des Routes de la Soie chinoises...

Des visions divergentes

Empêcher que la crise générale ne devienne une guerre mondiale hybride - qui pourrait se transformer en guerre mondiale ouverte, avec un danger thermo-nucléaire - est la question la plus difficile. En effet, les visions des deux modèles concurrents (occidental déjà esquissé, oriental encore en formation) sont résolument discordantes.

En gardant à l'esprit la déclaration du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov : "Accompagner les malades en phase terminale jusqu'à leur mort, en évitant de les piéger" semble être la solution de l'alliance orientale russo-chinoise-iranienne, qui consiste à repousser l'Occident, à diminuer sa force. D'où le processus de dédollarisation de l'ASEAN et des BRICS.  La nouvelle puissance orientale occupera alors les espaces laissés vides par le recul de la puissance américaine, toujours en vigueur. Elle évitera ainsi une guerre directe.

Ce rétrécissement occidental et cette tentative d'expansion eurasienne créent de nombreuses franges de friction dans le monde, et pourraient même affecter l'Amérique du Sud, avec des conflits ouverts au Pérou (qui complique aujourd'hui la situation en Amazonie brésilienne - avec des troupes américaines du côté péruvien) ; en Argentine, où le néolibéral Milei promet de cesser sa coopération avec la Chine et de quitter le Mercosur ou d'adopter le dollar comme monnaie de référence de la nation...

En pratique, il s'agit de céder le peu de souveraineté qu'il reste au pouvoir des entreprises occidentales, où des agences comme Black Rock font du bon travail en faveur du capital financier transnational privé. Black Rock est en train de réorienter ses achats dans la zone BRICS.  Ou encore au Venezuela, ruiné dans sa tentative de disputer aux deux blocs le contrôle de ses richesses minières et pétrolières.

Jusqu'à présent, le pouvoir des sanctions occidentales, qui a fonctionné comme une bombe atomique sur les économies défiantes, ruinant ceux qui osaient contredire la dynamique du capital mondial, n'a pas fonctionné sur la Russie. Et ces manœuvres russes sous le tapis, contournant SWIFT qui contrôle près de 11.000 banques dans plus de 200 pays, ont ouvert une fenêtre d'espoir pour ceux qui veulent soustraire leurs pays au contrôle occidental de leurs ressources naturelles, de leurs monnaies et de leurs économies. Même en comptant sur l'aide militaire russe et l'aide économique chinoise.

L'idée occidentale de tomber dans les griffes d'une puissance beaucoup plus oppressive (la Russie ou la Chine non démocratiques) n'a pas changé la dynamique de la confrontation et les tentatives de libérer le "Sud global" de ce contrôle unilatéral de l'Occident.

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Aujourd'hui, la contestation s'étend à l'ensemble de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine. Cela crée un scénario de déstabilisation très inquiétant : trop de frictions déclenchent des affrontements généralisés, qui peuvent même dégénérer.

Puisque la puissance financière occidentale contrôle le faux conservatisme néolibéral et, à son tour, la nouvelle gauche "progressiste antistalinienne" qui a remplacé la théorie de la "révolution permanente" progressiste de Trotsky par l'uniformité culturelle mondialiste de l'agenda Woke. Un programme qui, curieusement, appelle à la diversité, mais qui unifie globalement en donnant du pouvoir à un être humain déraciné: sans ethnie, clan ou lignée. D'où la confrontation avec l'Orient, où la vision de la lignée, de l'ethnie et de la tradition fait partie de la racine de leur imagination individuelle et collective.

Cette puissance financière occidentale néo-féodale, dans l'ombre, contrôle l'agenda de la droite néo-libérale. Un programme qui affaiblit l'ancien État-nation en faveur des puissances transnationales: des institutions corporatives qui, dans la pratique, dévorent toute la souveraineté politique et économique de n'importe quel pays. Tandis que la gauche (ce même pouvoir) domine des programmes tels que le programme transnational Woke, qui, dans la pratique, supprime toutes les racines culturelles susceptibles de garantir à un peuple un sentiment d'appartenance commun.  Dans la pratique, cela affaiblit l'État et la nation en faveur d'un modèle culturel qui favorise le développement de pouvoirs supra-étatiques et supra-nationaux.

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René Guénon, qui (comme nous l'avons déjà mentionné) a planté la graine philosophique et même "ésotérique" du traditionalisme moderne - et la racine commune de toutes les traditions (dans son ouvrage de 1927 "La crise du monde moderne"), revient enfin dans l'actualité.

Guénon avertissait qu'à côté de la nécessité pour chaque tradition d'être enracinée dans son peuple, il y avait l'essence commune du transcendantal - du spirituel, qui fait évoluer l'être humain en harmonie avec lui-même et avec la nature. Dans une certaine mesure, cette pensée est aujourd'hui ressuscitée par l'Orient dans ses versions orthodoxe - russe, taoïste - confucéenne chinoise - chiite iranienne, et maintenant avec la convergence de la tradition sunnite de Mohamed Bin Salman en Arabie saoudite.

Tandis que la Chine tente d'ouvrir des ponts entre l'Iran et l'Arabie pour éviter la rupture de ce projet de nouvel édifice civilisationnel, dont le commerce est pour Pékin l'une des priorités et l'un des liens les plus fédérateurs...

Pour l'instant, en Occident, les puissances financières libérales, se relayant au gouvernement, à droite comme à gauche, introduisent et normalisent (pas à pas) l'agenda économique et politique transnational et l'agenda culturel mondialiste. L'Orient ne semble pas du tout à l'aise avec cette inertie, que l'Occident tente de mondialiser - et ce n'est qu'en regardant les choses de cette manière que nous pouvons comprendre le tournant de la péninsule arabique (un allié fidèle des États-Unis) au-delà de ses différends en matière d'hydrocarbures.

C'est pourquoi, à ce stade, la difficulté de comprendre la mondialisation de cette nouvelle gauche progressiste occidentale est évidente. En même temps, sa perte de terrain est due précisément à la crise économique, qui a commencé avec le renversement du système de domination anglo-saxon lorsque son poumon, Wall Street, a éclaté en 2007-2008.

Dans ce contexte de crise, la gauche peut perdre une grande partie de son soutien politique. En temps de crise, de bouleversements systémiques et de "confrontation imminente", le capital a besoin de se tourner vers le côté le plus rigoureux et le plus inflexible mentalement, en laissant de côté le côté le plus émotionnel et le plus flexible.

Cette puissance financière internationale va lentement donner tout l'espace politique et médiatique à la droite et au discours néo-fasciste afin d'orienter "l'ordre social" et d'éviter les réactions excessives de mécontentement. Imposer un ordre favorable à son agenda mercantile - financier - transactionnel. Avec la destruction progressive de l'Etat et de la souveraineté nationale déjà très fragile.

Puis, une fois la crise enclenchée, elle a donné la priorité à la gauche et à sa vision plus "intégrative".  Cette nouvelle droite néo-fasciste rompt avec certaines parties du discours Woke et maintient un conservatisme qui n'est plus traditionaliste. Mais son agenda économique néolibéral offre un accommodement momentané au pouvoir mondialiste, qui utilise sa force belliciste - en cas de confrontation généralisée. Prenez l'exemple du gouvernement polonais, très actif dans la confrontation avec la Russie, ou de l'Italie de Meloni, également très active dans son programme militariste en faveur de l'OTAN.

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Un cas différent est celui du gouvernement Orbán en Hongrie, qui ouvre une brèche dans cette nouvelle aile droite. Ce type de droite, ainsi qu'une gauche plus réticente à l'égard de l'agenda Woke, est ce qui tente de rassembler Serguei Glaziev dans son idée de nouveaux mouvements "socialistes populistes" européens (beaucoup plus favorables à l'accommodement de l'Union européenne avec la Russie), qui, dans l'Europe d'aujourd'hui, sont considérés comme la cinquième colonne du Kremlin.

Glaziev, s'inspirant des théories de Douguine, veut nourrir une alliance rouge-brune sur la voie d'un nouveau modèle socialiste - défini comme un pouvoir étatique en confrontation avec le pouvoir privé des entreprises transnationales.

Du côté lumineux, ce pouvoir devrait utiliser l'État pour servir le peuple, en dirigeant l'économie et la politique, avec l'aide de capitaux privés, dans le cadre de partenariats concrets d'intérêt mutuel. Du côté obscur, cet État se transformerait en un modèle bureaucratique typique, essayant d'occuper tous les espaces sociaux (un modèle qui a déjà prouvé sa faillite).

Sans titre.jpgDans ses écrits, Glaziev se concentre sur l'expérience soviétique : ses erreurs (trop de contrôle étatique et social, manque d'initiative privée et absence de contrepoids spirituel) et ses réussites (traditionalisme, primauté du collectif sur l'individuel et accès des citoyens à la formation académique et aux garanties d'emploi).

L'idée du nouveau modèle des vertus soviétiques, des vertus de l'initiative privée et des vertus du traditionalisme existentialiste (qui puise aux sources de René Guénon, de Charles Maurras, du moralisme d'Ernest Renan et de l'héritage russe de la Génération dite de l'Âge d'Argent) devrait être le point de départ d'une nouvelle orientation étatique plus souple et mieux adaptée aux sociétés. Ce nouveau gouvernement aurait ainsi plus de possibilités de résoudre les problèmes actuels et ceux de l'avenir. Il devrait être basé à l'Est - comme champ prioritaire d'expérimentation des changements, et pénétrer ensuite à l'Ouest, de la main de la nouvelle résistance - qui deviendrait alors l'avant-garde.

Une nouvelle vision du monde dont le modèle chinois d'efficacité basé sur le pragmatisme et la créativité, au-delà des dogmes idéologiques, est l'un des piliers directeurs. L'activation d'un pouvoir étatique modérateur et non interventionniste.

Glaziev estime que cet "État modérateur" est le seul catalyseur capable d'apporter des réponses à des problèmes anciens et non résolus, et qu'il est mieux à même de prendre les rênes à l'heure des nouveaux défis, dont beaucoup sont aujourd'hui dangereux pour l'humanité. Pour lui, le pouvoir financier privé a atteint sa limite historique et est hors du temps (puisqu'il est incapable de résoudre les problèmes actuels, tout en accumulant les problèmes du passé, selon Glaziev, générés par l'"inopérabilité" typique de la décadence).

Mais comme ce pouvoir de l'Entreprise privée (toujours dominant) refuse de céder la place au nouveau pouvoir d'Etat du nouveau Socialisme "traditionaliste" en cours - le choc entre les deux modèles serait, du point de vue de plusieurs auteurs de l'Est et du Sud globaux, inévitable. Ce concept a déjà été présenté par Serguei Glaziev dans son livre "The Last World War : USA starts and loses". Ici, le modèle chinois est une fois de plus central et pertinent.

Tels des ingénieurs concevant une nouvelle machine, les dirigeants chinois travaillent constamment à de nouvelles relations de production en résolvant des problèmes concrets, en menant des expériences et en sélectionnant les meilleures solutions. Ils construisent patiemment leur socialisme de marché, étape par étape, en améliorant constamment le système d'administration de l'État, en sélectionnant uniquement les institutions qui œuvrent au développement de l'économie et du bien-être social".

Dans son ouvrage précité, Glaziev souligne que le modèle chinois est en fait déjà en train de se confronter au modèle américain :

"La réactivation de la planification du développement économique et social et la régulation par l'État des principaux paramètres de la reproduction du capital, la politique d'action industrielle proactive, le contrôle des flux de capitaux transfrontaliers et les restrictions monétaires pourraient cesser d'être un menu interdit par les institutions financières de Washington et devenir les outils généralement acceptés des relations économiques internationales. Pour faire contrepoids au consensus de Washington, plusieurs universitaires ont commencé à parler du consensus de Pékin, qui est beaucoup plus attrayant pour les pays en développement, où vit la majeure partie de la population de l'humanité"

Confrontation - assumer le rôle initial de la guerre hybride

Dans ce nouveau concept, l'État souverain serait le seul véritable acteur capable d'affronter le pouvoir transactionnel privé. Sur le plan économique, l'État ne commanderait pas, mais chercherait à rapprocher les mondes scientifique, technologique et entrepreneurial. Et sur le plan social, en tant que redistributeur de revenus, pour éviter l'accumulation excessive au sommet de la pyramide.

En opposition au modèle privé, où l'État devrait perdre cette fonction, laissant le marché libre créer les mécanismes d'homéostasie sociale et de partenariat économique.

Le problème est que ces visions opposées ne laissent pas beaucoup de place à l'accord, ce qui rend le risque de combat - de guerre - dangereux. Et seule la crainte d'une guerre thermo-nucléaire de la part des deux belligérants a minimisé les pulsions les plus belliqueuses. La transformation de la guerre totale en guerres partielles hybrides : elles se répandent à travers le monde, avec le Yémen et l'Ukraine en première ligne.

La guerre hybride signale le début d'une guerre plus ouverte et globale, au cas où les franges de friction augmenteraient et la course aux territoires et aux ressources: terres rares, centres technologiques (comme Taïwan), régions productrices d'énergie et leurs corridors (comme le Sahel africain)... Afin de parvenir à un accord fructueux pour les deux parties, la seule voie possible serait celle des diviseurs territoriaux, qui pourraient commencer par le Dniepr en Ukraine, si la guerre s'arrête enfin. Cela ouvrirait la voie à une nouvelle étape: un mur de séparation qui serait érigé au fil du temps.

Cette division par la force devrait générer une division dans la Noosphère - et, à l'heure de la communication globale, c'est difficile à accepter, sans une usure préalable forte et prolongée de part et d'autre.

Les nouveaux parallèles et méridiens, là où l'Occident et l'Eurasie ont commencé à diviser le pouvoir privé et étatique, laissent des puissances régionales (mais avec la capacité de décider sur des questions globales) comme l'Arabie Saoudite, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud comme des ponts de compréhension - des centres plus neutres - entre les parties ; si ces pays savent jouer le jeu d'une certaine neutralité.

Dans le cas de l'Arabie saoudite, de l'Inde et de l'Afrique du Sud, l'agenda traditionaliste est très apprécié (voir Narendra Modi appelant l'Inde Bharat lors du sommet du G20), de même que le pouvoir de l'État, mais ils ont tendance à coopérer avec le pouvoir privé transnational occidental, ainsi qu'avec le pouvoir étatique et privé chinois et russe.

Déclin de la valeur individualiste nihiliste - nouvel humanisme ?

Il sera nécessaire d'être attentif aux nouveaux développements, tant dans le domaine scientifique que philosophique ; comme l'indique le philosophe français Denis Collins dans l'ouvrage susmentionné, "il faut le répéter : le projet d'un nouvel humanisme n'est pas qu'un projet de société, mais aussi un projet de civilisation :

"Il faut le répéter : le projet d'ectogenèse est, dans son essence, un projet malthusianiste, c'est une nouvelle forme d'apothéose du capital. La dénaturation radicale de l'homme est sa désubjectivisation et sa transformation en matière première pour les machines ou en cyborg. Les délires de Marcela Iacub, Thierry Hoquet et Donna Haraway ne sont pas seulement des délires. D'une part, ce sont des délirants qui occupent des postes académiques importants et, d'autre part, ces "délires" sont l'expression de la rationalité du mode de production capitaliste qui, dans son mouvement incessant, ne doit rien laisser de sacré (...). Si nous croyons que les idées philosophiques sont aussi un champ de bataille (Kampfplatz, comme disait Kant), alors nous devons mener une critique exhaustive, systématique et raisonnée du progressisme et de ses fondements insidieux, dont le positivisme. Dans cette bataille, les humanistes, ceux qui croient que l'homme est un Dieu pour l'homme, comme le disait Spinoza, se retrouveront du même côté de la tranchée, face à ces matérialistes de pacotille et à leurs amis déconstructivistes".

Après cette discussion philosophique, nous pouvons constater que le pouvoir occidental a atteint sa limite d'expansion et que ses précieuses réalisations rationalistes, qui ont transcendé l'impulsion spirituelle de la Renaissance, au siècle des Lumières, en raison de la nécessité d'activer le pouvoir rationnel de l'être humain contre la superstition irrationnelle, ont atteint leur moment d'entropie - à la fin du 20ème siècle (où le nihilisme individualiste a pris forme). Ce nihilisme ne permettait pas une vision plus large et plus transcendante. En pratique, il a empêché la philosophie rationnelle de renouer avec la source spirituelle dont elle émane. Cependant, de nombreux hommes de science et de lettres pensent qu'il est nécessaire de déconnecter les deux : laisser le transcendant de la rationalité ouvrir les stimuli du chemin évolutif, en laissant le transcendant spirituel en dehors de l'équation qui programmera la future "société idéale".

Nous voyons ainsi, en suivant cet élan progressiste stellaire, comment le philosophe israélien Yuval Noah Harari ouvre la possibilité que les êtres humains génétiquement améliorés, grâce aux progrès scientifiques et technologiques, deviennent le centre d'intérêt de la nouvelle pensée. La possibilité de manipuler nos esprits et nos corps grâce à ces avancées, d'améliorer l'espèce jusqu'à la transcender. Un progressisme technologique très favorable à la vision rationaliste occidentale de l'être humain comme un "être organique" à améliorer. Jusqu'à ce que nous atteignions le transhumain - par libre choix évolutif.

Des déclarations telles que : "La nouvelle base est le flux de données dans le monde, au point de changer même la compréhension de ce qu'est un organisme, de ce qu'est un être humain ; l'être humain n'est plus ce moi magique, autonome, avec un libre arbitre et capable de prendre des décisions sur le monde. Désormais, l'être humain, comme tous les autres organismes, n'est rien d'autre qu'un système de traitement de l'information qui circule sans cesse". Harari se situe dans le champ rationaliste mécaniste et matérialiste dans lequel s'inscrit le processus historique d'évolution de l'Occident, mais il est très éloigné des conceptions historiques et dynamiques héritées de l'Orient et qui y prévalent encore. C'est pourquoi le fossé tend à se creuser au fil du temps.

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Des thèmes tels que l'identité sexuelle, qui semblent si attrayants pour Harari, sont considérés comme un signe de l'entropie sociale occidentale en Orient. "Je suis en train de lire un livre qui traite des nouvelles théories sur les personnes transgenres, les personnes non binaires et tout le reste. Le livre que j'ai lu juste avant portait sur les débuts du christianisme. Je suis frappée par la similitude des deux sujets. Une grande partie du débat actuel sur le genre ressemble étrangement à ce que les premiers chrétiens discutaient de la nature de Jésus-Christ et de la Trinité. Leur question était, en substance, de savoir si Jésus-Christ était une personne non binaire. Jésus-Christ était-il divin, humain, ou divin et humain, ou ni divin ni humain? J'y vois des échos de nombreux débats actuels sur la nature de l'être humain et de la personne. Pouvons-nous être l'un et l'autre? Pouvons-nous seulement en être un? Et si l'autre personne ne pense pas comme moi, alors c'est un hérétique. En réalité, les héros des premiers chrétiens étaient des martyrs et des moines ascétiques, comme le célèbre Simon, qui a passé des années au sommet d'une colonne. Ils ont exploré les limites du corps humain avec les moyens dont ils disposaient. Aujourd'hui, avec les questions de genre, nous posons davantage de questions sur ce que nous pouvons faire de notre corps, si nous pouvons le modifier de telle ou telle manière". Cette réflexion de Yuval Harari est dépourvue de toute signification ontologique pour la pensée fondamentale de l'Orient.

Une tendance progressive vers une approche rationnelle supprime en quelque sorte l'intervention du surhomme "transcendantal" (que les Orientaux affectionnent tant) dans les processus naturels et le sens de la vie. Ce faisant, l'Orient élimine la raison de l'esprit.

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Même si des groupes comme Eranos, dans leur travail conscient, ont ouvert le chemin de l'unité entre la science et la spiritualité depuis l'Europe du progrès, il semble (parce qu'il n'y a pas un virage très profond en Occident) que cette nouvelle feuille de route sera utilisée par le nouveau centre civilisationnel oriental en cours, tandis que l'Occident préfère continuer à plonger dans ce nouveau rationalisme technotronique, à la recherche de cette société dont l'ancien conseiller des présidents américains Carter et Clinton, Zbigniew Brzezinski, a rêvé un jour.

Cependant, à l'époque, Brzezinski comptait sur la puissance militaire, économique et culturelle unilatérale et unique de l'Occident, incarnée par la suprématie totale des États-Unis, comme il l'a montré lors de la présentation de son livre "La grande partie d'échecs" au jeune Alexandre Douguine. Le jeune philosophe russe de l'époque a dû regarder avec stupéfaction le jeu théorique à deux (les échecs) se transformer en un jeu où un seul joueur déplace les pièces de part et d'autre de l'échiquier.

Cependant, depuis la crise systématique de 2007-2008, ce pouvoir total a commencé à décliner et est aujourd'hui très contesté.

L'Est s'organise à l'opposé de cette vision de la "destinée manifeste" unipolaire (qui puise aux sources universalistes médiévales du Pape Sylvestre II et du Seigneur du Saint Empire Othon III - planificateurs d'une puissance mondiale unique). Dans cet affrontement Est-Ouest, la tentative de réaliser un nouveau monde multipolaire naît comme le vecteur d'une nouvelle philosophie humaniste transcendantale. Une philosophie qui organise utopiquement, plus lentement, à l'horizon du futur (à partir du présent ouvrage) l'inévitable communion entre l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine. Dans un lieu où la tradition, la racine collective, est la coupe dans laquelle inclure le progrès technologique et le modèle social de l'État.

Harari ne cache pas son idée d'un être humain en voie d'obsolescence, qui doit se transcender, mais d'une manière qui s'améliore avec les avancées technologiques : "Je pense que la raison pour laquelle les débats sur les personnes transgenres, les personnes non binaires et tout le reste génèrent tant de chaleur est que les gens ont peut-être le sentiment subconscient que les débats de l'avenir porteront sur ce que nous pouvons faire avec le corps et le cerveau humains ; comment nous pouvons les redessiner, comment nous pouvons les modifier. La première réalité pratique que nous rencontrons avec ces questions est celle du genre. On peut dire que les gens sont intolérants et très sensibles lorsqu'il s'agit de sexe et de genre, mais je pense qu'ils savent inconsciemment qu'il s'agit du premier débat sur le transhumanisme. Il s'agit de savoir ce que nous pouvons faire avec la technologie pour transformer le corps, le cerveau et l'esprit des êtres humains. Cette idée transhumaniste est quelque peu inacceptable pour la vision orientale du monde. C'est pourquoi l'Occident est considéré par ses élites culturelles comme décadent.

L'Orient commence donc à assimiler son rôle de modificateur de l'impulsion entropique d'un Occident en chute libre (devenu matériel). Une nouvelle orientation, plus conservatrice, face aux défis environnementaux, scientifiques et technologiques actuels émerge de l'intérieur. Reconnecter les racines des peuples avec les problèmes à résoudre à notre époque et les complexités héritées du passé. Ordonner plus lentement l'impulsion créatrice : s'adapter à ces temps de planification, de la racine commune traditionnelle de la société à l'impulsion impétueuse nécessaire du progrès.

C'est peut-être la mission de l'Orient de guider et celle de l'Occident d'impulser.

Tous deux forment une polarité parfaite, dont nous n'avons pas encore su (par ignorance) tirer suffisamment parti pour créer une plus grande harmonie et une meilleure humanité. Une ignorance collective qui crée la confrontation et favorise la prise de pouvoir d'un pôle sur l'autre, selon le cycle. L'Occident ouvre la voie du progrès - une graine sur le chemin. L'Orient conserve cet élan - il génère le moule pour créer la nouvelle forme. Est-ce là le mystère à découvrir ? L'hémisphère nord plus rigoureux - masculin - la volonté en action ; l'hémisphère sud plus aimant - féminin - la sagesse dans la sauvegarde du concept fonctionnel ? S'agit-il d'un autre mystère, plus grand, qui complète le précédent ?  Nous n'en sommes pas encore sûrs !

La mort comme transcendance - L'immortalité comme transcendance

La tradition orientale et le point de vue traditionaliste occidental (aujourd'hui minoritaire en Occident) considèrent la mort comme quelque chose de transcendant: une chose à laquelle il faut se préparer à l'avance. Avec son côté léger de retour à la "maison du Père" pour les chrétiens ou de retour au "palais du roi" pour les juifs, le retour à l'Orient éternel, avec différentes perceptions allant de la réincarnation et de l'idée de karma à l'évolution et à la transformation naturelles sur différents plans ou à la réunion avec l'essence (du Tao). Mais toutes donnent à la mort un sens profond et mystérieux, comme l'antichambre d'un plan plus transcendantal.

Le progressisme occidental (dominant dans nos sociétés) commence à se concrétiser dans certaines visions philosophiques, comme l'"Accélérationnisme" ; la prise de conscience de la possibilité de transcender la mort elle-même, grâce aux développements scientifiques et technologiques qui ouvrent la porte à ce processus.

1-8.jpgEn 1967, l'écrivain Roger Zelazny a publié "Le seigneur de la lumière". Un roman qui, bien que plongeant dans les traditions hindoues orientales, spéculait sur la possibilité d'une transformation abrupte de la réalité humaine. De nos jours, cette transformation, dans une perspective "accélérationniste", va au-delà du concept de la mort elle-même, de sorte que notre développement puisse enfin la dépasser.

Dans une récente interview, l'ancien ingénieur de Google Ray Kurzweil a déclaré que les êtres humains pourraient atteindre l'immortalité grâce à la profonde révolution de la recherche dans des domaines tels que les nanotechnologies, la génétique et la robotique.

Ce sont précisément les "accélérationnistes" qui pensent qu'il faut donner un coup de pouce au modèle capitaliste mondialisé, notamment dans des domaines tels que l'automatisation, en vue d'une fusion rapide entre l'être humain et l'intelligence artificielle. Cela ne sera possible qu'avec une réduction drastique de l'État et une déréglementation des marchés. C'est le seul moyen d'orienter nos sociétés en crise profonde vers une solution unique, grâce à un saut évolutif qu'elles estiment très précis. Le temps appelle cette direction et, selon cette philosophie, il semble qu'il n'y ait pas d'autre voie. Mais l'Orient a d'autres voies.

Ce sont ces perceptions post-modernes et technocratiques du monde qui blessent l'âme la plus conservatrice de l'Orient. Elles effraient ses dirigeants politiques actuels, ses élites spirituelles et philosophiques et creusent un fossé de plus en plus infranchissable entre les modèles de civilisation oriental et occidental. Un fossé qui divise la vision ontologique des deux mondes. Dans ce partage des eaux, le traditionalisme socialiste, la droite conservatrice traditionnelle, l'"environnementalisme" qui défend les racines des peuples et leur connectivité, et même le nouveau populisme émancipateur africain (dans la lutte contre la néo-colonisation) ont commencé à créer une unité autour de l'ennemi commun, le changement de la géopolitique au niveau mondial. Dépasser la vieille dichotomie gauche-droite. Cet ennemi, c'est précisément le progressisme occidental, qu'ils considèrent comme tellement accéléré qu'il ne peut que conduire à l'autodestruction de l'humanité elle-même.

En Occident, cette lutte à l'Est et dans certaines parties du "Global South" (notamment en Afrique) trouve des alliés dans un traditionalisme européen (en perte de vitesse constante) qui devient en quelque sorte la nouvelle résistance à la dynamique progressiste et mondialiste de l'Occident collectif.

C'est pourquoi il n'est pas étrange de voir de vieux ennemis comme la droite traditionaliste et la gauche traditionaliste unir leurs forces, très lentement, contre un ennemi commun. Nous voyons des opposés avec des discours similaires. Du côté plus alarmiste du conservatisme chrétien traditionaliste, le discours de Monseigneur Viganó est en phase avec celui de l'ancien président chiite de l'Iran, Mahmoud Ahmadinejad. Alors que Viganó voit dans ce progressisme accéléré l'"Antéchrist", Almadinejad y voit le "Nouveau Satan"...

Et ce clivage, même dans ses positions les plus modérées, ne cesse de s'élargir et de déteindre sur tous les domaines de notre réalité sociale.

C'est pourquoi il est impossible, aujourd'hui, de faire un diagnostic correct de notre réalité à partir de la vieille dichotomie conservateurs-progressistes. Sans même essayer de l'assimiler à l'universalisme récurrent qu'est l'isolationnisme.

Étant donné que dans le traditionalisme oriental, qui s'éloigne du progressisme occidental et commence à le combattre, il y a une idée d'universalisme qui va de pair avec la formulation de Guénon d'une essence qui unifie toutes les traditions. Mais il y a aussi la nécessité pour chaque tradition de suivre son propre chemin jusqu'à ce qu'une rencontre fructueuse ait lieu au moment opportun de l'histoire. C'est pourquoi l'Orient considère que l'accélération du processus, le passage d'une tradition à l'autre, ne respecte pas leurs propres cycles naturels de maturation et est donc en soi entropique. Et s'éloigner de cette racine spirituelle commune des peuples (perçue comme transcendante) est totalement inacceptable

Ainsi, dans toute cette confrontation, au milieu de ce carrefour des cycles évolutifs humains - société - révolution scientifico-technologique, se trouve la voie dissidente entre l'"Occident collectif" et l'Est/une partie du "Sud global", conduisant à la détermination d'un nouveau modèle multipolaire, qui se cristallisera progressivement, et qui sera finalement ce qui véhicule ce choc avec le "modèle unilatéral occidental globalisant".

Le nouveau modèle

Curieusement, ce nouveau modèle oriental, étendu au "Global South", tronqué dans ce choc, sera spirituellement le bâtisseur du nouvel égrégore de l'œcuménisme spirituel eschatologique - dans la nouvelle philosophie anti-transhumaniste - au sein d'un nouveau modèle économique politique socialiste conservateur - traditionaliste (avec le soutien du pouvoir privé au service de l'État) - et culturellement anti-Woke.

Même si, dans un premier temps, compte tenu de l'ampleur de la transaction en cours - et des tensions cachées et manifestes - et même en tenant compte de la faible évolution des sociétés actuelles, tout va dans le sens que, même si le modèle oriental est supplanté par le modèle occidental, le pouvoir autocratique se renforcera toujours en temps de crise. Ainsi, on voit comment la Chine du libéralisme philosophique libertaire de Liu Junning s'efface devant le confucianisme autoritaire de Jiang Qing. Alors que son élite dirigeante conserve ses racines taoïstes, dépassant les polarités sociales, mais privilégiant certaines formes de cohésion culturelle, plus d'ordre et de rigueur collective que de libération de l'individu par rapport à la collectivité.

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Mais la flexibilité est également nécessaire à ce pouvoir chinois, car elle est comprise comme la base de tout changement, et le changement est continu. Ainsi, l'élite dirigeante laisse toujours une marge de manœuvre à la base, hors du contrôle du sommet, ce qui donne au peuple le sentiment d'une certaine liberté.

C'est là que réside le succès ou l'échec de la montée du facteur humain en Chine, qui doit accompagner le grand développement matériel qui a hanté le monde ces dernières années.

Malgré son développement industriel, technologique et scientifique, la Chine conserve sa vision organique de la réalité. Sa flexibilité est orientée vers l'intégration des contraires, dépassant la vision manichéenne du bien et du mal. Au-delà de notre pensée occidentale, inerte et tournant en rond, la pensée chinoise (qui a les pieds bien ancrés dans le monde des émotions) est beaucoup plus subtile, fraîche et directe : plus symbolique que littérale. Soutenue par un effort précis, sans forcer : elle suit le cours de la loi naturelle du flux.

Cette vision chinoise peut, malgré les apparences, être reliée à la vision chiite iranienne de la perfection cosmologique ; car le naturel de la voie du Tao a cette universalité implicite. C'est pourquoi la perception iranienne des réalités du passé et du futur présentes, sous forme d'exemple ou de germe dans l'ici et maintenant, peut se rattacher à cette interprétation symbolique, très présente dans la philosophie chinoise, en dehors du sens de la linéarité rationnelle occidentale

Des perceptions du monde qui sont également liées à la vision messianique russe, alliée à l'attente iranienne du Mahdi ou Mesiah ; sa figure se dilue dans la réalité spirituelle comme un guide précis dans le comportement des croyants dans la vie. Et ces chemins, à travers divers raccourcis, convergent vers la nécessité d'une attitude éthique face aux épreuves du destin.

La réalité cyclique des temps est un autre lien dans la vision orientale du monde, tandis que l'idée chiite que la justice doit être rétablie, en surmontant l'injustice historique qui les a condamnés, est évidemment liée au sentiment africain de la nécessité de rétablir la justice après la période actuelle de néo-colonisation et de la nécessité de reprendre la souveraineté, comme étape préalable au rétablissement du pouvoir des Africains sur leur continent. Les racines de l'Afrique peuvent s'unir aux racines de l'Asie et à une Russie qui a définitivement abandonné son désir d'être acceptée par l'Europe.

Et cela peut constituer une base concrète pour créer une nouvelle vision de ce nouveau monde multipolaire, qui peine aujourd'hui à donner naissance à son nouveau-né en période de crise systémique. Et comme toujours dans l'histoire, ce nouveau centre, s'il se réalise, développera une nouvelle voie civilisationnelle avec ses lumières et ses ombres.

Des mouvements de pendule dans la noosphère jusqu'à ce que l'humanité atteigne un tonus évolutif capable d'équilibrer les différentes polarités, afin que l'énergie vitale puisse enfin prendre forme dans une conscience de vie plus élargie et amplifiée.

Les Orientaux saisiront cette opportunité, car ils connaissent la pensée de Lao Tse :

    "Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir, mais il ne faut jamais refuser le moment présent.

Source : https://novaresistencia.org

samedi, 21 octobre 2023

Sur les cycles cosmiques et les rythmes du temps en Inde: un nouvel essai de Nuccio D'Anna

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Sur les cycles cosmiques et les rythmes du temps en Inde: un nouvel essai de Nuccio D'Anna

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/sui-cicli-cosmici-e-ritmi-del-tempo-in-india-un-nuovo-saggio-di-nuccio-danna-giovanni-sessa/

Nuccio D'Anna a récemment ajouté un ouvrage important à sa production de livres. Il sera particulièrement utile aux lecteurs intéressés par les études historico-religieuses et traditionnelles. Il s'agit du volume I cicli cosmici. Le dottrine indiane sui ritmi del tempo (= Les doctrines indiennes sur les rythmes du temps), que l'on trouve désormais dans les librairies grâce aux éditions Arỹa (pour commander : arya.victoriasrl@mail.com, pp. 240, euro 26.00). Dans ces pages, l'auteur fait preuve d'une maîtrise peu commune de la vaste littérature critique, il accompagne aussi avec sagacité le lecteur dans l'exégèse des textes sacrés complexes centrés sur la temporalité cyclique. Cette tâche est accomplie en se référant à la méthode comparative, qui permet de déduire la valeur universelle des mythes et des symboles. Les contenus abordés sont si vastes qu'il est difficile de les résumer dans l'espace d'une revue. Nous ne nous attarderons donc que sur quelques plexus théoriques.

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Nuccio D'Anna commence par présenter le sens et la signification du "Centre" dans le monde traditionnel. Pour ce faire, il s'attarde sur la valeur du mont Meru: "considéré comme le reflet du pôle céleste qui tient, gouverne et oriente tout le mouvement du quadrant cosmique" (p. 3). La structure axiale de la montagne incite à la considérer comme: "le véhicule des bénédictions divines dispensées sans cesse [...] le Meru apparaît comme l'"arbre du cosmos"" (p. 4). Selon la tradition védique, de ses branches sont descendus les rayons de Sūrya qui ont transmis à l'humanité la "loi de Varuṇa, le Ṛta, l'Ordre qui est la Vérité". Le Ṛta : "a une relation directe avec la stabilité de la constellation des sept étoiles de l'Ourse" (p. 5). La montagne sacrée est étroitement liée, d'une part, à Agni, le dieu du feu prototypique qui brûle avec éclat au centre du monde, et, d'autre part, à Brahma, la divinité formatrice qui peut être comparée au "rocher indestructible", d'où rayonnent les "qualités" divines. Le Meru se dresse au centre d'une île circulaire subdivisée en sept "régions", autour desquelles se trouvent sept océans en correspondance "avec l'ordre planétaire habituellement structuré sur sept niveaux" (p. 10). La dernière étendue de mer est appelée "Océan de lait".

   L'auteur précise : "Au cours du déroulement cyclique dans chacune de ces "îles", la Tradition [...] devra nécessairement trouver son propre développement intégral, ce qui aboutira inévitablement à l'épuisement de toutes les possibilités spirituelles véhiculées dans le monde" (p. 13). C'est ainsi que se révèle le lien d'un tel symbolisme avec le développement cyclique. Dans une telle cosmosophie, chaque point de pivot est gardé par une divinité : le cosmos lui-même prend des traits maṇḍaliques. L'éon actuel, dans la liste des 30 kalpas, occupe la 26ème place (Varaha-Kalpa) et est précédé par le Padama-kalpa. Selon l'enseignement traditionnel, la manifestation a régressé à cause du "poids des hommes", qui ont manipulé le Dharma. Durant le kalpa précédant le nôtre, Viṣṇu "l'Endormi" a effectué "sa propre intervention cosmogonique sous la forme d'une fleur de lotus qui émergea de son propre nombril" (p. 20), ce qui a permis une parfaite continuité doctrinale et rituelle entre les sixième et septième manvantaras de notre kalpa.

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Brahma a donné naissance à la "terre primordiale" : "l'archétype ou le modèle préformel d'une réalité encore immaculée" (p. 21). Chaque fois que le Principe descend dans le devenir, selon la perspective traditionnelle indienne, il donne lieu à un véritable "sacrifice universel". C'est un acte capable d'agir contre les "puissances des ténèbres". Un rôle essentiel, en ce sens, est attribué par D'Anna à Prajapati, qui a rejoint la Terre immaculée qui a émergé des Eaux. Il "symbolise l'Unité ineffable dont tous les autres dieux sont issus et à laquelle ils retourneront" (p. 28). Cette potestas s'étend dans toutes les directions de l'espace. Les eaux primordiales ne sont rien d'autre que la transcription symbolique du "murmure" du temps qui passe, puisque le Principe, à la lumière des études de Marius Schneider, citées à plusieurs reprises par l'auteur, n'est que son-lumière. Les chanteurs sacrés : "Ils haïssent l'essence sonore et présensible [...] qui se déverse "naturellement" dans la vie cosmique" (p. 31). Le chant solaire des sept Ṛṣi formait la tête de Prajapati qui, en harmonisant le son et le rythme, "rendait possible la formulation des phonèmes et des syllabes" (p. 33).

   L'auteur rappelle que le septième Manvatara a commencé après le Déluge. L'époque actuelle est divisée en quatre yugas, dont le développement est ordonné autour du symbole de la décennie, qui marque l'appauvrissement spirituel progressif, induit par les pouvoirs catagogiques de Koka et Vikoka (Gog et Magog). Le premier âge est l'"âge de la vérité" et de la plénitude spirituelle. La couleur qui le connote est le blanc, révélant son essence sapientielle et celle de la caste des Haṃsa : "Dans le jeu de dés indien [...] ce premier âge [...] correspond au "jet" réussi" (p. 112). Dans le deuxième âge, la "dynastie solaire" agit, visant à préserver la tradition "non-humaine", en accomplissant une action conservatrice, similaire à celle attribuée en Occident à Saturne. La valeur rituelle du jeu de dés, bien connue à Rome (il pouvait être pratiqué pendant les Saturnales, à l'occasion du solstice d'hiver), était liée à des conjonctures astronomiques particulières. Les "points" gravés sur les faces des dés étaient appelés "yeux", car ils renvoyaient aux "luminaires" qui brillaient "dans le ciel du primordial védique" (p. 115).

    Lorsque le lancer de dés était désordonné, on l'attribuait à la lourdeur spirituelle du cycle, correspondant au tourbillon frénétique du monde. Le lancer de dés, où le trois apparaissait, indiquait le deuxième âge, dans lequel le monde reposait sur les "trois quarts" du dharma. Sa couleur était le rouge. Le deux du jeu de dés faisait référence au troisième âge, dans lequel le monde se développe sur la relation lumière/obscurité, qui tend de plus en plus à cristalliser ces deux puissances dans un sens oppositionnel. Dans cet âge, sattva se retire, rajas et tamas prédominent. Sa couleur est le vert.

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Enfin, le kali-yuga, dont le début : "a été fixé pour coïncider avec la conjoncture aurorale qui a commencé à 6 heures du matin le 18 février 3102 avant J.-C.". (p. 118). Ce yuga est également divisé en quatre sous-âges : c'est l'âge de la résurgence des forces magmatiques et chaotiques qui submergent la perfection de l'Origine. Śiva se retire également des apparences phénoménales. Pour comprendre le déroulement cyclique, il faut se référer à la précession des équinoxes, dans laquelle l'obliquité de l'écliptique et de l'équateur dessine une " toupie " cosmique. Cette précession : "continue à se déployer autour d'un véritable "chef" qui en dirige le cours : c'est Dhruva" (p. 131), le pôle fixe, garant du retour à l'ordre à la fin du kali-yuga. D'Anna enrichit la présentation des cycles indiens par de nombreuses références érudites aux traditions grecques, mésopotamiennes et taoïstes, dont il trouve des échos jusque dans l'astronomie de Kepler. Il aborde également le symbolisme complexe qui sous-tend la vision cyclique et clarifie, entre autres, la faiblesse de l'exégèse "naturaliste" du temps cyclique, même celle formulée par Eliade, basée sur la référence aux cycles lunaires : "Seule cette (la) dimension cosmique-triomphale peut faire contempler la profondeur, la hauteur et l'ampleur du substrat spirituel qui nourrit la relation intime existant entre les phonèmes, les sons, les couleurs, les langages animaux [...] les scansions célestes [...] les moments saisonniers" (p. 209), la relation entre le macrocosme et le microcosme. L'essai de D'Anna est véritablement exhaustif.

Giovanni Sessa

dimanche, 08 octobre 2023

René Guénon et les influences suspectes de Donald Trump

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René Guénon et les influences suspectes de Donald Trump

Nicolas Bonnal

« Chose assez curieuse, le sceau officiel des États-Unis figure la Pyramide tronquée, au-dessus de laquelle est un triangle rayonnant qui, tout en en étant séparé, et même isolé par le cercle de nuages qui l’entoure, semble en quelque sorte en remplacer le sommet ; mais il y a encore dans ce sceau, dont certaines des organisations « pseudo-initiatiques » qui pullulent en Amérique cherchent à tirer un grand parti en l’expliquant conformément à leurs « doctrines », d’autres détails qui sont au moins étranges, et qui semblent bien indiquer une intervention d’influences suspectes : ainsi, le nombre des assises de la Pyramide, qui y est de treize (ce même nombre revient d’ailleurs avec quelque insistance dans d’autres particularités, et il est notamment celui des lettres qui composent la devise E pluribus unum)… »

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… Nous ne quitterons pas la Grande Pyramide sans signaler encore incidemment une autre fantaisie moderne : certains attribuent une importance considérable au fait qu’elle n’aurait jamais été achevée ; le sommet manque en effet, mais tout ce qu’on peut dire de sûr à cet égard, c’est que les plus anciens auteurs dont on ait le témoignage, et qui sont encore relativement récents, l’ont toujours vue tronquée comme elle l’est aujourd’hui ; de là à prétendre, comme l’a écrit textuellement un occultiste, que « le symbolisme caché des Écritures hébraïques et chrétiennes se rapporte directement aux faits qui eurent lieu au cours de la construction de la Grande Pyramide », il y a vraiment bien loin, et c’est encore là une assertion qui nous paraît manquer un peu trop de vraisemblance sous tous les rapports ! – Chose assez curieuse, le sceau officiel des États-Unis figure la Pyramide tronquée, au-dessus de laquelle est un triangle rayonnant qui, tout en en étant séparé, et même isolé par le cercle de nuages qui l’entoure, semble en quelque sorte en remplacer le sommet ; mais il y a encore dans ce sceau, dont certaines des organisations « pseudo-initiatiques » qui pullulent en Amérique cherchent à tirer un grand parti en l’expliquant conformément à leurs « doctrines », d’autres détails qui sont au moins étranges, et qui semblent bien indiquer une intervention d’influences suspectes : ainsi, le nombre des assises de la Pyramide, qui y est de treize (ce même nombre revient d’ailleurs avec quelque insistance dans d’autres particularités, et il est notamment celui des lettres qui composent la devise E pluribus unum), est dit correspondre à celui des tribus d’Israël (en comptant séparément les deux demi-tribus des fils de Joseph), et cela n’est sans doute pas sans rapport avec les origines réelles des « prophéties de la Grande Pyramide », qui, comme nous venons de le voir, tendent aussi à faire de celle-ci, pour des fins plutôt obscures, une sorte de monument « judéo-chrétien ». 

p.187

http://ekladata.com/ZvjZowigoi2MzLb65eOL92PGSD0/Rene-Guen...

 

vendredi, 06 octobre 2023

Un siècle de confucianisme: rétrospective et perspectives d'avenir

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Un siècle de confucianisme: rétrospective et perspectives d'avenir

Chen Lai

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/um-seculo-de-confucionismo-olhando-para-tras-e-para-frente

Il est de notoriété publique que le confucianisme est la tradition la plus importante de l'histoire chinoise et qu'il reste vivant et influent jusqu'à aujourd'hui. Il est donc intéressant de se pencher un peu plus sur l'histoire et les courants du confucianisme au cours du 20ème siècle et jusqu'à aujourd'hui.

Dans cet essai, j'examinerai l'évolution du confucianisme au 20ème siècle. Le terme "développement" peut donner l'impression que le confucianisme a progressé sans effort tout au long de cette période, mais cet examen du siècle dernier révèle un parcours tortueux à travers diverses crises et défis.

Défis et réponses à l'ère moderne

Le confucianisme chinois a été confronté à quatre périodes de défis au cours du 20ème siècle. La première a été la réforme politique et éducative à la fin de l'ère Qing et au début de l'ère républicaine. Le gouvernement Qing a annoncé l'"Édit sur la création d'écoles" (兴学诏书) en 1901 pour lancer la création de nouvelles institutions dans tout le pays. Il s'agit d'une initiative extrêmement importante, qui a conduit au déclin progressif de l'ancienne forme de confucianisme, dominée par un type spécifique d'école qui formait des érudits pour entrer dans le système d'examen de la fonction publique impériale.

Les autorités ont ouvert ces nouvelles écoles en grand nombre dans toute la Chine. Cette mesure représentait un défi clair au système d'examen de la fonction publique avant que le gouvernement Qing ne décide de mettre fin aux examens en 1905. Le système d'examen était extrêmement important pour la pérennité de l'érudit confucéen. Au total, l'existence de la pensée et de la culture des érudits confucéens dans la société chinoise pré-moderne reposait sur trois bases importantes. La première était l'État, la cour impériale ayant déclaré que le confucianisme était l'idéologie officielle et que les classiques confucéens étaient les classiques de l'État. Le confucianisme a donc été promu par le gouvernement impérial. La deuxième base était le système éducatif, en particulier le système d'examen de la fonction publique, qui stipulait que les classiques confucéens étaient le sujet principal des examens. Enfin, la troisième base du confucianisme était constituée par les fondements sociaux de la famille et les systèmes de gouvernance rurale qui existaient en Chine depuis plusieurs milliers d'années.

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Les réformes stratégiques de la fin de la période Qing ont joué un rôle important dans la détermination des moyens par lesquels le confucianisme continuerait d'exister. Malgré l'abolition des examens en 1905, l'une des premières réformes les plus radicales, le gouvernement Qing était toujours déterminé à préserver l'étude et le programme des classiques dans toutes les écoles, et exigeait également que les écoles continuent d'offrir des sacrifices à Confucius le jour de son anniversaire. Cette situation a toutefois changé avec l'avènement de la révolution de 1911. Lorsque le ministère de l'éducation est passé sous le contrôle de Cai Yuanpei 蔡元培 (photo) en 1912, l'État a décidé de mettre fin aux sacrifices à Confucius et d'abandonner l'étude des classiques. Par conséquent, dans les années qui ont suivi la révolution, le système consistant à "honorer Confucius et à lire les classiques" a subi un revers fondamental. Au cours de ce processus, les érudits confucéens ont connu leur première période significative de "défi et réponse", en d'autres termes, leur première difficulté fondamentale.

De la fin de la dynastie Qing au début de la République, bien que l'érudit confucéen ait déjà été retiré du centre de la politique et de l'éducation, le rôle de la pensée et de la culture confucéennes s'est maintenu dans le domaine de l'éthique [4] Peu de temps après, de 1915 à 1919, le mouvement de la nouvelle culture est apparu et le confucianisme a été confronté à son deuxième défi. Le mouvement de la nouvelle culture a brandi les bannières de la critique, de la réflexion et de la lumière. Il s'agissait d'un éclaircissement culturel, basé sur la culture occidentale moderne, présentant la culture chinoise traditionnelle comme son opposé binaire et, en particulier, présentant les rites et la culture confucéens comme son adversaire principal et critique. Cela semblait raisonnable pour beaucoup à l'époque, et ils ont brandi le slogan "A bas Confucius et ses enfants !". De la fin de la dynastie Qing jusqu'à la révolution de 1911, le confucianisme a maintenu son influence éthique même lorsqu'il quittait la scène politique, mais dans les années qui ont immédiatement suivi, il a subi son deuxième revers crucial. La révolution de 1911 a contraint le confucianisme à une forme d'exil qui s'est étendue au mouvement de la nouvelle culture. Le Mouvement de la nouvelle culture a alors hérité du mouvement d'exil du confucianisme de la fin de la période Qing et du début de la période républicaine et a élargi sa mission en bannissant le confucianisme du domaine de l'éthique. Le mouvement de la nouvelle culture a laissé le confucianisme fragmenté et à la dérive.

Le troisième grand dilemme s'est produit entre la révolution de 1949 et la "révolution culturelle". Je considère cette période comme un tout parce que le mouvement de collectivisation, l'organisation des communes populaires et la "Grande révolution culturelle prolétarienne" ont changé le système de gouvernance rurale et fait de la collectivité la base de la société. Le système des communes populaires, fondé sur la brigade et les trois niveaux de propriété [5], a complètement transformé l'ancien ordre villageois basé sur le lignage.

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Les spécialistes de l'ère moderne ont affirmé qu'une fois le système social confucéen séparé de sa base, le confucianisme est devenu une "âme perdue 游魂" [6] Cette image d'une âme perdue suggère que les changements de la culture moderne ont séparé la pensée confucéenne de ses racines anciennes. La révolution elle-même avait une signification politique et, en outre, les transformations qu'elle a entraînées dans les campagnes étaient extrêmement importantes. En outre, un autre facteur important a été la révolution culturelle, en particulier le mouvement de critique de Lin Biao (photo) et de Confucius. Les campagnes successives de critiques politiques absurdes du confucianisme et de Confucius ont fait des ravages dans la pensée des gens. Il s'agissait d'une attaque encore plus importante contre la culture confucéenne.

La quatrième période de défi pour le confucianisme au 20ème siècle a été les vingt premières années de réforme et d'ouverture à partir de la fin des années 1970. La mobilisation de la période de réforme dans les années 1980 a apporté une forme de pensée éclairée qui a fait écho au mouvement de la nouvelle culture de la période du 4 mai, adoptant un thème majeur du 20e siècle dans sa critique de la tradition. Le confucianisme est donc apparu comme l'antithèse de la modernisation. Le développement vigoureux de l'économie de marché, qui a donné une place prépondérante à la pensée utilitaire dans les années 1990, a également constitué un défi de taille pour les traditions du confucianisme et la culture chinoise.

Si l'on divise les attaques contre la pensée et la culture confucéennes au XXe siècle en quatre grandes périodes, on constate que chacune d'entre elles a eu une influence profonde sur le destin de la culture confucéenne. Cependant, il serait faux de prétendre que le confucianisme n'a subi que des attaques et n'a jamais connu de progrès au 20ème siècle. Parfois, les défis peuvent offrir des opportunités de progrès. Dans ce contexte historique, il n'y a eu qu'une seule période significative de développement pour le confucianisme : la période allant de l'incident de Mukden en 1931 à la fin de la guerre de résistance contre le Japon (1937-1945), en particulier la période de guerre. Le peuple chinois dans son ensemble s'est uni pendant cette période, et la défense et la renaissance nationales sont devenues des questions d'une importance cruciale. Ce fut le thème central de la période et une occasion historique rare pour le confucianisme de progresser.

Réponses et développements philosophiques

J'ai divisé environ cent ans d'histoire confucéenne en quatre périodes de défis et une période d'opportunités, soit cinq périodes au total. Nous pouvons considérer l'histoire du confucianisme au 20ème siècle comme une réponse à ces défis, qui se déroule en cinq étapes.

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La première étape, ou plutôt la première personne dont il est question, est Kang Youwei 康有为 (1858-1927). Bien que Kang ait réfléchi à la religion confucéenne bien avant la révolution de 1911, il l'a encore plus mise en avant par la suite. À plusieurs reprises, Kang lui-même ou ses élèves ont proposé que la religion confucéenne devienne la religion d'État. Ces propositions étaient positives. Les réformes politiques et éducatives - de l'"Édit sur la création d'écoles" en 1901 à l'abolition des examens de la fonction publique en 1905 et au début de la direction du ministère de l'Éducation par Cai Yuanpei en 1912 - avaient déjà privé le confucianisme des fondements institutionnels sur lesquels il reposait. Pour préserver et développer la pensée confucéenne, Kang Youwei s'est tourné vers la religion. Il s'est rendu compte que le christianisme avait sa place dans le tissu de la culture occidentale moderne. Il existe des exemples de son établissement en tant que religion d'État dans les pays occidentaux. Il a donc estimé qu'une nouvelle Chine avait besoin de nouvelles institutions et que le confucianisme pouvait jouer un rôle important. L'argument de Kang en faveur de l'établissement du confucianisme comme religion d'État représente la première réponse [7], une réponse religieuse aux difficultés rencontrées par le confucianisme et, bien sûr, elle a échoué. Tous les projets et propositions de Kang ont échoué, et l'histoire a clairement montré que ce n'était pas la voie à suivre. Malgré cet échec, nous pouvons considérer cet épisode comme la première réponse active du confucianisme à un siècle de défis.

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La deuxième étape couvre le mouvement de la nouvelle culture. À la fin du mouvement pour la nouvelle culture, de nouveaux développements ont eu lieu. Ils résultent des réflexions culturelles des intellectuels occidentaux sur la Première Guerre mondiale et la montée du socialisme en Union soviétique. Ces événements ont conduit certains intellectuels éminents à reconsidérer la question de la culture chinoise. La figure représentative de cette période est Liang Shuming 梁漱溟 (1893-1988) (photo). Au début des années 1920, Liang a écrit 東西文化及其哲學 (Cultures orientale et occidentale et leurs philosophies). Ce livre est représentatif de la deuxième réponse à la situation difficile à laquelle le confucianisme a été confronté au 20ème siècle. Il s'agit d'une réponse non pas religieuse, mais culturelle. Liang pensait que même si la société chinoise devait subir une occidentalisation complète, la culture confucéenne et ses valeurs étaient toujours nécessaires : "Dans le futur très proche de notre monde, après la période culturelle occidentale au cours de laquelle les Européens et les Américains ont conquis et exploité la nature, il sera temps pour la renaissance de la culture chinoise" [8] Ce "futur très proche" se référait à la culture d'un socialisme confucéen car, selon Liang, le confucianisme incorporait déjà les valeurs du socialisme. Il pensait que la caractéristique de la culture occidentale était qu'elle résolvait la relation entre l'humanité et le monde naturel, la relation entre l'humanité et le domaine matériel. La culture confucéenne, quant à elle, résolvait la relation entre les êtres humains, la relation entre l'individu et la société, de la même manière que le socialisme pouvait résoudre les questions entre le travail et le capital. À l'époque moderne, les défis rencontrés par le confucianisme ont tous été présentés par la culture occidentale moderne à la société et à la culture chinoises. La réponse confucéenne ne pouvait être dirigée que vers ce défi culturel au niveau macro.

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La réponse philosophique au cours de la troisième phase, de l'incident de Mukden en 1931 à la fin de la guerre de résistance en 1945, n'était pas seulement le produit du nationalisme croissant de l'époque, mais aussi une réponse à l'assaut de la culture occidentale moderne. Parmi les intellectuels impliqués, citons Xiong Shili 熊十力 (1885-1968) (photo), Ma Yifu 马一浮 (1883-1967),Feng Youlan 冯友兰 (1895-1990) et He Lin 贺麟 (1902-1992). Le système de confucianisme philosophique de Xiong Shili, 归本大易 ("Retour au Yijing"), peut être considéré comme une forme de "nouvelles études sur le livre du Yijing"[9] Ma Yifu s'est concentré sur les Six Classiques et les Six Arts. Son système de confucianisme peut être appelé "Nouvel apprentissage classique" 新经学. Feng Youlan a appelé son propre système philosophique la "nouvelle philosophie des principes" 新理学. Celui de He Lin était la "Nouvelle philosophie de l'esprit"[10].

Xiong Shili défend le concept philosophique de " l'esprit originel " établi par Mencius[11] En se basant sur les principes du Yijing, il établit l'esprit originel comme une entité absolue et établit une cosmologie relative au Xipi chengbian 翕辟成变. [Il a ensuite appelé sa cosmologie "l'inséparabilité de la substance et de la fonction" 体用不二. 13] Sa pensée philosophique était un système confucéen qui mettait l'accent sur les constructions cosmologiques.

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Ma Yifu (photo) était un érudit qui défendait avec ténacité la totalité de la culture traditionnelle. Il a synthétisé ou unifié l'étude traditionnelle des classiques 经学 et le néo-confucianisme 理学. Selon lui, "toutes les techniques du dao sont régies par les six arts, et les six arts sont en fait régis par l'esprit unique 一心" [14] "Toutes les techniques du dao" renvoient aux différents domaines d'étude ou "disciplines", comme nous les appelons aujourd'hui. Quant aux "six arts", Ma Yifu fait en réalité référence aux six classiques. C'est la terminologie utilisée par un confucéen classique. Cette approche met l'accent sur les classiques pour la reconstruction du nouveau confucianisme.

La philosophie de Feng Youlan était ce qu'il appelait lui-même la "Nouvelle philosophie du principe" [15] Il espérait poursuivre le travail des néo-confucéens de Cheng-Zhu, en mettant l'accent sur le monde de li (principe) 理 [16] En assimilant le nouveau réalisme de l'Occident, il a établi un monde de principe au sein de la philosophie, établissant ainsi un segment important de la métaphysique de la philosophie confucéenne. La philosophie de Feng Youlan est une philosophie confucéenne moderne qui se concentre sur les constructions métaphysiques.

Lin s'est ouvertement déclaré adepte de l'école Lu-Wang [17] et a soutenu que "xin (心 cœur/esprit) est la substance 体 de la matière 物, tandis que la matière est la fonction 用 de xin". La plupart de ses écrits placent cette école de l'esprit à la base de la philosophie confucéenne. Mais surtout, nous découvrons que He Lin a joué un rôle important en élaborant un projet de renouveau confucéen. Son slogan était : "La pensée confucéenne comme substance ; la culture occidentale comme fonction", ce qui pourrait également être lu comme : "L'esprit national (民族精神) comme substance ; la culture occidentale comme fonction" [18] Il a élaboré un plan détaillé pour le renouveau confucéen.

Outre ses premières contributions aux idées d'identité culturelle, Liang Shuming a passé une grande partie des années 1940 à 1970 à rédiger son livre Psychologie et vie 人心与人生. Ce livre montre que le système philosophique de Liang Shuming mettait l'accent sur une construction de la philosophie confucéenne moderne basée sur la psychologie.

Les travaux de ces philosophes illustrent comment une forme nouvelle et constructive de confucianisme a émergé durant cette période. Leur réponse est avant tout philosophique. C'est l'époque que j'ai identifiée comme la seule période d'opportunité historique dans ce siècle de confucianisme, et elle est liée à l'émergence de l'identité culturelle nationale qui a accompagné la guerre contre le Japon. L'accent mis sur la culture nationale a permis de réaliser d'importants progrès.

La quatrième étape s'étend de 1949 à la fin de la révolution culturelle. On ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu de pensée confucéenne en Chine pendant cette période. Si nous examinons les changements présentés par Xiong Shili et d'autres intellectuels des années 1950, 1960 et 1970, nous verrons qu'il s'agit d'une période d'adaptation du confucianisme moderne, ainsi que d'intégration et d'absorption du socialisme. Dans On Confucianism 原儒, publié au début des années 1950, Xiong appelle à l'abolition de la propriété privée et à l'aplanissement des différences entre les classes, une approche empruntée au socialisme. Liang Shuming a écrit vers la fin de sa carrière un livre intitulé China : A Rational Country 中国:理性之国, dans lequel il se concentre sur la question du passage d'une société de classes à une société sans classes et du socialisme au communisme. Tous ces exemples montrent que ces philosophes ne se conformaient pas passivement à l'époque, mais qu'ils essayaient au contraire d'intégrer leur propre pensée dans les questions de l'époque. Ils n'ont jamais faibli dans leur foi en la pensée et la culture confucéennes.

Les nouveaux confucéens de Taïwan et de Hong Kong étaient sans racines et à la dérive, mais ils perpétuaient l'héritage de la troisième étape de la pensée confucéenne. En d'autres termes, face aux changements, aux ajustements et aux défis de la société du 20ème siècle, et confrontés à une anomie spirituelle générale, ils ont développé une nouvelle voie dans la pensée confucéenne qui correspondait aux conditions de l'époque, une nouvelle philosophie confucéenne qui absorbait la culture occidentale et développait l'esprit national, ainsi qu'une philosophie orientée vers les questions universelles auxquelles le monde et la condition humaine sont confrontés d'un point de vue confucéen. Tout cela a contribué à la revitalisation de la culture du continent à partir de la fin des années 1980.

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Formes latentes et manifestes du confucianisme

L'existence du confucianisme ne peut être considérée comme simplement proportionnelle à l'existence du philosophe, pas plus qu'on ne peut dire que le confucianisme existe parce qu'il y a un philosophe confucéen. Ce serait un point de vue superficiel. Des années 1950 à nos jours, l'existence du confucianisme, comme l'explique Li Zehou 李泽厚 (1930-2021) (photo), ne s'est pas seulement limitée à un ensemble de commentaires sur les classiques confucéens, mais s'est également manifestée dans la construction psychoculturelle du peuple chinois [19]. Par conséquent, après que tout contact avec l'ancien système de confucianisme a été coupé, celui-ci est devenu une tradition qui vivait intrinsèquement dans la population. Les valeurs confucéennes continuent d'exister, surtout parmi les gens ordinaires, où elles sont peut-être même plus profondément enracinées que dans les couches intellectuelles, qui ont été davantage contaminées par la culture occidentale.

La tradition confucéenne chez les gens ordinaires existe sous une "forme subconsciente dans la vie de tous les jours". Même dans la République populaire de Chine, les concepts chinois de moralité ont été continuellement et inébranlablement influencés par la moralité confucéenne traditionnelle. Cependant, comme cette fonction réside dans le subconscient, elle est constamment influencée par l'environnement de différentes époques. Par conséquent, l'existence du confucianisme ne peut être élucidée avec certitude, pas plus que nous ne pouvons dire grand-chose sur son état actuel. Il est parfois très déformé.

Je dois ici souligner le fait qu'au cours de cette cinquième période - la période de réforme et d'ouverture - ou même depuis la quatrième période, le concept de confucianisme a certainement subi une transformation. Nous ne pouvons pas dire que le confucianisme n'existe qu'avec l'existence du philosophe confucéen.

J'aimerais maintenant aborder les formes existentielles du confucianisme qui ont perduré depuis les réformes entamées en 1978. Au cours des trente dernières années en Chine continentale, nous n'avons pas vu de philosophes confucéens comme ceux des années 1930 et 1940. Cependant, plusieurs aspects de cette période méritent d'être observés.

Le premier est le confucianisme académique. Les trente dernières années de recherche sur le confucianisme ont créé une culture du confucianisme académique. Cette culture trouve son origine dans les recherches approfondies menées sur le confucianisme traditionnel et comprend les contextes de son évolution historique, examine sa doctrine, explique les différentes écoles de pensée et inclut des recherches approfondies sur la pensée du nouveau confucianisme contemporain. Cet ensemble d'études est ce que j'appelle le confucianisme académique. Il a connu plus de trente ans de développement, offrant de nombreux nouveaux horizons. Dans le monde universitaire de la Chine contemporaine, il occupe une position importante et a exercé une influence considérable.

La deuxième forme de confucianisme à l'ère de la réforme est le confucianisme culturel. Au cours des trente dernières années, un grand nombre de tendances et de discussions culturelles ont eu un rapport direct avec le confucianisme, comme les discussions sur la relation entre le confucianisme et la démocratie, les droits de l'homme, la mondialisation, la modernisation, le choc des civilisations et, bien sûr, la pertinence du confucianisme pour la construction d'une société harmonieuse, dont nous discutons aujourd'hui. De nombreux chercheurs louent l'importance positive des valeurs confucéennes du point de vue du confucianisme culturel. Ils discutent de la manière dont le confucianisme peut avoir un effet sur la société contemporaine, en exposant des concepts et des idées culturels précieux et en interagissant avec les tendances contemporaines de diverses manières. Cela a eu un effet remarquable sur les strates socioculturelles de la Chine contemporaine. Je pense que ces discussions et activités ont également créé une forme existentielle distincte pour le confucianisme, que j'ai appelée le confucianisme culturel.

On ne peut donc pas dire qu'au cours de ces trente années, il n'y a pas eu de philosophes confucéens importants, ni que le confucianisme a disparu. Outre les formes latentes d'existence, nous devons reconnaître qu'il existe de nombreuses autres formes manifestes de la culture confucéenne. Nous devons définir ces formes manifestes de la culture confucéenne qui se sont adaptées pour survivre au cours des trente dernières années. C'est pourquoi j'utilise les expressions "confucianisme académique" et "confucianisme culturel" pour résumer les manifestations du confucianisme de cette période. En fait, bien que le philosophe soit toujours important, comparé aux systèmes de métaphysique abstraite qui ont émergé, c'est vraiment le confucianisme académique et culturel qui s'est avéré avoir une influence encore plus envahissante et étendue sur la société, la culture et la pensée. Ces formes ont jeté les bases des nouveaux développements de la pensée confucéenne.

La troisième forme de confucianisme qui existe aujourd'hui est le confucianisme populaire 民间. Il comprend des aspects latents, dans l'existence quotidienne et subconsciente des gens ordinaires - un confucianisme dans la psyché des masses - ainsi que des aspects manifestes dans des activités ouvertes, comme le confucianisme académique et culturel. Le nouveau siècle a vu un développement incessant du confucianisme populaire et du confucianisme vulgarisé. Cette forme culturelle est apparue vers la fin du siècle dernier et continue à se développer aujourd'hui, notamment à travers toutes sortes de cours sur les études nationales 国学, dans les écoles, les académies et les salles de classe ; divers magazines numériques, des lecteurs pour les gens ordinaires, des cours pour enfants sur les classiques et ainsi de suite. La plupart des événements au niveau du confucianisme académique et culturel sont des activités destinées à l'intelligentsia, mais ceux au niveau du confucianisme populaire reçoivent une participation beaucoup plus large et plus active de la part des Chinois à tous les niveaux de la société d'aujourd'hui. Il s'agit d'une manifestation culturelle au niveau de la pratique populaire, c'est pourquoi je l'appelle "confucianisme populaire". Au cours des dix dernières années, les études nationales ont été fortement encouragées par le confucianisme populaire.

Conclusion : opportunités de renaissance et visions d'avenir

Je pense que la deuxième période d'opportunité pour un renouveau du confucianisme moderne est arrivée avec l'avènement du 21ème siècle. La première période d'opportunité s'est déroulée pendant la guerre de résistance, une période marquée par une augmentation de la conscience nationale et une prise de conscience d'un renouveau national. À partir de la fin des années 1990, accompagnant la montée en puissance de la Chine et l'approfondissement et le développement de la modernisation du pays, la Chine est entrée dans une première phase de modernisation. C'est dans ce contexte, dans les conditions d'une énorme reprise de confiance du peuple dans sa culture nationale, avec l'avènement de la grande renaissance de la nation chinoise et de la culture chinoise, que s'est présentée la deuxième période d'opportunité pour la renaissance moderne du confucianisme. Comment le confucianisme peut-il tirer parti de cette opportunité ? Comment les érudits confucéens peuvent-ils participer à cette renaissance du confucianisme ? En plus des efforts continus du confucianisme académique et culturel, il y a au moins quelques choses à faire, comme reconstruire l'esprit national 民族精神, établir des valeurs morales, organiser un ordre éthique, former des principes éducatifs, former un système de valeurs communes, un État-nation cohésif et promouvoir davantage nos progrès culturels et éthiques [20]. Si seul le confucianisme participe consciemment à la grande renaissance de la nation chinoise, en s'intégrant à la mission de notre époque et à nos besoins sociaux et culturels, ses perspectives de développement seront largement ouvertes.

En outre, il existe une tâche centrale qui requiert notre attention : la reconstruction et le développement du système philosophique. Une nouvelle philosophie confucéenne doit émerger et émergera sans aucun doute avec le développement de la modernisation de la Chine, et cette philosophie doit être une corne d'abondance. Sur la base du confucianisme traditionnel et du nouveau confucianisme contemporain, ainsi que de la renaissance de la culture chinoise, cette philosophie marchera à travers le monde, proliférera et se manifestera. À l'instar des controverses culturelles à l'époque du mouvement du 4 mai, du travail de résolution des questions relatives à notre patrimoine national dans les années 1920 et du développement de la philosophie nationale dans les années 1930, la Chine continentale a connu une tendance à la fièvre culturelle dans les années 1980 et une tendance à la fièvre des études nationales qui a fait boule de neige depuis la fin des années 1990 jusqu'à aujourd'hui. Nous pouvons nous attendre à ce que les nouvelles théories de la pensée confucéenne et la nouvelle philosophie confucéenne soient prêtes à faire irruption sur la scène en même temps que la renaissance du peuple chinois et de la culture chinoise.

Notes

[1] 陈来, " 百年来儒学发展的回顾与前瞻 ", 深圳大学学报(人文社会科学版)[Journal de l'Université de Shenzhen (édition des sciences humaines et sociales)], Vol. 31 : 3 (mai 2014), pp. 42-46.

[2] Toutes les notes sont celles des traducteurs, sauf mention contraire. Il existe un grand nombre de termes chinois qui sont traduits par "confucianisme" en anglais. Ruxue 儒学 fait généralement référence au système d'apprentissage et d'étude des textes classiques. Rujia 儒家 désigne les érudits ou philosophes qui ont étudié le confucianisme en tant que système de pensée. Et Rujiao 儒教 fait référence au confucianisme en tant que religion, comprenant des rites, des cérémonies et des sacrifices à Confucius, un système promu par Kang Youwei à l'époque moderne. À quelques exceptions près, notamment lorsqu'il se réfère à la pensée académique ou aux idées de Kang Youwei, Chen Lai utilise le terme ruxue dans cet article.

[Le langage utilisé par Chen Lai est lié à la compréhension de l'histoire chinoise en tant que "réponses" aux "défis" de l'Occident. Ce mode de compréhension est associé aux travaux du sinologue John K. Fairbank et de ses étudiants au milieu du XXe siècle[4].

[Ici et ci-dessous, Chen Lai utilise le terme lunlide jingshen 伦理的精神 ou lunli jingshen 伦理精神, qui fait référence aux domaines éthiques et spirituels dans une compréhension intellectuelle et non religieuse du terme "spirituel". Voir son utilisation par les spécialistes du confucianisme et du nouveau confucianisme, comme Tu Wei-ming, "Hsiung Shih-li's Quest for Authentic Existence", in Charlotte Furth, (ed.) The Limits of Change (Cambridge, Mass. and London : Harvard University Press), 1976.

[5] Chen fait ici référence à ce que l'on appelle en chinois les "trois niveaux de propriété". Ces trois niveaux sont la commune, la brigade de production et l'équipe de production.

[6] John Makeham traduit youhun par "âme perdue" et analyse ce récit dans Lost Soul : "Confucianism" in Contemporary Chinese Academic Discourse (Cambridge : Harvard University Asia Center, 2008).

[7] [Chen Lai] : Mentionné dans les articles suivants : Kang Youwei, "请尊孔圣为国教立教部教会以孔子纪年而废淫祀折" [Un mémorial] pour faire du respect du sage Confucius la religion d'État, établir des églises qui commémorent Confucius et écartent les religions non orthodoxes], "中华救国论" [Sur le salut de la Chine], "孔教会序-一" [Une préface à l'église confucéenne : 1], "孔教会序-二" [Préface de l'Église confucéenne : 2], "以孔教为国教配天议" [L'église confucéenne en tant que religion d'État est conforme à la volonté du ciel], "陕西孔教会讲演" [Un discours à l'église de Shanxi de la congrégation de Confucius], in 康有为政论集 [Les écrits politiques de Kang Youwei]。北京;中华书局,1998.

[8] [Chen Lai] : 梁漱溟,东西文化及其哲学。 北京:商务印书馆,1999, p. 244.

[9] Voir la traduction et l'explication par Tu Wei-ming des méditations de Xiong sur le Livre des changements dans Tu 1976, op. cit.

[10] Chen Lai évoque ces quatre penseurs à la page 44 du texte chinois, dans un langage extrêmement technique qui n'a pas été traduit ici.

[11] Pour Xiong, l'esprit originel détermine la compréhension de la réalité et se trouve dans le flux constant de la grande transformation. C'est l'humanité ren 仁 commune à l'humanité et à toutes choses[12].

[Le Xipi chengbian 翕闢成變 est utilisé pour expliquer comment, par la contraction (xi) et l'expansion (pi), une entité peut se transformer en différents phénomènes au sein de l'esprit. La "contraction" est le processus de focalisation, tandis que l'"expansion" élargit le phénomène pour créer une apparence d'ordre pour l'esprit. Wing-Tsit Chan, cependant, explique la thèse de Xiong comme suit : "La réalité est une transformation perpétuelle, consistant en une 'fermeture' et une 'ouverture', qui sont un processus de production et de reproduction incessant. La "substance originelle" est en perpétuelle transition à chaque instant, émergeant encore et encore, donnant lieu à de nombreuses manifestations. Mais la réalité et la manifestation, ou la substance et la fonction, ne font qu'un. Dans son aspect "fermeture", c'est la tendance à s'intégrer - dont le résultat peut être "temporairement" appelé matière - tandis que dans son aspect "ouverture", c'est la tendance à maintenir sa propre nature et à être son propre maître - dont le résultat peut être "temporairement" appelé esprit. Cet esprit est lui-même une partie de l'"esprit originel" qui, sous ses différents aspects, est esprit, volonté et conscience. Wing-Tsit Chan, A Source Book in Chinese Philosophy (Princeton : Princeton University Press, 1969), p. 763 ; voir sa traduction de Xiong, 765-767.

[13] Voir Jésus Solé-Farràs, New Confucianism in Twentieth-Century China : The Construction of a Discourse, (New York : Routledge 2014), 112. Traduit par Chan 1969, 769-772.

[14] 马一浮, 马一浮集(第一册) 杭州:浙江古籍出版社, 1996, p. 20. [Trans] : Un seul esprit (一心, sanskrit : ekacitta) fait référence à un esprit métaphysique unifié, un concept propre au bouddhisme mahayan.

[15] Wing-Tsit Chan traduit cela par "La nouvelle philosophie rationnelle" dans Chan 1969, 751.

16] L'école Cheng-Zhu ou Cheng-Zhu lixue 程朱理学 désigne la branche centrale du néoconfucianisme incarnée par Zhu Xi, Cheng Yi et Cheng Hao sous la dynastie Song, qui a été adoptée pour les examens d'État impériaux[17].

[L'école Lu-Wang ou Lu-Wang xuepai 陆王学派 désigne l'école de l'esprit Xinxue 心学, représentée par Lu Jiuyuan 陆九渊 et Wang Yangming 王阳明. L'école de l'esprit est devenue populaire sous la dynastie Ming et les universitaires et intellectuels chinois l'ont opposée à l'école du principe lixue 理学.

[18] He Lin 賀麟, 贺麟全集.文化与人生 [The Complete Works of He Lin : Culture and Life], 上海:上海人民出版社, 2011, p. 13.

[19] [Chen Lai] : 李泽厚. 李泽厚学术文化随笔 [Notes de Li Zehou sur l'érudition et la culture] 北京:中国青年出版社, 1998.

[20] Bien que le terme signifie également "civilisation spirituelle", le gouvernement chinois traduit officiellement 精神文明 par "progrès culturel et éthique", comme la Commission centrale pour l'orientation du progrès culturel et éthique l'appelait officiellement 中央精神文明建设指导委员会. Voir Delia Lin, Civilising Citizens in Post-Mao China : Understanding the Rhetoric of Suzhi (New York : Routledge, 2017), p. 132, n. 30.

Source : https://www.readingthechinadream.com/chen-lai-a-century-of-confucianism.html

Traduction : https://novaresistencia.org

mercredi, 04 octobre 2023

Pierre Pascal, un intellectuel brillant entre l'Occident et le Japon

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Pierre Pascal, un intellectuel brillant entre l'Occident et le Japon

Luca Valentini

Source: https://www.paginefilosofali.it/pierre-pascal-un-geniale-intellettuale-tra-occidente-e-giappone-luca-valentini/

"Rome du soleil et du silence, Rome sacrée et sainte, que le galop incessant des hommes motorisés, avec ses vibrations sans fin, détruit plus sûrement que la pluie, au point de saper les fondements de tout ce qui reste encore anachronique dans un monde, rendu fou par l'actualité, mais de plus en plus inconscient de la valeur du Temps, dont la finalité absolue n'est autre que l'Eternité" (1).

Pierre Pascal (Mons-en-Barœul, 16 avril 1909 - Rome, 13 janvier 1990), poète sublime, fin intellectuel et profond connaisseur de la culture traditionnelle, peut être considéré comme l'un des exemples lumineux du 20ème siècle, où la dimension spirituelle a pu se réaliser dans une pragmatique expérimentale courageuse, reliant des courants d'âme et des cultures apparemment différents. Ses études juridiques interrompues, en effet, ne l'empêchèrent pas, par son inscription à la Sorbonne, puis sa fréquentation de l'Institut des langues orientales de Paris, de s'éprendre du monde lointain et ancestral de l'Extrême-Orient comme de la maturation d'un archétype dont il s'était toujours inspiré, tout au long de son existence, celui de la Rome éternelle. Engagé sur le front nationaliste en France puis en Italie pendant la dernière guerre mondiale, il n'a pas manqué d'exprimer avec lyrisme sa subtile proximité avec la mantique extatique et guerrière, qu'il partageait avec deux grands représentants de l'âme profonde de toujours du 20ème siècle, Gabriele D'Annunzio et Yukio Mishima.

 

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Une des rares photos de Pierre Pascal, lors de son long exil romain.

La première biographie que lui a consacrée l'écrivain Gabriella Chioma, originaire de La Spezia, qui a récemment publié Pierre Pascal, lettres à une dame - entre Occident et Japon chez Novantico Editrice, s'inscrit dans ces lignes de vie. Le texte que nous avons le plaisir de présenter aux lecteurs de Pagine Filosofali se concentre sur une épistolaire corpulente - plus de 400 missives - d'une dame anonyme, qui permet à l'auteur de reconstruire la double expérience spirituelle de Pascal, entre l'âme occidentale et l'âme japonaise, sous le signe de la dédicace initiale que Chioma elle-même adresse au génie français :

"A Pierre Pascal, Combattant de la plume et de l'épée sur le Front de l'Esprit...".

Un an avant sa démobilisation de l'armée française en 1934, il est le fondateur de la revue littéraire "I quaderni di Eurydice" (2), qui lui permet de s'affirmer dans le monde culturel et littéraire parisien, en ayant toujours comme pivot d'inspiration la rencontre fatale avec Charles Maurras et le domaine de l'épopée archaïque, dans une union mystérieuse entre le politique et le sacré, qui le conduira à écrire et à publier la fameuse "Ode à la troisième Rome" en 1935 aux Editions du Trident. Comme le souligne Chioma, son lyrisme a déterminé un plan d'action traditionnel et pédagogique, ne se limitant pas à l'abstraction ou à l'art comme moyen d'expression personnelle, dans une simple production sans fondement :

"L'exercice poétique est devenu - et est resté jusqu'à la fin - une arme idéale pour lutter contre toute forme de barbarie, de dégénérescence et de vulgarité, en stigmatisant en particulier la décadence et l'hypocrisie de notre époque" (3).

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Cette disposition le conduit (4) d'abord à fréquenter l'appartement parisien de René Guénon (en 1928, sur présentation de Pierre-Noël de la Houssaye), par lequel il entre ensuite en contact avec Julius Evola. Alors que la relation avec le premier fut interrompue par la conversion à l'islam du traditionaliste français qui s'était installé au Caire, Pascal, fervent catholique, malgré la différence religieuse encore plus marquée, établit avec Evola une relation qui s'avérera de plus en plus solide au fil du temps, jusqu'à la mort d'Evola en 1974.

C'est à cette relation privilégiée que l'auteur a consacré un chapitre spécifique de l'ouvrage en référence, capturant, de notre point de vue, toute l'unicité d'une vision traditionnelle de la vie et du sacré, qui peut également surmonter d'amères différences religieuses. Critique, pour des raisons évidentes, du texte d'Evola sur l'Impérialisme païen, dans sa dénonciation des catabases de la civilisation moderne, l'intellectuel et philosophe français y a cependant trouvé une Weltanschauung de référence commune:

"C'est donc cette vision du monde qui unit les deux grandes personnalités, unies aussi en vivant leur propre exceptionnalisme et leurs propres choix idéologiques, de manière autochtone, hors du cadre d'un régime" (5).

Deux autres rencontres extraordinaires de Pierre Pascal doivent être mentionnées et racontées, et Gabriella Chioma les aborde dans son texte avec ponctualité et profondeur : il s'agit de ses rencontres spirituelles avec Edgar Allan Poe et avec Yukio Mishima.

Si la rencontre avec l'écrivain américain du 19ème siècle a été pour Pascal "un gigantesque labyrinthe de poésie, de clés ésotériques de l'histoire littéraire" (6), à travers lequel une âme inébranlable, religieusement inébranlable en elle-même, a cherché le fondement de sa propre existence dans la recherche documentaire tourbillonnante et incessante, inhérente à un artiste dont la personnalité inquiète a pénétré le poète français et lui a ouvert le monde, il n'en reste pas moins qu'elle a été une source d'inspiration pour l'auteur. Le monde de l'astrologie, entre autres, mais aussi la fréquentation d'auteurs comme René Quinton ou des rencontres manquées comme celle d'Alain de Benoist, défini sans grand espoir comme "darwinien, gramscien, brutalement antiromain" (7).

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L'âme orientale, extrême-orientale, s'est réveillée chez Pascal à l'occasion de sa rencontre fatidique avec Yukio Mishima, avec lequel il était lié à la fois par une enfance problématique commune et par une répulsion commune des sociétés, occidentale et orientale, dans lesquelles leurs existences respectives s'inscrivaient. Comme le rapporte Gabriella Chioma, à partir d'un document de 1980, le poète français lui-même était conscient du fait qu'il n'y a pas de hasard et la vie est une rencontre" (8), dans le contexte d'une hypersensibilité qui réunissait l'âme la plus profonde et la plus héroïque du Japon avec un membre estimé de l'Académie impériale de la "Forêt des pinceaux". Une amitié durable et solide est née, qui n'a été interrompue que par le harakiri de Mishima, mais qui a perduré grâce à cette mystérieuse union dialectique qu'ils avaient tous deux avec la vie, entre l'Occident, expression de Rome, et le Japon du soleil radieux, expression du même archétype métaphysique. Ce point commun subtil a permis à Gabriella Chioma de dessiner magistralement la personnalité de deux grands samouraïs de l'Esprit. C'est là que réside l'essence d'un texte qui, grâce également à la préface et à la postface de Federico Prizzi, rapproche émotionnellement le lecteur de l'un des plus ingénieux investigateurs de la Tradition du XXe siècle, Pierre Pascal :

"Comme la fleur de cerisier est la fleur sublime, l'homme par excellence est le Samouraï" (9).

Notes :

1 - Pierre Pascal, le poète français chanteur de la Troisième Rome, in Carmine Starace, Panorama de la littérature française d'après-guerre, in Rassegna Nazionale, mai 1938 ;

2 - Gabriella Chioma, Pierre Pascal, lettere ad una Signora, Novantica Editrice, Cantalupa (TO) 2023, p. 35 ;

3 - Ibid, p. 45 ;

4 - Ibid, p. 46 ;

5 - Ibid, p. 70 ;

6 - Ibid, p. 90 ;

7 - Ibid, p. 97 ;

8 - Ibid, p. 127, note 135 ;

9 - Ibid, p. 136.

Luca Valentini

samedi, 23 septembre 2023

Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale

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Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale

Nicolas Bonnal

La civilisation occidentale devient totalement dégoûtante aux yeux du monde et des antisystèmes. Elle déraille sur le plan spirituel, économique, écologique, culturel, sexuel, elle est toujours plus folle et belliqueuse, humanitaire et missionnaire, arrogante et psychopathe. Problème : elle a souvent été comme ça pendant son histoire. Voyez le texte de mon ami Guyénot sur l’esprit de croisade et les réflexions de nos amis russes qui ont remplacé les nazis allemands dans l’esprit des toqués aux affaires euro-américaines.

J’avais déjà écrit un texte sur Guénon et notre civilisation hallucinatoire : dans leur histoire en effet les Occidentaux paraissent souvent sous hypnose. Ils sont hypnotisés par des mots (science, progrès, droits, etc.) par le fric, l’hérésie, la luxure, puis par la mission et par la guerre.

9791024206134-475x500-1.jpgJ’ai décidé depuis de rependre le même admirable livre de René Guénon, Orient et Occident (1924) pour tenter de voir avec ce grand traditionaliste ce qui ne va pas depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait faire.

Guénon est plus optimiste que moi : il écrivait il y a un siècle. Depuis l’Occident et en particulier l’Amérique a conquis le monde par sa technique, son fric et sa technologie, ses images, ses virus et son informatique, ses marottes et sa porcherie. Mais comme on voit enfin se profiler une résistance sur fond d’effondrement voulu et provoqué par un consortium de milliardaires devenus fous et possédés (cf. les dibbouks du folklore juif que citait récemment Howard Kunstler dans un texte hélas incompris), et que cette résistance concerne des pays au profil traditionnel guénonien (Inde, Chine, monde arabe) je me suis dit qu’il serait bon de partager avec mes lecteurs les réflexions de Guénon sur l’anomalie occidentale qui éclate au grand jour au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Le texte va être assez long et il serait dommage de s’en lasser trop tôt.

Guénon donc (première partie d’Orient et Occident) :

« La civilisation occidentale moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie : parmi toutes celles qui nous sont connues plus ou moins complètement, cette civilisation est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu’on est convenu d’appeler la Renaissance, a été accompagné, comme il devait l’être fatalement, d’une régression intellectuelle correspondante… »

9791024206158_large.jpgChez Guénon intellectuel désigne en fait le spirituel théologique, la capacité de parler sérieusement de Dieu et du monde spirituel. A l’époque cela décline déjà (mais en relisant Huizinga, on découvrirait que le quatorzième siècle n’était déjà pas très brillant). Guénon rajoute :

« Nous rappellerons seulement que Descartes a limité l’intelligence à la raison, qu’il a assigné pour unique rôle à ce qu’il croyait pouvoir appeler métaphysique de servir de fondement à la physique, et que cette physique elle-même était essentiellement destinée, dans sa pensée, à préparer la constitution des sciences appliquées, mécanique, médecine et morale, dernier terme du savoir humain tel qu’il le concevait… »

Tout cela se manifeste en Occident, ce côté de l’obscurité, et va se radicaliser avec l’utopie américaine réalisée bien décrite par Boorstyn, Baudrillard ou Watzlawick. Guénon écrit que « mentalement aussi bien que géographiquement, l’Amérique actuelle est vraiment l’« Extrême-Occident » ; et l’Europe suivra, sans aucun doute, si rien ne vient arrêter le déroulement des conséquences impliquées dans le présent état des choses. »

Ensuite le problème important que soulève Guénon est celui de civilisation élue. Cette civilisation occidentale hérétique, scientifique et technique se sent élue (ce qui explique sa violence et l’incroyable interventionnisme US) :

« Mais ce qu’il y a peut-être de plus extraordinaire, c’est la prétention de faire de cette civilisation anormale le type même de toute civilisation, de la regarder comme « la civilisation » par excellence, voire même comme la seule qui mérite ce nom. C’est aussi, comme complément de cette illusion, la croyance au « progrès »

Citant un excellent texte de l’historien Jacques Bainville, Guénon écrit :

« La civilisation, c’était donc le degré de développement et de perfectionnement auquel les nations européennes étaient parvenues au XIXe siècle. Ce terme, compris par tous, bien qu’il ne fût défini par personne, embrassait à la fois le progrès matériel et le progrès moral, l’un portant l’autre, l’un uni à l’autre, inséparables tous deux. »

9791024206431-475x500-1.jpgNous découvrons (c’est la fameuse théorie de la conspiration conspuée partout et menacée par le néo-totalitarisme ambiant) que l’on nous a menti sur nous (croisades, lune, guerres, épidémies, etc.) ; or Guénon le dit déjà très bien :

« Il faut convenir que l’histoire des idées permet de faire parfois des constatations assez surprenantes, et de réduire certaines imaginations à leur juste valeur ; elle le permettrait surtout si elle était faite et étudiée comme elle devrait l’être, si elle n’était, comme l’histoire ordinaire d’ailleurs, falsifiée par des interprétations tendancieuses, ou bornée à des travaux de simple érudition, à d’insignifiantes recherches sur des points de détail. L’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ; et on est en droit de se demander si ce n’est pas pour cette raison que certaines méthodes, en ce domaine, sont imposées officiellement à l’exclusion de toutes les autres : consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’« opinion publique ».

71pqpgKqQ8L._AC_UF894,1000_QL80_.jpgCela ressemble bien à la guerre occulte décrite par Julius Evola dans les Hommes au milieu des ruines. Nietzsche a très bien écrit à ce sujet dans sa deuxième considération actuelle sur l’Histoire : l’historien est un journaliste qui adapte au goût trivial du jour les temps anciens que l’on ne comprend pas ou plus.

On reprend sur la capacité hallucinatoire occidentale :

« Certes, « le Progrès » et « la Civilisation », avec des majuscules, cela peut faire un excellent effet dans certaines phrases aussi creuses que déclamatoires, très propres à impressionner la foule pour qui la parole sert moins à exprimer la pensée qu’à suppléer à son absence ; à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les « dirigeants » contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. »

Guénon enfonce plus le clou :

« Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes. »

M02080710575-large.jpgPuis il souligne le caractère moraliste aberrant (Nietzsche parle d’hystérie féminine chez l’Occidentale moderne dans Par-delà le bien et le mal : voyez la septième partie intitulée Nos vertus) qui progresse avec le culte du fric et du profit :

« Développement matériel et intellectualité pure sont vraiment en sens inverse ; qui s’enfonce dans l’un s’éloigne nécessairement de l’autre… »

On bascule dans le sentimentalisme guerrier (Todd en a bien parlé dans Après l’Empire quand il oppose la « femme castratrice américaine » à l’islam) puis dans le « zen emballé sous vide » (Debord) et le mysticisme de drugstore :

« En fait, matérialité et sentimentalité, bien loin de s’opposer, ne peuvent guère aller l’une sans l’autre, et toutes deux acquièrent ensemble leur développement le plus extrême ; nous en avons la preuve en Amérique, où, comme nous avons eu l’occasion de le faire remarquer dans nos études sur le théosophisme et le spiritisme, les pires extravagances « pseudo-mystiques » naissent et se répandent avec une incroyable facilité, en même temps que l’industrialisme et sa passion des « affaires » sont poussés à un degré qui confine à la folie ; quand les choses en sont là, ce n’est plus un équilibre qui s’établit entre les deux tendances, ce sont deux déséquilibres qui s’ajoutent l’un à l’autre et, au lieu de se compenser, s’aggravent mutuellement… »

Dans son livre sur l’impérialisme (livre annoté et cité par Lénine dans l’Impérialisme…), Hobson remarque « l’inconsistance » occidentale. Le caractère américain, brutal et pleurnichard, dans Apocalypse now sous la plume du savant John Milius cela donne : « on les bombardait puis on leur amenait des pansements » et même des missionnaires... Guénon sur la question :

« Ainsi, le « moralisme » de nos contemporains n’est bien que le complément nécessaire de leur matérialisme pratique : et il serait parfaitement illusoire de vouloir exalter l’un au détriment de l’autre, puisque, étant nécessairement solidaires, ils se développent tous deux simultanément et dans le même sens, qui est celui de ce qu’on est convenu d’appeler la « civilisation ».

Guénon qui ne déteste pas Voltaire (il a bien raison, la fin « turco-musulmane » de Candide est un chef-d’œuvre d’intelligence et de vraie tolérance) ajoute :

« D’ailleurs, ce qui est encore beaucoup plus simple, ils s’empressent ordinairement d’oublier la leçon de l’expérience ; tels sont ces rêveurs incorrigibles qui, à chaque nouvelle guerre, ne manquent pas de prophétiser qu’elle sera la dernière. Au fond, la croyance au progrès indéfini n’est que la plus naïve et la plus grossière de toutes les formes de l’« optimisme »

Tout cela nous rapproche d’Audiard et de celui qui ose tout (notion inspirée comme on sait tous par Saint-Thomas d’Aquin…). On sait que l’Occident a gagné sa guerre contre la Russie (vous ne le lui enlèverez pas de la tête) et déjà gagné contre la Chine. Guénon :

« Le monde moderne a proprement renversé les rapports naturels des divers ordres ; encore une fois, amoindrissement de l’ordre intellectuel (et même absence de l’intellectualité pure), exagération de l’ordre matériel et de l’ordre sentimental, tout cela se tient, et c’est tout cela qui fait de la civilisation occidentale actuelle une anomalie, pour ne pas dire une monstruosité. »

L’obsession du changement est subtilement dénoncée : on aurait pu crever en vieux blancs bien tranquilles et fainéants ; mais non, nos élites conduites par Strong ou Kissinger ont voulu nous exterminer et appellent cela un énième changement ; Philippe Muray avec qui j’en avais parlé l’avait bien compris.

« Ce que les Occidentaux appellent progrès, ce n’est pour les Orientaux que changement et instabilité ; et le besoin de changement, si caractéristique de l’époque moderne, est à leurs yeux une marque d’infériorité manifeste : celui qui est parvenu à un état d’équilibre n’éprouve plus ce besoin, de même que celui qui sait ne cherche plus. »

71IWVs-hthL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgPuis Guénon devient presque trivial (Guénon, trivial ?!) : ce que l’Orient voudrait c’est qu’on lui foute la paix !

« Mais qu’on se rassure : rien n’est plus contraire à leur nature que la propagande, et ce sont là des soucis qui leur sont parfaitement étrangers ; sans prêcher la « liberté », ils laissent les autres penser ce qu’ils veulent, et même ce qu’on pense d’eux leur est fort indifférent. Tout ce qu’ils demandent, au fond, c’est qu’on les laisse tranquilles ; mais c’est ce que refusent d’admettre les Occidentaux, qui sont allés les trouver chez eux, il ne faut pas l’oublier, et qui s’y sont comportés de telle façon que les hommes les plus paisibles peuvent à bon droit en être exaspérés ».

A la même époque Bernanos comprend que l’homme égal c’est l’homme pareil (voyez mes textes sur la France – la pauvre ! – contre les robots). Guénon écrit… pareillement :

« L’« égalité » si chère aux Occidentaux se réduit d’ailleurs, dès qu’ils sortent de chez eux, à la seule uniformité ; le reste de ce qu’elle implique n’est pas article d’exportation et ne concerne que les rapports des Occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions… »

C’est vrai que pour l’Américain et ses mille milliards de dollars de déficit commercial tout devient article d’exportation, même la drogue qui rend zombi.

Chose amusante, l’Occidental exige qu’on l’admire :

« Les Européens ont une si haute opinion de leur science qu’ils en croient le prestige irrésistible, et ils s’imaginent que les autres peuples doivent tomber en admiration devant leurs découvertes les plus insignifiantes… »

A côté de cela notre crétin est repentant et exige d’être remplacé. Guénon explique pourquoi :

« L’orgueil, en réalité, est chose bien occidentale; l’humilité aussi, d’ailleurs, et, si paradoxal que cela puisse sembler, il y a une solidarité assez étroite entre ces deux contraires : c’est un exemple de la dualité qui domine tout l’ordre sentimental, et dont le caractère propre des conceptions morales fournit la preuve la plus éclatante, car les notions de bien et de mal ne sauraient exister que par leur opposition même. En réalité, l’orgueil et l’humilité sont pareillement étrangers et indifférents à la sagesse ».

Les complexes de la personnalité occidentale étaient résumés finalement par la formule de Victor Hugo (génie qui pouvait écrire n’importe quelle ineptie à côté de n’importe quel trait juste) : « je suis une force qui va ! » Guénon :

« Ce changement où il est enfermé et dans lequel il se complaît, dont il n’exige point qu’il le mène à un but quelconque, parce qu’il en est arrivé à l’aimer pour lui-même, c’est là, au fond, ce qu’il appelle « progrès », comme s’il suffisait de marcher dans n’importe quelle direction pour avancer sûrement ; mais avancer vers quoi, il ne songe même pas à se le demander… »

L’Occidental c’est la « recherche » (défense de se moquer de Proust !) :

« Le goût maladif de la recherche, véritable « inquiétude mentale » sans terme et sans issue, se manifeste tout particulièrement dans la philosophie moderne, dont la plus grande partie ne représente qu’une série de problèmes tout artificiels, qui n’existent que parce qu’ils sont mal posés, qui ne naissent et ne subsistent que par des équivoques soigneusement entretenues ; problèmes insolubles à la vérité… john-wesley-large.jpg

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Le maître souligne le péril anglo-saxon (De Maistre et Bonald l’avaient fait déjà, voyez mes textes) :

« C’est chez les peuples anglo-saxons que le « moralisme » sévit avec le maximum d’intensité, et c’est là aussi que le goût de l’action s’affirme sous les formes les plus extrêmes et les plus brutales ; ces deux choses sont donc bien liées l’une à l’autre comme nous l’avons dit. Il y a une singulière ironie dans la conception courante qui représente les Anglais comme un peuple essentiellement attaché à la tradition, et ceux qui pensent ainsi confondent tout simplement tradition avec coutume. »

A l’époque déjà la domination est fragile. Mais en cessant d’être coloniale elle est souvent devenue plus dangereuse (voyez mon texte sur Titus Burckhardt et la tradition marocaine détruite par l’Etat moderne marocain) : l’Etat moderne dénoncé par Jouvenel s’est appliqué partout et il projette partout sa meurtrière matrice totalitaire. Davos et les smart cities sont là pour nous le rappeler comme leur développement durable globalisé aux relents si génocidaires…

« Les Occidentaux, malgré la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur civilisation, sentent bien que leur domination sur le reste du monde est loin d’être assurée d’une manière définitive, qu’elle peut être à la merci d’événements qu’il leur est impossible de prévoir et à plus forte raison d’empêcher. »

Guénon sera moins optimiste sur l’Orient traditionnel dans le Règne de la quantité ; et Frithjof Schuon encore beaucoup moins (cf. Burckhardt cité supra).

La folie occidentale n’est pas près de s’interrompre ; sur ce point le maître ne se trompe pas :

« Quoi qu’il en soit de ces prévisions peut-être lointaines, les Occidentaux d’aujourd’hui en sont encore à se persuader que le progrès, ou ce qu’ils appellent ainsi, peut et doit être continu et indéfini ; s’illusionnant plus que jamais sur leur propre compte, ils se sont donné à eux-mêmes la mission de faire pénétrer ce progrès partout, en l’imposant au besoin par la force aux peuples qui ont le tort, impardonnable à leurs yeux, de ne pas l’accepter avec empressement. Cette fureur de propagande, à laquelle nous avons déjà fait allusion, est fort dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour les Occidentaux eux-mêmes, qu’elle fait craindre et détester ; l’esprit de conquête n’avait jamais été poussé aussi loin, et surtout il ne s’était jamais déguisé sous ces dehors hypocrites qui sont le propre du « moralisme » moderne. »

Guénon fait une allusion à la faiblesse ontologique de la « race » occidentale :

« En effet, les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin de pouvoir absorber les autres. »

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Il est confirmé par le penseur raciste Madison Grant qui voit sa presque comique « grande race » péricliter partout à la même époque.

Guénon n’évite pas la question juive, ni la russe, ni l’allemande (qui se posait encore alors !) :

« Il est profondément ridicule de prétendre opposer à l’esprit occidental la mentalité allemande ou même russe, et nous ne savons quel sens les mots peuvent avoir pour ceux qui soutiennent une telle opinion, non plus que pour ceux qui qualifient le bolchevisme d’« asiatique » ; en fait, l’Allemagne est au contraire un des pays où l’esprit occidental est porté à son degré le plus extrême ; et, quant aux Russes, même s’ils ont quelques traits extérieurs des Orientaux, ils en sont aussi éloignés intellectuellement qu’il est possible. Il faut ajouter que, dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme, qui n’a jamais exercé d’influence que de ce côté, et dont l’action n’a même peut-être pas été tout à fait étrangère à la formation de la mentalité moderne en général ; et, précisément, le rôle prépondérant joué dans le bolchevisme par les éléments israélites est pour les Orientaux, et surtout pour les Musulmans, un grave motif de se méfier et de se tenir à l’écart ; nous ne parlons pas de quelques agitateurs du type « jeune-turc », qui sont foncièrement antimusulmans, souvent aussi israélites d’origine, et qui n’ont pas la moindre autorité. »

On arrête ici. Malgré toutes ses tares l’Occident a gagné, triomphé des sociétés traditionnelles et imposé son modèle de coursier nihiliste qui semble plus excitant aux foules. L’imposition mondiale de la tyrannie informatique nous montre qu’il sera quasiment impossible d’en sortir, comme je l’annonçais dans la première édition de livre sur Internet. Le contrôle de tout par le totalitarisme numérique mettra tout le monde d’accord. Sauf miracle.

 

mercredi, 23 août 2023

La voie de la main droite et la voie de la main gauche

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La voie de la main droite et la voie de la main gauche

Frank Tudisco

Source: https://www.paginefilosofali.it/via-della-mano-destra-e-via-della-mano-sinistra-frank-tudisco/

Il existe deux voies différentes, deux chemins qui trouvent leur origine dans cette définition en Orient au sein des traditions tantriques : le chemin de la main gauche, le "Vama Marga" et le chemin de la main droite, le "Dakṣiṇa Marga". Les appellations de Vama et Dakṣiṇa, en Inde, indiquent l'origine géographique des sampradāya, c'est-à-dire les systèmes doctrinaux, les lignées spirituelles, les académies ou écoles initiatiques d'origine, ainsi que les circuits de connaissance fondés sur l'ensemble des textes canoniques révélés d'inspiration divine. Il s'agit donc de deux voies fondées sur des perspectives et des techniques différentes de compréhension du chemin spirituel, de l'éveil de la conscience, de l'évolution de l'être humain dans son rapport à la vie et à l'Esprit, deux approches différentes, deux manières distinctes d'interpréter les Tantras (1), mais qui, dans leur essence, ont la même finalité. Pour atteindre Kaivalya (2) - un état de "détachement" ou d'"isolement" de la matière qui consiste en l'abandon définitif des limitations de la pensée - et ensuite Mokṣa - c'est-à-dire la libération du cycle des renaissances et la sortie définitive de la roue du saṃsāra - différentes orientations doctrinales peuvent être combinées, ce qui n'implique nullement que l'une soit meilleure que l'autre. Le pratiquant est censé emprunter une voie spécifique en fonction de son propre état d'avancement spirituel, indépendamment ou à la discrétion d'un guide, d'un maître, d'un Guru.

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Les Tantras sont un ensemble d'enseignements qui, dans les mythes, sont attribués à Śiva. Cette divinité transmet ces enseignements à sa śakti, son épouse mystique, la déesse Pārvatī. Ces enseignements sont destinés à conduire chaque être humain à une pleine réalisation de soi, de sa créativité, de son évolution, tant matérielle que spirituelle. Pour ce faire, l'être humain doit réveiller en lui cette étincelle divine, ces facultés perdues et profondes qui le rapprochent de sa vraie nature, sa nature divine. En Inde, on a toujours imaginé que l'homme était tourné vers l'Est - le lieu du lever du soleil. C'est pourquoi, conformément à cette hypothèse, la main gauche pointe vers le nord et la main droite vers le sud.

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Dans les traditions de la main gauche, c'est-à-dire celles de l'Inde du Nord, du Pakistan, du Tibet et surtout du Cachemire, les Tantras sont compris au sens littéral. Les traditions de la main droite, qui proviennent plutôt du Bengale et de l'Inde du Sud, visent plutôt une interprétation allégorique. Étant donné que ces enseignements contiennent des éléments qui concernent également la sexualité, que l'utilisation du symbolisme sexuel est récurrente et que l'union des couples divins illustre le principe de la conjonction universelle des opposés, les voies de la Main Gauche, qui interrogent ces enseignements dans un sens plus orthodoxe, pratiquent l'érotisme sacré, la sexualité sacrée, entendue précisément comme un rapport sexuel. Le Kamasutra étudie le corps comme un temple extraordinaire, un laboratoire alchimique dans lequel, à travers la sexualité vécue, a lieu la redécouverte de la kundalini, l'énergie vitale primordiale qui est de nature divine.

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Les voies de la Main Droite, en revanche, qui donnent au mythe une lecture de nature symbolique, n'envisagent pas et condamnent même les pratiques sexuelles. Lorsque ces concepts venus d'Orient ont atteint l'Occident, ils ont inévitablement subi une réinterprétation qui les a souvent déformés jusqu'à la dégénérescence. Surtout si l'on pense aux principes inextricablement liés à la sexualité, qui sont passés de l'Orient à l'Occident par le biais de la colonisation britannique en Inde, filtrés par une Angleterre victorienne bigote et fortement moralisatrice.

Le sexe est, aujourd'hui encore, en Occident, le domaine le plus marqué par les dysfonctionnements, l'insatisfaction et l'excès. Plus de trois millénaires de dénomination chrétienne, de judaïsme, de paulinisme et de gnosticisme ont fini par instiller dans l'inconscient collectif et même de l'individu qui s'estime libéré des schémas religieux, l'idée de culpabilité dès lors que l'on tire du plaisir par le sexe. Toute pratique sexuelle, autoérotique ou partagée, devient un tabou, un sentiment interdit dont il n'est même pas permis de parler. Un sentiment qui, aux yeux de la foi, est considéré comme un péché, un mal, un sentiment sale et mauvais, qui doit être maintenu sans cesse en dessous du seuil de tolérance physiologique et, en fin de compte, considéré comme quelque chose à corriger, sous peine d'aller en enfer ou d'être puni par l'autorité divine. C'est Madame Helena Blavatsky (3) qui, la première, a attribué cette déclinaison à la sphère ésotérique, en assimilant les concepts de "bien" aux Tantras de la Main Droite et de "mal" aux Tantras de la Main Gauche. Cette assimilation du concept de la Main Gauche lié au mal n'a évidemment aucune connotation légitime sur le plan moral.

En réalité, la combinaison main gauche-mal et main droite-bien a des origines archétypales. Le soleil, par exemple, se lève à l'est, passe au sud et se couche à l'ouest. Ainsi, le seul et unique point cardinal restant dans l'obscurité perpétuelle est le nord qui, selon le principe que l'homme regarde toujours vers l'est, coïncide avec la main gauche. Il est également bien connu que dans les temps anciens, lorsqu'une infection banale pouvait tuer, il était très important de distinguer que la main droite et la main gauche remplissaient des fonctions distinctes. Or, comme la majorité des êtres humains sont droitiers, ils ont fini par sanctifier la main droite et par diaboliser par réflexe la main gauche. Cet héritage s'est répercuté sur le langage qui, à son tour, a fini par fixer des charnières dans l'inconscient collectif. Dans la langue italienne, "droite" est synonyme de dextérité, d'agilité, d'habileté, tandis que "gauche" est synonyme d'inquiétude, d'angoisse, de menace ou de mauvais présage. C'est également le cas dans d'autres langues. En anglais, "right", par exemple, signifie également droit, correct, rectiligne, tandis que "left", qui signifie aussi quelque chose de "laissé derrière soi" et, dans sa forme archaïque, "lyft", signifie également maladroit, gauche, stupide et insensé.

C'est un peu la description anthropologique des deux voies. En Occident, ces deux visions déboucheront plus tard sur une approche philosophique très différente. Celle de la Main Droite, dont on peut dire qu'elle a été réinterprétée dans une clé plus orthodoxe, se concentre sur une approche typiquement dévotionnelle, qui tend cependant à représenter l'homme comme une créature divine envers laquelle on peut exprimer son adoration, voire sa soumission, qui s'étendra également aux églises, aux institutions sacerdotales et à la culture brahmanique, jusqu'à concevoir un anéantissement complet du pratiquant envers une religion révélée ou une connaissance de l'Absolu - comme on l'entend souvent dans le bouddhisme lu vulgairement en Occident.

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Avec la voie de la Main Gauche, qui a plutôt été interprétée dans une clé plus gnostique, il faut comprendre toutes les voies dans lesquelles le pratiquant tend à être plus indépendant d'une structure et donc à une connaissance directe de l'Absolu, en restant identifié à lui-même, à l'être humain et non pas à une créature divine, mais à son tour comme une divinité qui, en ce moment, n'est pas consciente d'elle-même, mais qui peut, à travers un chemin précis, redécouvrir sa propre étincelle divine, sa propre divinité intérieure, sans pour autant se soumettre, par une attitude fidéiste, à une divinité transcendantale extérieure.

Si l'on considère la théosophie comme un élément actif de la dégénérescence, l'interprétation erronée des préceptes thélémites, y compris la devise d'Aleister Crowley "Fais ce que tu veux, c'est toute la loi" (4), a également joué un rôle important ; des préceptes qui sont devenus l'épine dorsale de nombreux mouvements et courants New-Age d'aujourd'hui. Ainsi, la voie de la Main Gauche s'est transformée en "Faites ce que vous voulez, il n'y a pas de règles", ce qui est par principe amoral et ne nécessite pas de discipline. Manifeste de cette déviation, la sainte trinité de l'hédonisme, "Sexe, drogue et rock'nroll" ; tandis que la voie de la main droite est devenue la voie du bacchettoni.

En fait, le concept tend à être l'inverse, la voie de la main gauche soumet le pratiquant à une plus grande discipline. L'un des rituels les plus importants du culte de la śakti est, par exemple, le soi-disant Vira-Marga (5) ou "Chemin des Héros", où l'utilisation de l'énergie sexuelle ou de la kundalini et du souffle, l'équivalent alchimique de l'utilisation de ce que l'on appelle les Eaux Corrosives (6), peut sérieusement risquer de compromettre ou de ruiner l'Œuvre. Pour que cela se fasse sans danger, il faut que le praticien ait les conditions de centrage, d'équilibre et d'enracinement pour affronter l'expérience cathartique sans subir de dommages psychiques et physiques déstabilisants. En revanche, la voie de la Main Droite est beaucoup plus progressive, l'adepte étant progressivement guidé par la main d'un Satguru.

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Par la suite, il faut noter une influence kabbalistique importante, par la littérature post-talmudique et plus particulièrement par la Kabbale lurianique (7), évoquée dans le texte de Gershom Scholem (8). Un cadre philosophique qui sous-tend l'origine du Mal selon de nombreux kabbalistes, qui a lieu en fait dans la Geburah, une sephirah particulière qui se trouve dans le pilier gauche de l'arbre séfirotique. L'essence de la lumière divine - Ein Soph (9)- est, par sa nature même, incompatible avec ce qui est limité, ce qui provoque, lors d'une première tentative de création, ce que l'on appelle la "rupture des vases" (10). Cette rupture a eu des implications profondes et a conditionné l'essence même de la création et de l'homme qui a été placé en son centre. Les kelippot, la contrepartie sombre des sephiroth et le résultat de cette rupture des vases, représentent dans le lurianisme les scories, les forces maléfiques présentes dans le monde et l'archétype de toutes les ruptures et déchirures ultérieures. Il en résulte un concept de Mal qui ne peut être déraciné du concept de Dieu lui-même, puisque dans le monothéisme il ne peut logiquement y avoir de dualisme.

Il n'est pas difficile de comprendre comment certaines ramifications déviantes de ces écoles deviennent ainsi l'occasion d'une instrumentalisation politique, d'autre part le délire de certains satanismes. Dans son "Magick" (11), par exemple, Crowley recommande au magicien de recourir à l'infanticide afin d'obtenir de la graisse humaine avec laquelle produire des bougies ou des lampes à utiliser dans le tracé du cercle rituel. Sauf que dans les notes, il précise qu'il ne s'agit pas d'enfants en chair et en os, mais de tuer ou d'étrangler les pensées dans l'œuf, c'est-à-dire de les annihiler avant qu'elles ne puissent s'élever au niveau de la conscience.

Toute personne s'engageant dans une voie initiatique devrait d'abord disposer d'un cadre rationnel solide ainsi que d'une dose adéquate de bon sens - telle qu'elle puisse au moins discerner un précepte symbolique d'un acte criminel. La voie de la main gauche et la voie de la main droite sont aujourd'hui deux locutions qui ont fini par perdre leur sens originel. Il est toujours appréciable, cependant, de distinguer la façon dont elles étaient comprises dans leur sens originel, tantrique, de la façon dont elles sont interprétées aujourd'hui.

NOTES :

(1) De la racine étymologique indo-européenne TAN, "tendre", plus le suffixe "-tra", utilisé pour instrumental. Il peut être traduit littéralement par "instrument d'étirement", c'est-à-dire le cadre ;

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(2) La plus haute réalisation dans la pratique yogique - également connue sous le nom de Mahasamādhi ou Dharmamegha Samadhi, selon la façon dont elle est appelée par les traditions respectives - selon Sri Maharishi Patañjali (1er - 5ème siècle e.v.), philosophe indien, fondateur du Rāja Yoga, à qui l'on attribue la paternité des Yoga Sutras - essai mystique fondamental divisé en quatre sections décrivant les huit étapes du Yoga ;

(3) Eléna Petróvna Blaváckij (1831 - 1891) médium russe naturalisée américaine, fondatrice de la Société théosophique ;

(4) Edward Alexander Crowley (1875 - 1947), ésotériste britannique et père présumé de l'occultisme moderne ;

(5) L'un des rituels d'adoration de la śakti dans les traditions ascétiques śivaïstes des Kapalika et, plus tard, des Aghora ;

(6) La "Via Umida", le pendant de la "Via Secca", un terme couramment utilisé en alchimie pour indiquer une sorte de thérapie de choc, c'est-à-dire ce complexe de techniques et de méthodes extrêmes et extrêmement rapides - y compris la prise de substances psychotropes et tous les comportements conçus pour favoriser les altérations de la conscience rationnelle - afin d'atteindre, par le biais d'un "bain" de solvant transformateur, l'individuation du moi ;

(7) Isaac ben Solomon Luria (1534 - 1572), rabbin ottoman et mystique révolutionnaire, est l'un des penseurs les plus importants de l'histoire de la mystique juive ;

(8) Gershom Scholem, "La Kabbale", Edizioni Mediterranee, 1983 (p. 140). Gerhard "Gershom" Scholem (1897 - 1982) était un théologien, mathématicien et sémitiste israélien ;

(9) L'"illimité" ou le "non-limite", l'infini ;

(10) Shevirat ha-Kelim ;

(11) Aleister Crowley, "Magick : Liber ABA. Livre quatre. Parts I-III", Astrolabio Ubaldini, 2021, p. 120.

BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE :

Abhinavagupta, "La lumière des Tantras : Tantrāloka", Adelphi, 2017 ;

Alberto Brandi, "The Dark Way : Introduction to the Left Hand Path", Atanòr, 2008 ;

Joseph Campbell, "Mythologie orientale : les masques de Dieu", Mondadori 2002 ;

Gavin Flood, "Hinduism : Themes, Traditions, Perspectives", Einaudi 2006 ;

Groupe Ur, "Introduction à la magie, vol. II", Rome, Edizioni Mediterranee, 1971 ;

Stephen Flowers, "Les seigneurs de la main gauche", Venexia, 2013 ;

René Guénon, "Études sur l'hindouisme", Éditions Fratelli Melita, 1989 ;

Thomas Karlsson, "The Kabbala and Goetic Magic", Atanòr, 2005 ;

Claudio Marucchi, "Le Tantra du ŚrīYantra : le corps humain rendu divin", Psyche 2, 2009 ;

Patañjali, "Yoga Sutra : Aphorismes sur le yoga", Demetra Srl, 1996 ;

Swami Satyananda Saraswati, "Kundalini Tantra", éd. SatyanandaAshram, 1984 ;

Gershom Scholem, "Les grands courants de la mystique juive".

 

vendredi, 18 août 2023

Métapolitique, Silvano Panunzio et critique organique de la modernité

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Métapolitique, Silvano Panunzio et critique organique de la modernité

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/110645-la-metapolitica-silvano-panunzio-e-una-critica-organica-della-modernita/

checoselametapolitica.jpgNous publions un extrait de la préface de Giovanni Sessa, Metapolitica. Escatologia religiosa e civile in Silvano Panunzio, au volume de Silvano Panunzio, Che cos'è la Metapolitica, édité par Aldo la Fata, Solfanelli, Chieti 2023, pp. 208, euro 15.

Fondamentalement, la métapolitique est une discipline qui précède et dépasse la politique. Depuis l'Allemagne et l'Europe centrale, un écho de ces positions est parvenu à De Maistre, qui les a interprétées comme une "métaphysique de la politique". Selon Panunzio, le sens du terme a circulé dans les œuvres de nombreux auteurs au cours des siècles: d'Augustin à Gioberti, de Berdiaev à Sturzo. Ceux qui ont compris correctement le contenu de la métapolitique étaient toutefois conscients qu'elle n'avait pas, sic et simpliciter, un caractère religieux, mais aussi une valeur civile.

Fondamentalement, la métapolitique est une discipline qui précède et dépasse la politique. Depuis l'Allemagne et l'Europe centrale, un écho de ces positions est parvenu à De Maistre, qui les a interprétées comme la "métaphysique de la politique". Selon Panunzio, le sens du terme a circulé dans les œuvres de nombreux auteurs au cours des siècles : d'Augustin à Gioberti, de Berdiaev à Sturzo. Ceux qui comprenaient correctement le contenu de la métapolitique étaient toutefois conscients qu'elle n'avait pas, sic et simpliciter, un caractère religieux, mais aussi une valeur civile.

C'est ce qu'avait compris Platon, véritable initiateur de cette discipline. L'Athénien, animé d'une vision métaphysique, pensait la réalité humaine comme articulée de bas en haut. C'est pourquoi il considérait que la dimension politique elle-même était anagogiquement transcendée. Comme l'a reconnu Werner Jaeger, il manquait à Platon "le ferment prophétique du christianisme". La Cité platonicienne d'Augustin est donc devenue le miroir de la Cité de Dieu : "Métaphysique et métapolitique sont [...] des jumelles".

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Silvano Panunzio

La métapolitique vise l'archétype de la transcendance reflétée dans l'histoire, c'est la métaphysique en action. Panunzio la définit de manière lapidaire: "c'est le projet architectural que, avec la conception et la collaboration du Ciel, les hommes s'efforcent d'accomplir sur Terre en surmontant les résistances inférieures". L'idéal augustinien a été ravivé par l'eschatologie chrétienne, qui a trouvé un écho chez Campanella et, plus tard, chez Bossuet et Soloviev.

Panunzio, dans Qu'est-ce que la métapolitique, aborde le thème du bìos theoretikòs, qui, dans le monde antique, a été remis en question par Dicéarque avec la revalorisation de la phrònesis. Dans le monde romain, entre autres, Cicéron était proche de cette position, qui comprenait le philosopher comme un service : "pour une organisation active de la vie", tentant de rapprocher Platon de Lycurgue, au nom de la primauté du bìos politikòs. Pour Panunzio, l'authentique Metapolitica, au contraire, ne peut être saisie que dans la dimension prophétique capable, selon lui, de réaliser le "bìos sìnthetos qui n'est pas [...] un maigre compromis, mais une fusion originale [...] de sophia et de phrònesis [...] dans le nouveau génie de l'Homme universel". Cette affirmation précise que la vision du monde de Panunzio est éminemment une théologie de l'histoire.

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À ce stade, il convient de se demander quelle est la véritable fonction de la métapolitique selon Panunzio.

Il attribue deux tâches essentielles à la métapolitique. 1) Développer la critique de la modernité en termes organiques et analytiques ; 2) Reconstruire le plan divin sur la terre. Les hommes doivent d'abord reconnaître la nécessité de faire tabula rasa du présent, en vue d'une renaissance. En effet, Panunzio est fermement convaincu que ce sont les agents "de la main gauche de Dieu", les forces qui ont produit la lacération moderne, qui la feront imploser. (...) La vision de l'histoire de Panunzio vise une fin, elle est centrée sur un "optimisme final, mais transcendant".

Dans sa perspective, Dieu tolère les "démons", seulement en vue de leur action inconsciente, en vue de la catharsis finale. La structuration du parcours historique est centrée sur l'intersection de trois plans différents: terrestre, céleste et infernal. Les esprits qui agissent dans le monde sont à la fois catagogiques et anagogiques. Les premiers visent à dégrader la nature humaine jusqu'à la rendre sauvage (en cela, les "signes des temps" évidents semblent confirmer la thèse de Panunzio), tandis que les seconds poussent l'homme vers le haut, vers l'atteinte de la nature angélique. Ce duel entre les forces célestes et infernales est vieux de plusieurs milliers d'années. L'époque actuelle, cependant, est le dernier âge, nous sommes au moment "décisif et final" de la crise. Dans ce contexte, le seul but à atteindre est le salut des âmes, rien d'autre ne peut être fait. [...] La métapolitique est donc acquise à l'eschatologie, et cette dernière est une métapolitique inspirée par les prophètes qui l'ont révélée dans le symbole. [...] La métapolitique comprend la métaphysique, l'eschatologie et la politique en une seule: elle est quadridimensionnelle. [...) C'est pourquoi les thèmes centraux de la métapolitique sont les deux soleils, l'Empire et l'Église. La Romanitas, avec son héritage impérial, représente la perfection humaine, la christianitas vise à réaliser la perfection qui descend de Dieu. Le Christ, véritable homme et véritable Dieu, est authentiquement "romain".

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(...) Pour bien comprendre la leçon panunzienne, il convient de garder à l'esprit la distinction entre métapolitique et cryptopolitique. En ce sens, la politique doit être interprétée comme une première ligne que l'on peut atteindre d'en bas ou d'en haut, au service du monde souterrain ou du monde célecte. Dans l'Antiquité, l'initiation royale permettait d'accéder au plan proprement métapolitique. La sécularisation des organisations qui présidaient à l'initiation a donné lieu à l'essor des partis et des syndicats. C'est sur cette voie qu'est née la cryptopolitique. La véritable cryptopolitique se heurte "aux manœuvres de la guerre occulte et aux complots mondiaux de la subversion". Il y a ensuite la cryptopolitique élémentaire (appendice de la politique militante), qui est dirigée par la cryptopolitique officielle. La seule réponse sérieuse à cette condition est la référence à la métapolitique, dont le délai est long, bien que l'intervention du ciel, compte tenu de la situation générale, ne tardera pas à se manifester. Ceux qui, en entrant en politique, se tournent vers les forces du Ciel et se laissent guider par elles, feront preuve d'une conscience inhabituelle et seront même prêts à faire le sacrifice ultime. Dans la phase actuelle, ces hommes doivent nécessairement agir dans la dimension intellectuelle et s'enraciner dans la "Tradition universelle" : "Une véritable résurgence initiatique ne peut procéder d'en bas, de l'humain, même rectifié et réintégré.

(...) Alors que les prophètes de l'Ancien Testament désignaient le Messie, le nouveau prophétisme panunzien a un caractère michaélique. Michel l'Archange est le prophète du "Christ qui vient" et du "Christ qui revient". Au début des temps, c'était Melchizédek, à la fin, Mikaël. [...] Pour "se renouveler" dans la Tradition, il faut devenir Mikaël, participer à sa nature angélique, se transfigurer.

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(...) Dans un autre ouvrage, Panunzio a parlé de la nécessité de réformer le "traditionalisme intégral" guénonien. Nous partageons pleinement son intention. Cependant, son idée de réformer le "traditionalisme intégral" dans un sens eschatologique et chrétien n'est pas la nôtre. [...] L'auteur croit certainement que l'"esprit géométrique" et l'esprit systémique de Guénon doivent être vivifiés par l'"esprit de finesse". Cette qualité était vivante et présente dans la tradition mystique grecque, en particulier dans le dionysisme, qui n'a jamais, dans l'acte aristotélicien, pensé à normaliser et à faire taire la dynamis, la puissance-liberté du principe. Par conséquent, s'il devait y avoir un ésotérisme chrétien, centré sur l'idée d'un dieu qui meurt et renaît, "puissant" et "souffrant", il serait redevable et successeur des anciens Mystères, auxquels il est nécessaire de revenir et de regarder au-delà de la scolastique traditionaliste. De plus, penser le Principe en termes de non, de négation, nous éloigne des perspectives de la philosophie de l'histoire et de la théologie de l'histoire, comme celle de Panunzio. Pour les tenants d'une vision tragico-dionysienne, le monde est suspendu au Principe de liberté-puissance. Dans l'histoire et dans le temps, l'origine est toujours possible (le pouvoir est possibilité) à condition que l'action humaine s'y adapte. Si tel n'est pas le cas, l'origine peut, selon nous, rencontrer son oubli définitif, sans que l'histoire ne s'achève pour autant. Il n'y a pas, selon nous, de fin prédéterminée à l'histoire. Nous sommes proches de la conception ouverte et non-nécessaire du temps. Une conception sphérique et non cyclique : elle a été réaffirmée dans les années 80 par Giorgio Locchi, compte tenu des leçons de Nietzsche et de Heidegger sur le sujet.

La réforme du traditionalisme de Panunzio a une finalité eschatologique, sotériologique, théologico-historique. Notre proposition, au contraire, se tourne vers le premier Evola (et le dernier, celui de Chevaucher le Tigre), pour suggérer la sortie possible de la pensée de la Tradition du nécessitarisme historico-temporel.

Quoi qu'il en soit, nous recommandons vivement les pages de Panunzio, élégantes dans leur style et stimulantes dans leur contenu. On sort toujours enrichi d'une confrontation avec un tel érudit, quelle que soit sa vision du monde.

Giovanni Sessa

mardi, 15 août 2023

L'homme politique en tant que menteur pathologique

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L'homme politique en tant que menteur pathologique

Renzo Giorgetti

Source: https://www.heliodromos.it/il-politico-come-bugiardo-patologico/

La souveraineté, entendue comme l'exercice du pouvoir pour organiser et gouverner des communautés de personnes, a toujours eu, dans les civilisations traditionnelles, un profond enracinement dans le sacré, devenant, plus qu'un simple fait humain, la manifestation de forces transcendantes. Le monarque exerce un pouvoir qui est avant tout l'émanation directe du sacré, d'influences véritablement supérieures qui le légitiment bien plus que n'importe quel consentement obtenu ou offert par ses gouvernés. Idéalement, le monarque est avant tout un pontife, exerçant son ministère (ministerium = service) en veillant à l'harmonie de son royaume en accord avec l'ordre cosmique, lui-même reflet de cet ordre sacré qui forme et régit tout ce qui existe. Le détenteur de la royauté est le médiateur entre la terre et le ciel, il est le centre, le point de contact entre ces réalités, agissant pour assurer leur communication et leur interaction (1). Cette qualité, non seulement humaine mais surtout transcendante, était considérée comme pleinement réelle et, même lorsqu'elle était en voie de dissolution, comme une tendance idéale à laquelle on pouvait toujours se référer (comme on le voit dans les rituels égyptiens et chinois, ainsi que dans la conception pontificale de la principauté romaine et dans la notion médiévale de Sacrum Imperium) (2).

Le souverain en tant que pouvoir purement terrestre, qui s'impose en éliminant ses adversaires ou en obtenant leur consentement par des avantages, appartient déjà à une période ultérieure, où le pouvoir commence à devenir une sorte de fin en soi, une réalité autoréférentielle faisant de moins en moins référence à des objectifs extra-mondains. La figure du "politicien" commence à émerger, un individu qui n'obtient le pouvoir qu'en vertu de ses pouvoirs de force et de ruse, et qui opère comme un simple administrateur qui doit de temps en temps obtenir un consensus ou comme un tyran qui concentre tout le pouvoir en lui-même en luttant constamment contre ses adversaires. La politique se définit de plus en plus comme un "art" (un art profane, bien sûr, qui ne se fonde plus sur le rta, l'ordre sacré du monde, mais sur l'anrta, le mensonge, la violation et la subversion de cet ordre) (3), comme une activité qui s'épuise dans la simple gestion des relations humaines et qui trouve dans la conquête du pouvoir le but le plus important, sinon le seul.

Un développement (certainement pas chronologique, mais plutôt idéal) de cette évolution pourrait être esquissé de la manière suivante : du prêtre-roi qui reflète l'ordre céleste sur terre, on passe au roi-guerrier qui s'impose uniquement par la force, à ceux qui achètent le consentement par les richesses ou la promesse de leur obtention, et enfin à ceux qui gouvernent par le ressentiment et l'envie sociale, en exploitant la volonté du dernier à gravir les échelons de l'échelle hiérarchique (4).

Dans l'état de bouleversement actuel, les choses sont arrivées à un tel point (le monde politique est l'avant-garde de la dissolution) que ce n'est même plus le serviteur qui a le pouvoir, mais l'exclu, l'intouchable, l'individu qui se situe en dehors de tout ordre. Dans le "monde à l'envers", un tel type humain, au lieu d'être relégué au bas de l'échelle sociale, en occupe au contraire les plus hautes places, dans l'inversion étant "tombé" du bas pour ensuite "s'installer", comme sédiment, au sommet de la pyramide inversée du pouvoir (sur ce dernier sujet, nous renvoyons à notre discussion précédente) (5).

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Un tel être, se plaçant en dehors de tout ordre, rejettera, combattra (même sans en être conscient) tout ce qui est harmonie, équilibre, justice.

Frithjof Schuon en fait une analyse extrêmement précise, fondamentale pour comprendre ses conceptions et son mode d'action (6). Le tchandala, le paria, l'intouchable "tend à réaliser les possibilités psychologiques exclues par les autres hommes", transgresse par nature, trouve sa satisfaction dans ce que les spécimens équilibrés et performants rejettent. Il représente le summum de l'impureté, de la dégradation, de la "dissonance psychologique". Capable de "tout et rien", il peut s'engager dans les activités "les plus bizarres et les plus sinistres" (l'acrobate, l'acteur, le bourreau), transgressant les règles établies, comme un saint à l'envers, se distinguant par son abnégation à adhérer à un style de vie déséquilibré et déséquilibrant. Son âme n'a pas de véritable centre de gravité individuel, sa vie se déroule "en périphérie et en inversion", dans une transgression qui lui donnera "en quelque sorte un centre qu'il n'a pas", le libérant illusoirement de sa nature équivoque. Il s'agit d'une subjectivité centrifuge et illimitée, qui le conduit à fuir la loi, parce qu'elle le ramènerait à ce centre qui est si totalement étranger à sa nature. Il est inférieur et se comportera toujours comme tel. Non seulement il n'a pas la mentalité du supérieur, mais il ne peut même pas la concevoir exactement : c'est pourquoi toute valeur est ignorée par lui, quand elle n'est pas ouvertement méprisée. L'honnêteté, la sincérité, l'honneur, à ses yeux n'existent tout simplement pas, ne représentant qu'une illusion, un obstacle limitant sa montée en puissance. Tout son être est basé sur le mensonge, qui le domine complètement, faisant de lui la première victime de ses mensonges, qu'il croit même souvent, le faisant vivre dans une réalité encore plus illusoire que celle à laquelle il condamne ceux qui lui sont soumis.

On comprend alors pourquoi le mensonge atteint un niveau que l'on peut qualifier de pathologique (7). Il ne s'agit même plus de "raison d'Etat" ou de machiavélisme, l'homme politique contemporain ment parce que le mensonge est son essence même. Il ment parce que c'est une nécessité, parce que tout son univers repose sur le mensonge, qui lui donne consistance et identité, qui le définit et lui donne un rôle dans le monde. Sinon, il serait contraint d'avoir un centre, d'adhérer à un ordre, chose inconcevable pour lui, voire impossible, car cela le condamnerait à l'extinction. Sa survie repose sur cela. Il n'est donc pas condamnable, car il ne s'agit au fond que d'un instinct de conservation. Après tout, de tels individus ont toujours existé ; le seul véritable problème réside dans leur position au sein du corps social, une position qui est actuellement la plus erronée, c'est-à-dire au sommet, à l'extrême opposé de celle qui leur conviendrait le mieux et qu'ils ont toujours occupée à toutes les époques, lorsque le monde était encore dans une phase de normalité, pas encore bouleversé et subverti dans ses valeurs fondamentales.

Renzo Giorgetti

Notes:

1) Nous avons déjà abordé ce sujet, exemples à l'appui, dans Com'è difficile cavalcare la tigre, Solfanelli, Chieti, 2020, pp.33-36.

2) Le détenteur de la royauté n'est évidemment pas naïf. Son devoir est de tout mettre en œuvre pour que la norme, l'ordre sacré, reste respecté (Manavadharmashastra 7.10). S'il doit toujours agir sans tromperie, il peut garder ses plans cachés, afin que ses ennemis ne puissent pas profiter de sa conduite morale juste et donc nécessairement plus limitée que celle de celui qui agit sans scrupules.

3) Inéluctablement lié à anrta est nrrti, la dissolution, la mort.

4) Sur ce point déjà René Guénon, dans le septième chapitre de Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, Guy Trédaniel, Paris, 1984 (1ère éd. 1929). Dans ces différentes manières de vivre et d'interpréter la souveraineté, on aura reconnu le cloisonnement fonctionnel des sociétés indo-européennes (sacerdotale, guerrière, marchande, servile), critère interprétatif qui vaut aussi pour la formulation d'une métaphysique de l'histoire et pour une meilleure compréhension de l'époque actuelle. Cf. How difficult it is to ride the tiger, idem, pp.28-58.

5) Une discussion que nous avons approfondie dans Pourquoi les pires gouvernent toujours dans les démocraties, maintenant le deuxième chapitre de La società da liquidare, Solfanelli, Chieti, 2021, pp.32-37.

6) Ce thème est amplement développé dans Caste e razze, Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 1979, pp. 11-16, d'où sont extraits les passages cités.

7) Dans la réalité inversée d'aujourd'hui, cette situation va du pathologique au physiologique.

Les origines romaines de la fête de l'Assomption

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Les origines romaines de la fête de l'Assomption

Source: https://www.romanoimpero.com/2012/08/feriae-augusti-ferragosto.html

FERIAE AUGUSTI - ORIGINES DE FERRAGOSTO (ITALIE)

FERRAGUE AUGUSTE

Cette fête tombe le 15 août et est aujourd'hui dédiée à l'Assomption de la Vierge Marie, mais peu de gens savent que cette fête est païenne. En 18 avant J.-C., Octave fut en effet proclamé Auguste, donc vénérable et sacré, par le Sénat. À cette occasion, l'empereur déclara tout le mois d'août Feriae Augusti, les fêtes augustéennes, car ce mois comprenait de nombreuses fêtes religieuses, dont la plus importante était la fête de Diane, qui tombait le 13.

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Le terme Auguste provient à l'origine du nom de la grande mère syrienne Atargatis, appelée "l'Augusta", c'est-à-dire la plus grande, la plus sacrée, la déesse à la couronne en forme de tourelle qui se dresse fièrement sur deux lions.

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Il semble qu'en 21 avant J.-C., les Feriae Augusti aient changé de nom pour devenir les FERIAE AUGUSTALES, réunissant ainsi toutes les fêtes du mois en une seule célébration. Désormais, les récoltes seront dédiées à l'empereur en tant que garant du ravitaillement, non seulement des Romains en général, mais aussi des pauvres qui recevaient gratuitement du grain et de l'huile.

FERIAE AUGUSTI (Ferragosto) Du 1er au 31 août.

Les Consualia

AOÛT
Les fêtes du 15 au 21 août étaient célébrées à Rome en l'honneur du dieu archaïque Consus, dieu des moissons, protecteur des récoltes et donc des greniers et des approvisionnements. En tant que divinité de la terre, un temple souterrain du VIIIe siècle avant J.-C. lui était consacré, dans lequel la lumière ne pouvait pénétrer qu'à cette période et pendant les Consualia de décembre, où l'on célébrait à nouveau sa fête.

C'est à cette occasion qu'eut lieu le viol des Sabines et, depuis l'époque de Romulus, cet événement était également célébré, car Rome avait engagé des vierges, mais cela est moins crédible, car les Sabines avaient des coutumes beaucoup plus libres que celles des Romains, à tel point que, pour accepter la paix, elles rédigèrent des lois auxquelles les Romains devaient se soumettre s'ils voulaient qu'elles restent sur le territoire romain.

Cela impliquait un comportement respectueux et obséquieux à l'égard des Sabines : ne pas leur faire porter de fardeaux, leur céder la place, ne pas les insulter, etc.

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La déesse Consiva

Mais la déesse Ops, également connue sous le nom d'Ops ou Openconsiva, était en fait l'ancienne déesse mère Consiva, déesse primitive et sabine, introduite à Rome par Titus Tatius. La déesse était liée à la nature et portait un fils sans avoir d'époux et restait vierge (comme toutes les déesses mères, d'où la virginité de la Madone), puis elle épousait le fils et régnait avec lui, et cette pratique se poursuivait avec la mort et la renaissance annuelles du fils (d'où le mythe de la figure du Christ) sous la forme d'une végétation qui descendait de la mère et lui revenait.

Plus tard, de divinité italique, elle devint romaine, bien qu'associée dans son culte à Saturne et à Consus, dont elle était l'épouse, mais le dieu usurpa sa place, devenant la principale divinité de la nature et des récoltes.

Néanmoins, le culte de la déesse s'est maintenu et c'est à sa protection que l'on confiait les grains récoltés et stockés dans les greniers. Deux sanctuaires lui étaient dédiés, l'un au Capitole et l'autre au Forum, et en son honneur étaient célébrées les traditionnelles fêtes d'Opiconsivia, le 25 août.

À Rome, Ops avait également un sanctuaire dans la Regia, près de la maison des Vestales et de la domus publica du Forum romain; seuls le pontifex maximus et les Vestales y avaient accès. Selon une tradition rapportée par Macrobe dans Ops Consiva, mais la question était controversée, il pouvait être reconnu comme la divinité tutélaire secrète de Rome. Elle devait rester secrète pour éviter que des ennemis ne l'invoquent et lui fassent quitter la ville qu'elle protégeait.

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DIANA

Au mois d'août, il y avait à Rome de nombreuses fêtes et célébrations associées, dont la plus importante était celle de Diane sur l'Aventin. Diane était une déesse très importante et très suivie, mais pas tant dans l'Urbs que dans les campagnes de toute l'Italie.

Dans les campagnes, Diane régnait en tant que déesse des champs cultivés et des bois, ainsi que des herbes sauvages qui étaient non seulement comestibles mais aussi saines, de sorte qu'elle était également vénérée en tant que déesse de la santé, des herbes et des sources, y compris des eaux curatives, mais surtout en tant que déesse Maga. L'Église en savait quelque chose et a vu son culte perdurer pendant plus de 1000 ans après l'interdiction des cultes païens, raison pour laquelle elle a condamné les sorcières au bûcher, car les secrets de la guérison par les plantes et de la magie étaient dus à Diane et se transmettaient dans la lignée féminine, de mère en fille.

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La preuve en est que Paracelse (portrait, ci-dessus), lorsqu'au 16ème siècle il voulut redécouvrir la médecine, désormais détruite par la religion chrétienne qui avait aboli les écoles et le savoir, alla dans les campagnes interroger les femmes, qui lui révélèrent, au moins en partie, les herbes et la magie. Paracelse reconnaît la sagesse de certaines figures féminines qui sont fondamentales pour son savoir médical et au-delà. Pour lui, la femme est la matrice (matrix), dans le monde visible et invisible, qui cache en elle le secret de la nature. Alors que selon la tradition, à commencer par Hippocrate, et aussi pour les Grecs, la femme n'est que le vase qui recueille la semence, pour Paracelse le sentiment de la femme enceinte est déterminant pour l'aspect de l'âme de l'enfant.

Lors de la fête de Diane Aventine, le monde était guéri de la malice et de l'injustice, de sorte que les serviteurs et les maîtres se rendaient ensemble au temple sur l'Aventin, puis dans les bois, pour un pique-nique sain ante litteram. C'était donc la divinité la plus redoutée par les chrétiens, car elle était la déesse du pagus, c'est-à-dire des villages, et le paganisme était beaucoup plus difficile à éradiquer que la religion romaine officielle des villes.

LES FÊTES D'AOÛT

1er août - TEMPLUM MARTIS ULTORIS in Foro Augusti. Dedicatio du temple de Mars Ultor dans le Forum Augusti, construit par Auguste après la bataille de Philippes. 
1er août - TEMPLUM SPEI, en l'honneur de la déesse Spes, l'Espérance. Anniversaire de la dédicace du temple.

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5 août - TEMPLUM SALUTIS, en l'honneur de Salus (statue, ci-dessus), déesse de la santé et de la prospérité privée et publique. En 311 av. C. Iunius Bubulcus avait promis à la déesse un temple sur la colline de Quirinalis.
9 août - TEMPLUM SOLIS INDIGETIS, première fête en l'honneur du dieu Sol Indiges. Dedicatio du temple du Soleil Indige.
12 août - LYCHNAPSIA, en l'honneur de la déesse égyptienne Isis.

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12 août - TEMPLUM VENERIS VICTRICIS, en l'honneur de Vénus Victrix. La dédicace du temple a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERCULIS INVICTI en l'honneur d'Hercule Invictus. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERMETIS INVICTI en l'honneur d'Hermès Invictus, Hermès le Victorieux. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HONORIS, VIRTUTIS, FELICITATI en l'honneur des Dieux Honor, Virtus et Felicitas, (Honneur, Vertu et Bonheur). La dédicace du temple est commémorée.
13 août - Fête de DIANA AVENTINA. Les prérogatives de Diane sont ensuite transmises à la Vierge Marie, vierge comme Diane, mais alors que la déesse porte la corne de lune dans ses cheveux, la Vierge Marie la piétine ainsi que l'ancien serpent, symbole de la Grande Mère, qui est également diabolisé.

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13 août - VERTUMNALIA, dédiée au dieu Vortumnus (Vertumnus ou Vortumnus), l'ancien dieu étrusque des saisons, celui qui faisait mûrir les fruits.
13 août - HERCULES VICTOR, pour l'anniversaire du temple dédié au dieu Hercule Victor.
13 août - FLORALIA, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Flora. 
13 août - CASTOR ET POLLUX, pour l'anniversaire du temple dédié à Castor et Pollux. Les "Dioscures" qui décidèrent du sort de la bataille du lac Regillus (496 av. J.-C.) en annonçant leur victoire sur les Latins dans le Forum.

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17 août - les PORTUNALIA, célébrant Portunus (Portunus ou Portumnus), le dieu des ports, en même temps que Janus (Ianus), le dieu qui regarde vers le passé et l'avenir (photo: temple de Portunus).
19 et 20 août - VINALIA RUSTICA, fête du vin en l'honneur de Jupiter (Iuppiter), où l'on demandait la protection des raisins en cours de maturation.
19 août - VENUS, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Vénus.
21 août - CONSUALIA, dédiée à Conso (Consus), dieu des récoltes. 
23 août - VOLCANALIA, dédiée à Vulcain (Vulcanus), dieu du feu, fabricant d'armes et de foudre.
24 août - MUNDUS PATENS, première fête des dieux du monde souterrain. Dans le comitium, il y avait une ouverture qui communiquait avec le monde souterrain. L'ouverture était fermée par le "lapis manalis". Trois fois par an, le lapis était levé.
25 août - OPICONSIVIA, pour célébrer Opis Consiva, une ancienne déesse romaine protectrice de l'abondance et de l'agriculture, qui a reçu l'attribut Consiva signifiant "qui sème, qui plante", à sa protection était confié le grain récolté et stocké dans les greniers. 

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27 août - VOLTURNALIA, en l'honneur du dieu Volturnus (en latin Vulturnus), père de la nymphe Giuturna (Iuturna), patronne de la source qui alimentait le "lacus Iuturnae", dans le Forum. 
28 août - TEMPLUM SOLIS ET LUNAE IN CIRCUS MAXIMO, pour la dedicatio du Temple du Soleil et de la Lune. 
28 août - VICTORIAE, fête de la déesse Victoria, la Nike grecque. 
30 août - MUNDUS PATENS, en l'honneur des morts.

En plus de ces temples ouverts pour les Feriae Auguste, le prêtre du dieu Quirinus offrait un sacrifice sur un autel dans le temple souterrain situé sous le Circus Maximus. Bien entendu, pendant tout le mois, on ne travaillait pas et on festoyait souvent devant les temples aux frais de l'État.

César Auguste accorda donc un mois de vacances au peuple romain, notamment parce qu'en août, les travaux des champs étaient terminés et que les paysans se sentaient bien. De plus, à Rome, il y avait presque toujours des jours de fête, 25 jours de fête, ce qui, avec le couronnement d'Octave, en faisait 26, alors autant déclarer une fête pour tout le mois, ce qu'Octave fit, sous les acclamations du peuple.

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COSMOS
bulletin d'information n° 165

"Ferragosto et l'Assomption
Comment en est-on arrivé à célébrer l'Assomption le 15 août?
Marie, mère de Dieu, n'était pas très présente dans les Évangiles: elle disparaît avec la descente de l'Esprit Saint, mais dans les Évangiles apocryphes, elle est mentionnée avec le Transit de la Vierge Marie attribué à Joseph d'Arimathie et, au 6ème siècle, avec la Dormition de la Vierge Marie de saint Jean le Théologien.

Le culte de l'Assomption n'a commencé à se répandre qu'entre le 4ème et le 5ème siècle. À Jérusalem, il a commencé à être célébré au début du 6ème siècle dans l'église construite sur le site de Gethsémani, où Marie aurait été enterrée. L'empereur Maurice ordonna d'étendre la célébration à tout l'empire et, vers l'an 1000, elle devint un anniversaire où l'on se reposait. Appelé "Dormition", ce repos n'était pas clairement défini : tantôt il s'agissait d'un corps non corrompu, tantôt d'un corps enveloppé de lumière et porté au ciel par les anges.

Mort ou endormi ? Le débat s'est poursuivi pendant des siècles, jusqu'à ce que, en 1950, Pie XII confirme que l'Assomption est un fait divinement révélé, l'œuvre de l'Esprit Saint.

Mais Ferragosto, en Italie, est une fête très ancienne qui, comme beaucoup d'autres fêtes devenues chrétiennes, a des origines païennes.

OPS

En 18 avant J.-C., l'empereur romain Octave, proclamé Auguste (c'est-à-dire vénérable et sacré) par le sénat romain, déclara que tout le mois d'août serait férié et consacré aux Feriae Augusti, une série de célébrations solennelles, dont la plus importante tombait le 13 et était dédiée à Diane, la patronne du bois, des phases de la lune et de la maternité. 

La fête était célébrée dans le temple dédié à la déesse et constituait l'une des rares occasions où les Romains, maîtres et esclaves, se mêlaient librement.

Diane était célébrée à Rome, en Grèce sous le nom d'Athéna, et au Proche-Orient, à la même époque, on fêtait une autre Grande Mère, la déesse syrienne Atargatis, connue sous le nom de déesse Syrie, qui était considérée comme la protectrice de la fertilité et des travaux des champs.

Outre Diane, les Feriae étaient une fête dédiée à Vertumnus, dieu des saisons et de la maturation des récoltes, à Consus, dieu des champs et à Ops, déesse de la fertilité. En bref, les Feriae étaient une célébration de la fertilité et de la maternité et, comme beaucoup d'autres fêtes, elles étaient d'origine orientale.

Avec le christianisme, ces mêmes prérogatives ont été attribuées à la Vierge Marie, dont la solennité a commencé à être célébrée à la place de celle de Diane. Quoi qu'il en soit, la tradition du mois d'août comme mois des Feriae s'est maintenue, ce qui explique que les usines et les magasins restent encore "fermés pour cause de vacances" jusqu'à la fin du mois d'août, même si personne ne se souvient de l'empereur qui les a instituées comme une autocélébration.

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Les premières traces d'occupation humaine dans la vallée du lac Nemi remontent à l'âge du bronze. La forêt, lieu sacré dans toutes les civilisations indo-européennes, était le siège de cultes liés à la grande et toute-puissante déesse-mère - déesse de la vie sous toutes ses formes, humaine, animale et végétale - identifiée plus tard à Diane et assimilée à Artémis, dont le symbole était la lune : le lac Nemi, dans lequel se reflète la lune, était appelé "le miroir de Diane". Dans son temple, un rendez-vous fixe était fixé chaque année le 13 août, l'"Idus nemorenses", d'où les "feriae augustae".

Le terme Ferragosto désigne donc une fête populaire qui, à la mi-août, célébrait la fin des travaux agricoles. Cette fête, typiquement romaine, a été rendue obligatoire à la Renaissance par décret papal".

LA FÊTE DE L'ASSOMPTION

La Dormitio

Avec le christianisme, toutes les fêtes païennes ont été abolies, au grand dam du peuple, en particulier la fête du temple de Diane Aventine. Pour apaiser le mécontentement, mais aussi pour empêcher les gens de se rendre sur l'Aventin, le temple ayant été détruit, l'Église décréta au 6ème siècle la fête de la Dormition de la Vierge Marie, avec son Assomption au ciel, le 15 août. Cependant, ce n'était pas encore l'Assomption de Marie.

Depuis la Renaissance, les fêtes ont été rendues obligatoires par des décrets papaux. La Dormitio, ou sommeil de Marie, devait être comprise comme le passage à la vie éternelle par son assomption au ciel avec son corps. Ce n'est pas nouveau, c'est aussi arrivé à Sémélé, dans le mythe grec, déesse de la lune rétrogradée en femme, amante de Jupiter et mère de Dionysos, qui a été élevée au ciel avec son corps et son âme au moment de sa mort, c'est-à-dire un instant avant. 

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LE DOGME

Cette croyance en la Vierge Marie a été transformée en dogme par le pape Pacelli Pie XII en 1950 (alors que l'immaculée conception avait déjà été déclarée dogme par Pie IX en 1854).

Le 15 août est donc la plus haute fête mariale.

Voici les précédents du dogme :

Le Transitus de la Vierge Marie, attribué à Joseph d'Arimathie.

L'ASSOMPTION DE LA VIERGE
- La Vierge avait donc demandé à son Fils de l'avertir de la mort trois jours auparavant. La promesse se réalisa : la deuxième année après l'Ascension, Marie était en train de prier lorsque l'ange du Seigneur lui apparut avec une branche de palmier et lui dit : "Dans trois jours aura lieu ton Assomption".

- La Vierge a convoqué Joseph d'Arimathie et d'autres disciples du Seigneur à son chevet et leur a annoncé sa mort.

- Le dimanche, à la troisième heure, comme l'Esprit Saint descendait sur les apôtres dans une nuée, le Christ descendit lui aussi avec une multitude d'anges et reçut l'âme de sa mère bien-aimée. 

- La splendeur de la lumière et le doux parfum qui se dégageait lorsque les anges chantaient le Cantique des Cantiques au moment où le Seigneur dit : "Comme un lis parmi les épines, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes filles" étaient si grands que tous ceux qui étaient là tombèrent sur leur visage, comme les apôtres lorsque le Christ s'était transfiguré en leur présence sur le mont Thabor, et pendant une heure et demie, personne ne put se relever. 

- Puis la lumière s'est éteinte et, avec elle, l'âme de la Vierge Marie a été emportée au ciel dans un chœur de psaumes, d'hymnes et de cantiques. Et lorsque le nuage s'éleva, la terre entière trembla et, en un seul instant, tous les habitants de Jérusalem virent clairement la mort de la sainte Marie. "

- A ce moment-là, Satan incita les habitants de Jérusalem à prendre les armes et à s'en prendre aux apôtres pour les tuer et s'emparer du corps de la Vierge, qu'ils voulaient brûler. Mais un aveuglement soudain les empêcha d'exécuter leur plan et ils finirent par s'écraser contre les murs. Les apôtres s'enfuirent avec le corps de la Vierge, le portant jusqu'à la vallée de Josaphat où ils le déposèrent dans un tombeau : à cet instant, une lumière venue du ciel les enveloppa et, alors qu'ils tombaient à terre, le saint corps fut enlevé au ciel par des anges.

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Voilà le dogme de la Vierge :

Le dogme catholique a été proclamé par le pape Pie XII le 1er novembre 1950, l'année sainte, par la "Constitution apostolique-Munificententissimus-Deus" (Dieu très généreux). Il s'agit du dernier dogme, après les deux proclamés par Pie IX au 19ème siècle.

"C'est pourquoi, après avoir de nouveau adressé à Dieu des supplications et invoqué la lumière de l'Esprit de Vérité, à la gloire du Dieu tout-puissant, qui a répandu sur la Vierge Marie sa bienveillance particulière pour l'honneur de son Fils, le Roi immortel des siècles et vainqueur du péché et de la mort pour la plus grande gloire de son auguste Mère et pour la joie et l'exultation de toute l'Église, par l'autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, des saints apôtres Pierre et Paul, et la nôtre, nous prononçons, déclarons et définissons comme dogme révélé par Dieu que l'immaculée Mère de Dieu, toujours vierge Marie, ayant achevé le cours de sa vie terrestre, a été revêtue de la gloire céleste en corps et en âme.

Par conséquent, si quelqu'un, à Dieu ne plaise, osait nier ou mettre volontairement en doute ce qui a été défini par Nous, qu'il sache qu'il a manqué à sa foi divine et catholique. "

ANATHEME SIT !

Le dogme de l'infaillibilité papale ex cathedra, par lequel le pape:
"jouit de l'infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église soit pourvue pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs : c'est pourquoi ces définitions du Pontife romain sont immuables par elles-mêmes, et non par le consentement de l'Église. Si donc quelqu'un a la prétention de s'opposer à cette Notre définition, à Dieu ne plaise : qu'il soit anathème. " 
(Pastor Aeternus, 18 juillet 1870)

L'Église reconnaît donc qu'en cette occasion précise, le pape a proclamé un dogme en exerçant la fonction de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, et donc avec le charisme de l'infaillibilité.

En 1854, Pie IX a proclamé ex cathedra (c'est-à-dire sans l'approbation du Conseil des évêques) le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Ce dogme établit que, dès sa conception, elle n'a pas été souillée par le "péché originel". 

Qui avait établi l'existence du péché originel ? Le pape avec le Concile, bref Jésus n'y est pour rien.

Cette proclamation n'a pas du tout plu aux évêques, car dans l'Église primitive, la question de la foi était définie par les conciles et non par le pape. Comme au concile de Nicée, où la divinité du Christ a été définie en l'absence du pape et avec une faible participation de l'Occident. La controverse portait principalement sur la possibilité pour le pape de proclamer des dogmes de foi sans le conseil des évêques.

Les protestations sont nombreuses, notamment de la part de l'évêque de Pittsburgh, trois mois après le début du concile : "Un coup mortel. Nous allons devoir avaler ce que nous avons vomi" ; l'accusation, souvent portée contre les catholiques, de considérer le pape comme une divinité, le préoccupe. Dans le passé, ces accusations ont toujours été rejetées, mais une fois l'infaillibilité déclarée, comment pourrons-nous nous défendre ?

Le non-respect du dogme entraîne l'anathème, qui, dans l'Ancien Testament, est la destruction totale :

"Ce qui est entré en contact avec la divinité païenne est désormais maudit, ne peut être touché, doit être voué à une destruction complète ; c'est l'anathème. Comme les choses, un peuple peut être anathème. Dans le Deutéronome, on peut lire: "Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu'il aura chassé devant toi plusieurs nations : les Héthiens, les Jergésiens, les Amorites, les Phéréziens, les Égyptiens, les Cananéens et les Jébusiens, sept nations plus grandes et plus puissantes que toi, lorsque le Seigneur ton Dieu les aura mises en ton pouvoir et que tu les auras vaincues, tu les voueras à l'extermination ; tu ne feras pas d'alliance avec elles et tu ne leur accorderas pas de faveur" (Deutéronome 7,1-2).

Dans l'Église catholique et orthodoxe, l'anathème est devenu une malédiction qui condamne au diable les hérétiques et les sorcières, ainsi que les dissidents, par exemple ceux qui ne croient pas au dogme.

Le résumé sur le dogme :

1) Qui a établi que le Pape est infaillible lorsqu'il parle du dogme ?
- Le Pape.
2) Qui a établi que le Pape, lorsqu'il parle en dogme, est inspiré par Dieu ?
- Le Pape.
3) Qui détermine si, à un moment donné, le Pape parle par le dogme ou sans le dogme ?
- Le Pape.
4) En bref, qui a inventé le dogme du Pape ?
- Toujours le Pape. Même les empereurs romains, pourtant pontefici maximi, n'avaient jamais été aussi loin.

La synthèse du dogme :

1) L'Assomption de Marie est une anticipation de la résurrection de la chair, qui pour tous les autres hommes n'aura lieu qu'à la fin des temps, lors du Jugement dernier.
- Une simple anticipation ? Tant de bruit pour si peu ?
2) L'Eglise anglicane a déclaré en 2005 par un document de la Commission Internationale Catholique Anglicane qu'elle acceptait l'Assomption de Marie, mais pas en tant que dogme.
- Ce qui signifie qu'il n'est pas obligatoire de l'accepter, d'accord, mais l'ont-ils acceptée ou non ?
3) Les chrétiens orthodoxes et arméniens célèbrent la Dormition de Marie : Marie serait assumée au ciel après sa mort.
- C'est-à-dire que son cadavre aurait été transporté dans le monde immatériel du Paradis ?
4) Ni la Dormition ni l'Assomption ne sont un dogme chez les orthodoxes ou les Arméniens. La principale différence entre la Dormition et l'Assomption est que cette dernière n'implique pas nécessairement la mort, mais ne l'exclut pas non plus.
- Encore une fois, que voulez-vous dire par "elle ne l'exclut pas", vous déclarez que c'est un dogme mais vous ne savez pas comment cela s'est produit ? Dieu le lui a-t-il à moitié expliqué ?
5) Les Eglises protestantes, par contre, ne croient pas à l'Assomption de Marie, car elle n'est pas racontée dans l'Evangile.
- S'ils ne reconnaissent pas le Pape, ils n'acceptent certainement pas ce qu'il dit comme dogme.

LA MORALE DE LA FABLE

Il n'était pas bon de célébrer une fête qui concernait les Romains anciens et païens, il fallait inclure une fête catholique importante, et voici l'Assomption, mais pas question, les Romains continuent à célébrer les Feriae Augusti, ou, en langue vernaculaire, la fête de l'Assomption.

BIBLIOGRAPHIE

- Giovanni Pugliese Carratelli - Imperator Caesar Augustus - Index rerum a se gestarum - avec introduction et notes - Naples - 1947 -
- Luciano Canfora - Auguste fils de Dieu - Bari - Laterza - 2015 -
- Arnaldo Marcone - Auguste - Salerne - 2015 -
- John F. Donahue - 'Towards a Typology of Roman Public Feasting' in Roman Dining - A Special Issue of American Journal of Philology - University Press - 2005 -
- Georges Dumézil - Fêtes romaines - Gênes - Il Melangolo - 1989 -

lundi, 14 août 2023

Se mouvoir ou rester sur place

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Se mouvoir ou rester sur place

Source: https://www.heliodromos.it/muoversi-o-stare/

La distinction opérée par Evola quant au concept de liberté ("liberté pour quoi" et "liberté de quoi") est bien connue et peut s'appliquer à la liberté de mouvement elle-même : l'un des paramètres fondamentaux pour mesurer les conditions d'autonomie et d'indépendance de l'être humain. Il s'agit en fait de l'une des libertés les plus restreintes et les plus menacées aujourd'hui. En effet, lors des récents "tests techniques" de la tyrannie, sous le prétexte de l'urgence pandémique, nous avons eu un petit avant-goût de ce qui peut et ne peut pas être fait à l'avenir. Un avant-goût significatif (mais pas définitif!) du point final du capitalisme de surveillance et de la cage dans laquelle l'existence humaine sera emprisonnée, très bientôt. Mais, en reprenant Evola, il est important et fondamental de s'interroger sur les motivations qui déterminent le mouvement: bouger pourquoi? pour aller où? pour faire quoi?

L'énorme richesse des possibilités spirituelles garanties par les sociétés traditionnelles s'oppose à la tendance moderne stérile à l'uniformisation des individus, qui se concrétise dans la classification et le classement capillaire (civil, sanitaire, financier, culturel et même religieux) de chaque sujet, contraint à des espaces d'existence de plus en plus étroits et limités. Et ce, malgré la supériorité intellectuelle et vitale revendiquée de l'homme moderne, réduit par ses administrateurs à un nombre anonyme et relégué à une multiplicité indistincte. Dans un tel contexte, la poursuite incessante du changement constant, du mouvement abrutissant et du déplacement irrépressible d'un lieu à un autre risque d'être réduite au seul aspect néfaste et dissolvant, propre à l'instabilité du caractère et au manque d'équilibre intérieur; ce qui a pour contrepartie l'énorme concentration de la fourmilière humaine dans des mégalopoles toujours plus grandes et plus peuplées, emprisonnées dans le pire et le plus grossier matérialisme; ce qui s'aventure dans des migrations de masse périodiques - de véritables troupeaux en transhumance! - pour retourner, inévitablement, à leur propre captivité quotidienne.

L'obsession toute démocratique des départs (plus ou moins intelligents !) de flots indistincts de vacanciers et d'usagers méticuleux du "pont-vacances", prétend faire passer pour une liberté de mouvement ce qui n'est qu'une tentative d'évasion de soi et une immersion répétée dans le conformisme ordinaire de la même monotonie quotidienne, par ceux qui n'ont rien à faire; pour qui l'on change simplement de décor, de panorama ou - comme le disent les colonisés mentaux - de lieu. Cette manie d'errer en masse sur les plages bondées ou dans les ruelles profanées et outragées des soi-disant villes d'art, n'est qu'un alibi et une occasion de faire ressortir le pire de soi-même, de sublimer ses défauts, de donner libre cours à ses pires instincts, de se sentir autorisé à s'adonner au bruit et à la vulgarité; dans une migration forcée, d'échapper et de se soustraire à la correction, à la politesse, à la sobriété, à la règle et à la mesure.

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Il n'est donc pas surprenant que les migrations modernes n'aient rien à voir avec ce qui était autrefois des pèlerinages religieux ou des voyages initiatiques, prenant, dans leur volontarisme apparent, une signification pathologique, en raison de la vacuité intérieure absolue de leurs protagonistes. Et même lorsqu'ils devraient avoir une finalité fortement utilitaire et économique, comme, par exemple, dans la course folle vers les territoires de l'Ouest de l'épopée américaine, dont l'aventurier anarchique "on the road" de la beat generation a voulu représenter, avec son nomadisme et son errance, une sublimation littéraire et intellectuelle, l'absence totale se confirme toujours, non seulement d'un sens spirituel et religieux, mais d'une véritable raison d'être de tels phénomènes.

Et justement, en ce qui concerne le nomadisme, ce que Guénon a dit du théâtre et de son itinérance originelle avec une fonction religieuse reste valable, avec les risques relatifs liés à la désacralisation du phénomène lorsqu'il tombe en décadence, car on connaît la méfiance, voire l'aversion, que l'on ressentait au Moyen-Âge à l'égard des acteurs et des itinérants en général. Kantorowicz raconte que pour Frédéric II, les "chevaliers errants et même les troubadours, qui troublaient sa tranquillité par leurs chants, étaient sans aucun doute indésirables dans l'organisme solide de son État, et autant qu'il le pouvait, il essayait d'empêcher l'errance et les voyages, sauf au service du gouvernement". Et c'est peut-être précisément la substitution moderne du théâtre au cinéma qui a vu, chez les protagonistes de ce dernier, un véritable déchaînement de toutes les puissances négatives et dissolvantes d'une profession "dangereuse", autrefois privée de toute protection rituelle.

Guénon rappelle encore que les "petits mystères", relatifs aux lois du devenir, s'accomplissent en suivant la roue cosmique; tandis que les "grands mystères" se rapportent aux principes immuables et exigent "la contemplation immobile dans la "grande solitude", dans le point fixe qui est le centre de la roue, dans le pôle invariable autour duquel s'opèrent les révolutions de l'Univers manifesté, sans qu'il y participe" (A propos des Pèlerinages, Le Voiles d'Isis, juin 1930).

Le mouvement de rotation autour d'un centre représente, en principe, le seul mouvement raisonnable et motivé - avec sa valeur intrinsèque étymologiquement "révolutionnaire" - pour que la vie de chacun se déroule dans l'ordre, l'harmonie et selon la Norme supérieure. Plus l'influence attractive du Centre est forte, plus la possibilité de se déplacer en toute sécurité sur le pourtour est grande. Le caractère cyclique et répétitif des différents passages représente seulement - de temps en temps - une confirmation et un renforcement de chaque valence et caractéristique des points touchés et traversés le long du chemin. Il suffit de penser au mouvement des corps célestes (au Ciel), ou au passage par les différents points cardinaux (sur la Terre) ; sans oublier la succession annuelle des Saisons, avec la charge d'influences spirituelles et de manifestations matérielles et subtiles qu'elles conservent en elles-mêmes ; là où vraiment la dynamique vitale de la manifestation trouve son expression maximale, comme dans le cas de l'exubérante floraison printanière, par opposition à l'arrêt mortel de l'immobilité terminale de chaque cycle d'existence, jusqu'à l'accomplissement de toutes ses possibilités : où se reflète, sous une forme inversée, la stabilité immuable du Principe.

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Et c'est précisément la raison pour laquelle, dans toutes les voies de réalisation et dans toutes les techniques d'ascèse, le corps du pratiquant assume (comme dans la position du lotus du yoga, dans la prière du dévot musulman, dans l'agenouillement du chrétien) une position de stabilité immuable et de ferme concentration, visant à la domination des sens et de la pensée, à la calme indifférence et à la complète fermeture et imperméabilité aux appels du monde extérieur, transformant ainsi son support physique en la parfaite représentation d'une Montagne ferme et inébranlable.

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vendredi, 30 juin 2023

La Voie des Pères et la Voie des Dieux

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La Voie des Pères et la Voie des Dieux

Pierre-Emile Blairon

« D’une manière générale, avec l’avènement de l’humanisme et du prométhéisme, il a fallu choisir entre la liberté du souverain et celle du rebelle, et l’on a choisi la seconde ».

En une phrase, Julius Evola avait dévoilé le sort de notre humanité[1] en indiquant les causes les plus visibles du déclin que nous vivons aujourd’hui.

Un admirateur de la pensée du « philosophe au marteau[2] », Friedrich Nietzsche, serait étonné, voire scandalisé, que Julius Evola établisse un rapport de cause à effet entre le premier de ces termes : l’humanisme, et le deuxième : le prométhéisme, autrement dit le surhumain[3]. Il se consolerait cependant en se rappelant que Nietzsche disait lui-même « On n’est fécond qu’à ce prix : être riche de contradictions[4]. »

Et nous ajouterons que le même lien existe entre le terme surhumanisme et un autre, encore plus moderne, qui fait florès aujourd’hui, et dont on aimerait bien qu’il ne reste qu’à l’état d’un mot: celui de transhumanisme.

On ne peut comprendre cette filiation régressive que si l’on a su se débarrasser de la mystification darwinienne de l’évolution[5] qui pèse sur la mentalité de l’homme moderne comme un dogme incontournable. Ce rejet libérateur suppose être déjà entré dans un processus fondamentalement et authentiquement révolutionnaire, ce qu’avait expliqué, prôné et initié Julius Evola[6], qui eut cette phrase sublime et définitive :  « Le fait qu’à la conception aristocratique d’une origine d’“en haut”, d’un passé de lumière et d’esprit, se soit substituée de nos jours l’idée démocratique de l’évolutionnisme, qui fait dériver le supérieur de l’inférieur, l’homme de l’animal, la civilisation de la barbarie – correspond moins au résultat "objectif" d’une recherche scientifique consciente et libre, qu’à une des nombreuses influences que, par des voies souterraines, l’avènement dans le monde moderne des couches inférieures de l’homme sans tradition, a exercées sur le plan intellectuel, historique et biologique. »

En invoquant la réalité de l’involution, ce n’est évidemment pas Evola qui pratique l’inversion des valeurs mais bien l’écrasante majorité de nos contemporains qui ignorent que cette représentation est en accord avec l’une des caractéristiques qui définissent une fin de cycle, précisément le fait qu’aux tout derniers moments du Kali-Yuga, toutes les valeurs qui assuraient la forme d’une civilisation se trouvent complètement inversées.

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Humanisme 

Les dictionnaires s’accordent pour donner deux définitions du mot humanisme : la première désigne un mouvement philosophique, artistique et littéraire qui naquit en Italie à l’aube de la période dite de la Renaissance (XVe – XVIe siècle), qui se propagea à toute l’Europe et qui s’attacha à réveiller les valeurs transmises par l’Antiquité (concept qui resta ensuite dans le langage courant pour désigner les études consacrées à cette période : faire ses « humanités »). Il n’est pas inutile de rappeler que, pour les historiens profanes, la « Modernité » débute à la Renaissance, ce qui induit que la Renaissance, par un retournement sémantique inclus dans toute fin de cycle, était donc le début de la fin[7].

La seconde définition indique que l’humanisme est « de nos jours, toute théorie philosophique, sociale, politique, ayant pour but suprême le développement illimité de toutes les possibilités de l’homme» (Larousse)

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En ce qui concerne la première définition du mot humanisme, Julius Evola disait ceci : « On voudrait voir dans la Renaissance, sous beaucoup de ses aspects, une reprise de la civilisation antique, découverte de nouveau et réaffirmée contre le monde morne du christianisme médiéval. Il s'agit là d'un grave malentendu. La Renaissance ne reprit du monde antique que des formes décadentes et non celles des origines, pénétrées d'éléments sacrés et supra-personnels, ou les reprit en négligeant complètement ces éléments et en utilisant l'héritage antique dans une direction tout à fait différente. Dans la Renaissance, en réalité, la « paganité » servit essentiellement à développer la simple affirmation de l'Homme, à fomenter une exaltation de l'individu qui s'enivre des productions d'un art, d'une érudition et d'une spéculation dénuées de tout élément transcendant et métaphysique[8]. »

Et nous ne serons pas surpris que Julius Evola ait préféré voir dans le Moyen-Âge cette « Renaissance » qui pouvait constituer, à notre humble avis, une résurgence miraculeuse, éphémère sûrement, de la Tradition primordiale, notamment avec le cycle du Graal.

« Si, depuis la fin du monde antique », dit-il, « il y eut une civilisation qui mérita le nom de Renaissance, ce fut bien celle du Moyen-Âge. Dans son objectivité, dans son « virilisme », dans sa structure hiérarchique, dans sa superbe élémentarité anti-humaniste, si souvent pénétrée de sacré, le Moyen-Âge fut comme une nouvelle flambée de l'esprit de la civilisation, universelle et une, des origines[9]. »

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Nous dirons que Julius Evola pouvait, en revanche, être en accord avec la deuxième définition ; il semble que les rédacteurs des divers dictionnaires qui ont, à la quasi-unanimité, adopté son libellé, n’aient pas perçu les nombreuses conséquences qu’elle pouvait entraîner, spécialement à notre époque où, par un effet naturel, certains individus favorisés commençant à sentir les prémisses du nouveau cycle, comprennent que l’humain s’est attribué une place au sein de l’univers qui, loin de correspondre à celle que lui a assignée la divinité, n’est que l’expression arrogante de son orgueil. 

La tâche principale du prochain cycle que nous devons préparer consistera à remettre l’Homme à sa place. Les Européens traînent avec eux le boulet fruste et brutal de leurs origines supposées dont la doxa évolutionniste a accrédité l’histoire. Julius Evola, qui disait que de l’inférieur ne peut naître le supérieur, ne s’y trompait pas. Nos ancêtres européens de l’Âge d’Or avaient parfaitement conscience d’être intégrés à l’univers cosmique, d’en être à la fois les conducteurs, les protecteurs et les producteurs, les trois fonctions qui régissaient leur monde. Les hommes étaient l’élément régulateur, équilibrant, de ce que les monothéistes ont ensuite dénommé la « création » ; ils n’étaient ni prédateurs ni déprédateurs des autres règnes, animal, végétal, minéral. À l’Homme, missionné par la divinité, incombait la responsabilité de la parfaite harmonie du monde.

ob_9c2eaa_avt-rene-guenon-6902.jpegNous conclurons ce paragraphe consacré à l’interprétation de ce concept d’humanisme avec René Guénon qui, dans La Crise du monde moderne, rassemble ses deux volets évoqués plus haut : « Il y a un mot qui fut mis en honneur à la Renaissance, et qui résumait par avance tout le programme de la civilisation moderne : ce mot est celui d’˝humanisme˝. Il s’agissait en effet de tout réduire à des proportions purement humaines, de faire abstraction de tout principe d’ordre supérieur, et, pourrait-on dire symboliquement, de se détourner du ciel sous prétexte de conquérir la terre. »

Surhumanisme

Ce mot, surhumanisme, est souvent associé à deux autres: prométhéisme et titanisme, tous deux issus de la mythologie grecque. Nietzsche se contentait d’appeler de ses vœux le surhomme ou le surhumain, mais on retrouve, à l’origine, le terme de « surhumanisme » sous la plume d’un écrivain nommé Gabriel-Rey pour titrer son livre : Humanisme et surhumanisme  paru en 1951; selon cet auteur, le surhumanisme était le contraire de l’humanisme. Le terme sera repris ensuite en France par Giorgio Locchi et Guillaume Faye pour prôner, chez ce dernier, un archéofuturisme largement influencé par la technoscience.

Evola écrivait dans L’Arc et la Massue : « Par « humanisme », nous entendons une vision globale tout entière centrée sur l’homme, sur la condition humaine, ce qui est humain devenant alors l’objet d’un culte, pour ne pas dire d’un véritable fétichisme. » et il faisait un peu plus loin le lien entre humanisme d’une part et prométhéisme ou titanisme d’autre part sans employer, lui non plus, le terme de surhumanisme : « Le prototype de l’esprit humain avec toute sa "noblesse", on le découvre chez le rebelle qui s’est révolté contre les forces supérieures, chez le Titan : Prométhée. »

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Titanisme

Dans la mythologie grecque, les Titans constitue une race originelle, archaïque, apparue avant même les dieux olympiens (ainsi appelés en raison de leur demeure, le mont Olympe) ; les Titans sont étroitement liés à l’espèce humaine quelque soit l’origine de celle-ci ; dans un cas, les deux races sont créées par Gaïa, la Terre, (pour les hommes, issus de la Terre, c’est le mythe de l’autotochnie), dans l’autre, les humains sont créés par Prométhée, un Titan.

Prométhée est l’inventeur de l’humanisme (que certains confondent avec l’amour de son prochain, et même de son lointain, de l’humanité en général) et, à ce titre, le précurseur de la passion et de la mission du Christ, d’une part, mais aussi, d’autre part, considérant l’Homme comme maître des autres règnes cosmiques, la référence et l’alibi des folies matérialistes de notre monde actuel, ce que les philosophes appellent l’hubris, la démesure élevée en mode de fonctionnement de nos sociétés actuelles, la folie titanesque ; nous ne prendrons pour seul exemple, caricatural, de cette folie que celui de cette course à celui qui élèvera la plus haute tour au monde (on pense à la Tour de Babel), compétition engagée par les Bédouins milliardaires qui les distrait des courses de chameaux dont ils sont friands ; mais cette frénésie de construction verticale s’étend à l’ensemble de la planète, si bien que les villes de culture qui se distinguaient par une architecture enracinée perdent leur spécificité et sombrent dans l’anonymat et l’uniformité de ces terrifiantes mégapoles dont Oswald Spengler avait si bien prophétisé la sinistre emprise.

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Mais nous n’oublions pas pour autant le naufrage du plus grand bateau de l’époque, le Titanic, si bien nommé, coulé par un blanc destroyer venu d’Hyperborée, un iceberg, avertissement très symbolique donné par les divinités au tout début du XXe siècle[10].

Julius Evola est le penseur européen qui a le mieux compris dans quel abîme allait nous entraîner l’initiative malheureuse de Prométhée car, en effet, et nous pouvons le vérifier de nos jours, toute l’histoire de la pensée religieuse en Occident depuis Prométhée nous a conduit à la pitoyable religion des « Droits de l’homme » (qui a succédé à un christianisme gauchisé et laïcisé), elle-même remplacée par la religion scientiste de l’évolution darwinienne, à travers un processus transformiste qui, partant du Titan orgueilleux qui veut se mesurer aux dieux et se retrouve supplicié, passe par le Christ qui choisit d’interpeller les hommes par son martyre, pour arriver au déni de ces deux sacrifices dans l’anarchie jouissive, artificielle, vulgaire et matérialiste de notre fin de cycle.

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La fourberie et la vanité du Titan Prométhée qui défia les dieux provoquèrent leur réaction qui firent de l’Homme, qui jouissait d’un statut d’immortel, un être soumis aux contingences matérielles et aux aléas de la nature ; l’humain dégradé se vengera sur cette dernière, réduisant son séjour sur Terre à une lutte pour la survie contre les autres règnes ; il convient de remarquer avec quelque étonnement que les hommes continuent d’honorer celui qui provoqua leur chute. Paul Diel dira : « Les hommes, en tant que créatures de Prométhée, formés de boue et animés par le feu volé, réalisent la révolte du Titan et ne pourront que se pervertir. Guidés par la vanité de l’intellect révolté, fiers de leurs capacités d’invention et de leurs créations ingénieuses, les hommes s’imagineront être pareils aux dieux[11]. »

Prométhée, sa vie, son œuvre

Rappelons brièvement, si c’est possible - l’histoire est compliquée - qui était Prométhée dans la mythologie grecque : il est issu des divinités primordiales apparues avant les dieux de l’Olympe, une race de géants dont les descendants se répartiront en deux clans, celui de Zeus en sortira vainqueur, se débarrassera de ses adversaires mais conservera à ses côtés Prométhée et son frère Epiméthée qui l’avaient rallié à temps ; les nouveaux maîtres de l’univers au nombre de douze, dirigés par Zeus, habiteront un jardin secret situé sur le plus haut sommet de la Grèce, le Mont Olympe ; Prométhée ne fait pas partie des douze élus  dans cette mythologie ; la création de l’Homme nous offre deux versions : soit c’est Prométhée qui aurait créé les hommes à partir d’argile, soit l’humain est apparu avant même que Zeus ne soit roi, créé par Gaïa, la Terre, en même temps que les Géants.

Prométhée avait déjà trahi son clan en s’alliant avec celui de Zeus ; mais il n’est pas satisfait de sa condition ; il ne fait pas partie des élus ; il a dans l’idée de défier les Olympiens, et surtout Zeus, en les spoliant au profit de ses protégés, les humains (précisons qu’il n’y a alors que des hommes de sexe mâle), qu’il initiera à l’agriculture, la construction, l’astrologie, la médecine…

Son premier forfait sera de léser Zeus en partageant un bœuf entre les dieux et les hommes ; « comme Prométhée est un dieu à mètis, un roublard, un menteur qui veut essayer de posséder Zeus, de lui jouer un tour, il fraude les parts[12] », explique Jean-Pierre Vernant, le spécialiste de la Grèce antique ; en fait, Prométhée donne aux dieux des os qu’il recouvre de graisse pour les tromper et réserve la viande aux hommes ; Zeus punit les hommes (compères de Prométhée) lorsqu’il se rend compte de la supercherie ; les hommes changent de statut, ils étaient semblables aux dieux, et ils sont dès lors obligés de travailler pour se nourrir et sont privés du feu ; pour couronner le tout, Zeus offre la femme, Pandora, à Prométhée (comme punition supplémentaire ?), qui la refuse, mais le frère de Prométhée, Epiméthée, l’accepte ; voici que s’avance le « mythe » d’Adam et Eve ; car Pandora n’est pas une déesse, elle n’est pas non plus une humaine, c’est une création artificielle ; la boîte que Pandora va ouvrir, soit par curiosité, soit par programmation, est la pomme qu’Eve donnera à croquer à Adam. La boîte de Pandore contient tous les vices, tout ce qui fait que l’Homme ne sera plus parfait, qu’il devra attendre le retour à un nouvel Age d’or pour renouer avec la voie olympienne. Avec la femme, l’Homme en tant qu’espèce va se reproduire lui-même. C’est donc grâce à la femme qu’est créée la « Voie des Pères ». Désormais, l’immortalité des hommes se limitera à un ersatz : la lignée.

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Dans ce que nous appelons la Voie des Pères, c’est-à-dire celle des hommes affranchie des dieux, celle des anges rebelles, Evola distingue une hiérarchie : « Tourmentée et dominée par l’élan de l’amour, la nature mortelle cherche à atteindre l’immortalité sous la forme de la continuation de l’espèce, en engendrant. » Ainsi, l’être humain vit son immortalité « tout comme un arbre dont les feuilles mortes sont remplacées par d’autres feuilles. On est ici à l’opposé de la conception de l’immortalité véritable, olympienne, qui implique au contraire la rupture du lien naturaliste et tellurico-maternel, la sortie du cercle pérenne de la génération, l’ascension vers la région de l’immutabilité et de l’être pur. » et Evola ajoute : « Il est évident que "l’immortalité tellurique " ou "temporelle" est une pure illusion […] parce qu’une lignée peut s’éteindre, parce qu’un cataclysme peut mettre un terme à l’existence, non seulement du sang auquel on appartient, mais de toute une race, de sorte que le mirage de cette immortalité est on ne peut plus fallacieux. […] L’enfant n’est pas engendré comme un être immortel qui arrête la série et qui "monte ", il est engendré en tant qu’être identique à eux. C’est l’éternel et inutile remplissage du tonneau des Danaïdes, le vain tissage de la corde d’Oknos, que l’âne du monde psychique inférieur n’en finit pas de ronger[13]. »

La « surhumanité » est une fin, terme pris dans les deux sens : un but et un achèvement ; l’Homme ne sort pas de sa condition, qu’à l’inverse, il va exalter, mais dans laquelle il va rester. La lignée, la Voie des Pères, constitue une sorte de galerie des glaces où l’Homme se mire à l’infini, sur le mode grotesque ou sublime selon les destinées, tournant en rond inlassablement, comme une mouche qui se heurte à la vitre (ouverte) pendant des heures sans pouvoir sortir, alors que la liberté est à sa portée.

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Après ses premières frasques et ses premiers déboires, Prométhée ne s’avoue toujours pas vaincu; il va dérober le feu sacré pour le donner aux hommes. Cette fois, c’est Prométhée lui-même qui sera puni, attaché à un rocher au sommet du Caucase, il se verra dévorer le foie par un aigle ; tout est symbole dans la mythologie : l’aigle, attribut de Zeus, l’oiseau qui peut regarder le soleil en face, l’oiseau de la vérité, vient torturer le Titan perfide en lui rongeant le foie qui repousse en permanence ; le foie humain a, de même que la peau, cette particularité de repousser, de se régénérer ; tant que l’Homme, représenté par le Titan et complice, au moins par son silence, du Titan, ne se sera pas soumis aux forces divines, il subira le châtiment là-même où il aura conservé un embryon d’éternité ou, tout au moins, de renaissance. La porte vers l’immortalité ne lui est donc pas définitivement fermée.

De même, les anges déchus que seront devenus les Titans vont conserver dans le dos, avec les omoplates, une ébauche (ou un moignon selon qu’on se tourne vers le passé ou l’avenir), des ailes qui lui auront été rognées. C’est ce même mythe qu’on retrouvera dans le christianisme.

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C’est Héraklès qui viendra délivrer Prométhée. On retrouve à nouveau, dans le personnage d’Héraklès, une préfiguration du Christ puisqu’il est lui aussi fils de Dieu (de Zeus) et d’une mortelle, Alcmène, qu’il voudra périr sur un bûcher, mort qu’il aura lui-même réclamée, mais son Père le rappellera à ses côtés dans l’Olympe.

Héraklès tuera l’aigle avec ses flèches, symboles de rectitude, en opposition avec le caractère perfide de Prométhée ; Héraklès, ce faisant, est ici « fils du carquois », exécutant les décisions des instances olympiennes.

Le mythe de Prométhée, c’est le mythe du malentendu… ou de l’ignorance.

Tout un pan de la pensée conservatrice actuelle, de ceux qui se pensent attachés à une « tradition », se trompent en prenant pour modèle un Prométhée qui serait l’archétype des grands chevaliers qui se sont illustrés tout au long de notre histoire pour se poser en défenseurs des valeurs éternelles qui ont façonné et préservé jusqu’ici l’âme européenne. Ils se trompent encore plus en érigeant la figure de Prométhée en démiurge d’une Europe à venir, une Europe de science-fiction à la façon Blade Runner, au ciel sillonné en tous sens de vaisseaux hypersoniques et bâtie sur une terre définitivement inculte sur laquelle ne poussent que d’immondes gratte-ciel d’acier et de béton dans une débauche de bruits de chaînes et de vapeurs méphitiques exhalées par l’antre de Sauron, une Europe qui a conquis le monde par sa technique et sa science en oubliant que son ingéniosité ne lui a servi qu’à fabriquer des prothèses artificielles pour remplacer les pouvoirs naturels que les hommes détenaient avant l’intervention de Prométhée, « quand ils vivaient avec les dieux[14] ». On ne construit rien et on ne peut envisager aucun avenir sur la base de la ruse, du vol et du mensonge. C’est pourtant le projet des transhumanistes qui sont les héritiers directs du surhumanisme, nous en reparlerons.

En réalité, Prométhée est la figure de l’inconséquence, de la ruse (celle qui est nécessaire quand on n’a pas de « forme », pas de stature, pas de dignité, de droiture), du « tordu », tel que le définit Evola : « L’esprit titanique aime ce qui est « tordu », car « tordu » est, de par sa nature, le mensonge, de même qu’est « tordu » aussi une œuvre intelligente, comme par exemple le lasso, le nœud coulant ; l’attribut naturel de l’esprit olympien, c’est la transparence de l’être ; l’attribut naturel de l’esprit titanique, c’est, en revanche, la misère spirituelle : stupidité, imprudence, maladresse[15]. »

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Jean-Pierre Vernant, avec humour, traite Prométhée de « soixante-huitard de l’Olympe[16] », François Flahaut resitue judicieusement la « révolte » prométhéenne dans le contexte actuel : «  A s’imposer comme figure de la grandeur, la révolte prométhéenne a fini par devenir un signe social de valeur, un stéréotype, une pâle imitation de ce qu’elle fut chez Goethe et Byron ; si bien qu’aujourd’hui, s’en réclamer, c’est généralement recycler un poncif et, au contraire de ce qu’on prétend être, se conformer à l’esprit du temps. A cet égard, la valorisation de la révolte prométhéenne présente le même caractère contradictoire que celle de l’originalité : plus on cherche à l’être, moins on l’est[17]. »

Nous ne serons donc pas étonnés, au terme de ce portrait peu élogieux, que le titanisme ou le prométhéisme ait donné naissance au transhumanisme, nous dirons même que c’en était la suite logique.

Le transhumanisme

Evola, s’il a eu l’intuition de cette future apocalypse, inhérente à toute fin de cycle, constituée par un conjonction de catastrophes naturelles ou/et créées par l’Homme, n’avait pas imaginé les effrayantes modalités de sa mise en place. Mais quel esprit normalement constitué aurait pu prévoir les dérapages monstrueux de la secte hors-sol qui a pris en mains les rênes du monde en ce début du XXIe siècle ?

Le but suprême des transhumanistes n’est plus de se mesurer à Dieu, de le défier comme l’avait fait Prométhée, c’est de le remplacer.

Pour aller de l’avant, revenons en arrière. Le philosophe Jean-Pierre Vernant nous disait que, avant l’intervention de Prométhée, les hommes ne mouraient pas.

Après le partage frauduleux du bœuf et le vol du feu, les deux principales infamies perpétrées par Prométhée, les hommes se sont vus confinés à la mortalité. Et Prométhée, le Titan orgueilleux qui  affrontait les dieux, s’est investi d’une mission : apprendre à vivre aux hommes, marquant bien son choix, comme disait Evola, entre la Voie des Dieux, celle de l’Olympe, et la Voie des Pères, celle des hommes. Il a choisi cette dernière et a donc inventé l’humanisme et le surhumanisme, la volonté pour l’Homme de dépasser, non seulement l’ordre naturel (signifiant ainsi qu’il ne participerait pas du cosmos), mais aussi sa propre condition, pour continuer à braver les dieux.

Mais Prométhée n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin ; une dernière étape devait être franchie : il ferait des hommes des dieux en leur restituant l’immortalité que Zeus leur avait ôtée. Lui, le Titan, serait à l’origine de ce basculement du monde ; il attendrait la fin du cycle qu’il détournerait à son profit et à celui des hommes, se passant de toute autorité divine.

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Nous en sommes bien arrivés à ce point. Cette nouvelle étape s’appelle le transhumanisme. A une différence près : les transhumanistes se soucient comme d’une guigne du sort des hommes ; chez eux, aucune bienveillance, aucune compassion ; ce qui les intéresse, c’est de soumettre les humains, comme les prométhéens l’ont fait de la nature, des plantes et des animaux, d’en faire des esclaves ou des robots mais, auparavant, de réduire leur nombre ; car les transhumanistes, en réalité, n’ont besoin que de très peu d’humains à leur service.

Les transhumanistes sont des progressistes ingénieux (et riches) qui vont au bout de leur logique scientiste et de leur hubris et qui en ont les moyens. Selon le concept évolutionniste, la vie fonctionne sur le mode linéaire : un début, une fin. Elle commence par un big-bang pour l’univers, ou par la création pour l’Homme ; plus on avance dans la vie, plus on progresse, mais plus on se dirige inévitablement vers… la mort. Les « avancées », les « lendemains qui chantent », butent sur ce phénomène naturel et qui paraissait incontournable. Les transhumanistes ont résolu la contradiction majeure du concept progressiste, ou linéariste : puisqu’il y a une barrière qui empêche le progrès sans fin, supprimons la fin, la barrière, supprimons la mort : ce sera « la mort de la mort », selon le titre bien choisi du livre de Laurent Alexandre, le représentant de la mouvance transhumaniste en France.

Pour ce faire, les transhumanistes utiliseront les moyens de la technoscience, certes, mais aussi toutes les tares dont ils ont héritées de Prométhée : la vanité, la ruse, le vol, le mensonge, la dissimulation, la fourberie... en en ajoutant bien d’autres : la manipulation (mentale et génétique), l’ambition effrénée, l’endoctrinement des foules, la perversion… déviances qu’ils vont même ériger en système de type mafieux.

Evola disait « L’esprit titanique est inquiet, inventif, toujours en quête de quelque chose, avec son astuce et son flair. L’objet de l’esprit olympien, c’est le réel, ce qui est tel qu’il ne peut pas être autrement, l’être. L’objet de l’esprit titanique, c’est l’invention, même s’il s’agit uniquement d’un mensonge bien construit[18]. »

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Cette ingéniosité titanique qui a éclaté au XIXe siècle en Occident sous forme de découvertes techniques (la machine à vapeur : quel symbole d’inconsistance !) a fait croire aux Occidentaux qu’ils étaient devenus les maîtres de la planète ; leur nouvelle foi dans la science et le progrès matériel leur a fait mépriser les sociétés traditionnelles ; ils ont cru que leur nouveau pouvoir était illimité et qu’ils étaient capables, désormais, de remplacer Dieu. Le titanisme s’est transformé en satanisme après une longue station à la case « monothéismes » ; car le transhumanisme présente ce curieux aspect de s’être nourri des origines du monde, cette période archaïque où leurs ancêtres, hommes ou titans, vivaient avant même l’apparition des divinités, une époque où, enfantés par la Terre, les uns et les autres sortaient à peine de la matrice chtonienne, du chaos, des Enfers et, en même temps, de n’envisager leur propre futur que par la voie technique et scientifique, fruit de l’inventivité humaine, palliatif obligé de leurs capacités naturelles confisquées.

Tout au long de ce parcours qui va des origines à nos jours, quantité de sectes, d’événements et de personnages étranges se sont succédé, annonçant cette volonté de transgresser les lois divines, les lois de la nature et les lois des hommes jusqu’à cette totale inversion du bon sens et des valeurs à laquelle nous sommes aujourd’hui soumis par ces « élites » transhumanistes.

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Selon Lucien Cerise, « Cette filiation illuministe et cabaliste du transhumanisme a façonné le visage d’une modernité largement placée sous le règne de la quantité et du nombre. Or, de l’imaginaire artistique aux sciences exactes, l’artificialisation du vivant et sa réduction au quantitatif ne visent pas franchement à son émancipation mais bien plutôt à sa simplification, de sorte à en faciliter la gestion rationnelle, numérique, industrielle et standardisée.

Pour fabriquer le consentement à cet appauvrissement de l’existence et de la biodiversité, ainsi qu’aux pathologies physiques et mentales qui en résultent, des sommes colossales sont investies dans tous les domaines de la société pour y impulser des tendances sociétales technophiles et humanophobes. Le transhumanisme n’est pas une émergence spontanée, naturelle. Il s’agit d’un projet politique arbitraire soutenu par des ˝minorités agissantes˝ et des réseaux de pouvoir dont il faut décrypter la logique pour comprendre non pas à quoi elle sert, mais à qui elle sert[19]. »

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Dans son livre[20], Laurent Alexandre nous prédit une révolution technologique notamment dans le domaine médical, si radicale que la notion même de mort sera caduque dans les quelques dizaines d’années qui viennent. « Grâce aux révolutions concomitantes de la nanotechnologie et de la biologie, chaque élément de notre corps deviendra réparable, en partie ou en totalité, comme autant de pièces détachées. » Mais ces merveilleux progrès médicaux ne seront accessibles qu’à ceux qui auront les moyens de les payer. Alexandre le dit lui-même : « Rien ne dit qu’une humanité augmentée sera tolérante vis-à-vis des humains traditionnels. […] La possible tyrannie de la minorité transhumaniste doit être envisagée avec lucidité. »

Il faut comprendre que les mêmes techniques qui permettront de prolonger la vie des transhumanistes, voire de supprimer leur mort, seront utilisées pour transformer « les humains traditionnels » comme dit Alexandre, en populations soumises ou en androïdes, ou les deux.

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« Le transhumanisme », observe le philosophe et polytechnicien Jean-Pierre Dupuy[21], « est typiquement l’idéologie d’un monde sans Dieu. [] En Europe, les philosophes classiques ont tendance à hausser les épaules quand on évoque ce courant transhumaniste. […] En réalité, le projet transhumaniste – il se qualifie ainsi – ne relève plus du futurisme ni du délire. […] Il inspire dorénavant des programmes de recherche, la création d’universités spécialisées et d’une multitude de groupes militants. Il influence une frange non négligeable de l’administration fédérale américaine et, donc, le processus de décision politique. Voilà près de dix ans que ledit projet, pour ce qui le concerne, n’est plus cantonné dans le ciel des idées. Il génère l’apparition de lobbies puissants. Les hypothèses qu’il propose ne cessent d’essaimer dans les différentes disciplines du savoir universitaire. »

La Voie olympienne

Tout ce qui est artificiel est superficiel, et tout ce qui est superficiel est éphémère. Pour cette raison, les transhumanistes n’arriveront jamais à leurs fins.

« Devant Zeus, le spectateur qui rit, l’éternelle race des hommes joue son éternelle comédie humaine[22] », dit Evola.

Le choix qui a été fait au début des temps, celui que relève Julius Evola dans l’exergue de cet article, est toujours d’actualité ; le début du cycle ressemble comme deux gouttes d’eau à sa fin ; entre les deux, quelques millénaires se seront écoulés, le vent aura soufflé sur les grands déserts et les vagues, toujours renouvelées et toujours les mêmes, n’auront jamais cessé d’agiter les mers et les océans. La Terre, elle aussi, se rit des hommes.

Nous sommes à la fin de notre grand cycle ; les hommes de la Tradition l’ont bien compris ; à nouveau se pose la question du choix, mais, cette fois, d’une manière plus accrue ; les hommes, qui ont voulu la mort de Dieu, n’auraient même plus la possibilité d’opter pour la Voie des Pères puisqu’ils seraient appelés à disparaître purement et simplement, une disparition programmée par les héritiers de Prométhée.

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Les grands passeurs de la Tradition, Evola, Guénon, Eliade et d’autres nous ont tous dit que les hommes qui n’avaient pas su, ou pu, conservé l’héritage olympien seraient incapables de comprendre les événements qui ne sont même plus à venir mais qui se déroulent sous nos yeux, au grand effarement des plus lucides, ou dans l’indifférence et l’inconscience des plus nombreux : eyes wide shut. Ils nous ont aussi appris que les hommes différenciés, selon la formule de Julius Evola, sont ceux qui n’ont jamais été dupes du monde qui nous est imposé, qui sont restés fidèles aux divinités en ne faisant rien de plus que ce qui doit être fait pour préparer le nouveau cycle et en ayant su préserver les valeurs de rectitude qui nous ont été léguées par les Dieux ; ces hommes et ces femmes ont eu bien du mérite qui ont su traverser intacts toute cette période de manipulation des esprits que nous avons connu ces dernières années[23].

Nous laisserons le mot de la fin, optimiste, à Julius Evola, qui souligne que, quoiqu’il se passe, il est toujours laissé à l’Homme la possibilité de bien penser et, surtout, de bien agir : « L’orientation "olympienne" est possible, tout autant que l’orientation prométhéenne », dit Evola et il ajoute «  Cette orientation [olympienne] joue un rôle essentiel dans tout ce qui est vraiment aristocratique, tandis que l’orientation prométhéenne possède un caractère fondamentalement plébéien et ne peut connaître au mieux que le plaisir de l’usurpation[24]. »

Pierre-Emile Blairon.

Notes:

[1]. L’Arc et la Massue, chapitre X, Le Rire des dieux, éditions Trédaniel-Pardès

[2]. C’est à l’aide de cet outil fort robuste que notre philosophe s’emploie à détruire les fausses idoles ; « La philosophie à coups de marteau », c’est le sous-titre de son ouvrage : Le Crépuscule des Idoles.

[3]. Nietzsche, dont Evola disait qu’il « était pourtant lui-même, à plus d’un titre, une victime du mirage titanique » (L’Arc et la Massue)

[4]. in Le Crépuscule des idoles.

[5]. Terme qui a pour synonyme le « progrès », « l’avancée », le « développement », autant de concepts creux dont se repaît l’homme moderne.

[6]. Voir notre contribution à l’ouvrage collectif Evola, philosopher of the sun, édité par Troy Southgate ; cette doxa darwiniste a cependant du plomb dans l’aile : des scientifiques éminents opèrent une révision totale de leurs préjugés darwiniens. Ainsi, le professeur Didier Raoult, le célèbre virologue violemment attaqué par Bigpharma (lequel ne se préoccupe que de ses seuls intérêts financiers), a écrit un livre, Dépasser Darwin, où il compare le darwinisme à une nouvelle religion : « Le darwinisme a cessé d'être une théorie scientifique quand on a fait de Darwin un dieu. En introduisant après Lamarck la notion d'évolution, Darwin est venu chambouler la conception figée des créationnistes, qui pensaient que le monde était stable depuis sa création. Mais, dès lors, il est devenu l'objet d'un double mythe. Le mythe du diabolique pour les créationnistes, ceux qui pensent que tout s'est créé en une semaine, et le mythe des scientistes, qui font de "l'origine des espèces" le nouvel Évangile. » (In Le Point du 12.12.2011)

[7]. De même que plus on est « moderne », donc d’apparition récente, et plus on est archaïque, déliquescent, parce que plus éloigné de l’origine, de la source, qui est un renouvellement – une fontaine de Jouvence - permanent, puisque l’eau qui en sourd n’est jamais la même. Ceci vaut pour les civilisations, (comme l’Amérique, appelée aussi le Nouveau Monde, qui est en fait le plus dégénéré, car le plus loin de la source), ou pour les religions (comme l’islam, qui est la dernière religion monothéiste d’importance apparue dans l’univers religieux et donc la plus éloignée de la pure spiritualité originelle.)

[8]. Révolte contre le monde moderne

[9]. Ibid.

[10]. A l’heure où nous écrivons, 22 juin 2023, nous apprenons qu’un sous-marin de poche affrété pour faire découvrir l’épave du Titanic à un groupe de richissimes amateurs de sensations fortes a coulé avec ses passagers à bord ; le sous-marin avait été malencontreusement dénommé : le Titan. Le concepteur du Titanic, Thomas Andrews, a coulé avec son bateau, de même que le concepteur du mini-sous-marin, Stockton Rush ; il s’est passé 111 ans entre les deux naufrages ; 111 : le nombre du pôle, de l’Hyperborée, de la Tradition primordiale, nombre symbolique qui a été étudié par René Guénon dans son ouvrage Symboles de la Science sacrée paru en 1962 aux éditions NRF Gallimard, chapitre XV, page… 111, comme il se doit.

[11]. Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, Payot.

[12]. Jean-Pierre Vernant, entretien du 28 mars 2002 avec Catherine Unger, archives de la Télévision suisse romande

[13]. Julius Evola, Métaphysique du sexe, éditions L’âge d’homme.

[14]. Julius Evola, L’Arc et la massue

[15]. ibid.

[16]. Jean-Pierre Vernant, entretien du 28 mars 2002 avec Catherine Unger, archives de la Télévision suisse romande

[17]. François Flahaut, Le Crépuscule de Prométhée, éditions Mille et une nuits.

[18]. L’Arc et la Massue.

[19]. Lucien Cerise, Gouverner par le chaos, éditions Max Milo

[20]. La mort de la mort, éditions JCLattès

[21] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l'impossible est certain, Essais, Editions du Seuil, Paris, 2002

[22]. L’Arc et la massue.

[23]. René Guénon  a été très explicite à ce sujet dans Le Règne de la quantité ; les événements à venir « ne pourront pas être compris par la généralité, mais seulement par le petit nombre de ceux qui seront destinés à préparer, dans une mesure ou dans une autre, les germes du cycle futur. Il est à peine besoin de dire que, dans tout ce que nous exposons, c’est à ces derniers que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement, sans nous préoccuper de l’inévitable incompréhension des autres ».

[24]. L’Arc et la massue

lundi, 22 mai 2023

De Lafargue à Evola

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De Lafargue à Evola

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/05/19/fran-lafargue-till-evola/

Au fil des ans, Hegel, Nietzsche et Heidegger, parfois même Jünger, Schmitt et Dumézil, ont fait l'objet d'un intérêt considérable de la part de la gauche, intérêt qui n'est pas rare et qui vise à les réinterpréter en tant que penseurs de gauche. Julius Evola s'est montré assez réfractaire à de tels projets, ce qui n'est pas surprenant étant donné que son œuvre est un ensemble cohérent difficile à déconstruire et qu'il a critiqué à la fois le fascisme et le national-socialisme du point de vue de la droite, tout en leur accordant un soutien conditionnel. Cela signifie, par exemple, qu'un livre comme Evola vu de gauche a été écrit par des messieurs qui ne peuvent être classés qu'avec bonne volonté comme étant de gauche.

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En même temps, il est intéressant de lire Evola avec un regard "de gauche". Outre l'affinité entre un certain anarchisme et l'État organique traditionnel, fondé sur des relations personnelles de fidélité, qu'Evola décrit, il existe des similitudes avec les idées de Marcuse sur l'"homme unidimensionnel". L'anthropologie traditionnelle d'Evola fournit un appareil conceptuel et une précision qui rendent son terme, fréquemment utilisé, de "promiscuité" approprié pour décrire l'œuvre plus confuse de Marcuse. Marcuse, lui aussi, est unidimensionnel pour le traditionaliste, et infantile et naïf dans sa vision du potentiel de la perversion polymorphe.

Dans ce contexte, Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et surtout connu comme l'auteur de la critique du travail Le droit à la paresse, est intéressant. Lafargue s'est largement inspiré du mépris pour le travail salarié et les marchands exprimé par des penseurs antiques tels que Cicéron: "celui qui donne son travail pour de l'argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves". Il est intéressant de noter qu'il qualifie également les tribus germaniques de "communistes" et parle des "Germains des tribus communistes qui ont envahi l'empire romain".

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D'ailleurs, Lafargue mentionne également les intellectuels, d'une manière qui anticipe la situation actuelle. Pour Lafargue, le problème était leur manque d'engagement en faveur du socialisme; aujourd'hui, c'est le glissement à gauche du monde universitaire qu'il faut expliquer. Dans les deux cas, le fond du problème, le rapport au pouvoir, est caché derrière des artifices de toutes sortes. Lafargue écrivait ici que "depuis 1789, les gouvernements les plus divers et les plus opposés se sont succédé en France; et toujours, sans hésiter, les intellectuels se sont empressés d'offrir leurs services dévoués", il notait que "ce n'est pas dans le cercle des intellectuels, dégradés par des siècles d'oppression capitaliste, qu'il faut chercher des exemples de courage civique et de dignité morale. Ils n'ont même pas le sens de la conscience de leur "classe professionnelle" et compare les écrivains et les artistes à des bouffons, "les intellectuels de l'art et de la littérature, comme les bouffons des anciennes cours féodales, sont les amuseurs de la classe qui les paie". Souvent amusant à lire, Lafargue écrit à propos des intellectuels que "ce sont de véritables imbéciles - si l'on redonne à ce mot son sens latin originel d'inapte à la guerre". En même temps, il identifie en partie le désintérêt pour la menace systémique du socialisme dans leur éducation, "ils pensent que leur éducation leur confère un privilège social, qu'elle leur permettra de se débrouiller seuls dans le monde... ils s'imaginent que leur pauvreté est transitoire".

En passant, on peut également noter que Lafargue a utilisé les perspectives de la dégénérescence et de la décadence dans sa critique du capitalisme; l'élite capitaliste était à la fois dégénérée et débauchée, l'élite romaine ayant même des tendances à la pédérastie ("luxe sans bornes, épices indigestes et débauches syphilitiques"). Nonobstant ses propres origines familiales partiellement juives, il pouvait également écrire, à propos de la nouvelle respectabilité du capitalisme prêteur, que "les chrétiens sont devenus des juifs" et désigner les Rothschild comme des ennemis, ce qui nous rappelle certains aspects aujourd'hui minimisés de l'histoire du socialisme.

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En même temps, on retrouve entre Lafargue et Evola la même distance conceptuelle qu'entre Marcuse et Evola. Lafargue s'est retourné contre le travail, en partie sur la base d'un ancien idéal d'humanité. Les hommes libres se consacrent à la guerre, à la politique et à la philosophie. En revanche, Evola dispose d'un appareil conceptuel beaucoup plus développé; dans Explorations, il établit une distinction entre le travail, l'otium et l'opus. Ceci, combiné aux différents niveaux de réalité qui traversent l'œuvre d'Evola, tels que l'initiation, la métaphysique de la guerre et la transcendance, donne accès à des distinctions qui manquaient à Lafargue. En même temps, Lafargue était généralement plus proche de l'otium et de l'opus que de la consommation passive comme alternative au travail salarié, ce qui peut être considéré comme positif. Il s'identifiait davantage au guerrier et au citoyen qu'au consommateur, mais il ne disposait pas des concepts et des perspectives d'Evola, ce qui rend son alternative plus superficielle et plus unidimensionnelle. Cela suggère qu'une lecture d'Evola à partir de la gauche tend à aboutir à la droite.

mercredi, 05 avril 2023

Entretien avec Thorvald Ross, auteur d'un remarquable roman initiatique

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Entretien avec Thorvald Ross, auteur d'un remarquable roman initiatique

A propos d'une quête religieuse et philosophique de plus de quarante ans

Propos recueillis par Robert Steuckers

1.

Je vous connaissais déjà lorsque vous publiez la revue Mjöllnir. Vous vouliez découvrir les racines nordiques (scandinaves) présentes de manière diffuse dans la culture néerlandaise (Nord et Sud confondus). Votre livre De laatsten heiden (= Les derniers païens) est-il le témoignage de cette quête ? Et qu'en est-il de cet héritage nordique aujourd'hui ?

Mon expérience "païenne" ne s'est pas faite du jour au lendemain. Il s'agit d'une quête sans fin qui a mis du temps à arriver à maturité. Avant la publication de Mjöllnir, j'avais pris contact avec des organisations "païennes" à l'étranger et j'avais lu avec avidité leurs revues, principalement des publications allemandes, anglaises, irlandaises, françaises et scandinaves. Ces publications étaient fortement teintées de romantisme, d'occultisme et de libre-pensée, mais elles cherchaient aussi parfois à revendiquer politiquement l'héritage "païen". On pourrait donc dire qu'il ne s'agissait pas vraiment d'études scientifiques, mais plutôt de visions nostalgiques qui cherchaient une certaine légitimité dans ce "paganisme". Néanmoins, cela m'a donné envie de creuser davantage. La revue Mjöllnir a suivi à la fin des années 1980. Il s'agissait d'un mélange d'occultisme, d'une certaine forme d'ésotérisme, des premiers balbutiements de la recherche de sources et d'une étude plus large de la symbolologie.

Cela correspondait parfaitement à la phase suivante de mon itinéraire, à savoir la fondation de la Société Herman Wirth. Le travail de pionnier effectué par cette société était basé sur les écrits de Herman Wirth Roeper Bosch (1885-1985): j'en possédais déjà un grand nombre à l'époque. Der Aufgang der Menschheit et Die Heilige Urschrift der Menschheit ont été pour moi des ouvrages révolutionnaires. Ils m'ont encouragé à partir à la recherche des vestiges de notre héritage préchrétien dans les Pays-Bas, c'est-à-dire à travailler sur le terrain. Muni de mon appareil photo, je suis parti de village en village, dans les cimetières, sur les maisons, dans l'art populaire, les coutumes, les chansons, etc. pour redécouvrir le symbolisme ancien, l'enregistrer pour la postérité et l'interpréter de manière adéquate.

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Le résultat: la publication de mon premier livre: Tussen Hamer en Staf - Voorchristelijke symboliek in de Nederlanden en elders in Europa (= Entre le Marteau et la Crosse - Symbolisme pré-chrétiendans les Bas Pays et ailleurs en Europe). Entre-temps, j'étais entré en contact avec des personnes en Flandre qui cherchaient une interprétation spirituelle et une véritable expérience de nos propres traditions.

C'est ainsi qu'est né, dans les années 1990, le Werkgroep Traditie, toujours actif aujourd'hui. La différence avec toutes les initiatives "païennes" précédentes était que la nouvelle organisation ne se basait pas sur l'interprétation völkisch du mot tradition, mais sur le concept établi par Julius Evola dans Les Hommes au milieu des Ruines, à savoir :  "Dans sa véritable essence, la Tradition ne représente pas un conformisme passif à l'égard de ce qui a existé, ni la continuation inerte du passé dans le présent. La Tradition est, par essence, une réalité à la fois métahistorique et dynamique : elle est une force générale d'ordonnancement, obéissant à des principes qui visent une légitimité supérieure. On pourrait également dire qu'elle s'aligne sur les principes d'en haut. C'est une force qui est une dans l'esprit et dans l'inspiration - une force qui exerce son influence à travers les générations en servant les institutions, les lois et les organisations dans la plus grande variété. Cependant, ce serait un malentendu d'identifier certaines de ces formes, appartenant à un passé plus ou moins lointain, avec la Tradition en tant que telle".

Mon souci était de commencer à voir notre Tradition non plus comme une simple transmission horizontale (dans le temps), mais de la voir, en plus, comme une force verticale (transcendante) ordonnatrice, métaphysique. Cela était nécessaire pour se libérer de l'amateurisme et s'élever à un niveau véritablement spirituel. Ce n'est qu'alors que notre tradition (avec un petit t) deviendrait viable et ferait véritablement partie de la Tradition (avec un grand T). Sinon, elle ne serait qu'un saupoudrage incohérent de vestiges d'un passé plus ou moins lointain, tout au plus bon à exposer dans un musée.

Cette vision traditionaliste était également notre approche en tant que cofondateurs du Congrès mondial des religions ethniques (fondé par Jonas Trinkunas, avec des réunions à Vilnius, Athènes, Delhi, Anvers et Rome). Nous avons ainsi pu établir des liens avec des formes encore vivantes de "paganisme" indo-européen.

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J'ai quitté ce groupe de travail sur la tradition au début des années 2000, en partie parce que certains membres trouvaient difficile de s'engager dans cette vision métaphysique fondamentale. À cette époque, j'avais déjà publié un certain nombre d'ouvrages, dont De Graal - tussen heidense en christelijke erfenis (= Le Graal - Entre héritage païen et chrétien) sera probablement considéré comme l'un des plus importants. Des articles pour les revues Vers la Tradition, Ars Macionica, Tradition,... indiquent clairement où battait mon cœur. Je me suis plongé de plus en plus profondément dans les auteurs traditionalistes tels que René Guénon, Julius Evola, Ananda K. Coomaraswamy, Frithjof Shuon, Titus Burkhardt, Christophe Levalois, j'ai parcouru des ouvrages savants de Dumézil, De Vries, Guyonvarc'h, Widengren, Gimbutas... et je suis retourné aux sources pour vérifier les choses.

En outre, j'étais particulièrement actif dans la franc-maçonnerie traditionnelle depuis le début des années 1990. Par conséquent, ma connaissance des mystères n'était pas purement académique, mais reposait sur une expérience concrète. Dans l'Ordre, je m'étais consacré à l'enseignement des Frères : exposés sur les principes métaphysiques, recherche de symboles, techniques pratiques, instructions, aphorismes, poèmes et, enfin, pièces littéraires. J'ai pris conscience que la manière dont les choses sont mises en place contribue à déterminer l'impact du contenu. C'est pourquoi, des années plus tard, je me suis aventuré dans la littérature, d'abord la poésie, puis le roman. Le roman est un excellent outil pour faire connaître la pensée traditionnelle au grand public. C'est ainsi qu'est né De laatste heiden (= Les derniers païens). Bien que cette histoire soit basée sur la mythologie nordique, le drame a été complètement transposé à notre époque. Il a constitué la base de mon réalisme magique.

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Certains se demandent si, avec De Zwerver, j'ai dit adieu à la pensée nordique. À cela, je réponds résolument : non ! Je place maintenant mon expérience dans un contexte indo-européen plus large, car je pense que les points de vue nordique et indien sont très similaires. Ce n'est que dans la forme qu'elles sont relativement différentes. En fait, l'imagerie nordique reste bien présente dans De Zwerver : par exemple, le pont à la fin du livre (cf. Bifröst), l'entrelacement des mondes (cf. Nevelland), les trois classes (cf. Scuola Sapientia),... Ces thèmes ne sont pas typiquement nordiques, ils sont indo-européens. Ce sont ces grandes lignes indo-européennes que je veux mettre en évidence dans le patrimoine matériel et immatériel de nos Pays-Bas. Soyez assurés que sous la surface, beaucoup de choses sont encore présentes dans nos régions: dans l'étymologie, dans diverses expressions, dans des chansons, dans les coutumes populaires, dans les symboles, dans les structures, dans la législation.

2.

On a dit que votre nouvelle œuvre était d'inspiration néoplatonicienne. Après la mort tragique de Darja Douguina qui, après des études en Russie et en France, défendait une vision traditionaliste marquée par le néo-platonisme, vous semblez vous aussi emprunter la voie du néo-platonisme dans un contexte plus apaisé ? Quel est donc le néo-platonisme de votre héros et comment le néo-platonisme s'inscrit-il dans le paysage intellectuel néerlandais d'hier et d'aujourd'hui ?

C'est effectivement ce que l'ondit. Il existe en effet d'autres systèmes qui présentent une certaine parenté avec le platonisme: l'hermétisme, la kabbale, le gnosticisme, l'advaitisme,... Cependant, cette perception n'est que partiellement vraie. Certes, j'accorde une grande importance à Platon, mais ma vision du monde n'est pas statique. Elle est dynamique, presque taoïste ou héraclitéenne. Tout s'enchaîne dans une sorte de dynamisme tourbillonnant. Cela n'est possible que s'il existe un pivot qui maintient cette confluence. C'est là que réside la tension entre Vishnu et Maya (Mahadêvi/Shakti), qui permet à la manifestation dynamique de prendre forme.

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Il est clair que la contemplation est primordiale pour moi, mais cela n'exclut pas l'action (tragique). Je préconise une manière d'être quasi stoïcienne, en gardant toujours à l'esprit les principes métaphysiques et en essayant d'agir en accord avec l'être humain authentique. Concrètement, il s'agit d'abandonner toute forme de morale et de culpabilité. Il s'agit d'une attitude "Jenseits von Gute und Böse". Tout est ce qu'il est. Pour beaucoup, cela semble être une voie sans cœur (on m'en fait parfois le reproche). De l'extérieur, c'est le cas. Mais pour l'essentiel, cette voie est beaucoup plus humaine et élevée. C'est une vision sobre qui perçoit le monde avec détachement. C'est précisément par ce biais que se réalise l'être humain le plus proche (homogène), physiquement, psychiquement et métaphysiquement. Donc pas de rejet de la matière, pas de mépris du corps, pas de mépris du terrestre, mais une acceptation totale de celui-ci, quelles qu'en soient les conséquences. En ce sens, je ne suis guère platonicien - ou du moins pas de la manière dont certains modernistes pensent qu'il faut expliquer Platon. Ma vision est l'extension radicale de ce que Ruusbroec appelle la "sur-image". Il désigne par là une attitude de base qui se situe au-delà des images, mais qui est néanmoins ancrée dans l'ici et le maintenant. Une attitude qui ne se laisse pas emporter par le tourbillon du monde, mais qui s'enracine dans l'origine de toute chose.

La voie active de Daria Douguina et de son père Alexander Douguine, je peux la suivre et la défendre dans une certaine mesure. L'objectif ultime est d'élever le niveau local en un royaume global, c'est-à-dire non seulement dans le cadre d'un ordre administratif, mais aussi dans une structure dotée d'une cohérence spirituelle. Au sein du royaume spirituel, tout groupe organique - de toute culture, religion, ethnie - est assuré d'être lui-même et d'être inclus dans un récit supérieur. Ainsi, la composante populaire est transcendée et liée à un niveau d'être au niveau de l'État - un niveau greffé sur des valeurs spirituelles. Il me semble que c'est là la véritable signification de l'idée d'État, telle que nous l'avons vue s'établir autour de la chrétienté au Moyen-Âge, entre autres.

Là où je m'écarte de l'idée russe, c'est dans la méthode. L'empire n'est pas contraignant. Il doit agir comme un aimant organisationnel qui attire les peuples à lui en faisant rayonner l'autorité. L'autorité (auctoritas) n'est pas la même chose que la force. Cette dernière est l'exercice forcé du pouvoir par la force. Une telle chose ne peut jamais conduire à la stabilité. L'auctoritas représente la dignité, le prestige, l'influence, l'élévation. C'est ce qu'une personne "regarde vers le haut".

Le paysage intellectuel néerlandais actuel est celui du nihilisme, du relativisme, du je m'en foutisme. Peut-être un peu court sur le plan de la substance, il est vrai. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Tout est remis en question, il ne nous reste que la trivialité, la banalité de notre existence. Pourtant, il existe des écrivains qui parviennent à transcender cette situation et qui jouissent d'une certaine notoriété dans le paysage culturel néerlandais: il suffit de penser à Albert Verwey, Martinus Nijhoff, Pieter Cornelis Boutens, Hubert Lampo, Harry Mulish, Pol le Roy. Il convient toutefois de faire preuve de prudence dans ce domaine également. Dès qu'une interprétation spirituelle est repérée, les gens pensent qu'ils doivent immédiatement invoquer Platon.

Quoi qu'il en soit, j'ai l'intention d'initier une nouvelle profondeur et un nouveau dynamisme dans cette vie, en partant des valeurs traditionnelles qui forment la communauté (horizontalement), mais qui construisent également le pont vers une ouverture transcendante. Dans cette optique, le séculier est intégré dans une histoire plus vaste, une histoire de pouvoirs et de forces cosmiques à l'œuvre ici et maintenant.

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3.

Le Zwerver est un personnage "qui part en quête". La quête n'est-elle pas l'essence même de l'homme ? Et en quoi la quête de l'Errant est-elle caractérisée par la Tradition au sens le plus élevé du terme ?

Il est logique que la queste, la quête, le pèlerinage, l'imramma,... soit le fondement de l'existence. C'est aussi vieux que le monde. Nous sommes ici en transit à la recherche de quelque chose que nous avons perdu: notre origine, notre être, notre essence, notre patrie, une petite perle, un mot, une félicité... La quête renvoie à l'aliénation, à un état dégénéré. Mais ne vous y trompez pas: la plupart des gens - malgré le parcours de leur vie - ne s'y attardent pas. Ils se contentent de flotter sur les eaux et, parfois, ils sont engloutis par les eaux, engloutis tout entiers. Ils sont habités par la dynamique de l'agitation. Ils ne contrôlent pas la vie, ou plutôt: ils ne la vivent pas ! C'est là que réside le problème. Mon personnage principal, en revanche, fait tout ce qu'il peut pour échapper à ce qui conditionne les humains. Il va même jusqu'à se sacrifier - encore et encore - pour échapper à la mort par la mort. Cela lui permet d'atteindre les limites du concevable. Même si tout s'y effondre, tout y repart à zéro. Finalement, le chemin devient le but.

4.

Le Zwerver se retrouve dans une ville idéale. N'est-ce pas une utopie ? Quelle est la différence entre cette petite ville idéale italienne et l'Utopie de Thomas More ou entre cette ville et les utopies modernes qui veulent effacer le passé ?

Sans aucun doute, Civitas Ludum est une utopie au sens propre du terme: un non-lieu (ou-topos). Elle constitue une sorte de société juste dans laquelle le jeu joue un rôle crucial. Le maire, et ce n'est pas une coïncidence, est Prospero, le magicien philosophe de La Tempête de Shakespeare. Et oui, il existe des similitudes (involontaires) entre l'Utopie de Thomas More et la Civitas Ludum dans mon roman De Zwerver. Les deux représentent une société inspirée par la philosophie. Pourtant, dans Civitas Ludum, aucun jugement n'est porté sur la propriété, ni sur l'esclavage, aucun État-providence n'est mis en place, aucune nouvelle forme de socialisme n'est introduite, aucune idée sur la fonction de la religion n'est proposée.

Civitas Ludum fait référence au stade de l'enfance dans la vie humaine. Elle est utilisée pour réfléchir à l'importance du jeu, à l'enthousiasme avec lequel on s'absorbe dans le jeu, en se perdant dans le rôle que l'on joue. En ce sens, le jeu est une métaphore de la vie elle-même : "All the world's a stage, And all the men and women merely players" (As You Like It, Shakespeare, II, scène 7). Mais il y a plus: dans Civitas Ludum, chacun a des cartes à jouer différentes, et ces cartes déterminent le caractère, les forces et les faiblesses, les sensibilités... C'est avec cela que l'on joue la vie. Non pas une perfection idéale, mais une perfection dans les limites imparties. De plus, dans cette vision, l'individualité n'est pas détruite, mais embrassée. Il ne s'agit pas d'un effacement de ce que l'on a été, ni d'une incompréhension de toute la culture, mais d'une acceptation totale de ce qui est imparfait et de ce qui est prometteur. En jouant, l'homme authentique prend vie, sans affectation, sans mentalité factice, mais tel qu'il est vraiment. Et par le jeu, l'homme s'élève dans cette authenticité. Il apprend à découvrir les qualités qui lui permettent de se réaliser. Le jeu est donc à la base de la civilisation, du rituel, de la danse, du développement. Sa discussion critique ébranle la vision moderne du travail. Si le travail était vécu comme un enthousiasme intact, comme l'est le jeu, alors la vie, le jeu et le travail coïncideraient et engendreraient une expérience totalement différente : une expérience de bonheur.

5.

Existe-t-il une analogie entre cette petite ville magnifique et le labyrinthe du monde de Jan Amos Comenius ? Pouvez-vous l'expliquer ?

Bien sûr, on ne peut pas l'éviter. Chez Comenius, il s'agit d'un lieu en forme de labyrinthe où le personnage - le pèlerin - part à la recherche de la profession qui lui convient le mieux. Chez moi, il s'agit d'une ville à triple enceinte où, dans chacun des quatre quartiers (qui relèvent d'une sorte de jeu de cartes), tel ou tel personnage coïncide avec un état spécifique. Le bord extérieur est dominé par la danse itinérante. La foule y est presque magiquement forcée de danser la roue de Fortuna. Elle subit simplement la vie. Entre les deux se trouve le champ de travail, le lieu où l'homme lutte avec lui-même pour s'affiner et coïncider avec l'homme authentique. L'homme authentique devient rempli d'un Amour supérieur. Tout ce qu'il fait sert un but plus élevé. Tout ce que l'homme fait sien remonte à la surface dans la ville. Ainsi, mon personnage principal est particulièrement enclin à la vanité, qui est induite par l'ego et renforcée par l'orgueil.

6.

Le Zwerver, dans les faubourgs de cette ville où se trouve une école de pensée, avoue ses erreurs. S'agit-il de vos propres erreurs de jeunesse que vous confessez là, à l'âge où vous entrez dans le "troisième âge" ?

Oh, vous savez, un roman est toujours en partie autobiographique. J'ai certainement commis des erreurs dans ma vie. Il est important de le reconnaître. Mais - et les gens l'oublient trop souvent - ce n'est pas une raison pour commencer à se plaindre et à s'en vouloir. Ce genre de culpabilité et de moralisation du comportement m'est étranger. J'accepte tout, mais vraiment tout, ce que j'ai fait ou n'ai pas fait dans le passé. C'est précisément ce qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Je n'ai plus 20 ans. Chaque âge a ses charmes et ses défis. Mais l'enthousiasme de la jeunesse m'a conféré une maturité somptueuse que je chéris aujourd'hui. La folie téméraire (et je le dis expressément ici en faisant référence à der reine Tor de Parzifal) avec laquelle j'ai longtemps lutté s'est finalement avérée être l'atout qui m'a permis de gagner la bataille. Sans cette folie, sans ce coin perdu, sans cette naïveté, le processus d'apprentissage aurait été complètement différent. Peut-être n'aurais-je pas écrit de livres, peut-être serais-je devenu un grand industriel ne pensant qu'au profit. Mais je me suis engagé dans cette voie sans plan sophistiqué. J'ai suivi cette voie avec honnêteté et constance, et voilà que des miracles apparaissent parfois sur votre chemin.

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7.

La promotion de votre livre parle d'une influence secrète d'Apulée et de Dante. Que devrait retenir le traditionaliste anticonformiste contemporain de ces auteurs anciens et médiévaux ?

Ceux qui me connaissent savent à quel point l'Antiquité et le Moyen Âge sont importants pour moi. Dans mon œuvre, Pythagore, Platon, Origène, Apulée, Dante, Shakespeare, Rabelais, ... sont imbriqués dans des noms, des formes de pensée, des symboles, .... En ce sens, mon livre peut également être lu comme un voyage à travers les penseurs qui ont contribué à façonner mes pensées et que j'ai englobés dans la toile du roman. Apulée fait partie de ces grands qui ont su faire passer le message des mystères de manière magistrale - avec l'humour nécessaire - sans en trahir aucun aspect. Logique que j'exploite son âne. Il y a tant à dire sur Dante qu'il est presque impossible d'exposer son influence en toute finesse. En tant que Gibelin, il a conservé la finesse du discours spirituel en s'engageant avec les Fidele d'Amore. La façon dont il joue si subtilement des aspects de l'imagerie secrète entourant la Dame dans La Vita Nuova est tout simplement grandiose. En outre, il est l'un des écrivains médiévaux qui ont joué un rôle politique important en transmettant l'héritage spirituel des chevaliers du Temple. Mais ce que j'admire par-dessus tout, c'est l'image globale qu'il donne des affaires du monde en relation avec le plus haut niveau. C'est tout simplement grandiose. Je suis envieux quand je vois à quels géants nous avions affaire. Ce que nous, écrivains contemporains, pouvons encore faire, c'est bricoler dans les marges. Nous ne pouvons plus créer une image globale, une image plus grande, une vision cosmique. C'est donc là que commence le travail du traditionaliste, c'est là qu'il doit restaurer, c'est là qu'est sa tâche.

vendredi, 17 mars 2023

La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical

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La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical

René-Henri Manusardi

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-della-mano-vuota-ascesi-guerriera-del-soggetto-radicale

Division et opposition dans la modernité

L'un des aspects les moins considérés du nouveau paradigme de la Modernité - qui, à partir de la Renaissance, a progressivement subverti l'Ordre divin fondé sur le théocentrisme et promulgué l'anthropocentrisme, c'est-à-dire le culte de l'Homme comme centre et axe de la gravitation universelle à la place de Dieu, niant ainsi le paradigme sacré de la Tradition - est donné par sa capacité à être essentiellement diviseur et opposant, confirmant ainsi sa matrice angélologique d'origine diabolique (du gr. διάβολος = trompeur, accusateur, séparateur, diviseur) et l'introduction de la subversion satanique dans l'Histoire.

Une telle division, une telle opposition violente, avec la Modernité émerge, nous la trouvons, elle est affirmée partout et se justifie juridiquement parce que l'unité atemporelle du bonum Traditionis garantie par la lex Dei est tronquée, qui déterminait non seulement le péché individuel par fragilité ou malice, mais surtout le péché social d'égoïsme et d'obstination, admonestant le pécheur à la conversion, de l'écuyer de service au roi, les obligeant à racheter le mal commis, sous peine de non-absolution et/ou d'excommunication. La division et l'opposition, avec la pensée et le langage de la Modernité, se manifestent dans tout le savoir humain et dans toute organisation sociopolitique : immanence contre transcendance en philosophie ; Écriture contre Tradition en théologie ; défense de l'ordre civil contre justice sociale en politique ; tolérance religieuse des minorités contre guerres de religion en géopolitique, avec l'adage accommodant et sans solution de Cuius regio, eius religio.

Après la division et l'opposition cartésiennes dévastatrices entre res cogitans et res extensa, le correctif idéaliste hégélien apparaît, qui tentera une synthèse philosophique entre les thèses et antithèses de la modernité qui se divisent et s'opposent. Mais ce faisant, Hegel ne fera que susciter, justifier et favoriser la montée et la violence politique du troisième pouvoir, inspirant les idéologies philosophiques culturelles nées au 19ème siècle, ainsi que les totalitarismes sociopolitiques des 20ème et 21ème siècles avec Karl Marx et Vladimir Lénine (renversement de l'idéalisme en matérialisme communiste), Giovanni Gentile et Benito Mussolini (l'idée de l'État fasciste), Arthur De Gobineau et Adolf Hitler (l'idée de la race aryenne), Sigmund Freud et Carl Jung (le panpsychisme sexuel et l'inconscient collectif), Charles Darwin et Teilhard de Chardin (l'évolutionnisme biologique et spirituel), pour finir avec Karl Popper et George Soros (le totalitarisme libéral de la société ouverte) avec les corrélats postmodernes liquides de la pensée unique, du transhumanisme, du politiquement correct, de l'idéologie du genre, de la finis Storiae promulgués par les seigneurs de l'or, pervers et sataniques, de Davos.

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Même l'art de l'alchimie avec ses corollaires gnostiques, ésotériques et cabalistiques, qui de l'Antiquité au Moyen Âge pré-moderne semble avoir eu sa propre unité dans l'espace du Sacré avec Avicenne, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Roger Bacon, Dante Alighieri et bien d'autres, ainsi que sa propre homogénéité interne, trouve avec la modernité de la Renaissance sa propre radicalisation divisante et antagoniste dans la figure du magicien blanc et du magicien noir, qui, au fil des siècles et par des voies souterraines, arrivent jusqu'à la proclamation par Helena Blavatsky de la Voie Théosophique de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, une définition qui, avec René Guenon et Julius Evola - avec des corrections et des répudiations de leur part de l'espace théosophique -, implique également une théorie philosophique et une praxis métapolitique traditionaliste, dans un continuum délibéré avec l'hindouisme tantrique, qui chez Evola donne naissance à la figure de l'homme indifférencié.

Aller au-delà

Il faut cette prémisse pour comprendre que la Postmodernité que nous vivons actuellement, qui supplante inexorablement le paradigme de la Modernité en passant de l'anthropocentrisme au technocentrisme transhumain, et qui d'oppositionnelle et clivante devient liquide (Baumann), une fiction, un simulacre de sacralité, un simulacre d'absolu (Douguine).

"Il ne s'agit pas d'un retour à la Tradition. Au contraire, le postmoderne surpasse le moderne, en détruisant ses fondements, mais à condition que le prémoderne ne revienne en aucune façon. Il est la conclusion logique du moderne, son aboutissement nihiliste, et non un dépassement de ses limites. Le postmodernisme est, en dernière instance, le triomphe du nihilisme : caché dans le moderne, il est maintenant complètement clair, transparent et n'est plus obligé de se cacher" (Alexandre Douguine, Théorie et phénoménologie du sujet radical, AGA Editrice, Milan 2019, p. 33).

Par conséquent, un dépassement est nécessaire, un dépassement des perspectives de division et d'opposition qui ont caractérisé la modernité et un dépassement des faux simulacres liquides et simulants opérant dans la postmodernité. En particulier, il est nécessaire de dépasser les concepts métaphysiques et métapolitiques formulés dans la Voie de la Main Gauche comme une accélération du processus de destruction de la postmodernité afin de favoriser un nouveau réveil de la Tradition, précisément parce que la postmodernité a changé les conditions de cette lutte. Comme l'enseigne magistralement Alexandre Douguine :

"Aujourd'hui, dans le processus de transition vers la postmodernité, il est nécessaire de faire le pas suivant : développer une stratégie de révolte contre le monde postmoderne, en adaptant le traditionalisme aux nouvelles conditions historiques et culturelles ; non pas tant pour résister aux changements en cours, mais pour en être profondément conscient, pour intervenir dans le processus en lui assignant une direction radicalement différente. L'objectif n'est pas tant la victoire que la bataille elle-même. Si elle est correctement préparée et menée contre l'ennemi réel, cette guerre sera déjà une victoire" (Op. cit., p. 36).

À cet égard, dans notre précédent article pour Idee & Azione, intitulé Metaphysics of Chaos and the Radical Subject ( https://www.ideeazione. com/metaphysics-of-chaos-and-radical-subject/ ), nous posions la question suivante : Si la Volonté post-sacrée du Sujet radical dont parle Douguine - que nous définissons comme la volonté d'appartenance totale au Divin (comme expression du désir angélique de Dieu) - est le dépassement ontologique de la volonté de puissance nietzschéenne, est-il également possible d'envisager une nouvelle voie philosophique et métapolitique au sein de la métaphysique du Chaos qui aille au-delà, qui dépasse et qui soit capable de dépasser la Voie de la Main Gauche ? Notre réponse à cette question a été positive et s'est développée à la fois dans l'ordre de la praxis et de la theoria.

En ce qui concerne la praxis, sur la base des intuitions douguiniennes, nous avons soutenu que la vertigineuse décadence du postmodernisme est tellement accélérée et centrifuge que son entropie auto-implosive n'exige plus que l'on chevauche le tigre de manière évolutive mais d'attendre sa dissolution en se préparant, d'un point de vue métapolitique, à mettre en œuvre les communautés organiques de destin, avec leur lutte proactive contre la présence de l'OTAN en Europe et contre les diktats des seigneurs de l'or, pervers et diaboliques, de Davos.

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Dans le domaine de la Théorie proprement dite, en revanche, après avoir appris de Douguine que :

- la métaphysique du Chaos ou Nouvelle Métaphysique se manifeste sous les espèces de l'ordre inclusif comme un nouveau logos chaotique (incluant ainsi de manière synchrone les dimensions atemporelle et temporelle), qui, étant né du Chaos est inclus dans le Chaos initiateur du Cosmos (Ordre Divin) ;

- l'acteur de la métaphysique du Chaos : "Le Sujet radical est incompatible avec toute structure temporelle. Il réclame avec force un antitemps, fondé sur le feu puissant de l'éternité, transfiguré dans la lumière de la radicalité. (...) seul le geste drastique du Sujet radical, (...) cherche à se libérer du temps par la construction d'une (impossible) réalité non temporelle" (Alexandre Douguine, La quatrième théorie politique, NovaEuropa, Milan 2017, pp. 239-240) ;

- nous en avons déduit qu'un tel geste drastique de libération du temps, propre au Sujet radical, ne devrait plus avoir lieu - étant donné l'accélération auto-implosive du postmodernisme - en chevauchant le tigre par la Voie de la Main Gauche, mais par une nouvelle ascèse métaphysique et spirituelle profonde, que nous entendons appeler explicitement la Voie de la Main Vide, en nous référant en cela à la fois à la tradition méditative du Zen, et à la tradition apophatique philosophique et théologique propre à la tradition occidentale classique et chrétienne pré-moderne. La Voie de la Main Vide représente un dépassement philosophique, anthropologique, théologique, angélologique, ascétique et mystique de la Voie de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, conservant de la première la constance spirituelle et la rigueur éthique, tandis que de la seconde elle veut faire sienne la tendance extrême et totale à ne pas s'épargner et à toujours viser le sommet à n'importe quel prix.

De la métaphysique du Chaos, de ses profondeurs peut être générée la Voie de la Main Vide, un nouveau Dasein possible du Sujet Radical et son itinéraire existentiel effectif. Un chemin métaphysique et spirituel fondé sur l'expérience vivante de la manifestation de la conscience de soi. C'est-à-dire sur la reconnaissance expérimentale de la réalité ontologique de l'âme individuelle, qui se réalise à travers la pratique consciente du hic et nunc, de l'ici et du maintenant, non pas dans la pratique occidentale étroite et réductivement psychologisée de la pleine conscience, mais pour vivre dans l'Immanence, qui est "conscience" de la présence vivante de la Transcendance, du Totalement Autre, qui est l'origine et le Père de notre être, c'est-à-dire de notre Dasein, et qui nous pousse à la lutte pour un nouveau commencement de la Tradition. Nous allons maintenant illustrer quelques fondements anthropologiques d'un ordre ascétique-mystique, concernant la théorisation de la Voie de la Main Vide, précédés d'un très bref excursus historique sur la pratique de la conscience en Occident.

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Immanence et transcendance

La Voie de la Main Vide est structurée autour des pierres angulaires de l'expérimentation pratique méditative et existentielle de l'Immanence et de la Transcendance. Précisément, vivre l'Immanence à la recherche et en présence de la Transcendance et vivre la Transcendance dans l'Immanence. Tout cela, par la pratique de l'ici et du maintenant, du hic et nunc ou de la conscience. Une pratique de la conscience qui n'est pas basée sur la réflexion et le raisonnement, mais sur la pratique du silence et du vide mental. Une conscience qui ne se lit donc pas comme une faculté de l'esprit, mais comme une structure de l'âme consciente. Une âme consciente individuelle, l'essence qui génère et maintient en existence le corps et les pouvoirs de l'âme, c'est-à-dire l'esprit (mémoire, intellect, volonté), grâce à son énergie vitale.

Pendant longtemps, au moins jusqu'au début de l'an 2000 et au-delà, la pratique méditative d'une sorte de "conscience" évanescente, poétique et plus ou moins érotiquement dissimulée a été l'un des domaines et des leitmotivs du mouvement New Age. De ce chaos sans queue ni tête, uniquement préoccupé par la définition d'une réalité vaguement divine, de nature panthéiste et impersonnelle, délibérément dépourvu de références éthiques dans le domaine sexuel, qui a fait un massacre de nanas par de pseudo-gourous du néant, de la mort et du business, capables de ne distribuer que le bonheur de la copulation initiatique en la faisant passer pour une cessation de la souffrance et une ascension vers des degrés supérieurs de conscience, de connaissance et d'éveil, a fini par émerger une nouvelle façon de concevoir et de mettre en œuvre le thème méditatif de la conscience, celui de la mindfulness (pleine conscience).

Portée par des psychothérapeutes - majoritairement mais pas uniquement - issus de l'aire cognitiviste, corroborée par une expérience méditative réelle mais souvent discrète, la pleine conscience est née, s'est développée et s'est consolidée parallèlement à son activité et à sa pénétration dans les milieux sanitaires et socio-sanitaires américains et anglo-saxons. Considérée comme une discipline aux contours scientifiques, ses enseignants n'osent pas s'exprimer sur les thèmes du Divin et de la Transcendance par pudeur ou par révérence aux reliquats de la science positiviste matérialiste qui conditionne encore aujourd'hui le monde scientifique. Ces psychothérapeutes, autoproclamés "maîtres" de la pleine conscience, en raison de spécialisations ou de maîtrises qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'expérience méditative qui, pour être efficace et apprise, doit être la conséquence d'une longue pratique, occidentalisent des pratiques ad hoc de tradition essentiellement bouddhiste comme celles de la conscience non jugeante, ils utilisent des critères d'analyse hyper-relativistes dans le domaine de la gnoséologie et de la méthodologie psychologique, ils ne se dégagent pas totalement du paradigme freudien qui entache toutes leurs interprétations du réel psychologique de l'ombre de l'utopie pansexualiste concrète ou sublimée. Tout cela se produit, dans l'exercice de leur profession, à cause d'une Weltanschauung épistémologique réductrice autour de la nature humaine lue dans le binaire psychologique et anthropologique corps-esprit et non dans le binaire holistique et neuroscientifique corps-esprit-âme/conscience.

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Au Japon, la Voie de la Main Vide est une dénomination liée au Bushido et en particulier à certains de ses arts martiaux, comme le Karaté. Nous avons choisi cette dénomination parce qu'elle exprime le mieux le sens du vide de l'âme consciente qui, dans l'immanence de sa propre condition existentielle, de son propre être (Dasein), s'ouvre à la transcendance comme une fleur qui s'ouvre aux rayons du soleil, réalisant ainsi la conscience de l'ici et du maintenant.

La Voie de la Main Vide est un chemin existentiel de mise en œuvre de la katharsis (purification) et de la kénosis (faire le vide) qui permettent l'éveil du Sujet Radical. C'est une condition quotidienne dans laquelle, dans l'événement méditatif et en dehors de celui-ci, on vit dans une pure Immanence ouverte à la Transcendance. La pratique de la pleine conscience n'est qu'une étape qui précède et suit d'autres étapes de dévoilement et d'éveil de l'âme consciente et de sa volonté d'appartenir totalement au Divin, comme décrit dans certains de nos trois articles précédents intitulés Les armes spirituelles du sujet radical, les premiers degrés d'ouverture de la conscience, de l'âme consciente en fait, sont décrits en progression, ce qui sera suivi dans de futurs articles.

D'un point de vue phénoménologique, le thème de l'Immanence vécue comme une expérience extrême dans laquelle l'âme consciente, l'Atman, est purifiée et vidée de son égocentrisme inné qui lui coupe les ailes et la ferme à l'ouverture vers la Transcendance, est étroitement lié à l'horror vacui et à l'aridité spirituelle. Il s'agit de deux questions qui doivent être abordées avec une grande énergie et avec des corrélations psychologiques, sociologiques et, surtout, anthropologiques et ascético-mystiques. Pour l'instant, il suffit de rappeler que l'horreur du vide, horror vacui, est une perception intense et addictive d'un ordre existentiel lié au sens de la mort et de l'isolement existentiel, alors que l'Atman, l'âme consciente, est créée pour vivre éternellement et pour s'intégrer dans la société humaine et, à l'avenir, dans la communion des saints. La stérilité spirituelle, causée par la purification de l'ego et son évidement, effraie l'âme consciente, qui a été créée dans le desiderium Dei, pour vivre heureuse dans l'éternité et non dans la souffrance de la douleur et de l'absence du Divin.

Avec ces hypothèses de renoncement total à l'ego, on peut comprendre que, face à de telles difficultés, l'âme consciente, amoureuse de la Tradition, soit tentée de s'arrêter, de faire marche arrière et de renoncer à sa transformation, qui provoquerait l'éveil du Sujet radical, pour se contenter d'une dérive intellectuelle et d'un intimisme anesthésiant qui la protégerait à jamais de la violence de ce combat visant à l'émergence de l'ego et à l'émergence du Soi pour vivre face au Divin et être guidée par Lui.

Le thème de la Transcendance, vécu dans la perception phénoménologique du Totalement Autre, du Divin qui apparaît, qui se révèle à l'âme consciente et la remplit de joie et de consolation pour continuer sa lutte pour la Tradition, est lié à l'égoïsme de l'absence et à la manipulation du Divin. Ici encore, nous soulignons l'importance d'aborder et d'approfondir ces questions vitales pour une relation correcte avec la Transcendance. Dans ce contexte, nous affirmons simplement que l'âme consciente, l'Atman, doit travailler généreusement à l'expulsion de sa tension égoïste d'adhésion permanente au Divin, par la vertu contraire de la générosité, afin d'éviter que, lorsque le Divin n'est pas perçu comme étant présent, elle ne s'enlise dans l'égoïsme de l'absence, une condition qui conduit à la non-opération, mais seulement à l'attente passive de son retour.

La question de la manipulation du Divin est un sujet brûlant que nous aborderons dans un avenir proche, lié entre autres aux thèmes douguiniens concernant le Double, ou le Sujet radical et l'Antéchrist. Pour l'instant, nous dirons simplement que, comme nous l'enseignent les Pères du désert, plus l'âme consciente se rapproche du Divin, plus le type de tentations auxquelles elle est soumise devient subtil. À la base de ces tentations, il y a la preuve de se considérer comme un démiurge, un magicien, un manipulateur, en fait, du Divin.

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Bien qu'il s'agisse en théorie d'une épreuve absurde pour l'intelligence, qui réalise que tout ce qu'elle reçoit est un don qui lui arrive quand, combien et comment le Divin le veut pour sa transformation, le don des charismes, qui ne sont en aucun cas un signe de perfection spirituelle de l'âme consciente (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas des gratia gratum faciens) mais simplement un don gratuit (c'est-à-dire qu'ils sont des gratia gratis data) pour aider son prochain sur le chemin du Sentier spirituel, est mal compris par l'âme consciente qui le prend pour un pouvoir personnel. Si l'Atman succombe à cette épreuve, il devient ipso facto le domaine des seigneurs angéliques des ténèbres, auxquels il demandera tôt ou tard à être possédé dans l'illusion qu'il peut les gérer en sa faveur et à sa guise.

Cette illusion a accompagné, tout au long de l'histoire de notre espace métapolitique, certains groupes qui ont pratiqué la Voie de la Main Gauche dans le contexte occultiste spécifique exprimé ici. Il n'est pas dans notre intention de les juger, ni de les interroger ou de les mépriser ; au contraire, dans une certaine mesure, nous pouvons les admirer pour la noblesse de leurs intentions. Cependant, rappelons à tous que pour parvenir à la contemplation de la gloire du Divin et en jouir individuellement, il ne suffit pas d'être ouvert à Lui, mais il faut être humble en reconnaissant sa propre condition humaine de fragilité et être plein de foi dans l'action de Son Esprit qui seul peut nous guider vers la plénitude de la vérité : "vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres" (Évangile de Jean 8:32).

La Voie de la Main Vide, c'est un chemin d'ascèse guerrière, c'est l'itinéraire de l'Eveil du Sujet Radical, c'est la Grande Guerre Sainte pour la conquête du Royaume Intérieur et la condition sine qua non pour construire l'Empire Européen au sein de la Civilisation Multipolaire. De la Voie de la Main Droite, il hérite de la constance et de l'éthique. De la Voie de la Main Gauche, il hérite de la radicalité et de la totalité. Mais la Voie de la Main Vide les surpasse comme le Sujet radical avec la Volonté Post-Sacrée, la volonté d'appartenance totale au Divin, a surpassé la volonté de puissance du Zarathoustra Nietzschéen. Car dans la Voie de la Main Vide, la main de l'âme consciente se déploie et s'ouvre pour recevoir en elle la totalité du Divin et être guidée par Lui dans la bataille finale contre les ténèbres de l'anti-civilisation post-moderne avec l'énergie, la ténacité et l'extrémisme combatif des anciens guerriers, que seul le Sujet Radical peut pleinement manifester à la fin de l'Histoire :

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Eléazar, appelé Auaran (qui signifie "celui qui transperce", Ndlr), voyant l'un des éléphants, protégé par l'armure royale, dominer toutes les autres bêtes et pensant que le roi était dessus, voulut se sacrifier pour le salut de son peuple et assurer son nom éternel. Il s'élança donc hardiment à travers la phalange et frappa à mort à droite et à gauche, tandis que les ennemis se divisaient devant lui et reculaient de part et d'autre. Il passa sous l'éléphant, le transperça de son épée et le tua ; il tomba sur lui et Eléazar mourut". (Extrait du premier livre des Maccabées 6, 43-46).

René-Henri Manusardi

 

11:30 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voie de la main vide, tradition, traditionalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook