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mardi, 08 novembre 2011

Les tribulations d'un poète au pays des Soviets

Les tribulations d'un poète au pays des Soviets

Emmanuel Carrère, Prix Renaudot pour son "Limonov"

par Minnie Veyrat

Ex: http://www.metamag.fr

Quel est le metteur en scène qui s’emparera, le premier, de l’incroyable scénario écrit par Emmanuel Carrère dans son dernier livre, « Limonov » tout juste consacré par un jury Renaudot qui a jeté sa gourme ? Car, tout y est. La naissance du héros : gros plan sur le bébé couché dans une vielle caisse d’obus et suçant une queue de hareng séché. A parents médiocres, enfance morose et c’est à l’adolescence que les choses commencent à bouger.


Savenko réalise vite qu’il trouvera argent et succès chez les voyous. Il tentera donc d’en faire partie pour essayer de sortir de la grisaille de sa petite ville de Kharkov. Notre apprenti voyou, malheureusement, est aussi poète, mais n’est pas Villon qui veut !

Là, entre en jeu Anna. Grosse femme excentrique dont la librairie sera l’antichambre (puis la chambre)  des premier succès d’Edouard. Le voilà amant en titre et sa petite renommée locale commence. Il sera désormais Ed. Limonov.

Il reste qu’il faut bien vivre à Moscou où ils s’installent en 1968. Et ce n’est pas forcément déchoir pour un poète que de vendre des pantalons fabriqués à demeure. Exit Anna. Voici la splendide Elena qui partagera son rêve américain : devenir mannequin pour elle et connaître enfin le succès pour lui. Mais le rêve tourne rapidement au cauchemar.

Heureusement, une autre femme, Jenny, lui ouvre les portes d’un milliardaire dont il deviendra le « majordome poète » et que celui-ci se plaît à exhiber dans son salon. Le poète russe plaît dans le nouveau monde.

Elena le quitte et le plonge dans un de ces chagrins éthyliques à la Russe : un zapoï. Rien de tel que Paris pour se consoler. Limonov devient, ici, la coqueluche, pour un temps, des intellos de l’époque (Robbe–Grillet et Edern Hallier entre autres...), dont il fréquente le QG de la place des Vosges. Ses premiers livres autobiographiques paraissent, écrits que Madame Carrère d’Encausse juge, pour sa part, « pornographiques et ennuyeux ». C’est aussi à Paris qu’il rencontre Natacha, dont il tombe amoureux, malgré sa nymphomanie et son goût immodéré pour les boissons fortes. Là, on a envie de dire « stop ». Trop, c’est trop. Mais non, le film continue.

Une vie de merde ?

Limonov rêve de voir son pays retrouver sa grandeur. Mais, après un court passage à Moscou, où il apprend qu’Anna s’est pendue et que ses anciens amis sont soit morts soit en prison, plus rien ne le tente que la guerre. Quel meilleur endroit que les Balkans ? Croates, Serbes, Bosniaques… On s’y perd un peu, mais voici Limonov chez les Serbes en tenue camouflée, la kalachnikov à l’épaule.   

Ses livres se vendant bien, il retourne à Moscou où commence le règne de Poutine. Le voilà rédacteur en chef contestataire d’une feuille de chou, organe d’un obscur parti national-bolchévique. Il manquait la case prison, c’est fait. Le voilà condamné pour terrorisme et trafic d’armes. C’est, bizarrement, en prison qu’il accédera à une certaine sérénité. L’auteur pourra enfin peaufiner son œuvre de poète maudit, oublié de tous.

C’est là qu’il écrit, d’après Emmanuel Carrère, son chef d’œuvre, « Le livre des eaux ». Hélas, les politiciens russes ont besoin de nouvelles idoles et ils découvrent qu’un nouveau « Dostoïevski » croupit dans un camp de travail, à Engels. On l’en fait sortir en grande pompe, sous les caméras de la télévision. La suite sera sans grand intérêt.

Vous croyez écrire le mot « fin ». Vous n’y êtes pas encore. Car, dans les tribulations de ce Russe à travers le siècle, tout est vrai ou presque. Qui plus est, le vrai Limonov existe. Emmanuelle Carrère l’a rencontré. Et il pourrait être indispensable de le consulter pour éclaircir quelques points de détail, avant de dire « moteur ».

Que dire du livre d’Emmanuel Carrère ? Bien que Limonov ne soit guère sympathique, on peut comprendre la sorte de fascination qu’un tel personnage ait pu inspirer à l’auteur qui se qualifie, lui-même, de « bourgeois-bobo » et qui, bien qu’à l’opposé du voyou ukrainien, aimerait sans doute, à ses heures, voir son propre visage se dégager du reflet de Limonov dans un miroir.

Limonov, quant à lui, termine sa vie dans un beau domaine, avec sa dernière épouse et son jeune enfant. Lorsque l’on évoque, devant lui, l’Asie centrale et ses immensités, ses yeux brillent encore. Toutefois, si l’on en vient, plus largement, à parler de sa vie et de son œuvre, il répond, désabusé : « une vie de merde... »

Ce livre se lit comme un roman d’aventures ; le style est alerte, mais, parfois, Carrère fait preuve de facilité en adoptant, avec une certaine gourmandise, le vocabulaire ordurier de son modèle.

Limonov d’Emmanuel Carrère aux éditions POL, 488 pages à 20 €

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