Par deux fois, les Islandais ont refusé de rembourser la dette de leurs banques. Un bel exemple de résistance au capitalisme financier et un modèle pour la Grèce? Pas du tout. Les créanciers commencent à être remboursés et les règles du jeu libéral respectées jusqu’au bout.
Par deux fois, les Islandais ont refusé de rembourser la dette de leurs banques. Un bel exemple de résistance au capitalisme financier et un modèle pour la Grèce? Pas du tout. Les créanciers commencent à être remboursés et les règles du jeu libéral respectées jusqu’au bout.
Devenue célèbre pour avoir dit non par deux fois à un référendum sur le remboursement de sa dette vis à vis du Royaume-Uni et des Pays-Bas, l’Islande est devenu l’élève modèle des Indignés et de certains économistes: dire « non » au capitalisme financier, voilà la voie à suivre pour la Grèce, piégée par une dette faramineuse. Mais les deux pays sont dans des situations incomparables.
Différence majeure avec la Grèce, la dette de l’Islande n’est pas lié à une mauvaise gestions des comptes publiques, mais à ses banques. Avant 2008, les établissements islandais pratiquaient le ‘carry trade‘, une technique de spéculation qui consiste à emprunter de l’argent dans une devise peu chère (tel que le dollar ou le yen) pour effectuer des placements dans une devise offrant des taux d’intérêts plus élevés, en l’occurrence la couronne islandaise.
50 milliards partis en fumée
Par ailleurs, les banques islandaises proposaient à leurs clients étrangers des taux d’intérêts très avantageux, leur permettant de drainer des milliards d’euros et de livres de dépôts, diminuant ainsi leurs coûts de financement.
Mais patatras, la crise des subprimes passe par là, et rapidement, elles se retrouvent étouffées par la défiance généralisée des marchés interbancaires, ainsi que la chute des prix de leurs actifs financiers. Environ 50 milliards de dollars partiront ainsi en fumée, provoquant l’effondrement immédiat du système bancaire islandais. Début octobre 2008, les trois principales banques du pays sont nationalisées.
Parmi elles, la banque Landsbanki – via sa banque en ligne Icesave – laissa ses 340.000 clients britanniques et néerlandais sur le carreau, en leur bloquant l’accès à leurs comptes en ligne le 8 octobre 2008.
Reculer pour mieux faire sauter la banque
Mais en Europe comme en Islande (qui fait partie de l’Association Européenne de Libre Echange – AELE), les banques sont tenues de garantir les dépôts des clients jusqu’à un certain montant. Or, en tant que branche, et non filiale, la banque Icesave relevait du système de garantie islandais, quant bien même ses clients résidaient à Londres ou Amsterdam.
C’est donc à Rekjavik qu’il incombait de rembourser au moins 20.000 euros par client, soit près de 4 milliards d’euros au total, tandis que les créances totales reconnues par Landsbanki s’élèvent à plus de 7 milliards d’euros.
Au moment de l’effondrement bancaire, le gouvernement islandais, soucieux de préserver son économie nationale, est incapable de garantir le remboursement des clients étrangers de ses banques. Les autorités financières britanniques et néerlandaises décident alors de rembourser elles-mêmes les clients d’Icesave à hauteur de la garantie des dépôts de leur pays, avant, bien sûr, de demander à l’Islande de les rembourser.
Les Islandais disent deux fois « non »
Quelques mois plus tard, à la faveur d’une accalmie des marchés, un long processus de négociations commença entre les trois gouvernements britanniques, néerlandais et islandais, afin de trouver un accord sur le remboursement des créances étrangères de Landsbanki.
Mais c’était sans compter la réaction du peuple islandais, qui demanda par pétition un référendum sur cet accord – reférendum que leur président de la République accorda. La suite de l’Histoire est désormais bien connue: les Islandais rejetèrent par deux fois ce texte.
Mais, si le « non » des islandais lors du second référendum a été très médiatisé, l’évolution de l’affaire a, depuis, été largement ignorée par la presse. Contrainte légalement de respecter la garantie des dépôts bancaires, l’Islande s’est fait réprimandée par l’autorité de surveillance de l’AELE.
Réponse de Rekjavik: le gouvernement n’a qu’une obligation de moyen vis à vis de du mécanisme de compensation des déposants et se devait protéger son économie nationale avant tout. De plus, quand bien même une obligation de résultat lui incomberait, l’Islande fait valoir que, pour faciliter le remboursement de leurs épargnants lésés, les gouvernements britanniques et néerlandais auraient fait « obstruction » à la réorganisation et au démantèlement de Landsbanki.
L’Islande paiera quand même
Rekjavik reproche notamment des pression subies, via le FMI, l’Union Européenne, ou encore l’usage de la loi anti-terroriste par Londres (!), afin de geler les actifs de la branche de Landsbanki en Angleterre.
Mais surtout, l’Islande fait valoir que la banque Landsbanki sera de toute façon en mesure de rembourser directement les autorités financières britanniques et néerlandaises, une fois que la liquidation de ses actifs aura été achevée. La banque aurait, en effet, près de 7 milliards d’euros d’actifs financiers. Largement de quoi payer ses créances les plus prioritaires.
Cette information semble échapper à certains responsables politiques, comme Phillip Davies. Ce député britannique trouve « inacceptable qu’un pays qui refuse de rembourser des milliards de livres touche un seul centime d’aide internationale ».
Il est bien mal informé. Landsbanki a effectué un premier paiement, le 7 décembre dernier, d’environ 2 milliards d’euros, soit environ un tiers des créances totales de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Le reste suivra à mesure que Landsbanki liquide ses actifs, comme le montre le schéma suivant, tiré du dernier rapport trimestriel de la banque islandaise, aujourd’hui en processus de démantèlement.
Le déclenchement des premiers paiements n’a, en revanche, pas dissuadé l’autorité de surveillance de l’AELE de continuer sa procédure contre l’Islande. Le 14 décembre, elle décidé de l’assigner en justice pour son non respect de la directive européenne sur la garantie des dépôts qui exigeait que l’Islande rembourse les Pays-Bas et le Royaume Uni au plus tard un an après la faillite d’Icesave.
Mais cette procédure a bien peu de chance de changer la donne. Dans le pire des cas, l’Islande sera simplement obligée d’accélérer les remboursements, l’autorité de surveillance n’étant pas habilitée condamner les États membres à payer des pénalités.
« L’Islande n’avait pas le choix »
Finalement, le cas de l’Islande n’est pas un pied de nez au capitalisme, mais relève plutôt de la logique de base du capitalisme dans lequel les investisseurs qui ont pris des risques perdent parfois, tandis que les clients à qui l’on avait promis des garanties seront remboursés.
Pendant ce temps, l’Europe, elle, fait l’inverse. La BCE empêche, par exemple, que l’on inflige des pertes aux créanciers de la Banque irlandaise en faillite, Anglo, préférant prêter 1.000 milliards d’euros à trois ans aux banques pour les aider à se refinancer. En Grèce, le dernier plan de sauvetage prévoit 30 milliards d’euros d’aide en contrepartie des pertes subies « volontairement » sur la dette souveraine grecque. Bref, on fait tout pour éviter que les banques ne soient trop en difficultés.
L’Islande serait-elle un modèle à suivre pour l’Europe ? Le ministre des finances islandais, Steingrimur J. Sigfusson, interrogé en 2011 par Bloomberg, se gardait de donner des leçons: « Ce qui s’est passé en Islande, c’est une situation d’urgence qui ne pouvait être évitée. Ce que nous avons fait en 2008 n’était pas de notre libre choix. C’était ça où l’effondrement complet de l’économie islandaise ».
Faut-il que le pire arrive pour que les règles du capitalisme soient appliquées ? C’est semble-t-il la leçon que l’Islande nous livre aujourd’hui.
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