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lundi, 04 juillet 2016

Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

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Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

Par Cédric Enjalbert

Ex: http://www.philomag.com

Le poète, critique d’art et traducteur Yves Bonnefoy est mort ce vendredi 1er juillet 2016 à l’âge de 93 ans. Hanté par les interrogations métaphysiques, il a cherché à élucider notre rapport au monde par les moyens de l’art.

À distance respectable des concepts, qu’il soupçonnait d’écraser l’expérience, Yves Bonnefoy n’a cessé de chercher à constituer une « poétique de la présence », s’approchant au plus près de ce que Rimbaud nomme, dans Une saison en enfer, la « réalité rugueuse ». L’âpreté de la réalité l’a rattrapé : le poète longtemps pressenti pour le prix Nobel de littérature est mort ce vendredi 1er juillet à l’âge de 93 ans.

Plotin, Baudelaire et Kierkegaard

Né à Tours en 1923, d’un père ouvrier et d’une mère institutrice, il doit sa rencontre avc la littérature à son professeur de philosophie au lycée, qui lui met entre les mains la Petite Anthologie du surréalisme de Georges Hugnet. Il s’engage vers les mathématiques, mais conserve ce goût intact pour la poésie et la philosophie, qu’il étudie finalement à l’université auprès de Gaston Bachelard, Jean Hyppolite et Jean Wahl. Il entame auprès de ce dernier un mémoire sur Baudelaire et Kierkegaard, tandis qu’il lit Bataille et Plotin

YB-70466559.jpgIl fraye alors avec les surréalistes. À 23 ans, son premier poème « Le Cœur-espace » paraît dans la revue La Révolution la nuit. Suivent, alors même qu’il prend de la distance avec André Breton et ses comparses, ses premiers recueils dont Anti-Platon en 1947, réunissant ses premiers poèmes ont paru dans des revues confidentielles, où il affime sa défiance envers l’idéalisme, et Du mouvement et de l’immobilité de Douve en 1953, très vite remarqué par Maurice Nadeau, créateur de La Quinzaine littéraire. Il fond déjà dans son creuset poétique, suivant l’intuition de Rimbaud qu’il admire, un « matérialisme spontané» et « un souci inné de la transcendance ». Sa conception de l’écriture s’affirme.

Entré au Centre national de la recherche scientifique en 1954, Yves Bonnefoy y poursuit une réflexion sur l’histoire des formes artistiques. S’intéressant de près à Piero Della Francesca, il trouve dans la peinture de la Renaissance un écho à ses préoccupation liant l’histoire, la création et la finitude humaine. Dans une introduction à Tout l’œuvre peint de Mantegna (Flammarion, 1978), le critique d’art écrira ainsi : « S’il faut encore parler d’une attention au fait historique, Mantegna ne le cherche plus dans ses grands moments, ne lui demande plus la pureté de tracé qu’assure après coup le temps, on le voit s’attacher plutôt à sa relation à des êtres qui sont chacun plus complexes que l’historien ne pourra le dire, et à des préoccupations aussi, des désirs, des intérêts, certains élevés, que le récit du passé ignore. […] De l’engagement total de notre énergie dans l’histoire, qu’il a rêvé, il perçoit cette fois au moins, le caractère utopique. »

À son œuvre de poète et à ses réflexions critiques, Yves Bonnefoy ajoute rapidement une activité de traducteur. Il traduit dès 1960  Jules César, de Shakespeare, joué à l’Odéon, dans mise en scène de Jean-Louis Barrault et des décors de Balthus. Il continuera à traduire une quinzaine de pièces de Shakespeare, mais aussi William Butler Yeats, John Keats, Pétrarque et Leopardi…

La poésie en son être propre

Fondateur en 1966 de la revue de poésie et d'art L'Éphémère, publiée par les éditions de la Fondation Maeght, avec André du Bouchet, Louis-René des Forêts, Gaëtan Picon, il est rejoint ensuite par Michel Leiris et Paul Celan. Le suicide de ce dernier en 1970, le bouleverse et lui inspire Ce qui alarma Paul Celan (Galilée, 2008), un court essai à portée métaphysique dans lequel il entend élucider les raisons de cette « irréductible affliction ». Il en conclut que « la poésie ainsi reconnue et vécue au plus ordinaire des jours, c’est ce qui, au terme d’années de dissociation de soi sous le poids des événements, lui permettait d’accomplir la synthèse de tout son être ».

Alors que la publication de L’Éphémère cesse, Yves Bonnefoy s’attèle à l’écriture d’un récit autobiographique intitulé L’Arrière-pays, qui paraît en 1972. Il y témoigne de cette tentation de l’ailleurs suscité par la fréquentation de la peinture, sans cesse ramené à la conscience de sa finitude. Enseignant au Collège de France de 1981 à 1993, étudie la fonction de la poésie et son rapport aux autres arts. Il entretient ce dialogue fécond ente la poésie et la peinture en publiant régulièrement des essais avec des artistes, notamment Pierre Alechinsky, Antoni Tàpies, ou Zao Wou-Ki.

La question du rapport à la finitude et à la transcendance, encapsulé dans sa « poétique de la présence », traverse l’intégralité de son œuvre de poète et de critique d’art qu’il se penche sur les peintures murales de la France Gothique, sur l’art baroque, sur Goya, sur Giacometti, sur Rimbaud ou Baudelaire. Chez lui se cristallise « la banalisation de l’incroyance et l’effet que celle-ci a eu sur le travail des poètes », l’impossible abandon de toute forme de transcendance et une forte inclination matérialiste : « Ce n’est que quand le religieux chancela qu’il devint possible de discerner le poétique en sa différence, la poésie en son être propre. Le génie de Baudelaire aura été d’avoir eu, le premier, cette intuition du plein de la poésie mais aussi d’avoir su en explorer le possible. » écrit-il. Cherchant après lui, dans les mots de la vie quotidienne le chemin d’un ailleurs, Yves Bonnefoy a fait de cette « épiphanie de l’indicible » sa vocation de poète et le cœur de son œuvre. 

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