Dans le monde arabo-musulman, le terme « alaouite » désigne l’actuelle dynastie royale marocaine en référence à son fondateur, descendant de Mahomet, venu sur la demande des tribus locales, d’où son titre de « Commandeur des croyants », ce qui lui permet de contenir les poussées islamistes.
Le mot mentionne ensuite une communauté ethno-religieuse surtout présente en Syrie et au Liban. Abdallah Naaman étudie ce groupe peu connu pour lequel il remplace les lettres o et u par un w : Les Alawites. Histoire mouvementée d’une communauté mystérieuse (Éditions Érick Bonnier, coll. « Encre d’Orient », 359 p., 20 €). L’ouvrage se compose de deux parties inégales. L’une revient longuement sur le déclenchement de la guerre civile syrienne. Démocrate et laïque, l’auteur récuse les supposés rebelles et vrais terroristes islamistes sans pour autant soutenir le gouvernement légitime du président Bachar al-Assad. Très critique envers Israël et l’Arabie Saoudite, il n’hésite pas à qualifier Nicolas Sarkozy de « burlesque », Laurent Fabius de « mouche du coche (p. 200) » et à dénoncer le philosophe botulien Bernard-Henri Lévy qu’il considère comme un « affabulateur (p. 201) » et un « malhonnête homme à la chemise blanche immaculée que d’aucuns traitent d’imposteur intellectuel de la nouvelle philosophie (p. 201) ». Cependant, hors de ces quelques vérités très incorrectes, l’autre partie s’attache à découvrir un peuple mystérieux.
Dissidence religieuse qui mêlent rites animistes, musulmans, chrétiens et zoroastriens d’où la célébration des fêtes de Noël et du Nouvel An solaire perse, les Alawites vivent surtout confinés dans les montagnes abruptes du littoral méditerranéen. Toujours méprisée et en conflit permanent avec leurs voisins chiites ismaéliens qui croient en sept imams à la différence des Iraniens, imamites, qui en vénèrent douze, la communauté alawite « longtemps tenue dans une dépendance étroite, sut conserver une vie religieuse, discrète, sinon active. Face à tous les conquérants, les Alawites sont restés immuablement attachés à leur sol, labourant leurs champs, cultivant leur tabac, leurs vignes et leurs oliviers, et gardant au fond d’eux-mêmes l’empreinte et les souvenirs des vieux cultes (p. 330) ».
Après 1918, la France, devenue puissance mandataire au Levant, tente un éphémère État alawite avant de le fondre dans un État syrien à majorité sunnite, soit les oppresseurs habituels. Les jeunes Alawites s’engagent alors en nombre dès cette époque dans l’armée ainsi que dans deux partis politiques rivaux qui proposent un projet laïque intégrateur : le Parti nationaliste social syrien favorable à une Grande Syrie pré-arabe, et le Baas panarabe. Dans les années 1960, les militants baasistes s’emparent du pouvoir à Damas. Puis, après de féroces luttes intestines, en 1970, l’Alawite baasiste Hafez al-Assad devient l’homme fort de la Syrie. Ce baasiste qui a épousé une ancienne militante du Parti nationaliste social syrien donne aux Alawites la direction du pays tout en s’ouvrant aux autres minorités religieuses chrétiennes, druzes et chiites et en s’entendant avec une large partie de la population sunnite.
Drapeau des Alaouites sous le mandat français en Syrie
Les Alawites demeurent une énigme spirituelle, ethnologique et culturelle. Hostiles au prosélytisme, ils gardent secrète leur foi qui baigne dans un ésotérisme complexe mâtiné de croyances autour de la réincarnation de l’âme. Oscillant depuis des siècles entre certaines écoles sunnites modérées et des tendances chiites imamites, les Alawites souhaitent principalement se protéger des multiples menaces qui les entourent. Avec raison, car cette communauté très particulière incarne une part de cette diversité humaine que le monde ultra-moderne entend éradiquer. Voilà pourquoi il faut défendre les Alawites.
Georges Feltin-Tracol
• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 46, diffusée sur Radio-Libertés, le 29 septembre 2017.
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