samedi, 18 novembre 2017
Réflexion sur le « scénario Terminator »
Réflexion sur le « scénario Terminator »
par Thierry Durolle
En 1984 sortait sur grand écran l’un des plus emblématiques films de science-fiction : Terminator. Signé James Cameron, ce film, qui vit l’envol de la carrière de l’herculéen Arnold Schwarzenegger, risque un jour de devenir réalité…
Retour vers le Futur
En 2029, suite à un holocauste nucléaire, une guerre sans pitié oppose ce qui reste de l’humanité aux machines. Dans le but d’éliminer John Connor, le meneur de la résistance, les machines envoient dans le passé un Terminator, c’est-à-dire un « cyborg », créature mécanique enveloppée de tissu vivant et donc, à l’apparence humaine, pour éliminer la mère de leur ennemi afin que celui-ci ne puisse venir au monde. La résistance arrive trop tard mais réussit malgré tout à envoyer un de ses meilleurs soldats pour tenter d’empêcher l’irréparable. Le premier volet de la franchise Terminator pose les jalons d’une histoire qui se complexifiera par la suite, et parfois uniquement dans le but d’exploiter le filon à des fins pécuniaires, au détriment de la qualité artistique bien évidemment. Pour autant, et au-delà de sa carcasse métallique, l’univers Terminator pose de nombreuses questions relatives à la technique, à l’hybris et surtout à notre avenir.
La guerre contre la machine...
Nous avons toujours eu un faible pour le film de James Cameron. Sa qualité cinématographique, son ambiance et le thème développé ont tout pour nous plaire. Mais c’est ce dernier qui a retenu notre attention : la destruction de l’humanité par la machine, l’arroseur arrosé, la justice immanente. Et nous ajouterons que nous avons toujours cru en la possibilité d’un tel scénario. Ce qui était de la pure fiction en 1984 appartient désormais au domaine du possible. Comment en arrive t-on à la quasi extermination complète de l’humanité par les robots ? La réponse tient en deux lettres : IA, pour Intelligence Artificielle. Un logiciel d’automatisation de riposte nucléaire américain nommé Skynet devient autonome et décide d’éradiquer notre espèce. En août 2017, des chercheurs du Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) publie une étude dans laquelle ils expliquent que deux robots communicatif programmés pour la négociation, appelés chatbots, ont inventé leur propre langage. Les chercheurs disent avoir arrêté le programme qui « ne fonctionnait pas comme prévu » (1). Volontairement ou non, ces programmes ont à un moment échappé à leurs créateurs.
… ou la guerre contre nous-même ?
Déléguer à la machine certains travaux pénibles n’a rien de vraiment choquant en soi, bien que la politique d’automatisation du travail puisse se répercuter de manière néfaste sur les emplois. Dans ce cas, de figure l’humain reste maître de la situation. Le développement de l’IA pourrait correspondre au franchissement d’une étape périlleuse. Où et comment poser les limites ? Comment être sûr de l’efficacité des gardes-fous ? N’est-ce pas manquer de confiance en nous-même que de laisser les manettes à une entité extérieure mais surtout non-humaine ? Tel un golem cybernétique, Skynet, prévu à la base pour nous protéger se retourne contre nous. Le créateur se voit déloger de son trône par sa créature : game over. Et cela sans compter le Grand Remplacement de l’Homme par son alter-ego, l’androïde T-800. Le cyborg, cet être bio-mécanique, renvoi à un autre sujet d’actualité : le transhumanisme.
Demain tous cyborg ?
Hybride bio-mécanique, autrefois relégué à la science-fiction, le cyborg, à l’instar de l’IA, devient réalité. Sa particularité est de conjuguer à la fois des caractéristiques provenant du Bios – le monde du vivant – et des caractéristiques provenant du monde de la machine. Dans le cas des films Terminator, le cyborg est un robot (ayant l’apparence d’un squelette humain) recouvert de tissus vivants. Dans un autre registre de la culture populaire, le manga Dragon Ball Z compte également plusieurs cyborgs. Mais dans ce cas il s’agit d’êtres humains qui servent de base et qui furent transformés en androïdes. Ici figure donc la véritable logique qui sous-tend l’ontologie du cyborg, celle du transhumanisme. Au même titre que la délégation de tâches diverses à la machine doit être envisagé du point de vue de la Μηδὲν ἄγαν(2), il doit en être de même pour la transformation de l’homme. Qu’une prothèse soit capable de palier à l’absence d’un ou plusieurs membres amputés ne nous pose pas de problème. Se faire implanter des puces R.F.I.D. ou un micro ordinateur au cerveau relève de la démesure et de la folie de ce que l’on appelle désormais l’ »homme augmenté ».
There's no fate but what we make for ourselves
Pour reprendre l’expression de l’un de nos amis, la civilisation de l’homme blanc se caractérise par l’usage de la technique, affirmation essentiellement « spenglerienne » s’il en est. L’auteur de L’Homme et la technique (3) a décrit les processus involutifs des civilisations et, concernant la notre, celle qu’il qualifie de « faustienne », périra par là où elle a fauté. Bien qu’Oswald Spengler déplore la récupération de la technique des peuples blancs par des peuples hostiles au premier, ce qui causera leur perte, notre propos concerne en revanche la transformation de la question technique en « technologisme ». Le « technologisme », corollaire de la fuite en avant que l’on nomme idéologie du Progrès, se caractérise par une modification ontologique : l’objet devient sujet. Là réside le danger. Cette marche en avant nous paraît encore plus inéluctable avec le technocosme ambiant. Notre avenir ne s’oriente t-il pas, en fin de compte, vers un effacement de l’Homme, dans sa totalité ontologique, par la Machine ?
Quel doit être l’attitude à adopter ? Le lecteur conviendra de son impuissance face à un processus sur lequel il n’a aucune emprise. Il faut tout simplement accepter le Destin. Chez les peuples d’origine indo-européenne, le Destin est même supérieur aux Dieux eux-mêmes, et par conséquent à nos actes. Ainsi c’est l’acceptation tragique du Destin qui prévaut. Il en va de même pour Kyle Reese, venu sauver la mère de John Connor et qui sait pertinemment qu’il ne pourra jamais revenir en arrière, et qui incarne parfaitement « ce soldat romain […] qui périt parce qu’on avait oublié de le relever lorsque le Vésuve entra en éruption » (4). Kyle Reese accepte son destin d’un cœur pur, tel un chevalier des temps modernes, avec comme motivation première l’accomplissement de son devoir. Nous devrons faire de même si le « scénario Terminator » devient réalité.
Thierry Durolle
Notes :
(1) https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/l-ia-facebook-invente-son-propre-langage-n65707.html
(2) Meden Agan, « Rien de trop » en grec, principe de « juste mesure », contraire de l’hybris.
(3) Oswald Spengler, L’Homme et la Technique, RN Éditions (135, rue Saint-Dominique, 75007 Paris), 2016, 105 p., 28,90 €.
(4) Ibid.
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